Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
« Il ne suffit pas qu’une graine soit bonne pour que la plante soit belle. Un lit de semence douillet, une fumure généreuse, la clémence du sol et du ciel, les attentions du jardinier à secourir la nature sont autant d’éléments qui facilitent la germination, la croissance et l’épanouissement jusqu’à l’hypothétique récolte. N’en est-il pas ainsi chez nous autres Humains ? Notre société, nos familles et leur arbre généalogique ne connaissent-ils pas : les sauvageons, les mauvaises herbes, les greffes, les marcottes, les croisements, les chancres, les symbioses et les saprophytes, mais aussi la sève qui monte, les bourgeons, l’éclosion des boutons, la floraison, les fruits et les graines, la moisson, les vendanges et… le bon vin ? J’ai atteint aujourd’hui cette saison, mon automne chéri, sans avoir trop endommagé la nature, et j’écris, vite, avant que l’hiver me fige, moi dans mon jardin. »
Loïc Stock
À PROPOS DE L'AUTEUR
À travers cet ouvrage,
Loïc Stock, qui a passé sa vie en Normandie, partage l’histoire de sa famille : son grand-père, l’éditeur célèbre de l’affaire Dreyfus, son père, médaillé aux JO de Paris en 1924, sa mère, jadis mannequin convoitée, femme libre d’exception et puis lui-même dans sa vraie vie. Par l’écriture, il défie sa dyslexie et cherche enfin dans ces pages à comprendre le mensonge fou de sa mère qu’il a tant aimée.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 313
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Loïc Stock
Jardin secret de famille
© Lys Bleu Éditions – Loïc Stock
ISBN :979-10-422-0464-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À
Mon fils Sylvain Stock
Et sa mère
Ainsi qu’à Frédéric Stock, mon neveu
J’ai été élevé par ma mère dans le mythe de ces personnages célèbres que furent mon grand-père PV STOCK qui fonda la maison d’édition qui porte toujours son nom, notre nom, depuis plus d’un siècle et mon père JP STOCK qui fut un grand sportif champion olympique (Paris 1924 en aviron) certes moins célèbre que son père, mais que notre mère portait aux nues et citait en glorieux exemple à mon frère et moi.
Il est mort loin d’ici au Venezuela alors que je n’avais que trois ans. Mon grand-père, lui, est mort après la guerre (39-40), juste avant ma naissance.
Je n’ai de ces grands Stock que des souvenirs confus faits pour mon père de récits et de photos de famille, de coupures de presse (le miroir du sport, et la presse people), et pour mon grand-père, les souvenirs touchants racontés par sa belle-fille, ma mère, et de nombreux écrits autobiographiques (dont trois volumes : Mémorandum d’un Éditeur) et quelques mètres linéaires de reliures en cuir de ses éditions les plus précieuses.
Ce n’est que très tard dans ma vie que j’ai fait référence à cette filiation, seuls quelques proches savent aujourd’hui. Handicapé par une dyslexie accablante, incapable d’écrire trois mots sans faute d’orthographe, écrasé par le poids d’une bibliothèque familiale monstrueuse, ceint d’une mère et de femmes dévoreuses de livres, moi, jardinier paysagiste de mon état, je ne me sentais pas, dans le domaine littéraire, le digne héritier de cette lignée : un complexe inavoué et douloureux, comme un petit chancre au collet de ce rejeton que j’étais et qui devait cependant s’épanouir sur des racines si nobles dans un terreau des plus fertiles amandé par l’amour et l’intelligence d’une mère Madeleine Stock, femme d’exception digne, elle, de cette lignée.
La découverte plus tard des joies de la lecture et de la littérature m’a guéri du petit chancre de jeunesse sans recours à une thérapie (bouillie bordelaise) et m’a armé pour soigner biologiquement, grâce à l’écriture comme pansement, une blessure infligée plus tard dans ma vie, par la révélation d’un secret des plus incompréhensible. Ce récit est un challenge, une forme de revanche, pour le petit Stock d’antan, aux prises avec sa dyslexie et sa filiation.
Dès lors ce titre abscons Jardin secret de famille prend du sens…
La présentation des personnages, à travers le regard candide d’un enfant, peut paraître puérile alors qu’elle est feinte… et tromperie, comme furent leurs vies.
Première partie
J’ai reçu le 6 juin 1941 de la banque de France une lettre datée du 5 juin, par laquelle j’étais invité à me rendre chez elle pour y justifier que je n’étais pas Israélite et cela avant le 12 juin, faute de quoi mon compte serait « bloqué ».
Je me suis rendu à cette convocation le 9 juin, et lui ai remis une note succincte de mon « curriculum vitae » et lui ai soumis certains documents : mon acte de baptême du Juillet 1861 (il y a 80 ans), mon acte de première communion en 1874 (il y a 67 ans) et aussi mon certificat d’études qui indique qu’en Juillet 1874 j’étais un élève des congréganistes ; montré également les lettres de faire-part de décès des miens, dans lesquelles aucun nom juif ne figure, mais ceux de ma famille (parents directs ou alliés, nom essentiellement français : Tailleur, Germain, Ballot, Benard, Janin, Masson, Beaudoin, Clément Jacquin, Andrieux, Martin, Matoret, Cuir, Tresse, Marcherat, Desgrange, Fievet, Constant, Exartier, Guérin, Sapin, Girardin, Vaillant, Willaume, Pierson, Dorvoult, Périquet, etc.
En sus de cette note, j’ai laissé un exemplaire de mon Histoire anecdotique de l’Affaire Dreyfus, en indiquant les passages qui ont trait à cette question juive en ce qui me concerne.
Et aussi la déclaration écrite et signée – qui m’était demandée sous la foi du serment, que je n’étais pas juif, ni aucun des miens, et qu’au cours des 300 ans années probables de présence des miens en France, jamais ni un juif, ni une juive, ne sont entrés dans notre famille essentiellement catholique.
Je dois ajouter que mes deux enfants n’appartiennent à aucune religion ; j’ai cru devoir leur laisser la possibilité d’en choisir une lorsqu’ils auraient l’âge de raison. Moi, j’ai été baptisé deux jours après ma naissance, et je trouve tout à fait arbitraire d’imposer une religion à un être encore inconscient.
C’est cette mise en demeure de la Banque de France d’avoir à justifier que je n’étais pas juif qui m’a donné l’idée d’écrire cette note pour mes deux enfants, afin qu’ils connaissent l’histoire de notre famille.
J’ajoute que, au-delà de ses enfants, aujourd’hui (2021) son petit-fils – moi-même – hérite de ce document écrit de la main de mon grand-père, heureusement sauvegardé par mes parents. Ces derniers ne me l’ont jamais montré. Je l’ai trouvé en fouillant dans les tiroirs. Les 8 pages suivantes du manuscrit de mon grand-père, plus anecdotiques, racontent l’histoire de la famille depuis 300 ans. De quoi sceller une famille ; ce que je tente de poursuivre… Mais certaines de mes révélations ne risquent-elles pas au contraire de l’ébranler ?
Cette première page est d’autant plus émouvante qu’il s’agissait pour mon grand-père de sauver sa peau. À 80 ans P. V. Stock fait preuve d’une formidable lucidité. Il a lui-même souligné Banque de France pour manifester son indignation et nous rappeler que ce n’était pas la Gestapo qui traquait directement les juifs. Aucun doute, avec l’âge, il n’était pas devenu pétainiste. Son engagement dans l’Affaire Dreyfus le poursuivait et avait certainement éveillé les soupçons de la Gestapo que les collaborateurs du gouvernement de Vichy alimentaient en archives compromettantes.
Ainsi j’ai enfin appris l’origine du nom Stock que l’on rencontre aussi bien dans les langues germaniques, scandinaves, et anglo-saxonnes. L’origine des Stock serait écossaise et remontrait à 300 ans quand un émigré catholique, sous les Stuart, pourchassé par les protestants serait venu s’installer en France dans l’Est du côté d’un village nommé Burtancourt où il créa la branche française.
Quant au grand-père Pierre Victor Stock il est né le 22 juillet 1861 à Paris. Son père était loueur de voiture de place (fiacres et autres), lequel est mort alors que lui n’avait que 8 ans. S’en suivit une succession de tuteurs et subrogé-tuteurs plus ou moins véreux qui obligea P. V. à se débrouiller seul dans la vie. Il travaille comme coursier dans la librairie de sa cousine Tresse, et poursuit des études très rudimentaires (certificat d’études) aux cours du soir chez les frères des Écoles Chrétiennes. Pendant cette période il passe ses nuits à lire non pas pour se distraire, mais pour « apprendre et connaître », selon ses propres mots.
Bon pour le service, il a été exempté comme soutien de famille (sa petite sœur qu’il eut à sa charge 10 ans, jusqu’au mariage de celle-ci). Il n’a porté l’habit militaire que quelques semaines, ce qui, je pense, n’a pas dû le contrarier.
À 24 ans il doit s’associer à Mme Tresse en difficultés financières dues aux escroqueries de son mari. En 1896 il exige la dissolution de la Société Tresse & Stock. La librairie Stock est vendue aux enchères et il peut enfin se porter acquéreur grâce au soutien de quelques auteurs et artistes. La librairie est alors située sous les arcades du Théâtre français (évoquées par Balzac dans « Les Illusions Perdues »). En 1900, après l’incendie du Théâtre français, la librairie Stock quitte les lieux provisoirement pour se réfugier rue Richelieu. En 1906 elle retourne en quelque sorte à ses origines (1710 Duchesnes & Dabo ; 1790 J.N Barba) et s’installe en face, place du Théâtre français. Il ouvre une magnifique boutique de style moderne où il vend les livres des autres et développe sa propre maison d’édition.
Originellement spécialisé dans les œuvres dramatiques (lié à l’emplacement), il prolonge le travail de ses prédécesseurs (Savine et Joseph Tresse) et y adjoint un catalogue dont l’éclectisme a fait la réputation, toujours la même aujourd’hui, de la maison. Je n’énumérerai pas ici l’ensemble de ses publications, d’autres l’on fait avant moi. Je m’autoriserai seulement à évoquer ses choix révélateurs de sa personnalité et pourquoi pas, à me trouver des ressemblances avec mon grand-père. Loin de moi l’idée que ses autres publications puissent être purement mercantiles ; ce n’était pas vraiment le style du bonhomme. Loin de moi aussi toutes prétentions à me comparer à ce grand personnage que je regretterai toujours de n’avoir pas connu, comme aucun de mes grands-parents.
Il me reste un bon nombre de souvenirs de lui en tant que seul héritier de deuxième génération (mon frère ne s’y est jamais intéressé) que ma mère et ma tante, toutes deux prénommées Madeleine Stock, m’ont légué avec des sentiments divers.
Question souvenir, on a les Madeleines qu’on peut !
Rien de grande valeur si ce n’est sentimental. Des lettres de correspondance, des manuscrits de sa propre main, de très nombreuses photos étonnantes pour l’époque (1900), de très jolis meubles anciens et leurs bibelots, des séries de gravures, illustrations d’éditions, ses écrits publiés, sa bibliothèque et des tableaux.
Parmi les tableaux il en est deux auxquels je suis particulièrement attaché et que ma mère qui avait beaucoup de goût et faisait peu de sentimentalisme avait courageusement trimbalés de déménagement en déménagement. Je les ai toujours connus aux murs du séjour, il s’agit de deux huiles particulièrement réussies des quais de seine à Paris d’une facture et d’une composition qui supplantent des Marquet et Utrillo de la même époque. Ils sont dédicacés, en bas à droite « à monsieur P. V. Stock » et signés V. Muller. Après bien des intrigues, mais sans le souci de les vendre bien sûr, j’ai recherché par curiosité, qui pouvait être ce V Muller qui avait bien connu mon grand-père. J’ai trouvé dans le « Mémorandum d’un éditeur » premier tome, confessions de mon grand-père, publié en 1935 par les éditions Stock tenues à l’époque par Delamain & Boutello, les dignes successeurs du papi. Les frères Muller étaient les secrétaires de P. V. Stock du temps de sa splendeur. Il y raconte de façon amusante que Valéry séchait souvent pour aller peindre sur les bords de Marne et se faisait remplacer par son frère Charles et qu’il était assurément plus doué pour la peinture que pour le secrétariat. Au vu de ce que j’ai sous les yeux, je le confirme. Il ferait peut-être partie de l’école de Rouen. Les dévoués frères Muller ont écrit une biographie de P. V. Stock qu’il a ajouté en postface de son livre et qui m’éclaire aujourd’hui sur sa carrière d’éditeur.
J’ai aussi deux petites huiles, scènes villageoises au pied d’une église signées du peintre Louis Chevalier dont je viens de comprendre qu’il avait été le témoin de ma grand-mère lors de son mariage avec P. V. Je n’arrive pas à situer le paysage. Le témoin de mon grand-père était Lucien Décaves.
Eh bien, j’ai de ce dernier un souvenir monstrueux, trouvé au fond d’un tiroir. P. V. avait publié en 1890 « Sous Offs » un livre franchement antimilitariste de L. Décaves qui lui valut de passer en cour d’assises. Mais le livre eut un tel succès (30 000 exemplaires vendus) qu’il en tira quelques aisances provisoires pour poursuivre sa vocation de pourfendeur du bien-pensant. Au fond de ce tiroir donc, il y avait soigneusement emballé (par je ne sais qui, tellement c’est gros) dans un solide carton une lettre bourrée d’injures maculée de merde, aujourd’hui sèche, mentionnée d’origine catalane d’un détracteur, véritable sous off. du sud-ouest, adressée à Décaves à Paris, finalement atterrie dans la boîte de l’éditeur. Il l’a conservée en souvenir et toute la famille aussi, pendant plus d’un siècle.
À chacun ses madeleines !
Plus je progresse dans ce portrait, mieux je découvre ce grand-père, plus je me sens proche. De l’humour teinté d’un peu de grivoiserie n’enlève rien au sérieux et à l’engagement. Et pour clore sur ce chapitre gaulois, je suis tombé sur une carte de menu du vingt-sixième dîner du vendredi 2O décembre 1935 de la confrérie des Bâtons de Chaise (dont il était certainement membre) pour fêter la canonisation du Père Dupanloup illustrée d’une caricature digne de notre Charlie Hebdo d’aujourd’hui. Juste un engagement anticlérical, qui n’est pas pour me déplaire non plus.
Mon grand-père était un homme sérieux, éditeur au sens propre du terme, il avait à cœur d’offrir une tribune à des penseurs marginaux (qui ne le sont pas restés, grâce à lui), de faire entendre leur parole et de légitimer des mouvements de pensée jusqu’alors peu ou pas reconnus, muselés et sans porte-voix. Il créa ainsi deux bibliothèques novatrices : « Recherches Sociales » et « Anarchistes ». Il pouvait avec opiniâtreté mettre 20 ans à écouler 1000 exemplaires d’un auteur qu’il soutenait avec souvent beaucoup de générosité sans trop de souci de rentabilité ; ce qui le perdra.
Dans ses « Mémorandum d’un éditeur » où il rapporte de façon anecdotique ses entretiens épistolaires avec bon nombre d’auteurs, on découvre le revers de la médaille, des auteurs dans la misère en quête du moindre sou, l’ingratitude des uns (poursuite devant les tribunaux, menaces de mort, tromperies…) et la reconnaissance des autres. J’ai été surpris par le caractère très amical de la plupart de leurs relations. Celle avec Louise Michel m’a particulièrement ému.
Voici ce qu’il écrit ;
« Entre-temps, nos relations s’étaient faites plus intimes et à fréquenter la “Pétroleuse”, elle était devenue mon amie. Je n’avais pu résister à la bonté inouïe de cette femme, et la légende défavorable dont mon cerveau, à son égard, était imprégné s’était vite dissipée à sa fréquentation. Son altruisme était invraisemblable et sa charité envers tous les miséreux – animaux compris – était incroyable. Elle n’avait rien à soi ; sur son chemin, elle distribuait tout ce qui était sur elle ; elle donnait à qui lui semblait plus miséreux qu’elle ses quelques francs, son parapluie et si sa compagne ne l’avait protégée contre elle-même, elle serait rentrée, sa journée achevée, dans sa piètre demeure, absolument dépouillée de tout ce qui la vêtait le matin. Partie avec une robe neuve, elle revint en jupon de St Etienne ; n’ayant plus rien à distribuer, elle l’avait donnée à plus nécessiteuse qu’elle… »
Il raconte encore « … La Vierge Rouge était à ce moment à St Lazare purgeant une peine de six ans de prison. Sa mère agonisait dans un garni du boulevard Ornano ; on lui refusa la permission d’aller l’embrasser une dernière fois. Cependant, devant l’indignation des journaux, on l’autorisa à assister au convoi, et c’est encadré par deux agents de la Sûreté qu’elle accompagna au cimetière de Levallois celle qu’elle appelait “maman” et qu’elle chérissait tant ».
Il raconte aussi ; « L’enterrement à Paris de Louise Michel fut une chose inouïe, et, sans les brutalités révoltantes de la police qui étaient de règle à cette époque, c’eut été grandiose. Aux funérailles d’Emile de Girardin et celles de Gambetta, il y eut des foules considérables. Ces foules n’étaient rien, comparées à celle qui a suivi le convoi (de dernière classe) de Louise Michel, ou qui a fait la haie sur le parcours de la gare de Lyon à Levallois ».
Elle lui dédicace son livre « La Commune » de cette façon « bon souvenir et amitiés à l’éditeur des anarchistes, monsieur Stock ».
Et puis il dévoile un curieux secret autour de la naissance de Louise. Sa mère Marianne Michel était femme de chambre d’une délicieuse châtelaine, et toute la famille Michel à son service depuis plusieurs générations. Elle était née au château comme ses cinq frères et sœurs et élevée en même temps que le fils et la fille des châtelains. Marianne Michel qui était très avenante (contrairement à sa fille Louise) devint grosse et déclara que c’était du fils de la maison. Il fut aussitôt éloigné du château. En vérité le père (de Louise donc) était en fait le châtelain. Mais les Michel ne voulurent jamais faire de peine à leur châtelaine que son mari avait trompée avec la jolie domestique et firent endosser la faute au fils de la maison.
Il est des naissances à deux versions, l’officielle et l’officieuse. Touchante manière de cacher à un enfant la véritable identité de son père !
La vie d’écrivain à cette époque paraît bien difficile à travers les récits d’un éditeur. Il consacre ainsi deux volumes de 300 pages à leur rencontre. Louise Michel est la seule femme. Le monde de l’édition, à mi-chemin du monde des affaires et la littérature, est d’une âpreté toute masculine ; grand-père finira plus tard par s’y perdre. En attendant, il travaille dur, poursuit la publication des auteurs maison : Courteline, Moreas, Barbey d’Aurevilly, Becque, Descaves, Huismans pour lequel il produit le règlement de l’Académie Goncourt et participe aux premières délibérations. Outre les anarchistes du monde entier (Bakounine, Kropotkine…), il crée la Bibliothèque Cosmopolite, traduit et publie Tolstoï (œuvre complète, 1903), Kipling, Wilde, Ibsen…
Le troisième volume de ses mémoires est entièrement consacré à l’Affaire Dreyfus. Il me plaît d’y revenir en ce moment où l’on voit réapparaître au grand jour les thèses antisémites, ségrégationnistes, racistes, nationalistes et complotistes. Ce dernier mot n’existait pas alors. Dans le Larousse illustré d’époque (7 +1 volumes reliés cuir) qui me vient de mon grand-père, on ne trouve que « comploteur » qui n’a pas du tout le même sens. On aurait seulement pu dire que les comploteurs étaient ceux qui avaient fait condamner Dreyfus, les complotistes auraient été les Dreyfusards qui dénonçaient un complot ; sauf que pour une fois les complotistes auraient eu raison.
Le substantif « intellectuel » qui date très précisément de l’affaire Dreyfus ne figure pas non plus dans le même dico (il n’y a que l’adjectif). C’est ainsi qu’étaient nommés (et non qualifiés) ces messieurs à chapeau melon, tout de noir vêtus qui, au nom de « liberté égalité fraternité » avaient l’outrecuidance de demander à la justice militaire d’être juste. Je ne pense pas que le mot ait eu la connotation péjorative (intello) qu’on lui attribue de nos jours ; mais je n’en suis pas sûr.
Je me suis également interrogé sur le terme « révisionniste » couramment usité dans le livre en cette période de procès. Voir P. V. Stock traiter ses compagnons de lutte de « révisionnistes » m’a interpellé ; l’usage courant aujourd’hui revêt un caractère si négatif évoquant le « négativisme » et le « négationniste ». Et bien pas du tout, pendant l’affaire Dreyfus, les révisionnistes étaient tout simplement les plus virulents partisans de la révision du premier procès (ce sens est toujours accepté de nos jours dans les palais de justice).
Mon grand-père était donc un intello révisionniste ?
P. V. Stock était un Dreyfusard de la première heure. Convaincu de l’innocence de Dreyfus alors condamné, dégradé et incarcéré à Cayenne, il publie aux côtés de Bernard Lazare « vérité sur l’affaire Dreyfus », « comment on condamne un innocent », etc. Après le fameux « J’accuse » de Zola dans l’Aurore, la France se scinde en deux, les Dreyfusards et les antis et Stock est l’éditeur des premiers (Clemenceau, Labori, Reinach, Travieux…). Il est menacé et reçoit les pires insultes, mais persévère, soutient et protège physiquement même le colonel Picard lors de ses déplacements. Il l’accompagne au procès de Rennes, avec tous les Dreyfusards de l’auberge « les trois marches ». Le procès en révision ne fait pas céder la grande muette. Mais sous la pression il sera gracié 10 jours plus tard. Stock sort de « L’affaire » déçu et au bord de la ruine. Il raconte avec amertume qu’aucun riche Dreyfusard (banquiers juifs) ne l’avait aidé. Il égratigne, avec dérision cette fois, tous ceux qui étaient venus au début de l’affaire lui demander d’éditer leurs écrits Dreyfusards en lui demandant toutefois de les signer d’un pseudonyme. Les mêmes étaient venus après la réhabilitation lui demander de rétablir leur véritable identité, il avait refusé…
Voilà ce que l’on pouvait lire plus récemment, sous la plume de Dominique Durand dans le Canard Enchaîné (mercredi 2 mars 1994).
« En 1904 Stock mettra au pilon à peu près cent mille kilos de bouquins et de brochures concernant l’Affaire Dreyfus » qui lui aura pris cinq ans de sa vie, et l’aura sans doute ruiné… Après la grâce de Dreyfus (Stock était dans le cabinet de Clemenceau, à l’Aurore lorsqu’on en débattit !) et avoir publié 129 ouvrages sur l’Affaire, Stock ne s’y intéressa plus. « Il n’a pas cru devoir connaître le partisan que j’ai été de sa cause, et il ne m’a ni rendu visite ni remercié ; il s’est borné à m’adresser quelques lettres banales, celles d’un client ordinaire à un fournisseur non moins ordinaire ». Mieux : en 1901 Dreyfus publie son livre « Cinq années de ma vie » chez un concurrent Fasquelle ! Mais il lui envoie son bouquin avec dédicace : « à monsieur Stock. Hommage sympathique ». C’est diablement plus chaleureux que celle qu’aurait eue Zola : « Hommage de l’auteur » !
En marge de toutes les publications sur l’Affaire, ces « anecdotes » de Pierre Victor Stock, nous font vivre, en journaliste, ces journées chaotiques « passionnant, comme un polar » ainsi qu’il l’écrit.
« Polar » comme le film de Roman Polanski, « J’accuse » qui a défrayé la chronique récemment, et dont le scénario est la parfaite réplique du livre de grand-père !
Lui reprend sans trop de conviction ses activités d’éditeur, remonte doucement la pente tout en cédant à sa passion du jeu. Ruiné, il doit vendre, non sans regret. Tous ses successeurs jusqu’à nos jours garderont son nom en déférence au brillant fondateur qu’il fut de la maison Stock.
Mon grand-père a eu toute sa vie une autre passion que les livres et la fréquentation des clubs de jeux, beaucoup moins risquée, celle-ci : le Canotage et plus précisément la rame sportive. Il pratiquait tous les dimanches et fut le dévoué rédacteur en chef de la revue « L’Aviron ».
Ses aventures sont multiples et ses récits pleins de finesses et d’une grande précision comme cette page de garde d’un carnet de voyage joliment calligraphié à l’encre et de sa main :
JOURNAL DE « LA ROBERTSAN »
Voyage sur le Rhin
Rôle d’équipage :
Barreuse : Mathilde Chevalier
As : Charles Jannenay
Deux : Victor Stock
Août 1883
Celui-ci raconte la petite virée des amis ci-dessus, à la rame de Strasbourg à Amsterdam en toute modestie. Description des paysages, rencontres, coutumes et fabrications locales, météo, cartographie, incidents, manœuvres remplissent les pages d’une brochure reliée (ça va de soi pour un éditeur en herbe). Son intérêt pour le concret et les techniques me surprend et me plaît. Il décrit avec force détails les nombreux ponts de bateaux coupant le fleuve. Leur franchissement sur l’eau était toujours problématique pour le bateau et son équipage. Des petits croquis dans la marge complètent les explications comme par exemple l’ouverture d’une passe dans un pont flottant pour le passage des navires. En pièces jointes sont collées dans le cahier les pubs des hôtels les ayant hébergés, les ronds à bières* et les étiquettes des vins bus, les tickets de train du retour. Ajoutés au récit, de tels documents témoignent d’un joyeux savoir-vivre et une franche camaraderie.
En témoigne aussi cet extrait du règlement à bord de l’Île des loups, petit canot automobile sur lequel il fit d’invraisemblables virées.
ARTICLE 22 : À défaut d’une tenue correcte, la bonne humeur est de rigueur pour tous les passagers de l’Île des loups.
ARTICLE 23 : Toute morosité est bannie du bord sous peine d’amende ; l’inobservation de l’article serait sévèrement réprimée.
ARTICLE 24 : La nature ou le montant des amendes seront fixés en réunion plénière.
ARTICLE 25 : Mais d’ores et déjà, il est décidé que tout passager pris en flagrant délit de tristesse, méditation ou tout autre état neurasthénique sera débarqué, l’espace d’un bief, qu’il se trouvera dans l’obligation de parcourir honteusement à pied.
ARTICLE 31 : Les plaisanteries gauloises ne sont pas interdites
ARTICLE 32 : Toute licence est admise en l’absence des mineurs du bord.
ARTICLE 40 : Les concerts, chœurs, morceaux d’ensemble avec ou sans accompagnement de sirène, sont de droit.
ARTICLE 42 : pendant les pannes, les passagères, le sourire aux lèvres, danseront le cake-walk.
Je suggère à tous les marins du monde d’appliquer un tel règlement. Je l’ai affiché dans mon voilier.
À bord de l’Île des Loups, 8 m de long (en bois d’arbre comme on dirait aujourd’hui : chêne, frêne, teck, acacia, hickory, orme blanc du Canada, cèdre, [excusez du peu !] et moteur à pétrole de 15 chevaux Panhard et Levassor). Il a entrepris en famille (femme et enfants dont mon père 5 ans) avec leurs amis Orfila une croisière fluviale de Paris à Paris par la Marne, le canal de la Marne au Rhin, le Rhin, la Meuse, la Sambre, l’Oise et la Seine en 1905. On en connaît maintenant le règlement intérieur et à la lecture des aventures, je peux assurer qu’il a été respecté, mais faire cohabiter dans la bonne entente et dans un si petit espace : deux couples, deux jeunes enfants et deux hommes d’équipage est un réel défi ; (Grand-père ! il n’y a que les Stocks pour relever de tels défis !)
Il a publié et édité (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) son carnet de voyage dans un livre illustré de très jolies photos (1905 !) intitulé : « En canot automobile » dont je possède un exemplaire relié de cuir dédicacé à sa fille de 8 ans (ma tante).
À bord de la même embarcation (l’île des Loups) à la même époque, toujours avec son ami Orfila, ils entreprennent le voyage, incroyable pour l’époque, Paris Constantinople par voie fluviale. J’ai là encore une énorme collection de tirages photo à partir de plaque de verre, mais peu de documents écrits.
Une des difficultés matérielles consistait par exemple à faire acheminer, par voie ferroviaire, le pétrole nécessaire au moteur. C’est le tout début des moteurs à explosion ; on se déplace toujours sur ou attelé à un cheval.
Une série de prises de vue montre le bateau à sec sur un ber roulant, halé par des chevaux pour franchir par les berges un barrage et ses écluses endommagés par la crue du Main – une entreprise titanesque qui a dû leur coûter beaucoup de temps et sans doute pas mal d’argent.
D’autres images illustrent la traversée magnifique de Budapest entre les palais, les premières révoltes paysannes de 1905, l’estuaire du Danube, le débouché en mer noire et des vues grandioses en Turquie, du franchissement du Bosphore au milieu d’une nuée de gros vapeurs et d’immenses voiliers, avec, en fond, les innombrables minarets des grandes mosquées.
Outre l’édition, le canotage et le jeu, mon grand-père avait aussi une vie familiale à laquelle il était très attaché. Pour mettre fin à son addiction au jeu qui avait porté préjudice à sa carrière (Boutelleau, son successeur devenu Jacques Chardonne, le traînera devant les tribunaux pour devoir rembourser des dettes de jeux) et certainement fait ombrage à la famille, il se fit interdire l’accès aux salles de jeux.
Il s’était marié en 1896 avec Cécile Oser qui lui donna deux enfants : ma tante Madeleine et mon père Jean Pierre. Mon penchant plutôt féministe m’aurait incité à écrire « ils eurent ensemble deux enfants », mais j’ai choisi la formule que la personnalité hégémonique du grand-père aurait choisie. Je sais peu de choses d’elle si ce n’est qu’elle était issue d’une famille autrichienne, sans doute noble à en juger par les portraits de ses ancêtres qui sont entassés dans mon grenier. Il parlait peu de sa femme jusqu’à ce qu’il retrouve une vie plus paisible. J’ai dans les tiroirs d’un secrétaire, qui fut le sien, les albums de photos et la correspondance familiale, que je consulte quand je daigne me retourner vers le passé. Je ne suis pas passéiste, mais ces tiroirs portent leurs traces, autrement plus sensibles qu’un clic sur un écran. Tous ces souvenirs montrent des familles (Stock père fils et fille, Laguerre et Colas du côté de ma mère) qui pour différentes qu’elles soient, s’entendaient à merveille et s’entraidaient chaleureusement dans ces périodes difficiles de la guerre (39/45) puis de la vieillesse et des deuils…
Retiré des affaires, dépassé par ce nouveau siècle, il était ruiné et disposait de peu de moyens (une petite rente versée par ses successeurs), s’efforçait de garder la maison du Perreux aussi longtemps que possible pour les joies de la famille (canotage sur la Marne). Il s’intéressa, de loin cette fois, à l’affaire Stavisky qui dénonçait la corruption des hommes politiques de tout bord. Il était secrétaire dévoué de différentes associations et cercles, qui lui valaient pas mal d’ennuis. Un temps à Marseille, il demeura à Paris où il dut se défendre de la Gestapo pendant la guerre. Il vit son successeur depuis 1921, Jacques Chardonne (qui l’avait mené en justice) privé de ses droits d’exercer son métier d’éditeur pour avoir collaboré avec l’ennemi et vanté les thèses nazies. Ce n’est qu’en 1961 que sa maison d’édition fut reprise par le groupe Hachette, qui conservera son nom jusqu’à aujourd’hui.
Pierre Victor Stock, mon grand-père, mourut en 1945 à Paris, 2 ans avant ma naissance.
Il est né le l5 avril 1900, trois ans après sa sœur Madeleine, à l’époque où son père était aux affaires, autant dire à « l’Affaire ». Je n’ai pas connu mon père, mort alors que j’étais nourrisson ; il ne m’a donc pas raconté sa jeunesse. Les souvenirs que j’ai de son enfance sont des photos sorties des tiroirs : des enfants en marinière et souliers vernis jouant au sable sur la plage (Berk et St Malo) parmi des cabines de bain sur roue qu’un cheval pouvait mener à l’eau, pour que leurs mamans n’aient pas à se montrer en maillot sur la plage, lui encore, en culotte courte (mais longue) casquette et cravate à 12/13 ans sur un cyclorameur d’invention récente, à grandes roues et carénage, où il crâne en ramant face à l’avancement, tandis que son père à l’aviron, sur l’eau, tourne toujours le dos à sa destination.
C’est à cette période que son père P. V. l’a mis à l’aviron. Pour favoriser l’entraînement de son fils et assouvir sa passion, ils louèrent une maison au Perreux sur les bords de la Marne. À 20 ans, le fiston fait son service militaire, il est sélectionné au Bataillon de Joinville, comme tous les champions en devenir. Il y perfectionne son style et sa technique au point qu’à sa sortie, les Anciens du Bataillon de Joinville le sollicitent pour réaliser une brochure sur sa discipline. J’ai retrouvé un exemplaire de ce livret où sur la couverture figure une caricature du sportif en tenue sur son bateau. La caricature est bien réussie, même moi je l’ai reconnu, et dans son contenu il développe avec précision sa technique, détaille le mouvement des pieds à la tête, jambes, bassin, dos, épaules, bras, en insistant sur le nécessaire coulé du mouvement, sans décomposition. Un intéressant plaidoyer pour l’élégance et le style au service de l’efficacité. Il faut dire (en toute partialité) qu’il était lui-même très beau.
J’ai toute ma vie été sensible à ce discours, plaçant par exemple : Les Périllat, Anquetil, Jazy, Lendl au-dessus des autres et à regarder de travers mes amis de sport qui, pour l’un piochait à vélo, l’autre courait comme un sanglier à trois pattes, et ce dernier qui à mes côtés à la piscine se plaignait de nager (selon sa propre expression, restée mémorable) « comme un poisson qui aurait les écailles à l’envers ». Dans ma pratique de nombreux sports, je lui ai été fidèle, m’appliquant dans mon style, dans la limite de mes moyens physiques, ça va de soi. J’avoue avoir trouvé un goût particulier aux sports de trajectoire (cyclisme, automobile) et de glisse (ski, voile, natation et vol libre) où les courbes doivent être harmonieuses et les mouvements coulés pour être efficaces.
J. P. Stock est champion de France de skiff dès 1922, et ce pour de nombreuses années consécutives, puis champion d’Europe à Helsinki et champion olympique au J.O. de Paris en double scull (dont nous fêterons le centenaire en 2024).
Sa renommée dépasse le milieu sportif, et fait les choux gras de la presse « People » quand le champion épouse une starlette de cinéma. La famille ne m’a pas fourni de trace de cet épisode de la vie de celui qui n’est pas encore mon père. Je peux seulement lire sur le livret de famille qu’il était divorcé d’une certaine Marcelle Fromholt dont le nom de scène n’est pas mentionné et dont j’ignore totalement la carrière sur les planches (y compris celles de Deauville). Le milieu sportif dans le Miroir des Sports semble railler cette union, qui vit décliner les exploits sportifs du trop bel athlète.
De cette union naquit un enfant Jean Michel, mon demi-frère en quelque sorte, qui s’est révélé être d’une santé très fragile. Le couple fit de nouveau parler de lui dans les gazettes à l’occasion de leur divorce qui n’allait pas tarder.
Je ne sais où, quand et comment J.P. Stock a rencontré Madeleine Laguerre. Il est probable que ce soit grâce à Madeleine Stock, la sœur de J. P. En effet, les deux Madeleines travaillaient ensemble dans une grande maison de haute couture. La Madeleine sœur n’appréciait pas du tout l’épouse de son frère et fit sans doute tout son possible pour lui en faire changer. Ce qui arriva.
Je dispose, de cette époque, une série de prises de vue de ma mère éblouissante en mannequin de la grande maison posant dans des robes, jupes et voluptueux manteaux de fourrure. Des poses ni sexy ni provocantes, seulement gracieuses, des éclairages et leurs ombres au service des formes ; la classe ! Elle était absolument irrésistible et la suite le prouva. Connaissant le caractère impatient et résolu de ma mère, je doute qu’ils aient attendu son divorce pour vivre leur passion qui allait durer une trentaine d’années.
Le divorce prononcé, ils se marièrent le 29 juillet 1931 pour vivre une vie familiale exemplaire. J’ai enfin osé ouvrir les grandes enveloppes poussiéreuses empilées dans les tiroirs, qu’ils avaient pris soin de conserver que j’ai moi-même trimbalées à chaque déménagement sans jamais les inspecter par pudeur et respects pour ma mère et ses secrets, de son vivant (elle est morte en l’an 2000).
J’ai ainsi parcouru et découvert, à travers leurs correspondances, les relations intimes entre parents. Il s’agissait pour moi avec l’âge de lever quelques doutes avant qu’il ne soit trop tard – avant que je ne meure à mon tour. Eux sont tous morts et enterrés avec leurs secrets, si toutefois ils en avaient.
J’ai découvert avec joie des gens bien. Pour le grand-père Pierre Victor, je m’en doutais à travers son renom. Pour le couple de mes parents, je n’étais sûr de rien, même si ma mère nous a, à mon frère et moi, toujours vanté son bonheur passé avec Jean Pierre, son unique mari, notre père. Mais nous ne les avons jamais vu vivre ensemble, les seuls témoignages que nous en avions étaient ces correspondances et les albums de photos et bien sûr les histoires de notre mère sur son passé. Mais à nos côtés, elle partageait déjà sa vie avec un autre homme.
Eh bien ce couple était touchant de gentillesse envers les leurs. J’ai été très surpris d’apprendre qu’aux côtés de J.P., notre mère s’était beaucoup occupée du petit Jean Michel (mon demi-frère dont je n’avais jamais entendu parler). Ils se disputaient sa garde avec sa mère, l’ex., mal perçue côté Stock. Il était fébrile et toujours malade. Ma mère se rendait souvent à ses côtés à l’hôpital, et J.P. lui consacrait aussi beaucoup de temps. Ils l’aimaient sincèrement et l’avaient fait adopter par toute la famille et notamment les parents de Madeleine (mes grands-parents maternels) qui le prenaient quelques fois chez eux. Le petit Chouchou, c’est ainsi qu’ils le nommaient dans les courriers, avait soudé toutes ces familles y compris du côté Laguerre (ma mère, ses parents et même sa sœur). Sa mort (28/06/32) a été douloureuse pour tous. Les lettres de J.P. à ce sujet sont bouleversantes.
Il écrivait très bien, d’un seul jet, de nombreuses pages, bien calligraphiées sans faute ni ratures. Ma mère aussi était une véritable plume. Le plaisir que j’ai eu à lire toutes ces lettres me laisse songeur. Toutes ces lettres ne sont-elles pas des traces autrement plus durables et plus sensibles que nos mails et SMS que nous pratiquons journellement avec désinvolture et négligence et qui ne laisseront aucune trace dans les tiroirs et aucun souvenir à nos petits-enfants ?