Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain - Patrice Gicquel - E-Book

Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain E-Book

Patrice Gicquel

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Beschreibung

Féru de lecture et sportif dans l'âme, Patrice Gicquel est l'un des rares sourds de sa génération à s'être exclusivement dédié à l'écriture. Ses précédents livres ont abordé des thèmes variés : histoire, biographie, roman d'aventure, témoignage, roman policier... Dans ce nouvel ouvrage mêlant souvenirs et anecdotes, Patrice Gicquel nous dévoile enfin son parcours exemplaire de réussite. Membre de la Société des gens de lettres, il est entre autres le premier écrivain sourd né de parents sourds. "Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain" est un récit à la fois sincère et touchant, absolument unique et différent.

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DU MEME AUTEUR

Un siècle de vélo au pays des sourds, 2002

Le fabuleux destin de Robert Mathé, 2005

Le monde incroyable des sourds, 2005

Thaï, 2008

Il était une fois… les sourds français, 2011

Petits mémoires d’un triathlète pas comme les autres, 2013

La vie en courant, 2014

Un homme peut en cacher un autre, 2015

Tête d’Or, 2016

Impossible n’est pas sourd, 2017

www.patricegicquel.fr

Facebook.com / Gicquel Patrice

Twitter.com / gicquel_patrice

Instagram.com / patrice.gicquel.12

Ecrire, c’est la mémoire du futur.

Sommaire

PROLOGUE

PREMIERE PARTIE

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

DEUXIEME PARTIE

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

TROISIEME PARTIE

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

QUATRIEME PARTIE

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

EPILOGUE

PROLOGUE

5 mars 2001

Cher monsieur,

Les éditions L’Harmattan m’ont fait parvenir votre tapuscrit sur le vélo et les sourds.

Je l’ai parcouru et je vous donne feu vert pour publication dans la collection que je dirige : « Espaces et temps du sport ».

Dans l’attente de vos nouvelles,

Bien cordialement,

Pierre ARNAUD

Je suis soulagé et rassuré.

Je suis écrivain.

Oh ! J’en vois qui déjà s’écrient que « ce n’est pas possible »…

Je me doute de ce que vous pensez.

- Comment un sourd peut-il écrire un livre ?

- Non mais…

On n’a jamais entendu parler d’un écrivain sourd, vous dîtes-vous ?

Allons, allons… un peu de calme, s’il vous plaît.

D’abord, sachez que rien ne me prédestinait à être écrivain.

Au départ, je voulais être coureur cycliste professionnel, ou journaliste sportif, ou bien dessinateur de bande dessinée.

Et pourtant…

Si aujourd’hui, je prends la plume, c’est pour montrer à tout le monde qu’on ne naît pas écrivain, on le devient.

Voilà, maintenant…

Installez-vous dans un fauteuil près de la fenêtre.

Ou que diriez-vous d’un transat de toile dans votre jardin préféré ?

Ou bien tout simplement, de votre lit avec un bon coussin.

On n’est pas bien, là ?

Vous y êtes ?

Alors allons-y sans tarder car nous sommes au début d’une aventure dont j’ignorais qu’elle allait me prendre une bonne partie de ma vie.

PREMIERE PARTIE

1

Il est parfois difficile de remonter le fil du temps pour écrire sur ma famille et sur les instants de mon enfance.

Heureusement, il y a les photos et les lettres qui peuvent réveiller ma mémoire endormie depuis un certain temps.

*

Rennes, 24 novembre 1968,

9 heures

Je suis né sourd.

Profond.

Comme mes parents.

Génétique ou héréditaire ?

Hasard ou pas ?

Personne ne le sait.

La surdité de ma mère, Danielle, serait dûe à des essais de traitements médicaux que les Allemands faisaient subir à leurs prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ceux, qui étaient dans le même camp que Théophile, – mon grand-père maternel que je n’ai jamais vu de son vivant –, ont eu des enfants morts-nés, aveugles et handicapés.

C’est à Prémont dans l’Aisne que Théophile épouse une jeune fille de dix-neuf ans, Léa.

Dix ans plus tard, ma mère naît à Deauville.

À sept ans, elle entre à l’internat du Bon Sauveur de Caen.

Elle obtiendra avec succès son CAP de couture avant de devenir bobineuse dans une société de blanchisserie, de tissage et de confection aux côtés de ses parents.

Son père a été contremaître jusqu’à sa mort brutale : une congestion cérébrale à l’âge de soixante ans.

Tout petit, mon père, André, issu d’une famille bretonne et paysanne à Bourg-des-Comptes, criait beaucoup et n’arrivait pas à parler.

Ceci jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans.

Personne n’y faisait attention sauf Anne-Marie, mon arrière-grand-mère qui alerta Jules et Lucie, les parents de mon père.

- André n’entend pas, j’en suis sûre.

Drôle de coïncidence : le cousin de ma grand-mère était sourd.

Contrairement à sa sœur aînée, Pierrette et à son frère, Jean-Yves, mon père fut le seul sourd de la famille à pénétrer dans une communauté, celle des Sœurs de Rillé à Fougères.

Pour apprendre à parler, à lire et à écrire.

À dix-sept ans, tout juste diplômé d’un CAP de menuisier qu’il a eu en intégration avec les entendants, il commencera à travailler comme agent d’entretien dans la communauté de Rillé.

Il y restera presque quatre ans.

Par la suite, il trouvera un travail mieux rémunéré dans une entreprise de menuiserie à Rennes.

Parallèlement, il pratiquera le football dans son village natal.

*

En général, les sourds se marient entre eux.

Ainsi, mon père rencontra ma mère lors d’un mariage de leurs amis respectifs.

2

Je pleure.

Beaucoup.

J’ai trois ans.

Je viens d’entrer dans une école catholique et mixte, à Fougères.

Je suis seul face à des personnes inconnues : les religieuses et d’autres élèves sourds.

La séparation avec mes parents a été douloureuse.

*

À la maison, maman était constamment présente et surprotectrice avec moi.

Je la voyais s’occuper de tout : le ménage, la cuisine, la vaisselle, la couture, le tricot, le lavage des vêtements – à la main ! –.

Elle m’avait aussi appris à dessiner, à comprendre le sens des mots grâce aux images et à lire la parole sur les lèvres.

Quand j’étais bébé, mon père se réveillait souvent la nuit par peur de me trouver étouffé par les pleurs.

*

À l’internat, le soir, quand c’est l’heure de se coucher dans un grand dortoir avec plusieurs lits, je me sens triste.

Je m’assieds longtemps au bord du lit.

Je n’arrive pas à m’endormir.

À cet âge, on a besoin d’amour, de tendresse et d’affection.

Mais ce n’est pas possible avec les nonnes.

À elles, on ne peut pas confier nos angoisses et nos questions.

Petit à petit, l’institution se transforme avec l’arrivée des premiers professeurs laïcs et des éducateurs.

Par contre, la méthode orale s’impose traditionnellement dans l’enseignement.

Heureusement, les professionnels de l’école nous laissent nous exprimer gestuellement, en dehors des classes !

*

Jusqu’à l’âge de dix ans, je ne rentrais que le samedi midi par le car, et mon père me raccompagnait le dimanche soir.

Un jour et demi à la maison : c’était trop court pour profiter de ma chambre et de mes jouets préférés.

Maintenant, je suis ravi de pouvoir prolonger mes week-ends en famille, du vendredi soir au lundi matin.

Ces deux jours sont précieux pour moi.

Pour certains de mes camarades qui habitaient loin de l’école, c’était encore plus difficile car ils ne voyaient les leurs que tous les quinze jours.

*

À l’école, je déteste les séances d’orthophonie pour apprendre à parler.

Un jour, Sœur Geneviève, à l’allure mince et chaussée de petites lunettes rondes, me parle d’une opération à la langue :

- Si tu ne peux pas bien dire le C, on sera obligé de couper le filet en dessous de la langue pour qu’elle devienne plus mobile.

Du coup, j’ai le cœur qui bat à cent à l’heure.

Ma première crise de panique.

Je décide de tout raconter à mes parents.

À la maison, maman tente de me rassurer et ça me fait du bien.

Je finirai par savoir que c’était « pour rire ».

En revanche, je n’ai pas trop de problème au niveau de la lecture labiale. Tout petit déjà, je lisais naturellement sur les lèvres de mon père, qui avait souvent une cigarette à sa bouche.

*

Quand j’entre au collège, le rythme change par rapport à l’enfance.

Nous sommes douze dans la classe d’Yvette, notre professeur de sixième.

Elle est dynamique, ordonnée et sévère.

Elle articule bien en parlant, elle écrit souvent au tableau pour que nous puissions comprendre plus facilement.

Des fois, elle se met en colère et est de mauvaise humeur quand certains de mes camarades de classe ont du mal à suivre le rythme imposé.

De mon côté, n’ayant pas de problème de compréhension, ni d’écriture ni de lecture, je ne sais pas pourquoi je ne me sens pas toujours à l’aise avec elle.

L’année suivante, en cinquième, c’est l’inverse. Avec mes camarades de classe, nous faisons les pitres, sous le regard désabusé d’un autre professeur.

*

L’adolescence, c’est l’époque des bêtises.

De petits vols.

Le mercredi après-midi, je pique un ou deux magazines Playboy dans une grande librairie fougeraise ni vu ni connu.

Des caresses et des premiers baisers avec les filles.

Une nuit, toujours à l’internat, je tente d’aller vers la chambre des filles. Je n’arrête pas de jeter des coups d’œil circulaires au moment où je descends les escaliers de mon dortoir, situé au deuxième étage pour traverser le réfectoire et la cuisine avant de monter les autres escaliers.

Imaginez la réaction des surveillants s’ils m’avaient vu ou entendu !

Pourtant, j’y suis parvenu sans encombre.

*

Les deux dernières années au collège, nous ne sommes que trois avec Magali et Frédéric.

La classe devient plus studieuse.

Cependant, un jour, en classe de troisième, je veux m’amuser un peu.

Alors que Sœur Jeanne sort de la classe pour je ne sais plus quelle raison, j’ai l’idée de monter sur le bureau du professeur à l’instar d’un cascadeur comme on en voit dans les films.

Malheureusement, mon front heurte une lampe ronde suspendue au plafond.

Patatras !

La lampe se casse en mille morceaux.

Sous les regards amusés de mes deux camarades de classe, je ramasse à toute vitesse les éclats répandus sur le bureau et le sol.

Je vais vite chercher une autre lampe, celle de la cabine de l’orthophoniste, pour la remplacer.

À son retour, Sœur Jeanne ne remarque rien.

Hélas ! Le lendemain, elle nous annonce qu’elle a trouvé quelque chose de très minuscule.

Après avoir avoué que c’était moi, elle m’a fait la morale en me disant d’aller voir l’économe pour payer la lampe manquante.

*

J’atteins l’âge où l’on commence enfin à prendre conscience de son identité.

Je viens d’avoir quinze ans.

- Je ne veux plus être appareillé. Les bruits… les voix. Je n’ai jamais rien entendu. Jamais. Je ne sais absolument pas à quoi ressemblent les sons et les voix.

- C’est comme ça. On ne peut rien faire. Ce n’est pas nous qui décidons mais l’école, me répondent mes parents d’un air désolé.

Paradoxalement, je n’ai jamais vu mes parents porter des prothèses auditives.

Je n’aime pas qu’on me force à mettre ce machin sur mon oreille gauche.

Auparavant, j’avais un boîtier auditif sur le devant de ma poitrine avec des fils allant jusqu’aux embouts insérés dans mes oreilles.

J’en ai assez.

Je n’ai pas envie d’entendre.

Je veux rester sourd.

Comme mes parents.

D’abord, j’ai décidé de ne plus porter mon appareil auditif.

Ensuite, j’ai pris plaisir à le démonter, y compris le chargeur à piles.

Puis, je les ai mis à la poubelle.

Enfin, j’ai éprouvé la sensation d’une délivrance pendant une poignée de secondes.

La plus forte depuis ma naissance.

*

Je passe mon premier examen officiel : le brevet des collèges.

À Rennes.

Je l’ai eu.

Comme Frédéric et Magali.

Je m’apercevrai beaucoup plus tard que c’était mon futur beau-père, alors professeur au collège Anne de Bretagne, qui m’avait fait passer l’oral de sciences naturelles.

Au lieu de répondre oralement à des questions, j’ai pu le faire par écrit.

La fin de mon année de troisième est aussi synonyme d’un changement d’établissement scolaire.

3

Tout au long de mon enfance, mon univers se résume l’été à la maison de campagne à Bourg-des-Comptes – avec les multiples activités au grand air et les jeux de société, moments formidables de bonheur, de jeunesse et d’insouciance – et le reste de l’année entre l’école en internat et l’appartement familial à Rennes.

*

Avant l’apparition du sous-titrage pour les sourds à la télé dans le milieu des années 80, j’adorais regarder les séries télévisées, même sans pouvoir comprendre les conversations des acteurs et actrices.

Simultanément, je m’amusais à deviner les dialogues ou à imaginer la fin de l’histoire.

Mes préférés, c’était Zorro, Les Mystères de l’Ouest, La petite maison dans la prairie, Drôles de dames, Amicalement vôtre, Chapeau melon et bottes de cuir, Cosmos 1999, Kung Fu, L’homme qui valait trois milliards, Le Riche et le Pauvre, Starsky et Hutch.

Il y avait aussi les films muets de Charlie Chaplin ou d’Harold Lloyd ou encore de Laurel et Hardy.

J’étais un fan de Louis de Funès avec ses mimiques légendaires : un acteur inoubliable et irremplaçable !

*

De façon générale, la communication dans la famille est fondamentale.

C’est ainsi que ça se passe, tout naturellement avec mes parents et Pascale, ma petite sœur de cinq ans de moins que moi.

Elle est aussi sourde de naissance.

Notre langue familiale est un mélange de langue orale et visuo-gestuelle.

De temps en temps, je lorgne sur les gestes et les visages expressifs des amis sourds de mes parents.

Par contre, le problème se pose plus clairement à l’extérieur, dans une rue passante ou dans les magasins.

Lorsque je me mets à gesticuler avec ma mère, mon père, visiblement gêné, intervient et me dit oralement :

- Ne fais pas de gestes. J’ai honte. Tout le monde te regarde.

À cet instant-là, je ne comprends pas du tout pourquoi je dois me taire. Je ne me sens pas anormal. Je suis un garçon comme les autres.

Peu à peu, en grandissant, je me rends compte à quel point le regard des autres est difficile à supporter.

Mes parents ont peur de la moquerie des gens, même s’ils oralisent plutôt bien.

Les parents de mon père et de ma mère puis les professeurs d’autrefois – les religieuses – leur ont maintes fois répété de ne pas utiliser les gestes mais de parler.

En ce temps-là, nous sommes donc bel et bien confrontés au regard d’une société qui ne connaît presque rien à la surdité.

C’est assez frustrant, j’avoue.

4

Jusque-là, je vivais exclusivement dans le monde des sourds.

Mes parents.

Ma sœur.

L’école, avec mes camarades sourds.

Malgré tout, j’appartenais à une société où il était pourtant nécessaire de s’intégrer.

En classe de seconde au lycée Notre-Dame-des-Marais à Fougères, je me sens un peu perdu.