L'enfant des ruines - Max du Veuzit - E-Book

L'enfant des ruines E-Book

Max du Veuzit

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Beschreibung

Marc Abel, jeune peintre parisien, en vacances dans un bourg perdu de Bretagne, au Voulch, fait la connaissance, pendant un pardon, de Marie-Claire qui habite chez sa nourrice Mariannick. Le talent du peintre se laisse tenter par un château en ruine de la région, le chateau de Kéridec, incendié autrefois par une main criminelle. Les propriétaires ont, en effet, péri dans les flammes. Mais Marc est surtout attiré en ces lieux par la présence de Marie-Claire qui intrigue le jeune homme par son attitude. Amoureux de celle qu'il appelle "L'enfant des ruines", il voit ses avances repoussées avec hauteur sans quelle daigne lui donner d'explications. Un jour Marie-Claire disparait, quitte brusquement le pays. Quel est donc le mystère qui entoure le passé de cette jeune fille fantasque ? Incidemment elle a parlé de "se libérer des charges d'un passé redoutable", a écrit à Marc : "Vous comprendrez plus tard que je ne pouvais être pour vous qu'une amie". Plus tard ou jamais ?

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L'enfant des ruines

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIPage de copyright

Max du Veuzit

L’enfant des ruines

Max du Veuzit est le nom de plume de Alphonsine Zéphirine Vavasseur, née au Petit-Quevilly le 29 octobre 1876 et morte à Bois-Colombes le 15 avril 1952. Elle est un écrivain de langue française, auteur de nombreux romans sentimentaux à grand succès.

I

J’ai toujours aimé, après une nuit passée en chemin de fer, à me réveiller de bonne heure dans un paysage inconnu. L’air salubre, l’espace, la vitesse, la nouveauté, accomplissent leur miracle... c’est une sorte de résurrection. Le fardeau des soucis semble moins lourd à porter, parce que l’ambiance journalière est loin.

Parti hier soir de Paris, après quelques heures de sommeil cahoté et interrompu à chacun des arrêts du train, me voici transporté en pleine Bretagne, à l’heure où le soleil, surgissant à l’horizon, emperle de mille feux scintillants la rosée nocturne épandue sur l’herbe et les buissons.

Je ne suis jamais venu dans cette partie de la France, et le paysage est tout nouveau pour moi.

Ces petits champs bordés de talus couverts d’ajoncs, au milieu desquels dominent quelques arbres rabougris, taillés à hauteur d’homme, divisent le paysage en une multitude de terrains d’un pittoresque effet, puisque, selon la culture de chacun d’eux, leur couleur change d’aspect et va du brun foncé de la terre fraîchement labourée à l’or roussi du blé mûr, au rouge incarnat du trèfle ou au vert tendre des saules se mirant sur l’eau.

La campagne est accidentée. Il y a des bosses et des creux, des plaines et des coteaux, avec des petits cours d’eau qui sillonnent l’étendue et qui donnent à ce paysage un aspect à nul autre pareil.

Le train court vers Morlaix ; nous entrerons bientôt dans la campagne brestoise, et il me faudra changer de convoi pour m’enfoncer dans les terres des menhirs et des elfes.

*

J’ai trouvé une excellente auberge.

Carmindo, mon marchand de couleurs de Paris, m’avait dit :

– Puisque vous cherchez la solitude pour y travailler en paix, allez donc au Voulch, monsieur Marc Abel... allez au Voulch. C’est dans le Finistère, plus loin que Ploudalmézeau... J’y connais une brave payse : Catherine Le Coz, qui tient une auberge où vous serez soigné comme un coq en pâte...

« La côte est sauvage, il y a fort peu de touristes et les paysages sont grandioses... de quoi ravir un artiste comme vous, en vérité !... D’autre part, Catherine fait de la bonne cuisine... vous savez, une cuisine au beurre... du vrai beurre... qui pétille dans la poêle ! Je vous affirme qu’elle s’y connaît, la Catherine, et qu’elle soigne bien les pensionnaires qui descendent chez elle... »

J’ai donc suivi les conseils de Carmindo et me voici au Voulch où, comme le brave commerçant me l’avait annoncé, j’ai été accueilli à bras ouverts.

Je soupçonne même cet excellent homme d’avoir prévenu Catherine, pour annoncer mon arrivée, en même temps que pour me recommander à ses attentions. Quoi qu’il en soit, mon hôtesse est aimable, remplie d’égards, et elle me compose de parfaits menus dont l’abondance ne nuit pas, loin de là, à l’excellence de la qualité.

En faut-il davantage pour être heureux quand on a vingt-sept ans, un solide appétit et que le cœur est libre, alors que le cerveau est rempli d’illusions et de mirobolants projets ?

L’auberge de Catherine Le Coz est presque vide, la clientèle se composant surtout de rares voyageurs de commerce qui font un détour, à l’heure des repas, pour venir manger au Voulch, où ils sont assurés de trouver une bonne table.

Aux heures des repas, Catherine et ses clients échangent avec moi quelques propos, mais le reste du temps, ils sont discrets et me laissent absolument libre d’errer à ma guise et de m’enfermer béatement dans un savoureux recueillement.

*

J’ai déjà parcouru le pays, fixant des points de repère pour mon futur travail ou prenant contact avec les habitants du pays.

Il y a de jolis coins par-là, que je me ferai un plaisir de jeter sur la toile... des coins sauvages où la bruyère, les ajoncs et les genêts semblent s’étaler dans le plus artistique décor qu’un artiste puisse imaginer.

Est-ce ici que je ferai « mon tableau »... celui qui marque les débuts d’un artiste... celui qui lui ouvre la voie ?...

Je rêve d’un paysage où toute la nostalgie de mon âme neuve, avide de sensations, se donnera cours... à moins que ce ne soit une grande composition où j’essaierai de fixer en couleurs rutilantes toute une synthèse intéressante et belle...

Un grand tableau... mon tableau... mon chef-d’œuvre !

Qui sait ?... Peut-être !

*

Il y a vraiment de la mélancolie dans ce lointain rivage où les conseils de mon marchand de couleurs m’ont amené et que le touriste ignore encore...

Ces rochers granitiques, ces côtes découpées comme une dentelle de pierre, ces landes désertes, ces plaines sauvages, ces habitants accueillants et pourtant silencieux, presque mystérieux, qui parlent un langage guttural, plutôt dru aux oreilles inhabituées qui écoutent sans comprendre...

Toute cette atmosphère semble vouloir éloigner l’âme du mirage des villes et la rapprocher du ciel pour faire naître l’inspiration...

*

Une certaine animation, depuis quelques jours, règne au Voulch, et j’ai demandé à Catherine Le Coz quel en était le motif.

– C’est dimanche le Pardon, monsieur Marc !

– Le Pardon ?...

– Oui, la fête, la procession !

– C’est une fête religieuse ?

– Pas tout à fait. Dans nos petites communes, le Pardon, c’est aussi la fête annuelle... Il y a, le matin, de pieuses cérémonies : une messe, une procession, des bénédictions, etc. mais, l’après-midi et le soir, il y a des jeux forains et la jeunesse danse un peu partout...

J’ai remercié dame Catherine de ses renseignements et je me suis réjoui de la nouvelle.

J’ai beaucoup entendu parler des Pardons de Bretagne et je suis enchanté d’en voir un se dérouler sous mes yeux !

*

C’est dimanche, aujourd’hui !...

Au Voulch, minuscule bourgade, c’est le Pardon annuel, donc grande fête.

La curiosité m’a conduit à l’église, à l’heure de la messe, où jeunes filles et jeunes gens étaient venus nombreux de tous les environs.

Une ambiance grave, religieuse et presque émouvante, planait sur l’assistance ; le recueillement de chacun était impressionnant.

Une procession s’est déroulée à l’issue de l’office, comme je ne me serais pas douté qu’il pouvait encore y en avoir. Les jeunes filles étaient vêtues de costumes locaux clairs, ce qui n’existe guère, paraît-il, dans les autres coins de Bretagne. La plupart des jeunes gens étaient en pantalons blancs et en vestes courtes aux multiples boutons.

Quelques-uns, armés de bannières claquant au vent, avaient cru devoir enfourcher des chevaux.

Parmi cette pittoresque jeunesse, j’ai remarqué une jeune fille tout de blanc vêtue : robe, châle, coiffe et chaussures. C’était très gracieux, et celle qui portait cette liliale toilette était infiniment jolie.

La procession s’est allongée dans la campagne, vers un petit sanctuaire situé à l’autre extrémité du pays... tout là-bas, sur un monticule battu par les vents, au faîte d’une colline qui domine les alentours. Une Vierge, vêtue de soie blanche brodée d’or, s’y dresse, éblouissante sous les innombrables cierges allumés, au milieu d’une montagne de bouquets blancs.

Mêlé à la foule des curieux, cherchant à me mettre à l’unisson de tous ces pieux pèlerins, pour mieux pénétrer l’état d’âme mystique de nos populations armoricaines, j’admirais en artiste cet autel illuminé, ces fidèles si simplement croyants, ce clergé psalmodiant un chant grave, toute cette religieuse et émouvante simplicité entourant une Vierge en habits de fête dans son petit sanctuaire de granit.

Une seule chose me surprit : l’importance de cette procession à laquelle des milliers de spectateurs prenaient part... nombre imposant, pas du tout en rapport avec la maigre population du Voulch, où une trentaine de maisons se nichent à l’abri du grand vent.

Quel pouvoir mystique attribuait-on donc, en ce jour, à la Vierge solitaire dont le culte semble sommeiller, m’a-t-il paru, tout le reste de l’année ?

*

Au déjeuner, j’ai interrogé Catherine Le Coz sur cette foule recueillie et sur ces costumes clairs qui me paraissaient une entorse à la tradition revêtant de noir les filles d’Armorique. J’ai voulu savoir aussi pourquoi la masse des pèlerins était aussi considérable.

La femme a souri avec fierté.

– C’est en l’honneur de la « Vierge Coquette », m’expliqua-t-elle un peu mystérieusement.

– Qu’est-ce que cela ? m’écriai-je, étonné. Singulier adjectif... Coquette !... Comment une Vierge peut-elle être coquette ?

– Ah ! çà je ne sais d’où vient ce nom. Une chose est certaine, c’est que notre Vierge est une des plus belles de Bretagne. Une légende veut qu’Elle s’intéresse particulièrement aux jeunes filles à marier ; et presque toutes les fillettes de la région sont consacrées à son culte.

– Comment ! Votre Madone s’intéresse aux jeunes filles à marier ? fis-je, un peu incrédule.

– Oui, insista la bonne Catherine. La Vierge Coquette a pour mission de trouver un mari aux jeunes filles qui viennent la prier, à sa fête, en pèlerinage...

La légende me rendait rêveur.

– Curieuse renommée !... que des siècles de superstitions et de racontars populaires justifient probablement, me disais-je, plus positif qu’incroyant.

Et tout haut, à Catherine :

– Maintenant, je m’explique pourquoi il y avait tant de monde, ce matin. Toute cette jeunesse, si joliment parée, n’était pas du pays !

– Ah ! non ! confirma mon hôtesse. Il en vient de loin... de très loin !... Pensez donc ! Quelle jeune fille, en âge de prendre époux, ne ferait pas la route pour s’assurer un bon mariage ?

Je me mis à rire.

Malgré mon respect de toutes les croyances, je trouvais l’idée amusante ! Ainsi, toutes ces demoiselles, de l’âge le plus tendre jusqu’à celui qu’il est convenu de trouver canonique, n’étaient si religieusement recueillies que parce qu’elles avaient l’arrière-pensée de dénicher, dans l’année, un partenaire susceptible de les épouser !...

C’est toujours amusant, pour un homme, de constater ce besoin impulsif qui excite les filles à trouver un mari, coûte que coûte !... L’homme cherche la femme avant de penser au mariage ; celle-ci tient, au contraire, à s’attacher un maître qui ne pourra pas s’affranchir d’elle... quitte à se plaindre de lui toute sa vie !

– Où diable le désir de convoler en justes noces pousse-t-il les demoiselles ! m’écriai-je, égayé... Dommage que je n’aie pas connu, ce matin, la légende ! Avec quelle ironie joyeuse j’aurais suivi le manège de toutes ces candidates au mariage !

Mais Catherine me foudroya du regard. Il est des choses dont l’excellente femme n’admet pas qu’on se moque.

– Ne plaisantez pas avec la foi sincère de nos fillettes, monsieur Marc, protesta-t-elle, un peu choquée. Les garçons, aussi, viennent prier la Vierge pour qu’elle place sur leur chemin l’épouse rêvée !... celle qui sera une compagne fidèle et une mère dévouée... Et chacun de nos enfants, de quelque sexe qu’il soit, ne songe pas à rire de la légende merveilleuse... si réconfortante à l’âme, en cette époque de mauvais ménages.

Sur ce dernier point, je ne pouvais que lui donner raison ; mais un peu d’ironie se mêla à mon approbation :

– Il est vrai qu’une intervention divine ne serait pas inutile, actuellement, pour résoudre les multiples conflits conjugaux !

– Elle existe, cette protection, mon bon monsieur ! C’est dans nos campagnes croyantes que se bâtissent les plus durables foyers... Nos jeunes gens le savent et, comme ils sont désireux d’être de bons époux et d’excellents parents, c’est avec conviction qu’ils demandent au Ciel de les aider à fonder un foyer chrétien capable de résister aux tempêtes...

Je ne pouvais que m’incliner... Quel homme de cœur oserait railler des désirs aussi sages !...

– Évidemment ! convins-je avec bonne volonté et redevenu sérieux, car j’étais loin de vouloir contrister la brave aubergiste... surtout sur un sujet aussi infiniment respectable !

– D’abord, reprit-elle avec ardeur, notre Vierge a accompli bien des miracles et plus d’un célibataire, qui n’était pas de mœurs très sérieuses ou qui, comme vous, se moquait de la légende, est devenu amoureux de terrible façon.

Une sorte de crainte superstitieuse faisait, subitement, trembler sa voix, comme si, rien que d’en parler, la femme allait dresser d’inévitables catastrophes.

– Diable ! observai-je, un peu abasourdi. S’il faut vous croire, quels terribles maux menacent donc les sceptiques ?

Peut-être étais-je, à la fois, anxieux, amusé et incrédule, en lui continuant mes questions :

– Vous m’intriguez !... De terrible façon, avez-vous dit ?... Oh ! Catherine Le Coz, racontez-moi tout ce que vous savez ?... Je ne demande qu’à vous croire et à être édifié, moi !

Mais la brave femme se fit tirer l’oreille.

– J’aime autant ne point parler de ces choses-là aujourd’hui, assura-t-elle. D’abord, avec les clients qui vont affluer, tout l’après-midi, je n’ai pas grand temps pour bavarder. Et puis, aussi, parce que c’est jour de fête et qu’il vaut mieux dire des choses gaies que d’évoquer des drames... Qu’il vous suffise de savoir, monsieur Marc, que bien des gars qui ne voulaient pas convoler avec les jeunes filles qu’ils avaient compromises, ont été forcés par les événements de les épouser malgré eux... D’autres, qui se sont dérobés à ce devoir, en ont été bien punis, je vous assure !... La Vierge Coquette est très bonne pour les braves garçons, mais les méchants n’ont qu’à bien se tenir.

De nouveau, j’ai affirmé à l’excellente femme que je n’avais jamais eu l’intention de mettre en doute le pouvoir de la Vierge Coquette, mes réflexions n’ayant eu d’autre but que de railler un peu toutes ces demoiselles – dont quelques-unes n’étaient encore que des gamines – de songer si intensément au mariage et aux épouseurs.

*

Si la matinée a été consacrée à la Vierge Coquette, dans le petit bourg du Voulch, le reste de la journée, en revanche, a connu les réjouissances publiques habituelles aux fêtes communales... Le paganisme, si je puis m’exprimer ainsi, reprenait ses droits grâce à la danse, aux phonos et au tapage des boutiques foraines.

Autour des quelques baraques de confiserie ou de loterie dressées sur la place, la foule des visiteurs se pressait bruyamment, pieux pèlerins du matin mués en clientèle joyeuse et grouillante de ces sortes de fêtes populaires.

Désœuvré et un peu isolé au milieu de toute cette masse paysanne et touristique, j’errais de groupe en groupe, écoutant les boniments pompeux des saltimbanques, ou suivant avec curiosité, des yeux et des oreilles, les diverses phases des flirts qui rapprochaient filles et garçons, sincères partisans, c’était visible, de la Vierge Coquette !

– Hé ! Philomène Lehuec, vous êtes belle comme un ange, aujourd’hui ! Peut-on vous régaler, à cette heure ?

– C’est point d’refus, Yves Poven...

Le couple s’approchait d’une confiserie en plein air où la fille choisissait un morceau de pain d’épice, à moins que ce ne fût un sac de cacahuètes, que le garçon payait. Généralement, il en coûtait un franc à ce dernier.

Ainsi rapprochés par ce régal poli, les deux jeunes gens parlaient quelques instants... jusqu’à ce qu’un nouvel arrivant offrît à son tour :

– Tiens ! Philomène Lehuec !... Venez donc avec Jeanne Lebahu, que je vous régale toutes les deux...

– Mais certainement, Pierre Le Thyl...

Les poches des petits tabliers, encerclés de velours ou de dentelles, s’emplissaient rapidement de friandises variées... Les filles souriaient béatement, pendant que les gars prenaient un air faraud et avantageux, plus ou moins marqué selon que l’état de leurs porte-monnaie, permettant de « régaler » un plus grand nombre de demoiselles, leur assurait tout un essaimage féminin.

Mais parfois, aussi, les jeunes gens voyaient leurs avances repoussées, même avec raillerie.

– Ah ! grand merci, Jean Nicot ! J’ai assez mangé de sucreries, aujourd’hui !.. Et puis, voilà l’heure de rentrer...

À moins qu’une fillette plus cruelle ne leur lançât en quolibet :

– Vous êtes bien aimable, Yves Marie Mornec, mais je suis assez riche pour me payer ce qui me plait !.. Offrez donc quelque chose à Maria Brauzet, plutôt ! La pauvre n’est pas très entourée et votre offre sera la bienvenue !

Naturellement, Maria Brauzet était quelque laideron dédaigné de tous, à moins que ce ne fût une pauvre vieille innocente dont tout le pays se gaussait !

J’en étais là de mes observations quand, dans un groupe de jeunes filles qui bavardaient à l’écart, j’aperçus soudain l’inconnue, vêtue de blanc, que j’avais observée, si pieusement recueillie, le matin à la procession, au milieu de ses compagnes en prière.

Quel fluide put faire qu’un monsieur en villégiature, qui ne connait personne, fixe son regard sur un personnage déterminé, noyé dans une assemblée nombreuse ? J’en subis le pouvoir sans m’en rendre compte. Mon geste ne fut pas calculé, aucun raisonnement ne me le dicta.

Par une décision brusque et impérieuse, je m’approchai de l’inconnue.

Et, sans me rendre compte du ridicule qu’il pouvait y avoir pour moi, Parisien, à prononcer la phrase rituelle assez naïve, entendue pour la première fois, cet après-midi, j’articulai nettement :

– Voulez-vous me permettre, mademoiselle si jolie et tout de blanc vêtue de vous régaler à mon tour ?

Ainsi interpellée, la jeune fille se tourna vers moi, une surprise au fond de ses grands yeux bleus.

Un regard appuyé... à peine une hésitation... et, sans affectation, simplement, elle accepta de me suivre jusqu’à l’étalage de la confiserie ambulante où elle désigna, très discrètement, un petit morceau de nougat.

– Oh ! protestai-je. Ceci ne compte pas... Choisissez ici, plutôt.

Je lui indiquai de longues barres blanches, collées de pain azyme, revêtues de papier cellophane permettant une manipulation plus facile et plus propre.

– Mais cette barre est trop grosse... je n’en viendrai pas à bout, aujourd’hui !

– Tant mieux ! Demain, vous m’accorderez une pensée en finissant de la grignoter.

Un coup d’œil railleur m’enveloppa en éclair.

– Soit. Mamie en goûtera avec moi... je vous remercie, monsieur.

Elle allait se retirer après quelques paroles aimables en réponse à ma courtoisie, quand, brusquement, sans plus réfléchir que je ne l’avais fait jusque-là, je suppliai l’inconnue de m’accorder une danse...

– Là... à côté, sous la grande tente allongée sur la place où, moyennant une légère dîme, on acquiert le droit d’évoluer jusqu’au soir, avec la personne qui vous charme...

Le visage féminin parut amusé de ma proposition.

– Voici une chose que je n’ai jamais faite ici, assura-t-elle. Le bal ne me tente pas, il faut croire !

– Il y a un début à tout, mademoiselle, insistai-je... Je serais ravi d’être le premier à qui vous accorderiez cet honneur.

Elle me regarda et il me parut qu’une pointe de malice coulait dans ses yeux.

– Vous êtes des environs ? questionna-t-elle.

– Simplement de Paris.

– Ah !

– Oui je suis ici en villégiature... descendu chez Catherine Le Coz pour y passer les vacances.

Comme elle demeurait muette, je proposai, soudain rempli de bonne volonté et d’ardeur :

– Voulez-vous que je me présente d’avantage ? Je suis si désireux d’être votre cavalier pendant quelques instants.

De nouveau, son regard railleur monta jusqu’au mien.

– Vraiment ? Si désireux !... Vous me flattez réellement, monsieur !

– Je souhaite d’autant plus obtenir cette faveur que vous venez m’assurer que ce serait la première fois que vous danseriez à un Pardon. Moi-même, jusqu’ici, n’avais jamais assisté à pareille fête... Je suis artiste peintre et je me nomme...

Mais elle m’interrompit en riant :

– Mais non ! Gardez l’anonymat et disposez de moi, puisque cela vous fait vraiment plaisir ; justement, on annonce une valse.

Nous dansâmes correctement enlacés, suivant les bienséances.

J’essayai de la questionner sur elle-même, mais elle observa le mutisme le plus complet, avec une lueur amusée dans les yeux.

Une deuxième danse sollicitée, puis acceptée, dans les mêmes conditions d’où la malice n’était pas exclue n’amena aucun éclaircissement.

Nous étions deux partenaires, inconnus l’un à l’autre, certainement de bonne compagnie, et nous allions nous séparer dans le même état d’ignorance sur nos personnalités respectives...

Un remerciement de ma part, un sourire charmant de la sienne, terminèrent notre rapprochement.

Je la vis rejoindre deux messieurs qui descendaient d’une automobile.

Un peu esseulé, soudainement, je me repris à errer entre les groupes, la tête trop occupée, peut-être, de certaine danseuse énigmatique, dont le malicieux sourire semblait m’avoir nargué...

*

La fête était encore bien loin d’être finie quand j’aperçus à nouveau l’inconnue vêtue de blanc. Après avoir pris congé de ses compagnons, puis serré quelques mains sur son passage, elle allait s’éloigner sagement, avant le crépuscule.

Je la vis avec regret s’écarter du lieu des réjouissances.

Rien n’avait été dit entre elle et moi qui pût me permettre d’espérer que je la retrouverais plus tard. J’ignorais même si elle était de la région... mais son départ parut me léser en produisant comme un grand vide autour de moi.

Une sorte de tristesse m’enveloppa tout à coup et, par une affinité secrète, le désir de quitter cette foule bruyante me saisit à mon tour.

La route qui me ramenait vers l’auberge suivait le chemin que l’inconnue avait pris.

Inconsciemment, j’allongeai le pas pour la rejoindre !

Arrivé à sa hauteur, je la saluai derechef et je lui demandai la faveur, puisqu’elle se dirigeait dans le même sens que moi, de marcher à son côté et de bavarder avec elle.

Surprise de me retrouver devant elle, elle hésita d’abord, puis elle sourit. De nouveau, dans les grands yeux bleus, la lueur de malice réapparaissait...

Cependant, d’une voix harmonieuse, elle acquiesçait à ma proposition :

– Soit ! Mieux vaut, pour une jeune fille, un compagnon de route bien élevé qu’un rustre quelconque ou l’obsession d’une pensée pénible... Comme je ne souhaite aucun de ces derniers, soyez le bienvenu à mon côté, monsieur mon danseur anonyme.

– Votre premier danseur !

– Mon premier danseur de Pardon, rectifia-t-elle gentiment.

– Oh ! évidemment ! Je ne puis prétendre à plus d’exclusivité !

La boutade nous fit rire.

Ainsi commencée, la conversation s’engagea gaiement sur les diverses péripéties de la journée.

– Quel temps splendide !

– Oui, ce fut une jolie journée

– Tout était de la fête : le soleil, le coloris du ciel, la brise marine, l’odeur de l’encens et la beauté des femmes... c’était un amalgame délicieux.

– En effet, fit-elle rêveusement. L’ambiance des choses s’alliait au recueillement des pèlerins... la même ferveur unissait l’homme à la nature... C’est très beau et très reposant, quand il en est ainsi.

La phrase profonde me troubla un peu, émanant de cette petite paysanne. Son langage était châtié, sans accent, et elle avait parlé avec une si ardente conviction que ce fut mon tour de lever les yeux sur elle en interrogative surprise.

Dans quelle condition sociale devais-je donc la classer ?

Son visage était doux, un peu grave ; ses yeux bleus ne pouvaient renier leur origine bretonne, de même que son teint clair et la coupe du visage un peu courte. Sa robe était blanche, coquette, mais sans falbalas de mauvais goût ; une croix ancienne, en or, pendant à son cou, garnissait l’échancrure de sa robe, allongée en pointe sur la poitrine. Tout, en elle, était discret et simple, mais ce décolleté, plus hardi que celui de ses compagnes, lesquelles ne portent généralement qu’une robe montante, me fit supposer que ma danseuse habitait la ville.

– Vous n’êtes pas comme les autres, mademoiselle, observai-je. Déjà, je vous ai remarquée, ce matin, à la procession... Vêtue de blanc et l’air si recueilli, vous m’aviez fait l’effet d’une petite sainte entraînant ses compagnes sur le chemin du paradis...

Elle sourit, un peu moqueuse :

– Je n’ai rien d’une sainte, cependant. Et je ne vois pas en quoi je diffère des jeunes filles d’ici.

– Votre robe, d’abord.

– Oh ! une robe ! C’est une question d’étoffe ou de couleur.

– Évidemment... Néanmoins, votre air sérieux, réservé... presque supérieur...

– Supérieur ! J’espère bien n’avoir l’air ni pédante, ni vaniteuse. Je désire être semblable aux autres. Et, sans la couleur du costume à laquelle ma tante m’a vouée quand j’étais toute petite, vous n’auriez pas vu de différence entre mes compagnes et moi.

– J’ai, au contraire, l’impression que vous ne ressemblez à personne... Ne vous choquez pas de ma remarque ; mais je me plais à imaginer que vous êtes quelque petite princesse de légende qu’une mauvaise fée a contrainte à demeurer sur terre.

Elle sourit, amusée.

– Vous êtes un grand rêveur, je crois, monsieur ! Vous aimez parer les gens d’images flatteuses qui charment votre esprit... Je ne suis, en vérité, qu’une fillette de la campagne... pas du tout une petite sainte ou une princesse déguisée, comme il vous plaît de l’imaginer.

– C’est, cependant, ce que j’ai cru être vrai, ce matin, quand je vous ai vue pour la première fois.

– Vous avez donc suivi la procession ? questionna-t-elle pour changer le cours de la conversation.

– Naturellement.

– En curieux ?

– Pas du tout... En croyant !

– Réellement ?

– Pourquoi pas ?... Je n’en ai pas l’air ?

– C’est-à-dire que les Parisiens s’amusent beaucoup de nos coutumes religieuses... tout les porte à la blague !... même notre pieuse sincérité.

– Peut-être pour ne pas paraître en être émus. Je vous assure que les habitants de la capitale sont beaucoup plus sensibles qu’on ne le croit généralement... Nos églises sont pleines de monde, le dimanche... Pour ma part, je me complais à rêver à l’ombre des cathédrales et il m’arrive souvent d’entrer dans une église, rien que pour y goûter le charme bienfaisant du silence et du recueillement... N’en soyez pas surprise, j’ai été élevé par une maman très pieuse et même un peu austère... ce qui ne l’empêche pas d’être également une mère indulgente et bonne.

– Alors, ce matin, vous avez fait des vœux, comme les autres ?

– Des vœux ? Et pourquoi ?

– Puisque vous avez suivi, en croyant, un pèlerinage réputé !

– Eh bien ! pour être sincère, je n’ai formulé aucun vœu.

– C’est regrettable !

– Oh ! pourquoi ?

– Parce que vous avez perdu une belle occasion d’obtenir les faveurs du Ciel.

– Je n’ai pas pensé faire, de mon assistance à ce Pardon, une question d’intérêt, répliquai-je en riant. J’ai simplement admiré, en artiste, la beauté des chants liturgiques et le pittoresque des costumes locaux à travers la campagne un peu rude de ce coin-ci...

Comme elle se taisait, j’ajoutai, cherchant peut-être son approbation :

– Penseriez-vous que ma seule présence aux cérémonies religieuses jointe à l’émoi profond que ces dernières faisaient naître en moi, soient insuffisants à m’attirer les bénédictions de Dieu ?...

– Oh ! Loin de moi pareille pensée !... Je n’ai pas voulu faire un tel jugement... Seulement... peut-être ne le saviez-vous pas... les dévotions à la Vierge Coquette ont presque toujours un but intéressé.

– Mon aimable hôtesse m’a dit quelque chose dans ce genre, à midi, fis-je gaiement, en me rappelant les privilèges attachés au culte de la Madone du Voulch. Mais dame Catherine m’en a instruit un peu trop tard, il est vrai, pour que j’en profite cette année. Heureusement, je n’ai pas du tout envie, en ce moment, de me mettre la corde au cou... Mon ignorance des coutumes locales ne m’a donc causé aucun préjudice et je ne regrette rien !

Mon affirmation parut l’amuser ; mais, sauf l’éclair rieur des yeux qu’elle ne sut pas voiler à temps, elle ne m’approuva d’aucune manière.

Tout en devisant de cette façon, nous suivions les méandres de la route et nous avions passé devant l’auberge de Catherine Le Coz sans que j’aie songé à m’y arrêter. Maintenant, nous approchions du sanctuaire de la Vierge, désert à cette heure.

L’inconnue, qui avait accepté jusqu’ici ma présence à ses côtés, s’arrêta subitement, mettant ainsi un point final à mon éloquence déchaînée.

Nous n’étions plus guère qu’à une dizaine de mètres de la petite chapelle.

– Mon beau monsieur, dit-elle, mi-rieuse, mi-sérieuse, mais d’un ton qui annonçait que toute contradiction serait déplacée, je vous saurais gré, à présent, de ne plus marcher auprès de moi... Allez devant ou restez derrière, mais je me refuse à continuer ma route en votre compagnie.

– Vraiment ! dis-je, étonné d’une aussi subite résolution. Qu’est-ce qui se passe ?... Ma présence vous déplaît, maintenant ?

– Pis, monsieur ! Elle m’importune ! réplique-t-elle sans s’émouvoir de ma protestation... Je ne ferai pas un mètre de plus à vos côtés.

Une ombre altéra mon visage. Ce congé péremptoire froissait ma vanité parce que je n’en soupçonnais pas la cause.

– Alors, je vais vous quitter, mademoiselle, fis-je, un peu froid... Cependant, ajoutai-je, ne me permettez-vous pas, auparavant, de vous demander en quoi, si vivement, j’ai pu vous déplaire ?

– Oh ! Il n’est pas question de déplaisir, monsieur... La légende ne me permet pas de vous accepter davantage auprès de moi, voilà tout !

Je m’étonnai :

– La légende !... Quelle légende ?... Je ne comprends pas.

– Il vaut peut-être mieux que je vous l’explique, car vous me paraissez désagréablement surpris et je n’ai nullement le désir de vous offenser.

– Je préfère, en effet, connaître les raisons de votre changement d’attitude à mon égard, mademoiselle.

– Oh ! C’est tout naturel, monsieur ! Vous allez en juger...

Elle prit à peine le temps de respirer et continua :

– La légende de la Madone du Voulch contient de troublants aperçus... elle ne s’arrête pas à des vœux exaucés, ni à des grâces accordées... On a remarqué aussi – et la chose fut maintes fois constatée – que tout couple, jeune homme et jeune fille, qui passe, côte à côte, devant la petite chapelle que voici, en cette journée de pèlerinage, s’expose à être uni dans l’année... Les amoureux sincères s’efforcent, naturellement, d’y entraîner celles qu’ils aiment ; et c’est ainsi que, durant la procession, on voit certains garçons se rapprocher des jeunes filles qu’ils souhaitent attendrir !... ou vice versa, évidemment. Mais il arrive aussi, fatalement, que des êtres qui ne désiraient pas du tout s’unir, s’étant trouvés rapprochés ici, s’amourachent l’un de l’autre par la suite, à la surprise générale...

– Par exemple !

– Oui, pas mal de mariages ont été ainsi conclus et ne sont pas toujours les plus raisonnables, malheureusement ! Or, pardonnez-moi, monsieur, si je vous blesse, mais il ne me plairait point de passer mon existence auprès d’un personnage que je ne connais pas ! Et comme, d’autre part, je ne suis pas du tout pressée de convoler en justes noces, je m’en remets à vous de conclure...

Pendant qu’elle parlait, mon étonnement s’était changé en approbation, car je partageais à son endroit exactement les mêmes sentiments : moi non plus, je ne tenais pas du tout à épouser la première jeune fille venue !

Je m’inclinai donc courtoisement devant elle.

– Vous avez raison, mademoiselle, la légende est dangereuse pour notre libre arbitre. Elle est lourde de menaces qu’il vaut mieux éviter... il ne me plaît pas plus qu’à vous-même de m’y exposer !...

– Je m’en doutais !

– Aussi, mademoiselle, je vous laisse continuer seule votre route. Bon voyage et heureux retour !

L’inconnue me salua en souriant et reprit son chemin, seule et d’un pas alerte, tandis que, prudemment, je redescendais la route que nous venions de gravir, n’avant aucune raison de continuer ma promenade dans ce sens-là.

Les échos de la fête me parvenaient aux oreilles, semblant m’inviter, de loin, pour de nouvelles danses, vers de nouvelles rencontres...

Je n’avais pas fait dix pas dans la direction du village, quand mon regard fut attiré par la blancheur d’une traînée, coupant la route, dans le sens de la largeur.

En éclair, j’identifiai l’objet :

– L’écharpe de soie que mon inconnue en blanc portait sur les épaules !

Prestement, je ramassai l’écharpe ; puis, m’étant retourné, je hélai la voyageuse.

– Mademoiselle !... Mademoiselle ma danseuse ! Voici quelque chose qui vous appartient, je crois !

Elle se retourna au moment où je brandissais l’écharpe à bout de bras.

Cette parure devait avoir quelque valeur à ses yeux, car elle mit un peu de vivacité à revenir chercher son bien.

En même temps qu’elle s’avançait vers moi, je marchais à sa rencontre avec le désir de lui mesurer sa peine ; si bien que chacun de nous, ayant franchi de part et d’autre du sanctuaire une distance à peu près équivalente, nous nous retrouvâmes à mi-chemin.

– Oh ! merci, monsieur ! me dit la jeune fille avec émotion. J’aurais été navrée d’avoir perdu cette écharpe qui a appartenu, jadis, à ma mère... C’est un précieux souvenir ; pour moi, il n’a pas de prix !

– Je suis heureux, mademoiselle, d’avoir contribué à vous faire rentrer en sa possession.

Elle jeta le tissu tant apprécié sur ses épaules ; puis, spontanément, elle me tendit la main pour mieux me témoigner sa gratitude :

– Merci encore !

Nos mains s’étaient jointes pour cette cordiale étreinte... Justement, à cet instant, les yeux de ma compagne se posèrent sur la porte ouverte de la petite chapelle. Un inconscient déplaisir assombrit son visage ; vivement, elle dégagea ses doigts et se rejeta loin de moi.

– Quelle malchance ! ne put-elle se tenir d’exprimer, d’une voix altérée.

J’avais saisi la mimique de la jeune fille et je m’aperçus que nos mains s’étaient intempestivement unies devant le lieu fatidique.

Me rappelant, en éclair, la fameuse légende, j’eus, moi aussi, un recul involontaire.

– Ah ! non ! Nous sommes unanimes pour protester, n’est-ce pas ?... Ce n’est pas de jeu !

Mon réflexe et ma protestation devaient être comiques ; cependant, l’inconnue les approuva sans en rire.

– Non ! Ce n’est pas de jeu, convint-elle avec maussaderie. C’est le hasard qui a tout fait.

– Évidemment ! Aussi, ça ne compte pas !

– Espérons-le.

Ce bref souhait et le ton sur lequel il était prononcé n’en soulignaient que mieux la crainte superstitieuse qui était en elle.

Sans en dire davantage, elle me quitta d’un pas rapide. Cette fois, elle n’avait pas pensé à me souhaiter un au revoir et cette omission ne m’avait pas choqué ! Peut-être, en s’éloignant si vite, invoquait-elle, en son for intérieur, les forces susceptibles de rompre la décision légendaire...

Pour mon compte, tout en poursuivant le chemin du retour, je haussais les épaules, avec du mépris pour toutes ces croyances populaires. Cependant, je ne pouvais m’empêcher de maugréer :

– Superstition ! C’est absolument inepte !... Elles sont stupides, ces légendes que colportent les vieilles gens pour effrayer la jeunesse ! Et vraiment, ne suis-je pas un peu fou, moi aussi, en donnant cours à ma mauvaise humeur, de leur accorder quelque créance ?... Ce ne sont que des fumisteries bonnes à endormir les enfants !... La Vierge et tous les saints du Paradis ont bien autre chose à faire qu’à s’occuper de marier les gens malgré eux et sans les y avoir préparés !...

II

Je passai une nuit assez agitée, non pas à cause des menaces de la légende, mais probablement à la suite d’un souper trop copieux où les mets épicés excusaient l’absorption de pas mal de verres de vin.

Mon esprit surexcité, en un état d’activité suraigu, s’offrait le luxe d’une représentation cinématographique où les images défilant, s’accrochant les unes aux autres, me montraient tour à tour une blancheur liliale tourbillonnant contre moi, une écharpe flottant au vent, la pointe d’une chapelle oscillant sur un gouffre sans fond, une silhouette féminine s’évanouissant dans un abîme de ténèbres ; bref, une multitude de visions plus ou moins agréables mettaient en action mon mécanisme cérébral et me réveillaient subitement au moment même où j’allais sombrer dans la détente bienfaisante du sommeil.

Peut-on être maître de ses pensées ? Je ne le crois pas... surtout quand elles semblent émerger ainsi du subconscient !

L’apaisement vint lorsque l’aube pointait, car j’avais pris une décision :

– Dès demain, – et ce demain équivalait à un aujourd’hui, vu l’heure matinale, – je me renseignerai sur cette singulière jeune fille... Il faut que je connaisse, tout au moins, celle d’où peut me venir le danger...

Ce décret rendu, je retrouvai le calme et pus m’endormir profondément pendant quelques heures.

Mais, au saut du lit et dès ma toilette faite, je rejoignis Catherine Le Coz.

J’avais remarqué, depuis mon arrivée au Voulch, que lorsque les loisirs de sa profession le lui permettaient, mon excellente hôtesse se complaisait à bavarder longuement.

Elle connaissait tout le monde, et bien qu’elle ne fût pas ce qu’il est convenu d’appeler une mauvaise langue, ni qu’elle mît de la malveillance dans ses propos, elle aimait raconter sur chacun les mille petits potins qui courent de bouche en bouche et peignent mieux les gens que les longues explications.

– Catherine, pendant que je vais déjeuner, il faut que vous me fournissiez un renseignement.

– Je vous écoute, monsieur Marc, fit-elle avec empressement.

– Hier, vous m’avez parlé de la coutume gracieuse qui permet aux jeunes filles de s’habiller de vêtements clairs en ce jour exceptionnel.

– Oui, je vous ai expliqué pourquoi cette habitude s’est implantée chez nous.

– Et je n’ai rien oublié... Cependant, parmi toute cette jeunesse en costume de fête, il y avait une demoiselle exclusivement vêtue de blanc, qu’on ne pouvait manquer de remarquer au milieu des autres, car elle est très jolie... Est-elle d’ici et la connaissez-vous ?

– Une jolie fille habillée de blanc ?

– Oui, des pieds à la tête.

– Un peu fiérote et qui ne se mêlait guère aux autres jeunes personnes ?

– Justement.

– C’est sûrement de la nièce de Mariannick Guillerme que vous voulez parler.

– Qui est-ce, Mariannick ? m’informai-je aussitôt.

– Une vieille femme d’ici qui habite une petite maison : Ty Bianet tout là-bas, derrière le promontoire... un peu plus loin que le sanctuaire.

– Et cette femme possède une nièce d’une vingtaine d’années, très jolie, et qui s’habille de blanc ?

– Oui, affirma Catherine. Marie-Claire a environ cet âge-là et sa tante l’a vouée, dès ses jeunes ans, aux couleurs des Enfants de Marie.

– Mais cette jeune fille n’habite pas ici avec sa tante, ordinairement ?

– Au contraire, mon bon monsieur ! Depuis sa rentrée de pension, car elle a été élevée à la ville la Marie-Claire ! elle ne quitte pas sa vieille parente... Les deux femmes vivent ensemble... un peu comme des sauvages... ne s’occupant de personne, mais n’acceptant pas non plus que les autres se mêlent de leurs affaires. Faut voir ça !... Justement, Ty Bianet est un peu à l’écart du village... Dans leur coin, il n’y a guère que la hutte de Guillon, le sabotier... puis, encore plus loin, Kermodu, une assez grande ferme... Cette situation écartée permet à la tante et à la nièce de vivre à leur guise.

– C’est-à-dire ?

– Dame ! De faire des cachotteries pour tout : leurs visites, leurs sorties... sans prendre l’avis des connaissances... comme si le jugement de chacun ne les atteignait pas !...

– En ceci, observai-je, elles ne font de tort à personne, et je ne pense qu’au Voulch, il n’y a aucune mauvaise langue pour trouver à redire.

– Hé ! non ! protesta l’aubergiste. Ce n’est point ça qu’on leur reproche.

– Y a-t-il donc d’autres raisons de les blâmer.

– Pardi ! Cette vieille folle de Mariannick n’est si sauvage et si fière que parce qu’elle ne fait rien comme les autres !... Elle a des prétentions, la bonne femme ! Avez-vous remarqué l’élégance de la nièce ? Il faut croire que la mâtine se tient au courant de la mode pour être toujours si bien mise !... Ici, tant de coquetterie choque un peu !...

– Oh ! pourquoi ? Elle est gentille, cette petite !... Un vrai bijou !...

– Oui-da ! Mais pensez donc ! À vingt ans, être si élégante... Et ça n’a pas de fortune, la tante n’en ayant guère !... Mariannick n’aurait pas dû habituer cette jeunesse à rechercher le luxe. Quel homme sensé, voulez-vous, épouserait une telle enfant sans le sou ? Leur situation à toutes deux ne permet pas une pareille existence... Faut être raisonnable, quand on n’est pas riche !

– Peut-être ces deux femmes ont-elles assez pour vivre sans rien demander à personne.

– Évidemment, qu’elles ne demandent rien... elles payent bien, même ! Mais elles dépensent aussi.

– Elles dépensent et elles payent ? Si c’est tout ce qu’on leur reproche, ce n’est pas grave !

– C’est assez de vivre à part les autres, ne trouvez-vous pas !... D’ailleurs, c’est par affection et dans leur intérêt que chacun voudrait les voir mieux comprendre la vie !... Parce qu’il est bien entendu que, sous le rapport de l’honnêteté et de la conduite, il n’y a rien à dire !

– Ah ! Marie-Claire...

– ... est absolument sage... On ne peut pas jaser sur elle... pas un mot !... C’est fier, mais c’est réservé, comme il se doit !

– Eh bien ! c’est parfait, alors ! Que peut-on exiger de plus ?

Instinctivement, je la défendais, moi, le Parisien habitué à la coquetterie bon marché, mais de bon goût, des petites midinettes de la capitale.

La femme n’insista pas. En commerçante avisée, elle ne voulait probablement pas heurter ma conviction.

Mais tous ces renseignements, si abondamment fournis cependant, ne me donnaient pas encore satisfaction.

– Je m’étonne, repris-je, songeur, qu’une jeune personne si coquette et si jolie se contente de demeurer au Voulch... Elle me paraît bien esseulée dans sa retraite, cette petite Marie-Claire !

– Oh ! ça, c’est autre chose ! s’écria Catherine Le Coz, dont la verve se remontait facilement. Pour ne pas médire, je ne vous racontais pas l’histoire ; mais comme tout le monde la connaît, d’autres vous mettraient au courant... Alors, autant que ce soit moi, pas vrai ?

– Mais certainement ! assurai-je. Vous m’intéressez vivement, dame Catherine.

– Eh bien ! voilà ce qui existe. Mariannick avait autrefois une sœur, beaucoup plus jeune qu’elle et passablement jolie : comme la petite, parbleu ! Philomène qu’on la nommait, cette sœur... C’est mauvais pour les femmes, la beauté ! Ça les pousse à toutes sortes de vilaines choses ! Ainsi, les jeunes gens remarquaient Philomène, naturellement ! Et c’était à qui ferait la roue autour d’elle pour se faire distinguer... Un jour, la pauvrette est partie à la ville !... Paraît qu’elle y a mené une existence !... on ne sait pas au juste, mais...

Catherine haussa les épaules et hocha la tête, laissant la porte ouverte à toutes les suppositions, fussent-elles des plus absurdes !

Puis, après un soupir qui en disait long, lui aussi, elle reprit :

– Enfin !... On dit qu’elle est allée à Paris où elle a ruiné sa santé... après son âme ! Là-bas, elle aurait mis au monde sa petite-fille ; puis, finalement, Dieu lui aurait envoyé le châtiment que méritait son existence folle : la fin dans quelque hôpital de la capitale.

– Ainsi pourraient s’expliquer les goûts de la jeune fille pour la toilette, remarquai-je, un peu attristé que de tels antécédents pussent entourer l’enfant candide, au visage de madone, dont le souvenir m’avait poursuivi toute la nuit.

– Oui, approuva mon interlocutrice. La fillette doit instinctivement ressembler à sa mère... Elle n’est pas responsable de cette hérédité... mais Mariannick qui sait... qui a eu l’exemple de sa sœur pour l’éclairer, ne devrait-elle pas obliger l’enfant à se contenter de mises simples au lieu de colifichets de prix ?... La vieille folle devrait se souvenir... Son devoir est d’enrayer les mauvais penchants de la petite, si celle-ci en a, au lieu de les favoriser.

– Vous êtes la sagesse même, madame Catherine, convins-je enfin pour la flatter et provoquer de nouvelles confidences. Mais voilà précisément quelque chose qui me paraît étrange : l’indifférence de Mariannick Guillerme sur ce passé... Est-on bien sûr des faits concernant la mère de Marie-Claire ?

– Si l’on en est sûr, mon bon monsieur ! Mais songez donc ! Il y a des jeunes gens qui ont fréquenté cette femme, avant sa perdition... Ils sont restés au pays... Ils ont raconté ce qu’ils soupçonnaient, ce qu’ils ont appris, cela s’est répété de bouche à bouche, si bien que tout un chacun connait parfaitement la vérité.

Je ne pus réprimer une approbation dont l’ironie échappa certainement à Catherine.

– Vous m’en direz tant !... Évidemment... Tout est clair et compréhensible !... Pauvre Marie-Claire, si jolie, si virginale !... Quel dommage pour elle d’être victime du passé de sa mère ! Elle doit souvent exciter l’envie des autres, malgré tout !... Tous les jeunes gens courent après elle, probablement ?