L’idée de l’Europe - Catriona Seth - E-Book

L’idée de l’Europe E-Book

Catriona Seth

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Beschreibung

Face aux défis – entre autres politiques – auxquels sont confrontés différents pays européens, les chercheurs dix-huitiémistes ont souhaité revenir sur des expressions anciennes de valeurs partagées et les interrogations passées sur des questions qui restent souvent d’actualité. Au Siècle des Lumières, nombre d’hommes et de femmes de lettres ont envisagé l’avenir du continent en particulier pour entériner leur souhait de garantir la paix en Europe. Les textes, réunis dans cette anthologie, et signés des grands écrivains du temps (Rousseau, Montesquieu, Voltaire, Kant, Hume ou encore Staël), comme d’oubliés de l’histoire, présentent, avec quelques excursus chronologiques (de Sully à Hugo) les réflexions de penseurs d’un dix-huitième siècle aux bornes chronologiques étendues – l’émergence et la chute de l’Empire engendrent des bouleversements nombreux –, sur l’Europe, son histoire, sa diversité, mais aussi sur ce qu’ont en commun les nations qui composent, dans leur variété, un ensemble géographique. Ils mettent en évidence les origines historiques d’un projet d’union européenne, le souhait de consolider les liens du continent avec le Maghreb ou la Turquie, l’importance accordée au commerce et les inquiétudes suscitées par les sursauts de l’histoire, mais aussi l’espoir placé dans les générations futures.La Société française d’étude du XVIIIe siècle, l’Université d’Augsburg, l’Université d’Oxford ont généreusement contribué à la publication de ce volume.In view of the challenges—many of which are political—that different European countries are currently facing, scholars who work on the 18th century have compiled this anthology which includes earlier recognitions of common values and past considerations of questions which often remain pertinent nowadays. During the Enlightenment, many men and women of letters envisaged the continent’s future in particular when stressing their hope that peace could be secured in Europe. The texts gathered here, and signed by major thinkers of the time (Rousseau, Montesquieu, Voltaire, Kant, Hume or Staël for instance), as well as by writers history has forgotten, present the reflections, with a couple of chronological extensions (from Sully to Victor Hugo) of authors from the long eighteenth century—the French Empire and the fall of Napoleon generated numerous upheavals—on Europe, its history, its diversity, but also on what the nations, which, in all their diversity, make up a geographical unit, have in common. They show the historical origins of the project of a European union, the desire to consolidate the continent’s ties to the Maghreb or to Turkey, the importance granted to commerce and the worries engendered by history’s convulsions, but also the hope vested in future generations.The Société française d’étude du XVIIIe siècle, Augsburg University and the University of Oxford have generously contributed towards the publication of this volume.

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L’IDÉE DE L’EUROPE

L’idée de l’Europe

au Siècle des Lumières

Textes réunis par Rotraud von Kulessa et Catriona Seth

https://www.openbookpublishers.com

© 2017 Rotraud von Kulessa et Catriona Seth

Cet ouvrage est licencié sous une licence internationale Creative Commons Attribution 4.0 (CC BY 4.0). Cette licence vous autorise à partager, copier, distribuer et transmettre l’ouvrage à des buts non commerciaux, à condition de l’attribuer à son auteur (sans pour autant laisser entendre qu’il vous soutient ou qu’il soutient votre utilisation de l’ouvrage). Toute attribution doit comporter l’information suivante :

Rotraud von Kulessa et Catriona Seth (éd.), L’idée de l’Europe au Siècle des Lumières. Cambridge, Royaume Uni : Open Book Publishers, 2017. https://doi.org/10.11647/OBP.0116

Pour accéder à des informations détaillées et mises à jour sur cette licence, merci de vous rendre ici : http://www.openbookpublishers.com/product/610#copyright

Des détails supplémentaires sur les licences CC BY sont disponibles ici : http://creativecommons.org/licenses/by/4.0

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La Société française d’étude du XVIIIe siècle, l’Université d’Augsburg, l’Université d’Oxford ont généreusement contribué à la publication de ce volume.

Ceci est le sixième volume de notre série Open Book Classics.

ISSN (Imprimé) : 2054-216X

ISSN (Numérique) : 2054-2178

ISBN Broché : 978-1-78374-343-8

ISBN Relié : 978-1-78374-344-5

ISBN Numérique (PDF) : 978-1-78374-345-2

ISBN ebook Numérique (epub) : 978-1-78374-346-9

ISBN ebook Numérique (mobi) : 978-1-78374-347-6

DOI : 10.11647/OBP.0116

Image de couverture: Cannibal Queen, Colours (2011), https://www.flickr.com/photos/cannibal_queen/5791733736/. Couverture conçue par Heidi Coburn.

Tout le papier utilise par Open Book Publishers est certifié par les programmes de ressources renouvelables SFI (Sustainable Forestry Initiative) et PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification Schemes).

Imprimé au Royaume Uni, aux États-Unis et en Australie par Lightning Source pour Open Book Publishers.

Table des matières

Pour faciliter les repérages du lecteur, nous avons donné aux extraits des titres qui figurent en gras après l’indication du nom de l’auteur et du texte dont est tiré le passage.

Préface

1

1.

Friedrich Schiller, « Ode à la joie »

Un hymne pour l’Europe

5

2.

Maximilien de Béthune, duc de Sully, Mémoires

Le grand dessein d’Henri IV

7

3.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre

la paix perpétuelleL’Europe : un projet pour la paix

10

4.

Jean-Jacques Rousseau, Extrait du Projet de paix perpétuelle

Examen du projet de l’abbé de Saint-Pierre

13

5.

Emmanuel Kant, Essai philosophique sur la paix perpétuelle

La paix universelle

18

6.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

Quelle dimension donner à l’Union européenne ?

21

7.

Jean-Jacques Rousseau, Jugement sur la paix perpétuelle

L’Union européenne : un projet peu réaliste ?

23

8.

Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Voir au-delà des limites nationales

25

9.

Louis de Jaucourt, Article « Europe » dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers

L’Europe dans l’Encyclopédie

26

10.

Diego de Torres Villarroel, Voyage fantastique du Grand Piscátor de Salamanque

La géographie de l’Europe

29

11.

Anonyme, Supplément à l’Encyclopédie

Histoire et enjeux politiques

30

12.

Maximilien de Béthune, duc de Sully, Mémoires

Un Parlement européen avant la lettre ?

33

13.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

L’Europe et l’Islam

35

14.

Voltaire, Essai sur les mœurs

La richesse de l’Europe : son héritage culturel !

36

15.

Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain

Régler pour apaiser

38

16.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

Le voisinage de la Russie

39

17.

Voltaire, Le siècle de Louis XIV

L’Europe chrétienne comme grande République ?

40

18.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

L’unité dans la diversité ?

41

19.

Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, L’Esprit des lois

Le commerce européen

43

20.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

La tolérance religieuse

46

21.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

La richesse de la cuisine européenne

48

22.

Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, Lettres persanes

L’Europe vue par les Persans

50

23.

Germaine de Staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales

La littérature du Nord au Sud

53

24.

François-Ignace d’Espiard de La Borde, Esprit des nations

Des caractères nationaux

56

25.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

La diversité linguistique en Europe

59

26.

August Wilhem Schlegel, Résumé des rapports européens de la littérature allemande

Le rôle de l’Allemagne dans la culture européenne

61

27.

Gabriel-François Coyer, Voyage d’Italie et de Hollande

L’enlèvement d’Europe

63

28.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

L’union économique ?

64

29.

Charles de Villers, Constitutions des trois villes libres-hanséatiques

Un marché commun européen

66

30.

Stanislas Leszczynski, Entretien d’un Européen avec un insulaire du Royaume de Dumocala

L’empire de la raison

69

31.

Tomás de Iriarte, « Le Thé et la Sauge », Fables littéraires

La circulation des richesses

71

32.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

La sociabilité européenne

73

33.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

La Sûreté des frontières de l’Europe

76

34.

Marie Leprince de Beaumont, Magasin des adolescentes

L’Europe coloniale

77

35.

Louis-Jules Barbon Mancini-Mazarini-Nivernois, duc de Nevers, Fables de Mancini-Nivernois

Une autre voie pour l’éducation ?

79

36.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

L’importance du commerce

81

37.

Johann Gottfried Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité

Diversité et unité de l’Europe

83

38.

Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne

Critique des mœurs européennes

85

39.

David Hume, Discours politiques

La civilisation européenne

87

40.

Louis-Antoine Muratori, Traité sur le bonheur public

Le progrès de la justice en Europe

89

41.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

Rapprochement des Européens

91

42.

Germaine de Staël, Corinne ou l’Italie

L’Italie et les origines de la culture européenne

94

43.

Marie-Anne du Boccage, Lettres sur l’Angleterre, la Hollande et l’Italie

L’Europe et la mode française

96

44.

Friedrich Schlegel, Voyage en France

L’Europe entre déclin et renouveau

97

45.

Charles-Irénée Castel de Saint Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle

Richesse linguistique de l’Europe

99

46.

Novalis, La Chrétienté ou l’Europe

Un avènement spirituel

100

47.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

Le café : endroit de sociabilité européen

102

48.

Johann Gottfried Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité

Le bonheur en Europe

105

49.

Germaine de Staël, De l’Allemagne

Aux origines de l’unité européenne

107

50.

José Cadalso, Lettres marocaines

La diversité européenne à travers le regard étranger

108

51.

William Robertson, Histoire du règne de l’empereur Charles-Quint

Navigation et échanges commerciaux

110

52.

Johann Gottfried Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité

L’Europe et sa longue histoire de migrations

113

53.

William Robertson, Extraits de l’Introduction à l’histoire de Charles-Quint

L’union dans la diversité

115

54.

Diego de Torres Villarroel, « Sonnet », Divertissements de la Muse

L’Europe, unité politique

116

55.

Louis-Antoine Caraccioli, Lettres récréatives et morales sur les mœurs du temps

À quoi ressemblent les Européens ?

117

56.

James Boswell, Journal d’un tour des Hébrides avec Samuel Johnson

Se vouloir cosmopolite

118

57.

Louis-Antoine Caraccioli, Paris, le modèle des nations étrangères ou l’Europe française

L’Europe à l’heure française

119

58.

David Hume, Discours politiques de Monsieur Hume

Équilibre des pouvoirs et paix future

120

59.

José Cadalso, Lettres marocaines Une république des savants

124

60.

Jean-Charles Simonde de Sismondi, De la littérature du Midi de l’Europe

L’Europe dépassée à l’avenir ?

125

61.

Germaine de Staël, De l’Allemagne

L’union des philosophes

126

62.

Louis-Antoine-Léon de Saint-Just, « Discours de 1794 »

Une idée neuve en Europe

127

63.

Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain

Une vision humanitaire

128

64.

Jean-François Melon, Essai Politique sur le Commerce

Atteindre l’équilibre des pouvoirs

129

65.

Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le Gouvernement de Pologne

Vers une uniformisation culturelle ?

130

66.

José Cadalso, Lettres marocaines

L’Europe et l’Afrique

131

67.

Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique

L’accomplissement des buts de la Nature

133

68.

Napoléon, cité par Emmanuel-Auguste-Dieudonné-Marius de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène

Gouverner l’Europe?

135

69.

Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain

Connaître le monde pour le rendre meilleur

136

70.

Benjamin Constant, De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne

La fin des guerres en Europe ?

137

71.

Napoléon, cité par Emmanuel-Auguste-Dieudonné-Marius de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène

Visions d’avenir

139

72.

José Cadalso, Lettre à Tomás de Iriarte

Critique de l’eurocentrisme

140

73.

Napoléon, Correspondance de Napoléon Ier

Hégémonie politique et union européenne

141

74.

Alexandre-Frédéric-Jacques de Masson de Pezay, Les soirées Helvétiennes, Alsaciennes et Franc-Comtoises

L’Europe sans frontières

142

75.

Jean-Charles Simonde de Sismondi, De la littérature du Midi de l’Europe

Des Influences multiples

143

76.

Jean de Müller, Lettres de Jean de Müller à ses amis MM. de Bonstetten et Gleim

Quel avenir pour l’Europe ?

144

77.

Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes

Le caractère des échanges modernes

146

78.

Pierre-Simon Laplace, Exposition du système du monde

L’Unité par les mesures

148

79.

Victor Hugo, « Le Rhin »

Le couple franco-allemand comme pilier de la paix en Europe

149

Bibliographie

153

Didier Robert de Vaugondy, Atlas Universel (1737), carte n°14. © Bibliothèques-Médiathèques de Metz ATR 5132

Préface

© 2017 Rotraud von Kulessa et Catriona Seth, CC BY 4.0 https://doi.org/10.11647/OBP.0116.01

Le 25 mars 2017, le traité de Rome, qui jetait les bases d’une communauté économique européenne, a fêté ses 60 ans. Au Palazzo dei Conservatori, sur le Capitole, des représentants de six pays — les trois nations du Benelux, l’Allemagne de l’Ouest, la France et l’Italie — s’étaient réunis dans un climat de confiance pour mettre sur pied un accord international. Universitaires, juristes, diplomates, les douze signataires, dont certains étaient entrés en résistance ou avaient été emprisonnés pendant la guerre, entendaient renforcer les liens entre leurs pays et contribuer, par les échanges commerciaux, à stabiliser le continent. Or, six décennies plus tard, l’Union Européenne, qui compte désormais 28 États-membres (ou bientôt 27, avec le retrait britannique à l’horizon) doit affronter des réserves croissantes face au projet qui lui a donné le jour et à son expression. Le scepticisme est désormais dans l’air du temps, où que l’on regarde. Il est parfois nourri par un populisme qui cherche, par le retour aux particularismes et aux nationalismes, le salut d’une partie de la population dépassée par la mondialisation.

Face aux défis actuels — entre autres politiques — auxquels sont confrontés différents pays européens, les chercheurs dix-huitiémistes européens ont souhaité revenir sur des expressions anciennes de valeurs partagées et les interrogations passées sur des questions qui restent souvent d’actualité. Au Siècle des Lumières, nombre d’hommes et de femmes de lettres ont envisagé l’avenir du continent en particulier pour entériner leur souhait de garantir la paix en Europe. Les textes qui suivent, signés des grands auteurs du temps (Rousseau, Montesquieu, Voltaire, Kant, Hume ou encore Staël), comme d’oubliés de l’histoire, présentent, avec quelques excursus chronologiques (de Sully à Hugo) les réflexions de penseurs d’un dix-huitième siècle, aux bornes chronologiques étendues — l’émergence et la chute de l’Empire engendrent des interrogations nombreuses —, sur l’Europe, son histoire, sa diversité, mais aussi sur ce qu’ont en commun les nations qui composent, dans leur variété, un ensemble géographique. Ils mettent en évidence les origines historiques de l’idée d’union européenne avec des textes comme le Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713). L’abbé de Saint-Pierre, auteur de cet essai, tente de proposer une solution novatrice aux convulsions violentes qui ont secoué son pays, la France, et les États voisins au moment de la guerre de succession d’Espagne : une union plutôt qu’un équilibre des puissances, et une association de la Turquie ou des pays du Maghreb pour les intégrer aux réseaux commerciaux, plutôt que de les en exclure. Il défend ce qu’il appelle « un Traité de Police suprême, ou d’Arbitrage européen, qui tienne toutes les parties de l’Europe unies en un même Corps. »

Comme lui, d’autres proposent des plans, relèvent des temps forts du passé, imaginent des développements futurs. Parfois ils se fourvoient, comme nous l’apprend le recul de deux siècles. Ils expriment à l’occasion des idées que nous ne partageons pas toujours ou qui paraissent désormais caduques. Ils ont en commun d’avoir voulu réfléchir à ce qui fait l’Europe dans sa bigarrure comme dans sa singularité, et aux manières d’en envisager l’avenir, d’en avoir célébré la diversité, d’en avoir souhaité, souvent, l’union.

Si au début du XIXe siècle l’idée de l’existence de caractères nationaux et d’identités y afférant continue de se frayer un chemin, des penseurs comme Germaine de Staël — à qui le prince de Ligne écrit « C’est bien pour vous qu’on pourrait mettre sur l’adresse : Au génie de l’Europe » —, ou encore Victor Hugo, qui envisage un modèle fédéral à l’américaine, n’arrêteront pas d’insister sur l’importance de l’unité européenne pour désamorcer les conflits futurs. Dans son célèbre discours au Congrès de la Paix de 1849, annonçant une époque où une guerre entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin paraîtrait aussi absurde et impossible qu’entre Rouen et Amiens ou Boston et Philadelphie, Hugo se faisait le héraut d’un avenir radieux : « Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. » Il donnait le nom d’États-Unis d’Europe à ce qui correspond aux visions des fédéralistes de notre siècle. Il imaginait les progrès de la technique accompagnant ces avancées fraternelles : « Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen Âge ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. »

L’optimisme de Victor Hugo aurait été mis à mal par la montée des populismes et la crainte de l’étranger qui entachent à l’occasion les relations actuelles au sein des sociétés occidentales, mais garde une résonance pour nous qui refusons de nous laisser vaincre par l’esprit de suspicion et nous identifions par un héritage et des ambitions communs, qui célébrons nos différences comme des occasions de partage et d’enrichissement. Sachons écouter Gibbon pour lequel le véritable philosophe pense à l’échelle de l’Europe et ne se laisse pas contraindre par les frontières nationales. Examinons les propositions de Constant pour amener la fin des guerres. Les aspirations de ces penseurs éclairés, même si elles sont parfois marquées au coin de leur temps ou d’un eurocentrisme passé de mode, méritent d’être entendues. Nous sommes leurs héritiers. Ceux qui nous succèdent pourront, à bon escient, demander des comptes sur le devenir de ce legs intellectuel. La présente anthologie, fruit d’une collaboration internationale, offre une diversité d’approches et d’idées et peut-être parcourue au gré de l’envie du lecteur. Elle se veut à l’usage de tous les Européens et sera traduite en anglais et en allemandi.

Les éditrices tiennent à remercier tout particulièrement les collègues et amis qui leur ont apporté une collaboration précieuse à l’occasion de la préparation de ce volume, Nicolas Brucker (Metz), Denis de Casabianca (Marseille), Carole Dornier (Caen), Fabio Forner (Vérone), Marie-Claire Hoock-Demarle (Paris), Juan Ibeas (Vitoria), Frank Reiser (Freiburg), Ritchie Robertson (Oxford et Göttingen), Lydia Vázquez (Vitoria) ainsi que les institutions suivantes : la Société française d’étude du XVIIIe siècle, l’Université d’Augsburg, l’Université d’Oxford.

i Les extraits qui ne sont pas tirés d’éditions de langue française ont été traduits par les soins des contributeurs au présent volume. L’orthographe a été modernisée.

1. Un hymne pour l’Europe

Associé à la neuvième symphonie de Beethoven, un poème de Friedrich Schiller (1759–1805i), l’« Ode à la joie », est devenu l’hymne européen après avoir été chanté dans des salles de concert et des camps de concentration, en Allemagne et bien au-delà des frontières. Symbole de réconciliation, il témoigne à la fois d’une culture classique commune et de l’aspiration à un avenir de fraternité. Le poème, rédigé en 1785, est marqué par le piétisme des proches de l’auteur, mais aussi par un esprit d’ouverture.

O Freunde, nicht diese Töne!

Ô amis, pas de ces accents !

Sondern laßt uns angenehmere anstimmen

Laissez-nous en entonner de plus agréables,

und freudenvollere.

Et de plus joyeux !

Freude, schöner Götterfunken

Joie, belle étincelle des Dieux,

Tochter aus Elysium,

Fille de l’Élysée

Wir betreten feuertrunken,

Ivres de feu, nous pénétrons

Himmlische, dein Heiligtum!

Dans ton sanctuaire, ô divinité !

Deine Zauber binden wieder

Ta magie unit à nouveau

Was die Mode streng geteilt;

Ce que la coutume a sévèrement divisé.

Alle Menschen werden Brüder

Tous les hommes seront frères

Wo dein sanfter Flügel weilt.

Là où ta douce aile se déploie.

Wem der große Wurf gelungen,

Celui qui a eu la grande chance

Eines Freundes Freund zu sein;

D’être l’ami d’un ami,

Wer ein holdes Weib errungen,

Celui qui a trouvé une épouse jolie,

Mische seinen Jubel ein!

Qu’il mêle sa jubilation à la nôtre.

Ja, wer auch nur eine Seele

Oui, de même celui qui n’appelle sienne

Sein nennt auf dem Erdenrund!

Qu’une seule âme sur toute la terre,

Und wer’s nie gekonnt, der stehle

Et que celui qui jamais ne l’a su se dérobe

Weinend sich aus diesem Bund!

En pleurs à cette union !

Freude trinken alle Wesen

Toutes les créatures boivent la joie

An den Brüsten der Natur;

Au sein de la Nature ;

Alle Guten, alle Bösen

Tous les bons, tous les méchants,

Folgen ihrer Rosenspur.

Suivent son chemin de roses.

Küsse gab sie uns und Reben,

Elle nous a donné des baisers et la vigne,

Einen Freund, geprüft im Tod;

Un ami, jusqu’à la mort.

Wollust ward dem Wurm gegeben,

Même le ver a reçu la volupté

und der Cherub steht vor Gott.

Et le chérubin se tient devant Dieu.

Froh, wie seine Sonnen fliegen

Joyeux, comme ses soleils qui volent

Durch des Himmels prächt’gen Plan,

Sur les routes splendides des Cieux,

Laufet, Brüder, eure Bahn,

Poursuivez, frères, votre course,

Freudig, wie ein Held zum Siegen.

Euphoriques, comme le héros qui vole à la victoire.

Seid umschlungen, Millionen!

Soyez embrassés, millions!

Diesen Kuß der ganzen Welt!

Ce baiser du monde entier !

Brüder, über’m Sternenzelt

Frères, au-dessus de la voûte étoilée

Muß ein lieber Vater wohnen

Un père chéri doit habiter.

Ihr stürzt nieder, Millionen?

Millions, vous vous agenouillez ?

Ahnest du den Schöpfer, Welt?

Monde, pressens-tu ton créateur ?

Such‘ ihn über‘m Sternenzelt!

Cherche-le au-dessus du firmament !

Über Sternen muß er wohnen.

Il doit demeurer au-delà des étoiles.

Friedrich Schiller, « Ode à la joie », 1785

Pour lire le texte original en ligne (édition de 1808) : https://de.wikisource.org/wiki/Ode_an_die_Freude

i https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Anton_Graff_Schiller_(1).jpg

2. Le grand dessein de Henri IV

Les mémoires de Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559–1641ii), sont le seul témoignage que nous ayons du grand dessein de Henri IV (1553–1610), roi de France dès 1589, à savoir la confédération d’une Europe chrétienne. Cela lui paraissait tellement chimérique, dit-il, qu’il écouta à peine le monarque la première fois que celui-ci envisagea devant lui « un système politique par lequel on pouvait partager et conduire toute l’Europe comme une famille. » Henri IV pense qu’aucune des nations concernées ne pourra rejeter l’idée compte tenu des avantages qui peuvent en être tirés : « Le profit qu’on leur assure, outre le bien inestimable de la paix, surpasse de beaucoup la dépense à laquelle on les engage. » Dans le contexte des conflits en Europe et notamment dans l’objectif d’enrayer le pouvoir de la couronne espagnole et d’apaiser les conflits religieux, le souverain français conçoit ce plan, en consultant la reine d’Angleterre Élisabeth afin de garantir une paix solide en Europe. Son projet inspira celui de l’abbé de Saint-Pierre au XVIIIe siècle.

Il [Henri IV] voulait rendre la France éternellement heureuse, et comme elle ne peut goûter cette parfaite félicité, qu’en un sens toute l’Europe ne la partage avec elle, c’était le bien de toute la chrétienté qu’il voulait faire, et d’une manière si solide, que rien à l’avenir ne fût capable d’en ébranler les fondements. […]