L'Univers de Kûrhasm - Tome 2 - François de Calielli - E-Book

L'Univers de Kûrhasm - Tome 2 E-Book

François de Calielli

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Beschreibung

Après la mort du Kzâhr Xanghôr, l'Univers de Kûrhasm connut de grands bouleversements sous la gouverne du nouveau monarque, du nom d'Ughâr : une révolution religieuse, deux grandes guerres, de fantastiques évolutions techniques. Le destin de ce monde était, en vérité, hautement spirituel. Celui-ci se réalisa sous la conduite d'Alizhiâs, un Kzâhr d'exception, auquel Dieu avait donné la mission de grand guide. Aussi ses sujets l'adulaient-ils et le voyaient-ils sous les traits d'un demi-dieu.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Je me consacre à l'écriture depuis 2002 après avoir rédigé plusieurs ouvrages entre 1990 et cette date. Mes écrits ont un même fil conducteur spirituel, reflet de l'inaltérable foi en Dieu animant mon cœur. Ce qui m’a conduit à écrire, parfois, des histoires insolites et à devenir un auteur difficile à classer dans un genre.

ISBN : 9 782322 221356

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays

Site internet : www.atypical-autoedition.com

Chères lectrices et chers lecteurs :

Sur le site ci-dessous :www.atypical-autoedition.com

Vous pourrez consulter sur la page dédiée à cet univers très particulier :

L’addenda :

- les cartes géographiques, des explications sur les trois races, divers schémas, des précisions d’ordre géographiques.

La traduction des deux tomes en kurmy (la langue de Kûrhasm)

Le lexique en langue kurmy

Table des matières

Liminaire

Chapitre 1

Année I de la Liëkzel

Chapitre 2

Le post-xanghôrisme

ou

L'inexorable transition

Chapitre 3

Les prémices d'une nouvelle ère

Chapitre 4

La division

Chapitre 5

Année quinze de la Liëkzel (

Grâce et Lumière du Dieu Unique

)

Chapitre 6

La marche vers Vighêz

Chapitre 7

La revanche

Chapitre 8

Le consensus

Chapitre 9

Les signes de la renaissance

Chapitre 10

L'œuvre divine

Chapitre 11

Le Kzâhr guide

Chapitre 12

État des activités

Chapitre 13

Economie de contreparties

Chapitre 14

Année vingt-sept de la Liëkzel

Liminaire

Croyance en Kâmios (cette croyance est expliquées ultérieurement dans le texte)

Phëliz : dieu du jour

- le jour : correspondait au regard de Phéliz – traduction : phëliexhü.

- la nuit : représentait le sommeil de Phëliz - traduction : phënei.

- la lune : veille de Cyë, fille de Phëliz - traduction : Cyë.

- les premières lueurs de l'aube : réveil d'Arhi, fils de Phëliz - traduction : arhexy.

Le dieu Arhi, fils de Phëliz, bénéficiait d'une grande estime au sein de la religion kamiosi (de Kâmios). Il ne manquait pas d'hymnes à la gloire de ce fils du soleil, même si la réalité de cet astre était encore ignorée. Jeune, vigoureux, visage d'or, il ressemblait à un invincible guerrier sur son cheval à la robe de feu. La croyance rapportait qu'il tenait de son père le pouvoir de plonger Kûrhasm pour l'éternité dans une nuit froide et hostile. Le peuple avait de même la conviction que son énergie vitale, dont la foudre était le symbole, apeurait les démons de l'Obscur qu'il dissuadait, donc, de s'aventurer sur la terre de Kûrhasm. Quant aux pères de la religion, ils contaient que Kâmios le fît promptement œuvrer lors du cataclysme qui plongea Kûrhasm, pour un temps indéterminé, dans les ténèbres. Outre Kâmios – le Dieu au-dessus de tous les dieux –, il était à la fois le plus craint et le plus adoré. Les kuriahnz (habitants de Kûrhasm) croyaient fermement qu'il tenait leur destinée dans sa main.

Croyance en Elkhîm (cette croyance est expliquées ultérieurement dans le texte)

Le temps était rythmé par la Liëkzel (Grâce et Lumière) d'Elkhîm qui les gratifiait de sa Lumière (le vocable « liëkzajuniom » remplaçant désormais « phëlizilhöljë »). Le changement religieux n'avait pas fait évoluer la conviction selon laquelle le regard de Phëliz (dans l'ancienne croyance) ou le rayonnement de la Liëkzel (dans la nouvelle croyance) permettait la manifestation du jour. La nuit correspondait donc au retrait de cette Liëkzel.

Ainsi :

- le jour - manifestation du don – traduction : liaiz.

- le matin - descente de la Liëkzel - traduction : lieskenz.

- le milieu de la journée - phénomène de l'éclat de la Liëkzel - traduction : hëliz.

- le plein midi - point zénithal de l'éclat de la Liëkzel - traduction : akliz.

- la journée - déroulement de la Liëkzel - traduction : liexi.

- le soir - ascension de la Liëkzel - traduction : ürzela.

- la nuit - repos de la Liëkzel - traduction : lieniuz.

- la lune - veille d'Elkhîm - traduction : sylhië.

Par l'interprétation du changement de la luminosité du jour, les kuriahnz (habitants de Kûrhasm) avaient développé l'intuition du temps. Par conséquent, ils parvenaient à évaluer les différents moments de la journée avec une remarquable précision.

Chapitre 1

Année I de la Liëkzel

Lors de la révélation de l'Elkhîm Unique, Prophys avait eu l'impression d'une concomitance entre la voix de Kilhindrâ et celle de son âme. Il s'était agi d'une sorte de baptême vibratoire par la vérité de la Liëkzel, de l'insufflation instantanée d'une sublime connaissance par la déesse. Ce don d'Elkhîm – qui permettait la manifestation du jour jusqu'à l'heure du retrait – lui était donc apparu puissamment évident ; pareillement à la veille de la Liëkzel dans le haut du ciel sous la forme d'une grosse étoile aux aspects changeants, afin que ce monde n'en fût jamais réellement privé. Prophys avait pris soin ensuite d'instruire Ughâr sur cette novation supplantant, désormais, la croyance en un Phëliz se réveillant chaque matin et s'endormant chaque soir. Feu Xanghôr avait effectivement investi son successeur de la difficile tâche d'institutionnaliser la nouvelle religion décrétée, Prophys ayant celle de constituer un effectif religieux apte à promouvoir l'avènement de l'Elkhîm Unique d'Amour.

La disparition du Kzâhr Xanghôr avait suivi de peu de temps la brève initiation de Prophys par la vénérée Kilhindrâ. Suite à un processus vibratoire, elle avait empli le cœur de ce dernier et de manière à ce qu'il pût œuvrer pour la mutation de cet univers. Ughâr décréta donc l'an I de la Liëkzel à partir de cet événement. Il annulait ainsi le calendrier des lunaisons institué par l'illustre Kzâhr Tzôriam, aiëul bien-aimé de Xanghôr qui régna 264 ans environ avant celui-ci. Sous le règne de ce monarque, les scientifiques avaient opéré, en outre, une rationalisation arbitraire du temps. La division en jours, semaines, mois et années avait été qualifiée de révolutionnaire par le peuple de cette antique période. Par conséquent, les Anciens avaient déterminé la journée sur la base du regard du dieu Phëliz et le mois sur celle de la contemplation des durées de veille (en vérité, des cycles lunaires) que la croyance attribuait aux manifestations de la déesse Cyë – ce nom étant entré dans le langage courant pour qualifier la veille –, fille de Phëliz et chargée par lui d'empêcher les mauvaises œuvres de Fatick (divinité du mal et devenu un terme du langage courant) sur cet univers. Après de longues observations et palabres, auxquelles les religieux avaient apporté leur éclairage inspiré, il avait été défini que le mois compterait trente jours, quoique le nombre vingt-neuf était apparu, à l'époque, plus conforme aux brillances, certes capricieuses, de Cyë. Concernant la semaine, le nombre douze – sacralisé par la prétendue recréation de l'univers en douze périodes de temps par Kâmios – avait présidé.

Il avait été fait référence aussi aux douze provinces de Kûrhasm et à l'intuition de douze moments au niveau des variations du regard de Phëliz. Passant outre les avis divergents – cette durée scientifique s'avérant, selon lui, peu rationnelle au plan économique – le Kzâhr Tzôriam avait alors décrété une semaine de six jours et établi le mois à cinq semaines. Le temps de travail hebdomadaire des kuriahnz avait été fixé, quant à lui, à cinq jours – chaque journée de labeur s'accordant avec les dix moments principaux du regard de Phëliz – et le repos à un jour. Fort des récents comptes rendus des scientifiques et du propos inspiré de l'Ordiâk, Ughâr décida que hëvium (nom du premier jour de la semaine) de juldö1 serait désormais le jour du début de l'année I de la Liëkzel, que le mois compterait vingt-huit jours, soit quatre semaines de sept jours, pour des raisons pratiques. Parallèlement, il arrêta la semaine de travail à six jours tout en perpétuant les astreintes du lourd horaire précédent. Il estimait, en effet, ce volume d'activité nécessaire à la bonne santé de l'économie de contreparties en place (voir les explications sur ce type d'économie dans l'addenda sur le site). Soucieux aussi d'annihiler toute référence à Phëliz, une façon de sortir l'ancienne religion des esprits et de rendre sa relégation effective, il changea, toujours avec l'aide de Prophys, les termes de phëliexhü, joliex, zijeid et aniphëxi (jour, semaine, mois et année dans l'ancienne religion), par ceux de liaiz, ethaliz, zeiliz et xöz (jour, semaine, mois et année dans la nouvelle religion), puis de lieskenz, aliezu, ürzela, lieniuz, hëliz, akliz, sylhië pour, respectivement, le matin, l'après-midi, le soir, la nuit, l'éclat de la Liëkzel en milieu de journée, l'éclat de la Liëkzel au zénith et la veille.

1 Le premier jour du mois le plus froid et correspondant au solstice d'hiver (suite à une observation du soleil par Prophys)

Chapitre 2

Le post-xanghôrisme ou L'inexorable transition

Durant de longs mois, les kuriahnz (habitants de Kurhasm) pleurèrent Xanghôr ... un monarque mort à l'aube de sa trentième année. Par une narration arrangée de sa grandeur et de son œuvre sur les terkhalkz2 du krönhystrum (qui répertorie l'histoire de Kûrhasm), le rhis Ughâr avait eu pour souci de permettre au peuple de le déifier plus encore. Il avait également reporté la transmission officielle du zahrohl kzöhr (le sceptre de l'Autorité) pour laisser le temps à ce dernier d'assimiler le fait de l'inexorable disparition du souverain défunt. Ce brutal trépas de Xanghôr, un Kzâhr aimé – en dépit de son comportement fantasque et irresponsable – avait de même profondément choqué une Cour fortement miotiahl (de race miothy). Les nobles de Tyzaregh avaient eu le privilège de voir grandir ce fils unique du Kzâhr Vighêz et d'apprécier son talent précoce de poète – ayant montré de belles dispositions en la matière à l'âge de l'adolescence –, puis d'assister à son installation officielle sur le trône par le Prâktir Zyarik (chef de l'ancienne religion) après la mort foudroyante de son père à l'âge de quarante et un ans. Un grand et prévoyant Kzâhr qui avait procédé, déjà de son vivant, à la transmission du symbole de l'Autorité. Lors de la tentative d'abdication de Xanghôr, Ughâr avait pu constater combien les sujets adulaient celui-ci … au-delà de certaines critiques à propos de son refus d'assumer les contraintes de sa charge de monarque. Au village de Tyzaregh, tous regrettaient cet homme sensible, poète et comédien – à l'occasion souverain – qui avait su déclamer avec emphase sa belle lyre ; même s'il ne les avait plus ravis après l'appel de l'inconnue de son rêve, puis de Kilhindrâ. Moment où il avait pris aussi la décision de gouverner depuis le palais d'Hüzom en Anaphysis. Alors que tous l'avaient imaginé, ensuite, prenant du bon temps avec sa Zheirah octavonne et goûtant avec elle les joies de véhémentes étreintes, son cœur s'était en vérité langui ; car elle l'avait contraint à un amour platonique. Il ne lui avait pas été facile de s'adapter à la façon d'aimer de Kilhindrâ, sainte déesse venue en cet univers pour accomplir, via celui-ci, une mission. Après son décès, le ciapiriat Rëhmiog, les zahratz (les gardes personnels du Kzâhr) ou les domestiques s'étaient abstenus de commenter la vie réelle de leur Kzâhr durant cette période anaphysiahl (d'Anaphysis, voir la situation de cette province dans l’addenda sur le site). Ainsi ils avaient gardé jalousement pour eux leurs observations, voire magnifié les faits à l'occasion. Si les habitants du Tëtrys n'ignoraient plus que Kilhindrâ fût une envoyée de cet Elkhîm, que Prophys déclara ensuite Unique et Transcendant, le décret par Xanghôr d'une nouvelle religion, et venant se substituer à celle établie par les pères religieux de Kûrhasm, en avait dérouté plus d'un au sein des dix autres provinces. Malgré cet ésotérisme, cette arlésienne avait finalement touché une population encline à l'idéal. En effet, beaucoup avaient assisté à une de ses furtives apparitions, au moins, sur son étalon blanc en compagnie de feu leur Kzâhr bien-aimé. Le krönhystrum (qui répertorie l'histoire de Kûrhasm) se plaisait aussi à conter qu'elle l'avait porté vers un haut ciel en récompense de son allégeance envers Elkhîm. Suite à sa folle et fatale décision, Xanghôr avait disparu en serviteur de ce Dieu annoncé comme le puissant Créateur de cet univers et dont la vérité rendait caduque celle de Kâmios. Conformément à la prédiction de Kilhindrâ, la mémoire collective retiendrait donc qu'il fut un Kzâhr religieux. Une femme que nul n'avait eu le privilège d'approcher ou même d'entrevoir, hormis les gens au service du Kzâhr décédé au château d'Hüzom, Ughâr, Prophys ou la petite Antamyâ qu'elle avait sublimement bénie au fin fond du Grëmanganath. Lors de nostalgiques évocations, la Cour déplorait encore de n'avoir pu admirer cette créature soi-disant magnifique. Les nobles et autres notables ignoraient que l'humilité de cette dernière – un état propre à sa divinité – aurait empêché les regards curieux sur son insolite apparence. Aujourd'hui, la religion de l'Elkhîm Unique, que l'Ordiâk Prophys (chef de la nouvelle religion) s'était engagé à faire connaître en tous lieux de Kûrhasm, n'enthousiasmait guère la partie du peuple attachée à la tradition. Elle créait plutôt une division en son sein.

N’étant le père d'aucun autre dieu ou déesse, cet Elkhîm paraissait froid et trop lointain. Par fidélité à la mémoire du monarque disparu, les sceptiques feignaient d'accepter l'idée de cette nouveauté tout en continuant de louer dans leurs temples la religion de Kâmios. Gravée depuis des temps immémoriaux dans les terkhalkum sacrés (tablettes en pierre contenant des textes sacrés), il serait donc difficile de la sortir de leurs cœurs.

Premier d'une nouvelle lignée ayant la mission de conduire le peuple de cet univers vers la Liëkzel d'Elkhîm (la Grâce et la Lumière), Ughâr fut officiellement intronisé sur le trône dans le Zahrkëlyum (Palais du Kzâhr) par Prophys, vu que ce dernier détenait dorénavant le pouvoir religieux sur Kûrhasm en lieu et place de Zyarik. Prâktir (grand chef de l'ancienne religion) évincé par Xanghôr, ce dernier niait évidemment l'autorité sacerdotale de l'Ordiâk (grand chef de la nouvelle religion), en dépit d'une grande considération pour l'homme. Avec sa haute taille (2,30 m, 130 kg), comme tous ses congénères miotiahnz (de race miothy), ses cheveux roux foncés et son regard à l'iris couleur marine entourée de jaune clair, le Kzâhr, âgé de trente-trois ans, avait belle allure et ne manquait pas non plus de charme. Nul miotiahn (homme de race miothy) ou miotinha (femme de race miothy) n'en arriverait en outre à corrompre sa propre âme en s’adonnant à la fornication.

Il continuait l'œuvre de Xanghôr en faveur du développement de l'art et de la culture, étant musicien à ses heures. Néanmoins, les obligations du pouvoir ne lui permettaient guère, depuis plusieurs années maintenant, de consacrer du temps à sa passion. N’ayant pas, en outre, le talent poétique de son prédécesseur, il ne savait point ravir la Cour de Tyzaregh par de mélodieux alexandrins ni l'amuser à travers des pamphlets ou des silles. Quoique sa sensibilité assez proche de celle de Xanghôr n'avait pas échappé à celle-ci, elle le percevait sous le jour d’une personne très différente. Certes, les nobles et les notables auraient jugé inadmissible qu'il eût les goûts fantasques du souverain défunt. Mais il n’était en rien un rêveur et enclin, donc, à partir en quête d'une merveilleuse fascination. Pourtant, son être resterait secrètement empreint du souvenir de Kilhindrâ, tant le regard magnétique et l'exceptionnelle hauteur d'esprit de cette alliciante Zheirah (titre nobiliaire le plus élevé après celui de Kzâhrah) l'avaient envoûté. Convaincu qu'elle siégeait pour l'éternité en haute place dans les Cieux, il s'était fait un devoir de l'immortaliser par la gravure de son histoire sur un terkhalk3 du krönhystrum à côté de celle de Xanghôr. Les générations futures douteraient certainement de l'existence sur cette terre d'une telle créature, le récit de cette déesse ressemblant à une fable imaginée par un conteur. Pour sa part, il avait eu la faveur d’admirer sa beauté parfaite. Elle aurait même pu lui tourner l'esprit jusqu'à lui faire oublier son statut de miotiahn. Naturellement, les nobles valeurs propres à sa race, son grand amour pour Istyanhië – une superbe miotinha de vingt-quatre ans à la chevelure couleur de l'or brûlé, avec de grands yeux à l’iris vert et aux splendides nuances sur une cornée jaune clair ainsi qu’une âme pétrie de lumière – auraient dissuadé la tentation du péché. Femme cérébrale, cultivée, d'une belle finesse d'esprit et d'une redoutable diplomatie, la Kzâhrah avait su charmer la Cour qui voyait en elle une souveraine digne d'égaler les plus grandes. Douce égérie d'Ughâr, elle le conseillait utilement sur les questions ou décisions concernant Kûrhasm, l'informant aussi avec à propos sur les détails échappant à sa sagacité. Conscients de cette influence sur leur monarque, les ministres se plaisaient à gloser gentiment en catimini tout en vouant à Istyanhië un indéfectible respect et une authentique affection. D'autant qu'ils estimaient grandement ce Kzâhr intelligent, à l'excellente droiture morale et aux louables bonté et humilité de cœur. Ils appréciaient aussi ses estimables efforts pour préserver l'intégrité de cet univers.

Ainsi ils admettaient que Xanghôr avait fait preuve d'un haut discernement en le nommant rhis, puis en lui transmettant le zahrohl kzöhr (sceptre et symbole de l'Autorité). Nul n'aurait aimé que Niëvor eût ce privilège. Il s'en était pourtant fallu de peu lors de l'abdication du souverain disparu, mais, heureusement, non officialisée. Dotée d'un tempérament plus opportuniste et nourrissant le secret désir de le voir s'élever au-dessus de ses pairs dans le krönhystrum (tablettes consignant l'histoire de Kûrhasm), Istyanhië induisait discrètement son époux à typer son règne. Or il ne se souciait guère de sa gloire posthume, ne projetant pas, non plus, de devenir une icône de son vivant. Ses seules intentions étaient d'accomplir sa tâche de monarque avec grand sérieux, de faire progresser son peuple et de poursuivre au mieux les idéaux de son prédécesseur dont il ne cesserait d'admirer le charisme. Le Bakahn Ozapiax (titre nobiliaire le plus bas), dudzi (gouverneur provincial) de l'Hëliasm – province de naissance de la Kzâhrah – envoya Arselham à Tyzaregh, un talentueux poète meiriahn (3ème race, peau noire). Après l’avoir testé, Ughâr l’intégra, dans la troupe de la Couronne. Tout en gratifiant les nobles de l'agrément de soirées animées par les meilleurs artistes de Kûrhasm, il réfléchissait à la possibilité d'un accès à la culture par tous.

Le nouveau Kzâhr n'avait pas pleinement conscience de pérenniser la mémoire de son illustre prédécesseur que des habitants affirmaient apercevoir, de temps à autre, sur un étalon d'un beau blanc. Quoique dubitatif vis-à-vis de ces visions, il jugeait que cela venait à point nommé pour compenser la frustration du changement religieux. Depuis sa mort et son envol avec la déesse Kilhindrâ, tous voyaient en Xanghôr un être céleste et non plus simplement un Kzâhr élevé en un lieu privilégié des Cieux ... à l'instar de ses ancêtres. De surcroît, les conteurs itinérants racontaient, en l'embellissant, la légende de cette extraordinaire ascension. Ils passionnaient, ce faisant, un auditoire féru de mystère. Sauf la religion obligatoire de l'Elkhîm Unique, qui prohibait l'adoration de l'ancestral panthéon, les artistes auraient érigé assurément le monarque disparu au statut d'un dieu protecteur. Le peuple ne lui tenait pas grief d'avoir décrété un nouvel ordre religieux et, malgré son retrait des affaires de l'État, il occuperait à perpétuité une haute place en leurs cœurs comme au sein du krönhystrum. Il avait sorti ce monde de sa monotonie avec sa Zheirah à la peau d’octavonne, une créature venue de nulle part et volant dans le ciel sur un cheval à la robe de neige. L'avènement de cet amour demeurerait ésotérique, comme nul souverain de cet univers n'avait autant ignoré la tradition par un projet d'hymen avec la plus insolite des femmes. Les kuriahnz (habitants de Kûrhasm) convenaient, entre eux, que Kâmios avait empêché l'aboutissement d'une telle union sur Kûrhasm en les ramenant tous deux en son giron.

Des tensions sournoises tiraillaient, à présent, cet univers que la verve poétique et cicéronienne de Xanghôr aurait incontestablement dissuadées. Malheureusement, Ughâr ne possédait pas ce talent de tribun. Il sous-estimait, de surcroît, les rancœurs en train de germer, persuadé que le légendaire pacifisme et l'attitude raisonnable de ses sujets l'emporteraient. S'agissait-il de revendications passagères ou du prodrome d'une grande crise en ce monde, voire d'une agressivité enfouie au fond de l'ego de ces êtres ? Ces velléités antagonistes recelaient-elles un dessein propre à faire marcher cette humanité vers son destin ?

2 Tablette de terre cuite recouverte au dos d'une fine lamelle de métal plus ou moins précieux selon l'importance de celle-ci, puis peinte et vernie après avoir été gravée

3 Tablette de terre cuite recouverte au dos d'une fine lamelle d'or, puis peinte et vernie après avoir été gravée et servant aux écrits importants du palais de l'Autorité

Chapitre 3

Les prémices d'une nouvelle ère

-1-

Informé des oppositions en train d'émerger au sein de certaines provinces, le Kzâhr se résolut en fin de compte à considérer la réalité avec lucidité et à admettre, par conséquent, le danger de cette vaine idéalisation du peuple. Il aspirait cependant à un maintien de la cohésion de Kûrhasm ; car il nourrissait encore le crédule espoir que chacun aurait à cœur de ne pas transformer cette terre en un lieu miné par la violence. De leur côté, ses ministres l'avertissaient qu'il suffirait d'une main perfide pour enclencher le processus d'un enchaînement incontrôlable, ne cachant pas, non plus, leur crainte de prochaines guérillas inter-régions. S'il n'ignorait pas le motif à l'origine de cette animosité, il déplorait cette perspective belliciste. Il avait foi néanmoins qu'un dialogue constructif endiguerait la dérive. Cet univers ne se lassait-il pas finalement de son vieux pacifisme, victime d'une force démoniaque saisissant cette opportunité pour exhumer une animalité fossile ? Les conflits, jusque-là mineurs, menaçaient de s'amplifier et de faire éclater Kûrhasm en deux camps ou plus encore. Toutefois, Ughâr refusait cette hypothèse qu'il jugeait effrayante. Il n'avait jamais été confronté à des situations de crise. Aussi l'ampleur de celle prédite par certains de ses collaborateurs lui semblait-elle exagérée. Il réfléchissait plutôt au moyen de ramener à la raison ses sujets. Istyanhië lui suggéra d'écrire un discours, à l'instar de Xanghôr lors de son adieu au peuple. Suivant le judicieux conseil de sa chère épouse, il s'efforça de concocter une déclaration vantant la tradition pacifiste de Kûrhasm et invitant les habitants à lui présenter leurs doléances via les gouverneurs provinciaux. Il aurait aimé savoir leur dire ces choses en vers, ayant constaté, à l'époque de sa charge de dudzi (gouverneur provincial) du Tërasthan (nom d'une province, voir la carte dans l’addenda), l'engouement des kuriahnz (les habitants de Kûrhasm) pour cette forme de communication. Les agréables rimes de ces allocutions avaient charmé, d'ailleurs, son cœur d'artiste. Se remémorant les paroles d'Isthyanië, il acquiesçait maintenant à la nécessité de commencer à afficher sa différence et d'abandonner une puérile dépendance à son bien-aimé prédécesseur. Sa résolution réjouit son épouse qui s'ingéniait à le pousser à révéler sa belle personnalité et à s'affirmer dans son rôle de Kzâhr.

« Moi, Ughâr et Kzâhr de Kûrhasm, j'exhorte les hommes et les femmes de ce monde à faire taire leurs rancœurs religieuses. Mes bien-aimés sujets, je connais votre légendaire douceur. Aussi j'ai confiance que vous choisirez, en final, un débat sain et raisonnable, plutôt que la violence et je suis certain que vous mesurez déjà les effets désastreux que cette dernière aurait sur cet univers. Les miasmes du mal tueraient pour longtemps ces dons de l'Elkhîm Unique que sont la tranquillité et l'harmonie. Il s'agit de privilèges fragiles qui nous seront retirés si nous en nions l'importance. Par conséquent, soyons vigilants ! Efforçons-nous d'œuvrer dans le sens que nous inspire l'Elkhîm Tout-Puissant, puisqu'il nous a fait la faveur extrême de se révéler à nous. Xanghôr fit preuve d'une belle sagesse en reniant sa croyance en Kâmios et autres dieux en dessous pour obtempérer à l'Elkhîm d'Amour, aussitôt après la révélation par la Zheirah Kilindrâ, et en décrétant la vénération de Celui-ci en tous lieux de Kûrhasm. Chers kuriahnz et chères kurinhaz (les habitants et habitantes de Kûrhasm), il a agi dans ce sens avec le souci de nous conduire vers la suprême Liëkzel (Grâce, mais aussi Lumière du Dieu Créateur), car elle est le chemin pour adorer l'Éternel. Sachez que vous attirerez sur cet univers les pires tourments si vous refusez de reconnaître la vérité et l'autorité de cette unique voie de Lumière. Faites taire sans retard vos rancœurs iniques et prenez garde de ne pas élever un autel à la haine dans vos cœurs ! Envoyez plutôt vos dissensions périr dans la géhenne. Surtout, ne considérez pas avec légèreté la présente recommandation ! Mon intime désir est de protéger Kûrhasm et de vous épargner de terribles souffrances. Je poursuis donc le chemin montré par feu le Kzâhr Xanghôr. Décidez de vénérer, désormais, l'Elkhîm d'Amour et de Liëkzel et vous entourerez à jamais cette douce terre d'un magnifique rayonnement ! Hommes et femmes de Kûrhasm, paix en vous ! ».

Après que les terkhatz (secrétaires-graveurs) eurent gravé l'allocution accompagnée de quelques instructions complémentaires, le Kzâhr ordonna à Tunvisthiam, le ciapiriat (commandant) de la zahrasti, de dépêcher des hommes pour le transport des onze terkhalkz (tablettes) vers les dudziz des différentes provinces. Ainsi il enjoignait ces derniers à faire résonner l'hymne de Kûrhasm après la lecture à leurs administrés, puis à procéder à une enquête en vue de l'évaluation des réactions. De son côté, la Kzâhrah l'engageait à agir ; car elle avait eu vent de menées souterraines visant à encourager la constitution de factions d'opposants à la religion instituée.

Le Bakahn (titre nobiliaire le plus bas) Kalkhoum, dudzi du Tëtrys, fit lire par un messager (des messagers diffusaient les nouvelles de l'Autorité et autres dans les provinces) le terkhalk du discours du Kzâhr aux gens de la capitale sur la vaste place Hisphas. Parallèlement, d'autres avaient été envoyés vers les villes principales et secondaires ainsi que les villages de la province. Depuis celles de Xanghôr, joliment lyriques, les habitants accouraient à l'annonce d'une déclaration du souverain. Ils avaient l'opportunité de découvrir aujourd’hui le style d'Ughâr, certes dénué de la belle emphase de son prédécesseur. Outre que les occasions de s'adresser à la population ne s'étaient guère présentées depuis le début de son accession au trône, son inclination à la discrétion l'amenait à préférer la réflexion dans son cabinet privé du Zahrkëlyum (Palais du Kzâhr). Néanmoins, il avait tenu à assister à cette lecture pour supputer l'effet de sa prose sur cet échantillon du peuple. À la fin de la communication, les musiciens jouèrent et le chœur chanta l'hymne de Kûrhasm. Son cœur éprouva alors un fort émoi ainsi qu'une grande fierté d'appartenir à ce bel univers.

« Kûrhasm, Kûrhasm,

Univers cher à nos cœurs,

Kûrhasm, Kûrhasm,

Qu'Elkhîm a béni d'excellence,

Pour que délicieuse y soit l'existence

Et sans pareille l'harmonie.

Kûrhasm, Kûrhasm,

Par les dieux, joliment ciselé

Comme une merveille des Cieux,

D'une auréole de lumière orné,

D'un sublime linceul bleu entouré,

En cet univers privilégié

Nous louons la faveur d'exister.

Kûrhasm, Kûrhasm,

Demeure pour l'éternité

Ce lieu d'une inégalable beauté,

De plénitude pour les âmes,

Du Ciel, un rayonnant reflet,

De la vie, un brillant idéal.

Entends l'exultation de nos cœurs !

Kûrhasm, Kûrhasm !

Une partie de la foule acclama le Kzâhr, manifestant ainsi son approbation et son adhésion à la religion monothéiste. Une autre quitta la spacieuse place, visiblement sceptique et mécontente. De sa position en hauteur, le souverain put observer l'ambiguïté des réactions des habitants de la capitale. Ces personnes étaient, pourtant, traditionnellement favorables aux décisions de l'Autorité en place. Se souvenant des cris, des vivats et de l'allégresse que les allocutions de Xanghôr avaient provoqués, cette demi-indifférence à son égard le peina. Cela ne l'incitait pas néanmoins à jalouser la vénération dont ce dernier avait bénéficié, vu qu'il n’aspirait pas à la moindre gloire ou autres honneurs en ce monde. En revanche, cette situation l'inquiétait ; même s'il s'efforçait de ne pas dramatiser. Il relativisait ces frêles prémices de discorde, convaincu que la disposition de cœur constructive de son peuple catalyserait, en final, cette irritation. Tout en comprenant que la nouveauté religieuse pût courroucer nombre de kuriahnz, il prenait pour un fait acquis l'intégration de celle-ci en espérant que cela n'empêcherait guère un retour de la douceur de temps pas si lointains en cet univers. Il écouta les observations éclairées de la Kzâhrah, impatient de lire aussi le rapport du lëgiat (grand coordonnateur) sur le sondage opéré par les gouvernements des provinces.

Isthyanië mit au monde un superbe bébé, un mâle qu'elle présenta à Elkhîm sur la placette Zahin de l'enceinte du Zahrkëlyum à l'heure où la Liëkzel (Grâce et Lumière du Créateur) est au zénith et en le priant d'en insuffler avec munificence sa progéniture. Elle requit l'aide de Prophys pour le choix du nom qui lui suggéra de l'appeler Alizhiâs, arguant que la vibration de ce dernier correspondait à la lumière rénovatrice. Elle reçut avec un bonheur démonstratif cette merveilleuse intuition. Après avoir embrassé affectueusement l'Ordiâk (grand chef religieux) sur la joue, elle hurla en s'époumonant quasiment : « Hüüüv Aliiizhiâââââs ! » (Vive Alizhiâs !). Les yeux mouillés par l'émotion, le chef religieux souhaita intérieurement un destin de grand Kzâhr au nouveau-né. La Kzâhrah le considéra alors avec affection, un lumineux sourire sur le visage. Il lui confia qu'il avait vu une lumière blanche descendre vers l'enfant et l'envelopper au moment précis où elle l'avait porté haut en criant ; puis il ajouta que, selon lui, une âme peu banale habitait ce corps. L'aréopage de nobles conviés à cette petite cérémonie applaudissait, debout, tandis que le bébé pleurait, effrayé sans doute par l'ambitieux projet de vie prophétisé à demi-mot par Prophys. Heureux homme, la descendance de l'Autorité étant désormais assurée, Ughâr ordonna au chef messager d'organiser l'information de la population pour que tous pussent se réjouir de l'avènement d'un Zheiry héritier. Or la nouvelle n'eut pas l'écho espéré, une relative froideur qui s'ajouta à la tristesse de l'indifférence du peuple après la lecture du discours. Invétéré optimiste, il continuait d'espérer, pourtant, que l'opinion des kuriahnz évoluerait lorsqu'ils feraient le constat de sa loyauté et de ses saintes intentions. À Tyzaregh, par contre, une grande fête eut lieu où nobles et notables se réjouirent de la venue du premier-né Alizhiâs.

-2-

Le Kzâhr convoqua le daliz (ministre général) Ghiskiäj qui arriva en compagnie du lëgiat Manghät. Soucieux de rétablir la tradition rompue par les illustres Kzâhrz Môzhul, Vighêz et Xanghôr, selon laquelle la plus haute charge près du Kzâhr devait être occupée par un miotiahn (individu de la 1ère race), il avait décrété l'annulation de la fonction de rhis. En revanche, il n'existait pas de contraintes concernant les postes de ministre, ceux-ci pouvant être distribués à des himotiahnz (individus de la 2ème race) et, exceptionnellement, à des meiriahnz (individus de la 3ème race). Sujet aux insomnies, à cause de cette situation anxiogène, il avait tenu à ce que ces derniers vinssent tôt le matin pour une réunion informelle dans son cabinet de travail. Fustesht, son deuxième serviteur, avait apporté une collation – petits pains au miel, pains gâteau, lait de nuckox nature, lait aromatisé au latasin ou murinha (fruits), zhian parfumé aux dyanz, xëzinth et hexagho (infusion semblable au thé et diversement parfumée) – qu'il avait posée sur une petite table en rëmist (bois luxueux) marquetée d'ëbury (matière extraite d'un arbre du nom d'ëburis et semblable à l'ivoire) près de laquelle il attendait.

- Dahz Ghiskiäj, Bakahn Manghät donnez donc votre choix à Fustesht que je puisse le libérer.

- Je prendrai volontiers un verre de zhian au xëzinth et un pain gâteau, dit en premier Ghiskiäj.

- Quant à moi, je veux bien me régaler d'un verre de lait aromatisé à la murinha et d'un pain gâteau également, enchaîna Manghät.

Le domestique servit les invités du Kzâhr, puis il s'enquit avec déférence auprès de ce dernier :

- Eld Zhiaki (Votre Seigneurie), prendrez-vous votre zhian habituel au dyanz ?

- Tout à fait, mon ami.

- Celui-ci servit avec zèle son maître dont il attendit l'ordre ensuite de quitter la pièce.

- Tu peux disposer, Fustesht.

Le serviteur meiriahn (de race noire) parti, Ughâr entra directement dans le vif du sujet.

- Je vous ai conviés à cette réunion de travail pour vous entendre sur l'enquête que j'avais ordonnée aux administrateurs des différentes provinces et recueillir aussi votre propre analyse.

- Je laisse au dyaz Bakahn (monsieur le Bakahn) le soin de vous commenter l'action qu'il a entreprise suite à votre ordre, s'empressa le Dahz (haut titre nobiliaire, juste au-dessous de Zheiry). Manghät était un miotiahn au regard de couleur gris foncé et plutôt doux avec une calvitie précoce (âgé de 29 ans). Sa nature hésitante avait le don d'agacer le Kzâhr.

- Zyâr (Sire), j'ai réuni les dudziz au Zahrkëlyum pour recueillir le résultat de leur sondage auprès des habitants de leurs régions respectives.

- Et que t'ont rapporté ces chers dudziz ? S'enquit Ughâr.

- Votre discours a mis en exergue un début de division.

- Qu'en est-il exactement ? Sois plus précis, interrogea le Kzâhr sur un ton assez autoritaire.

- Voici, Kagîz (Majesté). En fait, les dudziz ont évoqué un net partage entre les fidèles à Kâmios et les adeptes de la nouvelle religion instituée par notre vénéré Kzâhr Xanghôr. Concernant cette question religieuse, j'ai pu observer, en outre, une flagrante mésentente entre ces derniers.

- Et quel genre de désaccord, dyaz Bakahn ? S’impatienta le souverain.

- Quatre dudziz sont manifestement dans le camp des fidèles à Kâmios.

- Qui sont ces quatre ? Questionna sèchement et nerveusement Ughâr.

- Le Moshy Roufimiek du Volongoth, le Dahz Fezlhik du Grëmanganath, le Moshy Costiak de l'Obëxan et le Bakahn Abheng du Phrangys. Les adhésions de Costiak et Abheng à l'ancienne religion ne sont pas nouvelles étant donné leur allégeance à Niëvor du temps, déjà, où ce dernier occupait le poste de rhis. Je m'étais d'ailleurs alarmé auprès de Xanghôr, à l'époque, de cette soumission qui cachait, à mon sens, des projets …

- Le Zheiry trame souterrainement sa toile, intervint Ghiskiäj.

- Aurais-tu des informations ? Demanda Manghät à son supérieur.

- Absolument. J'ai appris qu'il s'escrime à souffler sur les foyers de haine avec l'intention de provoquer un embrasement.

- Cela ne me surprend guère, renchérit le souverain. Nous avons affaire à un fieffé teigneux.

- Je compte faire procéder à une enquête par le Moshy Hastack (titre nobiliaire de 2ème degré), afin que nous sachions véritablement s'il prépare en secret des actes séditieux, précisa le Dahz.

Ughâr appréciait la droiture et la détermination de Ghiskiäj, un miotiahn de trente-quatre ans, plus mince que ses semblables, un beau regard marine pommelé de bleu et des cheveux très roux coupés court.

- Tu as mon accord, rétorqua le Kzâhr. Bien, nous avons donc quatre provinces opposées à la nouvelle religion et dont il faut grandement se méfier. Il s'agit, en fait, de quatre himotiahnz félons. J'espère que l'himotiahn Liëvanhac de mon cher Tërasthan n'ira pas rejoindre ces ostrogoths. Que penses-tu de l'himotiahn Jazim du Cëldys, dyaz lëgiat ?

- Je ne l'ai pas vu approuver la démarche contestataire de son voisin Abheng.

Toutefois, Kagîz, il va se trouver confronté, pareillement à Liëvanhac, à d'éventuelles actions sur son sol par Abheng, mais probablement aussi par Costiak et Roufimiek.

- Tu évoques une situation de guerre, Bakahn Manghät, s'alarma le Kzâhr. J'ose espérer que le peuple n'en viendra pas à cette folle extrémité. J'ai confiance que tout cela finira par s'apaiser et que miotiahnz, himotiahnz et meiriahnz reconnaîtront la vérité de l'Elkhîm Unique. Dyaz bakahn, tu crois en Elkhîm, n'est-ce pas ?

- Quelle question, Zyâr ! Je suis un miotiahn et vous n'ignorez pas combien j'étais très attaché à notre Kzâhr disparu. Ma fidélité envers vous est la même et sans faille.

L'expression craintive dans les yeux gris foncé du ministre peina le Kzâhr.

- Je n'en doute pas, répondit Ughâr. Quoique ta réponse ne m'éclaire pas vraiment sur ta conviction profonde.

- Puisque le Kzâhr Xanghôr a entendu cette révélation de l'Elkhîm Unique, je crois qu'elle est celle que nous devons suivre. De plus, j'ai longuement débattu de cette question avec l'Ordiâk Prophys qui m'a convaincu.

- Parfait. Pardonne-moi pour cette insistance Manghät, mais je crains que la suspicion ne vienne bientôt nous diviser les uns et les autres. En ce qui te concerne, Dahz Ghiskiäj, je connais la force de ta foi et c'est pourquoi je t'ai confié cette charge de daliz (ministre général).

- Si les circonstances l'exigeaient, je sacrifierais ma vie pour vous, Grand Kzâhr.

Cette magnifique déclaration de dévouement de son chef du gouvernement émut profondément Ughâr qui fit en sorte de n'en laisser rien paraître.

- Dyaz (messieurs quand il s'agit de nobles), avez-vous quelque autre suggestion à me faire avant que nous nous séparions ?

- J'en ai une, Kagîz, lança Ghiskiäj.

- Je t'écoute.

- Pourquoi ne pas décréter la fermeture des dërhom (édifices de l'ancienne religion) et la construction d'édifices spécifiques à la gloire de l'Elkhîm Unique ?

- Voilà une excellente façon de répandre le feu derrière soi, objecta le Kzâhr en se grattant le menton. Je vais quand même y réfléchir. Et toi, Bakahn Manghät ?

- Aucune, Zyâr.

- Bien, je vous recommande la vigilance désormais. Continuez aussi d'honorer notre race ; car en notre qualité de miotiahn, nous avons le devoir de montrer la voie juste. Paix en vous, dyaz.

- Paix en vous, Kagîz, répondirent de concert les deux membres du gouvernement.

-3-

Le Kzâhr décida de consulter les dudziz des provinces défendant apparemment la cause de l'Elkhîm Unique, souhaitant aussi évaluer la sincérité de leur conviction. Lors de ce départ de Vighêz (nom de la capitale de Kûrhasm), il ne bénéficia pas, comme ce fut invariablement le cas pour feu Xanghôr, des manifestations enthousiastes ou angoissées de la population. Il avait le sentiment que le respect, qu'elle lui vouait, était identique à celui d'un banal miotiahn. Un manque d'adulation qui ne le tourmentait guère, vu que sa nature ne l'inclinait pas à la vanité. En dépit de sa race miothy, il pensait devoir le privilège de cette charge de l'Autorité, à la fois, à la bonté d'un homme et à Elkhîm (le Dieu Unique) sans l'intervention duquel pareille ascension n'aurait pu avoir lieu. Aux yeux des kuriahnz (habitants de Kûrhasm), il n'était assurément qu'un rhis (vice-Kzâhr) auquel leur bien-aimé Xanghôr avait transmis le zahrohl kzöhr (le sceptre de l'Autorité). Il ne pourrait donc jamais prétendre à leur indulgence, contrairement à ce dernier qui, fort de son appartenance à une antique lignée de monarques charismatiques, avait eu le statut d'élu de Kâmios (le Dieu principal de l'ancienne religion) et pu se permettre tous les caprices. Sauf cet amour inconditionnel, le défunt Kzâhr ne se serait point hasardé, certainement, à gouverner avec autant de dilettantisme et son décret d'une nouvelle religion aurait soulevé un tollé de protestations indignées, voire déclenché une révolution. Or nul n'avait osé se rebeller contre l'ordre institué et, fût-il toujours souverain de Kûrhasm, les opposants se plieraient sans aucun doute, et avec docilité, à sa volonté. Il lui revint le jour de l'abdication de celui-ci, l'élan bruyant de ses sujets ainsi que l'anathème sur le rhis Niëvor que peu auraient souhaité voir sur le trône avec sa prétentieuse Osthynëa. Aujourd'hui, il priait Xanghôr d'aplanir les dissensions depuis son royaume céleste et de faire que la raison eût l'ascendant.

D'avoir à laisser son épouse et leur enfant au Palais, les deux joyaux de son existence, lui serra douloureusement le cœur. Avant de connaître Isthyanië, il avait été marié à Lëthingia une jolie et douce miotinha, mais fragile, qu'il avait dû soutenir durant sa longue maladie. Le matin où elle décéda, l'aurore avait paru se carminer et il s'était révolté contre Kâmios et ses dieux. Tandis qu'il envisageait de finir sa vie dans une thébaïde du Grëmanganath ou du Volongoth, sa route avait croisé celle d'Isthyanië lors d'une visite au jeune dudzi de l'Hëliasm. Telle une sombre grisaille se transfigurant, son avenir s'était alors promptement illuminé. Le Dahz Ryangham, père d'Isthyanië, dont elle était la seule fille – la Dahzah Vëzhenia et mère de cette dernière ayant succombé à une maladie grave –, consentant à cet hymen, ils avaient rapidement convolé en justes noces. Prématurément disparus, ses propres parents – le Bakahn Tohaz et la Bakahnah Rhëva – lui avaient beaucoup manqué ce jour-là. Depuis leur mariage, son amour pour Isthyanië n'avait cessé de grandir. Quant à ce magnifique changement, il l'avait rendu profondément fataliste et incité à ne plus voir que le côté positif de la vie.

Après un voyage de dix jours à travers les beaux paysages du Tëtrys et du Cëldys – les sensations oscillant entre les degrés quatre et cinq (de 20° à 28° Celsius) en ce mois golom (un des quatre mois de la saison agréable) –, il arriva à Flitsh, encadré de ses solides gardes meiriahnz, où il rencontra le Bakahn Jazim qui l'informa que sa solprasti (garde provinciale) n'avait eu encore à déplorer aucun conflit alarmant. Ce dernier avait précisé, néanmoins, que sa petite armée ne pèserait pas lourd face à une troupe en provenance du Phrangys et des autres provinces dissidentes. Le Kzâhr l'engagea avec fermeté à se départir d'une telle crainte, les soldats des régions contestataires étant tout d'abord des serviteurs de l'Autorité. Il le remercia toutefois pour sa fidélité, ravi de constater que cet himotiahn au regard noisette, dans lequel transparaissait une nature idéaliste, ne s'apprêtait point à emboîter le pas de ses homologues Abheng ou Costiak. Comme Rouhman était un chef-lieu éloigné, il avait fait prévenir, avant son départ, le Moshy Aphitez et dudzi du Dixyzis de le rejoindre à Ristock. S'étant astreint à une éreintante chevauchée de quatorze jours, il y entendit le point de vue de ce gouverneur, puis celui du Bakahn Byartoulh et dudzi du Jogh ; un meiriahn qui comptait parmi les élites de sa race (au sein de la 3ème race, peu accédaient à des postes de notables). La belle allégeance de ces derniers résonna agréablement en son cœur, bien que le premier fût miotiahn et, donc, obligatoirement un fidèle du Kzâhr et le second un soumis à cette Autorité qui lui permettait de s'élever au-dessus des siens. Il apprit que la majorité des habitants du Dixyzis n'affichaient pas une vaine hostilité à la nouvelle religion et que cette dernière n'avait en rien troublé, pour l'heure, la tranquillité du Jogh. Il passa la nuit dans l'appartement de l'Autorité – chaque édifice du gouvernement provincial réservant un espace privé au Kzâhr – et repartit aux premières lueurs aurorales vers Stiarâk.

Bon cavalier, il prenait ces longs parcours avec philosophie et équanimité d'humeur, appréciant les haltes dans de charmantes auberges. Tunvisthiam, le ciapiriat de la zahrasti – un meiriahn tout en muscles (2,19 m, 123 kg) et très autoritaire avec ses hommes – avait la charge des précautions d'usage, de concert avec ceux des compagnies de soldats des provinces traversées. Les nuits à la belle étoile – comme Xanghôr s'était plu à le faire tout en appelant la belle de son rêve – n'avaient pas sa prédilection. Après sa rencontre avec le Bakahn miotiahn Calrët, qui lui tint un discours analogue à celui d'Aphitez, il se rendit au château d'Hüzom où l'atmosphère lui sembla avoir gardé l'empreinte de l'âme du Kzâhr décédé. Dans la salle d'audience, il s'assit sur un des sièges en hys (beau bois, semblable à l'if). Les yeux clos, il rechercha au fond de sa mémoire la souvenance de la sublime Kilhindrâ, ne parvenant à faire émerger qu'une vision confuse de l'énigmatique et insondable regard pers de cette dernière. C'est avec un intime bonheur qu'il revécut le moment émotionnant de cette entrevue magique. Il ne s’était pas douté, ce jour-là, qu'un être aux attributs divins se cachait derrière cette splendide apparence. Il envia tout à coup Xanghôr d'avoir eu l'insigne faveur de l'aimer et de recevoir, par elle, l'enseignement sur l'Elkhîm Unique. Alors qu'il essayait de se rappeler la voix séraphique et le visage à la beauté parfaite de cette déesse, son cœur fut l'objet d'un étrange regret. Il dormit dans la chambre où le monarque défunt était censé avoir tenu celle-ci dans ses bras. Encadré par les six zahratz (gardes personnels), amenés par leur ciapiriat, il quitta le château à l'aube en direction de la falaise de Yozhas. Là, il contempla la sombre immensité qu'un rayon de veille (rayon de lune) brillantait magnifiquement ; une douce luminance qui courait jusqu'au cirkërathom (barrière de la céleste vague) et qui se perdait dans le supposé Nëbrenz (l'Obscur) au-delà. Vêtu d'une cape en coton-laine, la mer lui renvoyant en pleine figure un froid cifhus (nom d'un vent), il tenta de poétiser les éléments ainsi que les skaoutz (oiseau comparable à la mouette) et autres phökrax (oiseau d'assez grande taille qui se nourrit de poissons et d'anguilles) volant au-dessus des vagues en poussant des cris stridents pour les premiers et plutôt rauques pour les seconds. Il imaginait Xanghôr en train de l'observer et de s'ingénier à lui inspirer son fameux don de la lyre. La magie n'opérant pas, il en déduisit qu'il fallait être doté d'une sensibilité hors du commun et que la sienne affichait donc une flagrante rusticité. À dos de son superbe et puissant ëpalzhi – une race de chevaux réservée au Kzâhr et à sa famille –, il descendit la vallée de Kasphor jusqu'à la passerelle d'Ögt tout en obligeant sa féale garde à le suivre dans une course effrénée. Après un éprouvant voyage de dix-huit jours, il rejoignit Blazans, regrettant de n'avoir pas le temps d'admirer la belle région d'Hëliasm aux paysages contrastés, tantôt montagneux tantôt plats, mais joliment fleurie et fleurant de riches et délicieux effluves. Il s'y entretint avec le dudzi himotiahn Ozapiax – qu'il avait vu débuter dans sa charge et qui connaissait bien Isthyanië –, lequel lui confia que la nouvelle religion n'avait le consentement que de la moitié environ des habitants de cette région. Selon le gouverneur, cette division ne se muerait pas en conflits tant que les partisans de Kâmios pourraient continuer de pratiquer leur culte dans leurs chers dërhom (édifices religieux). Quant aux adeptes de la nouvelle religion, ils ne comprenaient pas l'absence d'édifices à la gloire de l'Elkhîm Unique ; puisque Xanghôr avait officiellement décrété la supériorité de cette croyance. Une remarque qui le rendit perplexe. Il avait fait venir le Dahz Liëvanhac à Vighêz pour n'être pas contraint de descendre à Gholhim et de remonter ensuite vers la capitale. Il lui aurait plu néanmoins de retrouver l'atmosphère de cette province chère à son cœur et dont il fut le dudzi avant sa nomination à la fonction de rhis. Il eut un entretien chaleureux avec cet himotiahn, aux regard et cœur de miotiahn, qui lui savait gré de l'avoir choisi pour cette haute charge. Celui-ci confirma que les tërastiahnz (habitants du Tërasthan, voir la carte de cette province dans l’addenda) adhéraient mollement à la religion instituée et que la fréquentation des dërhom (édifices de l’ancienne religion) s'était même accentuée. Pareillement à l'Hëliasm, et à condition de ne pas déranger cet état, la tranquillité du Tërasthan ne risquait pas toutefois de se dégrader. Suite à ce long déplacement de deux mois quasiment, il extrapola sur la conjoncture de Kûrhasm à partir des renseignements recueillis. Cela lui permit d'évaluer les dangers latents. S'il supputait la précarité de la paix au sein de cet univers, il voulait croire que la valeur pacifiste prévaudrait et que le changement religieux ne réussirait pas à rompre l'antique engouement des kuriahnz pour elle. Que ce peuple, qu'il aimait tant, pût en venir à guerroyer pour une question de croyance l'épouvantait. Pourtant, cette frayeur ne l'amènerait pas à tergiverser. Il était convaincu que son devoir consistait à perpétuer l'œuvre initiée par Xanghôr; une fidélité par laquelle il s'érigeait en serviteur d'Elkhîm.

Le constat de l'inaptitude de Prophys à établir efficacement le nouvel ordre religieux l'amena à nommer un ministre de l'action cultuelle qu'il chargea du renforcement de l'installation et de l'activité de la religion officielle au sein des onze provinces. Il lui donna la mission également de promouvoir l'éducation des kuriahnz au langage spécifique de cette dernière. S'il ne destitua pas l'Ordiâk, il le relégua à un simple rôle de conseiller et de formateur des religieux. Une assistance précieuse au Bakahn Tzaghir, étant donné l'expérience et l'indéfectible adhésion de Prophys à la cause monothéiste. Âgé et fatigué, ce dernier ne prit pas cette sorte de mise à l'écart pour une offense ; il vit plutôt en elle une délivrance. Sauf l'engagement pris devant la déesse Kilhindrâ de faire entendre la vérité de l'Elkhîm d'Amour, il aurait déjà laissé à un autre le soin d'apostoliser ses semblables et choisi de se consacrer à nouveau à la contemplation intérieure. Ainsi il saisissait avec joie l'occasion de transmettre cette tâche à un homme déterminé et que le Kzâhr prétendait intègre, vaillant et persévérant. Ughâr insista pour que l'Ordiâk s'employât à étayer la foi de Tzaghir et l'aidât à mener avec efficacité cette importante réalisation. Parallèlement, il décréta la fermeture des dërhom (édifices de l’ancienne religion), une mesure préalable à leur destruction. Une décision qu'il arrêta six mois plus tard en l'assortissant d'un laconique communiqué dans lequel il évoquait leur inutilité désormais. Le ministre eut tout pouvoir pour l'exécution de cette ordonnance qui présageait la construction d'édifices appropriés. Tout en typant son règne, Ughâr s'attirait, par cet arrêté, de nombreuses critiques ; en effet, une partie de la population jugeait que cet élan autoritaire méprisait leur liberté. Celle-ci ignorait qu’il suivait, via cet acte d'allégeance à Elkhîm, une sorte d'instigation occulte. Il n'ambitionnait pas, en outre, une place privilégiée sur les terkhalkz du krönhystrum (les tablettes répertoriant l'histoire de Kûrhasm). La démolition du grand dërhom Mirias trônant sur la place Kabi, proche du village de Tyzaregh, consterna les habitants de Vighêz. L'élimination des autres édifices de la religion kamiosi (fidèles à Kâmios) dans les chefs-lieux et villes secondaire faillit tourner, quant à elle, au pugilat. Car la majorité des kuriahnz refusaient cette attitude partiale et outrancière de leur souverain. Ils ne souhaitaient pas se trouver forcés à la pratique d'une religion niant la vérité de Kâmios, fût-elle celle promulguée par leur bien-aimé Xanghôr. Manifestement, les soldats des régions dissidentes avaient reçu pour consigne de ne pas intervenir ; car les dudziz (gouverneurs provinciaux) de ces dernières se réjouissaient de ces émeutes larvées avec l'espoir que tout cela dégénérerait et déclencherait un immense conflit. Istyanhië suggéra à son célèbre époux de renforcer les effectifs de zerkatz (soldats de l’Autorité) et d'installer cinq à sept bataillons – soit cent ou cent cinquante hommes – à Zôlimagh, fief de Niëvor. Or celui-ci continuait de penser que l'aspiration à une douce tranquillité supplanterait ce stérile désir d'entretenir la survivance d'un panthéon révolu.

- Tu dois affirmer plus encore ton autorité, exhorta la Kzâhrah, et montrer ainsi ta détermination. Attisées par cette poignée d'opportunistes himotiahnz, je pressens que ces dissensions vont s'envenimer. À mon avis, ils projettent de s'emparer du kzöhr (sceptre et symbole de l'Autorité,)

- Tu penses tout spécialement à Niëvor, j'imagine.

- Tout à fait, mon cher mari. Souviens-toi de ses manigances pour discréditer notre bien-aimé Xanghôr. Je pense qu'il n'a toujours pas digéré l'avanie infligée par ce dernier et qu'il guette l'occasion de se venger et, bien sûr, de briller à nouveau à Tyzaregh.

- Je conviens avec toi que ce sombre énergumène est une œuvre du diable du naskem (lieu démoniaque au-delà de la barrière de la céleste vague). Il est le ver dans le fruit et un cœur corrompu par le mal. Cependant, dix années sont passées depuis l'événement de sa destitution. Il a donc vieilli. S'il n'a pas envoyé sa hargne au rebut, il ne réussira qu'à allumer un feu de paille.

- Je n'en crois rien et je crains même qu'il ne te force à agir prochainement dans l'urgence, puisque tu comptes le laisser organiser tranquillement sa sédition, prophétisa la Kzâhrah.

- Ma tendre Isthyanië, tu sais combien je respecte en général tes précieux conseils, mais, en l'occurrence, je maintiens que tu fais preuve d'un trop grand pessimisme et que Niëvor ne trouvera pas d'individus prêts à se lancer dans une opération aussi aventurée. J'ai confiance qu'Elkhîm éteindra avec autorité ces foyers larvés. Tu verras que, bientôt, nous n'entendrons plus parler de ce misérable hypocrite.

- Outre un vieil hypocrite, c'est un fieffé rusé. De plus, je te rappelle que la situation a changé et que si tu ne réagis pas au plus tôt, il va se servir de cette occasion pour attiser les rancœurs rampantes. Ensuite, il fera en sorte de s'instituer en pourfendeur charismatique.

- Il y a effectivement beaucoup de sagacité dans ton propos, Isthyanië. Je vais donc ordonner au Bakahn Manghât de faire procéder à une enquête discrète dans le Phrangys (province dont Niëvor est encore le Zheiry).

- Crois-moi, Ughâr, il serait plus judicieux de frapper fort et, partant, de montrer que tu n'es pas dupe, insista la Kzâhrah. Ainsi tu deviendrais un Kzâhr hautement respecté.

- Ma chère épouse, je ne vais quand même pas me transformer en tyran pour entrer dans le krönhystrum (mémoire de Kûrhasm). D'ailleurs, ce ne serait pas très pertinent.

Tout en l’embrassant sur la joue, il huma avec bonheur l'exquise fragrance légère avec laquelle elle se parfumait régulièrement. Il la préférait de loin aux autres plus capiteuses. Puis il contempla son visage discrètement maquillé. Il lui glissa enfin à l'oreille combien sa beauté et son intelligence le comblaient.

Cette conversation avec Isthyanië avait eu pour effet d'éveiller Ughâr à la menace pesant sur cet univers, même s'il feignait de croire que les meiriahnz et, surtout, les himotiahnz – les miotiahnz servant avec fidélité la cause de l'Autorité en place – privilégieraient la paix au bellicisme. Il commanda au ministre de la sécurité de s'assurer que Niëvor ne fomentait pas un complot et de l'informer au plus vite dans le cas du moindre doute. Il convoqua ensuite le Bakahn Tzaghir et Prophys en vue de l'affermissement de la nouvelle religion dans les provinces, interdisant de ce fait tout retour vers l'ancienne. Comme à l'accoutumée, il les reçut dans son bureau du Zahrkëlyum (le Palais de l'Autorité).

- Dyaz (messieurs lorsqu'il s'agit de nobles), je vous ai demandé de venir, car je compte implanter avec plus de fermeté encore la religion de l'Elkhîm Unique. J'attends donc vos suggestions.

- Effectivement, Kagîz, j'avais déjà en tête de vous proposer la construction au plus tôt d'édifices religieux appropriés à la nouvelle religion, répondit le Bakahn Tzaghir.

- J'ai temporisé de façon à éviter un tollé, mais je conviens qu'il est temps de procéder à une édification en mesure de consolider cette nouvelle coutume religieuse et propre à rendre l'ancienne désuète, renchérit le Kzâhr.

- Nous devons prendre conscience que ces chantiers prendront au moins deux à trois années et qu'ils seront probablement l'occasion de mini-révoltes au sein de certaines provinces, précisa le ministre.

- Selon toi, lesquelles seraient le plus en mesure de courir ce risque ?

Ughâr cherchait à contrôler si cette information venait corroborer la crainte de sa chère Isthyanië.

- Je pense tout particulièrement au Phrangys et à l'Obëxan, Kagîz.

- Détiendrais-tu des renseignements précis venant confirmer cette possibilité ?

- Le Zheiry Niëvor tiendrait des réunions secrètes avec le Bakahn Abheng et le Moshy Costiak, mais je n'ai pas jugé utile de vérifier cette rumeur. Je laisse au ministre de la sécurité le soin de le faire. En tout cas, il n'y a pas de fumée sans feu.

- Tu as eu raison, Tzaghir. D'ailleurs, j'ai déjà ordonné à Manghät d'enquêter en Phrangys. Je vais lui communiquer ton inquiétude, afin qu'il investigue sur la véracité de ce fait.

- As-tu des propositions, Prophys ? S'enquit le Kzâhr.

- Eld Zhiaki, j'approuve naturellement cette construction d'édifices religieux, rétorqua celui-ci d'une voix calme. Et je vous engage même à l'ordonner le plus rapidement possible. Il faudrait aussi agrémenter les termes existants, afin de mettre au point un langage spécifique à la religion de l'Elkhîm d'Amour.

- As-tu déjà réfléchi à cette amélioration et à une sorte de langage ?

- Absolument, Kagîz. Tout d'abord, je suggère que nous donnions les noms de tëlhistem à ce nouvel édifice et de tëlhientazi aux religieux chargés d'éduquer la population à l'Elkhîm Unique. Dans un premier temps, il en faudrait deux par tëlhistem.

- Ainsi, tu préconises de substituer le vocable …

- Tëlhientazi, Eld Zhiaki (Votre Seigneurie).

- Tëlhientazi, donc, à celui de praktizian (fonctionnaire religieux de l'ancienne religion), s'informa le Kzâhr.

- Oui, répliqua laconiquement l'Ordiâk.

Tout en parlant, Ughâr observait le visage raviné par les ans de ce miotiahn que la calvitie envieillissait plus encore. Son regard gris pigmenté de noir sur une cornée jaune clair reflétait toutefois une belle bonté de cœur. Ughâr appréciait la compagnie de cet homme intelligent et hautement inspiré.

- Il conviendrait que ces tëlhientaziz eussent une solide formation, précisa Ughâr.

- J'ai déjà œuvré dans ce sens, Kagîz. Depuis ce jour où notre regretté Kzâhr Xanghôr m'a confié la charge d'Ordiâk, j'ai un peu piétiné ; car j'ai dû trouver l'inspiration de ce que devraient apprendre ces religieux pour accomplir au mieux leur service envers l'Elkhîm Unique. Je voulais que ce soit …

- Novateur, coupa le Kzâhr.

- Pardon de vous contredire, Zyâr, mais je souhaitais justement que cela ne soit pas une simple novation. Il importe que ces tëlhientaziz ne soient pas des techniciens d'une nouvelle religion, mais des hommes dotés d'une foi profonde. À ce jour, il y en a onze et, surtout, capable d'en former d'autres.

- Pourquoi ne pas créer un institut de tëlhientaziz à Vighêz, un lieu susceptible de devenir une haute institution ? Proposa le souverain.

- J'y ai pensé Kagîz. Et puisque vous y consentez, je peux procéder à cette réalisation.

- Conçois une institution digne de l'objet en question, Prophys. Un haut lieu apte à former également les grands cerveaux de Kûrhasm.

- Une autre chose m'est venue à l'esprit, Zyâr.

- Je t'écoute.

- Il faudrait graver des terkhalkz (tablettes) évoquant l'Elkhîm d'Amour et de Liëkzel, de façon à ce que les enfants pussent en apprendre la vérité dès leur plus jeune âge. Des tëlhientaziz inspirés pourraient y inclure des chants, des poèmes et des réflexions. Ainsi le processus deviendrait irréversible et, au fil du temps, l'ancien panthéon irait rejoindre les légendes du krönhystrum.

- Judicieux, reconnut Ughâr avec un regard pensif. Je vais encourager le développement de la science et, par ce biais, sortir cet univers de sa semi-léthargie. D'ailleurs, depuis un certain temps, j'ai l'intuition que les terkhalkz empêchent une communication efficace et qu'il serait approprié de chercher un meilleur procédé.

-Je suis de votre avis, Kagîz, s'empressa Prophys. Plutôt que de graver, même si les graveurs sont particulièrement habiles, nous pourrions inventer une manière de tracer sur un support plus souple. À mon avis, il faut commencer par créer le produit et l'instrument permettant ce traçage, puis imaginer ensuite le support adéquat.

- Ce serait plus pratique et, assurément, une formidable évolution, admit Tzaghir.

- Je vais susciter des vocations d'inventeurs, avança le Kzâhr. Il ne manque pas d'intelligences sur Kûrhasm et, au-delà des arts, il importe maintenant de stimuler une créativité technique au service de l'humain. Dyaz (messieurs pour les nobles), vous avez quant à vous une tâche ardue à réaliser ; mais je ne doute pas de votre capacité à la mener à bien. Paix en vous.

- Paix en vous Kagîz, répondirent à tour de rôle Tzaghir et Prophys.