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Suite à trois visions, chacune ayant eu lieu de nuit à la même heure, Emmanuel se sentit instigué à partir dans la montagne pour une retraite d'une semaine. Il y resta finalement quinze jours et en revint instruit sur sa mission en ce bas monde. Il suivit donc humblement le chemin indiqué par Dieu, lequel l'amena à communiquer de grands messages à l'humanité. Ce qui ne manqua pas de déranger les religieux ainsi que nombre de Chefs d'État de la planète. Ces derniers en vinrent donc à ourdir un plan machiavélique.
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Seitenzahl: 351
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Du même auteur
Romans
Au nom du Saint-Esprit, je vous dis …
L'Arche des Temps Nouveaux
Folie de l'Homme ou Dessein de Dieu
Le Tiraillement
L'enfant bonheur
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L'islam tisse sa trame en Occident
Poésies
Murmures de mon âme
Envolée métaphysique
Scénario de film
Magnesia
Je me consacre à l'écriture depuis 2002, après avoir rédigé plusieurs ouvrages entre 1990 et cette date. Mes écrits ont un même fil conducteur spirituel, reflet de l'inaltérable foi en Dieu animant mon cœur. Ce qui m’a conduit à écrire, parfois, des histoires insolites et à devenir un auteur difficile à classer dans un genre.
ISBN : 9-782322-041749
Tous droits de reproduction, de traduction
et d'adaptation réservés pour tous pays
Site internet : www.atypical-autoedition.com
Livre I
L'initiation
Chapitre 1
Le détachement
Chapitre 2
L’appel
Chapitre 3
La préparation
Chapitre 4
La consécration
Chapitre 5
La transition
Livre II
La mission universelle
Chapitre 6
L’asile idéal
Les messages
Chapitre 7
Le message au monde
Chapitre 8
Le message aux gouvernements
Chapitre 9
Le message aux religieux
Chapitre 10
Le message à l'humanité
Chapitre 11
La réflexion
Chapitre 12
Les commandements du Père
Livre III
La mission Glorieuse
Chapitre 13
La retraite
Chapitre 14
L'enlèvement
Chapitre 15
Le complot
Chapitre 16
La Volonté du Père
Chapitre 17
La sentence
Chapitre 18
Le sacrifice
Épilogue
Assis sur un rocher, Emmanuel contemplait les subtiles arabesques que les lueurs lactescentes de l'aube peignaient sur la voûte céleste. La myriade scintillante semblait s'enfoncer dans cette insondable profondeur comme dans une sombre mer de brume. Il admirait cette beauté simple que nul sage, érudit ou génie, n'aurait su imaginer, réalisant aussi que ses sens objectifs et sa pauvre intelligence humaine ne permettaient l'accès qu'à un monde illusoire ; une falsification de la vérité qui rendait toute authenticité, ici-bas, bien superficielle. Ces considérations métaphysiques, ou pour l'éphémère de la réalité terrestre, l'étonnèrent, vu qu'il n'avait jamais eu, jusqu'alors, de prédilection pour la spéculation mystique. Quoique son tempérament idéaliste l'incitait, parfois, à des envolées romantiques, à convoiter un bonheur édénique. Il ignorait toutefois la particularité de la personnalité en son âme, un être doté de magnifiques attributs et en attente d'expression, que son ego s'évertuait à voiler. Celui-ci ne pourrait empêcher, en outre, cette nature de sortir de sa subtile chrysalide. Pour l'heure, sa raison dissuadait une telle émergence, le poussant, donc, à relativiser ces divagations spirituelles.
Sa chute dans les bas-fonds de la société avait été l'événement précurseur d'un rejet du système et, par conséquent, d'une fuite de la civilisation.
Emmanuel avait éprouvé le vif désir de s'isoler pour réfléchir, conscient que cette méditation sur la platitude de sa vie, voire sur l'absence de perspective de son avenir n'ouvrirait point la porte secrètement espérée. Il craignait, même, que cette initiative n'exhumât, de la profondeur de son subconscient, les phases noires de son passé et ne révélât une inexorable condamnation à cette petitesse. Une sorte de punition divine !
Par un sentier pierreux, il était parvenu jusqu'à ce sommet. Un endroit où il aimait se baigner d'harmonie, s'enivrer des multiples effluves, s'émerveiller de mille beautés : extravagances chromatiques, délicieux galbes, frêles et délicates essences de la nature. La perfection de la Création l'émouvait, une magnificence que l'homme n'aurait su créer, mais qu'il s'employait égoïstement à ternir. Emmanuel pressentait qu'une substance vibratoire insufflait l'Univers, animant toutes choses … de l'infime à l'infini. Un ange guidait-il cette contemplation et s'efforçait-il de l'éveiller dans la perspective d'un dessein ? Ainsi, à son insu, son regard s'affinait, son hypersensibilité s'exacerbait et sa vraie personnalité s'imposait peu à peu. Aujourd'hui, cette dernière tendait à reléguer l'homme social et, désormais, apparent.
Il lui vint soudain l'envie de s'endormir au sein d'une lumière pareille à un soleil au zénith. Était-ce le signe que sa nature cachée prenait le dessus ? Tiraillé par ses deux moi, et inconscient de la métamorphose en cours, il s'empressa de critiquer cette élucubration recelant, pourtant, une magnifique espérance.
Le chemin grimpant, la montagne, la floraison intérieure étaient-ils les prémices d'une nouvelle existence, les signes annonciateurs d'une marche vers un destin en marge de ce monde ? Il appréhendait l'exigence de ce chemin que son ange s'apprêtait à lui faire suivre, tel un aveugle n'ayant que sa pauvre intuition pour guide. Influencée par l'ego, celle-ci lui soufflerait assurément une route par laquelle il marcherait vers un faux destin. Il espérait que son sage guide palliait son manque de discernement spirituel et qu'il ferait taire, le moment venu, la voix de son moi raisonnable. Ce dernier s'escrimait, en effet, à susciter sa méfiance envers un imaginaire enclin à l’excentricité et aux idéaux fantasques. En vérité, sa nature profonde demeurait dans l'expectative de l'événement propre à lui permettre de passer la première porte d'une œuvre sublime. Cette journée d'isolement préfigurait, en final, la nécessité d'un détachement de ce monde. C'était aussi le présage d'une montée vers un sommet qu'il faut apprendre à gravir à la force de l'esprit.
Le jour s'était levé, immuable rituel de l'aurore au crépuscule, et un timide rayonnement s'éployait sur la nature, la nuançant superbement. Il avait l'impression d'être un ciron que les éléments pouvaient décider de balayer à la manière d'un fétu de paille. Son regard se perdit au loin jusqu'à la ligne d'horizon qu'un peintre semblait avoir tracée sur l'étendue céruléenne. Il s'imagina fulgurant vers l'empyrée des Cieux, tel un esprit, et contemplant l'infini depuis cette haute cime. Une aspiration à la simplicité et à l'éternité qui le rendait perplexe. Nourrissait-il aussi le désir inconscient d'abréger l'inanité de cette existence ? Parallèlement, il se sentait l'objet d'une impression étrange, celle d'un autre grandissant en lui. Il eut soudain la fugitive vision d'un être à la beauté séraphique et auréolé de soleil.
Des herbes du champ tout proche, il se fit une couche de fortune. Puis il plongea au fond de sa mémoire, une visite du passé dont il ignorait le but.
« C'était l'époque d'une existence heureuse, ses affaires l'amenant à voyager dans le monde et lui rapportant beaucoup d'argent. Profitant des nombreux plaisirs que permet l'aisance financière, Emmanuel ne réalisait guère le danger de cette superficialité qui le tirait peu à peu vers les ténèbres. Sous l'empire de son volumineux ego, il privilégiait les valeurs matérielles et délaissait celles d'ordre spirituel. Il se vantait, souvent, de ne devoir sa réussite qu’à sa pugnacité et à un travail acharné, ses origines extrêmement modestes l'ayant induit à se lancer très tôt dans la vie active. Celles-ci l'avaient forcé à quitter l'école après la troisième et à s'élever à l'aide de cours du soir. S'il n’avait pas été simple d'étudier en travaillant, ses efforts s'étaient avérés, ensuite, très payants. Aussi claironnait-il, à l'occasion, que son exemple mériterait un livre qui aiderait les personnes défavorisées à sortir de leur condition. Son enfance difficile l'avait rendu réceptif à la souffrance d'autrui et plutôt rétif à un système, selon lui, anthropophage. À cause de ses discours provocateurs, il s'attirait parfois l'inimitié de certains et, surtout, des nantis. D'un tempérament passionné et direct, il n'employait guère de circonlocutions. En fait, un être très différent se cachait derrière l'homme social. Celui-ci se servait de l'arrogance comme d'une cuirasse. Le monde des affaires l'aguerrissait à la perfidie humaine, le contraignant aussi à se protéger contre les prédateurs. Il veillait néanmoins à ne pas se laisser mithridatiser contre le mauvais et prenait garde, malgré son inclination pour les superfluités, à ne pas noircir son âme par des entreprises malsaines. Se remémorant les personnes dans le besoin, et auxquelles il avait spontanément tendu la main, il regrettait de n'avoir pas plus fait pour les autres, voire de n'avoir pas embrassé une grande cause. Il lui restait l'amère impression d'avoir relégué son être vrai et de végéter entre deux eaux. Cette réussite qui avait représenté sa fierté lui paraissait à présent bien étriquée. Quant à cet ancien besoin de réalisation financière, il avait été un exutoire à l'angoisse existentielle.
Ses amours lui revinrent à la pensée, nombreux et éphémères, sa stérilité l'ayant dissuadé à se lancer dans une vie de couple. Il lui avait fallu dépasser cette condamnation divine, se trouver une autre manière de vivre pour ne pas en vouloir aux femmes de la terre entière et, donc, préférer l'instabilité amoureuse à la désillusion. Lors de l'aveu de son mal à ses compagnes, la laideur de l'égoïsme humain l'avait quelquefois fortement giflé. Si cela l'avait aidé à se préserver contre de stupides a priori, des jugements étroits, il ne s'était pas nourri le cœur d'amers ressentis ni complu dans la vengeance pour laver la frustration ; car ses parents lui avaient inculqué, entre autres valeurs, le respect d'autrui. D'ailleurs, ses déceptions avaient eu pour conséquence de forger son mental et de l'éduquer à la tolérance tout en encourageant ses premiers élans de compassion à l'égard d’une nature humaine prisonnière de ses bas instincts. Il s'était enfin résolu à prendre positivement son sort d'amoureux errant, puis convaincu qu'une vie rangée l'aurait astreint à une existence sans attrait. N'étant pas un adepte du hasard, il présumait que cette incapacité correspondait à une nécessité. Fussent-elles passagères, ses relations n'avaient jamais été vraiment futiles, puisqu'il s'était toujours efforcé de donner de l'amour. Il avait découvert son besoin d'aimer l'Autre ainsi qu'une propension au don de lui-même, laquelle l'avait souvent rendu perplexe. Cette absence de contraintes était-elle donc orchestrée dans un but encore occulte ?
Son engagement politique passé avait confirmé sa fibre idéaliste et révélé qu'il n'aurait pu, en aucun cas, y faire carrière, sa nature foncièrement indépendante ne le prédisposant pas à se satisfaire d'un statut de militant. Néanmoins, son appartenance à un important parti l'avait confronté à l'obligation de lutter contre le démantèlement de ses convictions. Bien souvent, il avait retenu son envie d'envoyer paître les instances dirigeantes, alors qu'elles l'invitaient à s'impliquer davantage. En dépit de ses efforts, son rejet de l'ordre établi et d'un langage contraire à ses idées s'était consolidé. Ce passage avait été, cependant, le déclencheur d'un processus ainsi que le point d'orgue d'une réflexion évolutive. Le réalisme politique avait aiguisé son idéalisme et réveillé son penchant humaniste. En définitive, il nourrissait une chimère qui était en total décalage avec l'existant. Si cette tendance utopique l'avait tourmenté, il s'était refusé à culpabiliser à cause de sa grande différence avec le commun des mortels. Sa prédisposition pour les causes universelles se heurtait, toutefois, à son manque de charisme. De toute façon, il n'avait jamais recherché les honneurs ou la gloire dans ses implications.
Il n'avait plus vraiment souvenance de ses premiers pas dans l'écriture, une réflexion idéaliste consécutive à son expérience politique. Il lui revenait ses soirées consacrées à chercher une voie nouvelle pour ce monde, comme poussé vers un destin étrange. Cela avait été un travail de bénédictin que de mettre au point un modèle politique que d'aucuns auraient qualifié d'irréaliste. Aussi s'était-il résolu à ranger ce concept inédit au fond d'un tiroir et, par ce geste, à jeter ce dernier aux oubliettes. Ce détachement, après quatre années de concentration, avait semblé tenir lieu d'initiation à l'abnégation. Il n'avait pas souffert ensuite de ce temps perdu, vu qu'il y avait été éclairé sur son goût pour les réalisations à l'échelle de la planète. Il ignorait toujours que les velléités d'évasion de cette époque avaient marqué le début d'une marche en marge de la société.
Le cénobitisme ou le sacerdoce n'ayant jamais eu sa préférence, il n'interprétait pas ce bref isolement dans la montagne comme l'appel à l'un ou à l'autre. De quel accomplissement son âme insignifiante pourrait-elle, d'ailleurs, se rendre capable ? Quoique nullement athée, il posait un regard peu conciliant sur les religions, en général, voyant en elles des systèmes peu soucieux d'éveiller véritablement l'humanité à sa mission sur terre. Il estimait que l'Église romaine, pour ne citer qu'elle, ne louait qu'en paroles le Seigneur Jésus-Christ et ne s'avérait en rien un saint exemple. Selon lui, le Christ n'avait pu chercher à inspirer la division religieuse, s'étant sacrifié pour sauver l'humanité en son entier et ayant exhorté, de son vivant, à l'unité et à l'Amour.
La dégradation progressive de ses finances avait été une période difficile de son existence. Il s'était laissé glisser, las d'essayer de redresser la situation. Sa nature fataliste l'avait finalement induit à accepter ce dénuement, l'analyse de l’origine de cette dégringolade l'ayant convaincu qu'elle correspondait indubitablement à un destin. Sa vie ne l'avait-elle pas placé, à de nombreuses reprises, face à l'imprévisibilité des événements ? Cette soumission ne l'avait jamais fait sombrer dans la dépression, fût-elle parfois anxiogène. Il avait plutôt fait de sa nouvelle condition un terrain d'adaptation, une voie pour se libérer de sa vie passée comme d'un lourd fardeau et s'efforcer de trouver du bonheur dans cette humilité ».
Au sortir de son introspection, Emmanuel contempla nonchalamment le ciel d'un bleu profond peint de frêles cirrus, telles de vaporeuses nuées. Dans l'astérisme de ces derniers, il se mit à rêvasser, à imaginer un visage et une paire d'yeux. S'appesantissant sur cette vision, il eut l'impression qu'un regard bienveillant l'observait. Inquiet de ce charme qui l'envoûtait, il ferma et rouvrit les yeux à plusieurs reprises. Il ne vit plus que des filaments cotonneux, évanouissement d'une illusion qui lui serra curieusement le cœur. Le soleil daignant étendre son immarcescible gloire, il en profita pour lézarder un moment. Il se cherchait, sans doute, une raison d'exister, inconsciemment torturé par l'angoisse de son inutilité. Au fond, cette existence précaire ne le frustrait pas vraiment. Il avait même découvert, grâce à elle, une autre vérité que le matérialisme. À l'époque de sa belle réussite financière, il aurait sûrement analysé cette déchéance comme un coup du sort ; il s'en serait fait aussi un motif de développement de sa combativité. Tout cela avait-il été savamment orchestré, comme il n'en gardait pas vraiment les stigmates ? Ce drastique dépouillement lui apparaissait même bénéfique au plan spirituel.
Il considérait donc avec détachement la période faste et légère de son passé. Qu'un ange pût être à l'origine de cette conjoncture le réconfortait. Car, fort d'une belle sagesse, celui-ci ne le laisserait pas chancir dans la bourbe et il n’aurait pas, non plus, l'idée saugrenue de l'abandonner à son piètre entendement. Attendait-on de lui une démonstration de sa prédisposition intérieure, autrement que par la voie lunaire ? Cette sage entité n'ignorait guère son statut de néophyte en matière d'esprit ni que son idéalisme et son côté fantasque ne l'avaient enclin, jusqu'ici, qu'à de piètres élucubrations, qu'à des envolées pauvrement mystiques. Aussi, à l'heure de prendre un nouveau chemin, son cœur enténébré ne serait-il en mesure de recevoir qu'une substance altérée. Cette période était-elle une sorte de purgatoire propre à le débarrasser des miasmes de sa vie passée ? Son courage le tirerait-il hors de ces ténèbres et lui ouvrirait-il la porte de la terre promise ? Il réalisait finalement qu'il appréhendait l'avenir, voire de n'être qu'une chose stérile sans destin ni soutien d'aucune sorte et contraint de se suffire de chimères. Ses peureuses interrogations lui faisaient supputer le travail indispensable propre à permettre l'émergence de sa personnalité enfouie.
Son déclin financier l'ayant déjà induit à se départir d'une vie superficielle, et corrompue par les joies de la chair, fallait-il qu'il sublimât encore l'instinct charnel ? L'inappétence sexuelle à laquelle il s'était trouvé astreint au fur et à mesure de la décadence de ses affaires ne suffisait-elle pas ? La perfection de ce chemin sous l'égide de l'ascétisme représentait alors une bénédiction et confirmait l'existence d'un ordonnancement subtil. D'un tempérament plutôt rebelle, il s'étonnait toutefois de sa docile acceptation de cette adversité, de cette vacuité existentielle même. Il n'avait pas conscience d'être préparé à une autre vie dont il ne saurait guère ouvrir la porte de lui-même.
Ses déductions hétéroclites et ses questionnements métaphysiques l'avaient tranquillement mené jusqu’à l'heure où le soleil paraît sombrer au fond d'un océan céleste. Il observa le paysage, qui disparaissait progressivement derrière la sombre brume, tout en imaginant la multitude invisible que la nuit faisait s'éveiller. Cours inextinguible d'une vie qui court à l'infini au sein du Tout universel. Il contempla aussi le vide avec le fol désir d'y planer, telle une entité immatérielle. Passant pour un misanthrope dans le village, du moins le croyait-il, nul n'en viendrait à s'inquiéter de sa disparition. L'obscurité s'épaississait et le vent glacial giflait maintenant son visage. Il descendit donc d'un pas gaillard de la montagne.
Les jambes lasses, il arriva à Saint-Chânon, charmant village des Alpes où il résidait. S'y étant arrêté pour une brève villégiature – d'aucuns diraient par hasard –, il était revenu s'y réfugier, comme subtilement instigué, quand sa vie avait basculé. Cet endroit respirait l'harmonie avec ses chalets aux balcons fleuris, ses rues étroites, ses odeurs campagnardes, ses délicieux matins invariablement rythmés par les chants mélodieux des oiseaux, ses soirs baignés par de fraîches et riches exhalaisons. Il avait l'impression d'y vivre en dehors du monde et de s'y être retiré pour une préparation psychologique. Se murant dans le silence du lever au coucher, il se moquait de l'opinion des autochtones à son égard. Nul ne sachant d'où il venait et ce qu'il faisait là, les commères raillaient sûrement, voire émettaient les pires suppositions. Outre cette attitude, par laquelle il empêchait l'immixtion d'autrui dans son jardin secret, il saluait avec un sourire affable les personnes qu'il croisait dans la rue ou dans les commerces. Sous les coups de boutoir du malheur, il avait envoyé son extravagance au rebut. Une première transformation dont il commençait à pressentir l'importance.
Après ces deux heures de marche, il retrouva avec plaisir son coquet studio. Le maire du village l'avait fait construire pour son fils qui avait préféré les vapeurs asphyxiantes et le hourvari de la capitale. Il comprenait cette fuite, voire cette peur de vieillir avant l'heure et le cœur vide d'espoir. Il pensait, quant à lui, que la cacophonie du monde faisait éprouver, un jour, l'envie de méditer dans une tranquille thébaïde.
Heureusement, cette existence banale, et apparemment dénuée d'intérêt, ne le rendait guère amer. L'écriture le tirait du présent. Ces pérégrinations dans le labyrinthe de l'imaginaire servaient d'exutoire à l'ennui dans lequel le sempiternel rituel, du matin au soir, l'aurait fait tomber sinon. Quoiqu'il avait le sentiment de ne pas écrire ce qu'il portait au fond de lui. Cette occupation évitait néanmoins les stériles ressassements, la déréliction, préservant aussi sa raison d'un irréversible étiolement. Peu lui importait de s'entraver dans les filets de ses rêves et d’être le jouet de ses fantasmes. Que n'emplissaient-ils son cœur de magie et ne magnifiaient-ils son existence par un destin sans pareil. N'imaginant pas qu'il lui serait donné désormais d'aimer une femme, il formait également le vœu qu'un amour d'une autre sorte vînt à lui.
Avant que le sommeil ne l'emportât vers de doux songes, il repensa à sa journée dans la montagne. Parti pour y réfléchir, discerner le sens de cette molle existence, il s'était retrouvé, entre élucubrations et contemplations, face à son passé. Il découvrait soudain qu'il ne s'était pas agi d'une simple introspection par le biais d’un rappel de son vécu. Sa petite intuition lui suggérait que cette journée dans les hauteurs avait correspondu à un premier travail sur lui-même, en vue d'une prise de conscience ultérieure. Était-ce le message d'une marche ascensionnelle et cette chute au plus bas représentait-elle, en final, un passage vers une grande destinée, mais d'une grandeur nullement terrestre ? « La porte cherra par ma main à condition que tu t'engages avec confiance dans le sens que je t'indiquerai », lui souffla une voix dans sa tête. Testait-on ainsi son aptitude spirituelle ? Cet avènement le réconforta et le perturba à la fois. Il craignait, en effet, de décevoir involontairement cette attente occulte, son âme n'ayant probablement jamais été confrontée à ce type d'expérience. L'homme charnel et apparent n'avait pas, non plus, une haute opinion de cette dernière. La fatigue calma l'effervescence de son mental et il la laissa emporter son esprit vers l'univers des rêves.
Se réveillant en sursaut, Emmanuel aperçut une lumière blafarde face à lui. L'esprit ensommeillé, il posa un regard craintif sur cette chose statique en suspension entre le plafond et son lit. Une paire d'yeux s'y dessina jusqu'à devenir bien distincte, une nouvelle manifestation qui eut pour résultat, bizarrement, d'apaiser sa peur.
- Emmanuel, le sablier est tourné.
Le conseil donné, l'apparition lumineuse s'évanouit. Il jeta un œil machinal sur le réveil digital qui affichait minuit et une minute. Après cette singulière mise en scène, il ne lui fut pas simple de trouver à nouveau le sommeil.
L'appréhension d'une nouvelle vision l'avait maintenu éveillé, puis son mental avait lâché prise. Au réveil, il fit sa prière habituelle et continua de se prélasser au lit tout en contemplant les moires sur le plafond ainsi que le soleil filtrant par les interstices des volets. Il n'avait pas oublié l'étrange lumière survenue au beau milieu de la nuit. La voix profonde et le message résonnèrent soudain dans sa tête, comme pour le convaincre qu'il n'avait point été le jouet de son imagination. Il ne saisissait pas néanmoins la signification de cette allusion à un sablier tourné. L'informait-on ainsi d'une survenance au terme d'un laps de temps programmé dans l'invisible ? Il décida de ne pas s'angoisser au sujet de cette annonce ésotérique -probablement incomplète -- ni à propos d'entités démoniaques s'amusant, peut-être, à le torturer. Pourquoi celles-ci s'intéressaient-elles subitement à sa pauvre âme ? Il ne les imaginait pas capable, en outre, d'œuvrer intelligemment. Il soupçonna plutôt sa rumination dans la montagne d’être la cause de cette hallucination, quoiqu'il se sentît curieusement enclin à ne pas négliger cet avènement. Un psychologue lui dirait, à coup sûr, qu'il avait inconsciemment cherché à saupoudrer d'extraordinaire sa monotone existence.
La journée s'écoula sans qu'aucun fait ne confirmât ce présage. Aux aguets, malgré son intention de ne pas s'appesantir sur cette manifestation, il comprit que son cœur n'en niait pas l'importance. Il s'étonna cependant de l'image qui lui vint d'un dernier grain de sable passant dans l'entonnoir du sablier et de l'épée de Damoclès tombant sur sa tête en plein sommeil. Il eut l'impression qu'un processus se mettait en place dont il ne pourrait empêcher l'inexorable développement. Il peina à s'endormir, en dépit d'une minimisation de cet arrangement insolite.
Comme la nuit précédente, il se réveilla avec l'impression de s'être seulement assoupi et vit briller, cette fois, une étrange nuée près du mur. Fait extraordinaire, il n'éprouvait pas la moindre frayeur, ressentant même une sorte de bien-être. Une sensation qui tendait à lui indiquer qu'il n'était pas en train d'halluciner. À l'intérieur de cette lumière rayonnante se dessina le fameux regard d'une expression plutôt douce, quoique diffus.
- Emmanuel, la marche a commencé.
La belle profondeur du timbre résonna agréablement au fond de son oreille. L'entité avait réussi le prodige de parler en dehors et au-dedans de lui.
- Quelle marche ? Osa Emmanuel.
La lumière blanche se fondit alors dans le mur de la chambre. Le réveil digital marquait minuit et une minute, une exactitude qui l'interpella. Il n'entreprit pas d'ausculter cette bizarrerie, mais de se rencogner plutôt dans les bras de Morphée.
Les yeux à peine ouverts, il dédia sa première pensée à l'apparition nocturne. Il lui restait le souvenir d'une lumière plus vive que la précédente, comme si le but avait été de frapper son esprit. Il se souvenait aussi d'avoir mieux discerné l'expression du regard. L'ésotérique déclaration avait été laissée, une fois de plus, à l'appréciation de son discernement. En tout cas, elle demeurerait gravée dans sa mémoire ainsi que la voix à nulle autre pareille.
Devait-il se réjouir de ce singulier phénomène venu agrémenter sa plate existence, voire l'enduire de fantaisie ? Il regrettait que sa pauvreté spirituelle ne lui permît pas de saisir le sens de ces vérités. Manifestement, il s'agissait d'une marche nécessaire dans le cadre d'un dessein consigné dans de secrètes archives. Sauf qu'il n'en viendrait pas à obéir avec docilité aux injonctions d'une voix, fût-elle nichée au cœur d'une sainte lumière. Comment, d'ailleurs, l'invisible comptait-il s'y prendre pour l'amener à suivre, contre son gré, une voie qu'il ne reconnaissait pas ? Ayant noté ces deux messages dans un cahier, il restait dans l'expectative d'une information plus explicite.
Le soir suivant, il se mit au lit tout en s'occupant l'esprit. Le but était de tromper l'anxiété et de rester éveillé jusqu'à l'heure choisie par l'entité pour se manifester. À minuit pile, il éteignit la lampe de chevet, puis, scrutant l'obscurité, il attendit qu'elle l'étonnât par une nouvelle originalité. Or les minutes s'égrenèrent et nulle lumière n'orna les murs ou le plafond de la pièce. Il en déduisit que l'être occulte, derrière cette chose, le narguait ou bien que ce dernier n'avait guère apprécié sa manière de le guetter. Il craignit d'avoir tué la magie, surpris que cette contingence pût l'attrister de la sorte. Se plaisait-on simplement à l'envoûter ? Nul doute qu'après ce frémissement de surnaturel, l'inanité de sa vie allait lui paraître moins supportable.
Une voix forte dans l'oreille le tira brutalement du sommeil.
- Dans la montagne, Emmanuel, tu sauras ce qui est.
Nulle nuée ne resplendit et nul regard ne se dessina face à lui. D’une belle clarté, l’annonce l'exhortait, cette fois, à retourner dans la montagne pour y entendre une révélation. L'intonation de la voix correspondait, en outre, à celle archivée au fond de sa mémoire. Il imagina donc que l'étrange paire d'yeux l'épiait dans l'obscurité, un jeu de cache-cache qu'il trouvait puéril. La perspective d'une entité essayant de l'abuser lui glaça soudainement le sang. Celle-ci jouissait-elle, en cet instant, de sa peur ? Observant que le réveil marquait trois heures, il envoya cette abstraction rejoindre les autres. « Une sage intelligence ne me laisserait pas ainsi dans le doute », marmonna-t-il.
La particularité de cette dernière manifestation ne l'incitait pas à considérer ce message de façon positive ; un nouveau mystère qui tendait même à l'irriter. Cette suggestion d'aller entendre une annonce inédite dans la montagne ne parlait pas à son moi lucide et raisonnable. Il y ferait sûrement l'amère expérience de sa limitation spirituelle ou, au mieux, il reviendrait avec une information tronquée et inutile. Il avait l'impression, cependant, de se trouver placé dans une situation délicate. Son intuition lui soufflait, en effet, que son arrogant reniement d'une injonction --- peut-être sainte --- à s'engager sur un chemin écrit par la main de Dieu risquait de le priver à jamais d'un avenir hors du commun. Ne craignait-il pas finalement de découvrir que Ce Dernier le destinait à une mission surhumaine ? En fait, il ne redoutait pas de sombrer dans une plus grande indigence, mais d'être tiré, voire aimanté vers un accomplissement dépassant ses possibilités. Il aurait aimé pouvoir partager avec une personne, spirituellement éclairée, cette chose aussi subite qu'incroyable.
N'était-ce pas présomptueux, de la part d'Emmanuel, de nourrir l'espérance d'une grande œuvre ici-bas, vu son passé dénué de sainteté ? Si Dieu en venait à s'abaisser jusqu'à sa misérable personne, ce serait assurément pour le morigéner, voire le contraindre à laver son cœur des résidus du péché. Ne montrait-il pas toutefois de l'orgueil en tergiversant, alors que d'autres à sa place seraient déjà en marche ? Certes, il ignorait que sa condition de vie on ne peut plus spartiate n'avait point encore réveillé son âme et qu'il n'en était qu'au début d'une longue métamorphose intérieure. Son aspiration d'un beau destin n'était donc pas un hasard et elle ne demeurerait guère dans les limbes des grâces mort-nées.
Influencé par son ego, il décida de ne pas obtempérer au dernier message et de continuer son existence ordinaire et monotone. Car il ne se croyait guère capable de transformer sa médiocrité en excellence. Imaginant que, par ces trois annonces bizarroïdes, l'invisible se jouait de son manque de discernement spirituel, il éprouva un malin désir à jeter au visage de ces entités sa petite perspicacité. Il projetait de rire aux éclats dans le cas où ce phénomène se reproduirait, afin de montrer à ces êtres joueurs que sa misère n'avait pas encore fait de lui un benêt. Par contre, il se résoudrait à considérer avec sérieux toute autre injonction, même apparemment extravagante, s'il se trouvait placé face à son erreur ou à son orgueil.
Rompant son soliloque tourmenté, une voix lui chuchota au fond de l'oreille de se mettre en prière. Il voulut s'opposer, mais une force l'en dissuada avec fermeté. Il semblait qu'un autre lui-même prenait soudain le dessus, reléguant sa nature rebelle au fin fond de l'ego. Fort de cette suprématie, il ressentit l'irrésistible besoin de partir en quête de sa sainteté enfouie. Piètre novice, il passait plus de temps à chasser les pensées parasites qu'à méditer véritablement.
S'appliquant désormais à prier avec docilité et positivité, il parvint à dépasser les freins de son intellect, puis à un bon niveau de concentration. Ainsi, au sortir d'une de ces méditations, il eut l'intuition que sa disposition d'esprit actuelle le maintenait du mauvais côté de sa vie. En son cœur, il sentit qu'un ange l'avertissait de la nocivité de ce stupide statu quo. Il relut les trois messages soigneusement notés dans un cahier tout en tentant de les interpréter. Son incapacité à en décoder le contenu ne l'encourageait point, cependant, à entreprendre l'exploration de ce chemin auquel il était exhorté. Il attendit donc, en vain, une nouvelle apparition. La résurgence de son scepticisme avait-elle renvoyé l'entité dans son coin de Ciel ? Il espérait in petto que le doux regard, entraperçu dernièrement, allait chercher à influencer à nouveau son petit moi intérieur. Nul doute que sa déficience de spiritualité désolait cet être serviteur de la Lumière.
Un prêtre venant officier tous les dimanches matin à la chapelle, Emmanuel s'y rendit pour le rencontrer. Bien que n'étant pas un paroissien assidu, et en dépit de son a priori à l'égard de la gent ecclésiale, il ressentit le besoin de s'enquérir auprès d'un religieux de la fiabilité de ce phénomène des plus irrationnels. Il attendit discrètement en retrait pendant que le curé discutait avec quelques fidèles tout en espérant que celui-ci accepterait de lui accorder un entretien en privé.
- Monsieur le curé ... pourriez-vous me faire la faveur de quelques minutes, je vous prie, s'informa-t-il dès que ce dernier fût disponible.
- C'est-à-dire que j'ai une affaire urgente à régler. Donc, si cela pouvait attendre …
Ce ton superficiellement courtois, surprit Emmanuel. D'autant que l'ecclésiastique n'avait guère compté son temps avec ses fidèles ouailles. Était-ce une façon détournée de lui faire savoir qu'il ne s'occupait pas des mauvais chrétiens ? Emmanuel se mordit la langue tant il aurait aimé le renvoyer à l'Amour prôné par le Seigneur et au devoir d'un ministre du culte d'évangéliser un supposé infidèle.
- N'ayez crainte, je serai concis, rétorqua-t-il d'une voix plutôt autoritaire.
Il perçut dans le regard du prêtre de la curiosité, mais point cette bonté à laquelle celui-ci avait appelé l'assistance au cours de son sermon.
- Bon, je vous propose de nous asseoir sur un banc à l'intérieur, lança le curé. Il emboîta le pas de ce dernier et prit place à côté de lui dans la chapelle.
- Je vous écoute, dit-il.
- Il s'agit d'une chose très particulière. Vous arrive-t-il de pratiquer l'exorcisme ?
- Rarement. Il s'est présenté quelques cas, mais, de vous à moi, ces possessions étaient surtout psychologiques.
- Selon vous, ces personnes avaient plus besoin d'un psychiatre que d'un prêtre.
- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je pense qu'elles étaient habitées par des démons imaginaires, une sorte d'autoenvoûtement.
- Je crains alors que vous ne me situiez dans cette catégorie de gens. Car je suis l'objet de manifestations dont je ne sais pas si elles sont le fait d'entités ou tout simplement une fantasmagorie.
- Ah ! Vous, au moins, vous me paraissez lucide. De quoi s'agit-il exactement ?
- Il faut d'abord que je vous fasse une brève genèse du phénomène qui s'est produit durant trois nuits. Réveillé en sursaut lors de la première, j'ai aperçu une faible lumière au-dessus de mon lit. Mon réveil affichait minuit une. La seconde, même scénario, mais la lumière brillait plus vivement et elle se trouvait face à moi près du mur. Il était toujours minuit une. J'ai donc pensé qu'une force démoniaque me narguait. Rien de négatif ne se produisait cependant. La troisième, j'ai donc décidé de veiller jusqu'à minuit, puis j'ai éteint la lumière et attendu l'apparition. Comme elle n'avait pas lieu, le sommeil eut le dessus. À trois heures du matin exactement, une voix me réveilla …
- Pardonnez cette question. Vous avez déjà eu ce type d'hallucinations ?
- Je ne bois jamais d'alcool ni ne fume de l'herbe, plaisanta Emmanuel. Par conséquent, je ne vois pas d'autre explication qu'une altération momentanée de mes facultés mentales. Pour répondre à votre question, je n'en ai jamais eu et, d'ailleurs, ces dernières viennent de cesser avec la même promptitude qu'elles se sont produites.
- Vous étiez éveillé lors de ces … manifestations ? Excusez-moi, je cherche à comprendre.
- Parfaitement éveillé. Je ne rêvais pas si c'est là ce que vous voulez insinuer.
- Écoutez, je ne vois rien de démoniaque dans cette affaire, affirma-t-il en souriant. Certes, le détail de l'heure est surprenant. Mais l'imagination est rusée, vous savez.
- Il vous manque cependant un élément important.
- Ah ! Et lequel ?
- J'ai reçu trois messages. Tenez, je les ai apportés pour vous les faire lire.
Pendant que le curé prenait connaissance de ces derniers, Emmanuel l'observait tout en tentant de percer l'homme derrière l'habit du religieux. Il ne se serait pas risqué à parier sur sa foi profonde.
- Dites-moi, vous vous êtes rendu dans la montagne finalement ?
- Non, évidemment. Sinon je n'aurais pas jugé bon de venir vous importuner.
- J'admets que ces messages sont étranges. Pourrais-je savoir ce qu'ils vous ont inspiré ?
- Je reste dubitatif quant à leur sagesse, car je n'imagine pas Dieu se faisant entendre de cette façon.
- Les voies du Seigneur nous sont toujours incompréhensibles. Sa Volonté n’est pas accessible par notre intelligence, mais par la foi ... même si celle-ci est enfouie souvent sous une chape de vanité et d'arrogance. Ceci dit, à votre place, j'aurais la curiosité de vérifier si cette chose est un produit de l'imaginaire ou s'il s’agit d'une œuvre plus subtile.
- Pensez-vous que Dieu cherche à me parler ?
- En général, il n'appelle avec de grands signes que ses élus et vous reconnaissez qu'il serait très présomptueux de votre part de vous prendre pour un élu de Dieu.
- Je n'en ai jamais eu la prétention. Finalement, je trouverais cette faveur trop lourde pour ma petite âme.
- À la bonne heure ! Je constate que vous êtes un homme raisonnable. En tout cas, je ne vois pas dans votre cas la nécessité d'un quelconque exorcisme. Il ne m'apparaît pas, non plus, que vous soyez un homme fragile.
- Votre confidence me rassure, Monsieur le curé. Puisque l'homme d'Église ne voit rien de maléfique dans ces messages, j'en déduis qu'ils pourraient avoir une origine sainte.
L'ecclésiastique parut réfléchir à une réponse digne de son statut.
- À mon avis, ils contiennent une symbolique qui mériterait une étude plus approfondie. Si vous me l'autorisez, j'aimerais en débattre avec Monseigneur Cassin, l'évêque du diocèse. Sa lumière vous éclairera sûrement.
Emmanuel observa que le religieux doutait que ces messages pussent avoir une provenance céleste tout en admettant qu'ils méritaient un éclaircissement. Quoique celui-ci avait clairement spécifié que Dieu s'en tenait à des principes piètrement humains.
- J'ai bien peur qu'il ne s'amuse de mon histoire, voire ne me prenne pour un affabulateur. De surcroît, je pense qu'un évêque est plus gestionnaire qu'exégète.
- Vous pensez mal, Monsieur. Monseigneur Cassin n'est pas un simple administrateur, mais un homme de grande foi dont vous apprécieriez le jugement.
- En définitive, je vais suivre votre premier conseil.
- C'est-à-dire ?
- Eh bien, je vais aller dans la montagne et nous verrons bien ce qui s'y passera. Ce sera quand même mieux que l'analyse amphibologique de l'évêque Cassin.
- Je vous sens plutôt anticlérical. La chrétienté et l'Église vont de pair, mon cher.
- Voici un sujet épineux, Monsieur le curé. En tout cas, je vous remercie pour cette discussion. Elle a aidé ma décision.
- Vous m'en voyez ravi, Monsieur …
- Emmanuel.
Derrière le ton affable du prêtre, il discerna de la contrariété. Il imputa celle-ci à son allusion péjorative envers un haut ministre du culte et, par lui, à toute la communauté religieuse. Ils se séparèrent en évitant les formules faussement courtoises et, donc, superfétatoires ; vu qu'il ne se complaisait pas, en général, dans l'hypocrisie. Il s'interdisait néanmoins de ruminer des critiques, somme toute justifiées, envers les propos du curé. Dans cette phase particulière, il prenait garde également de ne pas s'empoisonner le mental avec des pensées néfastes.
Cette conversation l'incita, en définitive, à regarder le phénomène plus sereinement et à vérifier s'il n'était pas une subtile instigation au-delà. Il n'éprouvait plus le désir tout à coup de lutter contre le conseil de l'entité à se rendre dans la montagne pour y entendre une supposée et mystérieuse vérité. Il agissait avec le sentiment que cela correspondait à une nécessité. Qu'une autre intelligence que la sienne soufflât à son esprit ce qu'il convenait de faire ne le rendait plus rétif. Ce qui ne signifiait pas qu'il se soumettait à l'invisible, mais qu'il acceptait d'écouter ce que celui-ci essayait de lui dire. Son tempérament ne le prédisposant pas, cependant, au serf arbitre, il s'apprêtait à devoir résoudre un dilemme. En effet, hormis un signe probant, il n'en viendrait pas à emprunter le chemin d'un hypothétique destin.
Trêve d'atermoiements, il partit en direction de cette montagne où l'attendait l'énigmatique voix tout en pensant que sa foi déficiente empêcherait forcément la magie ; car il doutait que la hauteur du lieu fût un élément propre à permettre un affinement de son audition spirituelle. Il adopta un rythme sportif pour compenser la fraîcheur matinale, pressé de dépasser en outre ce moment anxiogène et de connaître, enfin, cette tâche qu'il lui incombait de réaliser. Il imaginait que l'effervescence des pensées ne manquerait pas de s'accroître à l'approche de l'avènement, que sa raison tenterait aussi de prendre la suprématie et de le dissuader de persister dans cette absurde entreprise. Le doute en profiterait, alors, pour taler son cœur et exacerber une crainte inavouée de l'insolite ou de l'inconnu ; ce qui rendrait assurément l'alchimie impossible.
Tout en grimpant le sentier caillouteux et herbu par endroits, il s'emplissait les poumons avec bonheur des généreuses fragrances montagnardes. Perlant des feuilles des arbres, l'aiguail faisait scintiller l'herbe et resplendir la flore. Il s'émouvait de l'abnégation de la nature et vilipendait l'égoïsme criminel de l'homme. Altération d'une magnifique et fragile harmonie qui avait le don de l'insupporter. Il souffrait donc en son cœur de cette inconséquence humaine, subodorant que la terre entreprendrait, tôt ou tard, une terrible régénération qui emporterait l'humanité dans une série de déferlantes destructrices, voire un effroyable cataclysme.
Durant la montée, il usa d'échappatoires pour tromper l'anxiété et, surtout, à l'approche d'un événement de l'ordre du surnaturel. Il s'en remettait à son intuition pour le choix du lieu adéquat d'où il pourrait scruter le ciel, puis rester dans l'expectative d'une manifestation. Un être au regard enjôleur allait-il le surprendre au détour d'une clairière et tenter de l'instruire de sa belle voix profonde ? Il craignait de devoir évaluer, à cette occasion, l'ampleur des ténèbres de sa surdité. Pareille peur démontrait qu'il ne faisait pas cette petite ascension, induit par une misérable curiosité, mais par un fond de foi.
En fin de compte, il s'arrêta à l'endroit où il venait régulièrement pour rêvasser. Allongé dans son champ de prédilection, il entreprit de lézarder tout en guettant quelque prodige ; bien que son moi cartésien le dissuadait d'espérer en la descente impromptue d'un ange. Une masse nuageuse, encore lointaine, menaçait d'ailleurs d'obombrer le ciel, à présent, d'un splendide bleu indigo. Il regretta ce possible obscurcissement du soleil, y voyant le présage d'une annonce désagréable et convaincu que nul enchantement ne pourrait avoir lieu en dehors d'un généreux rayonnement. Un message de cette importance ne méritait-il pas d'être magnifié.
L'herbe étant encore humide, Emmanuel se releva et avisa un petit rocher sur lequel il s'assit pour contempler le paysage. Il ne se lassait pas de l'humble et profonde beauté de l'univers créé par Dieu avec infiniment d'Amour. Les aspects apparemment insignifiants de celui-ci recelaient un charme caché, mais qu'il ne savait guère pénétrer évidemment. Un épais voile gris recouvrait maintenant le ciel jusqu'à l'horizon, rendant la montagne étrangement souveraine. Millénaire, immuable et sereine, la grisaille la faisait apparaître encore plus mystérieuse. Il avait fait sien de ce petit espace paisible, que nul promeneur ne venait fouler, comme si une subtile porte en interdisait l'accès. Un jardin délicat, qu'il préservait autant que possible – en dépit de l'inévitable flétrissement –, persuadé que la nature gracile appréciait sa belle disposition de cœur. Il se plaisait à penser que cet amour l'incitait à se montrer dans son plus bel apparat, telle une jeune fille s'ingéniant à charmer son amoureux. Privé de charnel, il éprouvait un besoin viscéral de se baigner d'absolu. Aussi compensait-il, par elle, ce manque. Une compagne ou, plutôt, une égérie qui l'initiait au don gratuit de soi.
Le cadre et l'ambiance s'avéraient finalement idéaux pour abriter ce moment très particulier. L'avènement d'une fulguration balayant, soudain, la voûte sombre et s'écrasant sur le sol devant lui l'étonnerait à peine. L'étrange entité ne s'était-elle pas ingéniée à l'impressionner ou à simuler le songe ? Il subodorait qu'elle ne l'avait pas mené là pour lui faire une simple annonce, mais qu'elle