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Induit par une irrépressible force, et après avoir été la pauvre victime d'événements dramatiques, Lyov quitta sa ville natale de Smolensk, sise en Russie, un matin de janvier 1813. Ainsi il se mit à marcher en direction de Doubrowna à la recherche d'une condition de vie meilleure. Certes, depuis de nombreuses années, l'adversité l'avait contraint à une existence misérable. Chaque jour, heureusement, la prière avait été son refuge, une voie de consolation. Cette pérégrination l'amena à se retrouver dans des situations insolites et, surtout, à faire un chemin spirituel. Finalement, il n'errait pas au hasard, mais en direction de ce lieu vers lequel Dieu le menait.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Chapitre 1 Janvier 1813
Chapitre 2 Septembre 1815
Chapitre 3 Novembre 1815
Chapitre 4 Fin septembre 1816
Chapitre 5 Novembre 1816
Chapitre 6 Juin 1817
Chapitre 7 Octobre 1817
Chapitre 8 Novembre 1817
Chapitre 9 Janvier 1818
Romans
Au nom du Saint-Esprit, je vous dis …
L'Arche des Temps Nouveaux
Folie de l'Homme ou Dessein de Dieu
Le Tiraillement
L'enfant bonheur
Suis-moi (tomes 1 et 2)
L'inflexible loi du destin (tomes 1 et 2)
À la croisée des destins
L'Univers de Kûrhasm (tomes 1 et 2)
Le chevalier de la Lumière
Quand le doigt de Dieu ...
La légende de Thâram (tomes 1 et 2)
Henri-Louis de Vazéac
Il la regarda et...
Essais
La destinée de l'homme ...
L'islam tisse sa trame en Occident
Poésies
Murmures de mon âme
Envolée métaphysique
Scénario de film
Magnesia
Je me consacre à l'écriture depuis 2002 après avoir rédigé plusieurs ouvrages entre 1990 et cette date. Mes écrits ont un même fil conducteur spirituel, reflet de l'inaltérable foi en Dieu animant mon cœur. Ce qui m’a conduit à écrire, parfois, des histoires insolites et à devenir un auteur difficile à classer dans un genre.
ISBN : 978-2-3225-4510-0
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays
Site internet : www.atypical-autoedition.com
Mû par le désir soudain de fuir le lieu où plus rien ne m'attachait, j'entrepris une marche vers l’inconnu. Faisais-je cela, poussé par Dieu sur le chemin d'une destinée dont il était seul à connaître la vérité ? Ainsi je pris la direction de Doubrowna, depuis ma petite ville de Smolensk située non loin de la frontière biélorusse, en pointant mon index au hasard sur la carte sommaire que j'avais acquise chez un marchand.
Avec de vieilles nippes sur le dos, un vieux sac en jute et une outre d'eau accrochés à l'épaule, je ressemblais à un miséreux vagabondant droit devant lui. D'autant que mon pied bot de naissance m'obligeait à claudiquer, quoique je m'étais habitué à vivre avec cette petite infirmité. Cela ne m'empêchait guère d'avancer d'un pas vaillant. Fort des trois roubles en ma possession, je pus acheter du pain et un peu de fromage … mon unique nourriture depuis un certain temps déjà. Je ne larmoyais pas cependant, m'efforçant plutôt de trouver du réconfort dans l'espérance d'une marche guidée.
Les gens qui posaient sur ma personne un regard compatissant, dans les villages que je traversais, ignoraient que ma condition indigente ne me rendait point malheureux. Mon cœur contenait, en effet, une richesse que nulle fortune ne pourrait égaler, à savoir une infrangible foi en ce merveilleux Seigneur qui se sacrifia avec une abnégation et un amour sans pareil. Sa sainte Lumière était la seule grâce que j'espérais qu'il m'accorderait, enfin, en récompense de mon refus de souscrire dorénavant à la superficialité matérielle, aux joies terrestres.
Si mes parents m'avaient enseigné à prier le matin au réveil et le soir avant le coucher, j'étais conscient de ne rien connaître de la vraie prière, de celle en mesure de toucher le cœur de Dieu. Ayant dans ma besace la sainte Bible, un don de feue ma pauvre mère, je l'ouvrais durant mes temps de repos pour me nourrir de la Parole du Seigneur Jésus-Christ via l'Évangile de Jean, lequel avait toujours eu ma préférence. Par ce biais, j’oubliais ma misère et percevais même de l'enrichissement en cette dernière.
Après vingt jours de marche, j'arrivai à Doubrowna. J’avais lambiné, cette ville n'étant qu'à quatre-vingt-quinze verstes (1 verste est égale à 1,066 km). Avec les deux roubles encore en ma possession, je pus m’y offrir un repas chaud et y prendre une petite chambre dans une auberge. Le lendemain, il me fallut retourner dormir dans un abri de fortune avec pour tout repas un bout de pain ; car je n'avais plus un kopeck en poche. « Aie foi que Dieu pourvoira et il pourvoira effectivement », me dis-je.
Les températures glaciales en Russie pendant la période hivernale rendant cette pérégrination difficile, je me mis à douter soudain de sa pertinence. « Ne serais-je pas le piètre jouet de mon imaginaire ? », marmonnai-je après m'être assis sur le bord de la chaussée. Il me vint aussi à la pensée que Dieu me laisserait sûrement mourir de froid si je restais là immobile.
Mon instinct de survie m'incita à chercher un travail pour me loger et me nourrir autrement. Peut-être trouverais-je agréable ensuite de vivre là, voire d’y finir mes jours. J'appris que Doubrowna était un centre de tissage de châles de prière, mais que les ouvriers devaient travailler à domicile et accepter un salaire de misère. N'ayant aucun chez moi, j'envoyai cette possibilité de travail au rebut. Outre que je n'étais pas très adroit, je ne souhaitais pas, non plus, me laisser exploiter par de fieffés opportunistes.
Plutôt que de tourner en rond en ce lieu et de finir par trépasser sans doute d'une pneumonie, ce mois de février 1813 étant particulièrement rude, je décidai de quitter cette petite ville et de continuer ma marche. Ouvrant la succincte carte, je posai mon doigt sur la ville de Minsk. Une petite voix souffla au fond de mon oreille qu’il m’y serait offert l’opportunité de vivre de façon plus décente. Renseignement pris auprès du prêtre de l'unique église de Doubrowna, un homme instruit visiblement, je sus qu'il s'agissait d'une grande ville se trouvant à cent-quatrevingts verstes (198 km). Une longue route finalement ! Je pris mon courage à deux mains et fis en sorte de ne pas me laisser perturber mentalement par mon pied bot.
En chemin, le vent glacial fouettait mon visage et gelait mon corps, seulement protégé par un vieux manteau de laine. Pour stimuler ma volonté, je priais Dieu de me soutenir en récitant le début du psaume 23 de la Bible : « L'Éternel est mon berger, je ne manque de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages. Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice à cause de son nom ». Or, la nuit venue, je n'eus pas d'autre choix que de dormir dans un bois à l'écart du chemin. Quant à mon tempérament opiniâtre, il m’aida à oublier le froid humide. Comme nul miracle ne se produisait, j’en déduisais que Dieu demeurait sourd à mes suppliques.
Le matin, de bonne heure, je repris la route après avoir mangé le dernier bout de pain et bu un peu d'eau dont la température glaciale vint transir mon corps. Mes prières manquaient-elles de ferveur et se dissolvaient-elles, partant, avant de parvenir à l'oreille du Divin ?
« Mon Dieu, pardonne ma faiblesse et ma foi défaillante. Je t'en supplie, prends pitié d'un pauvre pécheur ». Je répétais cela régulièrement en espérant qu'il finirait par m'entendre et par récompenser mon humble disposition de cœur. J'ouvris aussi la Bible, assis sur le bord du chemin, afin d'y rechercher une petite lumière propre à exacerber ma foi. Alors que je lisais l'Épître de Paul aux Thessaloniciens, l'exhortation « Priez sans cesse ! » se mit à résonner à la manière d'une trompette dans ma tête. J'entrepris une réflexion sur la signification réelle de ce commandement. J’eus le sentiment, soudain, que j'attendais trop de Dieu et que mon oisiveté ne lui plaisait guère. Ne dit-il pas à Adam et Ève : « Vous gagnerez désormais votre pain à la sueur de votre front ? ». Moi, pauvre pécheur, je n'étais qu'un Adam auquel il disait certainement si j'avais pu l'entendre : « À quoi bon ces jérémiades ? Montre de la vaillance et, peut-être alors, j'insufflerai ta vaillance! ».
Dans l'Épître de Paul, je relus l'invitation de Paul : « Il faut prier sans cesse, prier par l'esprit en toute occasion, élever en tout lieu des mains suppliantes ». Des paroles dont je ne saisissais pas, malheureusement, le sens profond. Que n'avais-je auprès de moi un exégète, une personne sainte en mesure de m'éclairer sur la façon juste de prier, sur la bonne disposition de cœur à adopter. Ne devrais-je pas chercher un monastère pour y solliciter la grâce d'une explication ? Cela me fit mesurer l’étendue de mon indigence spirituelle.
Lors des messes à l'église de Smolensk, et avant que j'entreprisse cette marche, j'avais entendu nombre de prêches dans lesquels le prêtre évoquait la nécessité de prier sans jamais expliquer la bonne manière de pratiquer. Savait-il seulement bien prier lui-même ? Avait-il pénétré la quintessence de la prière ? Réflexion faite, il m’apparut qu'en pénétrant le cœur de la prière, on ne se trouve plus dans une simple répétition de paroles propres à emplir simplement notre pensée, une litanie improductive, mais dans l'essence spirituelle même. Dieu me soufflait-il ce que je cherchais, à savoir un meilleur chemin de prière ? Cela semblait n'être encore qu'une petite prise de conscience et nullement une belle compréhension de la prière efficace.
Pendant mes temps de repos dans des abris de fortune, je m'appliquais à ausculter la Bible à la recherche de clés aptes à éveiller mon entendement spirituel. J’espérais inconsciemment que Dieu ferait le pas d'envoyer enfin vers moi un ange instructeur.
Depuis quinze jours, je marchais à mon rythme vers Minsk quand j'aperçus, un jour, en début d'après-midi, un monastère au loin. Pressant le pas, j'arrivai à l'entrée de l'édifice par une grande allée et pénétrai dans la réception où un moine hospitalier me reçut avec affabilité. Après que je l'eusse informé du motif de ma quête, il me considéra avec un léger sourire. « Il me prend pour un original ou pour un vagabond qui n'a plus toute sa tête », pensai-je. D'autant que mes vêtements sales et usés ne donnaient pas une bonne image de ma personne.
- Voici une question intéressante, mais à laquelle on ne peut répondre en quelques mots, finit-il par dire.
- N'y a-t-il pas au sein de votre communauté un moine au fait des Saintes Écritures et qui aurait donc réussi à percer ce secret ? M'enquis-je.
Ma bonne élocution tendait à contrebalancer, heureusement, la laideur de mon apparence.
- Nous sommes tous au fait des Saintes Écritures, mon cher monsieur,
- Pourriez-vous alors me faire la faveur de m'éclairer sur la prière juste ?
- Vous voulez parler de la bonne façon de prier sans doute ?
- Oui, répondis-je laconiquement.
Cette manière de jouer au professeur me contraria, mais je fis en sorte de n'en rien laisser paraître.
- C'est en priant le plus possible que l'on aguerrit son cœur comme en forgeant que l'on devient un meilleur forgeron.
J'eus la certitude que ce moine ne satisferait guère ma petite aspiration. Tandis que je le remerciais pour sa patience et que je m'apprêtais à prendre congé, il lança :
- Il y a un ermite au fond de la forêt de Sikov qui pourrait peut-être vous aider.
- Où se trouve cette forêt de Sikov ?
- C'est à trente-cinq verstes environ d'ici (un peu plus de trente-sept kilomètres). Il vous faut suivre la route de Minsk et bifurquer vers Bélynichi. Avant d'arriver au village de Sikov, vous verrez une forêt … c'est celle-là.
- Comment le reconnaîtrai-je ?
- Il a élu domicile dans une cabane qu'un paysan avait construite au fond d’un petit champ et qu'il lui a permis d'habiter.
- Merci infiniment, mon frère. Je m'y rends de ce pas.
- Attendez-moi ici. Je vais aller vous chercher de quoi vous restaurer, mon brave.
- Vous êtes bien aimable, mais …
- Prenez ça pour un don du Seigneur, mon ami.
Ce bon samaritain sortit de la réception et revint une demi-heure plus tard avec un sac à dos rempli de victuailles et quelques vêtements.
- Voyez si ces habits sont à votre taille.
- Visiblement oui. Merci infiniment, mon frère. Je n'avais en effet plus rien à me mettre sous la dent et mes vêtements sentaient vraiment le rance.
Il rétorqua en souriant et en posant sur mon visage son regard à l'iris gris-bleu :
- Croyez que Dieu pourvoit et il pourvoit, mon ami.
Après avoir quitté ce bon moine, je repensai à sa dernière phrase. C'était comme si Dieu était passé par lui pour me faire savoir que mes prières n'avaient pas été si vaines. « Pardon, mon Dieu, d'avoir douté de ton Amour infini. Je croirai désormais que ta gratification viendra au moment opportun ».
Je suivis la route indiquée par le frère en claudiquant, certes, mais gaillardement. Mon estomac se mit soudain à crier famine et l'hypoglycémie à manquer me faire défaillir. Pourtant, j'avais entraîné mon corps à se satisfaire de peu, de rien même. En ouvrant le sac, je fus heureux d'y trouver du pain, divers fromages, des fruits, du miel et de l'eau. Il avait aussi pris soin d'y glisser un couteau et une petite cuillère, roulés dans un linge. Cette magnifique bonté du Seigneur m'émut tant que, tel un enfant, je me mis à pleurer.
Ayant vaillamment avalé les verstes (ou les kilomètres), j'arrivai un jour et demi plus tard à la lisière de la forêt de Sikov. Je m'y enfonçai et aperçus finalement la cabane de ce fameux ermite au cœur d'une petite clairière tapissée d'une herbe bien verte. L'appréhension de cette entrevue m'induisit à rester un moment à l’écart et assis sur un tronc d'arbre. M’armant enfin de courage, j'approchai de la cabane en pin et frappai discrètement à la porte.
- Entrez ! Lança une voix grave.
J'osai donc tourner la poignée et pousser la porte. Puis j'aperçus au fond de l'unique petite pièce, un homme assis en tailleur, les cheveux noirs frisés comme la laine sur le dos d'un mouton et les yeux clos. Je m'assis à croupetons face à lui et attendis qu'il daigna ouvrir les yeux ; ce qu'il fît assez rapidement.
- Que cherches-tu ? Questionna-t-il ex abrupto.
- On m'a dit que tu es un ermite plein de sagesse.
- Qu'attends-tu de moi ?
- Es-tu cet ermite ?
- Ce « on » qui t'a informé t'a précisé où je demeurais non ?
- Oui, en effet.
- Ermite je suis, mais il serait bien vaniteux de ma part de me prétendre sage. Je n'ai de sagesse que celle qui m'est soufflée d'en haut.
- J'entends alors que tu en as beaucoup. Puis-je t'adresser une requête ?
L'homme me donna son accord à l'aide d'un petit geste de la main.
- Pourrais-tu m'expliquer ces paroles de l'Apôtre Paul dans l'Épître aux Thessaloniciens : « Priez sans cesse ».
- N'est-ce pas assez clair ?
- Comment prier sans cesse ? Cela paraît simple effectivement, mais difficile à mettre en pratique de mon point de vue.
L'ermite ferma derechef les yeux et parut entrer en méditation. Était-ce sa manière de me dire qu'il ne souhaitait pas débattre de ce sujet et que la discussion était close ? Je faillis me lever et partir, puis je me ravisai. Il rouvrit soudain ses yeux de la couleur de l'ébène, scruta étrangement mon regard et déclara :
- La prière doit émaner de l'esprit et emplir la pensée à chaque instant. Son efficacité est nulle, dès lors qu'elle n'est qu'une suite de paroles simplement prononcées, de cantiques chantés pour créer une ambiance religieuse. Ce qui sort de la bouche ne vient pas nécessairement du cœur. Les mots empêchent la concentration et la paix de l'esprit. Pour réussir cet exercice, difficile en effet, il convient de demander au Seigneur de nous en inspirer le processus. Évidemment, cela requiert du temps, de l'abnégation et de la patience.
- Merci pour ces précisions. Je constate, en effet, que je ne suis pas au bout de ma peine. Car si le Seigneur refuse de nous en inspirer le processus, nous restons un postulant face à une porte fermée à double tour.
- « Frappe et la porte s'ouvrira », a dit le Seigneur ou, en d'autres termes, fais une demande sincère et tu recevras forcément une réponse ou le salaire de ta supplique.
- Toi qui est un érudit ...
- Un chercheur, un simple chercheur, coupa l'ermite.
- Oui, bien. Combien de temps as-tu mis pour parvenir à prier ainsi ?
- Je ne saurais dire. Cet isolement m'a permis de trouver la paix intérieure et de suivre la voie de mon destin. Je ne me suis pas focalisé sur la prière comme tu le fais.
- Dois-je devenir un ermite et ne pas chercher à tout prix à prier ?
- Suis la voie que ton cœur te soufflera, car en elle sera le destin que Dieu a tracé pour ton âme.
- Je vais suivre tes conseils. Puis-je connaître ton nom ?
- L'ermite Piotr. C'est ainsi que les gens me nomment dans le bourg au-delà de cette forêt. Et toi, le tien ?
- Mon prénom est Lyov. Tiens ! Ermite Piotr, j'ai du pain, du fromage et des fruits qu'un moine m'a offert. Partageons-en une part si tu veux bien.
- Non merci, Lyov. J'ai tout ce qu'il me faut ici. Des âmes charitables m'apportent régulièrement le nécessaire. Garde ce que tu as reçu, tu en auras besoin. Je vais plutôt te préparer quelque chose de chaud.
Il se mit debout et je l'imitai. Nous sortîmes de la cabane et je le regardai mettre du bois dans un foyer aménagé avec de grosses pierres, en grès probablement, puis allumer un bon feu sur la braise duquel, ensuite, il fit cuire deux cuisses de poulet. Nous mangeâmes celles-ci avec du pain dans la cabane, assis sur un petit coussin. Je me délectai de ce mets simple, mais chaud, vu que je n'en avais plus eu l'opportunité depuis mon bref séjour à Doubrowna. Il m'offrit aussi du fromage de chèvre et un verre de thé.
- C'était délicieux, merci Piotr. Tu ne manques de rien à ce que je vois.
- Dieu pourvoit chaque jour et je l’en remercie humblement.
- Bien, je vais te laisser maintenant et continuer mon chemin.
- Vers où comptes-tu aller ?
- Minsk. Peut-être y trouverai-je un emploi et m'y établirai-je. Mais je continuerai évidemment à prier en suivant ton conseil.
Les yeux fermés, il resta un moment silencieux. Puis il déclara tout à coup :
- J’entends, Lyov, que ta marche ne s'arrêtera pas à Minsk. - Ah ? Et vers où te souffle-t-on qu’elle continuera ?
- Il me vient la vision d’une grande église avec un très haut clocher au sein d'une belle lumière blanche.
- Vais-je entrer en religion ? Je n'y suis pas prêt, vois-tu !
- Ce ne sera pas le cas, selon moi. Je pense que ton destin est particulier cependant.
- Peux-tu m'en dire plus ?
- Non. Aie confiance que le Seigneur te regarde.
- Merci Piotr. Tu es vraiment un homme plein de sagesse.
Il nia naturellement ce statut et je le quittai avec un petit pincement au cœur. Cet ermite affable venait d'insuffler mon cœur d'une douce espérance, à savoir que Dieu me poussait apparemment vers mon destin. Peu après la sortie de la forêt, je vis une rivière dans laquelle je fis un peu de toilette, en serrant les dents à cause de l'eau glacée, puis j'enfilai les habits propres donnés par le gentil moine et qui s’avéraient un peu trop amples finalement. Certes, mon manteau de laine aurait nécessité un bon lavage à l'eau bouillante. Sur la route vers Minsk, j’entrepris d’analyser la vision de Piotr et, ainsi, d’essayer de percer la signification de la grande église. Sans doute le très haut clocher symbolisait-il la nécessité de prier plus intensément, afin de parvenir à recevoir un peu de l'inspiration divine. Une chose qui m'apparaissait toutefois bien hypothétique, vu mon incapacité à prier efficacement. Néophyte en la matière j'étais et, peut-être, néophyte je resterai.
Pendant mes pauses, j'auscultais les Évangiles à la recherche d'une lumière. Or les paraboles du Christ me semblaient absconses et sa Parole ne m'aidait pas à mieux prier ; quoique j'éprouvais beaucoup de bonheur à me remplir de cet amour auquel il enjoignait en permanence. Il aurait été prétentieux de ma part cependant de prétendre bénéficier de cet Esprit-Saint dont il gratifia ses disciples après sa résurrection. Je n'étais qu'un pauvre hère en quête d'une croissance spirituelle pour simplement ne pas mourir, un jour, comme un piètre pécheur. Je ne recherchais guère l'apothéose ou une sorte de sublime béatitude.
J'aspirais à recevoir une once de lumière, une aide dans ma pratique quotidienne de la prière. Une quête qui me tourmentait tellement que j'en perdais le sommeil. Ayant effectué trois semaines de marche, je subodorai que je n'étais plus très loin de Minsk.
Fatigué par l'obligation de lutter contre le froid, je fis le pas d'entrer dans une auberge du village de Vohr en début de soirée pour y requérir la faveur d'un repas chaud contre un travail de plonge ou autre. Le tenancier me rétorqua :
- J'ai assez avec ma femme et une employée. Il y a bien du bois à couper cependant.
- Malheureusement, un handicap à mon bras gauche m'empêche de lever la hache.
Me toisant un instant de son regard sombre abrité derrière d'épais sourcils, il lança finalement :
- Vous m'avez l'air mal en point, mon brave. Allez, je vous offre une nuit dans une petite pièce derrière et une soupe chaude.
Je le remerciai pour sa grande générosité et pris place à la table qu'il m'indiquait. Tout en mangeant ma soupe et du bon pain frais, je tournai ma pensée vers le Seigneur. Je lui étais reconnaissant de m'avoir ouvert la porte de cette auberge et donné l'opportunité d'un gîte et d'un couvert.
Cette bonne nuit de sommeil dans une sorte de débarras, mais à l'abri de la rudesse du gel, me permit de retrouver un peu de forme. Au petit-déjeuner, composé d'un grand bol de thé et de pain à la goûteuse mie épaisse, l'aubergiste me demanda :
- Pourquoi t'éreintes-tu ainsi sur les routes sous la neige et avec un pied bot en plus ?
Ne souhaitant pas ergoter avec lui sur une chose qu'il n'aurait sûrement pas comprise, je répondis :
- Je me plie à la volonté du Seigneur.
- Tu n'as pas l'air d'un religieux, mais plutôt d'un manant, répliqua le tenancier avec un sourire ironique et un regard malicieux.
- L'apparence extérieure est trompeuse souvent. Le Seigneur, lui, n'en a que faire.
- Tu causes bien en tout cas. Que faisais-tu avant de te mettre au service du … Seigneur ?
- Ma vie passée est morte. Seule ma vie présente est importante à mes yeux.
- Si je comprends bien, il faut tout abandonner et suivre Dieu pour vivre vraiment.
- En suivant l'inclination de notre cœur, on va forcément vers ce destin que Dieu a tracé pour notre âme.
- Ah ça, tu causes vraiment comme un religieux et avec sagesse ma foi ! Écoute, il y a un monastère près de Jodz, c'est à douze verstes d'ici (environ 13 km). Tu auras certainement beaucoup de plaisir à discuter avec l'abbé Andrei, car il est plein de science religieuse.
- Comment sais-tu que cet abbé Andrei est un érudit ?
- Un quoi ?
- Un homme instruit si tu préfères.
- Parce que j'y vais de temps en temps pour qu'il me bénisse. Tu vois, je suis pas aussi athée que j'en ai l'air.
- Sache que je ne te juge pas. « Ne jugez pas si vous ne vous voulez pas être jugés. Car vous serez jugés comme vous jugez ... » a déclaré en substance Jésus-Christ.
Sur ces paroles moralistes, je pris mon sac et quittai promptement cet individu trop critique à mon goût. À l'extérieur, je demandai à Dieu de bénir cet homme qui avait, malgré tout, fait preuve de charité à mon égard et au moment où mon corps défaillait. Je m'abstins de l’étiqueter, ne voulant pas me retrouver dans la situation de l'arroseur arrosé.
Je décidai d'aller rencontrer ce fameux abbé dont les conseils me seraient sûrement utiles. M'étant renseigné en chemin, j’aboutis au monastère de Jodz ; ce qui ne m'avait contraint qu'à un crochet de deux verstes (un peu plus de 2 km). Le moine qui me reçut me considéra avec des yeux étonnés quand je lui déclarai sans ambages :
- Je souhaiterais avoir un entretien avec l'abbé Andrei.
- L'abbé Andrei est très occupé. Il ne reçoit pas ainsi sans rendez-vous. Et puis, qui êtes-vous pour exiger quasiment que l'abbé vous reçoive ?
- Je n'ai rien exigé, mon frère. C'était une simple requête.
- Par qui avez-vous entendu dire que l'abbé Andrei est un saint ?
- Je n'ai pas entendu dire qu'il est saint, mais qu'il possède de l'érudition … une grande instruction religieuse si vous préférez.
- Vous ne souhaitez pas dire qui vous a conseillé de rencontrer notre supérieur et pour quel motif ?
- Ah si bien sûr ! À l'auberge du village de Vohr à douze verstes d'ici, l'aubergiste m'a invité, au cours d’une petite discussion, à parler de mon questionnement avec l'abbé Andrei.
« Pardon pour ce petit mensonge, Seigneur », pensai-je.
- À propos de quel questionnement ?
- Je le confierai seulement à l'Abbé si vous permettez.
- Si vous arrivez à le voir, mon ami. Cet aubergiste s'appelait Roman, n'est-ce pas ?
- Il ne m'a pas communiqué son prénom, ni moi le mien.
- Je connais cet aubergiste, voyez-vous. Il s'appelle Roman et c'est un ancien moine qui a décidé un jour de quitter notre communauté pour vivre une autre vie avec la femme qu'il avait rencontrée quelque temps auparavant.
Cette révélation me fit réaliser que ce Roman ne s'était pas trouvé sur mon chemin par hasard et que j'étais allé vers lui comme induit par un ange. Que me réservait-on encore ? Cette perspective tendait à enthousiasmer mon cœur.
- Je comprends mieux maintenant certaines de ses paroles, dis-je.
- Excusez mon indiscrétion. De quelles paroles s'agit-il.
- Elles resteront entre lui et moi, voyez-vous..
- Comme il vous plaira. Concernant votre questionnement, si vous refusez de m'en dire plus … je doute de pouvoir vous obtenir un rendez-vous avec l'Abbé.
- Entendu. Voici donc ! Mon cœur est dans le chagrin à cause de l'impossibilité de bénéficier de la grâce de l'Esprit-Saint, et ce, malgré mes nombreuses prières.
Je vis soudain de la compassion dans le regard vert clair du moine. Avait-il pitié de ma disgrâce ? Jugeait-il plutôt que je poursuivais une quête insensée ? Car un profane ne saurait convoiter ce qui n'est dévolu qu'à un religieux via une sainte consécration.
- Bon, attendez-moi là. Je vais aller parler à l'Abbé Andrei … je ferai en sorte de trouver les mots pour qu'il consente à vous accorder une entrevue.
- Merci infiniment pour votre aide, dis-je.
Pendant que celui-ci était parti plaider ma cause, je louai le Seigneur pour son soutien ; car tout ce qui m'arrivait, depuis Doubrowna, n'aurait pu avoir lieu s'il se désintéressait totalement de mon sort. D'ailleurs, il semblait qu'un ange avait soufflé tout à coup à l'oreille de ce moine d'aller convaincre son supérieur de m’ouvrir sa porte.