La Bourse, une machine infernale - Bruno Colmant - E-Book

La Bourse, une machine infernale E-Book

Bruno Colmant

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Beschreibung

Au fil des siècles, les Bourses se sont adaptés à l'évolution économique de nos sociétés. Des tulipes aux produits dérivés obscurs et complexes, les marchés que nous connaissons actuellement ont subi de nombreuses transformations, rythmées par des krachs financiers d'envergure. Un tournant majeur s'opère cependant durant les années 90, au moment où le secteur technologique prend de l'ampleur. Les Bourses perdent progressivement leur visage humain au profit de l'électronique. Les parquets, où s'époumonent agents de change, seuls habilités à pouvoir exécuter les ordres des investisseurs, sont désertés. Ils vont céder leur place aux banques, qui vont elles-mêmes se retrouver face à des acteurs plus importants, appelés traders à haute fréquence. Dans le même temps, les négociations en Bourse s'accélèrent, au point de dépasser largement aujourd'hui la vitesse de la lumière. Le 6 mai 2010, le monde découvre avec stupeur l'importance de ces firmes robotisées sur les marchés, et le rôle qu'elles jouent désormais sur les marchés d'actions et les produits complexes. Pourtant, leur avènement s'accompagne d'une démocratisation des marchés pour tous les investisseurs. Car désormais, il n'a jamais été aussi facile pour le particulier de négocier en Bourse. Et jamais aussi bon marché aussi. Toutefois, la robotisation des marchés financiers pose des défis de taille pour les acteurs qui y interviennent. Tout le monde court après la machine.

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LA BOURSE,

Jennifer Nille, Bruno Colmant

La Bourse, une machine infernale

Renaissance du Livre

Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

couverture: emmanuel bonaffini

isbn: 978-2-507-0528-29

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.

JENNIFER NILLE

BRUNO COLMANT

La Bourse, une machine infernale

Histoire de la Bourse duXVIIeauXXIesiècle

Préface

Mme Jennifer Nille est journaliste et blogueuse financière dans le domaine des marchés des capitaux et des sujets connexes. Elle est donc habituée à suivre l’actualité de près. M. Bruno Colmant associe un parcours académique à une expérience pratique considérable. Il est un touche-à-tout économico-financier qui réussit à mener de front ses multiples activités – même en tant qu’officier de réserve dans l’artillerie – pour en tirer des points de vue intéressants.

Se basant sur leur riche expérience, les auteurs ont réussi ensem­ble à écrire un livre particulièrement divertissant qui, à premièrevue, se concentre sur « la Bourse de Bruxelles », mais dépasse en faitlargement ce cadre. Jennifer Nille et Bruno Colmant emmènent le lecteur dans un voyage à travers le passé, le présent et l’avenir de la Bourse et de la cotation des actions et autres produits financiers.

Dans une langue à la fois très imagée et qui reflète leur grande érudition, mais qui est aussi très directe, les auteurs identifient un certain nombre de défis auxquels les marchés financiers et leurs régulateurs, les politiciens et les autres, et les superviseurs doivent rechercher des solutions. Ce faisant, ils n’esquivent pas la polémique : les auteurs ne craignent pas de revenir sur les incohérences dans le raisonnement de certains. Il est clair que beaucoup fronceront les sourcils avec étonnement à plusieurs occasions au cours de leur lecture. J’invite le lecteur à le découvrir par lui-même !

Dans ce livre, les auteurs ne décrivent pas seulement plus de quatre siècles d’événements boursiers, ils dépeignent également lecontexte dans lequel les développements se sont produits et se produisent encore ; des développements qui sont généralement une réponse appropriée à l’évolution de ce que nous appelons aujour­d’hui « l’économie réelle », autrement dit l’agriculture, l’industrie, les transports et le commerce. Ils décrivent l’arrivée de nouveauxacteurs sur le marché, les développements organisationnels du marché, l’émergence de nouveaux types de plates-formes de négociation et de nouveaux paradigmes.

Ce qui est frappant dans cette histoire, c’est le côté récurrent des crises, depuis la « crise de la tulipe » en 1637 jusqu’à la bulle informatique au début duxxie siècle et, enfin, la vaste crise financière qui a débuté en 2007-2008, et dont nous ressentons toujoursles effets. Et il est tout aussi frappant que, chaque fois, les marchés financiers rebondissent, mieux contrôlés et réglementés il est vrai.

Je suis convaincu que l’importance du bon fonctionnement des marchés secondaires pour les actifs financiers ne doit pas être sous-estimée. Sans ces marchés secondaires efficaces, les investisseurs sontréticents à s’aventurer sur les marchés primaires, or les marchés primaires sont essentiels pour le financement des entreprises, tant par des capitaux propres que par des capitaux externes, sans même parler du financement de la part des autorités. Les marchés financiers offrent aux emprunteurs une large gamme de possibilités de financement afin qu’ils puissent choisir sans problèmes la forme de financement la plus adéquate.

Je suis également convaincu de l’utilité des produits dérivés qui permettent aux entreprises et aux gouvernements de se couvrir contre les fluctuations des taux d’intérêt, des cours de change et des prix des matières premières. La recherche de possibilités de couverture a d’ailleurs existé de tout temps : on sait que, déjà auvie siècle av. J.-C., Thalès de Milet acheta, à un moment donné, le droit – mais non l’obligation – d’utiliser l’ensemble des pressoirs à olives dans sa région, ou, en d’autres mots, il acheta des options. Quoique, ce que Thales fit, c’était peut-être spéculer, plutôt que se couvrir…

Et je suis un grand partisan de l’intégration des marchés financiers, dans l’Union européenne en première instance, mais même sur une plus grande échelle : le financement doit pouvoir trouver son chemin le plus efficacement possible entre ceux qui sont à la recherche de financement et ceux qui peuvent le leur offrir.

Bien sûr, tout cela doit être fait dans un cadre juridique etréglementaire approprié, et les régulateurs doivent jouer correctement leur rôle. C’est pourquoi toute personne qui est engagée dans les marchés financiers, comme professionnel ou tout simplement comme investisseur, devrait, dans la mesure du possible, chercher à en comprendre le fonctionnement. Un livre intéressant et en même temps captivant comme celui-ci, qui décrit le fonctionnement des marchés financiers, leurs liens réciproques et leur relation à l’économie réelle et ses besoins, ne peut qu’y contribuer.

C’est avec grand plaisir que j’ai lu le manuscrit de ce livre. J’espère sincèrement que les lecteurs, qu’ils soient investisseurs ou tout simplement intéressés par la finance, se délecteront comme je l’ai fait de l’expertise des auteurs et de l’ouverture intellectuelle avec laquelle ils observent et analysent les événements qui se produisent sur les marchés des capitaux.

KoenGeens

Ministre des Finances (2013-2014)

Introduction

« Les marchés sont truqués », a clamé l’auteur à succès Michael Lewis lors d’un passage à la télévision américaine pour la promotion de son dernier livreFlash Boys. Mais l’écrivain, ancien trader en obligations, s’est focalisé sur les récents développements de lastructure des marchés américains. Et il a oublié de rappeler que, depuis 2000, l’investisseur particulier américain a subi deux krachsfinanciers d’envergure, qui ont non seulement appauvri durablementla population, mais aussi provoqué une méfiance générale envers Wall Street.

L’Europe panse aussi ses plaies du dernier krach financier. Car, après le choc de la disparition de la banque d’affaires Lehman Brothers en 2008, a succédé la crise de la dette souveraine, qui, à son tour, a laissé la place à la déflation dans la zone euro. La population, en particulier celle des pays du sud de l’Europe, a été particulièrement touchée par cette crise. En Grèce, des parents se retrouvent obligés de confier leurs enfants à des orphelinats, faute de moyens financiers suffisants pour pouvoir les nourrir. Au Portugal, le taux de natalité a chuté de 14 % depuis 2008, car les jeunesPortugais sont inquiets pour leur avenir. En Espagne, la population rétrécit, alors que les étrangers désertent le pays à cause de la crise économique.

En tant que journaliste spécialisée dans les marchés financiers et économiste ayant dirigé la Bourse de Bruxelles entre 2007 et2009, nous avons pu observer de près ces changements importants.Nous avons vu, dès 2007, la montée en puissance de ces acteurs dénoncés dans le livre de Michael Lewis, sur les marchés européens. Nous avons aussi vu les Bourses basculer dans un nouveaumonde, où l’humain se voit disqualifier par une machine, beaucoupplus rapide, et où la géographie des transactions se voit déplacée vers des supercentres financiers, entièrement robotisés, près de Londres pour les marchés européens.

Nous avons voulu nous interroger sur l’évolution de la Bourse à travers les siècles et sur l’impact des krachs financiers sur la population et les gouvernements, alors qu’aujourd’hui, les Bourses américaines et européennes atteignent des nouveaux records sousl’effet des plans de sauvetage des banques centrales occidentales après la crise financière de 2008.

JenniferNille

BrunoColmant

partie i

Les mystères de la Bourse

Depuis la nuit des temps, le marchand inquiète l’intellectuel autant qu’il le fascine. Le commerçant est admiré autant que jalousé. Car le négoce fait peur. Il place les hommes en concurrence. Il teste leur fiabilité, leur loyauté et leur capacité à honorer une promesse. La Bourse entretient les mêmes envies et inquiétudes. Elle fascine et tétanise. Et, pourtant, c’est une simple construction humaine qui est très éloignée des « mains invisibles » du commerce.

La Bourse, une machine infernale ?

Il ne se passe pas une semaine sans que des dizaines de publications, d’articles scientifiques, d’ouvrages et de dissertations doctorales soient consacrés à la formation des cours boursiers. Maispourquoi ces quêtes éperdues d’équations ? Quel est le fondementde cette sophistication qui confine parfois à l’ésotérisme scientifique ? Pourquoi cette recherche inaboutie de phénomènes qu’on espère répétitifs, récurrents ou rémanents ? Et, surtout,pourquoi une telle incrédulité devant l’aléa que véhicule la Bourse ?

La raison en est simple : la Bourse est un défi intellectuel qui exerce une légitime fascination sur les esprits curieux. C’est la seule construction humaine dont la compréhension des résultats a échappéà ses architectes. La Bourse n’existe pas à l’état naturel.Elle a été créée par l’homme pour formuler des valeurs. Le problème, c’est que la prédiction de ces valeurs est impossible. Et pour cause : la fonction principale de la Bourse est d’explorer l’utilitédes biens dans le futur. C’est une machine non pas à remonter, mais à avancer dans le temps.

Cette réalité est désagréable pour l’esprit cartésien. Et comme l’incrédulité fait bon ménage avec l’obscurantisme, cela conduit à l’imagerie populaire d’une sphère financière dévoyée et dissociée des vertus rédemptrices de l’économie qualifiée de « réelle ». D’ail­leurs, que n’entendons-nous pas l’obéissance au fantasme du travail réel dans lequel l’économie doit se replonger sans cesse pourse guérir des corruptions de la modernité financière ?

C’est cet égarement qui conduit à accuser la Bourse de la formation de bulles… en oubliant que, derrière toute transaction, il y a un humain et que, pour tout cours supposé envolé par des achats spéculatifs, il y a eu une vente des mêmes titres. D’ailleurs, iln’y a pas d’économie réelle, à opposer à une économie financière ou virtuelle. C’est plutôt une question d’échelle de temps que de réalité ou de virtualité : il y a des transactions économiques révoluesà comparer avec un marché boursier d’anticipations et d’engagements futurs.

Car, quand on analyse froidement leur formation, les cours découlent d’une mécanique élémentaire : ils résultent de la con­frontation d’anticipations contraires portant sur un même nombrede titres achetés et vendus. L’acheteur anticipe une hausse de cours,tandis que le vendeur spécule sur une baisse. Chaque opérateur, parsa contribution à la transaction, anticipe donc une certaine volatilité. L’acheteur n’achètera, en effet, que s’il espère une hausse du titre, tandis que le vendeur anticipe une baisse de valeur (sinon, il ne vendrait pas). Cette réalité s’oppose à nouveau à la critique de marchés boursiers trop volatils, alors que cette volatilité fonde les transactions.

La Bourse se limite donc à un rôle transitif entre les acheteurs et les vendeurs. Mais, si la séquence d’établissement des cours est élémentaire, elle entraîne l’impossibilité d’en modéliser la formation. Aucune équation, aussi sophistiquée soit-elle, ne parviendra à restituer, avec une valeur prédictive, l’évolution des cours. La raison en est simple : le cours découle d’anticipations contraires, donc, de postulats sur les évaluations futures. Or il n’est pas possible de deviner le futur.

Le procès en sorcellerie

La Bourse est un rouage essentiel à l’économie. Pour les investisseurs, elle entraîne des images mythiques, car elle polarise les sentiments les plus extrêmes : l’envie et la peur. C’est sans doute la seule institution qu’on rejoint avec l’envie du gain et le frisson des pertes, mais qu’on quitte avec le regret de n’avoir pas été assez patient. La Bourse exerce une fascination, car elle entre en résonance avec les pulsions les plus secrètes de l’investisseur, comme si elle représentait un être virtuel. Pourtant, la Bourse n’existe pas à l’état naturel. Elle a été créée par l’homme pour formuler des valeurs.

Étant une construction humaine, la Bourse est-elle rationnelle ? Ou est-elle, au contraire, irrationnelle ? Elle est parfaitementrationnelle dans son fonctionnement, mais imprévisible dans son mouvement. La Bourse, c’est le jeu ordonné (rationnel) de millionsde libertés d’achats et de ventes face à des milliers d’actions con­cur­rentes. C’est une pulsation universelle, un immense mouvement d’adaptation collectif à la diversité mouvante de l’économie.

D’ailleurs, la prédiction des valeurs boursières est impossible. Et pour cause : la fonction principale de la Bourse est d’explorer l’utilité des biens dans le futur. C’est une machine non pas à remonter, mais à se projeter dans le temps.

La Bourse gardera donc toujours sa part de mystère. De manièreimagée, on pourrait donc envisager le cours de Bourse comme la porte, ouverte, mais jamais franchie, vers le futur. Car, si d’aventure la prévision du futur était concevable, il serait possible de savoir si un cours va monter ou baisser, ce qui entraînerait des achats sans vendeurs ou des ventes sans acheteurs de titres. Il n’y aurait aucune transaction, donc pas de Bourse. Ou, inversement, la Bourse existe parce que nul n’est capable, de manière établie, d’augurer le futur. Elle porte en elle la volatilité des évaluations qui fonde son existence. Sans volatilité, il n’y aurait pas de Bourse.

Le cours est donc, par essence, doublement éphémère. Il est, en effet, destiné à être contredit à tout moment. Il n’emporte aucune pérennité, puisqu’il reflète la dernière transaction qui, au moment de sa publication, appartient déjà au passé. En d’autres termes, la formation du cours entraîne sa propre précarité, puisque sa seule pertinence est d’avoir été, plutôt que d’être, comme un futur qui n’est qu’un passé en préparation. Mais il y a plus : le cours n’est valable que pour les acheteurs et les vendeurs qui effectuent la transaction. Il ne constitue qu’une indication pour les acheteurs et vendeurs potentiels. Ceux-ci créeront leur cours au moment de la transaction.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que la valeur d’une actionprocède de l’actualisation des dividendes espérés. Cette actuali­sations’effectue à un taux dont la modélisation est, elle aussi, impossible, puisqu’elle intègre, selon des pondérations inconnues, l’ensemble des anticipations relatives aux marchés financiers et à l’action concernée. Au reste, la théorie boursière a bien identifié la marche au hasard des actions, dont les cours sont soumis à des oscillations aléatoires. La leçon de la Bourse, qu’on peine paradoxalement à se remémorer, est bien là : les marchés n’ont pas de mémoire.

Les procès inquisitoires ou en sorcellerie sur les marchés financiers sont donc souvent vides de sens. La Bourse n’est ni vertueuseni odieuse. Elle est juste une mesure du temps et des valeurs prospectives.

Cela n’évitera pas les phénomènes d’exubérance irrationnelle, d’ailleurs très difficiles à déceler, et encore plus à anticiper. Lephysicien Isaac Newton, qui venait de perdre 20 000 livres sterling dans un placement financier hasardeux, ne se trouva d’autre excuseà sa perte qu’en affirmant, avec mauvaise foi : « Je peux mesurer le mouvement des corps, mais je ne peux pas mesurer la folie des hommes. »Il fut effectivement meilleur physicien qu’économiste.

Du court terme, toujours du court terme ?

Il est commun de vilipender les directions d’entreprise qui auraientprivilégié une vision à court terme de la gestion de leur société. Les investisseurs institutionnels (fonds de pension, entreprises d’assurances, fonds communs de placement, etc.) sont, eux aussi, souvent accusés de manipuler les cours de Bourse. Selon certains, ces acteurs privilégieraient de concert la rentabilité à très court terme de leurs placements au préjudice d’une vision à long terme de l’économie

Cette critique s’inscrit dans l’imagerie populiste qui attribue les bienfaits de la volatilité boursière à un cercle d’initiés. Ces derniers spolieraient les petits porteurs, réputés de bonne foi etempreints de valeurs saines… parce qu’actionnaires minoritaires. En d’autres termes, la participation au marché boursier devrait restermodique, au risque de rejoindre le réseau des capitalistes agissant contre le bien-être collectif. La pureté boursière relèverait-elle de l’humilité financière ?

Certes, certains dirigeants d’entreprise ont organisé des cabales comptables dont ils ont fugacement tiré profit. C’est sans doute le cas d’Enron, AIG, Lehman et Parmalat. De surcroît, il y a d’incontestables asymétries d’informations et d’évidents manques de clairvoyance dans le secteur financier.

Mais, plus fondamentalement, est-il possible, pour une directiond’entreprise, de manipuler structurellement le cours de Boursede sa société par le seul fait de renoncer à des investissements à long terme ? La réponse est probablement négative, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le cours de Bourse est la résultante d’achats et de ventes de titres. Ces ordres expriment des perspectives contradictoires sur la valorisation de l’entreprise. Si les marchés boursiers sont suffisamment informés et liquides, il n’est pas possible, pour qui que ce soit, d’influencer systématiquement une contradiction permanente et provisoire de la valeur.

Ensuite, les cours de Bourse procèdent d’une actualisation de l’ensemble des flux financiers futurs anticipés. Le résultat des seulesdeux ou trois prochaines années n’intervient donc que pour une fraction modique dans l’établissement d’un cours boursier. L’exem­ple suivant illustre ce phénomène. Imaginons qu’une action dégageun dividende constant de 10. En supposant que le coût du capital soit de 8 %, le cours de cette action va s’établir à 125 (soit 10/8 %). Le dividende des trois premières années intervient pour 20 % de ce cours. Par contre, le dividende de la dixième annéeet de toutes les suivantes contribue à près de 50 % de la valeur du titre. Le résultat à long terme est donc plus déterminant que les dividendes à court terme.

Si une direction d’entreprise renonce à des investissements pouruniquement augmenter le résultat à court terme, cela devrait, en bonne logique, s’effectuer au détriment du résultat des années ultérieures. À son tour, ce phénomène devrait peser sur le cours de Bourse et compenser le caractère artificiel de la croissance des résultats à court terme.

Reprenons l’exemple de l’action et supposons que le flux dedividendes soit artificiellement majoré à court terme, pendant troisans, de 20 % sans affecter les dividendes ultérieurs. Le cours de l’action va s’établir à 130,1, soit une augmentation de seulement 4 %. Si, de surcroît, cette augmentation de dividende se fait au détriment du dividende des trois années suivantes (qui serait alors ramené de dix à huit pendant trois ans), le cours s’établirait alors à 126,1, soit une augmentation négligeable de moins de 1 % par rapport au prix initial.

Quand bien même il serait possible de manipuler un cours de Bourse, on devrait s’interroger sur l’identité des bénéficiaires de cette prétendue machination. En effet, si une direction d’entreprise peut modeler artificiellement un cours de Bourse, cet agissement devrait bénéficier aux actionnaires dont l’horizond’investissement n’excède pas celui de la direction. La manipulation comptable s’effectuerait donc seulement au préjudice des actionnaires à long terme, qui seraient pénalisés par la chute du cours de Bourse qui devrait, à son tour, être instruite par le retour à la réalité de l’entreprise.

Mais alors, dans cette perspective, le fait de privilégier une gestion à court terme ne devrait pas pénaliser les futurs actionnairesde l’entreprise, puisque ceux-ci pourraient acquérir des titres à des cours dépréciés. Une éventuelle manipulation de cours profiterait donc (sauf faillite intermédiaire) aux futurs actionnairesde l’entreprise au détriment des actionnaires existants. Ces derniersdevraient vendre leurs titres et les racheter plus tard. Cette vente immédiate pèserait sur les cours et contrarierait les espoirs de manipulation à court terme. On le voit : le raisonnement nemène à rien, car il conduit à répartir les achats de titres dans le temps,ce qui est – indépendamment de toute suspicion de manipulation – une stratégie reconnue.

Incidemment, si l’analyse technique des cours de Bourse (analyse graphique, analyse des tendances, etc.) avait quelque validité, il lui serait possible de détecter des situations de sous-investissement à long terme des entreprises. On sait qu’il n’en est rien.

Un fait reste, par contre, incontestable. Les cours boursiers découlent d’une superposition de comportements individuels et d’anticipations antagonistes. Le marché renferme en lui son mystère et la clé de son explication. Il n’existe pas de vérité financière,si ce n’est la formulation instantanée d’une valeur boursière. Celle-ci reflète l’expression attendue du futur, et une pondération évolutive du court et du long terme, qu’il est vain de fragmenter.

Le cours de Bourse n’est donc probablement pas structurellementet systématiquement manipulable, sauf exploitation d’informations privilégiées (Inside trading), ce qui est lourdementcombattu. Les autorités de contrôle sont d’ailleurs très attentives à assurer une diffusion étale de l’information aux marchés. Il faut aussi exiger des entreprises des prospectives en matière de projections bénéficiaires et des argumentaires détaillés sur leurs stratégies. À notre avis, une mauvaise stratégie d’entreprise est toujours sanctionnée, tôt ou tard, par le marché, quelle que soit son origine : mauvaise stratégie, investissements insuffisants, etc. Il n’estdonc pas possible de tirer profit à long terme d’une gestion d’entreprise suboptimale, sauf sur la base d’informations privilégiées, ce qui constitue justement une pratique sanctionnée.

C’est à ce stade que l’on comprend mieux le rôle essentiel de la comptabilité, destinée à éclaircir la mesure de la stratégie del’entreprise. La comptabilité est un excellent vecteur informationnel et probablement le meilleur contre-feu à l’inefficience des marchés. En même temps, la comptabilité peut, au mieux, mesurer le présent et elle n’empiète pas dans le futur. Son complément est la valeur boursière, dont la fonction principale est d’explorer l’utilité future des biens. C’est une machine non pas à remonter, mais à avancer dans le temps. En conclusion, le cours de Bourse est loyal aux circonstances, mais surtout fidèle aux facteurs fondamentaux.

La Bourse, une OPA permanente !

Hagards et désorientés, de nombreux investisseurs particuliers sont encore perdus dans ces journées boursières de la crise dessubprimes. Pourtant, certains banquiers d’affaires anglo-saxons ont déjà chargé la culasse avec la poudre des prochaines OPA. Car ilne faut pas l’oublier : le marché boursier a le sens de l’éternel provisoire. Les cours de Bourse n’existent que par leur réalité fugace, immédiatement escamotée par une autre transaction. Seul l’aléa fonde la formulation des valorisations boursières. Et la volatilité est le reflet des forces contraires.

Chaque variation des indices boursiers est accompagnée parun emballement des opérations de rachat d’entreprises qui alimen­tent, à leur tour, la volatilité boursière. À moins que ce ne soit le contraire, la courbe des OPA épousant celle de l’indice boursier. Aucun analyste n’a jamais tranché cette question, car elle est sans réponse.

Nombreuses sont les études qui s’intéressent au bilan financier des fusions et acquisitions de ces dernières années et, en particulier, à la question de savoir si elles auront,in fine, contribué à sécréterde la valeur actionnariale. Les études sont très partagées, mais elles sont sans grand intérêt. En effet, le marché boursier n’existe que par le changement de propriété des actions, c’est-à-dire une succession continue de glissements de détention. Les OPA ne sont que des cas particuliers et concentrés de changement d’actionnariat dans le temps.

Les fusions et acquisitions sont, à l’évidence, globalement et sur le long terme, des opérations rentables puisqu’elles fondent l’évolution capitaliste depuis des centaines d’années. Elles révèlent un processus évolutif qui voit certaines entreprises et certains secteurs disparaître au profit d’entreprises commerciales plus rentables, et ceci pour le bien collectif.

Examinées à l’aune de la théorie de l’évolution, les fusions et acquisitions de sociétés reflètent un cheminement darwinien qui voit en permanence l’actionnariat évoluer, selon les forces du marché et les profils de risques et de rentabilité des investisseurs.

Au demeurant, Adam Smith, dans son ouvrageThéorie des sentiments moraux(1759), parle de sa fameuse « main invisible » de l’économie qui contribue, selon une logique darwinienne, à la multiplication de l’espèce humaine. Les opérations de fusions etd’acquisitions ne représentent, dans la plupart des cas, qu’un changement d’actionnariat de référence (ou de contrôle) des entreprisesconcernées, c’est-à-dire un phénomène discret (ou discontinu) danslecontinuumde la modification permanente (et évolutionniste) de l’actionnariat individuel associé aux marchés boursiers.

Incidemment, une vision darwinienne de la Bourse devrait conduire un investisseur à une large diversification et à un horizon d’investissement suffisamment long, comme les pulsations de l’évolution. L’essai de catégorisation des phases de contraction et de décontraction boursières est sans doute vain.

Les fusions et acquisitions ne doivent donc pas être interprétées, de manière manichéenne, comme des facteurs créateurs ou, au contraire, destructeurs de richesses. Elles sont permanentes etentraînées par le brassage continu de l’actionnariat. En bonnelogique, elles sont, sur une longue période, génératrices de valeurajoutée en ce qu’elles facilitent l’allocation du capital. Elles rappel­lent qu’il n’existe pas, dans l’absolu, de secteurs d’expansion, maisplutôt des opportunités de croissance, dont l’exploitation exige des ressources en capital et en hommes.

L’économiste qui avait le mieux compris cette oscillation du marché boursier vers un équilibre permanent, et surtout continu, est sans doute Léon Walras (1834-1910). Walras avançait qu’une économie s’oriente vers l’équilibre général dans le cadre d’uneconcurrencepure et parfaite. Cela a conduit à la théorie du« tâtonnement walrasien », qu’on peut résumer, à l’instar d’un marché boursier, comme un lieu d’échange au sein duquel toutes les offres et toutes les demandes convergent vers un commissaire-priseur qui affiche les prix : le marché est parfait et fournit des informations justes à l’ensemble des acteurs. Dans la perspective de Walras, le marché boursier est une OPA permanente.

Et les bulles ?

Radio, télévision, conférences, colloques, presse et bouquins en tout genre : tout y passe ! La crise dessubprimesest accompagnée de son cortège de commentateurs de circonstances. Aucun d’entreeux n’avait prévu quoi que ce soit, mais tous préconisent aujour­d’hui leur remède. Ils illustrent le sophismePosthocergo propterhoc,qui consiste à confondre un antécédent avec une cause.

Devant ces pathétiques démonstrations de vanité, il faut alors s’éloigner des charabias et autres amphigouris d’une éphémère sociologie de consultants médiatisés sur papier glacé. Et surtout de rappeler que la main invisible d’Adam Smith gifle parfois les marchés boursiers.

C’est plutôt avec sagesse et en s’en tenant aux faits qu’il convientd’appréhender les bulles. Et puis, qu’est-ce qu’une bulle ? Elle naît d’une dissociation, à la hausse ou à la baisse, de la valeur économique fondamentale d’un actif et de sa valeur boursière. À quoi est-elle due ? Les causes seraient à rechercher dans l’emballement de réactions exacerbées, voire irrationnelles. Elles entrent aussi en résonance avec des phénomènes de foule, de comportements émotifs et grégaires, et d’instincts mimétiques. Dans cette perspective, le krach qui suit la croissance des cours sanctionnerait les inadéquations passagères de ceux-ci.

Une bulle se forme plus lentement qu’elle n’éclate. Au cours