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Après un cauchemar troublant, Ariane se retrouve plongée dans une confusion intérieure qu’elle peine à saisir. Un mécanisme invisible s’est enclenché en elle, insaisissable mais puissant. Elle ne parvient pas à mettre des mots sur ce bouleversement, mais ressent, au plus profond d’elle-même, qu’un nouveau chemin s’ouvre devant elle. À présent que les enfants ont quitté la maison, le temps semble enfin lui appartenir, lui offrant l’opportunité de se consacrer à elle-même. Pourtant, jamais auparavant la question d’exister seule ne s’était imposée avec une telle intensité. Animée par un élan intérieur irrésistible, elle choisit d’entreprendre une retraite en solitaire, un voyage interne et nécessaire qui lui permettra d’explorer ses profondeurs, de se retrouver et, peut-être, de renaître.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Élevée à la campagne,
Anne Dechêne trouve dans ce cadre paisible une source inépuisable de calme et de ressourcement. Assistante sociale de formation, elle accorde une place essentielle à l’écoute et à l’accompagnement de l’autre. Forte de son parcours professionnel, son récit l’a conduite naturellement vers une réflexion profonde sur l’évolution personnelle. Ce premier roman a été pour elle une véritable redécouverte de soi et l’occasion de renouer avec une passion née à l’adolescence : l’écriture.
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Seitenzahl: 269
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Anne Dechêne
Là devant moi !
Essai
© Lys Bleu Éditions – Anne Dechêne
ISBN : 979-10-422-5721-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Pour ceux qui survivent dans leur quotidien
et aspirent à vivre tout simplement.
Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire, trouve une excuse.
Proverbe arabe
Les mains fixées sur le volant, le visage un peu raide, le paysage défile calmement sous mes yeux.
à chaque tournant, des étendues immenses de pâtures, de bois et les éternelles sapinières des Ardennes. Parfois, je traverse un village, puis un peu plus loin un autre, distant de quelques kilomètres. Entre eux, comme classées par taille, des centaines de rangées de ces futurs rois des fêtes de fin d’année. Cette région est réputée pour fournir à tout le pays, et même au-delà des frontières, les magnifiques sapins de Noël. Quel travail que de planter puis de prendre soin délicatement, plusieurs années durant, de ces différentes essences d’arbres.
Les grandes fougères, nombreuses sur les talus du bord des prés, se balancent au vent léger. Elles sont accompagnées de plus petites dont juste le nez frétille. Des randonneurs pratiquent la marche nordique, bien décidés à visiter la région dès la première accalmie climatique. Ce sont certainement des habitués à ce sport, car la cadence est soutenue et chacun paré pour la sortie. Un petit sac au dos, la veste de pluie sur le corps, le bonnet ou cache-oreille bien fixé à la tête. Munis de leurs bâtons, ils se dandinent au même rythme et en rang d’oignon. La route empruntée grimpe. Il y a fort à parier que leurs joues garderont un bon moment les couleurs de cette sortie vivifiante.
Un peu plus loin, le long d’une voie sinueuse se trouve un espace dégagé à l’orée d’un bois. Il est aménagé d’un banc forestier double et d’un petit parking occupé par quatre véhicules. à près d’un kilomètre de là, j’aperçois des promeneurs venir dans ma direction. Ils s’égrènent sur un même parcours. Ceux qui devancent le groupe ont le pas décidé et entraîné. Ils bravent fièrement l’air un peu piquant de début du printemps. D’autres, un peu détachés des premiers, discutent tout en avançant. Ils se retournent parfois vers ceux qui ferment la marche. à quelques dizaines de mètres derrière, des couples sont accompagnés d’enfants. Chaussés de hautes bottes, ceux-ci sautent au-dessus de flaques réelles ou imaginaires. Les petits comme les grands semblent sourire à cette journée clémente et inattendue. Ici, chacun profite du bon air et du dépaysement offert par le lieu.
L’hiver a figé toute la région et obligé à renfermer trop longtemps les chevaux dans les écuries. à présent, vêtus de leur couverture, ces locataires des prairies environnantes paissent dans de splendides étendues d’herbe fraîche et de jeunes pousses. C’est agréable d’observer les équidés lorsqu’ils se regroupent. Ils se distinguent par leur race, taille ou robe. Ils semblent comme attirés les uns par les autres dans des mouvements identiques durant leur course. Ensemble, ils contribuent à cette beauté enchanteresse qu’offre l’horizon. Ces différentes couleurs, si vivantes, juste sublimées par quelques rayons de soleil judicieusement posés, font exulter ces paysages. Mais quel gâchis de rouler dans cette étendue magique et d’être ainsi aveugle et sourde au monde extérieur !
D’un coup, tout s’arrête ! La voiture est stoppée net et mon corps subit quelque chose de plus fort que lui. Il se tord, se met à bouger sans que je le contrôle. Il se désolidarise de moi. Puis, une douleur imperceptible au départ prend de plus en plus de place dans mon for intérieur. Elle s’étend en ramifications et grandit en moi en faisant des ravages. De dérangeant à la base, elle se transforme en élancements puissants qui me tirent des cris. Un fragment de seconde plus tard, des hurlements, tels que les pousserait une bête à l’agonie, sortent de ma bouche.
Puis rien !
Plus rien du tout !
Un vide énorme dans lequel je tombe, qui m’engloutit, m’encercle, me coince puis m’envahit !
Je m’éteins.
Combien de temps s’écoule ? Je l’ignore.
En fait, je m’en moque !
Là, je suis bien. Plus de douleurs. Aucune. J’ai l’impression de planer.
Mon esprit semble tranquille et j’éprouve un plaisir tout nouveau. Je me sens libre, légère, en suspension et sans contrainte. C’est inexplicable car je n’ai même pas peur alors que je ne sais pas ce que je vis, ni comment je vais. Cette expérience ne me relie à rien de connu. Je ne m’en tracasse pas, je profite, c’est génial !
Quelles étranges sensations : mon esprit et mon corps semblent en harmonie. Ma tête suit le mouvement du corps et mes pensées sont inexistantes. J’ignore même si je suis en mesure de réfléchir à quoi que ce soit. Il y a longtemps que je ne me suis pas sentie aussi… comment dire ? Entière.
Soudain, je ressens un tiraillement brutal, comme une aspiration intense de mon être ! Je respire et ai le cœur qui bat au ralenti. Je suis donc bien vivante, enfin, je crois ! Curieux, cela me tire un sourire qui rapidement s’efface. Mes yeux se chargent de larmes et mon cœur se remplit d’amertume. Un cafard énorme s’empare de moi. Je me sens lourde à nouveau d’un poids qui m’empâte. Je le connais trop bien : ma vie et mon quotidien subis depuis trop longtemps. Je n’en veux plus et n’en peux plus ! à cette unique pensée, je replonge immédiatement dans un néant et m’éloigne du conscient en perdant à nouveau toute notion de temps et d’espace. Je deviens une plume soufflée au vent et me laisse emporter sans résistance aucune.
Des bruits légèrement feutrés et énigmatiques m’atteignent parfois. Des lumières m’encerclent tout en tournant sur elles-mêmes. Alors que je me sens vidée de toute substance, j’entends ou plutôt, je perçois trois mots à peine audibles qui viennent vers moi : « Restez avec nous ! Restez avec nous ! » Soudain, en écho et comme venus du plus profond de mon être, trois autres mots, minuscule phrase « Je dois vivre » provoque instantanément une décharge. Elle fait réagir mon esprit, mon corps et puis mon cœur qui d’un seul coup redémarre.
Un léger son se répète à intervalles réguliers, un peu comme un métronome. Rapidement, il devient de plus en plus fort au point d’en devenir douloureux. Tout mon être se révolte : mon cœur s’emballe complètement, j’ai chaud et tremble d’effroi. Cette résonance me fait devenir complètement dingue. Mon corps se consume et je suffoque. J’étouffe. Je voudrais appeler « Au secours ! » Alors, pour pouvoir respirer et crier, je me débats avec cette chose qui me couvre et qui empêche tout mouvement. Je remue dans tous les sens puis quelqu’un me saisit fermement et m’immobilise.
C’est violent !
Tout s’arrête d’un coup !
J’ai la curieuse impression d’être projetée dans un autre monde.
Des mains m’enlacent et un corps vient se placer très lentement tout contre mon dos. L’infernal bruit qui me vrillait le cerveau s’est arrêté et pourtant mon cœur tambourine dans ma cage thoracique comme s’il voulait fuir pour se calmer. Cette douce chaleur que je reçois me fait sortir de ma torpeur. Je sens des doigts se poser délicatement sur mes cheveux et les caresser. L’effleurement de mon front, de ma chevelure jusqu’à la nuque, me provoque des frissons. Alors que la main entière commence à me masser le crâne par une pression ferme et soutenue, je refais petit à petit surface. Ces gestes connus, appréciés et sécurisants m’aident à reprendre pied dans la réalité. Mon cœur sait et mon esprit s’apaise, mon rythme cardiaque ralentit sa course. C’était un horrible cauchemar !
En fait, je suis dans le lit auprès de celui que j’aime, même, tout contre lui. Sa main vient se poser sur mon épaule et descend le long du bras. Nos doigts s’entrelacent. Je réalise soudain que le Bip entendu était celui de mon réveil. C’est mon homme qui l’a éteint en s’appuyant sur moi. C’est ainsi que j’ai eu ce sentiment d’être maintenue et bloquée. Des larmes perlent toujours aux bords de mes yeux. Toutes ces sensations vécues étaient tellement réelles !
à présent, je n’ai plus du tout envie de lutter. Ce contact réchauffe ce corps meurtri et sans défense qui étouffait quelques instants plus tôt. Là, rien ne peut plus m’arriver puisque mon conjoint est près de moi.
Les yeux fermés, je veux oublier qu’il me faut débuter la journée pour me rendre au travail. Je ressers mes doigts dans les siens pour lui faire comprendre que je ne me lèverai pas de sitôt. Je perçois son sourire lorsqu’il pose ses lèvres sur ma peau. Je laisse filer les minutes et somnole encore un peu, emplie de ce moment parfait, heureuse d’avoir atterri. Comme portés par une étoile filante dirigée vers mon cœur, soudain, des mots très forts me viennent en tête. Je peux presque les entendre même si par pudeur mon Amour ne me les dit pas. Le message est très clair et est encore porteur de plus de sens pour moi, en cet instant précis.
« Je serai toujours à tes côtés pour veiller sur toi et te protéger. Je t’aime ».
Plus tard, je prendrai conscience de l’impact de ce rêve, associé à cette déclaration. Ils agiront de concert sur mon avenir. Car c’est une force nouvelle qui vient de germer en moi. Mon esprit sait, mon corps aussi, mais moi j’ignore toujours que mon cerveau a complété cette petite phrase qui, comme une étincelle, va embraser le cheminement d’un renouveau :
« Je dois VIVRE… pour poursuivre ma route et aller là devant moi ! »
7 h 12 ! Heure précise que le réveil affiche lorsqu’enfin j’ouvre les yeux. J’ai reculé à deux reprises mon alarme ce matin. Dur, dur de me glisser hors du lit depuis quelque temps. Je fais ma toilette dans la salle de bain refroidie, ce qui ne m’aide pas à démarrer. Puis j’entre dans la cuisine et me dirige vers la table du déjeuner apprêtée la veille. J’ouvre le frigo pour en sortir le fromage et le jambon, puis deux tranches du sachet à pain. Ainsi, je prépare mon repas de midi que je glisse dans ma boîte à tartines. Je m’installe pour déjeuner tout en complétant mon sac de travail posé sur la chaise à mes côtés. Les gestes sont les mêmes depuis tellement d’années, et le menu totalement identique, il ne me vient même pas en tête de le changer. Je jette un œil à l’horloge et vois qu’il est grand temps de ranger et de prendre la voiture pour me rendre au boulot. Pas de neige malgré le froid qui s’est installé depuis début novembre, mais toujours ce ciel gris chargé de pluie. J’opte donc pour mes bottines afin de garder les pieds bien au sec.
La journée de travail se passe. J’ai la tête parfois ailleurs, dans mes pensées, comme souvent lorsque je ressens un mal-être. Mais en fin de compte, c’est un jour banal de plus qui s’ajoute aux autres. Ensemble, ils forment des semaines. Les semaines de ma vie classique et insipide…
Oh désolée !
Vraiment, sorry, je me tais !
Je ne suis pas en grande forme, je me sens tellement fatiguée. Je n’en peux plus. J’ai difficile de m’endormir le soir car je pense trop, à tout, à rien. Je n’arrive pas à mettre mon cerveau sur Off, malgré mes efforts. Normal alors que je ne puis pas vraiment me reposer. à cause de cela, j’ai l’impression de vivre sur une batterie qui se recharge de moins en moins bien. à présent, c’est comme si cela me permettait de tenir un seul jour à la fois. Pour économiser mes forces et rendre un peu moins pénibles les journées, j’ai essayé d’adapter mon organisation après le travail. Comme je suis dans le mouvement, je réalise les courses sur le trajet du retour. En rentrant à la maison, il ne me reste qu’à les ranger. Et si d’aventure j’ai pris le matin la peine de mettre une lessive à tourner, j’ai juste à pendre le linge à mon retour.
Belles idées, vous ne trouvez pas ?
Oh, elles n’ont pas tenu très longtemps ! Ces derniers temps, en retardant au maximum mon lever, je m’ajoute du travail pour le soir. Si le linge n’est pas trié, il est compliqué de programmer une machine le matin. Autre exemple, aujourd’hui, la table du déjeuner est débarrassée, mais la vaisselle traîne sur le plan de travail. Il me reste aussi l’épreuve du souper qui est pour moi le summum, car trouver l’idée du menu est une corvée. Pour m’en sortir, je récapitule les plats des jours précédents et semaines. Pour ce soir d’ailleurs, ce seront des pâtes bolognaise. Une boîte de sauce sortie du congélateur fera l’affaire. Allez, la suite arrive car ce n’est pas fini. Bien évidemment, viennent ensuite le courrier et la gestion de l’administratif. Au bout d’un moment, il faut arrêter de reporter notamment au week-end et s’en occuper sérieusement.
Voilà, classique pour un ménage !
Donc, avant de retirer mon manteau, je m’empare de la clé de la boîte aux lettres et me rends sur le devant de la maison. J’en profite pour jeter un œil dans la rue. Les lumières illuminent les maisons voisines, mais l’on ne rencontre personne, si ce n’est en voiture. C’est vraiment triste cet isolement provoqué par ces journées pluvieuses d’automne puis ce froid de l’hiver qui approche. Je me dépêche de rentrer car le vent se lève. Après m’être débarrassée de ma veste et de mes souliers, je m’installe à la table de la salle à manger pour gérer un peu la paperasse et réaliser les paiements. En fait, rien dans toutes ces tâches n’est très emballant et je remarque qu’il me faut du courage pour chacune. Je les réalisais sans même me forcer il y a quelques mois encore. Mais depuis un bon moment, j’ai l’impression récurrente que les jours se ressemblent et que ce sont les mêmes heures qui, défilant, apportent leur lot d’obligations ! J’en ai marre « d’être obligée de » ! Mon humeur s’en ressent. Moi qui suis d’un tempérament calme et doux, je commence à m’énerver pour « un rien ». Mon entourage me l’a déjà fait remarquer, ce qui me fait m’emporter un peu plus. Je déteste que l’on pose son doigt là où cela fait mal.
Décembre et la période des fêtes sont passés. Janvier est loin déjà. Février s’est clôturé également, identique à lui-même avec ses chutes de neige et son vent glacé. Cette semaine, Mars vient de prendre le relais en nous arrosant abondamment en neige fondante ou averses de pluie, depuis qu’il a commencé. Par contre, il nous octroie des heures de luminosité supplémentaires, ce qui me réjouit. Là, je regarde à peine le paysage qui défile sur la route menant au travail car je le connais par cœur. Je m’engage sur la bretelle d’autoroute E42 pour me diriger vers l’entrée de Liège où je retrouve les files matinales habituelles. Alors que le soleil commence à percer les nuages gris, j’entre dans le parking Saint-Paul.
La journée me paraît déjà lourde alors qu’elle débute à peine, et c’est sans énergie que je m’approche du bâtiment. Puis, à mon grand étonnement, une fois arrivée au 10e, c’est sans effort supplémentaire que je me dirige vers ma place dans le paysager. En mode automatique, j’ouvre mon ordinateur et branche mon casque pour les appels téléphoniques. J’installe le matériel nécessaire au travail à exécuter. Je termine en sortant de l’armoire les dossiers et factures que je place sur le bureau tout autour de moi. Les heures commencent à s’écouler, les tâches du jour ainsi que les demandes par mail à s’ajouter à celles non gérées de la veille. J’ai l’impression d’être présente et de réaliser mon travail comme à l’accoutumée, et en même temps, je me sens… un peu différente. Je sais, ou plutôt je pressens que quelque chose est en train de bouger en moi. Je suis comme dans une bulle.
Changer à quel niveau ? Comment ? Aucune idée !
J’ai déjà tellement évolué. Petite, j’aimais les contacts et étais spontanée. Cela me valait d’ailleurs la remarque de ma sœur : « Tu sautes au cou de n’importe qui ! ». En fait, j’étais contente que mes parents reçoivent de la visite. C’était rare, je le vivais comme un jour de fête. à la maison, j’étais heureuse pour un rien, pétillante. Par contre, à l’extérieur, c’était différent. Ma sensibilité exacerbée et ma peur de la séparation me paralysaient. Jamais je ne délogeais et si, poussée par l’enthousiasme de départ, je passais le cap, mes hôtes devaient téléphoner pour que mon père vienne me rechercher. En primaire, je ne compte plus le nombre de fois que maman m’a ramené à l’école. J’avais trouvé l’astuce : je demandais pour aller aux toilettes situées dans la cour, et dès la porte franchie, je courais pour ouvrir la barrière de côté. Je parcourais ensuite le petit kilomètre jusqu’à la maison. J’arrivais à bon port, heureuse, et me jetais dans les bras maternels le cœur rempli d’émotions. Bien sûr, elle contactait l’école pour prévenir que j’avais déserté et après une tasse de lait et un câlin, m’y reconduisait malgré mes protestations. En humanités, les douleurs de la séparation se sont à peine estompées, je souffrais intérieurement. C’est au fil des années, notamment aidée par le nombre de kilomètres entre l’école et le domicile et cette impossibilité de fuguer, que ce travail d’autonomie émotionnelle a pu s’opérer.
Il y avait aussi ce mélange d’émotions opposées lorsqu’en famille, nous réalisions la sortie bimensuelle des courses dans une grande surface. J’étais heureuse car c’était magique à mes yeux lorsque papa montait la rampe du parking pour se parquer au 1er étage du GB d’Ans. Mais j’étais intérieurement remplie d’appréhension. Car oui, il n’était pas rare que j’arrive en pleurant dans les jambes de mes parents. Ils avaient seulement avancé le caddie de quelques mètres que je ressentais un gouffre intérieur si du premier regard, je ne les voyais plus. Cela m’a poursuivi même adulte. Je m’en suis rendu compte par hasard quand mon conjoint a changé de rayon sans me prévenir. Les larmes aux yeux, je l’ai cherché et suis arrivée paniquée près de lui. J’ai petit à petit appris à me faire confiance, à me rassurer toute seule et à grandir, tout simplement. Lorsque je suis moins forte intérieurement, cette émotion refait surface, alors comme je me connais, je ne m’éloigne pas de lui.
Tout en poursuivant la journée, mon esprit commence à vagabonder. Mon cerveau se met en ébullition et débute alors un monologue dans ma tête. Les pensées se bousculent concernant ma vie, mon quotidien, les choix que j’ai faits ou les projets à réaliser. Comme cela me complique la poursuite du travail, je décide de me lever et de me rendre dans le local de l’imprimante. Face à la photocopieuse, me voilà en pleine séance de questions – réponses :
Je sais que je ne me sens pas vraiment épanouie au quotidien.
Je me le suis répété plus d’une fois, surtout le soir lorsque je cherche le sommeil et que je fais le bilan de ma journée.
Je n’existe pas vraiment, il n’y a pas de Moi dans cette réalité.
D’un côté, ma vie me pèse et j’aimerais qu’elle soit plus légère, moins commune, plus vivante.
D’un autre, j’arrive à me dire que ça va, que c’est normal !
— Pourquoi ne pas changer mon quotidien ? Parce que parfois le changement me fait peur.
— Comment faire pour le modifier ? Je ne sais justement pas par où commencer.
Assise à présent à mon bureau, je cogite sur ce même thème pendant que je plie les courriers et les glisse dans des enveloppes. La pile grandit devant moi. Dans ma tête, la balance penche d’un côté puis de l’autre entre le confort du connu et l’envie du changement… Puis 16 h 30 arrive.
Après une nuit coupée par plusieurs temps d’éveil et le cerveau en réflexion, tout se déroule à l’identique : le lever, le trajet et le début de journée. Mon esprit repart comme s’il poursuivait la réflexion de la veille. Appuyée contre l’armoire des réserves, j’observe l’impression des courriers du jour sortir et se poser sur le réceptacle. Me vient alors une explication, ou plutôt une métaphore : les feuilles blanches, enfermées dans le bac inférieur de cette machine, montent et se transforment pour devenir quelque chose d’important, porteur d’un message.
Et Moi ? Je reste identique, pas d’évolution, plus de transformation !
Une réponse très claire s’imprime devant mes yeux : je suis avachie et trop lourde pour arriver à évoluer. Mon sac à dos, comme on dit, s’est rempli au fur et à mesure de ma vie, des événements. Il a été complété par d’autres que j’ai pris à bras le corps et pas toujours par choix. Il y a aussi la famille, le couple, les quatre enfants, que je trouve normal de porter mais qui, dans la durée, commencent à peser. Bien sûr, de façon logique j’ai assumé encore, et encore. Au fil du temps, des années, en fait j’ai agi contre moi physiquement et mentalement. Je me suis oubliée presque totalement en ne me donnant aucun espace. Plus j’ai avancé dans la vie, plus je me suis étouffée. Passé 50 ans, je me retrouve maintenant coincée dans un labyrinthe dont je ne trouve pas la sortie. Étant claustrophobe, je ne vous dis pas la sensation de suffocation. Directement, je me redresse comme pour reprendre de l’air.
Oh, il doit y avoir un moment que l’impression est terminée car l’écran tactile est déjà en veille. Je m’empare du paquet de courrier et comme si de rien n’était, me dirige vers le bureau où je m’empresse de m’asseoir. Je regarde autour de moi pour voir si quelqu’un s’est aperçu de ma longue absence, mais non. Je suis un peu sonnée par le contenu de ma réflexion. C’est donc lentement que je me remets au travail. La suite de la journée se déroule, ni bien ni mal, elle passe, c’est tout.
Cela fait plus de quinze jours que régulièrement, lorsque je me retrouve au calme au bureau, mon esprit vagabonde. Heureusement, je ne suis pas payée à la pièce parce que ce serait la diète pour moi. Oh, j’ai bien avancé dans mes pensées. D’un côté, j’ai la sensation que les choses se mettent en place dans ma tête. Mais d’un autre, j’ai l’impression de cultiver un monologue juste pour m’occuper. Je me dis souvent que toutes ces réflexions sont du n’importe quoi. Mon sommeil, lui, est toujours compliqué et très agité puisque mon esprit cogite tout le temps. Je m’épuise à tout niveau. Je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme, je le sens ! Il faut impérativement que cela stoppe, il y a urgence. Depuis trop longtemps, j’ai un énorme poids sur l’estomac :
Je ne veux pas prendre ma famille en otage de mes émotions changeantes.
Je ne désire pas non plus y perdre la santé, déjà que j’ai l’impression de perdre mon temps !
Oh stop, là, sinon, une fois le mécanisme engagé, je vais m’enfoncer dans le négatif et me gâcher la journée. Aussi vite, j’essaie de modifier mes idées et voilà d’un coup, un flash ou plutôt un déclic !
De petites choses !
Il me faut tout d’abord de petits changements, des pistes !
TUUUUUUUUUT TUUUUUUUT !
Je sursaute, mon cœur s’emballe. Ce coup de klaxon me sort de ma torpeur et me ramène à la route. Un double remorque me dépasse et le chauffeur me foudroie du regard. Je me sens vraiment mal ! Absorbée par mes pensées, je ne me suis pas rendu compte que je roulais en dessous de 70 km/heure. Là, les ralentissements d’entrée de ville approchent, j’arrive près des sorties d’Ans. Je me ressaisis et m’oblige à me concentrer. Ne pas oublier d’être vigilante à ceux qui, venant de droite, coupent les deux bandes pour partir vers la nouvelle percée des Ardennes. Surtout rester prudente et attentive à ceux qui viennent de gauche et s’infiltrent au dernier moment dans la file pour descendre dans la trémie Sainte-Marie.
Le parking puis l’entrée du bâtiment, je pointe et me dirige à ma place. Bon, j’y suis ! Je souffle un bon coup !
Aussitôt installée à mon bureau, aussi vite je me replonge dans mes préoccupations, c’est plus fort que moi. Quelque chose me pousse à laisser venir mes réflexions parce que tout s’ordonne dans mon esprit et m’aide. Le monde autour de moi s’efface, je rentre dans ma bulle. Être en vie c’est en fait avoir des envies, preuves que l’on existe ! Je veux croire que je me suis juste effacée. Les plis de la vie m’ont camouflée, entourée, réchauffée et chérie. Je ne veux pas l’oublier, je veux m’en servir. Je n’ai pas tout subi et désire renaître grâce à tout ce passé, tout ce qui s’est passé. Je suis consciente que là, déjà par ces seules pensées, je reprends pied. Je sens qu’un mécanisme nouveau s’est mis en marche.
Je vais être mon guide pour aller de l’avant.
Vers où ? Je ne le sais pas, mais peu importe puisque je compte tracer ma nouvelle route, dessiner ma vie et y mettre enfin des couleurs ! C’est dingue, tracer et dessiner comme synonyme pour dire que l’on est seul maître de notre œuvre. J’adore vraiment le fondement de ces mots, cela me plaît comme image.
Mais comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est cela Oui ! J’ai envie de tout laisser et de prendre une place, ma place !
Là, je me lève d’un bond et bascule presque de ma chaise de bureau ! J’ai oublié que j’étais au travail. Des paires d’yeux me regardent, étonnés et interloqués. Je ne dis rien et fais celle qui ramasse quelque chose en m’excusant du regard et me rassieds. Pourtant, j’ai juste envie de bouger, de sauter, de chanter et de crier !
C’est chouette les collègues que vous soyez là pour partager silencieusement ce début de métamorphose. Vous ne le savez pas, mais cet instant est super important pour moi et vous faites partie du décor. Par contre, il faut que je me calme vraiment car mon comportement est dangereux. Tout à l’heure, j’étais distraite sur la route et donc complètement inconsciente des dangers. Ici au bureau, en étant déconnectée du travail et plongée dans mes pensées, j’aurais pu également chuter. Avec tout cela, il ne manquerait plus que je vienne à faire un accident. Je termine à peine ce mot que je commence à me sentir mal. J’ai le vertige et des sueurs froides.
UN ACCIDENT !
Je pose mes coudes sur le bureau car me revient à l’esprit ce cauchemar horrible de novembre. Je m’oblige à le chasser immédiatement pour ne pas plonger. Je ne veux ici et maintenant que penser à ces mots très forts :
« Mon Amour, ma moitié et ma vie, c’est peu de le dire. Tu m’as sortie de cette tempête nocturne qui m’a remué les tripes et retourné le cerveau. Tu auras par ta présence chaleureuse et, sans le savoir, déclenché un apaisement radical et salvateur. C’est ce soir lorsque je te prendrai dans les bras et te murmurerai à l’oreille que je t’aime, que je te livrerai mon cheminement. Je m’en réjouis déjà, même si je ne sais pas très bien où tout cela va m’amener ou nous emmener. Je t’aime… »
Oh là, je m’emballe et me perds complètement alors que je suis au boulot. Je reviens à moi en entendant le bruit de chaises. Je vois que des collègues sont debout pour aller dîner. Bon OK, cet après-midi, il faut que je me ressaisisse absolument. Pour revenir dans le présent, je m’adresse à une collègue :
Dès que nous mettons les pieds dehors, voilà que le soleil perce les nuages comme pour nous accueillir. La doudoune est malgré tout précieuse car les températures ont baissé depuis plusieurs jours. L’écharpe serrée autour du cou, nous avançons et engageons la conversation. Me sentant coupable d’être improductive, j’en touche un mot à ma collègue.
Sur le retour, nous décidons d’allonger un peu la sortie, car cette météo nous fait vraiment plaisir. Les temps de midi remplis de petits riens font toujours du bien et pourtant, je sors rarement. Je me laisse imprégner par des observations toutes douces : ce soleil qui vient réchauffer la peau trace un sourire sur le visage des personnes qui profitent également de cet instant de ciel bien dégagé. Un petit enfant court dans le nouvel espace aménagé de la place des Carmes. De jeunes étudiants ont réinvesti les bancs non loin de leur école. En fait, tout me plaît et je m’en nourris. Je me rends compte que je respire à plein poumon cette plénitude qui entre dans mon corps et gagne mon cœur. Je me sens revigorée et bien vivante.
à peine rentrées au bureau, nous consultons ensemble l’agenda.
Je les place derrière moi sur l’armoire basse située le long des fenêtres. Ainsi, elles ne seront plus dans mon champ de vision. Dans cette tâche-ci, je sais que je ne saurai plus me laisser aller à la rêverie. Pas le choix ! Dans les contacts humains, surtout dans l’accompagnement social, il est capital de pouvoir écouter, informer et rassurer les personnes. Afin de réaliser cela comme je le conçois, je me dois d’être très attentive et dans le temps présent. Les heures suivent et le travail se réalise comme à l’accoutumée. Les mails sont gérés petit à petit et les coups de fil donnés. Je suis tellement concentrée que je ne m’aperçois même pas que le bureau se vide progressivement de ses occupants. Modifier la dynamique était le bon choix ! Il est presque 17 h lorsqu’Agathe me signale son départ.