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"La guérison vient de l’intérieur" est le poignant témoignage de
Suzie Bouteloup, qui révèle son immersion dans l’univers oppressant d’une communauté sectaire. Elle y retrace avec une sincérité troublante sa chute et son chemin de rédemption. En mettant en lumière les mécanismes de l’endoctrinement et les dérives sectaires, cet ouvrage devient une référence pour les victimes, leurs proches et les professionnels. Plus qu’une analyse, c’est une véritable ode à la résilience humaine, une invitation à puiser en soi les ressources nécessaires pour renaître. Ce récit offre une réflexion essentielle sur la guérison intérieure et l’espoir de surmonter les épreuves les plus intenses.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Suzie Bouteloup, infirmière de formation, a surmonté une expérience sectaire grâce à un travail intense de reconstruction. Avec le soutien d’une biographe et psychologue, elle a converti cette épreuve en un témoignage à la fois libérateur et inspirant. Son récit, porteur d’espoir, invite chacun à reprendre le contrôle de sa destinée et rappelle que la guérison se trouve en soi, offrant à tous la possibilité de se relever après la souffrance.
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Seitenzahl: 161
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Suzie Bouteloup
La guérison vient de l’intérieur
© Lys Bleu Éditions – Suzie Bouteloup
ISBN : 979-10-422-4892-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Marie qui lutte pour se libérer de ses dernières chaînes ;
À ma famille, qui va découvrir une partie de ma vie
non encore dévoilée ;
À tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin
et qui consciemment ou non m’ont aidée ;
À vous, lecteurs, qui lirez ce témoignage
Puisse-t-il vous encourager
et vous amener à cheminer vers la paix intérieure.
Mes chers parents,
Lorsque vous lirez cette lettre, je ne serai plus là, je serai enfin en paix. La mort me paraît si douce face à cette douleur qui m’envahit chaque jour un peu plus.
Je vous demande pardon pour le mal que je vous ai fait en quittant la maison. J’étais tellement sûre de vivre une grande aventure. Vous aviez raison ! Pardon pour le mal que je vous fais aujourd’hui en quittant cette vie ! J’ai essayé, j’ai lutté pour survivre à cette souffrance, mais c’est trop dur, je n’en ai plus la force.
Vous, mes frères et sœurs, j’ai souvent eu la main sur le téléphone pour vous appeler au secours. J’ai eu peur de votre réaction, que vous ne fassiez une bêtise en allant le trouver et qu’un drame ne se produise. Je vous aime tant.
La mort est, pour moi, la seule issue. Je me suis efforcée de m’accrocher, mais il n’y a que du vide, même Dieu m’a abandonnée ! La tristesse, la peur, l’angoisse, la culpabilité tournent en rond dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps, prenant toute la place, ne me laissant aucun répit. La vie n’a plus aucun sens, alors je pars.
Mes dernières pensées sont pour vous. Je vous aime.
Suzie
Il est tard, la nuit est déjà tombée. Il y a une demi-heure que ma collègue est partie. Elle a dû alerter mes parents. Ils ne vont pas tarder. Il faut que je me dépêche. Le porto commence à faire effet. Je vais dans la chambre et m’allonge sur le lit, épuisée et en pleurs. Je pense à ma famille, à mon enfance. C’est la dernière image que je veux emporter avec moi.
Le révolver est là, près de moi. Il est temps !
Mon enfance a été tellement riche ! J’aime me replonger dans cette époque où nous vivions dans un microcosme protecteur. J’étais la sixième d’une famille nombreuse de dix enfants : cinq garçons et cinq filles. La maison était toujours pleine. Les naissances se succédaient, mais aussi les départs à l’armée des quatre aînés.
Les parents de notre père vivaient avec nous. Nous habitions dans un appartement en pleine ville, qui était devenu trop petit pour accueillir la famille qui s’agrandissait régulièrement.
Mon père s’était donc mis à la recherche d’un terrain jusqu’à trouver la perle rare. Le propriétaire voulait vendre le plus vite possible à cause d’une ligne à haute tension qui passait juste au-dessus. Pour une poignée de francs, ce lopin de terre était à nous, ce qui allait faire notre bonheur. La maison a été vite construite. Comme elle était située sur une colline, il y avait de la route, une quarantaine de marches pour accéder à l’entrée.
Et c’est ainsi que la famille ne tarda pas à s’installer à la campagne : les parents, les grands-parents et huit enfants. Deux autres filles naîtraient plus tard dans cette demeure.
Pendant une courte période, deux tantes vinrent finir leur vie au sein de notre foyer. L’une d’elles, Maria, nous quitta peu de temps après notre emménagement.
L’autre, la tante Berthe, se levait toutes les nuits, à 5 heures du matin, pour laver son mouchoir. Celui-ci séchait, tendu aux deux coins, et elle le balançait au-dessus du poêle, en chantant « un, deux, trois, quatre, cinq » en boucle. Les premiers jours, ma mère se levait pour lui dire qu’il fallait retourner se coucher. Mais elle abandonna vite, et c’est ainsi que cela devint un rituel. Le reste de la journée, elle demeurait assise sur une petite chaise au haut dossier et nous regardait jouer.
Lorsque nous eûmes la première télévision, en noir et blanc, mon père lançait parfois les informations pendant le repas. À chaque fois que la speakerine apparaissait, Berthe répondait à son « bonjour » et s’offusquait que nous ne fassions pas de même, provoquant l’hilarité générale.
Berthe partit quelques mois après Maria.
À 6 heures, c’était le grand-père qui se rendait dans la cuisine pour préparer un café à la grand-mère. Il revenait, tenant d’une main le bol chaud posé sur une assiette. De l’autre main, il retenait son caleçon qui, sinon, lui tombait sur les genoux. Il tremblait beaucoup, alors le bruit du bol cognant contre l’assiette réveillait tout le monde. Plus il vieillissait, plus il tremblait, et plus le bol chantait.
Entre la tante et Pépé, on savait exactement quelle heure il était. Pas besoin de réveil !
Notre mamie, la mère de notre père, occupait une grande place dans la famille. C’est elle qui cuisinait en général. Et il faut bien reconnaître que nous nous régalions ! Avec un rien, elle faisait un festin. Jamais rien n’était perdu. Si deux frites n’avaient pas été mangées au repas de midi, on les retrouvait dans l’omelette du soir ! Lorsqu’elle pâtissait, nous étions comme des abeilles autour d’un pot de miel. C’était à celui qui, avec le doigt, récupérerait les restes de pâte ou de crème dans le saladier : « le Graal » !
Elle était très croyante et très vigilante quant à notre éducation religieuse. Tous les dimanches, nous allions à la messe à ses côtés. Bien sûr, il y avait le catéchisme, que nous suivions à la paroisse du village. Mamie ne manquait pas de nous le commenter, insistant sur les valeurs essentielles de la vie : le respect, la fraternité, le partage, l’amour du prochain, la politesse, la serviabilité. Elle veillait à ce que nous les appliquions au quotidien. Les vilains mots étaient bannis et entraînaient souvent de petites punitions.
Notre mère (nous ne connûmes pas ses parents) était d’un courage exemplaire. Elle n’avait jamais passé son permis de conduire. Elle partait à pied jusqu’au village, puis, de là, prenait le car pour s’approvisionner dans la ville voisine, éloignée de cinq kilomètres. Elle remontait à pied de l’arrêt de bus, à environ un kilomètre et demi, les bras chargés de sacs à provisions. L’hiver, elle faisait le même trajet, mais avec parfois vingt centimètres de neige sur la route et de petites chaussures, n’ayant pas les moyens d’acheter des bottes.
Nous étions très turbulents et mettions ses nerfs à rude épreuve. Je me souviens d’une fois où nous étions partis dans les bois pour jouer avec des lianes comme Tarzan. Deux d’entre nous s’étaient déjà élancés, tenant fermement la liane, mais, au passage de la troisième, la liane céda, envoyant sa passagère dans le décor. Elle avait très mal au bras, alors nous la ramenâmes à la maison. En découvrant la blessure, notre mère déclara qu’il s’agissait seulement d’une bosse. Mais la grand-mère, qui avait été infirmière pendant la guerre, remarqua que le coude était démis. Mamie appela alors notre père pour conduire ma sœur à la clinique. Elle avait une luxation ainsi qu’une fracture !
Parfois, lasse et fatiguée, Maman quittait la maison sans nous dire où elle allait. Nous avions si peur qu’elle ne revînt pas que nous partions à sa recherche. Nous la retrouvions souvent dans l’église du village, en pleurs. Elle rentrait avec nous et la vie reprenait son cours.
Son enfance malheureuse remontait souvent à la surface. Son père, alcoolique, avait chassé sa mère de chez eux alors qu’elle n’avait que 5 ans. Son frère avait été placé dans une ferme en tant que commis et elle, dans un orphelinat, d’où elle ne devait sortir qu’à l’âge de 14 ans pour dire adieu à sa mère mourante. Ensuite, Maman vécut avec son père et sa nouvelle femme, et ce, jusqu’à sa rencontre avec celui qui deviendrait son mari. Elle avait alors 19 ans. Elle s’est mariée enceinte, durant la guerre, mariage désapprouvé par notre grand-mère. Son état n’était pas en accord avec les principes religieux.
Nous n’étions pas riches, loin de là. Mais notre mère, qui savait très bien coudre, veillait à ce que nous soyons bien habillés, simplement, et toujours très propres. Nous avions la tenue du dimanche pour nous rendre à la messe, celle pour l’école, avec le tablier, et celle pour jouer.
Elle adorait la fête et aimait danser avec ses enfants. Toutes les occasions étaient bonnes pour nous réunir autour d’un délicieux repas. La maison était toujours ouverte à nos camarades d’école qui appréciaient cette belle ambiance familiale. Plus il y avait de monde et plus Maman était heureuse.
Enfant déjà, et encore aujourd’hui, j’étais très sensible aux émotions vécues par les autres, à leurs peines comme à leurs joies. C’était comme si j’étais reliée à eux. J’éprouvais cela très fortement avec ma mère. J’avais souvent l’envie d’aller vers elle, de me blottir dans ses bras, et de lui dire : « Je suis là, Maman ». Je m’inquiétais pour sa santé. Je la sentais tellement fragile.
La journée, notre père travaillait. Il se montrait très sévère et exigeant avec nous. En revanche, nous pouvions toujours compter sur notre mère pour nous défendre. Elle était si occupée que nous étions libres de faire toutes les petites bêtises que nous voulions. Et, de ce côté-là, nous ne manquions pas de créativité.
Je me souviens du jour où notre grand-mère avait une fois de plus servi des épinards, dont nous ne raffolions pas. Au bout d’une demi-heure, ces derniers étaient toujours sous notre nez. Nous ne les avions même pas goûtés. Voyant cela, mon père dit : « Tant qu’ils n’auront pas fini leur assiette, ils n’auront pas de dessert (c’étaient des fraises) et ne sortiront pas de table. »
Et il était parti au travail, nous laissant sous bonne garde. Une heure plus tard, nous avions presque tous mangé, sauf un qui ne cédait jamais et se trouvait toujours à table à l’heure du goûter. Notre solidarité avait quand même ses limites !
En dehors de son emploi, la passion de Papa consistait à dresser des chiens pour la défense. Il en avait un très doué que l’on utilisait pour rechercher des personnes perdues en montagne ou en forêt. Avec un de ses amis et mes frères, il avait créé une méthode, accompagné de ses chiens, pour retrouver les victimes d’avalanches et avait même ouvert une école. C’est ainsi que nous devînmes des cobayes pour leur entraînement.
À trois reprises, j’ai fait office de « victime », ensevelie sous un mètre cinquante de neige. La première et la deuxième fois, le chien m’a repérée une demi-heure plus tard. Mais, la troisième fois, le temps passait et je n’entendais toujours pas les voix des hommes ni d’aboiements. La peur commençait à s’emparer de moi. La panique m’envahissait quand, enfin, j’ai perçu les jappements du chien qui grattait la neige. Ce fut la dernière fois que je me soumis à cette expérience : j’avais été trop effrayée.
Mon père avait un poste important dans l’administration. Mais cela ne suffisait pas à nourrir toute cette tribu. Ma mère avait donc pris du travail à domicile. Ce qui se faisait beaucoup à l’époque. C’est ainsi que nous montions des lunettes de soleil, des briquets. Mais aussi des fanions publicitaires destinés aux pistes de ski lors de compétitions. Nous allions aussi distribuer des réclames dans les boîtes aux lettres de la ville voisine. La maison se transformait en atelier après chaque repas. Après les devoirs, nous nous mettions à l’ouvrage avec plus ou moins d’entrain, mais demeurions tous solidaires.
Lorsque nos tâches étaient effectuées, nos jeux se limitaient à courir dans les champs, bâtir des cabanes, des arcs et des flèches. Évidemment, nous, les filles, nous étions les femmes blanches attachées au totem, subissant les assauts de nos Indiens de frères. L’un d’eux avait une imagination débordante. Il eut l’idée de fabriquer un kart avec un moteur de mobylette. Une autre fois, il essaya de construire un hélicoptère. Il réussit à décoller de deux mètres avant que la machine et « le pilote » ne s’écrasent au sol.
Nous allions aussi voir les paysans pour garder les vaches dans les prés et faire les foins. Quand nous le pouvions, nous marchions jusqu’à la rivière à environ un kilomètre, coupant à travers champs, pour nous baigner. Un jour, mon père nous y avait emmenés avec la voiture. Il fut décidé qu’il était temps pour moi d’apprendre à nager. À cet endroit, la rivière était plutôt tranquille. Elle formait une sorte de grande mare d’environ deux mètres de fond. Il y avait un énorme rocher, d’où nous pouvions sauter. Je me tenais là, tellement occupée à regarder mes frères plonger dans l’eau que je ne vis pas mon père arriver derrière moi. Je sentis une poussée dans le dos et, en quelques secondes, j’étais dans l’eau, hurlant de peur. Mes frères, venus à la rescousse, me criaient de me calmer et de me laisser porter par le courant. C’est de cette façon que j’appris à nager.
Nous étions scolarisés à l’école primaire catholique du village, tenue par des religieuses. Nous cheminions avec les enfants des paysans voisins avec qui nous partagions aussi nos jeux. Au retour, nous en profitions pour ramasser des fleurs des champs qui, sitôt que nous arrivions, trônaient au milieu de la table.
Question organisation, nous avions nos jours pour mettre et débarrasser la table, faire la vaisselle et le ménage. Nous partions chercher le lait à la fruitière voisine avec un gros bidon que nous portions sur le dos. Nous passions par la boulangerie du village pour prendre le pain.
Les fermiers nous donnaient quelques légumes contre des services que leur rendait notre grand-mère. Les fins de mois étaient souvent difficiles, et le carnet chez l’épicier nous valut bien souvent les moqueries de nos camarades d’école.
Nos journées étaient rythmées par les devoirs, le travail et quelques jeux. Les vacances nous laissaient un peu plus de liberté, mais toujours après le travail.
J’étais d’une santé très fragile. Quelques mois après ma naissance, je fis une crise d’acétone. Mes parents crurent me perdre. Vers l’âge de 7 ans, c’est une primo-infection qui m’obligea à rester au repos. Il fallut que je parte en colonie sanitaire durant un mois pour récupérer. Quelques années plus tard, ce furent des crises d’asthme qui, régulièrement, me clouèrent au lit. Elles s’arrêtèrent aussi vite qu’elles étaient apparues. Puis, un manque de calcium et des problèmes d’albuminurie eurent raison de mon amour pour le sport qui me fut interdit. Peu de temps après cela, on dut m’enlever mes amygdales, l’appendice et, juste avant d’entrer à l’école d’infirmière, je subis une intervention des deux pieds. Mais rien de tout cela n’atteignit mon moral ni ma joie de vivre.
Très vite, encore enfant, je compris que montrer ses émotions n’était pas forcément judicieux, et même imprudent. D’ailleurs, on ne nous invitait pas non plus à le faire. Les adultes étaient beaucoup trop occupés et ne prenaient pas ce temps-là. C’est donc tout naturellement que je prenais l’habitude, chaque fois que j’éprouvais un sentiment d’injustice, de colère ou de peine face à certaines situations, de cacher ces ressentis au fond de moi pour ne rien laisser transparaître. Il me semblait évident que c’était la meilleure solution pour ne pas souffrir davantage.
L’un de mes grands chagrins remonte à mes 3 ans environ. J’avais, comme beaucoup d’enfants, ce que j’appelais un « nin-nin », un carré de tissu que je trimbalais partout. Ma mère, un beau jour, avait décidé que j’étais assez grande et que je pouvais m’en passer. Alors, elle le brûla ! J’étais inconsolable, je le cherchais partout, jusqu’à ce qu’elle me dît la vérité. Voyant ma profonde tristesse, elle essaya de m’en donner un autre. C’était peine perdue, rien ne me consolait. Cette expérience fut mon premier deuil !
J’étais une grande rêveuse. J’imaginais que le monde était fait à l’image de ce microcosme dans lequel je vivais. J’allais vite me rendre compte que ce n’en était rien.
La nuit, j’adorais regarder le ciel. Je restais ainsi de longs moments à admirer les étoiles avec lesquelles j’étais en communion. Je pensais alors que le ciel était mon père et la terre, ma mère. Ma famille n’était qu’une « famille d’accueil ».
Jour après jour, j’appris à me débrouiller seule. J’étais curieuse et m’intéressais à tout, observant les grands et les copiant. C’est de cette manière que je sus monter des murs, poser du carrelage, peindre, tapisser, réparer un vélo, faire des terrassements et tricoter. Il n’y a que pour la cuisine que mon intérêt s’avérait tout relatif. Ma mémoire m’a toujours beaucoup aidée. Il y avait même parfois des choses qui me revenaient alors que j’étais persuadée de ne jamais les avoir vécues, comme si elles étaient en moi depuis toujours !
À chaque fois que j’étais malade, triste ou inquiète, je sentais au fond de moi une présence d’une infinie douceur, qui me sécurisait. Cette spiritualité, qui me portait déjà, était profondément ancrée, bien qu’en décalage complet avec les lois qu’il me fallait respecter sous peine de sanctions. Ces croyances étaient imposées par la famille, mais aussi par la religion, l’école et la société. Obéir ou être punie, être pieuse ou aller en enfer, tout reposait sur la peur. Peur de décevoir, peur de ne pas être à la hauteur, peur de mal faire, peur de l’autre, peur de ne pas être aimée, peur de l’échec. Je finissais par les connaître toutes !
Alors, c’est tout naturellement que je me réfugiais auprès de cette force intérieure comme une enfant dans les bras de sa mère. J’avais l’impression, dans ces moments-là, que rien ne pouvait me toucher. J’étais en sécurité, quels que soient les événements extérieurs. Ce mécanisme, je l’ai rodé toute mon enfance et surtout à l’adolescence. Il faisait partie de moi. Il m’accompagnerait toute ma vie. Il faut dire qu’il présentait de nombreux avantages. Je pouvais continuer mes tâches et, lorsque la souffrance s’invitait, je plongeais dans ce petit coin de jardin intérieur.
Ce qui m’a beaucoup aidée également, c’était mon humour. Je transformais tout en rire, même ce qui était douloureux. Cette dérision fut, bien souvent, un important exutoire, me permettant ainsi de relativiser les choses.
J’étais très joyeuse et pleine de vie, très spontanée, allant facilement vers les autres, voire naïve, incapable de croire ou de penser que l’on puisse faire du mal volontairement. De ce fait, j’étais très vulnérable. J’avais une forte tendance à très vite accorder ma confiance, même aux étrangers, ne voyant en eux que leurs bons côtés.
Ainsi, jour après jour, je renforçais les murs de ma tour, consciemment ou inconsciemment, me sentant protégée par tout ce que je mettais en place pour survivre à mes peines. Je n’avais plus peur de rien. J’étais comme une princesse dans son château, préservée du monde extérieur, mais aussi privée de toute sortie. Je percevais l’extérieur du haut de mes remparts, ne laissant plus rien entrer, prisonnière de mes peurs.