La vie de l’autre - Vincenzo Cirillo - E-Book

La vie de l’autre E-Book

Vincenzo Cirillo

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Beschreibung

Sous les façades fanées d’une ville thermale toscane, Pietro-Paolo, poète en exil, tente de recoller les morceaux d’une existence éclatée. Porté par une errance intérieure où les souvenirs se mêlent aux rêves et aux visions de l’au-delà, il traverse des paysages mentaux faits d’ombres, de silences et de réminiscences, cherchant, à la croisée de plusieurs mondes, un sens, une forme de rédemption et peut-être même une paix oubliée. Ce récit singulier explore la condition humaine, les vertiges de la création et la lente alchimie de la réconciliation avec soi-même.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Portée par un souffle poétique et métaphysique, l’œuvre de Vincenzo Cirillo explore les replis de l’intériorité à travers des espaces-temps fragmentés. Il a écrit ce film au croisement de l’eau, de la terre, des mémoires et des âmes, qui sert également d’hommage à Andreï Tarkovski et Antonio Tabucchi, guides silencieux qui lui ont montré la voie d’une création à la fois intime et universelle.

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Seitenzahl: 103

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Vincenzo Cirillo

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vie de l’autre

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Vincenzo Cirillo

ISBN : 979-10-422-7165-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

La vie de l’autre

 

 

 

 

 

Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière, dangereux de frissonner et de s’arrêter.

 

Nietzsche

 

Ce matin-là, Pietro-Paolo se réveilla en ayant l’impression de s’être battu toute la nuit. Il ressentait des douleurs musculaires dans tout son corps et avait la gorge sèche. En sueur, tremblant, faible et fatigué, il n’osait pas se regarder dans le grand miroir en face du lit.

Il n’avait aucun souvenir, ni de rêves ni de cauchemars ; sa tête était vide. Il tendit la main vers le verre d’eau sur la commode, en évitant l’abat-jour et le réveil et le but d’un seul coup. La nuit avait été courte. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas écrit. Il peignait, mais n’écrivait plus, n’avait pas mis un mot sur papier depuis trente jours. Il avait seulement lu des lettres qui lui parvenaient par milliers tous les jours, qu’il avait placées dans des boîtes en carton empilées dans la cave, elles semblaient toutes identiques, il ne les lisait plus. Pietro-Paolo se dirigea vers l’évier de la cuisine, remplit à nouveau son verre d’eau et le but d’un trait.

Il éprouvait une sensation d’apesanteur, tandis que le tic-tac de l’horloge résonnait dans son esprit, observant le travail minutieux de l’araignée tissant sa toile, perdu dans le temps et l’espace, il se sentait suspendu dans le vide, sans savoir où il se trouvait.

Soudain, sans en saisir la raison, il ressentit dans son esprit, comme un écho lointain, des mots déjà entendus ou lus, sans se souvenir du moment ni du lieu. Ces mots, chargés d’une grande puissance, résonnaient en lui avec une profonde intensité. La voix lui paraissait être celle de son père, bien qu’il fût certain qu’il n’avait jamais prononcé ces mots. Pietro-Paulo était persuadé que son père aurait contredit cette affirmation : Ne croyez pas quand on vous parle « d’espoir » : l’espoir est un mot pourri, inventé par ceux qui détiennent le pouvoir, l’espoir est infâme. L’espoir dont ils vous parlent a été inventé par les Patrons. L’espoir est de ceux qui vous parlent de Dieu : Soyez bons, soyez tranquilles, priez, vous aurez votre rançon, votre récompense dans l’au-delà, oui, soyez bons ! Rentrez chez vous, travailleurs précaires, rentrez chez vous, parce que dans deux ou trois mois on vous réembauchera, vous aurez le poste, rentrez chez vous, taisez-vous, soyez bons, ayez de l’espoir ! L’espoir est un mensonge, une supercherie perpétrée sur les faibles, l’espoir est infâme et vous trompe.

L’espoir en revanche, Pietro-Paulo l’avait perdu à l’école, à la messe, à l’université et à la mort de ses parents.

 

Pietro-Paolo était un poète, l’un des écrivains les plus lus au monde, mais il vivait modestement, demeurant dans la maison où ses parents l’avaient élevé ; c’est là, et seulement là, qu’il se sentait bien, dans son malheur existentiel.

 

La célébrité et l’argent ne l’intéressaient pas ; il refusait toutes les invitations en son honneur, ne faisait pas la promotion de ses livres, n’apparaissait jamais à la télévision ni ne donnait d’interviews, ses ouvrages ne comportaient jamais de photographies de lui. Pietro-Paolo ne se portait pas bien, n’était pas heureux, et se sentait profondément seul. Il se demandait pourquoi il n’arrivait pas à profiter de la chance d’être un auteur reconnu et couronné de succès ni à être fier de ce qu’il écrivait. À ce découragement s’ajoutait le fait qu’il n’arrivait pas à terminer le roman, le plus important, celui qui comptait plus pour lui que tous ceux qu’il avait déjà écrits et publiés. Le roman décrivant l’histoire de sa séparation avec lui-même depuis le jour de sa naissance. Depuis vingt ans, il s’acharnait inutilement à donner une vie à ce roman qui le tourmentait.

La fatigue de la nuit se faisait sentir, la sueur s’accumulait sur son corps, il s’essuya le front et le visage avec un torchon de cuisine en chuchotant : Qui est-il ? Qui est cet autre moi ? Une présence sans distance, il m’observe se sentant à l’abri, mais lorsque je tourne également mon regard vers lui, cette autre partie de moi se sent en péril. Pourquoi nous recherchons-nous ? Peut-être pour échapper à ce regard qui nous oppresse et nous effraie ! Cette histoire inachevée représentait pour lui des nuits d’angoisse et des jours de profonde tristesse, où la mélancolie le faisait couler comme un navire contre un rocher, où ses forces l’abandonnaient. Pietro-Paolo ne pouvait échapper à ce malaise existentiel qui le déchirait comme une chemise sous les ciseaux.

Tel un fantôme, il se rendit à la salle de bains avec le besoin de prendre une douche, pour essayer de se libérer de cette fatigue profonde.

Il se tenait immobile sous le jet de la douche chaude, observant minutieusement les gouttes qui tombaient dans la baignoire, réfléchissant à l’instant présent, tel un naufragé à la merci des vagues, aux échos profonds et silencieux de son âme en errance : Il est particulièrement difficile d’écouter les autres dans le silence. Lorsque nous prêtons l’oreille, nous cherchons souvent à nous identifier aux expériences des autres.Il y a plusieurs sortes de silence qui sont toutes différentes. Le silence est une forme de spiritualité qui anticipe un son ou un mot en les valorisant, mais il fait peur. J’ai peur du silence, comme du noir, mais je crois sincèrement que dans notre monde actuel, le vrai silence n’existe pas.

Il éteignit alors les robinets de la douche, ouvrit le rideau en plastique et escalada le rebord de la baignoire, d’où s’élevait un nuage de vapeur se répandant dans toute la salle de bains. À tâtons, il ouvrit le robinet du lavabo, se brossa les dents, s’essuya, puis se dirigea vers la cuisine pour se préparer un délicieux café moulu à la main, avec son moulin en bois d’origine allemande. Ce moulin était un don d’un menuisier rencontré à Malte, lors d’un déplacement pour l’adaptation cinématographique de l’un de ses romans.

Pietro-Paolo s’était immédiatement lié d’amitié avec lui, au point de préférer dîner chez cet homme plutôt que dans le restaurant chic réservé par les producteurs du film.

Lors de ce dîner, le menuisier lui avait offert ce vieux moulin à café qu’il avait lui-même restauré, le souvenir de ce simple geste fraternel l’émouvait à chaque fois.

Pietro Paolo était toujours ravi d’entendre sa cafetière jouer le fameux refrain « Clo-Clo-clo ».

Pietro-Paolo tenait en haute estime sa vieille cafetière italienne, celle avec laquelle son père préparait, avec un soin minutieux, son nectar précieux. Cet art italien exigeait le souci du détail : la cafetière devait être parfaitement propre, les grains de café fraîchement moulus, le dosage de l’eau et du café précis, sans presser le café dans le filtre entonnoir ; la flamme du gaz devait être basse, et il ne fallait pas laisser la cafetière sans surveillance sur le feu. Cette magnifique cafetière en acier devait être contemplée avec tendresse, par quiconque souhaitait apprécier son élixir sacré. Il fallait l’admirer et faire preuve de patience avant d’entendre son chant envoûtant. Pietro-Paolo avait l’impression de revivre à chaque fois les gestes tendres et délicats de son père, qu’il observait avec des yeux d’enfant. Maintenant c’était lui qui les exécutait avec la même abnégation et le même amour que son père. Ces gestes le ramenaient dans cette modeste cuisine empreinte d’amour familial. Pietro-Paolo aurait pu abandonner l’univers tout entier, mais il n’aurait jamais renoncé à ce rituel, pour rien au monde, car il lui offrait l’espoir d’une nouvelle journée à vivre et faisait ressurgir tant de beaux souvenirs d’enfance. Son excellent café, lui, était expédié en gros colis par un torréfacteur depuis Palerme. Maître Calogero Sinna était un homme courtois, un fin connaisseur des meilleurs grains et des petits producteurs dispersés dans le monde, qu’il soutenait en leur offrant une rémunération juste.

Maître Sinna était quelqu’un de bien, un commerçant qui aimait ce qu’il faisait et y mettait toute sa passion, un homme qui donnait la juste valeur à ceux qui produisaient ce qu’il commercialisait, l’un des rares, malheureusement.

La maison de torréfaction de Maître Calogero Sinna était située à proximité du bureau de son éditeur italien.

 

Pietro-Paolo, soudainement saisi par une force tellurique et irrésistible, se précipita dans sa chambre et, sous l’influence de cette force mystérieuse, s’assit devant son bureau et commença à écrire avec frénésie, envahi par des visions cinématographiques qui défilaient lentement devant ses yeux, armant sa main de plume et d’encre contre les feuilles blanches, comme s’il menait une bataille intense contre lui-même. C’était une lutte épuisante pour capturer chacune de ses pensées, sans omettre un seul mot ni seule une virgule, tant il se sentait possédé. Animée par une étrange excitation, la main de Pietro-Paolo courait sur les pages sans prêter attention aux phrases qu’il écrivait mot après mot, comme dominé par la magie de la création.

Il ne comprenait pas à ce moment-là, le sens de ses paroles, mais avait le sentiment que, malgré cet automatisme, l’histoire prenait une forme cohérente. Tout à coup, il s’arrêta, se dirigea vers la fenêtre et l’ouvrit. La pluie tombait à torrents, des éclairs zébraient le ciel, illuminant le paysage sombre, tandis que le tonnerre éclatait en explosions assourdissantes.

Ce n’était pas un orage, mais une tempête, et le vent pliait non seulement les arbres, mais semblait courber la terre entière.

Ce qu’il avait sous les yeux était une vision apocalyptique, mais sans destruction et pleine de vie. Alors que les portes claquaient et qu’il s’efforçait de fermer la fenêtre, en se retournant, il remarqua qu’il avait laissé la lumière allumée dans la salle de bain, ce qui amplifiait pour lui le son obsédant des gouttes frappant la porcelaine puis l’eau dans le lavabo, ce qu’il trouvait encore plus insupportable et oppressant que la tempête qui faisait rage à l’extérieur. C’était à ce moment précis de l’ouragan atmosphérique et des gouttes qui frappent l’évier qu’il retrouvait la magie de l’écriture, l’inspiration se manifestait enfin, les mots surgissaient seuls, libres et rapides comme un train, portés par une énergie propre.

 

Pietro-Paulo ne se souciait pas de qui avait pris le volant de la voiture de l’écriture, qui l’emmenait loin. Où ? Il ne le savait pas, cela n’avait pas d’importance, tout ce qui comptait était d’y aller. Il était détaché de lui-même et se contemplait comme s’il se voyait dans un miroir, ou que le miroir était lui-même. Qu’il soit une ombre, un spectre ou un être sans repères, il ne lui restait qu’à avancer sur le chemin, même si la route n’existait pas, même si la voiture en pleine vitesse l’avait éjecté après un virage, le laissant sur la route. Il avait des jambes même s’il n’y avait pas de chemin, il devait marcher. Il devait faire face à son destin, ne pouvant que se laisser emporter par les vagues de l’océan de la vie.

Mais écrire sans savoir où aller, le remplissait d’anxiété, car cela impliquait la quête de l’autre soi qui lui manquait depuis sa naissance.

 

Existent d’autres espaces temporels, d’autres temps, un autre moi vivant dans des dimensions différentes de la mienne. Je suis ici, mais je suis également dans le futur ou le passé. Comment puis-je synchroniser les horloges de ces deux moi ?