La violence faite aux âmes - Élodie Piacentino - E-Book

La violence faite aux âmes E-Book

Élodie Piacentino

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Beschreibung

"La violence faite aux âmes" est l’histoire d’une jeune femme qui revisite son enfance à travers des souvenirs soigneusement choisis. Elle tente de démêler les fils du passé pour comprendre comment sa famille a glissé dans une violence sourde et corrosive, brisant les plus vulnérables et endurcissant les autres. Son objectif est de discerner les signes précurseurs des blessures les plus subtiles afin de mieux les anticiper.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Élodie Piacentino découvre la littérature à travers le théâtre classique et rejoint la troupe de Perrette Souplex à l’âge de douze ans. Elle élargit ensuite son champ d’expression en musique et en écriture en contribuant à divers projets artistiques tels que des albums musicaux et des adaptations théâtrales. "La violence faite aux âmes" est un hommage à son frère et à son enfance.

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Seitenzahl: 109

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Élodie Piacentino

La violence faite aux âmes

© Lys Bleu Éditions – Élodie Piacentino

ISBN : 979-10-422-2658-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

J’arrive à l’âge où la trace de l’oreiller laisse tous les jours de plus en plus sa marque lourde sur mon sourire. Vieillir sera heureux ou ne sera pas. Il convient à présent que se taisent à jamais les fantômes de l’enfance. Pour que d’autres que moi ne les laissent pas nuire, je vais écrire ma part de l’histoire maintenant.

Je n’ai pas peur de l’oublier, ce ne serait pas possible, tant elle est écorchée sur mes avant-bras et le haut de mes genoux. J’écris parce que j’ai peur de m’adoucir et ne plus oser, ou bien de m’endurcir et noircir la vérité.

Je ne veux pas faire de cadeau, mais je ne veux pas blesser.

Se libérer sans faire de prisonniers, un exercice périlleux. Le devoir de mémoire, nous l’avons tous vis-à-vis de nos enfants, et si nous n’avons pas d’enfants, vis-à-vis des pas qui marcheront sur nos traces. Le mal passe de main en main en famille, inodore et a priori inoffensif, il a pourtant frappé et frappera encore, il a blessé, il a tué.

Il est temps que l’un d’entre nous le neutralise. Je suis ce chevalier sans force avec reproches et la peur au ventre.

Ce combat que je mène au nom des miens, je le mène au nom de tous, aucune thérapie ne vaut si elle divise et ne sert pas à la globalité. J’ai la mémoire de mon espèce, je suis des vôtres et mon histoire est un peu la vôtre, tout comme votre histoire est la mienne. Il était une fois, un monde que chacun pensait le sien, un monde où les nouveaux arrivés devaient entrer de force dans la boîte qui leur avait été destinée bien avant qu’ils n’aient eu l’idée de naître…

Une poire dans une bouteille

À l’entrée du bureau de mon père, une plaque émaillée humoristique disait : « Il n’est pas nécessaire d’être fou pour travailler ici, mais ça aide ! ». Il n’était pas nécessaire d’être fort pour naître dans notre famille, mais ça aidait à y survivre.

Je suis née en 1971 en plein cœur de Paris, d’un père Sicilien né en 1937 à Tunis et d’une mère de 9 ans sa cadette, fraîchement arrivée de son petit village du Lot. Notre famille, d’une apparence commune à tant d’autres à cette époque, était une supercherie. Vue de l’extérieur, 6 enfants (dont deux issus d’un premier lit de mon père), une grand-mère à demeure.

La mère de ma mère (qu’elle-même, comme nous tous, appelait « Mamie ») veillait sur sa couvée en usurpant tendrement le rôle que sa propre fille lui avait abandonné de guerre lasse, et parce que c’était plus simple au quotidien.

« Les gouvernantes, on ne sait jamais sur qui on tombe, alors qu’avec Mamie, on n’a rien à craindre ! »

Rien, mis à part de se voir dépossédée des meilleurs moments, privée du droit d’être tendre avec ses enfants. Dans le regard d’une femme née en 1912, les enfants ne sont pas là pour réclamer leur dû affectif, mais pour dispenser leur aide dans l’intendance de la maison.

Livrer ses enfants à élever à sa propre mère c’est un peu comme donner les clés de la voiture de course à Cendrillon. Avec toute la bonne volonté du monde, une femme qui a vécu les deux guerres ne pouvait être notre mère, il y avait une faille spatio-temporelle dans notre éducation.

Vue de l’intérieur, notre famille était une zone de guerre, avec ses gradés (hauts gradés et tout-petits gradés), ses tranchées, où seuls les plus forts trouveraient l’oxygène et l’espace nécessaire à leur survie.

À l’instant où j’écris ces lignes, le mal a été éradiqué, mais nous avons perdu nos meilleurs éléments, et le contingent, plus que réduit, s’est dispersé dans la nature.

Ceux qui restent, affaiblis, se sont terrés, retranchés dans une impression de sécurité que nous n’aurons jamais. L’ennemi ayant planté sa graine en chacun de nous, chacun de nous doit le combattre au quotidien.

Au moment de mon arrivée, notre famille n’en était pas encore une, pourtant, je ne suis pas l’aînée, j’en suis même très loin.

Mon frère Florian, né un an et quelques mois avant moi, avait été envoyé chez notre grand-mère dans le Lot. Premier fruit tombé trop tôt de l’union de mes parents, il avait été mis de côté pour plus tard et a passé les premiers mois de son existence (pourtant trop courte) dans l’indifférence appliquée et soignée du foyer de « Mamie ».

Mes deux demi-frères, les fils de mon père, âgés respectivement de 11 ans pour Frédéric et 13 ans pour Roland, avaient plutôt à gagner dans l’union de mes parents. Ma mère a immédiatement été touchée de rencontrer un homme avec autant de charisme et qui se battait contre l’injustice d’une société qui ne le rémunérait jamais à sa juste valeur.

Conquise et corvéable à merci par ce père célibataire de deux enfants (dont un lourdement handicapé), elle eut, dès le début de leur union, à cœur de sortir Frédéric du foyer de la DASS où il avait été placé et de trouver à Roland un centre plus adapté à son handicap et dans lequel il s’épanouirait.

Ma mère réussit dans son entreprise, elle qui n’avait, en 1967, l’année de leur rencontre, que 21 ans. Elle payait ses études d’art en dessinant des craies sur les trottoirs de la rue du Four dans le quartier Saint-Germain. La chance du débutant.

La rencontre entre mes parents n’a jamais fait l’objet d’un long récit de leur part. Que dire ? Il est beau, brun, yeux verts, grande gueule, voix cassée, accent sicilien, elle est blonde, jeune à croquer, naïve et crédule, elle avait perdu son père à quinze ans d’une crise cardiaque, alors qu’ils s’étaient fâchés la veille.

Je n’ai pratiquement rien su de mon grand-père maternel, excepté que ma mère et lui avaient échangé des mots (comme un père avec son adolescente) la veille de sa mort. La culpabilité, chez nous, se transmet de génération en génération.

Portant seule son lourd bagage, notre mère a d’ailleurs longtemps cru tout ce que mon père lui racontait pour justifier l’impardonnable.

Notre père ayant lui-même été malmené par son père « à côté des quelques coups de ceintures mérités que mes enfants ont reçus, moi, j’étais battu pour rien, et tout le temps ». La ceinture a donc régné sur son enfance comme sur la nôtre, la boucle est bouclée.

Personne ne saura jamais si son histoire était totalement vraie, et qui s’en soucie à présent ? J’en ai longtemps voulu à ma mère, sans vraiment connaître le sens de ce terme. Je l’accusais intérieurement de « non-assistance à personne en danger ».

Je n’ai compris que bien plus tard que nous étions pris dans le même piège. La différence, et elle est de taille, c’est que nous, les enfants, les fruits, nous étions nés dans le piège. Nous étions comme cette poire que l’on fait pousser dans une bouteille de verre pour la noyer d’alcool par la suite, dès que sa taille a atteint son maximum et que rien ne pourra jamais la délivrer.

Au mieux, la bouteille se casse et la poire est à l’air libre, mais jamais plus accrochée à son arbre, jamais plus reliée à la terre.

Pour ma mère, le piège s’était si doucement refermé sur elle qu’elle ne s’était même pas sentie changer de réalité. Elle devait gérer avec un poids de plus que nous, du moins au début de nos vies un poids familier et presque rassurant : la culpabilité. Abandonner mon père aurait signifié laisser Frédéric et Roland sans secours entre ses griffes.

Avec le recul, je ne sais toujours pas dire si je préfère notre place ou la sienne. Aujourd’hui, elle n’est pas plus libre que nous. Elle ne peut rien pour nous, nous ne pouvons rien pour elle. « La boucle est bouclée. »

Frédéric avait 9 ans quand mon frère Florian est tombé dans sa bouteille de poire. Florian est né en novembre 1969, alors que mon père rêvait d’avoir enfin une fille et que Frédéric ne voulait pas que quiconque se place entre sa mère de substitution et lui. Il n’y avait pas de pire place dans la fratrie que celle de Florian, il l’a pourtant occupée avec classe pendant 40 ans, 6 mois et 16 jours. Je ne serais pas qui je suis sans lui, je lui dois tout, absolument tout, il a dirigé le bateau ivre qu’était notre famille pendant des années en laissant croire à tous les passagers qu’ils en étaient les capitaines.

Frédéric, perdu, tourmenté, ne faisait pas dans le sentiment. Il ne voyait jamais sa mère biologique ou trop peu pour que je me souvienne de qui elle était, elle n’avait pas d’importance pour nous, elle n’existait pas, elle était pourtant sa maman, à lui. Il nous a fait payer son absence à chaque moment de notre enfance, en étant ni un grand frère, ni un ami, ni même une présence, juste un œil dangereux toujours prêt à la moindre délation pour qu’un jour notre compte de violences reçues ou entendues soit égal au sien. Aucun de nous n’a jamais compté. Je me suis souvent demandé comment plaire à cette personne, j’ai compris que c’était peine perdue le jour où, alors que j’étais adolescente et que lui, à plus de vingt-cinq ans, offrit une énorme peluche représentant un chien à notre petite sœur Ariette pour son anniversaire. C’était adorable, notre père le félicita de son cadeau, il était le grand frère parfait, mais nous, Aurélie et Florian, qui étions moins petits qu’Ariette et avions passé notre vie à attendre une attention, un mot de sa part, avons compris ce jour-là que nous n’existions tout simplement pas pour lui.

Frédéric n’a pas fait beaucoup d’autres cadeaux à Ariette, il voulait que son père comprenne à quel point il était le fils parfait. Il ne voulait pas juste être aimé, il voulait « tout l’amour de son père pour lui tout seul ».

Je ne lui en ai pas vraiment voulu à l’époque, car s’il était assez stupide pour croire en l’amour de notre père, il ne fallait pas en attendre beaucoup.

Je ne sais pas si cet individu nous a aimés, mais je suis absolument certaine qu’il ne s’est jamais posé la question.

Roland, l’aîné, notre frère palanquin, désarticulé, veillait sur nous de loin, il vivait durant nos petites années dans un centre adapté à la taille de ses entraves.

Il avait été victime d’un accident à la naissance et ne pouvait que voir et entendre. Je n’ai pris conscience de son handicap qu’à l’âge de 9 ans alors qu’une camarade de primaire me demandait quel effet cela faisait d’avoir un « frère handicapé ». Je lui ai d’abord tout naturellement répondu que je n’en savais rien, comment l’aurais-je su ?

Après vérification auprès de notre grand-mère, j’ai eu la confirmation que Roland était bien ce que l’on appelle un tétraplégique.

Bien sûr, il était différent, mais à ma décharge, nous l’étions tous.

Roland était sanglé à son fauteuil roulant, toujours assisté par Anne, son infirmière que je prenais tout d’abord pour sa compagne et qui le devint plus tard. La bonté et l’empathie qui émanaient du regard de ce frère (pour Roland, il n’a jamais pu être question de « demi-frère ») faisaient de l’ombre à tout ce qui aurait pu lui manquer. J’ai honte de me souvenir que je le trouvais même plutôt chanceux de venir passer un bon moment le week-end, pendant les vacances et les fêtes avec nous, et de rentrer se réfugier dans son chez lui. Il vivait en notre absence avec la douceur et la tendresse d’Anne. Pour elle, la personne qu’il cachait sous son apparence impressionnante était ce qui importait le plus en ce monde. Elle donna des saisons entières de son existence pour que Roland pulvérise son espérance de vie. C’est ce qu’il fit avec panache en grand vainqueur de sa catégorie. Anne a passé mon enfance assise sur un bras du fauteuil roulant de Roland comme pour faire bouclier contre la cruauté verbale de notre père, ou son manque de tendresse.

Elle replaçait une mèche de ses cheveux, conduisait la fourchette de l’assiette à ses lèvres, le tout avec une grâce animale. La découverte du « handicap » de mon frère ne fut même pas un événement dans ma vie d’enfant, dont acte il est handicapé, et alors ?

Sur la balance de l’humanité, il a déposé plus de poids sur le plateau du positif que la vie ne lui avait posé sur le plateau opposé. Roland était l’aîné de notre famille, parents, grands-parents, aïeux compris.