Le souffle de mes ancêtres - Jean Bolaseke Mbokoko - E-Book

Le souffle de mes ancêtres E-Book

Jean Bolaseke Mbokoko

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"Le souffle de mes ancêtres" aborde sans réserve les interactions surnaturelles qui marquent le lien entre l’auteur et ses ancêtres. À travers une diversité d’anecdotes, cet ouvrage offre un témoignage vibrant de leurs apparitions et de leur influence dans sa vie quotidienne. Il y démontre surtout que la mort n’altère pas la proximité entre les êtres physiques et les créatures immatérielles, pour ceux qui sont prêts à y croire ou à le lire…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Bolaseke Mbokoko est docteur en sciences économiques et ancien maître de conférences associé à l’université Sorbonne Paris Nord. Depuis son enfance, il est intimement lié au monde invisible, celui de ses ancêtres. Par ses écrits, il transporte ses lecteurs dans cet univers mystérieux, dévoilant des récits qui mettent en lumière la profonde relation entre les vivants et les esprits des défunts.


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Jean Bolaseke Mbokoko

Le souffle de mes ancêtres

© Lys Bleu Éditions – Jean Bolaseke Mbokoko

ISBN : 979-10-422-2124-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Aux miens, quand je ne serai plus là, je serai toujours là.

Et à la mémoire de Y’André, Ya Monaza et Nsansi.

Introduction

C’était l’aube, combat de jour et de nuit. Les marchands de canons et d’hommes firent irruption dans la forêt de mes ancêtres. Un oiseau mystique, le coucou, effrayé par la présence de ces hommes, s’envola à tire-d’aile et rejoignit le village pour avertir son chef. Plongés dans un sommeil profond et lointain, le chef du village et tous ses habitants n’entendirent guère les cris stridents du coucou ni les chants du coq qui annoncent habituellement l’arrivée du jour. Armés de mitraillettes, ces hommes venus d’ailleurs les encerclèrent soudainement dans un piège. Ce fut la terreur, un autodafé à grande échelle. Beaucoup de mes ancêtres périrent lors de cette invasion. Mais, des siècles après, leur souffle continue de résonner à mes oreilles, comme s’ils voulaient me dire de ne pas les oublier. C’est à eux que je dédie ce livre qui évoque des faits qui ont marqué et qui continuent de marquer ma vie spirituelle, mes croyances et mes incroyances et qui, par la même occasion, me permet de faire voyager le lecteur dans le monde invisible et de lui faire découvrir des parcours mettant en évidence la relation des vivants avec les esprits des morts.

La première édition de ce livre est parue en 2017. Cette deuxième édition a dû s’étoffer pour tenir compte des remarques et des réactions qui m’ont été livrées lors de la première édition. Mon livre serait, pour certains, la résultante d’une espèce de folie littéraire qui pousserait l’auteur que je suis à plonger dans l’invention d’un monde imaginaire et, pour d’autres, un sujet d’occupation frivole et d’amusement, lorsqu’il ne lie point à Satan et à ses démons. Une autre opinion consiste à attribuer les phénomènes spirites et paranormaux relatés dans mon livre au charlatanisme et à la pseudoscience, par la raison que le scepticisme et l’approche scientifique font admettre la nécessité de démontrer de tels phénomènes.

Pour ma part, que l’on soit d’accord ou pas avec moi sur tel ou tel aspect abordé dans ce livre, qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, m’importe peu. La chose la plus importante, voire la plus excitante, pour moi, est de pouvoir parler dans ce livre de façon décomplexée des phénomènes étranges et des manifestations d’outre-tombe qui caractérisent mes relations avec les esprits de mes ancêtres.

En outre, je pense que la liberté d’opinion semble être notre trésor universel. On a le droit de croire ou pas aux phénomènes d’incorporation qui permettent aux défunts de prendre possession de l’organe d’un sujet endormi et de s’entretenir avec ceux qui les avaient connus sur la terre. On a le droit de croire ou pas aux apparitions de l’au-delà telles que les fantômes et les revenants. On a le droit de croire ou pas aux cas de maisons hantées. On a le droit de croire ou pas à la prémonition que Aristote attribue à une capacité innée de l’âme. On a le droit de rêver ou pas de la défaite de l’impérialisme monothéiste face au retour en force de la mystique que le XVIIIe siècle, celui des Lumières, avait tenté d’éradiquer dans les sociétés occidentales, par exemple, pour asseoir le règne du rationalisme. On a le droit de penser ou pas que le corps n’est qu’un accessoire de l’esprit, une enveloppe, un vêtement dont l’esprit se débarrasse quand il est usé, c’est-à-dire à la mort. De plus, l’ennui naquit un jour de l’uniformité.

C’est pourquoi la deuxième édition de mon livre n’est pas dictée par un sentiment d’hostilité ou d’une quelconque malveillance à l’égard de quiconque aurait posé le sceau du doute sur le témoignage de mes relations avec les esprits de mes ancêtres. Au contraire, je suis heureux d’avoir été à même de constater que beaucoup de gens ont pu, à la lecture de la première édition de mon livre, trouver quelques repères dans leur quête, parfois éperdue de spiritualité, pour certains, et la consolation que la mort ne nous éloigne nullement de nos proches disparus. De la même manière, en écrivant ce livre, j’ai le sentiment d’accomplir un devoir séculaire avec l’aide et l’inspiration de mes ancêtres qui sont mes guides de l’espace, les maîtres de ma vie, et qui n’auraient laissé aucune trace écrite de leur propre histoire. Aucune vérité ne pouvant être interprétée par le mensonge, je récuse l’idée que l’histoire de mes ancêtres soit écrite par ceux-là mêmes qui les auraient envahis et vaincus. Aucun lion, si naïf soit-il, n’accepterait que l’histoire de sa chasse soit écrite ou racontée par les chasseurs de lions. Il était donc temps que je prenne la plume avec l’encre faite de larmes et du sang de mes ancêtres pour enlever le voile sombre qui cache la richesse de leur histoire et de leur culture depuis des siècles.

Ce n’est pas un hasard si mon livre s’intitule « Le souffle de mes ancêtres ». Certains peuvent trouver cet intitulé étrange, car il parle de souffle pour des gens qui sont déjà morts. Oui, le souffle de mes ancêtres est tout sauf une notion abstraite ou fantaisiste, car ce souffle existe bel et bien. Il existe dans la mesure où personne ne meurt. On change tout simplement de vie. La mort n’est que le passage d’une vie matérielle à une vie immatérielle, une vie fluidique. À la mort, le corps comme matière est abandonné par l’âme qui, elle, continue de vivre. On ne parle plus d’âme, mais plutôt d’esprit. Les esprits ont donc un souffle puisqu’ils vivent comme nous, les êtres humains encore en vie, mais immatériellement, invisiblement. Si les chrétiens pouvaient m’autoriser à me référer au chapitre XII de la 1re épître de Saint Paul aux Corinthiens où il parle, entre autres choses, du corps spirituel. Je cite : « L’homme est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel ; de même qu’il y a un corps animal, il y a un corps spirituel ».

Au regard de mon parcours universitaire et scientifique, certains auraient voulu connaître le mobile qui m’aurait poussé à écrire un livre sur mes ancêtres. C’est vrai que, à première vue, il n’y a aucun lien entre ma profession et ce livre qui porte sur le spiritisme et le paranormal. Mais c’est en me reliant au monde invisible, et ce, depuis mon plus jeune âge, que je trouve le calme d’esprit et la force morale pour affronter les réalités de la vie sur terre. Ce monde invisible est celui de mes ancêtres qui représentent pour moi ce que les racines sont pour un arbre. Faire l’éloge de mes ancêtres au travers d’un vibrant témoignage sur leurs interventions et leurs apparitions dans ma vie quotidienne est un devoir à leur égard, mais également une manière de montrer à qui veut y croire ou entendre que la mort ne nous éloigne nullement de nos proches disparus. En d’autres termes, j’ai écrit « Le souffle de mes ancêtres » pour leur rendre hommage, les remercier d’être à l’origine de mon existence à laquelle ils apportent soutien et protection.

Mais qui se cache derrière le mot ancêtre ?Le Petit Larousse définit l’ancêtre comme étant « une personne de qui quelqu’un descend, un ascendant plus éloigné que le grand-parent ». En réalité, la notion d’ancêtre est beaucoup plus large que cette définition sommaire. On peut distinguer trois catégories d’ancêtres.

La première catégorie est composée d’ancêtres mythiques. Par exemple, chez les Bolia et les Ntomba1, il existe deux ancêtres mythiques : Bolambila, un homme, et Ambawanga, une femme. De leur union naquit une série de paires de jumeaux, qui reçurent le nom de Mbo pour les garçons et de Mpia pour les filles.

La deuxième catégorie d’ancêtres est représentée par les ancêtres de l’ethnie, puis du clan, du lignage ou de la dynastie. Par exemple, Lyanja est l’ancêtre des Mongo2 et Lomponde Iyeli, celui des Ntomba.

Nous rencontrons, dans la troisième catégorie d’ancêtres, ceux du village puis de la famille. Les ancêtres du village sont des patriarches, des notables et les hommes de pouvoir. Tel est, par exemple, le cas du souverain Bongo Ngombe Bwekoka La Ntula du village Boliompeti3. Les ancêtres de la famille sont ses arrière-grands-parents ainsi que leurs ascendants. De façon générale, est ancêtre du village ou de la famille toute personne ayant des descendants aptes à lui assurer un culte, autrement dit à entretenir sa mémoire par des prières, des rites et des libations grâce auxquels elle survit. C’est dans ce cadre que ses grands-parents peuvent également être considérés comme ses ancêtres. Quoi qu’il en soit, l’on ne peut acquérir le statut d’ancêtre qu’après la mort. Toutefois, l’accès à ce statut est interdit à des personnes atteintes de folie au sens propre, aux enfants morts jeunes et aux malfaiteurs notoires qui ont causé du tort à la communauté.

Certaines personnes éprouvent de la peur à l’égard des ancêtres. C’est une peur légitime, qui trouve sa source dans la peur que nous avons tous de façon générale à l’égard de la mort et des défunts. Cette peur s’explique par le caractère lugubre et terrifiant qu’on a toujours prêté à la mort, mais aussi à l’ignorance de la mort qui n’est que le passage d’une existence à une autre, d’après la philosophie africaine. Il convient de noter que les Africains sont les seuls à avoir poussé à un degré extrême la mutation du cadavre impur et inerte en esprit sacré et actif, transformant ainsi l’image négative du mort en image positive de l’ancêtre4.

Je me souviens d’une de mes étudiantes d’origine antillaise qui était venue me voir pendant la pause pour me confier qu’elle était allergique aux ancêtres, car, d’après sa religion, la chrétienne, les ancêtres appartiennent au royaume des démons et, par conséquent, si elle les invoquait, elle pourrait se retrouver dans les bras de Satan. Je lui demandai de m’expliquer comment elle est née sans passer par ses parents biologiques et comment ces derniers sont à leur tour nés sans passer par les leurs et ainsi de suite. Elle me répondit qu’il fallait laisser les morts tranquilles là où ils sont. Cette étudiante ignorait que sa religion tout entière, le christianisme, s’appuyait sur des faits d’apparition et de manifestation des morts et que les premiers chrétiens communiquaient avec les esprits des morts et qu’ils recevaient d’eux des enseignements.

En ce qui me concerne, de même qu’il est impossible de voir les étoiles sans la nuit, il est impossible de savoir d’où je viens sans me référer à mes ancêtres. Aucun d’eux n’ayant séjourné dans le ventre d’Ève après que celle-ci aurait rencontré Adam en plein jardin d’Éden, je ne suis donc pas le descendant de ce couple biblique. À chaque arbre, ses racines. Mes racines ne sont ni à Jérusalem, ni à la Mecque, ni au Vatican. Elles sont chevillées à l’Afrique, une terre sainte et sacrée pour toute l’humanité, car c’est là que l’être humain apparut pour la première fois sur la terre et c’est également en Afrique que naquirent mes ancêtres au premier rang desquels se trouve mon grand-père maternel, Grand-père Léon.

Mon grand-père maternel est un de mes éminents ancêtres à qui j’ai l’honneur de consacrer les deux premiers chapitres de mon livre. Je porte son nom : pour cause. Quand je jouissais du droit de cité dans le ventre de ma mère, mon grand-père prédit que celle-ci allait accoucher d’un garçon, que celui-ci allait naître avec une cicatrice sur la paupière gauche et porter son nom. En effet, à ma naissance, on remarqua la présence de cette fameuse cicatrice sur ma paupière gauche, et mon grand-père maternel n’hésita point à m’adopter tant sur le plan spirituel qu’au niveau mystique. J’entretins une relation fusionnelle avec lui jusqu’à sa mort physique et, depuis, cette relation est toujours d’actualité.

Pour des raisons judicieuses, les noms de certains lieux et personnes cités dans ce livre ont été remplacés par des noms d’emprunt. Mais cela n’enlève rien à l’authenticité des faits auxquels ces lieux et personnes sont associés.

Jean Bolaseke Mbokoko

1

Grand-père Léon :

le pou, le serpent et l’hippopotame

Welo et Mbondo étaient mari et femme depuis deux ans, en 1897. Tout se passait bien dans le couple, mais l’enfant que Welo et Mbondo désiraient n’arrivait pas. Mbondo était malheureuse à cause de cette situation qui suscitait des interrogations sur sa capacité à concevoir. Elle redoutait également que cette situation offre un bon prétexte à Welo d’épouser une deuxième femme qui soit à même de lui donner un enfant. Mbondo pensait que sa supposée stérilité était due au mauvais sort que lui auraient jeté les hommes dont elle repoussait les avances avant de succomber à celles de Welo. À cause de sa situation, Mbondo essuyait assez régulièrement des moqueries de la part de ses anciens malheureux prétendants, mais aussi de la part de certaines femmes et mères du village. Lors d’une soirée festive dans le village, une d’entre elles n’avait rien trouvé de mieux que de proférer à l’encontre de Mbondo quelques grossièretés qui déclenchèrent l’hilarité de l’ensemble du village. Mbondo décida alors de quitter le village pour aller se réfugier auprès d’un mystérieux vieil homme du village voisin, dont un des descendants épousa plus tard ma tante paternelle. Welo approuva la décision de sa femme et il l’accompagna en guise de soutien chez le vieil homme.

En comparaison de l’ambiance que Mbondo et son mari avaient laissée dans leur village, le contact avec le vieil homme fut serein et leur séjour dans son village à ses côtés paisible. Le vieil homme les hébergea avec une générosité immédiate. Cependant, durant leur séjour qui dura environ un mois, le vieil homme soumit Mbondo à un rituel peu ordinaire. Tous les jours, à des heures variables, Mbondo fut obligée de chercher des poux sur la tête du vieil homme alors que celle-ci était aussi dégarnie qu’une coquille d’œuf. Mbondo trouvait ce rituel aussi éprouvant que ridicule et elle pensait que le vieil homme se jouait d’elle. Mais elle n’osait pas le dire au vieil homme qui se tordait de rire face au désarroi de sa protégée. Le rire du vieil homme était sonore et, quand il riait, il tapait en même temps sur ses cuisses avec une violence de battoir, ce qui effrayait la jeune femme. Quant à Welo, le mari, il était un spectateur silencieux et taiseux, mais qui, dans son for intérieur, se posait beaucoup de questions sur l’état de santé mentale du vieil homme.

Leur calvaire, du moins le calvaire de Mbondo, prit fin le jour où elle avait enfin trouvé un pou sur la tête du vieil homme. Ce dernier déclara au couple que ce pou était le cadeau que les ancêtres avaient offert à Mbondo pour récompenser la patience dont elle avait fait preuve en cherchant pendant un mois des poux sur un crâne rasé. N’importe quelle personne douée d’un entendement normal aurait pu penser que le vieil homme divaguait. Tel ne fut pas le cas. Au contraire, le vieil homme remplit le couple de joie en précisant que ce pou était le symbole spirituel de l’enfant qu’il désirait. Il pria toutefois Welo et Mbondo de garder le secret jusqu’à la naissance de l’enfant. Il leur recommanda de retourner dans leur village sur la pointe des pieds pour éviter de se faire remarquer après un mois d’absence non justifiée. Quelques mois plus tard, mon grand-père maternel vint au monde, vigoureux, hurlant à pleins poumons. Lorsque Welo, le père, suspendit le bébé à ses deux pouces pour tester ses premiers réflexes, on entendit les cris des coucous, les oiseaux mystiques, à proximité de la forêt, un violent orage creva alors que le ciel était d’un bleu discipliné par un soleil remarquablement ardent. Au final, le test révéla que tout était parfait pour le bébé prénommé Léon.

Grand-père Léon venait d’arriver du village. Comme à l’accoutumée, mon père le reçut avec une bouteille de « lotoko », l’alcool à base de maïs fermenté. Il but une gorgée puis il réclama à manger à sa fille, ma mère. Pourtant, ce n’était pas dans les habitudes de Grand-père Léon de se plaindre d’avoir faim, même lorsqu’il avait vraiment l’estomac dans les talons.

D’une manière générale, Grand-père Léon affichait une indifférence manifeste face à des choses de la vie, fussent-elles bonnes ou mauvaises. Car, il m’avait toujours dit, « l’homme ne doit jamais laisser apparaître ses émotions, sinon ce serait une forme de faiblesse ».

Après le dîner, il décida d’aller dans sa chambre, du moins la mienne, enfin celle que je partageais avec mon grand frère. Le voilà installant sa centaine de kilos de muscles sur notre lit, lequel n’était pas assez long pour accueillir son mètre quatre-vingt-dix de taille. Il prononça quelques paroles incantatoires :

Ngeli ombaka bomini basanga bonto ominaki bana ndwendoki.

Ce qui signifie : « un seigneur de guerre qui boit de l’alcool dans le canon de son fusil ».

Quelques minutes avant qu’il ne se laisse bercer par les prémices du sommeil, il m’appela pour que je vienne m’allonger à ses côtés. J’hésitais à y aller, car mes copains m’attendaient dans la rue pour jouer.

— Vas-y, c’est ton grand-père qui te réclame, insista ma mère.

— C’est ton grand-père, ton homonyme qui t’appelle, il doit sûrement avoir des choses à te dire, renchérit ma mère.

J’eus l’impression que Mère se doutait de quelque chose. J’exécutai en allant rejoindre Grand-père Léon dans « sa » chambre. En entrant ici, je trouvai le sol submergé de vomi. Soudain, j’appelai Mère au secours. Mère s’apprêta à nettoyer le sol, mais Grand-père Léon le lui interdit :

— C’est mon homonyme qui doit enlever mon vomi, rétorqua-t-il.

Mère essaya de ramener Grand-père Léon à la raison en lui faisant comprendre que j’étais trop jeune pour subir ce genre de traitement.

— Je sais, mais c’est comme ça ! rétorqua à son tour Grand-père Léon.

Après cette corvée, Grand-père Léon me demanda de m’allonger à ses côtés. Je l’entendais ronfler bruyamment. Je pensais qu’il dormait déjà. Au moment où je voulus me dérober pour aller rejoindre mes copains, il m’attrapa par la main.

— Tu croyais que je dormais ? me demanda-t-il.

Je compris que je devais faire le deuil du jeu avec mes copains, du moins pour cette soirée de la fin des années 60. Grand-père Léon me dévoila son secret, plutôt ses secrets. Quand il mourra, je serai à l’étranger, au pays des Blancs. Je ne serai donc pas à ses côtés pour l’enterrer. Néanmoins, il viendra me prévenir en rêve. Autre chose : il possédait des « oiseaux » enfermés dans une malle. Quand il mourra, c’est un de ses fils et/ou moi qui aurons l’autorisation d’ouvrir cette malle. Après l’ouverture de celle-ci, chacun de ses enfants aura à récupérer sa part « d’oiseaux ».

Parmi ses petits-enfants, je fus le seul qui était choisi pour prendre part à cet héritage spirituel. Il m’interdit de révéler ce secret à âme qui vive. Grand-père Léon voulait simplement me protéger d’une éventuelle crise de jalousie de la part d’un de ses enfants. Je promis de garder le secret et je tins ma parole jusqu’à sa mort.

Juste une question : comment peut-on prétendre garder des oiseaux enfermés dans une malle ? Quel message Grand-père Léon voulait-il faire passer au travers de l’image d’oiseaux enfermés dans une malle ? Certes, après sa mort, je n’eus pas l’occasion et l’honneur d’ouvrir sa fameuse malle, mais j’appris qu’il n’y avait pas grand-chose dans cette malle hormis quelques vêtements et une cravate abîmés par le temps et les mites. Je récupérai, en guise de souvenir, la cravate lors de mon pèlerinage dans le village où Grand-père Léon est mort et enterré.

Grâce à ma rencontre avec Madame Kerulen à Paris, j’obtins des réponses précises à mon questionnement au sujet de cette fameuse malle. Madame Kerulen était originaire de la Bretagne. Elle était voyante et médium de grande renommée.

Un jour, une voisine de palier m’invita chez elle pour me présenter une de ses amies. Quand cette dernière me vit, elle se mit à parler de moi et de mon entourage comme si elle nous avait toujours connus. J’aurais pu soupçonner ma voisine de palier de lui avoir mis la puce à l’oreille, mais en réalité ces révélations venaient des capacités médiumniques de Madame Kerulen. Je pris aussitôt rendez-vous avec elle une semaine plus tard. À peine j’étais entré dans son cabinet qu’elle m’affirma qu’elle voyait plusieurs personnes disparues autour de moi. Elle me décrivit Grand-père Léon de façon sensationnelle, avec des détails sur ce qu’il avait été et avait fait de son vivant. Elle pointa sa force physique et sa force de caractère, sans oublier, chose qui me frappa le plus, ses relations avec les serpents et les hippopotames. Elle me parla aussi de cette fameuse malle.

Grand-père Léon était doté d’une force physique redoutable, pour certains, surnaturelle. Il ne pouvait pas se permettre de frapper un de ses enfants, sinon c’était le coma ou la mort. Mon oncle, Blaise Belando, un de ses fils, aurait fait des bêtises au point d’excéder Grand-père Léon. Celui-ci le corrigea en l’empoignant au visage avec son index. Oncle Blaise Belando s’écroula, il perdit connaissance, il eut brutalement de la diarrhée, il s’évanouit.

Grand-père Léon était ivre et, soudain, il entra en transe. Il se mit à pousser des beuglements d’hippopotame. À entendre ces beuglements, on avait l’impression d’avoir un hippopotame à côté de soi. Bien abreuvé de lotoko, il proféra des incantations guerrières :

— Au point où j’en suis, une balle ou une flèche ne peut me transpercer le corps. Ngeli Ombaka ! scanda-t-il son nom de guerre.

Il recommença :

— Au point où j’en suis, aucun fauve, lion, léopard, guépard, aucun serpent, boa, cobra, ou autre espèce dangereuse, ne peut m’intimider ni s’approcher de moi…

Comme pour le défier, mon père lui rétorqua :

— Moi, je suis l’enfant de Dieu, je ne crois pas un mot à ce que tu racontes !

Pour répondre au défi lancé par mon père, Grand-père Léon brisa aussitôt la dalle de béton se trouvant dans le salon de la maison familiale avec le poids de son pied. Il brisa également une dizaine de noix de palme avec son pouce et son index. Il menaça de dessoucher un grand avocatier qu’on avait dans la parcelle. Ma mère, prise de panique devant de telles démonstrations, intervint pour le supplier d’arrêter, puisque cela pouvait aller beaucoup trop loin.

Personne ne put découvrir par quel procédé Grand-père Léon faisait de tels prodiges. Même moi, qui étais pourtant son confident, je n’ai pas pu lui soutirer la moindre explication de ces démonstrations. Cependant, il vint tout me révéler après sa mort, dans un des rêves les plus longs et les plus enrichissants que j’aie faits de toute ma vie.

Grand-père Léon se distingua lors de son combat avec un énorme crocodile appelé Ndii chez les Bolia et Ntomba.

Avec d’autres habitants du village, Grand-père Léon alla à la pêche pédestre. Le principe de pêche était le suivant : on se mettait à la recherche d’un marigot puis, une fois trouvé, on en mesurait la profondeur avec un long bâton pour s’assurer qu’on pouvait rester debout dans l’eau sans se noyer. Puis on descendait à pied pour couper les herbes et les enfoncer dans l’eau afin d’étouffer les poissons. Cette technique obligeait ainsi les poissons à remonter à la surface de l’eau et une fois remontés, les pêcheurs les assommaient à l’aide de coups de bâton ou de machette. Cette technique de pêche s’appelle bopaaki chez les ethnies précitées.

Tout le monde était dans le marigot. Mon oncle, Koré, l’aîné des garçons de Grand-père Léon, posa son pied sur un étrange tronc d’arbre qui aurait été enfoui durant des lustres dans l’eau. C’est ce que pensait oncle Koré. S’il avait su ! Soudain, le fameux tronc d’arbre se mit à bouger et oncle Koré comprit vite qu’il avait posé son pied sur la tête d’un énorme crocodile. Celui-ci ne lui donna guère le temps de se sauver et il l’attrapa par la cuisse gauche. Oncle Koré appela au secours en vain. Tous les pêcheurs quittèrent le marigot et laissèrent l’oncle « entre les mains de la bête ».

Du haut où ils étaient, les pêcheurs assistèrent au « spectacle » qui rappelait le temps où les rois livraient leurs prisonniers de guerre aux bêtes féroces dans leurs arènes. Grand-père Léon arriva au secours de son fils, l’instinct paternel l’emportant sur la peur du danger. Il se jeta à l’eau et il attrapa le crocodile par la tête ; il tenta d’ouvrir sa gueule pour libérer la jambe d’oncle Koré de sa prise.

Le combat dura environ trois quarts d’heure. Pendant ce temps-là, oncle Koré hurlait de douleur. Grand-père Léon utilisait toute sa force tout en invoquant les esprits des ancêtres. Le crocodile, quant à lui, faisait comprendre à mon grand-père que c’était lui qui menait le combat et qu’il n’avait aucunement l’intention de lâcher sa proie. Comme tout crocodile ayant mordu, il ne desserrerait plus les dents. Les autres villageois assistaient de loin au « spectacle ». Tous les réflexes et élans de solidarité furent mis sous le boisseau.

Tout bascula lorsque mon père arriva en renfort. Il se jeta à l’eau, et, avec sa machette, il parvint à couper la queue de ce crocodile. C’est ainsi que Grand-père Léon put ouvrir la gueule de la bête et tirer son fils d’affaire. La jambe d’oncle Koré n’avait pas été endommagée jusqu’à l’os, sinon il aurait perdu cette jambe et il serait mort.

Grand-père Léon et mon père emmenèrent oncle Koré de toute urgence chez l’infirmier pour lui prodiguer les premiers soins avant de le rapatrier au village. Ironie du sort : entre-temps, un des oncles de ma mère donna aux villageois l’ordre de récupérer la dépouille du crocodile et de la dépecer pour une escale dans la casserole avant de l’envoyer à l’estomac humain. Pourtant, ni cet oncle ni les villageois n’avaient daigné venir au secours de mon oncle quand il avait la jambe dans la gueule du crocodile.

C’en était trop pour Grand-père Léon. Il lança un appel à quiconque aurait reçu une part de viande de ce crocodile. Il demanda que chacun ramène sa part de viande dans le lingomba5pour refaire le partage. Grand-père Léon prétexta que le partage n’était pas assez équitable. Après avoir récupéré tous les morceaux de viande, Grand-père Léon appela mon père et l’enjoignit de les diviser en deux parties égales puis d’en garder une pour eux et d’en jeter l’autre dans la rivière. Mon père exécuta sans broncher.

— C’est complètement débile ce que tu fais, protesta l’oncle de ma mère à l’adresse de mon grand-père.

Grand-père Léon réagit avec une virulence inouïe, d’autant que cet oncle, par son statut, aurait dû secourir son neveu sans se poser la moindre question. Conformément au système matriarcal, l’oncle maternel aurait dû risquer sa propre vie pour sauver celle de son neveu. Si mon grand-père et mon père ne s’étaient pas jetés dans l’arène, oncle Koré serait déjà mort et dans le ventre du crocodile. Ce fut ce comportement de l’oncle de ma mère et celui des villageois en général qui irritèrent mon grand-père et qui le mirent dans une rage de colère l’ayant poussé à prendre la décision de jeter une partie de la viande de crocodile dans la rivière au lieu de la laisser à l’appétit des gens qui n’avaient rien fait pour tirer oncle Koré de l’ornière dans laquelle il était. De plus, Grand-père Léon menaça de réduire l’oncle de ma mère en bouillie s’il ne quittait pas immédiatement le campement de pêcheurs. Ayant pris au sérieux cette menace, cet oncle se résolut à quitter ce campement.

Grand-père Léon était d’autant plus déçu par l’oncle de ma mère qu’il était lui-même connu pour défendre en toutes circonstances ses neveux, comme le veut la coutume. Et, au-delà de la coutume, il était hostile à toute forme d’injustice.

Un de ses neveux, oncle André Ntula, et sa femme, venaient d’annoncer leur divorce. Les familles des époux prirent rendez-vous dans la case à palabre pour discuter des modalités du divorce. Elles butèrent sur le partage de biens. La famille du mari était représentée par mon grand-père. Le beau-père d’oncle André Ntula décréta unilatéralement que tous les biens devaient revenir à sa fille « pour compenser les souffrances que son mari lui avait fait subir durant leurs années de mariage ». Pour Grand-père Léon, cette décision était, ni plus ni moins, un véritable pied de nez à l’encontre de la famille du mari qu’il était censé représenter et défendre dignement. La réaction de Grand-père Léon ne se fit pas attendre. Il demanda à son neveu, oncle André Ntula, de garder tous les biens du couple pour, disait-il, corriger son beau-père et compenser la force physique que sa fille aurait héritée de son mari, oncle André Ntula.

Pour la petite histoire, oncle André Ntula, le neveu de mon grand-père, fut le fils aîné d’Ipoka. Celui-ci était considéré comme l’homme le plus fort de toute la province de Bandundu, pour ne pas dire de toute la RDC. Il était pressenti pour faire partie de la garde rapprochée de l’ancien président de la République, Joseph Kasa-Vubu dont certains collaborateurs connaissaient Ipoka et relataient au président ses exploits. Ipoka était donc le beau-frère de mon grand-père, car il était l’époux de la cousine de ce dernier. Avec ma grand-tante, Ipoka eut neuf enfants.

Tous les neuf enfants, y compris leur descendance ou progéniture, ont, bien qu’à des degrés divers, hérité de la force physique d’Ipoka qui la tenait lui-même de son père et ainsi de suite. Il est loisible à chaque héritier Ipoka de transmettre le pouvoir à son conjoint pour x et y raisons. Par exemple, on imagine mal que la femme d’un des héritiers d’Ipoka se fasse tabasser par quelqu’un, fût-il un homme ou une femme.

Le beau-père ne savait pas encore ce qui allait lui arriver. Il se leva tout en bombant le torse, comme pour narguer et défier Grand-père Léon aux yeux de tous les habitants du village. C’est la chose qu’il ne fallait pas faire, surtout à mon grand-père. Ce dernier lui demanda avec insistance de sortir de la case à palabre, à défaut, il viendrait l’y contraindre par la force. Le beau-père exécuta. Alors que ce dernier était debout au milieu de la cour, Grand-père Léon poussa des cris incantatoires pour provoquer la pluie. À peine fini ces invocations mystiques, le ciel s’assombrit brusquement puis la pluie tomba abondamment. Grand-père Léon interdit au beau-père de se mettre à l’abri. Il lui ordonna de rester debout et immobile jusqu’à ce que l’ordre lui soit donné de déguerpir. Le type assistait, impuissant, à sa propre humiliation devant les siens et les autres habitants du village. Il recevait toute la pluie sur lui pendant que Grand-père Léon le surveillait avec une impitoyable sévérité. Le chef du village, qui avait aussi des pouvoirs mystiques, protesta contre cette situation humiliante pour le beau-père. Il menaça d’arrêter la pluie. Grand-père Léon le lui déconseilla, car, en brandissant cette menace, le chef du village lui déclarait ouvertement la guerre, guerre dont l’issue était incertaine pour les deux parties et surtout pour le chef du village, car Grand-père Léon était tout à fait capable d’utiliser une « arme » très destructrice que personne, à part lui, ne posséderait dans le village.

Par exemple, Grand-père Léon ne fermait jamais sa maison à clé même lorsqu’il s’absentait pour un long moment. Sa maison n’avait jamais été cambriolée. Il y avait des serpents les plus venimeux qui « montaient la garde ». Ces serpents étaient invisibles, mais ils devenaient visibles pour le cambrioleur. Et si celui-ci s’obstinait à commettre son forfait, il recevrait immédiatement la piqûre mortelle. En réalité, personne n’osait s’aventurer ne serait-ce que dans la cour où se trouvait la maison de Grand-père Léon.

Une famille entière avait failli être décimée après que le père avait volé du poisson dans les filets de Grand-père Léon.

Un matin, Grand-père Léon prit sa pirogue pour aller inspecter ses filets. Il s’aperçut tout de suite que ses vieux filets avaient été relevés avant son arrivée par quelqu’un d’autre. Il rentra au village bredouille, mais très empli de colère. À son arrivée au village, il lança le mbéki, un communiqué oral et public, à quiconque aurait relevé ses filets de lui ramener les poissons volés. Auquel cas, le voleur et toute personne qui aurait mangé ces poissons mourraient d’une morsure de serpent. Le voleur choisit de faire la sourde oreille, et pour cause : reconnaître publiquement un tel forfait puis rendre le butin à sa victime est la pire des choses qui soit demandée à quelqu’un, fût-il courageux et dénué de toute vergogne, surtout dans un petit village où tous les habitants se connaissaient et tout se savait.

Aussitôt, le voleur et toute la famille présentèrent tous les symptômes des personnes mordues par un serpent venimeux. C’est comme cela que le voleur fut démasqué. N’eût été l’intervention de Mbembe, le petit frère de Grand-père, qui avait l’antidote, toute cette famille aurait succombé à la morsure de serpent. Mbembe avait pris l’initiative de sauver cette famille, car il savait qu’elle allait se heurter à la psychorigidité de son grand frère, qui n’avait pas l’habitude de revenir sur sa décision. Avant de préparer une onction curative, ékaté, Mbembe attacha à tous les membres de la famille une ficelle en liane autour du poignet afin de bloquer mystiquement la propagation du venin. Puis il leur donna à tour de rôle par la voie orale la fameuse onction. Ils se mirent tous à vomir abondamment avant de tomber à même le sol. Ils étaient tous dans un état de demi-inconscience. Mbembe profita de ce moment pour leur prodiguer des massages très précisément là où se trouvait la marque de morsure. Heureusement que les membres de la famille du voleur étaient les seuls à avoir mangé les poissons volés. Que se serait-il passé si d’autres personnes avaient participé au festin ? Mbembe aurait-il eu le temps de soigner tout le monde ?

Un Pygmée, lui, n’eut pas eu cette chance. Grand-père Léon était allé à une veillée mortuaire, matanga, accompagné de ses neveux. En général, lors d’une veillée mortuaire, les gens se livrent à des danses et à des chants traditionnels pour honorer la mémoire du défunt. Les conteurs racontent la vie du défunt en insistant sur certains faits dans lesquels il se serait distingué de son vivant. Il arrive aussi que les conteurs se tournent vers l’assistance pour réclamer des démonstrations miraculeuses, paranormales ou surnaturelles, généralement réalisées sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue. Un Pygmée faisait partie de l’assistance. Il se leva pour déclarer sa capacité à dompter les serpents :

— Ici, je suis le seul maître des serpents. Le serpent ne rigole pas et il n’a pas d’amis. Tout le monde a peur de lui. Avec son venin il peut tuer un éléphant, un lion, un être humain. Le serpent, c’est moi et personne d’autre ici que moi.

Après avoir fait cette déclaration, il reçut une large ovation de la part de l’assistance qui scandait son surnom :

— Cobraaaa... cobraaaa... cobraaaa...

La violence des tam-tams décupla. Les hurlements de l’assistance redoublèrent. Le Pygmée mit sa langue dans la gueule du serpent. Puis il la retira avant d’enfoncer la tête du serpent dans sa bouche. L’effroi mordit aux viscères. Un esprit retors aurait pensé à l’illusion. Pourtant, c’était la réalité. Le Pygmée était dans un autre monde, un monde invisible, celui dont l’accès est interdit aux profanes et aux non-initiés. Le serpent qu’il tenait était bel et bien la réalité, mais une réalité provoquée par le monde des esprits.

Il se dirigea vers Grand-père Léon en dansant l’iboki, une danse sacrée, ensorcelante, comme pour le défier. Il s’écria :

— Lève-toi, petit joueur, tu es mon maître certes, mais je suis le tien sur le plan mystique ; je suis plus fort que toi. Tu peux me battre physiquement parce que tu es costaud et fort, l’homme le plus fort de cette contrée. Mais moi je peux te battre à plates coutures sur le plan mystique. N’oublie pas que nous, les Pygmées, nous sommes les premiers habitants de la forêt. La forêt est notre maison, tandis que vous les Bantous, votre maison se trouve au village ou en ville. Je peux te mettre plus bas que terre.

Chose étrange, car en temps normal, les Pygmées sont des gens plutôt discrets et qui n’ont pas l’habitude d’exhiber publiquement et ostensiblement leurs prouesses. Agissait-il sous l’emprise de l’alcool ou sur les ordres de quelqu’un d’autre qui en voulait éventuellement à Grand-père Léon et qui voulait l’humilier par son intermédiaire ? Face à ces provocations, Grand-père Léon resta aussi inflexible qu’indifférent, du moins en apparence. Le Pygmée décida alors de regagner sa place, sous les applaudissements de l’assistance qui scanda à nouveau son surnom :

— Cobraaaa… cobraaa… cobraaa…

De son côté, Grand-père Léon, affalé sur une chaise longue, dormait profondément ou feignait de dormir. Soudain, il se réveilla, comme sous un électrochoc.

— Préparez-vous à un combat meurtrier ! proclama Grand-père Léon.

— Mais quel combat ? lui demanda son entourage.

— Pendant mon sommeil, les ancêtres m’ont montré que le Pygmée préparait une tentative d’assassinat contre moi. Ce sont eux qui m’ont réveillé pour que je puisse me tenir prêt au combat. Comme je n’ai pas cédé à ses provocations, le Pygmée va aller encore plus loin. Il va m’envoyer son serpent tueur. Si vous voyez un serpent se dresser devant vous, ne paniquez pas et, surtout, ne le tuez pas. Je vais m’en occuper.

Dans les minutes qui suivirent les déclarations et recommandations de Grand-père Léon, un serpent surgit devant lui, en position d’attaque. Grand-père Léon s’adressa à « l’ennemi » :

— Je sais qui tu es et d’où tu viens. Je ne t’ai rien fait qui t’autorise à venir me narguer devant mes enfants et mes ancêtres. Sache que je mourrai de tout sauf de morsure de n’importe quelle espèce animale venimeuse. En revanche, toi, tu mourras de mon crachat qui est plus venimeux que ton venin.

Après ces quelques mots, Grand-père Léon envoya du crachat au serpent qui se mit immédiatement à rouler avant de s’éteindre. Le Pygmée qui incarnait ce serpent succomba quelques heures plus tard à la morsure d’un serpent que ni lui ni personne d’autre n’avait vu, ce qui étonna plus d’une personne, puisque le prétendu maître des serpents était censé être immunisé contre leur venin. Le Pygmée mourut aussi à cause de l’orgueil mal placé. Il avait caché la vérité sur son état à ses proches lorsqu’il fut saisi de malaise dû à la morsure de serpent. Or, s’il avait dit la vérité, on aurait pu tenter de le sauver. Mais qui l’aurait sauvé en dehors de mon grand-père ? Toutefois, on imagine mal Grand-père Léon accepter de guérir quelqu’un qui avait tenté de le tuer.

Pour Grand-père Léon, cet épisode avait le mérite de décourager quiconque voulait imiter le Pygmée.

Le serpent était un des animaux totémiques de Grand-père Léon. Quand un serpent s’approchait de lui, ce serpent sentait l’odeur d’un autre serpent de la même espèce sur Grand-père, mais aussi il voyait celui-ci en serpent et non en un autre être vivant. Il était donc interdit à Grand-père Léon de tuer un serpent ou de le manger. En revanche, les serpents mystiques, comme celui envoyé par le Pygmée pour tuer, étaient considérés comme des ennemis avec lesquels Grand-père Léon se montrait impitoyable. Il reste à savoir comment Grand-père Léon transformait sa salive pour en faire un crachat venimeux au point de tuer un serpent également venimeux. Y avait-il un lien secret qui unissait Grand-père Léon et la nature ? Est-il qu’il invoquait systématiquement ses ancêtres en les appelant par les noms de deux serpents connus pour leur dangerosité. Lobengo, un serpent vert qui vit souvent en hauteur dans les arbres et qu’on a du mal à voir car sa couleur se confond avec celle des feuillages. Ibamba, est considéré comme un serpent mystérieux. On pourrait en déduire que les ancêtres de Grand-père Léon avaient ces deux serpents comme animaux totémiques.

L’hippopotame était aussi un des animaux totémiques de Grand-père Léon. Ce dernier eut une altercation avec des hippopotames dont je me souviens encore comme si c’était hier. Enfant, j’étais dans la pirogue conduite par Grand-père Léon. Nous traversions la rivière Bolongolulé pour aller couper le bois de chauffage. Soudain, nous vîmes six hippopotames positionnés en travers de la rivière, comme s’ils nous barraient le passage. Grand-père Léon me demanda de quitter la pointe de la pirogue où j’étais assis pour m’asseoir à la place du milieu. Il m’ordonna de bien tenir les bords de la pirogue et, surtout, de ne pas faire de gestes brusques.

J’entendais Grand-père Léon marmonner dans une langue qui m’était totalement inconnue, probablement la langue des esprits, avant de s’adresser aux hippopotames en ces termes :

— Je ne sais pas ce que vous foutez là ! Cette rivière appartient à tout le monde et vous n’avez donc pas le droit de m’y interdire le passage ! Si vous ne partez pas de là où vous êtes, je vais appeler les braconniers au secours.

Les six bêtes restèrent inflexibles et nous fixaient. Puis Grand-père Léon renchérit :

— De ma vie, je n’ai jamais vu d’animaux aussi moches que vous et dont la viande est aussi délicieuse que lorsqu’on la mange avec de la banane plantain ! Je pense que vous me cherchez noise ou vous voulez vraiment jouer avec moi. Je vous demande, une dernière fois, de partir de là sinon vous aurez affaire à moi !

Ce qui était déconcertant c’est le fait que Grand-père Léon parlait aux hippopotames comme s’il s’adressait à des êtres humains, et ce, avec une petite dose de provocation ainsi qu’une assurance et une familiarité qui dépassaient l’entendement. On dirait qu’il parlait à des gens qu’il connaissait de longue date. Pourtant, il s’agit bel et bien des bêtes parmi les plus dangereuses du monde aquatique. Enfant, je n’avais vraiment pas conscience du danger auquel Grand-père Léon nous exposait en tenant tête aux hippopotames qui étaient dans leur milieu naturel.

Constatant que les hippopotames refusaient de céder à ses injonctions, Grand-père Léon avança la pirogue comme pour forcer le passage et il donna un violent coup de pagaie à un des hippopotames qui l’esquiva en enfonçant sa tête dans l’eau. Grand-père Léon se retourna pour tenter d’administrer un coup de pagaie à un autre hippopotame, mais ce dernier fit, comme le premier, une esquive en enfonçant sa tête dans l’eau. Grand-père Léon semblait être possédé. J’entendais son souffle tellement fort qu’il s’apparentait aux bruissements du vent. Puis tous les hippopotames disparurent pour réapparaître quelques mètres plus loin, toujours en position de barrage.

Grand-père Léon se tourna vers moi pour me dire :

— Homo (homonyme), ces hippopotames sont la manifestation des esprits de nos ancêtres. Ils ne nous veulent pas de mal sinon ils nous auraient attaqués. Ils sont là pour nous empêcher de continuer notre chemin, peut-être parce qu’il y a un danger qui nous guette ou un décès dans notre famille.

Mais quel danger ? Qui est mort ? Nous retournâmes au campement de pêcheurs où nous apprîmes le décès d’un des oncles maternels de Grand-père Léon. Une délégation attendait Grand-père pour l’accompagner au village où se passaient les funérailles. Cette délégation fit comprendre à Grand-père Léon qu’il risquait d’arriver après l’enterrement. Grand-père Léon était fou de rage :

— Comment est-ce possible ? Qui se permettrait d’enterrer mon oncle sans que je ne voie sa dépouille ?

Un des membres de la délégation, qui n’était rien d’autre qu’un des neveux de Grand-père Léon, expliqua à ce dernier que d’autres membres de la famille du défunt avaient décidé de procéder à la mise en bière immédiate à cause de la chaleur qui accélérait la décomposition du corps.

— La famille c’est moi ! répliqua Grand-père Léon.

Nous prîmes place à bord d’une grande pirogue affrétée par le chef du village en direction du village où se déroulaient les funérailles. Mais, chose étrange, impossible de remettre la pirogue à l’eau à cause de l’excès de poids de Grand-père Léon qui menaçait de faire couler la pirogue dans les eaux profondes de Bolongolulé. Au vu de sa corpulence, Grand-père Léon devait peser une centaine de kilos. Mais dès lors qu’il monta dans la pirogue, son poids sembla avoir quadruplé. Me rappelant certains faits que mes parents nous racontaient au sujet de Grand-père Léon, je compris vite que ce dernier n’était plus dans son état normal. Il était saisi de nyama, des forces provenant de certains de ses animaux totems – dont l’hippopotame, l’éléphant, le lion, le léopard – qui agissaient invisiblement sur son corps et son mental selon les circonstances. La métamorphose de Grand-père Léon fut le signe de son entrée en communication avec les esprits et, surtout, avec l’esprit du défunt. Grand-père Léon lança un défi aux lois physiques et naturelles :

— De toute façon, quel que soit le temps que prendra notre voyage, son corps [en parlant du défunt] restera intact, ne tombera pas en décomposition, la chaleur sera torride partout sauf autour de sa dépouille. De toute façon, il va tellement pleuvoir que l’on ne pourra pas l’amener au cimetière. Il [en parlant du défunt] m’attendra pour que je lui dise un dernier au revoir.

Il fallait que les pagayeurs et d’autres gens qui connaissaient bien les traditions apaisent Grand-père Léon par des chants mystiques et sacrés afin qu’il retrouve son poids normal et que la pirogue puisse flotter sans risque de chavirer. Quelque temps après, nous voilà en pleine rivière Bolongolulé. Les pagayeurs étaient à pied d’œuvre. Dans la pirogue, il y avait un griot, chanteur de ndjemba, chant traditionnel des Ntomba, une des ethnies du pourtour du lac Maï-Ndombe. Le griot invoquait et encensait les esprits vivant au fond de la rivière pour qu’ils protègent la pirogue et ses occupants de tous les dangers qui pouvaient surgir pendant la traversée. Le griot chantait aussi à la mémoire du défunt, à l’honneur de Grand-père Léon et à la gloire de toute son ascendance. Ces chants donnaient du courage aux pagayeurs qui redoublaient d’efforts pour accroître la vitesse de la pirogue. En même temps, ils contribuaient à apaiser Grand-père Léon pour qu’il ne fasse pas de « bêtises » en pleine navigation. En regardant Grand-père Léon discrètement, je remarquai que ces chants lui faisaient du bien, d’autant plus que le chanteur encensait très élogieusement son ascendance. C’est comme cela que je pris connaissance de l’arbre généalogique d’une partie de ma famille et, surtout, du mystère qui entourait un de mes aïeux qui s’appelait Nkaa6 Bolongongo.

Ce dernier fut l’arrière-grand-père de Grand-père Léon. Pendant la guerre contre une autre tribu, il reçut une pluie de flèches empoisonnées et il succomba à ses blessures. Sa dépouille disparut aussitôt des lieux de combat pour réapparaître quelques heures plus tard dans le cimetière ancestral de son village situé à 40 km du champ de bataille. Quand une partie des villageois se rendirent au cimetière après avoir été alertés par les cris de l’oiseau mystique, le coucou, ils retrouvèrent sa dépouille soigneusement allongée au pied d’un grand arbre. Les gens ne virent aucune trace des blessures ni de sang sur son corps qui était intact malgré la chaleur. Ils ramenèrent toutefois la dépouille au village pour consacrer au défunt des funérailles à la hauteur du rang qu’il occupait dans le village dont les parents, Nkaa Bolikoli (père) et Ngo7Loboko (mère) étaient les fondateurs. Lors de son enterrement, les gens entendirent les beuglements d’hippopotames dans le lac, dans les ruisseaux et dans les rivières aux alentours, voire dans les mares. Bref, partout où il y avait un cours d’eau. Après l’enterrement, une pluie diluvienne et orageuse s’abattit sur le village et sur toute la contrée. C’était le signe de la communion du défunt avec les forces de la nature, mais également le signe de son entrée dans le royaume des ancêtres.

À notre arrivée dans le village, la cour avait été désertée par la foule et les proches du défunt à cause de la pluie, comme l’avait prédit ou provoqué Grand-père Léon. La dépouille était à l’abri dans une des plus grandes maisons du village. Les gens en voulaient à Grand-père Léon, car, en provoquant la pluie, il avait retardé l’enterrement. Mais personne n’osait exprimer clairement et ouvertement son mécontentement à Grand-père Léon. D’ailleurs, lorsque Grand-père Léon arriva dans la cour, la pluie s’arrêta. Le ciel, dégagé des nuages qui l’assombrissaient, retrouva sa couleur bleue et le soleil fit sa réapparition.

Les gens revinrent à la cour, certains avec leurs chaises et tabourets ou des troncs d’arbre. Les larmes se remirent à couler à flots, hommes, femmes et enfants, tout le monde, pleuraient. Plus loin, les hommes parmi les plus forts (physiquement) du village se mirent à jouer à nu-pieds au football avec un ballon peu ordinaire. Ce ballon était une pierre d’environ cinquante centimètres de diamètre. Ils jouaient sans se blesser ni pousser de cris de douleur. Mais on savait que ces gens-là étaient dans un autre monde. Car, en temps normal, il est difficile de trouver des personnes jouant au football avec une grosse pierre à la place d’un ballon en cuir, par exemple. D’autres personnes faisaient la lutte. Leur combat ressemblait à celui des éléphants, car à l’endroit où se déroulait le spectacle la terre était profondément retournée. Les belles-filles du défunt arrachaient tous azimuts les sticks avec leurs dents. Sous le rythme endiablé du tam-tam, une des filles du défunt se jeta dans un grand feu que l’on avait allumé pour l’occasion. Elle se mit à danser l’iboki, au milieu des flammes sans se brûler. Aucun des vêtements qu’elle portait ne prit non plus feu.

Cette fille poussa des beuglements de buffle puis elle ordonna à quiconque savait chasser d’aller tuer un buffle pour « nourrir les ancêtres » et nourrir également toutes les personnes qui étaient venues assister la famille du défunt. Quelques braves types entrèrent dans la forêt et n’eurent aucun mal à trouver du gibier. Ils trouvèrent un buffle mâle qui avait l’air totalement inoffensif et désorienté. Pourtant, en temps normal, le buffle est plutôt un animal d’une agressivité et d’une férocité redoutables. Il attaque par surprise en fonçant tout droit sur sa cible. Sa colère peut l’entraîner jusque dans le village où il peut tout saccager. Dans quelles circonstances ce buffle s’était-il retrouvé à proximité du village au point de se laisser tuer ? Plus tard, j’appris que ce buffle était attiré par les esprits des ancêtres pour honorer la demande de la fille du défunt qui était habitée par l’esprit de son père. Pour préserver l’honneur de la famille, il fallait éviter que les gens se plaignent d’avoir faim durant toute la période des cérémonies mortuaires. Le choix du buffle par l’esprit du défunt et celui des ancêtres n’était pas neutre : le buffle fut une fameuse provision de viande pour la population du village qui était venue pleurer un des siens et pas des moindres, on le surnommait Tête-marteau.

Toutes ces démonstrations de force avaient un double objectif : d’une part, honorer la mémoire du défunt, et de l’autre rappeler que celui-ci faisait partie des gens les plus forts (physiquement) du village et de la contrée. Oui, je l’ai connu, cet homme dont la démarche nonchalante dissimulait la puissance de son coup de tête et de son coup de poing. D’ailleurs, à ce propos, il avait tué d’un seul coup de tête un type qui voulait le défier en public. La puissance de son coup de tête lui avait valu le surnom de Tête-marteau.

Grand-père Léon ne pleurait pas et ne participait à aucune démonstration de force. Cependant, il tournaillait autour de la dépouille de son oncle tout en faisant des grincements de dents qui résonnaient désagréablement aux oreilles des gens qui étaient près de lui. À chacun de ses pas, ses pieds s’enfonçaient dans la terre, laissant de grands trous. Son visage était tellement fermé que ses sourcils, à la forme de ceux de Brejnev, le défunt président de l’ex-URSS, se joignaient au beau milieu de son front grave.

Quelque temps avant de mettre la dépouille dans le cercueil, Grand-père Léon intima à deux de mes oncles l’ordre de me tenir complètement à l’écart des cérémonies, du moins jusqu’à la fin du processus d’enterrement. Ils m’enfermèrent dans une des pièces de la maison familiale. La raison qui fut évoquée était que Grand-père Léon redoutait que l’esprit du défunt vienne m’habiter et me transmettre ainsi des pouvoirs qui allaient être un lourd fardeau pour l’enfant que j’étais, eu égard à de très bonnes relations que j’avais avec l’oncle de mon grand-père, de très bonnes relations auxquelles venait s’ajouter ma forte sensibilité aux traditions familiales.

Malgré mon jeune âge, j’allais aider l’oncle de mon grand-père après l’école. J’allais chercher de l’eau dans un puits ou au lac. Puis je mettais l’eau à chauffer avant d’aller l’aider à se laver. Il m’arrivait de tenter de le porter sur le dos quand il avait vraiment des difficultés à marcher. Parfois, il arrivait que je tombe avec lui parce qu’il était très lourd par rapport à mon poids. J’entendais sa respiration d’hippopotame. Plus nous avancions, plus Tête-marteau respirait difficilement. Je réalisais combien ma présence à ses côtés était nécessaire. La plupart de ses petits-enfants l’avaient presque abandonné sous l’influence du pasteur de leur église qui leur avait claironné que leur grand-père était un sorcier dont il fallait à tout prix s’éloigner. D’ailleurs, ils m’exhortaient à adopter la même attitude qu’eux à l’égard de leur grand-père ; à défaut, ce dernier mangerait mon âme pour avoir de la longévité.

Pendant qu’il était malade, Tête-marteau demanda à me voir, mais Grand-père Léon avait tout fait pour que cette rencontre n’ait pas lieu.

Malgré toutes les précautions que Grand-père Léon prit pour m’éviter tout contact avec son oncle durant l’enterrement, celui-ci devint un de mes meilleurs amis de l’au-delà. Depuis qu’Il est mort, je le vois assez souvent en rêve, où il vient me parler de sa nouvelle vie (d’esprit) et, de façon générale, de la vie après la mort. La plupart de ses témoignages sur l’au-delà, tout comme ceux des autres disparus sont régulièrement confirmés par mes propres expériences et par celles vécues par d’autres personnes que j’ai personnellement rencontrées ou connues par l’intermédiaire des médiums ou des reportages sur les phénomènes dits paranormaux ou surnaturels. Voici une partie des témoignages que « Tête marteau » m’adressa en rêve :

« Personne ne meurt. On ne fait que changer de vie. Quand on meurt, on ne quitte pas la vie sur terre. On est sur terre, mais on y vit autrement qu’avec son corps physique et matériel. On vit avec les vivants, ceux qui ne sont pas encore morts. Nous, on les voit, mais eux ne nous voient pas. Nous pouvons intervenir dans la vie des vivants dans la mesure du possible. Je dis dans la mesure du possible parce que notre pouvoir n’est pas illimité. Certains des nôtres reprennent la vie humaine à maintes reprises tant qu’ils n’auront pas fini d’accomplir leur devoir sur terre. C’est la réincarnation. Beaucoup de gens se demandent si Dieu existe. Nous aussi, là où nous sommes, nous nous posons la même question et nous n’avons pas de réponse autre que ce que tout le monde sait. Dieu existe pour certains et pour d’autres il n’existe pas. Même ici, dans l’au-delà, le débat sur l’existence de Dieu fait rage. En ce qui me concerne, je n’ai pas vu Dieu ni son royaume. Par contre, j’ai été très bien accueilli par les miens, mes ancêtres, ma femme, mes enfants qui m’ont précédé dans l’au-delà. L’au-delà n’existe pas dans le ciel. De même, le paradis n’existe pas. L’au-delà est tout simplement la partie invisible de l’univers terrestre.

De là où nous sommes, nous voyons tout ce qui se passe dans le monde des humains, comme il vous arrive à vous de nous voir en rêve ou par d’autres canaux. Par exemple, je vois que tu as des difficultés financières. Je n’ai pas grand-chose à te donner si ce n’est cette pièce de dix francs français. Je suis allé voir ton oncle dont la femme attend un bébé. C’est une partie de moi qui est dans le ventre de cette femme. Elle accouchera d’un garçon et je veux qu’on lui donne mon nom et mon prénom. C’est un ordre et tu diras à ton oncle de l’exécuter immédiatement ».