Le treizième album - Mitra Samadpour - E-Book

Le treizième album E-Book

Mitra Samadpour

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Beschreibung

Un enfant naît sans l’avoir demandé, une jeune fille devient femme sans en avoir le choix. Atiké, confiée dès sa naissance à d’autres bras que ceux de sa mère, grandit entre deux foyers, deux vérités, deux silences. Le treizième album rassemble les fragments d’une vie marquée par l’abandon, le sacrifice, l’amour retenu et les promesses murmurées. À travers le regard d’une femme qui se relève à chaque chute, Mitra Samadpour tisse un récit d’une grande humanité, où la douleur côtoie la lumière et où chaque destin devient un écho de notre propre quête d’existence.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Mitra Samadpour a grandi au croisement des traditions persanes et des mondes imaginaires découverts dans les récits. Elle écrit d’abord en persan des histoires empreintes de réalité, avant de trouver dans la langue française une nouvelle voie d’expression. "Le treizième album", son deuxième ouvrage, explore des expériences en apparence ordinaires, révélant combien la culture et les conditions de vie façonnent les destins.

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Seitenzahl: 129

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Mitra Samadpour

Le treizième album

© Lys Bleu Éditions – Mitra Samadpour

ISBN : 979-10-422-7845-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Introduction

La vie est un voyage dont le départ nous est imposé, souvent dans des conditions loin d’être équitables. Aucun de nous n’a eu le choix du nombre d’étoiles de l’hôtel où il séjournerait. Nous ouvrons les yeux et nous nous retrouvons au début d’une route qu’il nous faudra parcourir. Nous n’avons choisi ni les moyens du voyage ni nos compagnons de route. Parfois satisfaits, parfois mécontents, parfois indifférents, nous avançons, sur un chemin que nous n’avons pas choisi, mais que nous pouvons parfois modifier, voire changer, si nous le décidons. Quoi qu’il en soit, chaque route comporte ses défis. Parfois, nous les affrontons ; parfois, nous les acceptons simplement.

Chacun de nous a sa propre définition du voyage. Pour certains, il s’agit d’atteindre la destination finale ; pour d’autres, c’est le chemin lui-même qui compte. La beauté a mille significations. La tristesse aussi… la laideur également… et le bonheur ! ce bonheur que nous poursuivons jusqu’au bout du chemin, alors même que nous le croisons à plusieurs reprises sans le reconnaître.

Mitra Samadpour

Garde-frontière

Il quitta une ville éloignée de la frontière pour s’y rendre et devenir garde-frontière.

Le matin, il se réveilla deux heures avant le début de son service pour se préparer, selon son habitude obsessionnelle. Il se rasa le visage avec minutie, puis enfila l’uniforme des gardes-frontières qu’il avait repassé la veille au soir. Il se frotta les paumes avec un peu d’huile et coiffa patiemment ses cheveux pour qu’aucune brise ne les dérange jusqu’à la fin de son service. Puis, délicatement, il noua ses lacets en nœuds papillon, veillant à leur parfaite symétrie, examinant les extrémités pour s’assurer de leur harmonie. Enfin, il se parfuma généreusement le visage, la tête et le cou, dans un geste presque cérémoniel.

Il se rendit au poste de garde, le dos droit, la démarche fière, et se tint immobile comme un clou. Les yeux fixés droit devant lui, il remarqua qu’il n’y avait pas de vent ce jour-là. Tout semblait figé, comme dans un tableau. Il eut l’impression que quelqu’un avait délibérément rayé le tableau.

Il cligna des yeux, détourna le regard de l’horizon et se concentra sur ce qui l’entourait. Les fils barbelés en face de lui avaient fait des rayures sur le tableau.

Il se demanda : « Pourquoi pose-t-on des barbelés entre les gens ? Pourquoi restait-il là, à protéger ces rayures ? »

Il desserra légèrement le col de son uniforme. L’odeur du parfum mêlée à celle de la transpiration l’étouffait.

Il se demanda, une fois de plus : « Pourquoi pose-t-on des barbelés entre les gens ? »

Atiké

1

Atabak n’éveilla pas Mina. N’ayant que peu d’affaires, il pouvait porter l’enfant d’une seule main. Le trajet depuis l’auberge jusqu’au garage des bus durait environ dix minutes. L’air frais du matin était glacial. Il déposa la valise, déboutonna son manteau, enveloppa Mina de chaque côté et se mit en marche. La chaleur de la respiration de sa fille effleurait son cou, et il se rappela qu’il ne l’avait pas serrée dans ses bras depuis cinquante-cinq jours.

Il y a cinquante-cinq jours, en entendant les cris des femmes, il avait déposé Mina au sol et s’était précipité vers la chambre d’Akhtar. Il reconnaissait ces cris, porteurs d’une terrible nouvelle, et personne n’avait besoin de lui expliquer que sa jeune épouse ne respirerait plus l’air de leur foyer…

Il renifla et essuya ses larmes. À cette heure matinale, dans le silence de la rue, il n’y avait personne pour observer ses larmes. De toute façon, qu’importait le regard d’autrui, alors qu’il s’apprêtait à quitter Ispahan1 pour toujours ? Ispahan pourrait-il être supportable en l’absence d’Akhtar ?

La veille au soir, son frère lui avait fait remarquer : « Tu ne prends pas véritablement conscience de ce que tu es en train de faire. Tu as laissé tout derrière toi, mais pour aller où ? »

Atabak avait répondu : « Je ne peux plus respirer ici, je vais me sentir étouffé si je reste. »

Son frère avait rétorqué : « Tu dis des absurdités. C’est toi qui es enfermé dans ta bulle. »

Atabak avait murmuré : « Tout comme un poisson… il meurt lorsque l’air est asphyxié dans une bulle d’eau… »

Peut-être que s’il se laissait emporter par la vague avec la bulle, loin d’Ispahan, là où chaque recoin faisait écho au souvenir d’Akhtar, la bulle finirait par éclater, et il pourrait enfin respirer.

Il arriva au garage des bus. La dernière fois qu’il s’était rendu dans cet endroit remontait à un an et cinquante-cinq jours, lors de leur voyage à Machhad2 avec Akhtar et Mina, provenant de ce même garage. Akhtar avait alors exprimé : « Quelle ville agréable ! J’aurais souhaité qu’elle ne soit pas si éloignée pour que nous puissions y rendre visite tous les jeudis et vendredis3… »

Mina frissonna dans ses bras, le sortant de ses pensées. Il se tenait face au guichet. Un homme derrière le comptoir lui demanda : « Quelle est votre destination ? »

Atabak répondit : « Machhad. »

2

Le vieil autobus démarra avec un bruit considérable. Mina grignota quelques morceaux de pain au lait qu’Atabak avait achetés pour le petit-déjeuner, puis se rendormit, bercée par les secousses du véhicule.

Akhtar exprimait fréquemment que la petite mangeait comme un moineau. Cependant, Atabak, qui partait travailler tôt le matin avant le lever du soleil, n’avait pas eu l’opportunité de la voir, car à son retour, Mina avait déjà pris son dîner. Akhtar nourrissait des inquiétudes quant à la fragilité de l’enfant, craignant qu’elle ne survive pas, tout comme les précédents. Elle disait : « Nous n’avons vraiment pas de chance. »

Atabak caressa les longs cheveux en désordre de sa fille de quatre ans. Il avait promis à Akhtar qu’il veillerait sur Mina et s’interrogeait sur sa capacité à tenir cette promesse. Ce n’était pas une enfant difficile ; durant les cinquante-cinq derniers jours, et même les jours qui avaient précédé, alors qu’Akhtar combattait la maladie, elle s’asseyait tranquillement dans un coin, observant avec un regard curieux. On ne savait pas si elle était consciente des événements qui se déroulaient autour d’elle.

Et lorsqu’Akhtar fut emmenée de la maison et ne revint pas, Mina ne posa pas de questions sur l’absence de sa mère, pas une seule fois, et ne pleura pas. Cependant, que devrait-il dire si elle commençait à éprouver le manque de sa mère et lui demandait où elle se trouvait ?

Redoutant que Mina ne se réveille en réclamant sa mère, il la couvrit délicatement pour la protéger de la fraîcheur provenant de la fenêtre. Il espérait qu’elle resterait endormie durant tout le trajet, mais elle finit par se réveiller au bruit du chauffeur qui annonçait : « Nous faisons une pause d’une heure pour prier et déjeuner. »

Atabak sortit la nourriture du sac et descendit du bus en compagnie de Mina. Ils choisirent de s’installer dans un coin ombragé. Il prépara une bouchée qu’il offrit à Mina.

Mina, ayant bien dormi, retrouvait son appétit. Elle savoura sa bouchée avec plaisir et, sans hésitation, en prit une seconde. Un sourire illumina le visage d’Atabak.

La dernière fois qu’il avait souri remontait à cinquante-cinq jours, lorsqu’il avait adressé un sourire à Akhtar avant de quitter la pièce ce matin-là.

Ils arrivèrent à Gorgan4 dans la soirée. Le chauffeur les informa : « Nous allons dîner et passer la nuit ici. De nombreux bandits se trouvent sur cette route, et il est prudent de ne pas s’engager dans ce chemin sombre et dangereux durant la nuit. »

Étant donné leur petit nombre, ils purent se reposer dans la mosquée de la ville. Les membres de la mosquée accueillirent chaleureusement les passagers et demeurèrent avec eux jusqu’à la fin de la soirée pour échanger des discussions.

Atabak se confia à un jeune homme de son âge en lui révélant qu’il était teinturier à Ispahan et qu’il gagnait sa vie convenablement. Cependant, il ressentait le besoin de quitter cette ville. Il avait déjà vendu tous ses biens et envisageait de se rendre à Machhad pour y exercer à nouveau son métier. Le jeune homme lui répondit : « Partir pour Machhad avec une petite fille, quel bénéfice cela représente-t-il ? Reste parmi nous et commence ton activité. Nous avons également besoin de teinturier ici. »

3

Atabak réfléchissait à ses propos lorsqu’il entendit Rahim dire : « Il n’est pas très confortable pour ta fille de dormir ici. » Il l’invita alors avec insistance à venir chez lui. Rahim avait également une fille sans mère, et sa sœur s’occupait d’elle comme une véritable mère. Il ajouta avec bienveillance : « La pauvre s’occupe déjà de ma fille, et cela ne lui pose aucun problème, qu’il s’agisse d’une ou de deux. Si vous restez, ces deux petites ne se sentiront plus seules. »

Atabak réfléchit au fait qu’il était perçu comme un étranger, peu importe l’endroit où il se trouvait. Par conséquent, pourquoi ne pas rester là où on l’avait accueilli en tant qu’ami ? L’hospitalité et la bienveillance de Rahim l’avaient profondément touché, et de plus, Mina s’entendait bien avec la fille de Rahim.

La vague avait atteint le rivage à cet endroit, conduisant Atabak à sa destination. Il accepta avec gratitude l’offre bienveillante de Rahim et s’installa sur place. En quelques jours, il acquit un atelier de teinture ainsi que les outils nécessaires, et il commença à se consacrer à son métier. Mina, de nature calme et réservée, restait proche d’Atabak à son retour, ne s’éloignant jamais de lui.

Après un certain temps, Atabak acheta une maison près de son magasin et, avec le restant de ses économies, il acquit un terrain au nom de Mina, un geste destiné à garantir son avenir.

Ils emménagèrent dans leur propre foyer. Pendant la journée, Atabak gardait un œil sur le magasin et l’autre sur Mina, qui était seule à la maison, jusqu’au jour où ses deux yeux se fixèrent sur Pari, qui lui donna des bobines de fil à teindre, et il tomba amoureux d’elle.

Ils se marièrent, et bien que Pari ait vingt ans de plus qu’Atabak, elle fut présentée à Mina en tant que « maman cadette ».

Mina trouva enfin de la compagnie, bien que Pari, dès leur première rencontre, ne ressentit aucun attachement envers elle. Chaque matin, après qu’Atabak avait pris son petit-déjeuner et était parti, Pari plaçait Mina près du bassin, où elle s’occupait de laver lentement la vaisselle avec ses petites mains.

Après la naissance de son premier enfant, Pari éprouva de plus en plus de difficultés à supporter Mina. Une fois la vaisselle lavée, elle la laissait seule dans un cellier sombre, où Mina demeurait souvent jusqu’au retour d’Atabak.

Alors que l’appel à la prière du soir retentissait, Pari déverrouillait la porte du cellier, consciente qu’Atabak se dirigerait vers la mosquée et rentrerait après la prière. Mina se frottait les yeux en sortant du cellier. Peut-être éprouvait-elle de l’appréhension à l’égard de Pari, ce qui l’empêchait d’aborder le sujet avec Atabak. La tristesse persistante qui se lisait sur le visage de son père pesait peut-être sur son cœur, l’empêchant de discuter du comportement de Pari ou d’exprimer ses propres désirs et aspirations.

Mina aspirait à se rendre chez le mollah5 afin d’apprendre à lire et à écrire, tout comme les enfants de Pari. Cependant, Pari lui faisait comprendre qu’elle devrait plutôt se concentrer sur l’apprentissage des tâches ménagères et sur la préparation à son futur mariage, en lui affirmant que la lecture et l’écriture ne lui seraient d’aucune utilité.

La petite Mina consacrait ses journées à laver, à cuisiner et à s’asseoir dans l’obscurité en attendant l’appel à la prière, et ce, jusqu’à ses douze ans. Un jour, sa voisine l’aperçut dans la cour à travers le mur et lui demanda avec bienveillance : « Pourquoi t’éclipses-tu chaque jour avant midi ? »

4

Mina confia à sa voisine tout ce que Pari lui avait fait, et celle-ci en informa son mari durant le déjeuner. Ce dernier, à son tour, remonta l’information à Atabak, lui racontant tout dans la cour de la mosquée le soir même. Lorsqu’Atabak fut informé de la nouvelle, la première image qui lui vint à l’esprit fut celle du visage empreint de tristesse d’Akhtar. Ce visage jadis familier, Atabak le fuyait dans ses pensées. Que devait-il faire d’autre pour Mina ? Dès le premier jour, Atabak avait constaté le regard indifférent de Pari envers Mina, mais il croyait qu’avec le temps, elle finirait par s’y intéresser, ce qui ne se produisit pas. Pari donna naissance à un enfant, et Mina trouva de la joie à s’occuper de lui, tandis qu’Atabak éprouvait un certain soulagement. Son attention se détourna également vers cet enfant et ceux qui suivirent, et il n’aperçut plus la tranquille et silencieuse Mina, excepté lors des repas du matin et du soir. Il comptait ses bouchées pour s’assurer que l’estomac de Mina était satisfait, et que l’âme de la regrettée Akhtar pouvait trouver sérénité et apaisement. Il avait respecté sa promesse, et Mina, la protégée d’Akhtar, se portait bien.

Il savait que Pari n’aimait pas Mina, surtout depuis qu’elle avait découvert qu’Atabak avait acquis un terrain pour elle. Cependant, comment aurait-il pu prédire que son ressentiment était si intense qu’il la pousserait à exploiter une petite fille, puis à l’enfermer ? Cela lui causait une profonde tristesse, mais que pouvait-il faire face à Pari ? Elle était sa femme. Il ne souhaitait pas détruire à nouveau sa vie et il ne pouvait pas chasser la mère de ses trois jeunes enfants.

Si Mina avait été un peu plus âgée, elle aurait pu envisager le mariage, mais elle était encore trop jeune pour cela. Il lui fallait donc trouver une autre solution pour éloigner sa fille de Pari. Il consulta Rahim, qui lui suggéra d’épouser lui-même Mina. Ils convinrent que Mina resterait chez Rahim jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de la puberté et connaisse ses premières menstruations, puis ils procéderaient à son mariage avec Rahim.

Ignorant leur décision, Mina se rendit chez Rahim, croyant y être accueillie en tant qu’invitée pour un certain temps. Elle se réjouissait de cette invitation, car d’une part, la sœur de Rahim, étant alphabétisée, aurait pu lui enseigner la lecture et l’écriture, et d’autre part, Leila, la fille de Rahim, était son amie et sa compagne de jeu.

La jeune invitée demeura chez Rahim jusqu’à l’apparition de ses premières règles, deux ans plus tard. Une ravissante robe plissée lui fut confectionnée, et une délicate coiffe en dentelle blanche orna sa chevelure. Elle fut ainsi préparée pour son mariage. On lui informa qu’il était désormais temps de se marier, et que le choix le plus convenable pour elle était le bienveillant Rahim, qui l’avait accueillie et élevée dans son foyer.

Elle ne semblait pas troublée, étant plutôt préoccupée par les plis de sa jupe et son maquillage. Cependant, cette journée marqua la dernière journée heureuse de Mina dans la demeure de Rahim, et cette nuit-là devint la plus sombre et la plus amère de son existence.