Le vieux puits - Max du Veuzit - E-Book

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Max du Veuzit

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Beschreibung

|«Jean, votre cousin Roger Croixmare est indigne d'Eliane, qu'il veut épouser. Si vous refusez d'aider ma vengeance en faisant rompre ce mariage, servez-vous des papiers que je vous ai remis. Roger est trop riche pour ne pas racheter très cher les preuves de son infamie d'autrefois». C'est la lettre qu'Eliane a trouvée dans le portefeuille, marqué aux initiales de Jean Valmont, découvert près du vieux puits des Croixmare, lieu maudit entouré de légendes et de superstitions. Et Jean a disparu depuis une dizaine de jours après une scène violente au cours de laquelle Roger a refusé une somme d'argent à son cousin, déshonoré s'il ne paie pas sa dette...| Mêlant la légende à la vie, l'amour à la haine, la tranquillité d'un foyer aux in-soupçonnables méfaits de .la fatalité, la vie familiale enfin aux caprices de l'aventure, Le vieux puits serait presque un roman policier si une délicieuse histoire d'amour ne venait jeter sa note de douce émotion sur l'angoisse d'une mystérieuse disparition que le lecteur lui-même tente d'élucider au fur et à mesure que l'intrigue développe ses péripéties passionnantes...|Librairie Tallandier|

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SOMMAIRE

Le vieux puits

PREMIÈRE PARTIE

I Une partie de billard

II Une discussion orageuse

III Envolé !

IV Une histoire du bon vieux temps

V Légendes et superstitions

VI Elle et lui

VII Le vieux puits

VIII Cœur de tante, cœur de mère

IX Sous les sapins

X Un portefeuille bien rempli

XI Mère et fils

XII Le fusil du garde-chasse

XIII Dans le vieux puits

XIV Énigme !

XV En plein mystère

XVI Un policier à la hauteur

XVII Les déductions d’un détective

XVIII Du pur roman, tout simplement

DEUXIÈME PARTIE

I Dans les ténèbres

II En plein drame

III Celui qu’on n’attendait pas

IV La lande bretonne

V Une sombre histoire

VI Où bien des choses sont expliquées

VII Vivre, c’est comprendre...

VIII Et vivre, c’est aussi aimer

IX Des explications qui finissent beaucoup mieux qu’on n’aurait pu l’espérer

X À travers la presse... déchaînée !

XI Des inconvénients de mal remplir ses fiches d’hôtel

XII Le triomphe du détective

MAX DU VEUZIT

LE VIEUX PUITS

Paris, 1936

Raanan Éditeur

Livre 1044 | édition 1

Le vieux puits

PREMIÈRE PARTIE

I Une partie de billard

Depuis longtemps, la nuit était venue.

Dans la campagne, les lumières éparses aux quatre bouts de l’horizon s’étaient éteintes lentement, une à une, semant sur les champs et les bois des ombres de ténèbres et des coins de mystère.

Au château des Houx-Noirs, pourtant, on veillait encore.

Au rez-de-chaussée, les fenêtres de la salle de billard rayonnaient, lumineuses, sur la façade toute sombre des hautes murailles de pierre. On les avait laissées largement ouvertes pour mieux goûter la douceur de cette tiède soirée d’automne.

Assise dans un fauteuil, devant un vieux guéridon de mosaïque curieusement ouvragé, Mme Croixmare cousait, pendant que son fils Roger, un homme de trente-trois ans environ, fumait, auprès d’elle, un gros cigare blond dont la fumée montait en spirale bleutée vers le plafond.

– Qu’est-ce que c’est que cette machine-là, maman ? fit tout à coup le jeune homme.

– Quoi donc ?

– Cet ouvrage ?

Il indiquait la tapisserie de sa mère.

Celle-ci répondit :

– C’est un écran de cheminée. Regarde... pour quand tu seras marié.

Il eut une exclamation :

– C’est pour moi que tu te donnes ce mal ?

– Mais oui ! C’est un plaisir, d’ailleurs... Ne m’as-tu pas dit, bien des fois, que tu voulais, une fois marié, rester souvent chez toi et passer, au coin de ton feu, la plupart de tes soirées ?

– En effet. Mais quel rapprochement...

– Celui-ci tout simplement : je travaille à l’embellissement de ton intérieur que je veux, autant que je le pourrai, te rendre agréable... Rien ne retient mieux au logis le mari qu’un nid coquet et confortable.

Le jeune homme se mit à rire :

– Le pot-au-feu conjugal dans un plat doré ! fit-il un peu ironiquement.

– Ne raille pas, protesta la mère. Si tu savais combien je désire te voir heureux !... Ta légèreté m’a donné tant d’inquiétude autrefois...

– Dans un temps préhistorique ! murmura-t-il, haussant imperceptiblement les épaules.

– Oui, c’est loin, heureusement !

Elle ajouta, toute sereine :

– Maintenant, je suis très tranquille : tu es devenu sage, sérieux, rangé... une vie nouvelle s’ouvre devant toi...

– Avec ma chère petite Éliane, acheva-t-il, un éclair de joie dans ses grands yeux noirs.

Le fils et la mère se turent un moment. Leurs pensées à tous deux volaient vers la douce fiancée qui, dans ses petites menottes blanches, semblait tenir leur bonheur, vers la compagne aimée que le jeune homme souhaitait si passionnément posséder, vers la jeune fille fragile que la vieille dame aimait déjà comme sa propre enfant.

Mme Croixmare rompit la première le silence pour demander :

– Ton cousin connaît-il ta fiancée ?

– Vaguement, répondit Roger, tiré en sursaut de ses pensées. Jean l’a aperçue il y a deux ans, à Ostende, pendant la saison, mais elle portait encore des robes de fillette, il n’y fit guère attention, alors !

– Et qu’est-ce qu’il dit de ton mariage ?

– Oh ! nous n’en avons encore que peu parlé puisqu’il est arrivé ici au moment du dîner... un peu brusquement, même ! ajouta-t-il, le front soudain rembruni.

– Oui, il ne nous avait pas prévenus.

– Voici trois mois qu’il ne m’avait pas écrit, reprit Roger, une intonation plus dure dans la voix.

La vieille dame sourit indulgemment.

– C’est un grand étourdi ! Il restera enfant toute sa vie. Pourtant, fit-elle, j’aurais préféré qu’il nous eût avertis, car je lui aurais fait préparer une chambre ici.

– Bah ! il n’est pas plus mal au pavillon.

Le pavillon, ancien rendez-vous de chasse, servait à présent d’annexe à la maison principale. Situé au milieu des sapins, à l’autre extrémité du parc qu’il fallait traverser en entier pour y aller, il abritait, à l’automne, une partie des hôtes toujours très nombreux que le châtelain invitait à ses chasses et qu’on ne pouvait, tous, loger au château.

Roger s’était levé de son siège.

De long en large, il arpentait maintenant l’appartement.

La présence de son cousin aux Houx-Noirs mettait, pour lui, comme une note sombre dans son bonheur si franc de fiancé heureux, sans qu’il se rendît bien compte de cette appréhension bizarre qui l’obsédait depuis l’arrivée de Jean.

Après un instant de silence, Mme Croixmare reprit :

– Sais-tu pourquoi Jean est venu ainsi, sans crier gare ?... Te l’a-t-il dit ?

– Non, mais je m’en doute !

– De nouveaux besoins d’argent ?

– Probablement !

Elle hésita, puis demanda :

– Et si c’est cela, qu’est-ce que tu comptes faire ?

– Je ne sais pas encore.

Elle leva les yeux vers lui, une prière au fond de ses prunelles grises.

– Ne sois pas trop dur... C’est le fils de ma sœur... Il n’a pas eu beaucoup de chance dans l’existence, jusqu’ici...

Roger eut un geste d’impuissance.

– Il n’a rien fait pour conjurer la malchance, non plus !... Il compte beaucoup trop sur les autres.

Elle acquiesça :

– Oui, c’est vrai, il abuse un peu...

– Ah ! certes, il abuse ! s’exclama Croixmare avec conviction.

Puis, plus doucement, il ajouta :

– Enfin, ne t’inquiète pas, maman. Je ferai pour le mieux.

Ils se turent soudain.

Sur les dalles de pierre du large vestibule, un pas d’homme résonnait.

Et Jean Valmont entra.

Il était jeune, trente ans au plus ; pourtant, quelques rides précoces autour des paupières, quelques fils blancs dans les cheveux, aux tempes, donnaient à sa physionomie ce je ne sais quoi qui indique l’homme fait, l’homme qui a vécu, celui qui a même trop abusé des plaisirs de la vie.

Jean Valmont habitait Paris et n’était que depuis quelques heures au château où son arrivée avait surpris chacun. Habituellement, il s’annonçait toujours par une lettre ou par une dépêche. Ce jour-là, il était survenu brusquement sans que rien fît présager son passage aux Houx-Noirs.

Tout de suite, en entrant dans la grande salle de billard, il s’excusa auprès de sa tante et de son cousin.

– Pardonnez-moi de vous avoir quittés ainsi, aussitôt après le repas, mais il fallait absolument que je fasse partir une dépêche ce soir.

– Rien d’ennuyeux pour vous, j’espère, Jean ? s’informa la vieille dame avec un maternel intérêt.

– Non, non ! répondit-il vivement.

Et pour couper court à toute autre question, il se tourna vers Roger :

– Nous jouons une partie de billard, veux-tu ? proposa-t-il.

Croixmare accepta.

Ils choisirent leurs queues et, en ayant frotté le bout avec de la craie, ils commencèrent sans plus de paroles.

La partie manquait d’entrain. De brèves phrases, alternant avec le heurt sec des queues poussant les boules, coupaient d’une façon monotone le mutisme préoccupé des joueurs.

– Ça va !

– Vingt-trois...

– Oui, mais à moi... là ! tiens ! regarde ce quatre bandes.

– Parfait !

– Je compte trente-cinq maintenant.

– Veinard, va !

– Oui, j’ai de la chance, ce soir !... Quelle catastrophe, par ailleurs, va-t-il m’arriver en revanche ?

Jean disait cela du bout des lèvres, avec un sourire contraint. Sous son apparente gaieté, on devinait une amertume... peut-être même une obsession inquiète.

Pendant que les queues cognaient les billes et que celles-ci roulaient silencieusement sur le drap vert ourlé de palissandre, Mme Croixmare examinait attentivement son neveu.

Elle dit soudain, sa voix claire jetant une note plus gaie dans l’appartement :

– Jean, je vous trouve changé. Vous êtes amaigri.

Il répondit, sans cesser de jouer :

– Croyez-vous, ma tante ?

– Il y a longtemps que je ne vous avais vu. Vous paraissez plus mince que l’année dernière... N’est-ce pas, Roger ? Regarde ton cousin.

Croixmare jeta un bref coup d’œil sur le jeune homme.

– Heu !... Jean n’a jamais été bien gros.

– C’est vrai ! Pourtant, il me semble... Vous avez l’air fatigué, ajouta-t-elle, souriant maternellement.

– J’ai eu de satanés soucis, aussi !

De nouveau, une ombre de tristesse avait imperceptiblement plissé son front.

Roger, l’instant d’avant penché sur le billard, s’était redressé et presque brutalement répliquait :

– Dis plutôt que la vie que tu mènes n’est pas faite pour te rembourrer... C’est esquintant, la fête, tu sais !

– La fête ! Oh ! tu exagères. Je ne la fais pas tant que ça, va !

Ses yeux bleus, en éclair d’acier, avaient croisé ceux de son cousin qui l’examinait d’un air ironique.

Mais déjà Mme Croixmare s’interposait, effaçant par son ton amical la secrète irritation que les paroles de son fils avaient fait naître.

– Vous devriez rester longtemps ici, Jean. Le grand air vous rendrait vivement les couleurs. Quelques jours, voyez-vous, ce n’est pas assez ; c’est un mois ou deux de repos qu’il vous faudrait.

– Vous êtes trop bonne, ma tante, et je regrette de ne pouvoir profiter de votre aimable invitation.

– Pourquoi ? Voyons ! qui vous en empêche ? Vous êtes libre.

– C’est vrai, mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut... Malheureusement, des affaires assez importantes me rappellent à Paris à la fin de cette semaine.

Il étouffa un soupir. Il pensait à la gravité de ces affaires qui l’appelaient si impérativement, à date fixe, à Paris.

Sans remarquer, la vieille dame reprenait :

– Mais vous reviendrez pour le mariage de Roger ?... Il faudra même arriver quelques jours à l’avance, n’est-ce pas ?

Jean s’inclina pour remercier.

– Oh ! certes, je reviendrai pour ce mariage, répondit-il. Mon cousin ne me pardonnerait pas une défection en un tel jour.

– Tu seras mon garçon d’honneur !... s’écria Croixmare que la pensée de son prochain mariage venait soudainement d’égayer.

Intérieurement, il se rappelait la douce vision blonde et élancée de sa fiancée, et un incarnat momentané brunissait ses joues mates.

– Et pour quelle date, la noce ? interrogea Valmont, dont le front s’était rembruni.

– Dans quatre semaines, répondit la vieille dame. C’est ici qu’elle aura lieu.

Jean, étonné, la regarda :

– Ici ? fit-il.

– Oui, expliqua-t-elle. Éliane, évidemment, a encore sa mère, mais elles habitent chez une tante, à Bléville, dans le Dauphiné ; seulement, la propriété, pourtant plus grande que celle-ci, n’offre ni le confortable nécessaire, ni les commodités indispensables pour cette cérémonie. Alors, d’un commun accord, nous avons décidé que le mariage se ferait aux Houx-Noirs.

– Et c’est pourquoi ma chère Éliane arrive demain ! lança joyeusement Roger.

– Demain ! répéta Valmont qui devint plus grave encore ! Alors, je la verrai ?

– Certainement.

– Elle va rester ici jusqu’au dernier moment, acheva d’expliquer la maman.

Négligemment, en poussant sa bille avec une apparente attention, Jean demanda :

– Sa mère l’accompagnera-t-elle demain ?

– Naturellement !

Pour cette exclamation, Roger avait pris un ton si comiquement désolé que l’autre se mit à rire.

– Diable ! Elle tient de la place, la mère, hein ? fit-il, soulignant ses paroles d’un coup d’œil significatif.

Croixmare poussa un soupir dont il exagéra gaiement l’importance.

– Encombrante, mon cher ! Et la tante ! Il faut compter avec elle, je t’assure !

– Ah bah !

– Des principes austères, des préjugés étroits... et des idées sur le mariage !

Il sourit, certaines réminiscences amusant sa pensée.

– Ainsi, continua-t-il, Mlle de la Brèche – c’est le nom de la tante – ne s’est pas mariée parce qu’elle n’aurait jamais voulu d’un homme qui eût... aimé avant son mariage !

– Oh !

– D’après cela, juge des singulières opinions qu’elle émet parfois sur les fiancés ou sur les gens mariés !

Il se mit à rire.

Mme Croixmare secoua la tête en souriant. Elle se rappelait les préliminaires des fiançailles, et elle les résuma :

– Pour que je puisse obtenir des deux dames la main de la jeune fille pour mon fils, il a fallu l’intervention du général Gaillard, le seul homme qu’elles estiment au monde.

– Et il a affirmé que tu n’avais jamais... aimé ! dit Jean en pouffant de rire.

– Pas précisément, répondit Roger, légèrement embarrassé. Le général sait bien, lui, qu’il faut que jeunesse s’amuse. Un homme ne fait un bon mari que lorsqu’il a jeté sa gourme...

– Le général a expliqué tout ça à Mme de Surtot qui s’est laissé convaincre assez facilement, ajouta la vieille dame.

– Alors, vive la joie ! Et tous mes vœux, mon cher, fit Jean en secouant une importune pensée.

La partie de billard était finie. Les deux jeunes gens posèrent leurs queues et allumèrent des cigares.

Puis, un domestique apporta des liqueurs sur un plateau d’argent.

Dix heures sonnèrent.

Mme Croixmare plia aussitôt son ouvrage et se leva :

– Vous me pardonnerez, mes enfants, de vous quitter, mais je suis un peu fatiguée... l’habitude de me coucher de bonne heure. À mon âge, on ne sait plus veiller.

– Je vous en prie, ma tante, ne changez rien pour moi, pria Valmont. Je vais rester avec Roger.

– C’est ça, causez ensemble... vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire... entre jeunes gens !

Elle les quittait, mais elle se rappela ne pas avoir indiqué à Jean l’appartement qu’il allait occuper aux Houx-Noirs et vivement elle expliqua :

– Mon pauvre ami, j’allais vous laisser sans vous prévenir... On vous a mis au pavillon pour cette nuit. Tout est bouleversé, ici, avec ce mariage, et les chambres sont encombrées.

– Je serai très bien au pavillon, fit Jean, indifférent.

– Mais il vous faudra traverser le parc.

– Bah ! la belle affaire ! C’est une promenade !

Comme, malgré son affirmation, elle gardait un air navré, il ajouta :

– Voyons, ma tante, ne vous inquiétez pas pour si peu. Ici ou là-bas, c’est la même chose... À moins que vous ne redoutiez pour moi la présence des gnomes et des sylphes autour du vieux puits près duquel il me faudra passer tout à l’heure.

Ils se mirent à rire tous les trois.

– Vous êtes trop grand, maintenant, Jean ! C’est vous qui leur feriez peur.

– Juste revanche !... Ils ont assez effrayé, autrefois, mon imagination de petit garçon pas sage.

– Je me souviens... J’étais aussi capon que toi, murmura Roger, amusé de ce retour en arrière.

– Parce que tu n’étais pas moins terrible, conclut en riant la vieille dame qui se rappelait l’enfance bruyante et indisciplinée des deux cousins.

Elle dit encore :

– Vous savez, Jean, si demain vous voulez accompagner Roger à la gare au-devant de sa fiancée, il ne faudra pas vous lever trop tard...

– Je suis très matinal.

– C’est à dix heures et demie qu’arrive le train.

– Je serai prêt à partir avec mon cousin, fit-il aimablement.

– C’est entendu.

Elle prit enfin congé d’eux.

Maternellement, elle les embrassa l’un après l’autre. Et doucement, à menus pas, la marche déjà alourdie par l’âge, elle quitta l’appartement.

II Une discussion orageuse

Restés seuls, cigares à la bouche, les deux hommes s’enfoncèrent paresseusement dans des fauteuils.

Quelques phrases banales, dites du bout des lèvres, sans conviction et sans intérêt, volèrent d’abord entre eux, mais de nouveau la gêne du début de la soirée les ressaisit peu à peu.

Il était évident que si Valmont, comme son arrivée subite le faisait supposer, avait quelque confidence à faire à son cousin, celui-ci, en retour, s’efforçait de ne pas la provoquer. Peut-être même, intérieurement, Roger redoutait-il ce que l’autre avait à lui dire.

Cependant, après quelques minutes d’hésitation, Valmont se décida tout à coup.

Se levant, il fit quelques pas dans l’appartement ; puis, délibérément, vint se planter devant son cousin.

– Roger, murmura-t-il, un peu gêné, malgré son apparente assurance, j’ai des ennuis... des ennuis d’argent... il me faut... beaucoup...

Il s’arrêta, cherchant sur le visage de l’autre un encouragement qui ne venait pas ; alors, il lança le chiffre, la voix plus affermie :

– Il me faut quarante mille francs pour la semaine prochaine.

Croixmare conserva son impassibilité.

– Heu ! Quarante mille francs, un joli denier... Mes compliments, tu vas bien ! répondit-il légèrement.

Comme Jean, interdit de son calme, restait planté devant lui, il demanda enfin :

– Alors ?... Qu’est-ce que tu vas faire ?

– Mais... les payer !

– Parfait ! Tu as l’argent ?

– Non... J’ai compté sur toi.

Un sourire ironique plissa les lèvres de Roger.

– Vraiment ! Sur moi !

– Il est impossible que tu me refuses cette somme, balbutia Valmont, embarrassé.

– C’est cependant ce que je me propose de faire !

Une supplication passa dans les prunelles de l’autre :

– Allons, ne te fais pas si dur. Qu’est-ce que je te demande ? Quarante mille francs ! Une bagatelle pour toi !

Roger secoua la tête.

– Ma fortune est certainement grande, mais elle ne me permet pas, chaque semestre, de payer toutes tes folies.

Valmont haussa les épaules.

– Mes folies !... Des dépenses absolument indispensables pour pouvoir tenir mon rang devant tous ceux qui ont connu mes parents ou qui ont été en relation avec ma famille.

– Qui t’oblige à mener un tel train de vie ? répliqua Roger froidement. Puisque tes moyens ne te permettent pas de continuer cette existence de désœuvré, change-la... travaille... Tu nous avais promis de travailler.

– Je travaille, mon cher ! Et c’est pourquoi j’ai besoin de cette somme qui va me permettre d’avoir une véritable situation.

– Oui-da ! Je vois le genre de travail que tu fais !... Un travail qui coûte quarante mille francs avant de rapporter un sou... Tu ne me crois pas assez bête pour gober cela ?

Il ralluma posément son cigare qui s’était éteint.

– Écoute, fit Valmont, angoissé. Je te jure que cette somme est destinée à une affaire sérieuse... Si tu me la donnes, je n’aurai plus jamais recours à toi, dans l’avenir, car ma position sera assurée...

– Je ne te crois pas !... Au surplus, pourquoi choisis-tu un emploi ou de l’argent est, avant tout, nécessaire ? Cherche autre chose, mon bon ! Les places ne manquent pas.

Une colère secoua Valmont qui ne se retenait pas.

– C’est facile à dire quand on ne fiche rien ! s’écria-t-il violemment. Comment peux-tu parler ainsi, toi, qui, en argent, as eu tous les bonheurs : ton père t’a laissé une brillante situation et successivement un oncle, une marraine, une vieille cousine, ont concouru à l’augmentation... Tu héritais de tous les côtés ! Et comme si ce n’était pas encore assez, tu épouses une jeune fille plusieurs fois millionnaire. Dans six semaines, tu seras deux fois plus riche encore... Je suis loin d’avoir ta chance, moi... Des dettes, des créanciers, ou bien le ventre vide, voilà mon lot !

– Parce que tu le veux bien ! Je t’ai déjà tiré d’affaire cinq ou six fois...

– Oui, en effet ! Tu m’as tiré d’affaire, c’est-à-dire que tu as acheté mes principales créances ; mais, comme je n’ai qu’un médiocre revenu, totalement insuffisant pour vivre, il m’a bien fallu chercher un moyen d’existence... J’ai fait ce que j’ai pu... Est-ce ma faute si je n’ai trouvé, jusqu’ici, aucune occupation sérieuse ?

– Si bien que te voici encore dans le pétrin !

– Justement ! avoua Jean piteusement.

Sa colère passait subitement devant la nécessité impérieuse de ne pas mécontenter l’autre.

– Tant pis pour toi, déclara pourtant Roger sans pitié. Moi, j’en ai assez de te tendre la main.

Une angoisse serra la gorge de Valmont. Ses yeux implorèrent son cousin et il balbutia, s’efforçant de sourire :

– Non ! C’est une plaisanterie... Tu ne parles pas sérieusement... C’est pour te faire tirer l’oreille.

– Pardon, répliqua Croixmare sèchement en se levant pour arpenter la pièce, je suis très sérieux en ce moment. S’il y a mauvaise plaisanterie, elle n’est pas de mon côté.

– Tu ne crois pas que j’aie besoin de cette somme ?

– Oh si ! je ne mets pas tes dettes en doute... Ce que je m’explique moins, c’est ta requête d’aujourd’hui...

Il lança quelques bouffées de fumée et continua :

– Il y a six mois, quand tu es venu me demander une certaine somme, il était bien entendu que c’était la dernière fois. Je ne voulais pas, d’abord... puis, devant tes pleurs, tes supplications, tes promesses, j’ai fini encore une fois par céder et par payer. Aujourd’hui, ce ne sera pas la même chose : je ne me laisserai pas émouvoir... Parce que tu m’as rendu autrefois un certain service, tu abuses de la situation... Je suis la bonne poire que tu tapes trop facilement. Si je cédais une nouvelle fois, je te donnerais un motif de plus de me considérer comme ton débiteur à perpétuité... Merci bien ! Avant mon mariage, je veux secouer ton joug... Tu as besoin d’argent, cherches-en. Moi, je ne marche plus !

Il se rassit et, nerveusement, jeta son cigare puis en ralluma un autre.

Le ton net et tranchant de son cousin déroutait un peu Valmont. Il avait compté sur quelques rebuffades, mais non sur un échec si formel, et les paroles de Roger ne lui laissaient guère d’espoir.

Pendant quelques minutes, il garda le silence, ruminant toutes sortes de réflexions et ressassant en même temps toutes ses rancœurs de déshérité qu’un parent riche repousse inexorablement.

Croixmare le suivait des yeux sans mot dire, bien décidé à ne pas céder. Très calme en apparence, il s’inquiétait vaguement, pourtant, au fond.

À quelle extrémité son refus allait-il pousser Jean Valmont ?

Il fut bientôt fixé.

Le front barré d’un résolu, l’œil dur, les lèvres sèches, Valmont vint se rasseoir en face de lui.

Et il questionna brusquement :

– Dis-moi, elle a les idées larges, ta fiancée ?

Roger sursauta. La question l’inquiétait par son inattendu.

– Laisse ma fiancée tranquille, dit-il avec calme, néanmoins. Son nom n’a rien à faire dans notre entretien.

– Eh ! qui sait ? riposta l’autre d’un ton plein de sous-entendus. Notre conversation l’intéresserait peut-être... elle ou sa mère... sa mère qui n’a certainement aucune raison d’être sourde ou aveugle.

Roger se dressa sur son fauteuil. Son regard cherchait à intimider son cousin.

– Que veux-tu dire ? fit-il menaçant.

– Que si jamais elle apprenait que tu n’es pas...

– Que je ne suis pas quoi ?

– Tout ce que tu parais être, acheva Jean, sans s’émouvoir de l’attitude hostile du jeune châtelain.

Il ajouta, un sourire ironique plissant à son tour ses lèvres hautaines :

– Je crois qu’alors, mon cher, on te remercierait, malgré les renseignements du général Gaillard.

Et un éclat de rire gouailleur ponctua ses paroles.

Croixmare s’était levé, très pâle. Mais il ne voulait pas laisser voir que la réflexion de l’autre l’avait touché. Il fit un effort pour se dominer et rester calme.

– Tu ferais mieux de parler d’autre chose, fit-il seulement. Tes paroles ne sont pas toujours du meilleur goût.

– Dans tous les cas, tu ne les prises pas, c’est évident !

Jean se mit à rire, puis continua :

– Pour te faire plaisir, je ne demande pas mieux de changer de sujet.

– Ce sera préférable pour ta dignité, remarqua Croixmare de son même ton tranchant.

– Pour la tienne aussi ! riposta Valmont posément.

Il sentait bien l’avantage qu’il avait remporté sur son cousin, et il continuait, très maître de lui, d’autant plus calme qu’il voyait la colère gagner peu à peu Roger :

– Causons de mes affaires financières, préfères-tu ? C’est plus intéressant, peut-être ! Je vois, du reste, un certain rapport entre elles et ton mariage... C’est même pour ça que je suis ici... Apprenant tes riches fiançailles... le puritanisme de ta future famille, – ne te mords pas les lèvres ! je le savais avant que tu m’en aies parlé, – je m’étais dit : « Roger est un bon garçon ; plutôt que de me savoir embêté... que de l’être lui-même... il préférera m’avancer encore une fois la somme dont j’ai besoin. »

Il fit une pause pour juger de l’effet de ses paroles, puis il continua :

– Au surplus, il ne s’agit encore que de me donner une avance sur la somme que me versera l’Assurance Moderne quand j’aurai quarante ans... Tu ne peux pas dire que tu m’aies jamais véritablement donné de l’argent, puisque tu as toujours exigé ma signature et tu sauras bien, au bon moment, réclamer ce que tu m’aurais avancé !... Donc, aujourd’hui encore, pour nous éviter des ennuis... à moi comme à toi, tu me prêtes ces quarante mille francs...

Il cligna de l’œil et conclut :

– Tu as compris ?... Je puis compter sur toi ?

Croixmare le regarda, une fureur au fond de ses prunelles fixes.

Un moment, il se demanda s’il n’allait pas sauter sur son cousin et l’étrangler ; mais, se dominant encore, il répondit avec calme, bien qu’une rage mal contenue fît trembler sa voix :

– N’insiste pas, c’est inutile. Tu n’auras rien de moi.

– Mais si, j’insiste ! parce que je sais que tu feras ce que je te demande, dit en riant Valmont, qui reprenait de plus en plus confiance. Je suis embêté... diablement embêté. Il me faut quarante mille francs avant lundi. Roger, veux-tu, généreusement, me les donner ?

Encore une fois, il cherchait à vaincre proprement la résistance de son cousin. Mais la colère commençait à avoir raison de celui-ci.

– Non !... Tire-toi de là comme tu pourras.

– Tu sais bien que je n’ai aucun crédit... à moins de faire des dupes ! Jamais je ne pourrai, en trois jours, réunir les fonds nécessaires.

– Tant pis pour toi ! J’ai assez de mes propres soucis...

– Mais, au fond, tu serais désolé qu’il m’arrivât des désagréments. Écoute : j’attache la plus grande importance à payer cette somme exactement à l’heure dite... Il faut que j’évite tout scandale en ce moment... Lamy, le gros financier, compte m’intéresser dans une entreprise qu’il va monter. S’il apprend que je ne suis pas solvable, l’affaire est ratée... Il s’agit de ma position... de ma fortune, peut-être ! Tu ne peux pas hésiter... Tiens, pis que ça, c’est pour me sauver du déshonneur... J’ai donné ma parole et engagé ma signature...

Sa voix tremblait malgré lui. Il avait usé de tous les arguments. Son émotion était sincère en cet instant ; mais Croixmare était maintenant buté dans sa résolution de ne pas céder.

– Débrouille-toi ! Je m’en lave les mains !

Jean devint blême. L’indifférence de son cousin souffletait en plein son orgueil et, soudain, il regrettait ses prières et ses supplications.

– Ah ! c’est ainsi ! s’écria-t-il. Ta sécheresse m’enlève mes derniers scrupules, mon cher ! Tu vas voir...

– Quoi encore ? fit Roger dédaigneusement.

Valmont ne se possédait plus.

– J’ai des autographes à vendre, les achètes-tu ? s’écria-t-il.

Comme l’autre souriait moqueusement, sans répondre, il dit encore :

– Ne ricane pas, ce ne sont pas les miens !

– De qui sont-ils ?

– De toi.

Croixmare éclata de rire. La note en était un peu forcée.

– Ah ! bah ! Tu as des créances de moi ? fit-il, narquois.

– Mieux que ça... des lettres indiquant à quels expédients tu as eu recours, autrefois, pour payer tes dettes à l’insu de ta famille.

Roger eut un sursaut :

– Qu’est-ce que c’est ?... du chantage ? dit-il, les yeux soudain étincelants de fureur.

– Tu peux appeler cela du nom qu’il te plaira, répliqua Jean, sans baisser le ton. J’ai des lettres à vendre : le prix est cent mille francs. Les veux-tu ? À ce prix-là, je connais un homme qui me les achèterait pour la seule chance de t’enlever ta fiancée... Je te donne la préférence.

Croixmare ne se contint pas plus longtemps. Blême de colère, il marcha vers Valmont, qui recula un peu.

– Si tu as des lettres signées par moi, tu vas avoir l’obligeance de me les rendre ! s’écria-t-il, la voix frémissante de courroux.

– Elles sont à moi, répondit Jean, qui conservait son calme.

– Non !

– Si ! Elles m’ont été données par la dame à qui tu les as écrites... Il faut constater qu’elles ne sont pas faites pour honorer leur signataire.

– Misérable ! rugit Roger qui saisit Jean par le col de son veston. Donne-moi ces lettres !

– Contre espèces sonnantes, oui ! fit Valmont en essayant de se dégager.

– Jamais.

– Alors, tu ne les auras pas...

Croixmare, rendu fou par les menaces de chantage de Jean, resserra son étreinte et secoua celui-ci sans merci.

– Lâche-moi ! criait Jean en essayant de le repousser.

– Ces lettres, où sont-elles ? répétait Roger, haletant sous l’effort et la fureur.

Malgré le danger de sa situation, Valmont résistait énergiquement. Après tout, c’était sa dernière chance qu’il jouait.

– Ces lettres ?

– Je ne les ai pas sur moi... Je ne suis pas un imbécile !

– Vas-tu me les donner ?

– Sans argent, jamais !

– Si !

– Non !

– Scélérat ! Bandit !

– Ah !... lâche-moi !

Il y eut un court corps à corps entre les deux hommes. Roger, au comble de la colère, essayait de renverser Jean sur la table de billard avec l’intention évidente de lui fracasser la tête dessus. Comme il était de beaucoup plus fort que Valmont, il y serait sans doute parvenu si, par bonheur pour celui-ci, un domestique, attiré par le bruit de la lutte, n’avait entrouvert la porte.

Roger lâcha aussitôt son cousin.

– C’était comme ça qu’il faisait, tu vois ! fit-il, se maîtrisant pour donner le change au serviteur.

Jean se redressa, très pâle, de la violente secousse qu’il venait d’essuyer.

– Je ne suis pas étonné que l’autre le lui ait fait payer cher, répliqua-t-il froidement en rectifiant sa tenue.

Et par prudence, mais sans obstination, il mettait le billard entre lui et son brutal cousin.

Quand le domestique se fut éloigné, il eut un ricanement amer.

– Il était temps que Baptiste arrivât. J’ai cru vraiment que tu allais m’étrangler... C’est une solution qui t’aurait tiré d’embarras sans bourse délier.

L’autre poussa un rugissement. Sa colère s’excitait encore du court répit de calme que la présence du valet lui avait imposé.

– Rends-moi mes lettres ! répéta-t-il sourdement en cherchant à rejoindre Jean.

Valmont s’élança vers la porte dont il tourna le bouton de serrure.

– C’est cent mille francs !... Ne me touche plus, sinon j’exige le double... Donnant, donnant : tes lettres, tu peux les avoir pour cent mille francs, je te l’ai dit... Maintenant, bonsoir !... Réfléchis jusqu’à l’aurore. Si demain, à mon réveil, je n’ai pas l’argent, il sera trop tard ensuite ; un autre me donnera ce que tu m’auras refusé.

Sans s’arrêter, il quitta la salle, refermant la porte derrière lui.

Resté seul, Roger, dont la colère était loin d’être calmée, se mit à marcher nerveusement de long en large dans l’appartement.

– Canaille ! bandit ! voleur ! rugissait-il à mi-voix.

Ses pas martelaient le parquet ciré et résonnaient fortement dans la grande pièce.

– Le misérable ! Céder ? Jamais !

Un instant, il s’arrêta près de la fenêtre ouverte et scruta les ténèbres, cherchant à apercevoir Valmont qui s’éloignait vers le pavillon.

– Oh !...

Alors, sous une pensée de rage exaltée qui surgissait en lui, Roger quitta en courant la salle de billard et se lança sur les traces de son cousin.