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Le manuscrit que je vous propose est un témoignage, mais pas que…Á l’aube du troisième millénaire, entre passion et déchirement, entre raison et folie, cette histoire relate une période de ma vie auprès d’une femme qui cache un lourd secret d’enfance. Suite à une Transfusion après un tragique accident survenu vingt ans plus tôt, un test récemment élaboré me révélera la présence d’une maladie virale dont l’issue, en ces années-là, demeure létale. Un premier Traitement d’un an sous Protocole en essai thérapeutique, suivi d’un deuxième aux effets psychotropes dévastateurs, me conduira sur près d’une année à un long séjour volontaire en psychiatrie ; aucune autre structure médicale n’étant en mesure de m’accueillir sur une période aussi longue. La maladie sert de fil conducteur à ce récit de réflexions intimes sur la vie, l’amour, et ce violent désir à vouloir devancer l’appel d’un ailleurs, en ce lieu d’enfermement où toute perte de réalités peut vous surprendre à chaque instant. Une sensibilité à fleur de peau, entre rigueur et rébellion, où la poésie, l’humour aussi, opiacées d’un mal de vivre, transparaissent au détour des pages. Juillet 2020, l’OMS s’est engagée à éradiquer ce virus. Á l’échelle mondiale 71 millions d’individus en sont porteurs. 400000 en meurent chaque année.
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Seitenzahl: 451
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Henry-Max Delyson
Les épines de la raison
Des bruits de pas diffus proviennent du couloir. Déjà le personnel de la clinique s’active en cette matinée d’hiver.
Voyage au bout de l’enfer ! Depuis mon internement, un sommeil hasardeux agite mes nuits.
Impersonnel, ce lieu m’héberge depuis déjà trop longtemps à mon goût. Une vie habillée d’angoisses… Un autre univers.
Malgré tout, le monde est petit, dit-on. J’y ai retrouvé Daniel, un compagnon d’enfance avec qui je partage une partie de mes journées ; tout comme moi, il a échoué aux Lauriers.
En ce petit matin frileux, la pâle lueur qui s’infiltre entre les lames de bois disjointes du volet roulant, annonce une journée maussade. Allongé dans le lit, la couverture remontée sous le nez, j’ai froid.
J’étends le bras, palpant des doigts le mur à la recherche de l’interrupteur. L’éclairage hésite, le starter des deux tubes fluorescents peine à remplir son office. L’un s’éteint ; l’autre, inlassablement, continue de clignoter, procurant une vision syncopée.
Agacé par la gêne visuelle, je déporte mon regard en direction de la fenêtre. La veille, des ouvriers munis d’une échelle, étaient venus démonter le lourd volet de bois, ainsi que le coffre qui le masquait, mettant à nu l’axe d’enroulement.
Entre deux flashs de lumière, il me semble distinguer une silhouette pendue à l’arbre moteur. Je m’assois d’un bond sur mon lit, j’erre en plein cauchemar. Impossible !… Serait-ce l’association des traitements qui me joue des tours ?
Pétrifié, je ne bouge plus. Aucun son ne sort de ma bouche. Je crois reconnaître Daniel !… Je me frotte les yeux, c’est bien lui ! Daniel a mis sa menace à exécution !
Je ne peux le croire. Il est là, suspendu à l’axe de l’enrouleur. Pourquoi dans ma chambre ?
Non pas lui ! Partie intégrante de ma vie en ce lieu où les rapports sont difficiles, il partageait dans la bonne humeur mes journées de solitude.
Clinique maudite d’où s’envolent les âmes d’êtres désemparés.
Je parviens à me lever. Planter debout face à lui, je suis comme hypnotisé, il semble me fixer. Au fond de ses yeux figés, le regard demeurevide.
J’ai dû hurler ! Une infirmière fait son apparition dans la chambre. Du doigt je lui montre cet être qui semble encore osciller, pendu, les pieds caressant lesol.
Daniel, mon ami ! Toi Daniel ; anorexique de vie, boulimique d’amour.
Surprise, l’infirmière pousse un cri effrayant, ses yeux grands ouverts traduisent la terreur qui l’assaille. Elle plaque une main devant sa bouche pour en étouffer leson.
Saisi d’effroi, je ne sais que répéter : « Non ! Pas lui ! Pas Daniel le poète ; mon seul ami en ce bas monde. »
Une feuille de papier manuscrite gît à ses pieds, je me baisse pour la saisir, la tête me tourne. Encore une chute de tension, pensais-je. Tout se met à danser, les objets volent autour de moi, l’infirmière ondoie devant mes yeux un court moment.
Soudain, un dernier flash de lumière…
Puis… l’obscurité… le silence…
De Daniel… à monami…
Mon frère, toi mon ami, nuits d’hiver longues et cruelles
Au loin de tes soirées habitées de repas aux chandelles
Je n’avais plus ma place, moi je rêvais d’être hirondelle
Je t’écoutais, les yeux noyés sous des étoiles d’asphodèles
Dans tes rêves brisés, la nuit souvent tu me parlais d’elle
Ta muse, ondoyante chevelure rousse, étrangementbelle
À l’apogée de tes délires, tu ne perçois plus monappel
Où plane une souffrance morale, ce mal de vivreréel
Du désespoir de notre enfance, juste une vision intemporelle
Au petit jour, décrocheras-tu ce pitoyable manteau charnel
Un incestueux baiser, puis, éteins mes yeux rivés auciel
À l’ombre du marronnier, sur ma fosse, dresse une chapelle
Tu ironises et je le sais, les marrons recouvriront l’infidèle
Alors miserere, creuse plus profond, tu le sais je suis sifrêle
Fais ce que je dis, pas ce que j’ai fait, toi l’humble mortel
Si tu refermes ma mémoire sur les larmes des violoncelles
Parachève la douce symphonie, pour cet amour immortel
Et n’oublie pas cette amitié qui te lie à moi pour l’éternel
P.S : Portée par toutes ces rimes en L, mon âme a déjà rejoint leciel
Ton tendre ami Daniel…
Le jour filtre timidement au travers des persiennes de la chambre, dévoilant sur le mur la copie d’un tableau de Kisling : « Jeune fille à la robe rouge. »
En observant la toile, on peut y lire toute la tristesse ancrée au fond des yeux du modèle. Quel désespoir en ce regard !
J’ai bien souvent envisagé de décrocher cette toile du mur, sans jamais oser. Somme toute, elle me ressemblebien.
Je n’ai guère dormi cette nuit. De vieux démons ressurgis des ténèbres sont venus une fois encore hanter mes songes illusoires.
Le temps ne devrait pas s’arrêter pour autant, je me sens en paix, même au plus profond de ce vague à l’âme.
Allez ! Il me faut ouvrir les volets, laisser entrer la douce lumière qui réchauffe lecœur.
Debout, face à l’orbe solaire, mes pensées vagabondent. Je contemple cette boule de feu paraissant à l’horizon et me reviennent en mémoire des bribes de l’Égypte ancienne. Indéfectiblement, Râ exerce sur moi un pouvoir de fascination. J’ai comme l’étrange sensation d’avoir vécu cette époque révolue.
Quelle heure est-il ?… L’heure de sortir de mes rêveries ! Je me dirige vers la salle de bain, une douche me sera salutaire. Ensuite, je me rendrai à pied pour prendre un petit déjeuner sur leport.
Dehors, l’aria guillerette des mésanges portée par une douce brise marine s’élève dans l’air parfumé ; parviendra-t-elle à me réveiller ?
Plus tard je quittais ma résidence, l’Eden-Park, tout en longeant l’allée de cyprès ; direction le bord de mer. J’ai la chance d’habiter un petit paradis, mais en ai-je réellement pris conscience ?
Arrivé à hauteur du club de tennis, une voix m’interpelle :
–Henry-Max ! Hé… Maxou… tu m’entends ?
Absorbé par mes pensées je n’ai su réagir de suite. Vêtue d’une petite, que dis-je, une minuscule tenue Ellesse, Marylou est resplendissante, un rien l’habille.
Elle s’approche de moi le visage animé d’un large sourire, son teint cuivré magnifie le bleu pâle de ses yeux ; les longues heures passées sur les courts de tennis auront fini par avoir raison de sa peau laiteuse.
Excellente joueuse, Marylou est classée. Aux portes du top 10 national, elle remporte encore assez fréquemment des tournois régionaux. Sans me laisser dire un mot, ses deux bras enserrent mon cou, ses lèvres déposant sur mes joues un baiser.
À cet instant, je ne peux m’empêcher de revoir ce corps ravissant à peine masqué de quelques centimètres carrés de tissu, corps serré si fort un petit matin au sortir d’une discothèque. Un irrésistible désir nous surprenait, sans nous entraîner plus loin dans cette étreinte.
Pour l’instant, m’engager plus avant dans une relation, cela m’était impossible ; elle me comprenait sans m’en vouloir. Mon cœur vibrait pour un ailleurs.
Liés par une amitié sans faille, nous nous connaissions depuis près de cinq années ; une tendre complicité nous unissait ; nous partagions tous deux, et nos joies et nos peines.
Je promis à Marylou de la rejoindre au Grand Bleu, notre pub préféré, après son entraînement et mon passage obligé aulabo.
–On se rejoint dans une demi-heure environ. OK Marylou ?
–OK Maxou ! Ne me pose pas un lapin !
Pour toute réponse je hochais les épaules. Abandonnant à grand regret Marylou, je reprenais la direction duport.
Ah ! Quel joli mois de mai ! Les arbres commençaient à se revêtir de fleurs. Plus loin, des volubilis habillés d’un camaïeu de bleu offraient un contraste saisissant avec les mimosas cultivés par monsieur François, un véritable passionné.
Retraité à ce jour, il aurait bâti sa fortune grâce aux vins de Bandol et habitait aujourd’hui l’une des nombreuses villas jalonnant les petites rues jaunies par le pollen des cyprès.
La rencontre avec la ravissante Marylou me comblait de joie. Instant de bonheur furtif volé à l’existence.
Passé les premiers commerces, j’atteignais rapidement le port où des pêcheurs déchargent des bateaux aux couleurs chamarrées.
J’abandonnais alors le quai pour traverser la rue peu fréquentée en cette fin de semaine. Ce petit village si proche de l’agglomération Toulonnaise avait su préserver un certain cachet. Le béton loin de l’envahir, Sanary conservait ainsi toute son authenticité.
Sur l’eau, mâts et voiliers se balançaient au rythme de l’onde marine dans un cliquetis distinctif, des mouettes tournoyaient au-dessus des étals, leurs cris stridents portés par un léger vent marin. Viendra l’heure pour elles de chaparder les restes de poissons abandonnés par les pêcheurs, avant que n’interviennent les employés municipaux, nettoyant à grands jets le quai rendu aux promeneurs.
En début d’après-midi, citadins et premiers touristes envahiront les lieux.
Égaré dans mes pensées, j’en oubliais l’objet principal de ma venue au centre du village… Récupérer mes résultats d’analyses médicales.
Le passage très récent à la quarantaine suffisait à mon sens pour expliquer cette fatigue chronique qui persistait depuis plus d’un an. Un divorce, certes, par consentement mutuel, semblait malgré tout avoir laissé des traces.
De cette union était né un enfant, devenu grand aujourd’hui.
Je le recevais à la maison lorsqu’il le désirait, choisissant lui-même les week-ends qu’il souhaitait partager auprès de moi. Aucune garde alternée ne fut instituée, un côté trop rigoriste dans ce système social, il n’aurait su perdurer. Libre choix donné à l’enfant durement éprouvé par la séparation de ses parents, cela suffisait largement à sa peine.
À onze ans, il s’investissait beaucoup pour soutenir sa maman dans les tâches quotidiennes, suppléant ce père déserteur de foyer.
L’amour porté à ma femme s’éteignit en même temps qu’une entreprise dirigée ensemble de très longues années. Cédée dernièrement, la pièce maîtresse balayée, l’errance reprenait le pouvoir et moi mon ancienne activité. Par ferveur ? Par défaut ? Par dépit ? Je ne saurais ledire.
Pourtant il est vrai, depuis un certain temps, j’étais amoureux d’une rouquine coquine prénommée Lélia. Son enfant fréquentait la même classe que Thibaud, monfils.
Pareillement divorcée, nous fûmes encouragés par nos enfants à la recherche d’une nouvelle stabilité. Très rapidement, une vive passion s’installe entre nous. Aujourd’hui, je voulais croire à cet amour fusionnel.
Sur le chemin, un petit bonjour à mon ami Jean-Claude, shipchandler de son état qui désormais s’occupait de la location de mon bateau. Un Cabin-cruiser de plus de sept mètres animé par deux moteurs ; encore un caprice. Après plus de deux années passées à batailler pour obtenir un anneau, harcelant la mairie, allant jusqu’à copiner avec le capitaine du port, eh bien voilà ! Dernièrement je décidais de ne plus naviguer, l’eau était-elle trop froide ou bien trop mouillée ? Ah ! Cette instabilité jusqu’alors jugulée par le mariage, elle venait de me rattraper.
Une ex-épouse comptable de formation qui essaya fort souvent de tempérer mon ardeur dépensière, et moi, à l’opposé, une âme d’artiste… Allez comprendre.
Bateau vogue sur les flots, je n’étais pas né pour être matelot.
La pêche ? J’ai bien essayé. Ayant par hasard surpris un poisson ou deux, je m’empressais de les remettre à l’eau, ne supportant plus longtemps de les voir suffoquer. Adieu bateau sur l’eau… Pour me consoler j’achetais une moto, le modèle Super Ténéré de chez Yamaha. Allais-je affronter le désert ? Oh ! Que non ! Seulement les routes de notre belle France.
Jean-Claude, momentanément absent, je saluais sa compagne, puis repris la direction du labo. Il ne me fallait plus traîner.
Au fond de la poche de mon Jean’s depuis plusieurs jours je conservais une pellicule photo. Quelle idée saugrenue de me rendre chez le photographe, après tout, c’est aussi un labo ! Je plaisante… en fait, je m’y rends à reculons dans ce foutu laboratoire d’analyses.
“Laboratoire d’analyses médicales. Docteur Weber”. Jolie, la plaque de laiton poli aux caractères gravés de noir !
Trois marches plus haut, je pousse la porte vitrée et me présente au comptoir.
–Bonjour mademoiselle…, Henry-Max Delyson. Je suis venu récupérer des analyses, lui dis-je sur un ton assuré.
–Monsieur Delyson, votre prénom c’est quoi, Max ou Henry ?
–Henry-Max. Henry avec un y ; vous ne pouvez en avoir qu’un seul avec un tel prénom…
Et pendant un temps qui me sembla interminable, la demoiselle cherchait toujours mes résultats.
–À quelle date deviez-vous venir récupérer les analyses ?
–Hier, vendredi, chère demoiselle.
–Je vais voir à l’arrière, un instant, je ne trouve pas le document.
Quelques minutes plus tard surgit un homme vêtu d’une blouse blanche, des feuillets à la main. Il me sembla fébrile.
–Monsieur Delyson, il faut que je vous parle.
–Je vous écoute monsieur, lui répondis-je sur un ton qui se voulait rassuré.
–Voilà… Votre analyse présente une particularité. Le test demandé par votre médecin traitant se révèle positif. Ce test récemment homologué, dénommé Élisa, confirme une hépatite C… Croyez-moi, je suis réellement désolé.
–Et moi donc !… Cher monsieur.
Je ne pus alors m’empêcher de sourire. Test ÉLISA !… Et de fredonner tout doucement…
–Élisa, Élisa, Élisa, saute-moi au cou Élisa, Élisa, Élisa, cherche-moi des poux enfonce bien tes ongles et tes doigts délicats…
–Une chanson interprétée par Gainsbourg, n’est-ce pas monsieur ?
Je fanfaronne, mais je n’en mène pas large, mon sourire s’est figé d’un coup… Redescendu sur terre… la dure réalité.
Je reste là planté, avec mes feuillets à la main. Le mot POSITIF m’éclate au visage. Comme un simple mot peut devenir cruel !… Je peux lire dans le regard de la secrétaire médicale une certaine réticence… comme une sentence.
Nous sommes juste au début des années 1994. Sida, hépatite C, la même résonance au regard de tout un chacun. VIH, VHC, la différence ne saute pas aux yeux… En existe-t-il vraimentune ?
Je récupérais mes résultats sans tarder.
Une fois sorti du laboratoire, j’inspirais très fort, comme si l’air qui gonflait mes poumons était le dernier.
Hépatite C, hépatite C, qu’est-ce au juste ? J’en sais peu à ce moment précis. Tout ce que j’ai pu en retenir, c’est qu’à plus ou moins long terme cela conduisait invariablement, soit à un cancer du foie, soit à une cirrhose… Joyeux programmes !
La bise marine s’est intensifiée, des larmes de sel perlent sur mes joues.
–Thibaud… Lélia… Marylou… la vie tout doucement s’enfuit.
31 décembre 1974. Il est 22 h, je ne suis vraiment plus très emballé. Quel est donc ce mauvais sentiment qui m’envahit ?
La nuit dernière j’ai dormi chez mon amie, ou plutôt petite amie, devrais-je dire. Elle réside en Provence au centre du village de Mallemort… où les âmes bien nées… Je n’ai pas eu connaissance de l’origine de cenom.
En ce début des années 70, la campagne n’est pas très tendance. Pour un Niçois, ce village situé à une vingtaine de kilomètres de Salon-de-Provence, perdu en plein hiver entre les champs de cultures maraîchères, s’apparente plus à un désert. Mallemort morne plaine…
Dehors, la nuit noire, ainsi qu’un froid saisissant me glacent les os. Faut-il le préciser nous sommes proches d’Avignon, et pour moi, Avignon c’est déjà le nord de la France.
Vêtu légèrement, j’ai froid, trop froid. Je suis vite remonté à l’étage, ils m’attendent dans la voiture. Je récupère à la hâte une veste de cachemire et ressors, ils s’impatientent. Je prends place à l’intérieur du véhicule à l’arrière gauche, mon amie se trouve au centre, sa sœur est à sa droite. La troisième, l’aînée, se situe à l’avant gauche à côté de son fiancé, terme officiel utilisé depuis peu. Il se prénomme Jacques et conduit le lourd break Chevrolet du futur beau-père.
C’est le moment du départ, nous sommes jeunes, la vie est belle !…
Après avoir abandonné le chemin gravillonné, on s’engage sur la route contournant le village. À l’intersection de la nationale nous avons rendez-vous avec les amis de Jacques ; ils nous ouvriront la voie. Personne dans l’auto ne connaît l’endroit précis où nous devons nous rendre. Ce détail prendra toute son importance une vingtaine de minutes plus tard. Le Réveillon du jour de l’An étant bien sûr le but de notre sortie.
La pleine lune donne au paysage une physionomie inquiétante, pour ne pas dire angoissante. Peu de relief tout au long des plaines de la Crau. Les rangées d’arbres implantés sur des allées perpendiculaires à la route signalent au loin des mas provençaux. Les rares propriétés délimitées par des haies de cyprès à l’ouest, offrent aux habitants une relative protection au mistral. Quelques halos de lumière dans une atmosphère humide indiquent la présence de vie, en ce territoire désertique.
Je suis tiré de mes réflexions par des appels de phares. Nous nous arrêtons à proximité d’un véhicule de couleur rouge, dont je ne peux visualiser la marque dans la brume naissante. Jacques abaisse un instant sa vitre pour saluer ses amis qui me sont inconnus ; l’air glacial envahit brusquement l’habitacle. Des signes de mains, ponctués de paroles sobres, puis le véhicule effectue un demi-tour et passe devant nous. Nous voici repartis en direction d’Arles.
J’ose espérer que la salle où se déroule le Réveillon soit bien chauffée. Quelle idée de sortir si peu couvert en plein hiver, je n’en rate pasune !
Un léger coup de coude me ramena à la réalité du moment, mon amie m’interroge d’une voix douce. N’ayant pu saisir le sens de ses propos je lui réponds par une bise sur la joue, elle n’insistera davantage. À l’avant, Jacques et sa fiancée ne dialoguent guère plus, elle le dévisage. Lui, demeure concentré, le regard fixé sur les feux arrière du véhicule qui nous précède. Par instant, le scintillement rougeoyant semble disparaître, comme absorbé par les nappes de brouillard intermittentes qui balayent la route. Les virages se succèdent, nous balançant de gauche à droite. Je suis saisi de nausées, il faut dire que je n’ai rien avalé depuis le petit déjeuner.
Jacques peste maintenant contre son ami qui le distance.
–Il pourrait rouler moins vite, lance-t-il ! Je ne connais pas le parcours, nous allons finir par les perdre !
Trop lourde, la voiture louvoie sur la route rendue humide. Des lumières brillent à l’horizon, un panneau routier indique la présence de la ville de Saint-Rémy-de-Provence.
–Nous sommes sur la bonne route, lui dis-je pour le rassurer.
Jacques acquiesce d’un hochement de latête.
Nous laisserons Saint-Rémy. À la sortie d’un virage où les lanternes d’un passage à niveau clignotent, les barrières s’abaissent.
–On ne passera pas ! s’écrie Jacques.
Il appuie sèchement sur la pédale de frein, la voiture zigzague sur quelques dizaines de mètres avant de s’immobiliser. Devant nous, le véhicule pilote est passé. Son ami a-t-il perçu le signal clignotant ? Apparemment, non. Les feux de position s’éloignent dans le lointain, pour disparaître, englouti par l’obscurité.
Fantomatique, un train de marchandises défile sous nos yeux dans un bruit caractéristique.
Le convoi se fond dans la nuit, les barrières se relèvent enfin. Nous voilà repartis. La voiture tangue entre les allées de platanes alignés comme un jeu de quilles. Risquant un œil sur le compteur, je garderai le silence. Jacques ne m’a été présenté qu’aujourd’hui, je n’ose pas lui demander de ralentir. Un coup d’œil sur les sœurs qui ne paraissent pas effrayées, discutant de choses et d’autres. Bon ! Keep cool, Maxou, me dis-je.
Nous roulons toujours à vive allure, une courbe fonce à notre encontre, Saint-Étienne-du-Grès rapidement entrevu sur le panneau indicateur. J’ai pensé : Saint-Étienne ! C’est drôle en Provence…
L’auto donne l’impression de s’alléger, elle glisse… Non !… Elle vole… Enfin, je ne sais plus. Un arbre majestueux, impassible… Un bruit ! Un fracas…
Un fracas indescriptible, oui c’est cela. Plus aucun mot pour le décrire. Une explosion ? Peut-être. Bruits métalliques de tôles qui se déchirent, mêlées à celui de la chair qui se lacère, des os qui se brisent.
Des cris de douleur déchirent la nuit, des hurlements percent au cœur de notre cage d’acier devenue prison. La violence du choc en échos… Puis plus rien… Le silence…
Combien de temps s’est écoulé depuis l’impact ? Je ne saurais le dire. Présent sans y être vraiment, dans une sorte de demi-réveil, je perçois juste des gémissements. Je porte ma main au visage, c’est gluant, visqueux, mon nez n’est plus qu’une plaie béante. Paradoxalement, je ne ressens aucune douleur.
Jacques a pu s’extraire de cet amas de ferraille, ses cris résonnent :
–Je l’ai tuée… Je l’ai tuée… Sa voix s’étouffe dans un sanglot.
Moi, je voudrais m’arracher de cette voiture, mais ne peux bouger.
À l’avant, l’aînée des sœurs, la tête inclinée sur le thorax, agonise sur un souffle… Une flamme dans un soupir… s’éteint sur le fil de lavie.
À l’arrière, protégée de part et d’autre, mon amie semble avoir conservé sa conscience. Côté choc, la partie haute du corps de sa sœur a traversé la vitre latérale droite.
La tête me tourne, je désirerais les aider. Coincé par le siège conducteur qui a reculé, je ne peux me permettre aucun mouvement, seul le bras gauche reste dégagé. Un réflexe de protection sans doute. Un goût âcre envahit ma bouche, je déglutis, j’ai la nette sensation de m’étouffer. Je tente en vain d’évacuer ce sang qui obstrue ma gorge.
Au-dehors, un attroupement se forme, le véhicule perd de l’essence.
–La voiture va prendre feu ! s’égosille une personne présente.
Ce seront les dernières paroles entendues. Lentement mais sûrement, je m’enlise… Plus de sons, plus d’images… Un long tunnel m’aspire…
Le tunnel dispose d’une sortie. Où suis-je ?… L’éclairage scialytique diffuse dans la salle d’intervention une lumière froide, aveuglante, donnant à la scène un côté irréel. Tout est blanc. Éclairage, murs, ainsi que l’ombre penchée à mon chevet. Doux visage de Madone, un voile vaporeux reposant sur le front. Au bout de ses doigts délicats, une aiguille et dufil.
–Oui ! Veuillez coudre mes paupières, que je n’entrevois plus la cruelle lumière, lui murmurai-je.
Ce n’est pas sur mes yeux, mais sur mon nez qu’elle s’affaire.
–Surtout ne bougez pas, j’ai presque terminé, me susurre-t-elle, se penchant davantage surmoi.
Je voudrais lui crier : « Plutôt mourir qu’être défiguré ». Elle lit la douleur dans mes yeux, et me sourit avec compassion.
–J’ai fini de vous faire souffrir, me dit-elle.
Ses lèvres délivrent des mots que je ne perçois plus, je m’enfonce lentement aux eaux profondes d’un océan, un dauphin m’exhorte à le rejoindre. Je ne désire plus regagner la surface.
Je demeurais trois jours et deux nuits en totale immersion…
Lorsque je me réveille, deux flacons providentiels balancent du haut d’une potence, un médecin s’approche de moi. Belle, radieuse, Madone du paradis de l’autre vie, mais sans son voile.
Un rictus qui se voudrait un sourire anime mes lèvres tuméfiées.
–Bonjour docteur… Une voix nasillarde, assurément… mais j’ai parlé.
–Bonjour monsieur ! Je passe ce matin pour savoir si vous seriez en mesure de répondre aux questions des gendarmes, c’est au sujet de l’accident.
–Docteur ! Dans cet état ? Ce n’est pas sérieux !
Elle ne me répondra pas. Dotée d’une pince chirurgicale, elle retire avec précaution de mon nez une mèche sanguinolente. Je ne ressens aucune douleur, juste une sensation désagréable, et cette mauvaise impression au vu de la longueur de la mèche. Le cerveau va-t-il suivre ?
J’avais déjà vu lors d’un carnaval à Nice, un saltimbanque extraire de sa bouche des foulards multicolores sur plusieurs mètres. Un médecin prestidigitateur ? Bravo docteur ! Le tour est réussi.
–Je vais vous placer une compresse. C’est encore un peu tôt, les gendarmes reviendront un jour prochain.
–Merci docteur de me laisser le temps de retrouver mes esprits.
–Restez tranquille ; plusieurs poches de sang vous ont été administrées.
Je ne réagissais pas de suite. Elle se sauvera sans autres explications.
À nouveau seul dans cette chambre, le parfum voluptueux de la “Madone” flotte dans l’air. Simple suggestion d’un cerveau languissant, un cerveau lent, sans jeu de mots. Bien sûr, aucune fragrance n’est susceptible de traverser les compresses qui obstruent monnez.
Plus tard, une infirmière m’apportera son aide pour l’alimentation.
Je lui demande alors des nouvelles de mes amies. Une moue se dessine sur ses lèvres.
–Elles sont dans une chambre voisine, m’affirme-t-elle.
–L’aînée des sœurs aussi ? Celle qui se trouvait à côté du chauffeur ?
–Elle est décédée, me répondit-elle d’un air navré.
Cela confirmait mon intuition. La fiancée de Jacques n’avait pas survécu à l’accident.
–Et le conducteur de l’auto ?
–Il est sorti de l’hôpital, il désirait vous voir avant de partir, mais vous étiez encore en salle de réveil.
Je remerciais l’infirmière, elle quitta la pièce. Dans un jour ou deux, je pourrai me lever pour rendre visite à mon amie alitée auprès de sa sœur dans une chambre voisine. Bizarrement aucun empressement n’est ressenti.
La vie reprenait en moi. Ce sang salutaire, don de personnes anonymes, alimentait mon cœur, réchauffait mon corps ; un soupçon de vie d’autres mortels. Allais-je conserver mon côté sensible, ce côté… androgyne ?
Éternel incompris de la gent masculine, je n’y comptais que peu d’amis, hors ceux de l’école des Arts Décoratifs, un milieu bien plus ouvert à la diversité. Mes amis étaient des amies. Les femmes, naturellement empreintes de sentiments leur permettant de mieux appréhender la personnalité d’un être tourmenté.
La nuit fut agitée. Arcanes de l’enfance, blessures de l’âme, que de tristes souvenirs m’assaillent ! Aujourd’hui je n’en parlerais pas, cela demeure mon jardin secret, loin de l’Éden, plus proche de l’enfer. Je manquais de peu le rejoindre en ce 31 décembre dernier.
Deux jours s’écoulèrent sans grands intérêts. Un plâtre provisoire posé sur mon nez réduirait les fractures.
Enfin je pus me lever, poursuivi par une ombre, celle de la potence… Potence !… Quelle appellation pour du matériel dédié à participer au rétablissement physique. Pourquoi pas un gibet ?
Très tôt dès la prime enfance, au fil des ans, pièce par pièce, je me suis constitué une armure. Cette protection se révèle fragile, elle n’a jamais eu le pouvoir, hélas, de me protéger des blessures de lavie.
Une odeur indéfinissable s’exhale de cet hôpital. Demain je demanderai à quitter définitivement cet établissement. Je suis attendu dans la ville de Nîmes où a débuté un stage en architecture d’intérieur. J’espère pouvoir encore l’intégrer.
Tout à mes pensées, je m’égare dans les couloirs déserts à cette heure de repas ; la potence se fait lourde. Je m’arrête devant un cabinet de consultations où trône une table basse du meilleur effet. Me baissant, j’y saisis un journal ; il date du début de la semaine. Je rejoins ma chambre.
Installé le plus confortablement possible sur mon lit, je feuillette le quotidien, quand un titre en caractères gras m’apostrophe. « Terrible accident à Saint-Étienne-du-Grès. Un mort, trois blessés graves. » Suis un article que je ne lirai pas. Je referme le journal, le pose sur la table de chevet. Ce sera tout pour aujourd’hui.
La semaine suivante, je quittais l’hôpital après avoir revu mon amie qui se remet d’une triple fracture du bassin. Aucune allusion au décès de sa sœur. Elle est trop affaiblie, et n’en avait pas encore pris connaissance.
J’intégrais enfin mon stage avec un retard qu’il me faudra rattraper. Épuisé, mais heureux de tourner une page de mon existence.
Je fus très rapidement surnommé “Belphégor” à cause du plâtre posé sur mon nez. Le reste du visage ayant pris, quant à lui, une couleur violacée.
Dès que possible, promis, je retournerai auprès de ma petite amie pour la soutenir dans l’épreuve qu’elle traverse.
Si j’ai relaté cet accident survenu au soir d’un Réveillon jamais fêté, c’est tout simplement pour la raison suivante :
Dans le lot de sang reçu en transfusion y figure une poche que l’on peut qualifier de « DOUTEUSE. »
Le prouver est impossible, l’incertitude demeure.
À ce jour, c’est la seule explication plausible avancée par le corps médical, confirmant ainsi mon exposition au virus duVHC.
Mes résultats soigneusement glissés dans une enveloppe, j’emprunte la rue qui conduit au pub où j’ai promis à Marylou de la retrouver. Une demi-heure… Tu parles ! Cela fait pratiquement une heure que je l’ai quittée.
Ce n’est pas le moment de flâner. Je bifurque sur la gauche, traversant l’emplacement du marché installé tout au long de l’esplanade et qui s’essouffle aux abords du port. Couleurs et senteurs de Provence, aspirer la vie, ne plus envisager lepire.
Les clameurs se rapprochent. J’aborde désormais l’allée centrale où, de part et d’autre, les étals colorés abondent de produits régionaux. Je longe le port laissant derrière moi la crêperie du Roy d’Ys où l’été, le soir venu, j’aime venir m’installer en terrasse. Marylou est là, je l’aperçois. Elle discute avec une jeune femme originaire d’Italie, qui a créé dernièrement un commerce de prêt-à-porter où je trouve enfin de quoi me vêtir.
Je m’approche du couple de demoiselles, souris à Marylou, dépose deux bises sur les joues de Christina, la belle Italienne. Marylou m’interroge du regard, et face à mon manque de réaction évidente, me demande :
–Alors ces analyses ?
–Rien de grave Marylou, rien de grave…
À ses yeux, je vois bien qu’elle se doute de quelque chose. Elle n’insistera pas, pensant à juste raison que la présence de Christina me dérange.
Je tiens toujours dans la main la bombe à retardement du labo, même s’il m’est possible d’attendre, j’ai bien envie de me rendre chez le médecin.
Je pris Marylou à part lui expliquant la situation, en lui promettant de la tenir informée de monétat.
Finalement, après avoir salué mes amies, épuisé psychologiquement, je rentrais chezmoi
Le jour suivant, après une nuit agitée, je me rendis en fin de matinée chez le médecin.
Docteur Andrei ! Marathonien de l’existence… Le SAMU la nuit, le cabinet le jour, et s’il dispose d’un peu de temps, une pomme pour seul repas le midi. Essuyant des kilomètres d’asphalte lors de ses rares moments de loisirs, il participe à des marathons. À l’aube de la cinquantaine, aucun gramme de graisse. Une santé insolente.
Lors de notre entretien, il ne me cachera pas la gravité de mon état. Pourtant, hormis le taux de transaminases élevé, la suite des analyses médicales ne présentait rien d’alarmant. Bien sûr il y a ce fameux test ÉLISA qui marque ma séropositivité au virus.
Il me proposa d’appeler un confrère spécialisé en gastro-entérologie. J’accepte d’un clignement des yeux. Rendez-vous pris, je quitte le cabinet le laissant en tête à tête avec sa pomme. Une Pink Lady de préférence.
–Courage Henry-Max ! me cria-t-il la porte du cabinet franchi.
Je ne serai pas rassuré pour autant. Ce qu’il m’avait laissé entendre ne présageait rien de bon. Une confirmation néanmoins : « Il n’existait aucun traitement à ce jour. » Le seul point positif, si je puis m’exprimer ainsi, semble être que le virus de l’hépatite C, contrairement à celui de l’hépatite B ou du Sida, n’entraînait aucun risque de contamination sexuelle. C’est déjàça !
Dehors, le ciel azur ne chassera pas ma peine, une sensation troublante m’assaille. Je ne serai plus le même. Un mal étrange s’est accaparé de mon corps. Le pas devenu lourd, l’ombre d’une croix se profile à mes côtés ; la mort voudra-t-elle surseoir ?
Me dissoudre lentement, emporté par les ténèbres absconses, voilà ce que m’offrait ce virus qui, pernicieusement, prenait possession de mon être. La mort, je l’avais déjà affrontée. Par trois fois, ses ailes me frôlèrent, par trois fois, je lui avais souri. Aujourd’hui tout était différent. Cette longue agonie annoncée ne me permettait certainement plus d’envisager un avenir. L’abandon des personnes précieuses à mon cœur, peu nombreuses, certes, mais tellement vitales pourmoi.
Lélia bien sûr. Amour passion, l’intense émoi. Thibaud, toi, mon tendre enfant, être de douceur, calme et serein.
Toi aussi, l’ex-épouse, amie plus qu’amante tout au long de ces années partagées, notre séparation me laisse un goûtamer.
Sans ce terrible accident survenu en 1974 et qui nous souda sur l’instant, nous serions-nous mariés ?
Il fait beau dehors, pourtant j’ai froid. Ne sachant plus où aller, je m’en retournais chez moi. Lélia y est absente, tant mieux ! Je ne saurais que lui dire sur l’instant.
J’arpente le salon de long en large sans pouvoir me poser. Brève hésitation. J’étouffe ici ! Je ressors, comme poursuivi par le diable.
Bien installée sur sa béquille, ma Yam’s Super Ténéré m’attendait sagement au garage. Caressant sa robe au blanc nacré, je l’enfourchais. Répondant immédiatement à mes sollicitations, je mis les gaz, départ pour je ne sais où, la porte du garage restera ouverte.
L’air vivifiant m’enivre. Les cheveux au vent, j’en ai oublié de mettre mon casque. Qu’importe ! Je suis libre… Je suisfou…
Les courbes s’enchaînaient en contre-braquage. Grisé par la vitesse, à la recherche des limites de l’adhérence, le ruban de bitume se déroulait devant moi. Ce frisson, seule une moto est capable de vous l’offrir.
De retour de cette escapade, je me garais sur le port. 16 h au clocher de l’église. Je rejoins l’agence immobilière afin de récupérer les clés du “petit bijoux”, au dire du gérant.
Lélia et moi venions d’acquérir un appartement d’à peine 80 mètres carrés situé sur les hauteurs de Bandol. En attendant de s’y installer, Lélia avait préféré venir partager mon toit à Sanary, par « amour », m’avait-elledit.
La résidence des Katikias, formée de plusieurs édifices s’élève sur deux étages et forme trois vagues successives. On accède à l’appartement par une entrée de plain-pied. Un escalier plonge sur le séjour, laissant découvrir une vaste terrasse avec une vue sur la baie de Bandol.
À ce moment précis, je suis heureux. Nouvel amour, nouveau nid. Le bonheur ! Tout simplement.
L’imposante baie vitrée occupe toute la largeur de l’appartement. Je m’installais alors sur un transat fatigué, sans doute délaissé par les anciens propriétaires. Tout en appréciant le panorama, mon regard suit les voiliers voguant sur une mer qu’anime un léger mistral. Le soleil de ce doux mois de mai parvient enfin à réchauffer mon corps. Pour la première fois de cette journée éprouvante, la lueur d’une étincelle survole mon esprit fantasque, avant de se lover tout contre mon cœur. Une petite voix intérieure m’interpelle :
–Et si tu acceptais de te battre ? Et si tu détenais le pouvoir de guérir ?
Et si… et si… On a bien le droit de rêver !
Partir à l’assaut de ces milliards de virus, ennemis invisibles. Sont-ils invincibles ?
Rebondissant d’une pensée à l’autre, c’est à Lélia maintenant que je songe. Elle ne sut trouver mieux que cet oiseau rare soudain épris de liberté qui l’entraînait sans coup férir vers une fuite en avant. Comment l’informer de ma séropositivité sans l’égarer davantage ?
L’amour pour tout arme, devais-je attendre le dragon tapis dans les eaux troubles du Styx, prêt à parachever son œuvre de destruction ?
La lutte paraissait inégale. Revêtu de ma simple armure forgée aux larmes amères, me resterait-il une chance ?
Stop Henry-Max ! Range tout ce beau monde aux oubliettes. Tu es venu dans l’intention de relever des mesures pour établir des plans. N’étais-je pas diplômé en architecture d’intérieur ? Alors il est temps de se bouger. Lève-toi, abandonne ce transat hors d’âge ; la mer ne va pas s’évaporer.
L’électricité n’étant pas encore raccordée, le déclin du jour m’obligera à quitter rapidement notre future “aire.”
Je rejoignis ma moto. Longeant la piscine de la résidence, un halo de lumière balaye l’allée des Katikias. Fugace, l’ombre dantesque d’un équipage hétéroclite s’y dessine.
J’abandonne derrière moi l’ensemble résidentiel. Direction Sanary.
Je roule tranquillement, appréciant la douceur du soir naissant. Déjà l’Eden-Park se profile au détour d’un virage, dix minutes à peine.
J’ai coupé le moteur. La sérénité d’un lieu noyé dans la verdure, loin du bruit, mais si près de tout, soudain devenu trop étroit pour notre couple.
C’est détendu, allongé sur le sofa, enveloppé par une douce sensualité sans doute venue d’Orient, que j’attendais patiemment le retour de Lélia.
Son avion atterrissait à 22 h sur l’aéroport de Hyères.
Promis, je saurai me battre. Surtout ne pas affoler Lélia par des propos dictés par lapeur.
Je me suis assoupi, la nuit est tombée sur Sanary… Soudain, un léger coup de klaxon me tire des rêveries où je m’étais laissé glisser.
Je me lève d’un bond, me prends au passage les pieds dans le tapis, manque me vautrer sur la table du salon, avant d’actionner la lumière pour me rendre sur le balcon. Elle estlà !
Lélia descend du taxi. Sous l’éclairage du parc, sa silhouette flotte enveloppée d’une aura. Vêtue d’un sobre tailleur Chanel, son regard se porte à ma hauteur. Un large sourire égaie son visage.
Du premier étage, je la regarde, immobile, comme en arrêt sur image.
En moi naît un étrange sentiment d’infériorité. Lélia dégage une élégance intemporelle, je ne me sens plus au diapason. Est-ce la maladie ?
Une main s’est posée sur mon épaule, celle d’une fée… D’une voix douce, elle me susurre à l’oreille :
–Ne te dévalorise pas, souvent le cœur guide les pensées. Aime-la comme elle t’aime.
Un éclair traversant mon corps l’anime ; je quitte la pièce, franchis la porte palière et dévale les marches qui me séparent de Lélia. Je manque heurter le chauffeur de taxi qui la précède en portant les valises. Je me jette dans ses bras, nos lèvres se joignent dans un long baiser qui laisse impassible le chauffeur de taxi qui en a vu d’autres.
Plus tard, à l’énoncé des résultats de mes analyses, Lélia ne cillera. Imperturbable, elle m’a écouté sans m’interrompre, puis je me suis tu. Le silence plombe l’atmosphère dans le séjour où nous nous trouvons.
–Nous lutterons ensemble ! Tu vas guérir ! me lança-t-elle.
Lélia ne dira rien de plus à ce sujet, aucun apitoiement. Rester digne en toute circonstance. Une page était tournée.
Deux jours défileront dans la volupté d’un amour retrouvé, voyage au cœur de l’insouciance. À l’abri sur notre nuage, subsiste un doux mirage.
Il est à peine 8 h ce matin-là, le café fume encore dans les tasses disposées sur le guéridon. Plusieurs tartines de pain brioché déposées sur une assiette espèrent une couche de beurre salutaire qui apaiserait les brûlures causées par le toaster. La sonnerie du téléphone nous tire tout à coup de notre léthargie. L’entreprise contactée pour effectuer les travaux sur Bandol est dans l’attente du plan pour établir le devis. Je rassure la secrétaire et lui promets qu’elle en disposerait le lendemain.
J’expédie le petit déjeuner avant de prendre place devant la table à dessin qui trône dans le séjour. J’y serai plus tranquille qu’au cabinet. Il me reste moins de 24 h pour achever le projet.
Une semaine plus tard, dès les premières heures, les travaux démarraient. L’aménagement, lui, était prévu début juin. La réalisation de la cuisine fut confiée à Arielle, une amie collaborant avec moi tout au long de l’année en qui j’accordais ma confiance. Eh oui ! Encore une femme.
Les allers-retours inopinés de Lélia entre le siège de l’entreprise qui l’employait et l’agence Toulonnaise, nos horaires décalés, ne nous autorisaient pas l’organisation d’une vie de couple.
Tout rentrera dans l’ordre avant la fin de l’été, m’assurait-elle.
Aujourd’hui en première visite, je rencontrerai un gastro, suite au rendez-vous pris par mon médecin traitant. Le moral, souvent dans ces moments de solitude, redescend au ras des pâquerettes.
Docteur Brunet, gastro-entérologue de son état. Je n’aurai guère le temps de visiter la salle d’attente ; il m’invite à entrer.
Je m’installe dans le fauteuil qu’il me propose ; de bonne facture, je dirai un Steiner revêtu de cuir pourpre, que sépare un bureau de style Empire. Suspendues à une cimaise, deux toiles, dont une me fascine particulièrement. Peinture contemporaine d’une force impressionnante, l’artiste m’est inconnu.
Le médecin s’affairait un instant dans la pièce, classa un dossier et prit place, son fauteuil gémissant sous le poids.
La quarantaine, jovial, il se saisit d’une pelure jaune. Suis-je en droit de dire… jaune hépatite ? Au feutre, il y inscrivit mon nom en majuscule.
–Voilà ! me dit-il. Je pense que vous êtes venu avec vos résultats ?
–Oui docteur !
Je lui tends les feuillets qu’il parcourt, il fronce les sourcils et me lance :
–Dans l’état actuel des connaissances médicales, je ne pourrais hélas ! vous être d’un grand secours. Ceci dit, relativisons tout de même. Dans un premier temps, il serait souhaitable de pratiquer une biopsie du foie. Sous anesthésie générale je prélève une carotte de quelques millimètres de l’organe en cause, ce prélèvement permettra de déterminer l’état réel du foie. Le taux de Knodell qui en résulte est gradué de 0 à 24 ; 24 étant un signe de cirrhose décompensée. D’après les analyses que j’ai devant les yeux, vous en êtes loin. Si vous le voulez bien, je prends rendez-vous de suite avec la clinique.
J’ai eu du mal à suivre… Je m’entends lui répondre :
–Oui docteur, je vous enprie.
Le médecin s’empara du téléphone, tout en continuant le dialogue.
–Sur vos résultats sanguins, on peut s’apercevoir que le taux de transaminases, surtout les SGPT, exprimant la détérioration du foie, semblent élevés. La bilirubine ainsi que les phosphatases alcalines le sont également. Sans aller… Euh… oui, allô !…
Après un moment de communication, il m’apostrophe à nouveau :
–Monsieur Delyson ! Mercredi 10 h. Cela vous convient ?
J’acquiesce d’un signe de latête.
Il raccrocha. Se frottant les mains de satisfaction, il enchaîna :
–Alors oui ! Où en étais-je déjà ?… Ah… Je ne pense pas que l’on soit obligé d’en arriver là, mais sachez cependant qu’il reste une alternative. Enfin… si l’examen se révélait défavorable, une transplantation hépatique est réalisable de nos jours. Pour cela, une inscription sur une liste d’attente est nécessaire pour l’obtention d’un greffon.
–Une greffe docteur ! Il n’existe pas une autre solution ?
–Nous n’en sommes pas là, sachez que cela demeure une possibilité.
Troublé par la perspective d’une greffe, je ne lui poserai plus de question. Le docteur Brunet me raccompagna jusqu’à l’entrée, puis referma la porte derrière nous. Rendu à l’extérieur il me gratifia de quelques mots :
–Allez ! Ne vous inquiétez pas trop Henry-Max. À très bientôt.
Il disparut à gauche, moi, hésitant un instant, je pris à droite. Je déjeunerai chez Mac’Sym sur le port. Profitons des petits bonheurs accordés par l’existence.
Je parviens rapidement au restaurant ; aucun rapport avec l’enseigne réputée de la rue Royale à Paris. Une dissimilitude dans l’orthographe ne saute pas aux yeux au premier abord, autorisant à la prononciation l’amalgame. M’installer à la terrasse, le ciel menaçant ne m’y incite guère.
À l’intérieur, je peux percevoir le fond de la salle noyé dans une brume épaisse émise par les cigarettes. Depuis ma sortie du tabagisme, il y a maintenant cinq ans, je ne supportais plus cette fumée irritante et l’odeur froide du tabac qui en résultait. Je traverse la salle, hésite un instant, puis ressors, et quitte Maxim’s pour un lieu plus calme… Pardon ! Mac’Sym.
Entre-temps, le ciel semblait partiellement se dégager ; de gros nuages menaçants s’enfuyaient vers d’autres contrées.
Sur les bords de plages, aux confins de Six-Fours et Sanary, je dénichais mon havre de paix afin de me restaurer, pieds dans l’eau garantie. Une assiette de fruits de mer me comblera.
Un ami photographe de plage l’été, à Val-d’Isère l’hiver, faute de mieux en ces temps difficiles, me rejoignait. Terminant tout juste mon repas nous prenions un café ensemble.
Christophe méritait plus de considération. Les clichés criants de vérité pris lors d’un reportage en Roumanie n’obtenaient qu’un succès d’estime lors d’une exposition qui eut lieu à Arles. Méditons sur cette phrase :
« la critique est aisée mais l’art est difficile ». Je n’ai pu retenir l’auteur de cet aphorisme.
Aux environs de 17 h, nous nous sommes séparés. Je m’en trouvais ravi de l’avoir croisé. Il y a des moments où la vie a des saveurs réconfortantes.
Je suis retourné chez moi la tête pleine d’images. Comme une ombre, un petit chien à la bouille marrante me suivait.
Rendu au seuil de la résidence, je me retourne, il est toujours là assis bien sagement. Abandonné ? Cela m’étonnerait ! À y regarder de plus près c’est un Yorkshire ; perdu alors ? Peut-être. De plus, il semble bien entretenu. Je pousse la porte vitrée de l’entrée, il me suit : me regardant avec son air malheureux, il incline sa tête délicate. « Tu ne vas pas me laisser dans le hall » ! semble-t-il vouloir me dire. Je le prends sous le bras et grimpe en sa compagnie l’étage qui nous sépare de l’appartement. À peine lâché, il file en reniflant le sol dans tous les sens et tombe en arrêt devant le réfrigérateur. Le frigo est pratiquement vide, que vais-je lui donner ? Un reste de dorade ? Un filet de poulet ? Poulet ! Cela me semble plus logique. Dans une tasse, je lui donne aussi de l’eau, qu’il délaisse. L’heure tardive ne me permettra pas de contacter la SPA, il dormira ici. Vu sa taille, je lui trouverais bien une place.
Soudain le téléphone résonne dans la pièce, cela a pour effet de me ramener à la réalité. Je décroche le combiné.
C’est Lélia qui me surprend. Je lui retrace mon aventure avec le York, tout en restant discret sur le rendez-vous matinal auprès du médecin. Aucun mot sur la biopsie programmée, préférant m’attarder sur la rencontre du petit chien.
–Henry-Max, tu ne prévois-pas de l’adopter ?
–Non… non, demain je le déposerai à laSPA
–OK, prends soin de toi… tu sais je t’aime, murmura-t-elle.
–Moi aussi Lélia ! Mais dis-moi, quand reviens-tu ?
–Hélas, je ne reviendrai pas avant une bonne semaine.
–Super Lélia !
–Comment ça “super” ! On dirait que cela t’arrange ; ce ne serait pas la petite Marylou qui par hasard… ?
–Pas du tout petit cœur, que vas-tu chercherlà !
–Tu le sais Henry-Max, je suis jalouse et fort capable de rentrer cesoir.
–C’est comme tu veux Lélia, se serait avec plaisir.
Ce contentement ressenti en apprenant qu’elle serait absente le jour de la biopsie, comment le lui expliquer sans relater ma visite au médecin ?
Heureusement notre entretien devenu plus intime nous éloigna d’une conversation périlleuse, elle débordera allègrement la demi-heure.
Je repose le combiné sur sa base, mon oreille est chaude, d’ailleurs il n’y a pas que l’oreille, tout mon être a eu chaud. Des yeux, je cherche le York. Il est tranquillement lové sur le sofa et me regarde, les deux pattes supportant son museau. Je crois qu’il a trouvé sa place pour la nuit. C’est de cette manière que Titus entra dans notre vie. Pourquoi Titus ?… Pourquoipas !
Comment pourrai-je délaisser à la SPA une peluche aussi craquante !
La biopsie eut lieu comme convenu. De cet examen, seule une vive douleur à l’épaule persistait. Quel rapport avec le foie ? Mafoi !
Je prendrai possession des résultats sous quelques jours, en attendant je vaquais à mes occupations, partagé entre notre appartement, le chien et bien sûr mon job. En ce moment, je m’efforce tant bien que mal de suivre et de gérer l’agencement de plusieurs commerces répartis entre Nîmes et Fréjus. Je partage de plus en plus ces tâches avec un jeune diplômé en qui j’ai toute confiance. Engagé depuis peu, il se montre très impliqué.
Je songe à m’orienter vers une activité moins stressante, plus en adéquation avec l’affection hépatique qui contrôle ma vie. La fatigue devenue chronique… Priorité à l’éradication du mal qui me ronge.
De retour à Sanary depuis trois jours, Lélia trouvait Titus adorable, elle préféra le nommer Titusson. Je ne sais plus lequel des deux adoptera l’autre.
Un soir, au cours du dîner, Lélia craqua soudainement, son travail l’épuisait. Elle me parla de ses allées et venues entre le siège parisien et l’agence de Toulon qu’elle dirigeait dorénavant. Elle voulait donner sa démission ; tout plaquer. À cet instant, une petite lumière jaillit de mon esprit.
–Lélia !… Si l’on créait un deal tous les deux, une activité plus en symbiose avec notre façon de concevoir lavie ?
–Henry-Max, mon amour, tu as raison. J’ai envie d’être au plus près de toi. Pourquoi ne pas alors entrevoir autre chose.
–Justement Lélia, j’y ai songé. Il est vrai que j’éprouve des difficultés en ce moment. Les clients, les suivis de chantiers, j’ai parfois l’impression d’être dépassé, usé, lessivé… Imagine si demain j’étais hospitalisé.
–Pourquoi tu ne te déchargerais pas sur Jean-Paul, il est compétent ! Tu le trouves génial ; propose-lui une association, des parts du cabinet…
–Pourquoi pas Lélia, j’y ai pensé, réfléchissons… On en reparlera plustard.
–D’accord ! Je trouve cette idée super. La vie est si courte.
Dame instabilité avançait ses pions sur l’échiquier de notre vie. Pour ça au moins, c’est sûr, Lélia et moi formions un couple.
Lélia, Titusson et moi prîmes ce matin-là la direction du centre-ville de Sanary ; docteur Brunet point de chute en ce qui me concernait. Pour mes accompagnateurs, l’occasion d’une balade sur l’esplanade du port s’avérerait plus agréable que de vouloir suivre le vilain petit canard souhaitant connaître l’avancement de son foie, l’espérant en meilleur état que celui de ses congénères, gavés à les rendre malades.
Tout en gravissant les marches menant au cabinet médical me revinrent les paroles d’une comptine, souvenir lointain appris sous le préau d’une cours de récréation :
« Il était une fois, une marchande de foie, qui vendait du foie » etc.etc.
Je pourrais poursuivre ainsi la comptine :
« Je me dis ma foi, est-ce la dernière fois, que j’ai tant les foies. Éternel, en ce jour d’effroi, sublime ma foi, et par-dessus tout, n’oublie pas mon foie. » Par avance merci.
Bancal le texte ?… D’accord !… Mais la peur, elle, est là, bien présente.
Le docteur Brunet dispose des résultats depuis la veille ausoir.
J’y étais face à ce bon docteur, un hyperactif, animé de tics nerveux.
Au plus profond de mon être règne la tempête, pourtant mon calme apparent le déconcerte. Après un salut d’usage, il m’interpelle :
–Mille excuses Henry-Max, les résultats devraient se trouver sur la pile des dossiers. C’est toujours la même chose, la secrétaire range le bureau… enfin ! Où a-t-elle bien pu poser cette foutue enveloppe ?
Une certaine panique s’empare de lui, elle pourrait devenir contagieuse sous peu. Les minutes d’attente paraissent des heures.
–Dites-moi docteur… Ne serait-ce pas cette l’enveloppe dépassant sous le Vidal ?
–Quoi ! Oùça ?…
–C’est bien un Vidal, là ? Eh bien sous le Vidal !… l’enveloppe.
De l’index je lui montre l’objet de mon impatience, il sourit, me regardant.
–Je savais bien qu’elle était sur le bureau. C’est sur la pile de dossiers et non sous la “Bible” que cette enveloppe devait se trouver.
Sûr de son effet, il éclate de rire tout en ouvrant l’enveloppe à la pointe d’un stylo ; il y retire un feuillet qu’il déplie. Apparemment, il en prenait connaissance en même temps quemoi.
–Bon… Bon, le résultat n’est pas si alarmant que je le supposais, me lança-t-il. L’indice de Knodell est de quatre, l’activité du virus demeure modérée. Tant mieux ! Il est tout de même urgent d’agir. Je ne peux, hélas, vous aider davantage, par contre, j’ai pu lire sur un bulletin médical l’exposé d’un confrère… Cet article stipule… je vous passe les détails. Revenant de Boston, il a élaboré en collaboration avec des homologues américains, un traitement permettant de ralentir, voire, de stopper la progression du virus ; ce qui représente déjà un grand pas en avant.
Il me tend la revue ouverte à la page de l’article ; le portrait souriant du médecin y figure, encarté en haut à gauche. Je parcours l’exposé qui suit, puis lui rends son magazine.
–Si vous voulez Henry-Max, il est possible de prendre un rendez-vous pour un avis. Il exerce à Cannes la Bocca, institut Franck Arnold. Je vous note ses coordonnées. Tout en écrivant sur un post-it, il rajouta :
–Bien entendu, vous me tenez au courant. Je compte sur vous !
Sur ce, il se lève, me raccompagne à la porte du cabinet, me souhaitant bonne chance. Je ne peux m’empêcher de penser à ce moment précis, qu’il a un petit côté illuminé, ce médecin.
Sorti à la hâte du cabinet, je rejoins Lélia et Titusson comme convenu.
Rentrés chez nous, des messages m’attendaient sur le répondeur. C’est Lélia qui en prit connaissance. Pendant ce temps, j’installais un disque de Zucchero dans le lecteur de la chaîne hi-fi. Je m’étais déplacé sur Marseille afin d’acquérir cet ensemble de marque Denon. La pureté du son émis, me transportait.
Lélia qui relevait les messages interrompit net mes rêveries.
–Dis-moi ! Qui est réellement cette Marylou ? Tu lui as promis une partie de tennis, elle patiente, t’envoyant de gros smacks. Attention !…
–Oui Lélia c’est une amie, ne t’inquiète pas, comme tu as pu l’entendre, elle patiente.
–D’accord !… Tu sais que demain je dois m’absenter pour cinq jours ?
–Oui je sais, promis je serai sage comme une image.
Lélia esquissa un sourire narquois, puis disparut dans la chambre. C’est certain elle me boude.
Temps légèrement couvert… Marylou est rayonnante. 6/2 – 6/1… Dégagez ! Il n’y a plus rien à voir… Une véritable leçon de tennis.
–Tu n’as pas l’air en grande forme Maxou aujourd’hui.
En plus, ne se moquerait-elle pas de moi ? Expédier si rapidement la partie, j’ai comme l’impression qu’une idée lui trotte dans la tête ; je ne tarderai pas en avoir confirmation.
–Si on allait faire un tour à moto ? J’aimerais prendre un premier bain à Bandol, il fait si chaud. Tu veux bien ? Dis oui Maxou ! me lança-t-elle d’un air coquin.
Elle a une façon de demander les choses. Comment lui refuser… Je me suis entendu lui répondre : « Pourquoi pas ! »… Et nous voilà partis.
Un ballet de Caterpillar dans un nuage de sable blanc ratisse la plage de Bandol, impossible de s’y baigner. Nous continuons notre route en direction de La Ciotat, que nous laissons, pour terminer notre virée aux portes des calanques de Cassis. Trente kilomètres de plus à moto, cela reste un plaisir, même si en me rendant au garage de la résidence afin de récupérer un casque pour Marylou, j’eus une pensée émue pour notre Alfa Roméo rouge et ses six cylindres au repos. La belle demeurera remisée dans l’attente d’un retour d’affection.
Aucun nuage sur Cassis, un avant-goût de vacances en cette fin de matinée. Après avoir quitté la nationale, nous aborderons les chemins défoncés de la garrigue provençale ; la Super Ténéré, vaisseau du désert, se joue de ce terrain caillouteux qu’aucune voiture ne peut venir déflorer. Marylou connaît cet endroit perdu, pas moi. La crique qui stoppe notre course est déserte. Je n’ai pas eu l’idée d’amener un maillot, ni un drap de bain. Seules deux minuscules serviettes de tennis occupent le top case de lamoto.
–Terminus ! s’écrie Marylou, heureuse de l’effet de surprise provoquée. Allez Maxou vient te baigner ! Ne fais pas ton timoré !
Joignant le geste à la parole, elle se dévêtit. Sa silhouette nue m’apparut comme découpée au scalpel. Une ligne parfaite dans le contre-jour.
La courbe diabolique de ses hanches ondula devant mes yeux un long moment. Marylou est encore plus belle que je ne l’imaginais.