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Les Survivantes, ce sont de petites tranches de vie : Gabrielle confrontée au harcèlement professionnel, Maggy et son patron sans scrupules ou Marie qui se cherche et se perd au fil de ses rencontres sentimentales. C'est aussi "Manon dans la cave", ou le monde tel que pourrait le raconter une enfant de cinq ans confrontée à la douance dans une famille dysfonctionnelle.
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Seitenzahl: 200
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Le temps est venu de raconter,
parce que nous sommes
prêtes à entendre.
Le temps est venu de raconter.
Le temps est venu.
Le temps.
Pour Monique, Jacqueline, Françoise et les autres qui se reconnaîtront.
GABRIELLE ET LE NOIR DÉMON
MAGGY – UNE ANNÉE DE MERDE
MANON - DANS LA CAVE
LA FEMME DU PEINTRE
MARIE – LA SALOPE
ECRIRE… OU PAS
Je m’appelle Gabrielle. Je vis dans un milieu professionnel où sévissent des ventrus ordinaires et des vantards bipolaires persuadés de maîtriser les faits et les gens. Ce sont de dangereux prédateurs.
Ils semblent être des personnages surréalistes. Au fur et à mesure de votre lecture, vous vous direz : Ce n’est pas possible… Elle invente… Non. Croyez-moi. Tout est vrai. J’ai juste changé le nom de ces empereurs autoproclamés. Ce sont les plus dangereux. Mais ce n’est pas important, car ils se ressemblent tous, ces managers à l’égo démesuré. Ils recrutent de lâches lieutenants à compétences à peine suffisantes pour comprendre un manuel d’instructions. Ils les choisissent enclins à la flagornerie et tout aussi manipulateurs qu’eux-mêmes. Préférence est donnée à ceux qui se pensent jeunes loups aux dents longues, qui rêvent de devenir calife à la place du calife, mais ne seront jamais que de malhabiles chiens de troupeau.
Les côtoyant au quotidien, plus d’une fois je me suis dit : Si ce n’est pas eux qui sont fous, alors c’est moi… Et puis un jour, Simon, mon voisin de bureau, est mort et j’ai pensé : ils vont me le payer.
- Je viens d’apprendre pour Simon.
- Pour Simon ?
- Son papa a téléphoné au service du personnel.
- Son papa ?
- Il a juste dit qu’il était mort, mais on n’en sait pas plus.
- Qu’il était mort ?
A force de m’entendre répéter bêtement la moitié de ses phrases, mon interlocuteur a fini par se rendre compte que je tombais des nues. Il venait sans doute pour quémander quelques détails, mais comprenant son erreur, il s’est excusé et a raccroché.
Simon est mort. Quelle horreur !
J’ai tout de suite pensé à un accident de la route. What else pour mourir à trente ans à peine ? Complètement anesthésiée par la nouvelle, je suis restée un long moment dans mon bureau, ne sachant que faire avec cette terrible nouvelle. A travers la cloison, j’entendais des collègues rire aux éclats, sans doute en train de se raconter les quelques anecdotes marrantes de leur week-end. Quand je les ai rejoints près de la machine à café, à voir ma tête, ils ont tout de suite compris qu’un malheur était arrivé.
Nous avons eu la confirmation officielle du suicide de notre jeune collègue l’après-midi, à une réunion de travail avec le Directeur de notre division. Il est entré dans la salle et a juste dit : Comme vous le savez sans doute, Simon s’est suicidé. Dimanche chez son papa. Il faut dire qu’il était un peu fragile. Il avait sans doute de gros problèmes personnels. Nous le regretterons beaucoup car il travaillait très bien. Puis il a demandé une minute de silence. Nous étions une dizaine. Nous nous sommes mis debout et avons attendu que la minute soit écoulée. Allez savoir pourquoi, je me suis soudain souvenue que la première minute de silence fut observée pour la première fois le 11 novembre 1922 et qu’avant elle, on sonnait les cloches et tirait le canon. J’ai senti monter un fou rire nerveux. Heureusement pour la mémoire de notre jeune gestionnaire décédé, après seulement vingt secondes le directeur a dit : Bon, au travail maintenant. C’est la vie !
Après la réunion, il est reparti comme si de rien n’était. Personne n’a reparlé de Simon ce jour-là. Les jours suivants non plus d’ailleurs. Comme si nous nous sentions tous un peu coupables de ce qui lui était arrivé…
Je ne sais pas comment mon collègue a mis fin à ses jours et je ne veux pas le savoir. Je crains trop de faire des cauchemars. Je ne cesse de penser à son air triste le vendredi qui précédait son acte désespéré. Il revenait d’une réunion qui ne s’était sans doute pas très bien passée.
- Ça n’a pas l’air d’aller fort aujourd’hui, lui avais-je dit
- Pas des masses, en effet.
- Ils1 t’en ont encore fait baver ?
- Pas plus que d’habitude.
Et moi, avec ces banalités qu’on se raconte à longueur d’année :
- Allez, courage ! Dans quelques heures c’est le week-end.
- Ne t’en fais pas, a-t-il répondu en souriant - mais qu’il avait l’air triste, mon dieu… - j’ai une porte de sortie.
Je jure que je n’ai pas pensé une seconde qu’il songeait au suicide ! Je me suis dit : Tiens, tiens… Le cachottier. Il postule ailleurs, il a trouvé un nouveau job et j’en étais toute contente pour lui. Je lui ai fait un clin d’œil et j’ai dit : Félicitations mon gars ! Et bonne chance. Il a haussé les épaules, comme il le faisait quand il ne trouvait pas de répartie adéquate. Il est resté quelques secondes dans l’entrebâillement de la porte, et il a encore dit :
- Ça va aller. Bon week-end.
- Oui, à lundi. Tu m’en parleras, hein ? Le lundi il était mort.
Je ne parviens pas à m’empêcher de penser que c’est l’entreprise qui a eu sa peau !
Certains vivent à peu près correctement avec un niveau de stress élevé. Ils parviennent à partager leurs soucis avec des amis, un conjoint, à s’octroyer des moments de détente. D’autres n’y parviendront jamais. Je pense que Simon était de ces derniers : les perfectionnistes, les zéro défauts, les trop carrés, les coupeurs de cheveux en huit, les angoissés perpétuels. Pour ces gens, mon entreprise est génératrice du plus mauvais stress qui soit : une course débile perdue d’avance avec le sentiment de ne pouvoir jamais satisfaire le management, quoi qu’on fasse…
Pour son malheur, Simon occupait une fonction de support, traduisez au service de tous, pour tout et pour n’importe quoi : budgets, ouverture de numéros de projets, enregistrement de bons de commandes, prévisions de charges, facturation, rappels de paiements, et encore, et encore… la pression à chaque heure, sur chaque contrat, sur chaque projet, sur chaque facture, sur chaque problème, qu’il soit de l’ordre de deux millions ou de deux euros.
Simon est mort. Il venait d’avoir trente ans. On ne parle déjà plus de lui. C’est comme s’il n’avait jamais existé.
Je me sens mal quand je pense que je travaille pour ses meurtriers… Et pour l’un d’eux en particulier. Ce salopard d’Adal. C’est un homme et nous sommes des femmes. Il est noir et nous sommes blanches. Comme à chaque fois qu’il nous convoque dans son bureau pour faire le point, il nous domine de toute la puissance de son titre : Vice-executive President for Business and Resources Development.
Dans l’entreprise, ça veut juste dire Directeur de Département. Dans sa tête, ça veut dire Dieu !
- Toi, Gabrielle, tu vas désormais t’occuper de grands comptes. Tu peux le faire ! Je te donne les Papetiers et les Cimentiers.
Oups ! J’ai failli dire merci, mais je me suis arrêtée à temps. Avec ce grand malade, je sais qu’il n’y a pas de cadeaux. Uniquement des appâts.
Après les fleurs, le pot
- J’aime vous stresser et vous gâcher le week-end.
Il s’adresse maintenant à toute son équipe, les six femmes qu’on lui a confiées pour en faire, depuis peu, un département support.
- J’aime vous gâcher vos soirées, et si possible vos nuits, mais ce que j’aime par-dessus tout c’est de vous regarder en troupeau. Vous êtes vraiment lamentables !
Il adore ce mot. Il parvient à le faire chanter sur tous les tons. Il le murmure, comme le sifflement du serpent, ou il le module en traînant sur le « a ». La-mentaaaaaable. Parfois il le hurle.
- Je désespère de vous apprendre à travailler correctement.
Il soupire.
On retient notre souffle. On attend de voir à laquelle il va s’attaquer aujourd’hui. Sans doute pas à moi, puisqu’il vient de me confier deux gros dossiers.
Il regarde Maddy. Elle a les yeux baissés. Il élève la voix :
- Maddy, ton dernier travail était LA MEN TA BLE.
Aujourd’hui il a martelé les syllabes. Nouveau style.
Elle se tord les mains. Sa bouche tremble. Elle essaie timidement de se justifier, de garder une contenance :
- J’ai beaucoup trop de dossiers à traiter et je manque de temps.
Il a réponse à tout :
- Tu n’as pas le sens des priorités. Apprends un peu à t’organiser, à travailler plus vite, à moins discutailler sur tout et sur rien. Tu es une perfectionniste et tu fais perdre de l’argent à l’entreprise.
Il sourit comme un fauve qui se régale par avance de dévorer une proie, de la voir courir, s’essouffler, tomber au sol et expirer entre ses griffes.
Zoé tente de le calmer. De nous toutes, c’est la plus proche de cette panthère noire enragée. Ils se connaissent depuis des années. D’aucuns laissent entendre qu’ils auraient eu une histoire... mais on dit tellement de choses.
Aujourd’hui, elle va essayer sa carte « la Justice » :
- Tu n’as pas le droit, Adal. On travaille comme des malades dans ton équipe et tu n’es jamais content. Ce n’est pas juste !
Ça le met en rage :
- Vous êtes des incapables. Si vous continuez à vous la couler douce vous allez vous retrouver au chômage. J’essaie de vous apprendre à travailler, nom de dieu !
Il sort en claquant la porte. Il a une réunion dans quelques minutes avec le General Manager. Le temps du trajet – deux couloirs, trois étages par l’ascenseur - il va se ressaisir et arriver face au boss avec le sourire de bon père de famille qu’il sait si bien composer.
Ce General Manager dit de nous : elles ont bien de la chance de travailler pour Adal. Il dit aussi : Adal, c’est comme mon fils. J’ai toute confiance en lui. Il va réorganiser les équipes. Il est parfois un peu dur, mais c’est ce dont nous avons besoin pour le moment.
Essayez d’aller vous plaindre quand on vous sort des conneries pareilles…
De retour dans mon bureau, je me sens vraiment mal, une fois de plus. J’ai à peine dormi cinq heures la nuit dernière pour tenter de mettre à jour quelques dossiers, les plus urgentissimes. Et il vient de m’en refiler deux de plus. Je n’y arriverai jamais. Je me sens moche, j’ai envie de pleurer.
Depuis presqu’un an, ce dingue m’inspire une peur irraisonnée, de la même manière qu’il terrorise mes collègues. Nous avons beau dire haut et fort entre nous : Il ne me fait pas peur. Je me fiche de ce qu’il pense. Qu’il me vire, et alors…, notre quotidien est un véritable enfer.
Ce que nous comprendrons bien plus tard, c’est que nous travaillons pour un harceleur de haut vol. Il est à ce point doué que chacune d’entre nous se persuade de la véracité des phrases criminelles qu’il nous distille avec talent : Il me donne ma chance, et je ne la saisis pas. L’intérêt de l’entreprise doit passer avant mon égoïsme. Je dois faire un effort. Je suis nulle.
La journée a été dure. Il est dix-neuf heures trente lorsque je sors ma Clio du parking pour rentrer à la maison. Je me sens vidée et j’ai une migraine de tous les diables. J’essaie de me concentrer pour parcourir les vingt minutes de route qui me séparent de mon chez-moi et de ma couette. Sûr que je vais encore tomber endormie devant la télé et me réveiller vers une heure du mat en ne parvenant plus à fermer l’œil.
Même si je râle sec de quitter le bureau à une heure pareille – Adal adore les réunions de fin de journée – je me dis qu’au moins je suis en dehors des embouteillages. Comme une automate, j’allume la radio et je prends l’Avenue du Bois.
Je roule depuis à peine cinq minutes quand une voix de femme, dans la radio, dit : Le jour où il parvient à vous convaincre que vous êtes nulle, il a gagné la partie. Vous n’oserez plus jamais relever la tête. Il vous a instillé le premier poison : le mépris de vous-même. Il vous a cassée. Le second poison, c’est la peur. Il vous a mise K.O.
Ces mots me transpercent l’estomac.
Elle dit : Un harceleur vous empêche de clarifier, d’analyser, de débusquer ses intentions malsaines derrière l’agitation de surface qu’il vous impose.
Je me gare illico, deux roues sur le trottoir, pour écouter la suite : Que ce soit au bureau, à l’atelier, à la maison, un harceleur vous englue dans son univers de malade. Directeur, contremaitre, époux, c’est du pareil au même. Et pourtant, croyez-moi, si vous saviez comme il est simple de détricoter son système et de le rendre inoffensif…
Tu parles. Simple ? Explique, Madame, je t’en supplie, sinon je vais mourir.
Elle dit : Simple, quand on analyse sa personnalité, qu’on a compris sa stratégie. On peut alors toujours avoir un coup d’avance sur lui. D’abord ne pas croire un mot de ce dont il essaie de vous persuader : que vous êtes menacée de perdre votre emploi, que vous ne retrouverez rien d’autre, que vous n’êtes qu’une bonne à rien, que si vous quittez la maison ou l’entreprise tout le monde vous rira au nez…
Elle donne une méthode : Il faut d’abord reconstruire votre propre estime. Il faut ensuite clarifier, analyser, comprendre son fonctionnement. Il faut enfin le prendre à son propre jeu : trouver ce qui lui fait peur… et le terroriser.
Elle prévient : Au bureau, ne recherchez pas le soutien de sa hiérarchie. Un harceleur, souvent pervers narcissique, est toujours très apprécié en haut lieu. Ne recherchez pas le soutien de vos collègues non plus, ils ont trop peur. Pour ne pas subir ses foudres, ils iront vous dénoncer. Vous serez seule, face à lui, mais il n’a que la puissance que vous lui attribuez. C’est un faible et un lâche.
Elle conclut : Vous verrez que vous parviendrez à vous débarrasser de la peur qu’il vous inspire. Il y va de votre survie. Trouvez ses points faibles et clouez-le au mur. Il ne mérite rien d’autre. Matez-le, puis jetez-le hors de votre vie.
Nom d’un chien ! J’en ai les mains qui tremblent.
J’attends encore quelques minutes avant de reprendre la route. Je n’ai pas capté le nom de cette psy… quelque chose, mais ce n’est pas important. Je me laisse bercer par la musique de Mendelssohn qui a succédé à l’émission. J’ai le sentiment qu’on vient de m’enlever un poids d’une tonne de la poitrine.
Une semaine s’est écoulée.
Ces phrases entendues à la radio, j’y repense tout le temps. J’invente les stratégies d’attaque les plus farfelues. J’imagine Adal perdant la face et me présentant des excuses devant tout le monde, tout penaud. Je l’imagine pâle – enfin gris, puisqu’au départ il est noir – honteux, repentant, humilié… Je le vois remettre sa lettre de démission et disparaitre à tout jamais.
C’est surtout dans mon lit que je deviens folle. Je n’en dors plus. Je me repasse en boucle les propos de la psy. Je veux à tout prix le clouer au mur, et empêcher cet harceleur de m’empoisonner la vie, mais je suis verte d’angoisse. J’ai même songé un bref instant – juste un instant, je le jure – à avaler d’un coup ma boite de somnifères pour ne plus me réveiller du tout. Mais je me suis trouvée aussi lâche que lui, et j’ai dit à Patapouf, en train de me pétrir le cuir chevelu du bout de ses griffes : Tu vas voir, mon vieux. Je vais l’avoir. Je ne sais pas encore comment, mais je vais l’avoir. Il semblait d’accord, car il s’est mis à ronronner deux fois plus fort. Puis il s’est planté au milieu de mon lit, m’a regardée fixement de ses yeux jaunes, sans doute pour me faire comprendre qu’à deux heures du matin il était peut-être temps que j’éteigne ma lampe de chevet et que je le laisse dormir.
Dès qu’il s’est roulé en boule au bout de mon lit, je me suis levée délicatement pour ne pas le déranger, je suis allée jeter mes somnifères dans les toilettes, j’ai tiré la chasse et, étonnamment, j’ai dormi comme un loir jusqu’au matin.
Cette promesse faite à un chat de gouttière m’a fait le plus grand bien. De plus, depuis que j’ai pu mettre un nom médico-psycho sur le comportement de mon harceleur, je me sens déjà mieux. Pervers narcissique de merde ! Une bien piètre consolation, mais c’est déjà mieux que rien.
Bien sûr, l’emprise qu’il a sur nous – sur moi - la fatigue, la peur, ses colères…continuent de me terroriser. Comment lui tenir tête tout en gardant mon calme et, si possible, mon job ? J’ai l’intime conviction que je suis capable de le mettre à terre, mais je n’ai pour l’instant pas la moindre idée d’une stratégie cohérente. Je tourne en rond. Je perds du temps.
Le seul point positif, depuis que j’ai confié mes somnifères aux égouts de la ville ? Je dors comme un loir et je me réveille avec les idées claires. Ou à peu près.
L’autre matin, j’ai enfin pris conscience de mon attitude servile. Je venais de lui dire Ce n’est pas ma faute, désolée, excuse-moi. Et il m’avait balancé C’est la faute de qui, alors ? Du pape ? Et il avait ricané, fier de sa répartie, en bombant le torse. Puis il était sorti de mon bureau en claquant la porte comme il aime à le faire pour m’achever les nerfs.
Et moi, glacée jusqu’aux os, avec une insupportable envie de hurler, je me suis mise à murmurer entre mes dents : c’est de la tienne, connard. Sale pervers. Harceleur de merde. Bien entendu, il était parti et il ne pouvait plus m’entendre. Mais bizarrement j’ai senti ma nuque se détendre, j’ai inspiré et très lentement soufflé l’air de mes poumons. Un grand calme a fait redescendre mes épaules crispées. Une phrase étrange m’est venue : Comme disent les vendeurs d’armes ce qui ne nous tue pas nous grandit et j’ai hurlé de rire, seule dans mon bureau, comme une malade mentale. Nom d’un chien que ça fait du bien.
Je me suis mise à l’ordi. J’ai ouvert un fichier word, je l’ai nommé PN pour Pervers Narcissique, et j’ai écrit : Agir seule, frapper fort et… courir vite si je rate mon coup. Dans tous les cas, j’écrirai un livre. Il sera dédié à Simon, ce gentil collègue qui s’est donné la mort parce que des fauves stupides sont aux manettes et que tout le monde s’en fout. Moi je ne suis PAS stupide et je n’ai pas peur des fauves.
Aujourd’hui j’étais très tôt au bureau pour implémenter la phase d’attaque avant l’arrivée de mes collègues les plus matinales : On inverse la vapeur avec le terroriste.
J’ai d’abord orienté mon poste de travail de telle manière que l’écran de mon ordi ne soit plus visible de la porte d’entrée. J’ai viré la chaise visiteur, celle sur laquelle Adal s’installe chaque fois qu’il vient me faire la morale. A la cow-boy : à l’envers, jambes écartées, bras croisés sur le dossier. Je l’ai remplacée par un petit fauteuil avec accoudoirs dégoté dans le réduit des archives. Impossible désormais de prendre la position du cow-boy avachi en face de moi.
J’ai scotché sur le mur le poster géant d’un loup hurlant au clair de lune. J’ai placé un petit bouquet de fleurs dans un vase à gauche de mon sous-main. Ma table de travail est vide, à l’exception de deux fardes étiquetées Papetiers et Cimentiers. J’ai décidé, unilatéralement, de ne m’occuper que de ces deux dossiers et de laisser tomber les autres, qu’il le veuille ou non.
Avant de fignoler cette première mise en scène, j’étais allée les déposer sur son bureau, en un tas bien rangé surmonté d’un petit mot écrit en rouge : Pas le temps, sorry ! et j’ai signé Gabrielle. Je sais que ça va le mettre en pétard, mais je suis prête à l’affronter. C’est moi qui ai déclaré la guerre.
Procédure suivante, chapitre 2 – Ne plus me justifier… Je l’entends qui arrive. Maman, j’ai peur quand même…
Il pénètre dans mon bureau, comme à son habitude, en territoire conquis. La première chose qui attire son attention est le poster au loup. Je crois détecter, l’espace d’un éclair, comme un air de panique dans son regard. Il me semble même qu’il se force à sourire.
- Tu as refait la déco ? Tu n’as que ça à faire ?
Il n’est pas encore passé par son bureau, semble-t-il, et n’a pas encore découvert le tas que j’y ai déposé.
Je lève la tête lentement et sur le ton le plus sérieux qui soit je lui réponds :
- J’avais envie de changer un peu. C’est plus joli, tu ne trouves pas ?
- Joli ? On voit surtout que tu n’es pas débordée… Une belle table toute vide. Tu as jeté tes dossiers ou quoi ?
J’ai une montée acide qui me reflue dans l’arrière-gorge. Je me contrains à parler sans chevroter et sans déclencher une quinte de toux
- Pas du tout. Je m’organise. Je m’occupe des priorités.
- Et ces fleurs ? C’est ton anniversaire ?
- Non, mais ça pourrait être ma fête si j’étais née le 8 mars2.
- Le 8 mars ? Mais on est fin mai…
- C’est la même chose.
Il me regarde d’un air mauvais. Il murmure complètement cinglée, celle-là. Il cherche la chaise cheval de cow-boy qu’il enfourche d’habitude et ne trouve que le fauteuil avec accoudoirs. Il hésite un instant, puis renonce à s’asseoir. Il hausse les épaules et sort en grommelant quelque chose d’incompréhensible. Il ne va pas tarder à me donner de ses nouvelles dès qu’il va découvrir mes dossiers sur son bureau, mais il va sans doute, avant cela, aller un peu titiller quelques membres de son équipe pour se mettre en train. C’est sa tournée du vendredi et il se cherche une proie pour se mettre en forme pour le week-end.
Etonnamment, tout d’un coup, je suis d’un calme olympien. Voilà, me dis-je. C’est exactement ce que je dois faire. Ne plus être concernée émotionnellement. Je dois me contenter d’interpréter un rôle, même si c’est de l’impro la plupart du temps.
En quelques secondes, je suis parvenue à effacer Adal de ma tête et me suis plongée dans le boulot. Comme souvent, lorsque je commence un nouveau projet, j’ai commencé à parler toute seule.
Je vais créer une base de données des papetiers européens qui pourraient recourir aux services de nos ingénieurs. Je vais structurer les informations par… Je prendrai comme critères…
J’avais presque oublié mon black chief lorsque soudain, tel le rugissement d’un lion en train de piquer une crise d’apoplexie… Son bureau est à trois portes du mien et il est en train de hurler.
Mon téléphone sonne. Le 7876. C’est lui.
De deux choses l’une : ou je décroche ou je m’enfuis à toutes jambes vers le service du personnel pour réclamer mon bon de sortie.
Je décroche.
Il hurle :
- Pour qui tu te prends ? Pas le temps ! et Sorry ! Je vais t’en foutre du sorry !
- Pardon ?
- Les dossiers que tu as mis sur mon bureau
- Oui ?
- Tu crois que je vais m’en occuper moi-même sans doute ?
- Pas du tout. Tu vas les donner à quelqu’un d’autre.
- Tu te fous de ma gueule ? C’est quoi ça pour des manières ?
- Tu nous as dit de gérer les priorités. C’est ce que je fais. Je m’occuperai des papetiers et des cimentiers.
Et maintenant prononcer sans trembler la réplique censée lui couper les couilles :
- Tu comprends, Adal, j’ai décidé de prendre mes responsabilités. Je veux faire du bon travail, donc je dois faire des choix. Pour le reste, à toi de voir qui peut s’en charger, c’est toi le chef.
Et j’ai raccroché…
Je me dis : ou bien il est là dans moins de dix secondes et il me jette les dossiers à la figure, ou bien il est tellement surpris qu’il ne sait plus quoi faire. Je compte jusqu’à dix. … huit, neuf, dix… il n’est toujours pas là. Un à zéro, Adal ! Yes !
Pour être honnête, je dois avouer que je n’ai pas mis en place le chapitre on déstabilise le terroriste