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Andréa ressentait le poids de ne pas être née au bon moment, toujours prise dans des tourments entre sa mère et sa grand-mère. Sa confiance aveugle envers les mauvaises personnes la conduisait constamment à accomplir des actes répugnants, mais un jour, elle décida de dire stop ! À ce moment-là, le véritable combat commença pour elle. Jeune femme intrépide, son destin demeure encore incertain, et seul le temps révélera les réponses qui la guident vers un avenir inexploré…
À PROPOS DE L'AUTEUR
La vie est une source d’inspiration pour
Charlotte Rouquié. Aujourd’hui, maman de 3 enfants et heureuse épouse, elle revient sur sa bouleversante histoire, une thérapie efficace qui présage de meilleurs lendemains. Les tourments de ma vie est son premier ouvrage publié.
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Seitenzahl: 292
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Charlotte Rouquié
Les tourments de ma vie
© Lys Bleu Éditions – Charlotte Rouquié
ISBN : 979-10-377-9977-7
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Pour des raisons évidentes, tous les prénoms ont été changés. Certaines scènes sont floues, car dans ma mémoire ou dans mon histoire elles le sont. Des passages peuvent choquer la sensibilité des lecteurs ou lectrices, mais je voulais un ouvrage honnête et sans secret, un récit en toute transparence avec mes lecteurs…
Ma mère est née à Paris en 1963. Elle est le fruit d’un amour interdit entre ma grand-mère, qui n’a que 16 ans, et un homme plus vieux qu’elle, d’une dizaine d’années, déjà marié et papa de deux jeunes enfants. Nany, ma grand-mère, est très belle, elle est petite, environ 1m50, une chevelure fine et longue d’un blond majestueux. Les yeux clairs, elle incarne la féminité des années 60. Toujours vêtue d’un tailleur, et haut perchée sur des escarpins à talon de 15 cm, elle est capable de courir un marathon avec ses talons. D’ailleurs, je me suis toujours demandé comment ses pieds n’étaient pas tordus ou déformés avec les traitements qu’ils ont subis. Nany est charcutière dans un des premiers supermarchés Franprix de Paris. Il se situe avenue Pigalle. C’est une avenue très mouvementée et très joyeuse, surtout le soir avec les prostituées. On y voit tout type de personnes de nos jours, des mamans avec leurs enfants qui font du lèche-vitrine, des adolescents qui cherchent à voir un bout de peau sensuelle, des hommes d’affaires qui veulent noyer leur solitude pour un soir, des sans-domiciles qui, n’ayant pas de toit, profitent du spectacle offert par ces défilés nocturnes sur les trottoirs. Mais à l’époque, on n’osait pas imaginer un supermarché familial en plein milieu de cette avenue. Nany est éperdument amoureuse de Roger. Chaque jour, il lui promet de quitter sa femme, de lui offrir une vie de rêve, de la couvrir de cadeaux. Mais dès qu’il apprend qu’il va être papa, il prend la fuite et ne donne plus de nouvelle, juste un petit mot sur l’oreiller « Désolé, je ne peux pas ».
Le monde s’écroule autour de Nany. Elle ne se sent pas maman. Même si elle a élevé ses frères et sœurs à la mort de leur mère, elle ne veut pas de ce bébé. Mais en 1962, l’avortement est interdit ! Nany gardera son bébé, même si pendant sa grossesse elle va tout tenter pour provoquer une fausse couche. Elle enchaîne les emplois. Après tout cet enfant, il va falloir le nourrir. Elle travaille aux champs, elle fait les vendanges, elle travaille au marché et porte des lourdes caisses de légumes. Rien n’y fait, Suzanne est bien décidée à venir au monde.
Le 15 mai 1963, c’est au travail que Nany perd les eaux, au milieu des sacs de pommes de terre. Sa collègue Marlène la conduit aux urgences. Suzanne voit le jour à 15 h 12, avec une légère malformation qui, après une opération chirurgicale bénigne, sera corrigée. Suzanne est née avec le bras collé au crâne. Nany reprend son emploi dès sa sortie de la maternité et ma mère « Suzanne » sera placée en nourrice la semaine. Les week-ends, Nany la récupère et passe du temps avec elle. Mais elle est si jeune, et surtout, elle ne veut et ne peut pas être maman célibataire. On est en pleine période de changement en France, mais les mœurs n’ont pas encore réellement évolué, et pour dire vrai je crois que même maintenant en 2019 elles n’ont pas beaucoup évolué sur ce point. Nany sort beaucoup, sûrement un peu trop, mais c’est ainsi qu’elle va rencontrer l’homme de sa vie qui va devenir mon grand-père. La gardienne fait venir André, un jeune électricien qui vient juste de finir son service militaire. Il est fils de colonel. Ils viennent de rentrer de Madagascar où était basé André senior. Nany tombe sous son charme. Il est grand, brun, le regard ténébreux, le teint mat. Ils engagent une conversation qui va durer toute la nuit. André junior parle du pays malgache avec passion. Il raconte à Nany sa femme et son fils qu’il a dû laisser là-bas. Son mariage était un mariage militaire qui n’avait aucune valeur juridique. Il apportait juste à cette femme et à son fils la garantie d’un revenu minimum chaque mois et d’une ration de nourriture suffisante pour eux deux. Beaucoup de ses compatriotes ont fait de même : épouser des femmes malgaches pour leur apporter une stabilité. Il apparaît aux yeux de ma grand-mère comme un héros. Elle tombe amoureuse de cet homme, elle le sent au plus profond de son ventre, c’est lui ! Quand elle est avec lui, elle oublie Roger, qui lui envoie régulièrement des lettres, dans lesquelles il lui demande ce qu’elle a fait de l’enfant. Il lui raconte qu’il l’aime et qu’il aimerait que les choses soient différentes, que sa femme accepte le divorce, qu’elle ne lui fasse pas trop de difficultés avec leurs enfants. Mais surtout, dans toutes ses lettres, il lui demande de l’attendre et qu’un jour ils seront ensemble réunis à nouveau. Il lui donne toujours la même adresse, une boîte en poste restante. Il ne faut surtout pas que Maryline, sa femme, tombe sur l’une d’elles. Ma grand-mère finira par céder et lui accorder une après-midi avec elle et ma mère, afin d’éclaircir les choses.
André et elle se voient de plus en plus, ils flirtent. André veut légitimer ma mère par le mariage. Personne ne sait comment il a fait sa demande, mais par un jour de juin, ils se disent oui. Ce ne fut pas un grand mariage, juste la famille proche. Ma grand-mère portait un tailleur bleu-pastel, elle avait ondulé sa chevelure blonde qui était légèrement relevée en demi-chignon. C’est une mariée magnifique. La cérémonie est des plus simples, pas d’église, uniquement la mairie, puis cela se termine par un repas au restaurant. Mes grands-parents ont respecté la tradition, ils ont aménagé ensemble le jour de leur mariage et ils sont restés mariés jusqu’à ce que la mort les sépare des décennies plus tard.
Ma mère n’a pas une enfance heureuse et facile. Mes grands-parents travaillent énormément tous les deux pour s’offrir une vie financièrement confortable. Ma mère entretient la maison et prépare les repas quand elle rentre de l’école. Elle ne fait pas de grandes études. Elle se contente de son brevet des collèges, car Nany a déjà pour elle un emploi tout trouvé dans le magasin. Mes grands-parents sont violents physiquement avec ma mère. Elle prend des roustes phénoménales si elle désobéit ou n’effectue pas une de ses corvées. Ils ne m’ont jamais menti à ce sujet. À l’époque, c’est ainsi qu’on éduque ses enfants. Ils déménagent et s’installent dans le sud de la France pour se rapprocher de la famille de papy. Ils y trouvent un petit mazet sans eau courante ni électricité. Les tâches quotidiennes de maman évoluent. Désormais, elle doit aller au puits chercher l’eau et dans le bois chercher le petit bois pour la cheminée et la vieille gazinière à bois. Ils vont vivre ainsi jusqu’aux 16 ans de ma mère. Durant ces années, mes grands-parents vont acheter un restaurant qui fait faillite suite à la bonté d’âme de papy. Il nourrit gratuitement ses collègues ainsi que les sans-revenus. Cela a le don d’agacer ma grand-mère qui, trente ans plus tard, m’avoue avoir uriné dans les saladiers de salade de fruits. Et comble du hasard, les collègues de papy raffolaient de sa fameuse salade de fruits, ainsi que la fois où elle a mélangé les boulettes du chien avec le cassoulet. Mes grands-parents boivent énormément, c’est le métier qui veut ça. Ma mère tient la partie restaurant avec grand-mère. Je ne sais pas si cette période lui a plu, elle me parle rarement de son enfance. Ils finiront par rentrer sur la région parisienne pour des raisons professionnelles.
C’est le grand jour, Suzanne a 16 ans. Elle imagine que tout va changer pour elle. Elle va travailler, gagner suffisamment d’argent pour quitter la maison, se trouver un gentil mari. Ce sera sa première recherche. Elle rencontre Pierre, un voyou qui traîne en moto dans les rues parisiennes. Il passe la plupart de son temps en garde à vue et c’est ce qui plaît à Suzanne. Mes grands-parents ne supportent pas ce garçon. Il n’apporte que des ennuis à leur fille unique. Ses parents sont corses et ils respectent la légende. Ce sont des paresseux, ils ne travaillent pas ni l’un ni l’autre. Ils vivent dans un vieux fourgon Citroën HY gris aménagé en camping-car de fortune. Ils volent dans les grandes surfaces pour se nourrir. Ils font la manche pour mettre de l’essence, ou vont au mont de Piété mettre en vente les bijoux volés par leur fils. Cette vie est pour ma mère la vie de rêve. Aucune attache, vivre chaque jour de façon unique, vivre en fonction de ses envies et de ses finances, tout l’opposé de ce qu’on lui apprend depuis son plus jeune âge.
Un soir, elle décide de prendre la fuite avec lui. Mais sa fuite est de courte durée. Mon grand-père la retrouve après seulement quelques heures. Tout le monde dans le 19e arrondissement la connaît et ils savent tous que c’est la fille de l’électricien et de la bouchère. En 1980, chaque arrondissement est un village, et tout le monde connaît tout le monde. Surtout que le jeune voyou à la moto noire fait beaucoup parler de lui. Quand mon grand-père entre dans le camping-car, le visage de ma mère se décompose. Elle sait qu’elle va prendre la raclée de sa vie, mais cela en vaut la peine. Elle s’est sentie vivante et heureuse pour la première fois de sa vie. Pierre lui promet de la retrouver et de l’emmener loin de son enfer. Sa mère sourit à ma mère en lui disant : « Ce n’est qu’un au revoir, ma fille, à très vite ». Ma mère est privée de sortie jusqu’à sa majorité. Elle passe ses journées à astiquer la maison, à s’occuper de ses petits cousins. Les semaines passent et arrivent enfin ses 18 ans. Elle va travailler avec Nany au magasin. Elle reprend l’espoir d’une vie meilleure. Elle garde la promesse de son grand amour en mémoire. À chaque client qui entre dans le magasin, elle espère le voir. Son espoir ne s’estompera jamais. Elle croit en lui, il viendra, il lui a promis, et il tient toujours ses promesses.
Georges, un jeune magasinier, grand, brun aux yeux verts, à l’allure élégante et svelte travaille avec Nany qui, comme à son habitude, ne l’apprécie pas beaucoup. Il faut dire que ma grand-mère n’aime personne. Il travaille vite et bien. C’est le premier à vouloir aider ses collègues à finir plus rapidement leur mise en place. Il est aux petits soins avec ma grand-mère, ce qui énerve davantage la femme forte et indépendante qu’elle est malgré ses 1m50. Le fait que Nany ne supporte pas Georges le rend intéressant aux yeux de ma mère. Elle jette son dévolu sur lui. Ma mère est très jolie, elle a de longs cheveux blond doré. Elle a un corps de jeune femme parfait, pas un bourrelet en trop. Elle s’habille en mini-jupe portefeuille et pull-over et porte des bottes en cuir qui lui donnent une allure très sexy et mystérieuse à la fois. Il ne faudra pas longtemps pour que Georges tombe sous son charme et l’invite à prendre un café après le travail.
Ils parlent pendant des heures. Ma mère ne l’écoute pas forcément, mais il se livrera à elle. Georges a grandi en famille d’accueil. Avec ses frères et sœurs, ils ont été enlevés très jeunes à leur mère, et placés dans des foyers différents. Il n’a plus de contact avec aucun d’entre eux ni avec ses parents. Son père a fait de la prison pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et sa mère pour non-assistance à personne en danger. Sa mère avait une aventure, son père a tout découvert et il s’est battu avec l’amant. À sa sortie de prison, Georges n’a pas été récupéré, car étant le petit dernier, ils ne sont pas sûrs de savoir qui est son père. Il rêve d’une belle et grande famille heureuse. Il veut 3 enfants, une grande maison, un gros chien, type Labrador ou Rottweiller, mais surtout, il espère gagner suffisamment bien sa vie pour que sa femme ne manque de rien et puisse s’offrir le loisir de rester à la maison. Suzanne, trop occupée à penser à Pierre, ne s’aperçoit pas que Georges joue maladroitement le jeu de la séduction. Elle lui demande de la raccompagner et c’est sur le pas de la porte qu’elle lui donne un bisou sur la joue. Ils continuent à se voir régulièrement en dehors du travail. Plus le temps passe, plus ma mère l’apprécie. En est-elle amoureuse ? Personne ne l’a jamais su et personne ne le saura jamais, car elle ne répondra jamais à cette question. Il y a de nombreux mystères non résolus qui tournent autour de cet homme. Il se met à appeler ma grand-mère « Man », ce qui l’énerve au plus haut point. Mon grand-père et mon arrière-grand-père quant à eux adorent Georges. C’est un garçon bien, il est poli, aimable, serviable, et surtout il est fou amoureux de ma mère. Mais Nany, elle, ne voit en lui qu’un illettré qui sort de l’assistance publique, un fils d’assassin !
Je viens au monde en 1982, le jour de la fête des Pères. Ma mère est jeune, à peine 19 ans et mon père a deux ans de plus qu’elle. À l’annonce de sa grossesse, ma mère ne me désire pas. Mon grand-père paternel ainsi que mon père usent de leurs charmes pour qu’elle me garde. Mon parcours commence bien. Ma mère mène sa grossesse comme si je n’existe pas. Elle fait de longues balades à moto avec ses amis, fait la fête, mène une vie d’adolescente comme toutes les autres, mais peut-on la blâmer ? Après tout, elle n’a que 18 ans. Mes parents vivent tous les deux dans la maison familiale de mes grands-parents que plus tard j’appellerai Nany et Papy.
Je sais peu de choses sur cet homme qui est mon père, sur cet homme qui a tout fait pour que ma mère ne mette pas fin à sa grossesse. Papy me raconte souvent que mon père a fait du « trou » à cause de ma naissance pendant son service militaire. Fort heureusement, Pépé est un haut gradé dans l’armée. Il a plaidé sa cause et sa quinzaine de trous s’est transformée en une semaine de congés sans solde pour cause « d’arrivée d’un nouveau membre au foyer ».
Pendant mes premiers mois de vie, on habite tous les trois chez papy et Nany. Puis mon père et ma mère emménagent dans l’appartement situé au-dessus, un début de vie à trois…
Très vite, Nany a mis ma mère devant ses responsabilités. Il faut qu’elle trouve un emploi et qu’elle m’assume. Papy et Nany qui, quelque temps auparavant, avaient été victimes d’un très grave accident de voiture, qui les avait provisoirement privés de leurs obligations professionnelles, sont devenus mes « anges gardiens ». Mon père n’est pas là de la semaine et ma mère est hôtesse de caisse dans une chaîne de magasin parisien. Il faut quelqu’un pour s’occuper de moi, et qui de mieux et de plus qualifiés que mes grands-parents ? Bien entendu, je n’ai aucun souvenir de cette période. Tout ce que je sais, c’est ce que j’ai découvert en fouillant mon passé. Cette situation semble convenir à tout le monde sauf à mon père qui espère une vraie vie de famille, juste lui, ma mère et moi. Selon ce qu’on raconte, aux environs de mes deux ans, un matin, il est parti chercher du travail comme routier. Il en a trouvé. Ce travail l’oblige à s’éloigner de nous. Chaque semaine, il envoie à ma mère des courriers gentiment écrits par la fille de son patron et dans l’enveloppe, il y avait toujours un chèque de son employeur ou de l’espèce. Ma mère habite de nouveau avec papy et Nany, et n’a pas connaissance de ses lettres. Nany a peur qu’on m’enlève à elle, elle fait obstacle et les retourne à l’expéditeur. Je sais que maintenant elle s’en veut, car, plus de 36 ans après, je n’ai plus rien de mon père, à part une photographie découpée où je suis sur ses épaules. Cette photo me suit dans tous mes déménagements et est aimantée sur chacun des frigos que j’ai pu avoir depuis que je suis partie vivre ma vie.
Pensant qu’il nous a abandonnées, ma mère passe à autre chose. Je vis désormais à temps plein chez papy et Nany et elle vient nous rejoindre le week-end. Nous avons tous déménagé dans le sud de la France. Elle rencontre un homme Albert, ils se marient. Albert ne comprend pas pourquoi je vis avec mes grands-parents et pas avec ma mère. Alors elle me récupère bien que Nany ne soit pas spécialement d’accord. Avait-elle raison ? Jusque-là, elle n’avait rien de la mère idéale.
Ma mère tombe enceinte de mon petit frère Victor. Sa grossesse se passe mal, elle la finit à l’hôpital et c’est Albert qui a ma charge pendant ce temps-là. Il s’occupe très mal de moi. Je pleure chaque fois que j’ai ma mère au téléphone. La maîtresse alerte ma grand-mère sur mon mal-être à l’école. Un soir, papy et Nany se rendent chez nous à l’improviste comme ils aiment le faire, et trouvent Albert en pleine partie de poker avec ses collègues de travail. Quant à moi, je suis ligotée à ma chaise haute, un verre de sirop de grenadine et un paquet de petit beurre devant moi. Son explication ? Je remue trop, et demande trop d’attention alors qu’il a la « baraka ». Sans aucune explication, Nany me libère et me ramène chez elle, jusqu’à ce que ma mère sorte de la maternité. Elle ne lui en dit pas un mot, afin de ne pas l’inquiéter. Victor arrive enfin, il est très petit. Je n’ai pas le droit d’aller le voir à la maternité, pourtant je suis grande maintenant, j’ai déjà 5 ans. Un soir, papy m’emmène à l’hôpital et, dans le couloir, au niveau de la pouponnière réservée aux prématurés, il y a les placards à couches. Ce sont des placards communiquant entre le couloir et la pouponnière. On me demande de ne pas faire un bruit et de rentrer dans ce placard, et à ma grande surprise, de l’autre côté du placard, il y a ma mère avec Victor. Je me souviens être assise en tailleur dans ce placard, les bras en position avec mon petit frère posé délicatement dans mes bras. Cet instant a dû durer 5 minutes au grand maximum, mais jusqu’à ce que je tienne mes propres enfants dans mes bras, c’étaient les 5 minutes les plus belles de ma vie. Ma mère allait enfin rentrer à la maison, et venir me récupérer.
Ce jour arrive enfin ! Je suis tellement impatiente ! Ma mère sort de l’hôpital. Papy va la chercher pour la ramener chez elle, mais il n’y a pas ma valise dans le coffre. Maman a besoin de se reposer, il me faut être patiente. Et j’ai été patiente encore une année.
Quelques jours avant mon sixième anniversaire, ma mère me demande ce qui me ferait plaisir. Beaucoup d’enfants auraient répondu « la poupée qui fait du patin à roulettes ». C’était la poupée à la mode à cette époque, mais je l’avais déjà. Papy et Nany comblaient son absence comme ils le pouvaient en m’achetant absolument tout ce que je pouvais demander ou exiger. Ils se disputaient souvent à ce sujet avec ma mère, car elle n’avait pas les moyens d’en faire autant, et elle avait peur que je m’habitue à ce train de vie, et que je devienne capricieuse et matérialiste. Pour mes 6 ans, je demande tout simplement à ma mère de me reprendre. Je veux vivre avec elle et Victor. Albert a fini par quitter la maison, il a abandonné le foyer comme on dit. Un enfant, c’était trop de responsabilité, pourtant Victor est son fils, et moi je suis là uniquement quand on me prend pour la journée.
Ma fête d’anniversaire arrive. Comme d’habitude, toute la famille et les amis sont là. Victor est assis sagement dans sa chaise haute et mange ses spaghettis à la bolognaise. Pendant le repas, l’ambiance est tendue entre Nany et ma mère, mais elles ne laissent rien paraître. C’est ma journée, c’est ma fête. Au moment des cadeaux, Nany demande à ma mère où est son cadeau, et là, je me souviens très bien l’avoir entendue dire à Nany « mon cadeau, c’est qu’elle rentre à la maison avec moi ». Ensuite, elles se sont levées de table, elles ont été dans ma chambre et je les ai entendues se disputer, crier, hurler. Elles se battaient, elles se battaient pour moi. Papy est intervenu, puis ma mère en larmes m’a prise par la main, et m’a dit « Allez, Andréa, on rentre à la maison ».
Elles sont restées fâchées pendant 3 longues années. Trois longues années durant lesquelles je n’ai plus vu papy et Nany. Trois années de galère, mais j’étais avec ma mère, et c’est tout ce qui comptait même si papy et Nany me manquaient énormément. Ma mère a de nouveau rencontré un homme. Celui-ci est le pire de tous. Igor boit beaucoup, et quand il a trop bu, il la bat. Ma mère est souvent conduite à l’hôpital par les pompiers où les voisins, mais avec Victor et moi il a deux facettes. Il se montrait gentil après avoir envoyé notre mère à l’hôpital, mais il est capable du pire. Un soir, je suis rentrée de l’école avec 5 minutes de retard. Je rentrais seule de la primaire en vélo, j’avais alors 7 ans. Il y avait beaucoup de vent et j’avais eu du mal à pédaler. Il rentre dans une rage folle, et heureusement, au lieu de me battre, il casse mon vélo devant mes yeux, au moins maintenant avec le bus je serai toujours à l’heure.
Chaque soir, je l’entends frapper ma mère. Chaque soir, Victor me rejoint dans mon lit et je lui cache les oreilles ou lui chante des comptines pour qu’il n’entende rien.
Un jour, alors que nous sommes dans un centre commercial en train de faire du shopping, ma mère retrouva son amour de jeunesse, Pierre. Elle l’avait connu bien avant mon père. C’était un voyou, il faisait régulièrement des séjours en prison. Papy et Nany ne l’aimaient pas. Parfois, je me demande s’ils ont déjà aimé un amant de ma mère, et si plus tard, je serai comme eux, aucun homme ne sera assez bien pour mes filles ou aucune femme assez bien pour mon fils. Pierre remarque les bleus sur le visage de ma mère ; il nous invite à boire un chocolat chaud dans un bar afin qu’elle lui explique ce qu’elle vivait. Elle ne peut pas quitter Igor, elle a trop peur de ce qui pourrait se passer. Pierre respecte son choix et nous promet qu’un jour il viendra nous chercher et que tout ira enfin bien. Du haut de mes 8 ans, je me rends bien compte que je n’ai pas une enfance normale. On déménage tout le temps, les huissiers frappent à la porte, on va chercher des vêtements et de la nourriture dans les associations caritatives alors qu’Igor travaille.
Notre dernier appartement est très joli. Il y a une grande chambre pour Victor et moi. Ma mère la redécore et nous crée deux univers : des gros coquelicots sur ma moitié de chambre qu’elle peint elle-même et pour Victor un magnifique arc-en-ciel. Dans un coin en haut du mur, elle peint un énorme soleil avec un grand sourire. J’ai adoré cette chambre. Leur chambre nous était interdite, je n’en ai aucun souvenir. Par contre, le salon avait une énorme plante, laissée, il me semble, par l’ancienne locataire. Cette plante grimpait le long du mur blanc et recouvrait la moitié du plafond. Le canapé était posé juste en dessous. Quand je m’installe sur le divan, j’ai la sensation d’être dans la jungle. Le salon est très lumineux, nous sommes au 4e et dernier étage. Du balcon, je vois le petit ruisseau de derrière, endroit qui nous est fortement interdit. Ma mère fait vraiment tout son possible pour que l’on soit heureux, mais ce n’était pas la vie que j’avais connue avec papy et Nany. Les coups continuent chaque soir. Un soir, elle part en courant suivi par Igor jusqu’au commissariat, devant les officiers de police, Igor continue à la frapper et à l’insulter. J’avais une consigne, quand cela se produisait, je devais prendre Victor et aller nous réfugier chez Béatrice, la voisine. Les officiers de police envoient ma mère à l’hôpital une fois de plus. Ensuite, elle dépose plainte contre Igor, il est placé en garde à vue, mais deux jours plus tard il revient à la maison et elle l’accueille à nouveau. Je ne dis pas qu’elle aimait recevoir les coups d’Igor, mais je pense qu’elle avait sûrement ses raisons pour le laisser revenir à chaque fois malgré la vie qu’il lui faisait endurer.
Je me souviens qu’une nuit ma mère est venue me réveiller, me demandant de ne pas faire de bruit, d’enfiler mes chaussures, ma veste et de prendre ma poupée. Elle a pris Victor encore endormi dans ses bras et nous sommes sortis de la maison. Pierre se tenait devant la porte d’entrée. Il apparaissait pour moi comme un sauveur. Igor fut réveillé par le bruit de la porte. Pierre entra dans la maison et commença à se battre avec Igor. Pendant ce temps, ma mère en profita pour nous mettre à l’abri Victor et moi dans la voiture de Pierre.
Je ne sais pas ce qu’est devenu Igor. Nous ne l’avons plus jamais revu, ni même la gentille voisine. Pierre nous emmena chez sa femme, dans un petit appartement situé tout en haut d’un immeuble de quinze étages dans les quartiers de la ville. Sa femme, Valérie, avait trois enfants de nos âges. Le lendemain matin, Valérie nous donna à mon frère et moi des vêtements puis Pierre proposa à ma mère un endroit sûr où s’installer quelque temps, le temps de se remonter et de voir un avenir moins noir. Elle accepte. On ne peut pas rester chez Valérie. Pierre et ma mère s’aiment encore et c’est flagrant. Même moi, du haut de mes 8 ans, j’ai remarqué les petites caresses dans le dos, les bisous volés pendant que Valérie était occupée.
L’endroit sûr n’est autre qu’une minuscule caravane sur le terrain de ses parents. Elle n’a pas l’eau courante et l’électricité est alimentée grâce à une batterie de voiture sur laquelle est branchée la télé. L’antenne de télé n’est autre qu’une fourchette tordue. Je ne me suis jamais demandé ce que penseraient de notre vie papy et Nany, car je suis certaine que, sans aucune hésitation, papy serait monté dans sa 205 rouge et aurait fait les 800 km qui nous séparaient pour venir nous chercher. Ma mère essaie de reprendre le contact avec Nany. C’était, paraît-il, souvent pour lui demander de l’argent, et à chaque fois Nany en envoie, ou paie les factures directement.
De cette période en caravane, j’ai beaucoup de souvenirs, des bons comme des moins bons. Notamment la fois où, pour me punir de je ne sais plus quoi, ma mère m’a envoyée faire la vaisselle. Il faisait froid, la neige recouvrait la bassine qui faisait office d’évier, et j’ai fait la vaisselle dans le froid et la neige.
Il n’y a pas de chauffage dans la caravane, Denis et Maryse, les parents de Pierre, nous donnent de nombreuses couvertures pour que Victor et moi n’ayons pas froid. Ils vivaient dans un très beau mobil-home avec tout le confort nécessaire, mais il est bien trop petit pour y vivre à 6. Denis et Maryse aiment beaucoup ma mère, ils la connaissaient depuis son adolescence. Maryse et Nany se détestent, elles sont incapables de communiquer. Pierre reproche à mes grands-parents d’être de mauvais parents, et d’être la cause de leur rupture. Je ne supporte pas qu’on dise du mal de mes grands-parents. Je regrette chaque jour cette phrase, celle dans laquelle je demande à ma mère de me ramener à la maison avec elle. Pierre continue à mener une double vie, un coup chez sa femme, un coup avec nous, jusqu’au jour où sa femme le met dehors. Elle ne supporte plus d’être trompée. Pierre nous promet la belle vie, une vie où tout sera rose, une jolie maison, un travail qui lui rapportera suffisamment d’argent pour que ma mère reste à la maison auprès de nous. Et c’est ce qu’il fait. Il nous trouve une jolie maison dans un petit village. Ma mère ne travaille pas, elle s’occupe de nous et Pierre travaille souvent la nuit. Je ne compris que bien plus tard que son travail rapportait certes beaucoup d’argent, mais que ce n’était pas très légal. Ils ont envie de se marier et d’avoir un bébé à eux. On me demande d’appeler Pierre papa. Ma mère m’explique qu’au début où elle était avec mon père, elle était aussi avec Pierre, et que finalement elle ne savait pas vraiment lequel des deux était mon père. Le sait-elle aujourd’hui ? Je n’avais toujours pas de nouvelles de mon père, alors autant prendre celui qu’on me propose. Pierre veut me reconnaître, et à la mairie ma mère apprend que j’avais été reconnue à l’âge de deux ans par mon père et que celui-ci était décédé deux ans plus tard. Il ne m’avait pas abandonnée. Il avait été tué par un chauffard ivre un soir en rentrant du travail. Je n’avais plus de père, à part Pierre qui avait toutes les qualités du père idéal. Malgré le fait qu’il « travaille » de nuit, il nous conduit à l’école en voiture chaque matin, il prend soin de nous, nous ne manquons jamais de rien. Il y a toujours à manger dans nos assiettes et il nous couvre de cadeaux. Chaque week-end et chaque vacance scolaire, il charge le camion avec le matériel de camping et nous partons camper avec Denis et Maryse. Ils font un tout petit mariage, juste eux deux, les parents de Pierre et deux amis qui font office de témoins. Ma mère porte un pantalon et un chemisier de satin blanc, Pierre, un costume noir. Victor a un petit costume et moi une robe fleurie. Et puis un jour, tout s’écroule. L’associé de Pierre entre en prison, et les ennuis d’argent recommencent. Quand ma mère part faire les courses avec Maryse, elles ne prennent jamais de sac, mais enfilent plusieurs pantalons, plusieurs tee-shirts et portent des capes. Mais quand elle rentre à la maison, elle dépose sur la table beaucoup de courses, des produits de marques, ces mêmes produits que nous ne pouvions nous offrir quand Pierre avait un revenu. Nous mangeons de la nourriture volée dans les magasins. Mais la situation continue à se dégrader. Un beau matin, un agent D’EDF nous coupe l’électricité. Cette fois-ci, Nany refuse de payer la facture. Pour avoir du pain grillé au petit déjeuner, je fais griller le pain de Victor sur la flamme de la bougie, j’ai trop peur d’utiliser le gaz. Et malgré cette situation désastreuse, j’entendais chaque soir ma mère et Pierre essayer de concrétiser leur projet de bébé à eux.
L’associé de Pierre sort de prison et les affaires reprennent. La lumière revient enfin, ainsi que les week-ends camping. Ma mère tombe enceinte, tout semble enfin rentrer dans l’ordre. Les trois premiers mois de sa grossesse, ma mère est très fatiguée. Le médecin lui ordonne de rester couchée. J’allais donc jouer à la petite maman et m’occuper de Victor. J’étais ravie à l’idée d’être à nouveau grande sœur. Mais un soir en rentrant de l’école, je trouve ma mère en pleurs, elle avait perdu le bébé. Sans dire un mot, Victor et moi faisons comme chaque soir, goûter, douche, repas, et au lit. Au réveil, elle semble en forme. Elle a passé la nuit à astiquer toute la maison. Elle a nettoyé le tour de la cheminée. Il y avait longtemps que je n’avais pas vu ma mère aussi joyeuse, et c’est avec le cœur léger que nous sommes partis à l’école. Le soir, sur le chemin de l’école, j’aperçois au loin le camion de pompiers stationné en bas de chez nous. Je monte en courant et je trouve ma mère en pleine crise. Elle a un couteau dans la main et menace de se le planter dans le ventre. Elle attendait des jumeaux, et en faisant son grand ménage après sa fausse couche, elle avait perdu le second bébé. Un des pompiers vient nous parler, calmement, sereinement. Il essaie de nous rassurer, Victor alors âgé de 4 ans ne réalise pas ce qui se passe. Ma mère hurle qu’elle veut mourir, que tout est de ma faute, qu’elle m’a eue bien trop jeune, que son corps n’était pas prêt à être mère et que maintenant, il le lui fait payer. Les pompiers restent auprès d’elle, mais n’arrivant pas à l’approcher demandent de l’aide à Pierre qui se trouve sur sa droite. Il lui parle, essaie de la raisonner, voyant ses efforts vains, une seule solution lui vient à l’esprit, la frapper avec ce qui lui passera par la main afin de l’assommer pour que les pompiers puissent l’emmener à l’hôpital. Et c’est ce qu’il fait. Il attrape le rouleau à pâtisserie et en met un coup sur la tête de ma mère. Elle est sonnée, elle se laisse approcher par les pompiers. Le médecin présent lui fait immédiatement une piqûre, lui enlève le couteau et la couche sur le brancard. Encore aujourd’hui, en écrivant ces lignes, les images et les détails me reviennent en tête. Ce jour-là, il faisait très froid. Nous étions en plein hiver. La neige avait bloqué certaines routes, Denis et Maryse ne pouvaient donc pas venir s’occuper de nous. Il allait falloir que je sois forte, que je sois grande. Ma mère allait être hospitalisée un certain temps et Victor et Pierre allaient avoir besoin de moi.