Moineau en cage - Max du Veuzit - E-Book

Moineau en cage E-Book

Max du Veuzit

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Beschreibung

Qui est Erika, l'adolescente sauvage et violente que le hasard a menée au château de Kolos, au pied du Caucase? Une va-nu-pieds, une affabulatrice, ou une pauvre enfant enlevée jadis à l'amour des siens par des gitans, comme elle le prétend? Son arrivée va jeter la perturbation. En effet, le maître de Kolos, le comte de Mordaw, a connu une cruelle épreuve: sa petite fille a disparu treize ans plus tôt sans que jamais on retrouve sa trace. Se pourrait il que Erika fût l'héritière des Mordaw ? Une nouvelle existence commence alors pour elle. Dans l'attente de preuves de son origine, l'entourage du comte va essayer de transformer la sauvageonne qui courait les routes en une jeune fille accomplie. Non sans mal... Dans la vie de Erika est entré un jeune seigneur plein d'orgueil et de mépris : le vicomte Sigismond. Le secret que détient la vieille Marouska rapprochera-t-il les jeunes gens? Après tant d'épreuves, après tant de souffrances, Erika connaîtra-t-elle enfin la tendresse d'un foyer et l'amour de celui que son coeur a choisi?

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Moineau en cage

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIPage de copyright

Max du Veuzit

Moineau en cage

Max du Veuzit est le nom de plume de Alphonsine Zéphirine Vavasseur, née au Petit-Quevilly le 29 octobre 1876 et morte à Bois-Colombes le 15 avril 1952. Elle est un écrivain de langue française, auteur de nombreux romans sentimentaux à grand succès.

I

– Mick, attention ! Les gendarmes !

L’interpellé, un jeune homme de vingt ans environ, lâcha la botte d’osier qu’il venait de couper et se tourna vers la fillette qui, à voix basse, lui avait jeté cet avertissement.

– Hé bien, quoi ! On ne fait pas de mal, dit-il en poussant du pied son fagot dans l’eau, pour le dissimuler aux regards importuns de l’autorité.

– Ils ne veulent pas qu’on coupe du bois vert, insista gentiment la jeune fille.

Il protesta par un haussement d’épaule.

– L’osier, ce n’est pas la même chose : ça pousse au bord de l’eau et non dans la forêt.

– Un garde m’a attrapée l’autre jour...

Le garçon eut un beau mouvement de dédain :

– Parce que tu n’es qu’une fille, toi ! Tu as peur et tu te sauves. À moi, on n’ose rien dire.

Cependant, malgré sa belle assurance, il s’accroupit dans une anfractuosité de la rive, derrière une touffe de jeunes osiers.

À quelques mètres, à travers le feuillage clair des arbustes, il venait d’apercevoir le costume bleu, chamarré de blanc, terreur instinctive de tous les vagabonds.

Et, en gamin précoce que la misère a mûri, il expliqua son geste de prudence :

– Vaut mieux se cacher ; on a beau n’avoir rien à se reprocher, avec ces hommes-là, on ne sait jamais !

La fillette n’avait pas attendu son avis pour se terrer elle-même dans une autre cachette.

Le pas rythmé des gendarmes se rapprocha, grandit, puis se précisa en face d’eux.

Tous deux, immobiles, retenaient leur souffle. Leurs vêtements, rougis et décolorés par l’eau et le soleil, se confondaient avec la couleur du sol.

Les braves Pandores – ils étaient quatre – passèrent en causant sans soupçonner la présence des enfants, sans apercevoir l’éclat fiévreux des prunelles inquiètes fixées sur eux.

Ils paraissaient pressés et marchaient vite, coude à coude, comme s’ils allaient en expédition.

– Son compte est bon, c’est la relégation, cette fois.

– C’est une brute qui ne mérite pas mieux !

Les enfants entendirent ces phrases sans y attacher d’importance.

Quand ils furent passés, les deux têtes enfantines, peu à peu, se dressèrent.

– Ils prennent à gauche, dit la fillette.

– Oui, ils vont par le bois. Il n’y a pas de hameau pourtant par-là !

– Et pourquoi donc sont-ils quatre ?

Dans l’éloignement, le bruit des pas diminuait et les silhouettes se rapetissaient.

Soudain, les enfants poussèrent une exclamation de surprise et d’un même mouvement curieux se dressèrent debout.

– Ah ! Bon sang ! On dirait qu’ils vont là-bas !

Les yeux rivés sur le groupe qui s’éloignait sous-bois, ils attendirent anxieux.

Et tout à coup, ne doutant plus :

– Ça y est ! s’écrièrent-ils. Ils prennent la sente !

– Ils vont à la clairière directement !

– Juste ! La roulotte est au bout du sentier.

– C’est pour Le Rouge, alors ?

– À moins que ce ne soit pour nous.

– Oh, tais-toi, Mick ! Ne dis pas une chose pareille. Nous n’avons rien fait, nous ! Couper des osiers pour nos paniers ou prendre des bâtons pour nos chaises de jonc, ce n’est pas un crime cela !

Les yeux pleins de larmes, la fillette regardait Mick, guettant une parole rassurante qui eût calmé sa soudaine angoisse.

Comme il se taisait, elle ajouta, la voix rauque, pleine de sanglots :

– Ce n’est pas de notre faute ! C’est Le Rouge qui nous commandait. Il nous aurait battus si nous n’avions pas obéi...

À cette voix humble et enfantine qui criait détresse, Mick sortit de son mutisme :

– Rassure-toi, Frika. C’est pour Le Rouge qu’ils vont là-bas.

– Qu’est-ce qu’il a bien pu faire encore ? fit la jeune fille déjà rassurée par l’air de certitude du garçon.

– Il aura de nouveau volé, pardine !

– Ou peut-être s’est-il battu ? Ce matin, il parlait d’assommer tout le monde : voici trois jours qu’il est ivre.

– Et quand il est saoul, il tape dur, murmura Mick en se frottant les côtes, au souvenir amer de quelque récente correction.

En parlant, ils avaient ramassé leur bagage d’osier.

– Dis donc, Frika, faut voir, décida le garçon. En route et détalons au pas de course. S’agit d’avoir l’œil !

Ils quittèrent la rive, franchirent la haie d’épines, traversèrent la route et pénétrèrent sous-bois.

Ils aimaient les fourrés qui dissimulent et, instinctivement, par habitude, ils les choisissaient de préférence aux grandes routes et aux endroits découverts...

Cette fois-ci, ils ne quittèrent pas la lisière des sous-bois. Leurs yeux avides cherchaient, au loin, l’uniforme des gendarmes qu’ils n’apercevaient plus.

– Si on l’arrête, faudra nous défiler, nous autres, dit pensivement l’adolescent.

– Sûr ! approuva sa compagne.

– Mais comment ferons-nous sans argent, sans rien ? ajouta-t-elle avec terreur devant cette idée de fuite qui s’imposait.

– On se débrouillera ! répondit-il avec assurance.

– L’autre fois, il y avait encore la femme avec nous... mais, aujourd’hui, nous serons seuls... tout seuls !

– Bah ! Ça vaut mieux ! Personne pour courir après nous !

– Personne non plus pour nous donner à manger et nous recueillir quand la nuit vient.

– Tais-toi, la gosse. Tu déraisonnes, répliqua Mick. Quand Le Rouge te tape dessus, tu ne trouves pas qu’il soit si nécessaire que cela à notre existence.

– C’est vrai ! mais quand il est là, nous avons encore quelqu’un et à la fin on s’habitue...

– À recevoir des coups, jamais !

C’était péremptoire et sa compagne se tut.

Le caractère des deux enfants se montrait tout entier dans cette conversation.

Frika, frêle et timide enfant de quinze ans, avait toutes les faiblesses exquises des fillettes de son âge : la peur qui les rapproche des forts, la douceur qui les fait câlines et soumises, le pardon généreux qui soulage leur cœur affectueux, trop petit encore pour contenir la haine et la vengeance.

Mick, au contraire, avait toute la force de caractère qu’un adolescent solide puisse posséder. Sous le rapport de la hardiesse et de la décision, il valait bien des hommes mûrs sans que sa rancune vindicative contre le maître brutal qui les terrorisait depuis l’enfance, déformât son jugement ou en fît un méchant garçon.

Tous deux, seuls, isolés, sans amis, sans parents, sans foyer ; livrés depuis leur plus tendre enfance aux mauvais traitements que leur octroyait généreusement un marchand de paniers ambulant, ce Le Rouge dont ils ne parlaient qu’avec terreur, ils avaient grandi côte à côte, partageant les mêmes souffrances comme les mêmes menus plaisirs.

Et ils s’étaient, tous les deux, si bien habitués à cette existence partagée, qu’ils n’auraient pas su se passer l’un de l’autre.

Frika admirait tout ce que Mick faisait. Elle était fière de sa force, de son adresse, de son courage. Avec lui, elle aurait osé affronter tous les périls sans que-la pensée de le quitter dans le danger puisse lui venir.

De son côté, Mick sous ses dehors brusques, aimait véritablement sa petite compagne. Il était heureux de la voir sourire à son arrivée, soupirer à son départ et trembler quand son impétuosité naturelle le poussait à grimper aux arbres, à escalader les talus, à sauter les fossés, et qu’il risquait de se blesser dans des exercices violents.

Pour voir briller dans les prunelles de Frika la petite lueur inquiète qui le ravissait intérieurement, il eût affronté, par plaisir, bien d’autres dangers.

Mais quel bon baiser il lui donnait ensuite, à cette petite sœur affectueuse et combien il était heureux, chaque fois qu’il pouvait cueillir pour elle quelque jolie fleur ou dérober quelque fruit succulent aux vergers enclos.

Sous le couvert des arbres, les enfants avançaient sans bruit.

– Laissons là nos fagots. Nous viendrons les reprendre plus tard, conseilla Mick.

– N’approchons pas trop près, répondit prudemment sa compagne.

– Nous ne nous mettrons pas dans les pattes du loup, c’est évident ! riposta le gamin. Cependant, il faut voir !

Débarrassés de leur fardeau, ils se glissèrent plus facilement dans les fourrés.

Soudain, le bruit d’une discussion, d’une lutte peut-être, avec de grands éclats de voix, arriva jusqu’à eux.

Le souffle retenu pour mieux entendre, ils s’arrêtèrent et écoutèrent.

Le vent qui soufflait en faisant craquer les branches, les empêcha de saisir le sens des paroles prononcées non loin d’eux.

Mick se remit en route.

– On ne comprend rien. Approchons encore.

– J’ai peur, murmura la fillette qui était devenue toute pâle.

– Quelle poltronne ! fit Mick avec impatience.

Cependant, il se tourna vers la petite et la prit par la main.

– Allons, viens, Frika. Il ne faut pas rester là. Nous sommes trop près de la sente. Si les gendarmes nous apercevaient, ils nous emmèneraient avec eux pour nous interroger, ou peut-être pour nous placer aux « Assistés ».

Cette perspective rendit des jambes à la petite peureuse.

L’hospice, avec ses hauts murs et ses grandes grilles qu’on ne franchit pas librement, est le cauchemar, la menace de tous les enfants errants, avides de liberté, parce qu’ils n’ont jamais connu d’entrave à leur vie vagabonde.

Mick revient encore à son idée :

– Il faut que nous sachions si c’est bien Le Rouge qu’on emmène et pour combien de temps.

– Nous l’apprendrons bien assez tôt !

– Du tout ! Je veux le savoir tout de suite. J’ai mon idée.

Les voix se rapprochaient et les enfants comprirent que le groupe de gendarmes revenait sur ses pas.

– Déjà ! Nous serions-nous trompés ? Ils ont eu à peine le temps de gagner la clairière.

– Ce n’est peut-être pas pour Le Rouge qu’ils allaient par là.

– Tant mieux ! murmura la jeune fille.

– Tant pis ! répliqua Mick.

Mais, tout à coup, ils s’arrêtèrent anxieux et, dans un besoin mutuel de secours, se pressèrent l’un contre l’autre.

Pâles, échevelés, ils regardaient.

– C’est Le Rouge !

À travers la feuillée déjà jaune des premiers jours d’automne ils apercevaient, de nouveau, l’uniforme redouté des représentants de l’autorité.

Et, maintenu par les quatre hommes, maîtrisé, dompté, ils reconnaissaient Le Rouge.

C’était un rude gaillard de quarante ans environ, à l’œil sournois, au front bas.

Il avait dû essayer de résister et de lutter, car une balafre sanguinolente lui barrait le front, tandis que sur la tunique d’un gendarme, un brandebourg blanc pendait, arraché.

– Il s’est défendu ! Ils étaient quatre, sans quoi ils ne l’auraient pas pris.

De fait, l’homme paraissait d’une force herculéenne. Sa haute taille, son cou court et large, ses épaules puissantes, ses poings énormes, lui donnaient un aspect redoutable que ne démentait pas la lueur mauvaise du regard.

De temps en temps encore, des mouvements de révolte le raidissaient et, par deux ou trois rejets brusques du corps en arrière, il essayait de se dégager de l’étreinte solide qui le retenait prisonnier.

Des injures, des mots bas et vils hoquetaient entre ses lèvres brûlées par l’alcool.

C’était une brute, une brute énorme et massive, pour laquelle véritablement on ne se sentait guère de pitié, quel que fût le crime dont elle était accusée.

– Assassin ! lâche ! à mort, à mort !

Cette clameur sinistre perça le bois.

Poussés par un groupe de paysans qui avaient dû suivre de loin les quatre gendarmes, ces cris furent répétés, prolongés, par l’écho impitoyable et ils n’en retentirent que plus lugubrement dans le cœur des deux enfants.

– Assassin ! On l’appelle assassin !

Ils s’étreignirent dans une même épouvante, comme si la faute de Le Rouge eût rejailli sur eux.

– À mort ! À mort ! Faut le brûler vif, l’assassin !

Le paysan, heureusement, a le respect de l’uniforme.

Les hommes hurlaient mais se tenaient à distance raisonnable du groupe formé par les gendarmes ; si bien que le prisonnier et ceux-ci pouvaient librement continuer leur marche pénible.

Les cris de mort, poussés contre lui, semblaient avoir assagi Le Rouge qui, avec, maintenant, des regards affolés de bête traquée, allongeait le pas, hâtivement, comprenant que sa meilleure défense, en ce moment, étaient ces mêmes gendarmes qu’il insultait tout à l’heure dans sa rage de vaincu.

Tant que le double groupe d’hommes fut visible, les enfants restèrent immobiles et muets.

Jamais, comme en cet instant tragique, ils ne s’étaient sentis si abandonnés, si faibles.

Ils avaient conscience que malgré leur jeune âge et leur innocence, ils auraient été maltraités par ces hommes qui hurlaient des cris de mort.

Parents ou non du prisonnier, il suffisait qu’ils eussent vécu avec lui pour être de même valeur. L’excitation des paysans eût vite fait d’eux une proie néfaste, bonne à assouvir la vengeance populaire qui réclamait une victime.

Toutes ces choses, ils les comprirent, par instinct plutôt que par réflexion, aussi ne quittèrent-ils leur cachette qu’après l’éloignement bien certain de la meute qui escortait leur ancien bourreau.

*

La tête basse et le cœur gros, tout émotionnés de la scène qu’ils venaient de voir, les enfants avaient gagné en silence la clairière déserte où les feuilles tombées, se tassant dans les coins, faisaient un cadre roussi à l’herbe bien verte du milieu.

Avant de quitter l’épaisseur des fourrés qui les dissimulaient encore, Mick retint prudemment sa compagne.

– Ne débouchons pas ainsi, tout droit, fit-il à mi-voix.

– Pourquoi ?

– La roulotte peut être gardée. Pas la peine d’aller se jeter dans la gueule du loup.

– Quoi faire, alors ?

– Faisons le tour et examinons les alentours.

Sans discuter, la fille le suivit à travers les broussailles.

Parfois, le feuillage était si épais qu’ils devaient se mettre à quatre pattes pour passer sous les branches trop basses.

– Ils ont attaché le cheval à la roue de la roulotte, fit remarquer tout à coup Mick.

– Peut-être est-ce Le Rouge qui a pris cette précaution.

– Ce doit être plutôt un des gendarmes.

– Alors ?... Tu crois, que... ?

– Ils vont revenir plus tard chercher la bête et la voiture. Dépêchons-nous.

– Que comptes-tu faire ?

– Filer quoi qu’il y ait... mais pas à pied, si possible ! répondit-il brièvement en se découvrant, sans crainte à présent.

– Allons, Frika ! Il faut se presser, encouragea-t-il affectueusement.

En même temps, il sauta par-dessus un buisson de ronces qui lui barrait le chemin et il s’avança vers la roulotte.

– La porte est fermée à clé, va falloir user de grands moyens !

Son geste espiègle indiqua la serrure qu’il fallait forcer.

En hésitant, la fillette se rapprochait.

– Il n’y a personne, tu es sûr ?

– Il y a nous et c’est assez !... Tiens, passe-moi la tige de fer au bout recourbé comme un crochet... tu la trouveras sous la voiture... dans la boîte aux outils... Allons, ouste !

– La voici. Que veux-tu en faire ?

– Un passe-partout ! Je connais le truc. J’ai vu Le Rouge, un jour qu’il avait égaré la clé, se servir de cette même tige d’acier.

Ayant introduit l’extrémité recourbée du crochet de fer dans le trou de la serrure, il pesa lentement en essayant de faire jouer le pêne.

Il dut recommencer trois fois, sans succès, le même manège ; mais ayant appuyé un peu plus fortement sur la tige, la serrure grinça et la porte s’ouvrit.

– Tu vois, c’est un plaisir de travailler avec un pareil outil. Tiens, remets soigneusement en place le précieux passe-partout.

Ce disant, il jetait aux pieds de la petite, la tige de fer devenue inutile, et, d’un bond il escaladait le marchepied.

D’un coup d’œil, Mick embrassa le désordre de la roulotte.

– Tout est chahuté comme chaque fois que Le Rouge a trop bu. On dirait le salon d’un chiffonnier !

Soudain, il s’interrompit.

Au fond de la roulotte, sur une couchette où des linges déchirés et sales servaient de draps, il venait d’apercevoir un papier épinglé.

– Une babillarde ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Franchissant aisément, en habitué de pareils désordres, les objets disparates amoncelés sur le plancher de la voiture, il eut vite saisi le papier.

– C’est l’écriture de Le Rouge.

– Qu’est-ce qu’il dit ?

Mick lut d’abord pour lui, les quelques lignes épaisses et irrégulières que son ancien maître avait écrites.

– Chouette ! On hérite ! Écoute ça, fit-il ensuite en s’adressant à Frika. Voici ce qu’il nous dit :

« Je suis fait, les gosses ! J’ai dégringolé, tout à l’heure, un cabaretier qui voulait me mettre à la porte de chez lui. Si on me pince, mon affaire est claire ? Déjà, ils doivent être à mes trousses. Je vous confie Gamin et la guimbarde. Partez vite avant qu’on ne vous fasse du chichi. Moi, je vais essayer de gagner le large, tout seul. Je saurai bien vous rejoindre, plus tard ; sinon, gardez tout. Bon courage.

Le Rouge »

Malgré lui, la voix du gamin tremblait en lisant ces lignes. L’espiègle gavroche était ému devant les pensées tumultueuses qui se levaient en lui...

Le Rouge avait tué ! Le maître brutal avait peur à son tour : il fuyait devant la justice des hommes ; mais tout bon sentiment n’était donc pas mort en lui, qu’il avait pensé, en cette suprême minute, à ses petits compagnons de misère...

Et ce conseil rude qu’il leur jetait : « Fuyez ! »

Le malheureux qui n’était peut-être revenu à la roulotte, que pour griffonner ces quelques lignes, venait d’être arrêté. Les enfants l’avaient vu dans les mains des gendarmes...

– Il n’a pas eu le temps de se sauver, fit la fillette après un silence douloureux.

– Non. Il s’est fait appréhender alors qu’il essayait de fuir. Nous avons entendu ses cris et les bruits de la lutte, là-bas.

– Les gendarmes n’ont pas vu la voiture. Ils ne sont pas venus jusqu’ici ?

– Ils n’en ont pas eu besoin. Ils auront découvert le maître quand celui-ci les croyait encore loin.

– C’est lui qui aura attaché Gamin à la voiture.

– Oui, sûrement ! De peur que le cheval ne s’éloigne.

– Nous sommes donc bien tranquilles, à présent, ici.

– Oh ! non ! Les gendarmes peuvent revenir d’un moment à l’autre. Quelqu’un peut leur indiquer la roulotte.

– Ah, mon Dieu ! Sauvons-nous, alors !

– C’est ce que nous allons faire.

– Dépêchons-nous, j’ai peur.

Ces quelques phrases échangées avec Frika avaient rendu à Mick toute sa présence d’esprit.

Il glissa la lettre de Le Rouge dans son gilet.

– Je mets en place le testament, fit-il avec un pâle sourire.

Puis, reprenant son esprit de décision, il ordonna.

– Pressons-nous. Ramasse tout ce qui est à l’entour de la voiture pendant que je vais atteler Gamin. Voici trois jours que ce cheval est au repos ; il va pouvoir nous fournir une bonne étape ce soir et cette nuit.

La fillette réunit rapidement les maigres ustensiles de cuisine qui jonchaient le sol. Pêle-mêle, n’ayant pas appris la propreté ni l’ordre, elle les entassa dans la voiture, au hasard des places restées libres sur le plancher.

Mick, de son côté, faisait diligence. En un tour de main, il ajusta tant bien que mal les minces courroies et les bouts de corde qui composaient les harnachements de Gamin.

– J’ai fini, Mick, annonça bientôt la petite.

– Moi aussi, répondit-il. Il ne nous reste plus qu’à partir.

– Ceux que nous rencontrerons vont nous signaler et on pourra nous suivre, fit Frika.

Mick hocha la tête. La même pensée lui était venue.

– J’y songeais, fit-il en réfléchissant.

– Dommage que nous n’ayons pas le temps de peindre la voiture en une autre couleur, dit l’orpheline qui avait vu plusieurs fois Le Rouge user de ce procédé, alors que sous une secrète terreur qu’il n’expliquait pas aux enfants, il éprouvait le besoin de faire perdre sa trace.

Mick qui avait réfléchi, répondit :

– Nous pouvons faire mieux que de repeindre la voiture. Changeons-en l’aspect en la couvrant avec la bâche qui nous sert de tente quand nous courons les marchés... Pendant que je vais la tirer de dessous les essieux, sors la paille qui est dans la paillasse ; nous la mettrons en botte derrière la voiture et ainsi équipée, notre roulotte aura l’air, je l’espère, d’une brave charrette de campagne fortement chargée.

L’idée de Mick était excellente, car lorsqu’il eut assujetti sur la toiture et les côtés la grosse toile bleue de la bâche, la roulotte avait véritablement l’apparence débonnaire et inoffensive d’une voiture de maraîcher.

Cependant, avant de fermer la porte et d’accrocher à l’arrière les bottes de paille qui devaient achever de masquer le véhicule, Mick prit à l’intérieur une grande houppelande et une toque de fourrure qui avaient appartenu à Le Rouge.

Sans inutile scrupule, il s’enveloppa dans le manteau et se coiffa du chapeau.

– Je dois avoir l’aspect d’un mylord, ainsi somptueusement vêtu. Admire-moi, Frika !

Ce disant, il jetait sur les épaules de sa compagne un capuchon bien chaud qu’il lui conseilla de rabattre sur la tête.

– Ça va te donner un air martial. Comme on ne verra que le bout de ton nez, on pourra croire que tu es un hardi compère. Hein, ma petite Frika, voilà qui te change !

Puis, il alla chercher la couverture grise du lit.

– Nous la mettrons sur nos genoux. Les nuits sont fraîches ; pas besoin de nous priver puisque nous avons fait un héritage.

Quant à la couverture toute déteinte dont le marchand de paniers se servait pour le même usage, elle alla s’abattre sur le dos du cheval qui n’avait pas eu souvent pareille aubaine.

– Cela va peut-être le gêner pour trotter, mais il nous faut cacher la pauvreté de ses harnais.

Ainsi équipés, gens, bête et voiture, ils pouvaient aller de l’avant sans attirer l’attention sur eux.

– Contemple notre équipage ! s’écria Mick triomphalement quand il eut enfin tout achevé. On va nous prendre pour de gros propriétaires en tournée.

– Pourvu que nous puissions quitter cette clairière sans encombre et gagner la grande route. Nous ne sommes pas encore en sûreté, murmura la fillette qui sondait le chemin.

– Cache ton visage, Frika : aie l’apparence d’un brave, si tu n’en as pas l’âme !

Malgré sa plaisanterie, Mick examina lui aussi le sentier qui s’assombrissait avec la tombée du jour.

– Je crois que la voie est libre. Allons de l’avant. Nous allumerons les lanternes quand il fera un peu plus noir. En route !

Il fit claquer son fouet et le véhicule s’ébranla lourdement d’abord ; puis, bientôt, il fila rapidement, sous les grands sapins sombres.

Courageusement, les deux enfants, assis côte à côte, à l’avant de la voiture, bien abrités sous leurs vêtements d’emprunt, s’en allaient vers l’inconnu, droit devant eux, sans autre but momentané que celui de fuir au plus vite des lieux que la faute d’un autre avait rendus dangereux pour eux.

*

Le cœur battait bien fort, aux deux enfants, quand la voiture quittant le chemin couvert, déboucha sur la grande route.

Là, surtout, à ce carrefour, l’endroit leur apparaissait dangereux.

Des gens, intéressés à leur perte, pouvaient être embusqués et les guetter ; des yeux non prévenus pouvaient les apercevoir et les trahir ; on pouvait les suivre, les arrêter...

Dans un souffle, Frika murmura :

– Tout a l’air tranquille ?

– Je n’aperçois personne, répondit Mick sur le même ton.

– De quel côté prenons-nous ?

– À droite ; c’est plus prudent.

Et d’un coup de fouet, enveloppant le cheval, il lui fit prendre la direction opposée au village.

Sortie des ornières du sentier, la voiture fila bon train sur la route libre, bien entretenue.

Pendant un quart d’heure, inquiets et apeurés par le moindre point sombre, les enfants gardèrent un silence angoissé.

Parfois, Mick penchait sa tête au dehors et jetait un coup d’œil en arrière.

– Tu as peur, tu crains quelque chose ? interrogea Frika que l’air soucieux de son compagnon commençait à effrayer.

– Je crains qu’on ne nous suive. Il a plu hier et sur la route, humide, on voit très bien les traces de nos quatre roues.

– Quoi faire, mon Dieu ?

– Rien, sinon continuer et sortir au plus tôt de cette forêt. En plein air, le chemin sera sec et bien malin qui y relèvera notre piste.

– Avons-nous encore beaucoup de temps à marcher sous-bois ?

– Je ne sais pas. Nous sommes venus par la route qui longeait la rivière et nous devions la continuer. J’ai fait le village avec nos paniers, pour essayer de les vendre, mais je ne suis pas venu par ici.

– Alors, tu ignores où nous allons ?

– J’ignore ! Mais cela ne fait rien. Tout chemin conduit à Rome. Le principal c’est que nous nous éloignions du bourg.

De nouveau, ils se turent, repris par les soucis au-dessus de leur âge, qu’ils subissaient depuis quelques heures.

Peu à peu, la nuit était venue. Le ciel, ce soir-là, était sombre et les étoiles bien rares au-dessus de leurs têtes. La frondaison épaisse des arbres assombrissait encore l’atmosphère, si bien que, tout étant noir autour d’eux, ils distinguaient difficilement le ruban sombre de la route. L’instinct de Gamin les guidait plutôt qu’ils ne le dirigeaient.

II

Dans cette ambiance de ténèbres, un sourd malaise gagnait Mick.

– C’est noir comme dans un four, là-dessous ! fit-il enfin en se sentant frissonner sous la rosée nocturne. Va falloir allumer et secouer un peu toute cette mélancolie.

– Dans l’obscurité nous passions mieux inaperçus, fit observer Frika.

– Peut-être ; mais tout ce noir, ça vous met la débandade dans l’âme !

Il arrêta Gamin et sauta à terre.

– Tiens les rênes pendant que je vais allumer les lanternes. J’ai mis des bougies neuves, ça va nous mener un bon bout.

– Pour qu’elles durent plus longtemps, nous pouvons n’en allumer qu’une à la fois.

– Du tout, nous les remplacerons quand elles seront usées, mais j’aime mieux y voir clair, ce soir. Je ne me sens pas dans mon assiette.

La fillette se tut.

À la lueur de la bougie, elle apercevait le visage pâle du garçon, et dans cette heure tragique où tous deux fuyaient éperdus, la tristesse de son compagnon lui apparut plus poignante encore.

Cependant, déjà petite femme réfléchie, ne voulant pas donner corps aux pensées sombres qu’elle devinait, elle ne dit plus rien.

Quand Mick reprit sa place à ses côtés, elle se contenta de lui presser affectueusement la main.

– Hein ! on y voit, maintenant ! La lumière c’est la vie et ça chasse les fantômes !

Comme elle ne lui répondait que par une autre pression de main, il lui rendit son étreinte et amicalement, expliqua :

– Vois-tu, Frika, ce n’est pas parce que j’avais peur que j’ai tant tenu à avoir de la lumière. Non, l’ombre et moi, d’habitude, on se connaît ! Ce soir, j’avais besoin d’y voir pour distraire ma pensée.

– Que veux-tu dire ?

– Je ne sais pas comment t’expliquer... J’ai des lubies qui me trottent dans la cervelle ; ça me donne envie de pleurer ; c’est plus fort que moi !

Et plus bas, dans un besoin d’expansion, il continua :

– Je pense au maître ! Je me dis que d’ordinaire il est là, à nos côtés, et que sa grosse voix résonne brutalement et coupe le silence trop profond de la nuit. Je me dis aussi qu’il est en prison, en ce moment, et que peut-être, il songe à nous... à s’échapper, à nous rejoindre. Je pense aussi qu’il y a quelque part un cadavre froid qui était ce matin un corps plein de vie. Je vois des pauvres gens éplorés, se lamentant autour de ce mort. Ils maudissent Le Rouge, l’assassin !... ils nous maudissent aussi, nous, les nomades, qui vivions avec lui. Comprends-tu, ma petite Frika, toutes ces idées chavirent en moi. J’ai beau me dire et me répéter que je n’ai rien fait de mal, je me sens quand même, au fond, solidaire du vrai coupable. Et la preuve c’est que nous fuyons ! Nous avons peur, bien que nous n’ayons rien fait personnellement.

– Nous avons peur parce que nous n’avons ni père ni mère qui puissent nous défendre et nous réclamer, si on nous arrêtait. Nous fuyons, parce qu’à notre âge, on nous mettrait aux Enfants Assistés et que ce serait une véritable captivité pour nous qui n’avons jamais connu d’entraves.

– Oui, il y a beaucoup de ça dans notre crainte ; mais nous sentons aussi qu’avec Le Rouge, nous avons dû faire bien des choses qui nous répugnaient.

– Quand il nous forçait, par exemple, à voler des poules.

– Ou à dérober des fruits et des légumes.

– C’est vrai ! nous avons été ses complices, avoua Frika humblement.

– Des complices qu’il frappait et terrorisait s’ils n’obéissaient pas à ses ordres.

– Aussi ne sommes-nous pas responsables.

– Soit, passons l’éponge sur le passé ; mais pro-mettons-nous, ma petite Frika, si nous parvenons cette fois-ci à conserver notre liberté, promettons-nous de ne plus vivre comme autrefois. Nous nous ferons une autre existence, nous ne vivrons que de notre travail et nous pourrons passer la tête haute, sans avoir peur de personne.

– Oh ! tu as raison, mon bon Mick. Vivons comme il faut, pour ne plus être inquiétés. Vois-tu, j’ai eu très peur, aujourd’hui... Je ne suis même pas encore bien rassurée, car on peut nous poursuivre !

– Ne crains rien. Si nous nous apercevions qu’on est sur nos traces, nous n’aurions qu’à abandonner la voiture et à nous faufiler dans les bois. À la faveur de la nuit, nous échapperions facilement à nos poursuivants. Non, ce n’est pas des gendarmes que j’ai eu peur, c’est d’autre chose. Tout à l’heure, j’étouffais de me sentir si misérable, véritable paria au milieu des autres hommes ! J’aurais voulu être tout seul dans un coin, pour pouvoir crier et pleurer librement et me rouler par terre pour étouffer mes sanglots...

– Ne pense plus à cela, mon bon Mick, et ne reste plus seul avec tes pensées... Parle-moi ? Nous sommes trop jeunes pour supporter de pareils coups sans en être meurtris ; mais comme tu m’as dit souvent, en nous appuyant l’un sur l’autre, nous sommes doublement forts.

– Tu as raison, Frika, je ne dois pas me laisser abattre. Mais ma mélancolie a eu du bon, puisqu’elle m’a fait penser à un tas de choses qu’on essaiera de faire et qui nous rendront la vie meilleure.

En parlant, ils avaient atteint la lisière du bois.

Mick s’en aperçut le premier.

– Enfin, voici la plaine ! s’écria-t-il joyeusement.

– Ah, tant mieux !

La voiture, en effet, quittait le sous-bois pour traverser un plateau dénudé.

Les enfants respirèrent librement.

– Au moins, on voit le ciel en plein, si l’obscurité nous empêche d’admirer le paysage !

– Et surtout, nous marchons sur une route bien sèche. Aux prochains carrefours, s’il y a des poteaux indicateurs, nous verrons à nous reconnaître et à choisir notre direction.

Mais ils rencontrèrent plusieurs routes sans qu’aucune plaque leur donnât une indication.

Plusieurs fois, se fiant aux étoiles pour se guider, ils changèrent de chemin, en abandonnant un pour en suivre un nouveau qu’ils quittaient, plus loin, pour un autre.

Mick observa :

– Voici quatre heures, au moins, que nous sommes en route. Gamin a bien trotté et nous devons être assez loin de notre point de départ.

– Nous sommes peut-être assez éloignés, dit la fillette que le sommeil commençait à gagner.

– Non, nous allons marcher toute la nuit.

– Gamin sera fatigué.

– Il se reposera demain, mais tant qu’il pourra trotter, nous irons de l’avant. Installe-toi dans ton coin et essaye de dormir ; je vais veiller tout seul. Ne crains rien, je ne m’endormirai pas.

La petite s’enveloppa mieux encore dans son manteau ; puis, la tête enfouie sous le capuchon, elle se blottit dans l’encoignure de la capote.

– Bonsoir, Mick.

– Bonne nuit, Frika.

Et bientôt la fillette dormit profondément pendant que, l’œil au guet, Mick continuait de surveiller l’allure du cheval.

*

Pendant huit jours, ils allèrent ainsi de l’avant, sans se soucier de suivre un itinéraire bien arrêté et avec le seul désir de mettre le plus de distance possible entre eux et le village où Le Rouge avait été appréhendé.

Ils continuaient de voyager la nuit, dormant le jour et se mettant en route dès que le crépuscule cédait le pas aux ombres nocturnes. Ils parcoururent ainsi plus de trois cents kilomètres, quittant le Caucase, puis les plaines du Dnieper, pour pénétrer en Sylvanie, ce petit coin champêtre des Balkans, aux frontières duquel tous les bruits du monde semblent venir mourir.

Ils avaient fait halte, depuis quinze jours, dans la montagne déserte, sur un petit plateau verdoyant, éloigné de toute habitation. Une forêt d’arbres séculaires entourait ce plateau. Des pentes sauvages et des précipices le séparaient de la première masure habitée. Aucune route, aucun sentier ne passait à proximité, et nos deux enfants avaient l’impression d’être dans un coin perdu, ignoré du reste de la terre.

Ils y étaient arrivés un matin, après avoir remonté, toute la nuit, le ravin d’un torrent desséché.

Pénible ascension, qui les avait conduits, après dix heures de marche, sur ce plateau minuscule, véritable oasis de verdure où le cheval, tout de suite, avait trouvé sa pâture.

Ils étaient fatigués par leur marche ascensionnelle ; ils firent halte pour se délasser ; quinze jours après, ils étaient encore au même endroit.

On leur avait dit que la montagne était inaccessible et dangereuse. Aucun villageois ne la traversait car elle ne donnait accès, de l’autre côté de son versant, qu’à un chaos stérile de rochers millénaires et de crevasses béantes. Aucune piste ou sentier ne s’y rencontrait, les paysans préférant contourner ces pentes dangereuses et suivre la ligne des villages semés à son entour.

Et Mick, que cette fuite continuelle excédait, avait décidé d’aller dans ce coin sauvage, y cacher leur misère et leurs craintes.

– Un repos de quelques jours nous fera du bien à tous. Tu n’en peux plus, ma pauvre Frika, et Gamin est à bout ! La pauvre bête n’a plus que la peau sur les os : une trêve s’impose. Nous allons prendre des vacances, en pleine sécurité.

Une douzaine de kilos de farine, deux pains de douze livres et quelques paquets de saindoux avaient composé leurs maigres provisions.

– Il y a des châtaigniers dans la forêt et nous trouverons bien à attraper quelque animal sauvage, avait spéculé le jeune homme, peu difficile sur ses menus quotidiens. Le principal est que nous nous terrions un peu avant de reprendre la route. Et si, par bonheur, nous trouvons de l’osier, nous pourrons faire quelques vanneries, ce qui nous fera un peu d’argent pour plus tard.

Ils n’avaient trouvé ni osiers, ni châtaigniers, mais les bois étaient remplis de nèfles et de mûres dont ils se nourrissaient. D’autre part, à défaut de fines corbeilles, ils avaient fabriqué de grossiers paniers en lamelles de bois, faciles à vendre sur les marchés, les paysans s’en servant pour ramasser leurs légumes ou serrer leurs oignons.

Depuis quinze jours, ils étaient là, bien tranquilles, ne pensant pas au départ, tellement heureux dans cette solitude, que Mick se demandait s’il ne leur était pas possible d’hiverner dans ce coin sauvage.

– Il suffirait de quelques sacs de pommes de terre... Il y a du bois mort autant qu’on en veut ; on ramasserait de l’herbe et des ramures pour Gamin. Réellement, si nous pouvions rester ici, ce serait le rêve !

Malheureusement, l’homme propose et Dieu dispose, dit le proverbe.

Nos deux amis devaient bientôt voir tous leurs projets à vau-l’eau et leurs vœux rendus inutiles.

Une épreuve imprévisible leur était réservée. Elle allait bouleverser leur vie, en les emportant dans un tourbillon tumultueux comme une tempête qui démolit tout sur son passage...

*

Pendant que Mick était parti dans la forêt voisine pour cueillir des pommes sauvages et ramasser du bois mort, Frika s’était installée devant la roulotte pour travailler. Elle ornait des petits paniers de jonc à l’aide de bouts d’étoffes aux couleurs vives. Toute joyeuse à l’idée du gain qu’elle espérait pouvoir retirer de son travail, elle était mise à chanter, si bien qu’elle n’entendit pas un bruit de pas se rapprochant d’elle. Quand, brusquement, elle aperçut plantés devant ses yeux, deux gros souliers ferrés, elle eut un sursaut apeuré et leva la tête. Un garde-chasse la contemplait.

Frika, qui avait besoin de la présence de Mick pour avoir un peu d’assurance, fut tout d’abord très intimidée sous le regard inquisiteur de l’homme. Elle devint tout à fait craintive, quand elle vit son regard aigu se diriger sur une peau de lapin, accrochée à un bout de bois fiché entre deux pierres en guise de clou.

Le froncement de sourcils dont l’homme marqua sa découverte mit des battements de cœur d’angoisse chez la pauvrette.

– Eh ! la belle enfant, grogna-t-il, d’où vient cette dépouille ?

– Je... je ne sais pas, articula-t-elle avec difficulté.

– Comment, tu ne sais pas ?

– Non !

– Où l’as-tu eue ?

– Nous l’avons trouvée et ramassée... sur la route... pour la vendre à la ville.

– Tu l’as trouvée ?

– Oui, Monsieur.

– Sur la route ?

– Oui...

Le garde-chasse croisa les bras avec indignation devant ce qu’il considérait comme un affreux mensonge.

– Eh ! bien, ma fille, tu ne manques pas de culot !

Sa voix était ironique et cinglante. L’enfant en fut toute retournée.

Le nouveau venu examinait maintenant le terrain. Il vit la misérable roulotte rangée à quelques mètres sous le roc, avec son maigre cheval au piquet, broutant l’herbe.

– Des romanichels, parbleu ! Je l’aurais parié !

De nouveau, tourné vers la petite, il l’interpella en grossissant sa voix. Ne fallait-il pas, tout de suite, lui montrer son importance et l’empêcher de se rebiffer ?

– Tu es de cette vermine qui pille nos terriers et dévalise nos poulaillers, cria-t-il. Allons, ouste ! Laisse-moi inspecter ta bagnole ! Il doit y avoir pas mal de « prohibitions » là-dedans.

Sans attendre sa réponse, il s’approcha de la roulotte et se hissa à l’intérieur. Avec sa canne à bout ferré, il fouilla dans les tiroirs et dans le coffre à linge, puis il regarda sous les quelques meubles qui garnissaient la pièce. Finalement, avisant une caisse, il fit sauter les trois planches qui en formaient le couvercle. C’est alors qu’il découvrit de belles fourrures fauves, dégradées de blanc. Tout ce qui restait d’une chasse aux lacets.

– Ha ! ha ! ricana-t-il. La voilà, la réserve ! Pas mal !... On s’y connaît à ce que je vois !

Il était revenu vers Frika et il l’empoignait par le bras.

– Et tu es seule, ici ? Je suppose que non... Ce n’est pas une gamine comme toi qui pourrait prendre des lapins. Où est-il, ton complice ?

Frika effrayée allait se mettre à pleurer, quand tout à coup à l’autre extrémité de la clairière, elle aperçut Mick. Il sortait des broussailles et portait un fagot de bois mort sur les épaules.

– À moi, Mick ! à moi ! cria-t-elle.

Le garde sursauta. Il n’avait pas encore aperçu l’arrivant et pouvait se figurer qu’il s’agissait d’un homme dangereux.

La vue du jeune homme, grand mais mince, le rassura. Sa jeunesse, d’ailleurs, faisait de lui un adversaire peu redoutable.

– Ah ! le voilà, ce jeune chenapan ! s’exclama le garde en redressant sa haute stature pour prendre une attitude menaçante. Tu arrives à temps, mon garçon !

Mick laissa tomber à terre son fagot.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il, sans arrogance mais sans humilité.

Cette attitude calme et sereine ramena le garde à plus de modération.

– Tu vas avoir des explications à donner, à M. le Comte, sur la présence de ce petit stock de fourrures que tu caches si soigneusement. Malheureusement pour toi, ta compagne a eu la maladresse d’en laisser traîner une.

– Ces fourrures n’ont rien à voir avec les lapins de vos bois. Elles sont sèches et il y a des mois qu’elles ont été achetées loin d’ici. Vous voyez bien qu’il s’agit de lapins domestiques.

– Tu t’en expliqueras avec M. le Comte... Je constate, d’ailleurs, que tu te permets aussi de voler du bois.

– Il s’agit de bois mort.

– Ces racines de lierre sont vertes.

– Oh ! cela nettoie vos arbres, vous devriez m’en remercier.

– On ne t’a pas chargé d’en faire le nettoyage ! Allons, venez tous les deux, chez le patron. Ouste ! Suivez-moi !

Si Mick avait été seul, il aurait pu certainement se sauver, car avec ses longues jambes souples il pouvait défier n’importe quel coureur à la course à pied. Mais il y avait Frika et, pas un moment, il ne lui serait venu à l’idée d’abandonner sa compagne.

Résolument, malgré son trouble intérieur, il s’approcha de l’homme.

– Avant d’en venir à cette extrémité, on pourrait peut-être s’expliquer...

– Tu as quelque chose à dire pour t’excuser ?

– Oui, car si c’est des peaux de lapins qui sont là que vous voulez parler, je dois vous apprendre qu’elles ne sont pas à nous.

– Et à qui alors ? demanda le garde.

– À des gens de Padok qui nous chargent de les ramasser pour eux.

Devant les soupçons qui pesaient sur lui, Mick avait été sur le point de dire :

– Ces peaux sont à Le Rouge !

Heureusement, il s’était ravisé.

Il comprit de suite le danger qu’il y avait à prononcer ce nom redoutable dont les journaux devaient parler comme étant celui d’un malfaiteur recherché par la police.

D’autre part, il s’était rappelé à temps, cet acheteur de Padok à qui Le Rouge vendait, chaque année, plus d’un millier de peaux de lapins, glanées sur la route, au hasard des occasions... ou des rapines.

– C’est à des acheteurs de Padok, répéta-t-il fermement.

– Que tu dis, sacripant ! Dis leur nom, un peu, pour voir ? insista le garde.

Un éclair de défi brilla dans les yeux de l’adolescent. Il était bien certain que les Nikolaï, de Padok, eussent confirmé ses dires – entre acheteurs et vendeurs de leur sorte, on se soutient ! – mais il était moins assuré que le nom de Le Rouge ne fût pas prononcé.

Or, il sentait bien qu’il était préférable de ne pas révéler au bonhomme que Frika et lui faisaient partie, en quelque sorte, de la bande du terrible Le Rouge. Cela ne pouvait que compliquer les choses. Le moins qu’on eût pu faire d’eux, après un tel aveu, aurait été de les enfermer dans quelque asile jusqu’à leur majorité.

Mais le garde-chasse, intrigué par le silence de Mick, insistait pour en obtenir une réponse.

– Eh bien, réponds, mon garçon !... À qui sont-elles, ces peaux que je trouve dans ta bagnole ?

Mick baissa la tête sans répondre.

– Ah ! ah ! grogna l’homme. On veut rouler l’autorité, à présent.

Il fit une pause, regarda l’un après l’autre les deux jeunes gens, et parut, seulement, remarquer leur jeune âge.

– Mais au fait, reprit-il, où sont vos camarades ?

– Nous sommes seuls ici.

– Mais vos parents ?

– Nous n’en avons pas.

– Comment ? fit-il saisi. Vous n’allez pas essayer de me faire croire que deux mioches comme vous, trimballez seuls, sur les routes, cette guimbarde.

– Mais si, Monsieur.

L’homme demeura un instant silencieux, puis se décidant :

– Tout ça n’est pas très clair. Si cette voiture vous appartient, faudrait savoir où vous l’avez trouvée. Tant pis pour vous !... Allons, venez ! Vous vous expliquerez au château.

Mick eut un geste de découragement.

– Quelle histoire ! grogna-t-il. On était si tranquille !

Cependant, il ne marqua aucun désir de rébellion. La pensée de Frika lui donnait la force de demeurer calme.

En silence, il alla vers Gamin et le flatta de la main. En vérité, il hésitait, ne sachant pas trop quel geste utile il convenait de faire,

– Je pense que je puis laisser ici mon cheval ? demanda-t-il au garde, après quelques minutes de silence. Personne ne viendra le prendre en mon absence.

– Ton cheval ? répondit l’autre. Mais il faut qu’il traîne ta voiture. Je ne vais pas t’emmener au château, sans les preuves à conviction... Si tu crois, aussi, que M. le Comte te permettra de rester dans ses bois, tu te trompes encore, mon garçon ! Il aurait trop peur que tu mettes le feu à ses domaines.

– Alors, il faut que je réemballe tout ça ?

Il montrait la table, les sièges et les instruments de cuisine épandus sur le sol.

– Mais, bien sûr ! Emmène tout ce que tu veux garder.