Moustique - Max du Veuzit - E-Book

Moustique E-Book

Max du Veuzit

0,0
2,49 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Orpheline de mère, abandonnée dès sa naissance par son père, celle que tous appellent "Moustique", une fillette, est recueillie par un jeune médecin, Richard Daubigny. Il la confie aux soins de braves gens qui habitent en Savoie. A Paris, le séduisant praticien se laisse entraîner dans une vie de plaisirs par une bande d'oisifs qui profitent de ses largesses et le détournent de sa profession. Richard subit surtout l'influence d'une jeune femme, Malou, dont le charme pernicieux le trouble. Quand le hasard le remet en présence de Moustique, la jeune fille que celle-ci est devenue tombe vite amoureuse de son bien-faiteur... Ne confond-elle pas reconnaissance et amour? De plus, réussira-t-elle à se faire aimer comme elle le désire - passionnément! - de celui qui semble maintenant se désintéresser de sa petite protégée? Elle est bien jolie, cette Moustique aux yeux couleur d'améthyste...

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
MOBI

Seitenzahl: 246

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Moustique

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIXVIIIXIXPage de copyright

Max du Veuzit

Moustique

Max du Veuzit est le nom de plume de Alphonsine Zéphirine Vavasseur, née au Petit-Quevilly le 29 octobre 1876 et morte à Bois-Colombes le 15 avril 1952. Elle est un écrivain de langue française, auteur de nombreux romans sentimentaux à grand succès.

I

Richard Daubigny, passant devant la porte vitrée de la loge de la gardienne, s’arrêta brusquement. Il venait d’entendre un enfant qui toussait violemment, d’une vilaine toux qui fit froncer les sourcils du jeune homme.

Il écouta un instant. La quinte ne diminuait pas d’intensité. Sans hésiter, il frappa et entrouvrit la porte sans attendre de réponse.

– Eh bien ! madame Bertain, dit-il, il y a un malade chez vous ? Qui tousse ainsi ? Serait-ce votre fille ?

Du fond de la pièce mal éclairée, une voix tranquille lui répondit :

– Bonjour, monsieur Daubigny, non, ce n’est pas ma fille, c’est Moustique qui a pris un rhume. C’est vrai qu’elle tousse beaucoup, aujourd’hui. Une vraie pitié !

Tout en parlant, la femme s’était approchée de la porte avec un sourire aimable.

– Qu’est-ce qu’il y a pour votre service, m’sieur Daubigny ?

– Rien du tout, dit le jeune homme. Je suis entré parce que cette toux ne disait rien qui vaille au médecin que je suis. Au fait, qui est donc Moustique ? Une de vos nièces ?

– Ma foi, non. C’est une pauvre gosse qui a perdu sa mère il y a quatre ans déjà. Une locataire, amie de sa mère, une dame Morin, l’a prise chez elle et elle s’en est occupée. La petite avait un nouveau foyer. Et puis, voyez la malchance ! Sa protectrice est tombée malade à son tour et est à l’hôpital. Depuis quinze jours, la gamine vit comme elle peut. Mais il ne fait pas chaud là-haut, sans feu et elle aura sans doute pris froid. On ne pense pas à faire attention à cet âge-là...

À ce moment, la petite malade, qui était couchée dans la seconde pièce de la loge, se remit à tousser lamentablement.

Richard siffla entre ses dents, d’un air contrarié.

– Ça ne va pas ! Cette petite... On ne peut pas la laisser ainsi. Puis-je la voir, madame Bertain ?

– Pour sûr ! dit la concierge. Venez, monsieur Daubigny, elle est à côté.

Poussant la porte de la chambre, elle précéda le jeune médecin.

La pièce, comme l’autre, était sombre, mal aérée. Sur le divan, une petite fille, qui pouvait avoir une douzaine d’années, serrait frileusement un châle noir autour de ses maigres épaules. Ses yeux cernés regardèrent fixement le visiteur.

Doucement, le jeune homme se pencha vers elle.

– Eh bien ! mon petit, qu’est-ce qui ne va pas ?

– Ce n’est rien, monsieur. J’ai pris froid...

– Ça te fait mal de tousser, n’est-ce pas ? reprit Richard.

– Un peu, oui. Quand je respire, ça m’étouffe, et puis je tousse et je ne peux plus m’arrêter. Alors, ça me fait mal, là.

Rapidement, le jeune médecin ausculta la fillette.

– Allons, dit-il en se redressant, ce ne sera rien, on te guérira vite. Mais il faut que tu sois bien sage. N’est-ce pas, Moustique ?

– Oh ! oui, monsieur...

Richard se retourna vers Mme Bertain, l’air soucieux.

– Je crains une broncho-pneumonie. Il faut lui donner des médicaments énergiques pour enrayer le mal.

Il tira de sa poche un stylo et un carnet, écrivit quelques lignes sur une page qu’il détacha et tendit à la concierge.

– Achetez immédiatement ces remèdes chez le pharmacien, ordonna-t-il et donnez-les à cette petite. Je repasserai demain.

Il se tourna vers l’enfant et, amicalement, passa sa main sur la tête ébouriffée.

– Je pense que tu iras mieux bientôt. Au revoir, petit Moustique. À demain.

– Au revoir, monsieur.

Richard serra la petite main brûlante.

La femme le regarda s’éloigner. Elle eut un sourire indulgent.

– Un bon jeune homme, ce M. Daubigny, marmotta-t-elle. Toujours prêt à rendre service... et pas fier.

Le lendemain matin, Richard Daubigny ne manqua pas de venir voir la jeune malade. Son unique malade, puisqu’il n’exerçait pas.

L’année précédente, il avait passé brillamment sa thèse de doctorat en médecine, puis en était resté là. Manquait-il de ce feu sacré qui poussait ses camarades vers les épreuves diverses ? Nul ne le savait.

Quoi qu’il en fût, le jeune homme ne s’était pas installé. La nécessité matérielle ne l’y incitait pas, du reste. Sa mère, morte depuis quelques années, lui avait laissé une fortune suffisante pour assurer son indépendance, et il en profitait.

À peine fut-il entré dans la loge que la gardienne s’approcha du jeune docteur.

– Elle va bien mieux, notre Moustique, dit-elle sans laisser à son visiteur le temps de poser une question.

– Mais pourquoi ce nom bizarre de Moustique ? demanda Richard.

– C’est pas bizarre, monsieur Daubigny. Vous savez bien, c’est un nom d’amitié, qu’on donne comme ça. Elle était toute maigrelette, vive et légère, légère comme un moustique ! Alors on l’a appelée comme ça. Son nom, c’est Claudine Leblond, mais tout le monde l’appelle Moustique.

Tout en écoutant la brave femme, il s’était approché de la malade allongée sur le divan.

– Bonjour, Moustique. Comment vas-tu ce matin ?

– Bien mieux, monsieur, répondit la petite voix altérée.

Brusquement la phrase fut coupée par une quinte de toux.

– Hum ! c’est à voir. As-tu pris tes remèdes ?

À ce moment, il aperçut l’ordonnance écrite la veille, qui traînait encore pliée en quatre, sur la table.

– Où sont les médicaments ? questionna-t-il.

– Eh ! monsieur Daubigny, ces drogues-là coûtent cher, le pharmacien ne les donne pas pour rien, vous savez !

Les sourcils froncés, le jeune docteur regarda Mme Bertain.

– Ainsi, depuis hier soir la petite n’a rien pris de ce que j’ai ordonné ?

– Elle se remettra bien sans ça, grommela la concierge. Un rhume, c’est tout de même pas une affaire.

– C’est plus qu’un rhume, je vous l’ai dit, madame Bertain, c’est sérieux.

– Je ne dis pas, mais je ne suis pas riche, monsieur Daubigny ! J’ai promis à Mme Morin de surveiller Moustique pendant son absence, je ne peux pas faire plus. Je l’ai installée chez moi, pour qu’elle soit au chaud, ça va aller mieux.

De nouveau la toux secouait le corps de Moustique.

Elle essayait de sourire courageusement de ses lèvres pâles et crispées. La pitié serra la gorge de Richard.

– On ne peut pas la laisser comme cela, murmura-t-il. Elle n’a pas de famille, cette gosse ?

– Ma foi, je ne pense pas. Je n’ai jamais vu personne venir la voir. Elle n’a que sa marraine.

– Et le père ?

– Oh ! celui-là, j’l’ai jamais vu.

Richard réfléchit.

L’appartement, qu’il occupait au troisième étage de la maison, était spacieux, bien entretenu par un couple de vieux serviteurs. Cet arrangement lui laissait une grande liberté et lui permettait d’avoir toujours un pied-à-terre confortable, car en vérité, il était souvent absent.

Une idée germa dans l’esprit du jeune docteur, dans son cœur plutôt. Il baissa la voix pour n’être entendu que de la gardienne.

– Écoutez, madame Bertain. Cette petite est très malade. Vous ne pouvez la garder ici. Acceptez-vous que je l’héberge dans mon appartement ? Je la confierai à Coraline qui est très dévouée. Je soignerai Moustique et je la guérirai. Lorsque sa marraine rentrera chez elle, elle pourra reprendre sa filleule. Qu’en dites-vous ?

Mme Bertain haussa les épaules avec fatalisme. Elle acceptait l’intervention inattendue et providentielle qui la délivrait d’un souci.

– Moustique fera comme elle voudra, dit-elle. Si vous voulez la soigner, je ne peux vous refuser ça ! C’est même bien bon à vous d’y penser. Sa marraine serait d’accord, je suis sûre.

– Bien. Nous allons l’installer tout de suite.

Il s’approcha du divan.

– Moustique, dit-il doucement, je vais t’emmener chez moi pour te guérir. Tu veux bien ?

– Oh ! oui. Si Mme Bertain veut bien. Mais ce n’est pas l’hôpital ? Comme marraine ?

– Mais non, je te dis « chez moi ». Une brave femme te soignera.

Richard sortit et revint avec une couverture de sa voiture dont il enveloppa l’enfant.

– Tenez, m’sieur Richard. Voilà les papiers de la petite si des fois vous en aviez besoin, dit la concierge en tendant au médecin un portefeuille usagé. Il y a son acte de naissance, je crois, et des papiers de sa mère, vous verrez.

Richard mit le portefeuille dans sa poche, puis il souleva Moustique dans ses bras vigoureux.

– Tu ne pèses pas lourd ! remarqua-t-il. Un vrai petit insecte !

Quelques instants plus tard, l’ascenseur s’élevait dans l’immeuble, emportant Moustique vers son destin.

II

– Coraline ! Je t’amène un pensionnaire.

Coraline avait élevé Richard Daubigny. Elle et Wallace, son mari, nourrissaient pour leur jeune maître une véritable adoration. Aussi, lorsque ce dernier avait acheté un appartement, avaient-ils quitté le service du professeur Daubigny, son père, pour le suivre.

Le jeune homme avait en eux des serviteurs dévoués et toujours prêts à considérer ses pires folies avec indulgence. Ils lui reconnaissaient tous les droits.

Cependant, Coraline fut interloquée en voyant Richard entrer, portant comme un paquet, une petite fille emballée dans une couverture.

– Voilà ! expliqua rondement le jeune médecin. C’est une gamine, seule et malade. Tu vas l’installer dans la chambre d’amis. Et nous allons la soigner.

– Mais... Monsieur va la garder ici ?

– Évidemment ! On ne va pas la mettre dans la rue...

– Ça va faire bien du dérangement...

Coraline, petite femme aux cheveux gris, vive, alerte, toujours correcte dans sa robe noire, regardait Richard avec inquiétude.

– Eh bien ! tant pis, répliqua-t-il avec bonne humeur. Si on ne dérangeait jamais, crois-tu qu’on serait plus heureux ?

– Je ne dis pas ça, monsieur. Mais...

– Mais quoi ? reprit le jeune homme en riant. Je ne veux pas de « mais » ! Tu vas vite mettre cette petite au lit, avec une bouillotte. Surtout, qu’elle n’ait pas froid. Et donne-lui une potion pour calmer sa toux avant que je revienne avec des médicaments.

Et, sans discuter davantage, Richard tourna les talons. La porte de l’appartement se referma. Il était parti.

Wallace, qui s’était tenu à l’écart, s’approcha.

– Tout de même, il ne doute de rien, monsieur Richard ! remarqua-t-il. En voilà une affaire !

– Une affaire ? riposta-t-elle avec véhémence. Ce que M. Richard fait est bien fait. Dépêche-toi de préparer la chambre d’amis. Je t’aiderai pour le lit. Je vais chercher des draps.

Moustique avait été déposée sur le divan, dans le bureau de son protecteur. Engourdie par la fièvre, très lasse, elle était à demi assoupie. Sa respiration était toujours aussi saccadée.

Coraline activa ses préparatifs et alla donner un coup de main à son mari.

Quand la chambre fut prête, elle revint vers l’enfant, la considéra un moment.

– Elle n’a pas l’air d’aller fort ! marmonna-t-elle. Wallace, va mettre la petite dans le lit...

Le valet emporta l’enfant toujours roulée dans la couverture.

Coraline la suivit.

– Si c’est pas malheureux de laisser des enfants en pareil état ! observa-t-elle. Pauvre mignonne ! J’en ai le cœur tout chaviré !

Wallace déposa sur le lit confortable la petite fille qui ouvrit des yeux brillants de fièvre. Elle regarda le serviteur, lui sourit timidement.

Puis Coraline la déshabilla et la coucha.

– Maintenant, ma mignonne, repose-toi en attendant le retour de M. Richard.

Moustique regarda autour d’elle.

– J’aimerais mieux que vous restiez ici, madame. Je crois que j’aurais peur toute seule. Je suis si fatiguée...

– Pourquoi aurais-tu peur ? Je suis là, tout à côté. Tu n’es pas bien dans ce bon lit ?

Émue de pitié, Coraline avait mis dans sa voix tant de bonté que la fillette sourit.

– Oh ! si, je suis très bien. Je vais aller mieux.

– Comment t’appelles-tu ? demanda la gouvernante.

– On m’appelle Moustique et...

L’enfant se remit à tousser.

– Allons, ne parle plus et tâche de dormir, reprit Coraline. Je vais bien te soigner et tu guériras vite. M. Richard est médecin et il te remettra bientôt sur tes petites pattes de Moustique !

Maternelle, elle borda le lit et posa sa main sur le front brûlant.

– Je vais faire mon ouvrage. Tu sonneras si tu as besoin de quelque chose.

– Sonner ? répéta la fillette, surprise. Sonner... pour vous appeler ? Comme dans les histoires ?

Il lui semblait vivre un véritable conte de fées. Ce bon monsieur, qui voulait la guérir, cette belle chambre et cette dame, si gentille...

Elle ferma les yeux. Elle était à bout de forces, mais si heureuse.

III

Les jours passèrent, jours de lutte opiniâtre contre le mal qui, peu à peu, reculait.

Mais Moustique restait très affaiblie. Dans son visage si mince, si pâle, on ne voyait presque plus que ses yeux, de grands yeux couleur de violette claire, des yeux qui s’illuminaient lorsque Richard entrait dans sa chambre.

– Eh bien ! Moustique, comment vas-tu ?

Elle souriait, attachant un regard de reconnaissance sur son bienfaiteur.

– Beaucoup mieux, merci.

– Bon. Mais ne parle pas trop.

Il l’auscultait, lui tapotait la joue amicalement et l’encourageait à la patience.

– À demain ! disait-il.

Et Moustique attendait ses visites avec impatience.

Au bout du onzième jour, la fièvre tomba enfin.

– Cette fois, annonça Richard, te voilà entrée en convalescence.

– Je crois bien que, sans vous, je serais morte, dit la fillette.

– Bah ! Quelle idée ! On ne meurt pas à douze ans !

Moustique se mit à rire.

– Mais je suis bien plus vieille que ça !

– Pas possible ? Quel âge as-tu donc, grande personne ?

– J’ai quatorze ans.

Richard sourit, un peu étonné.

– Je comprends maintenant pourquoi tu es si raisonnable et prends sagement toutes les drogues que je te donne ! Mais assez bavardé pour aujourd’hui. Nous reparlerons de tout ça quand tu iras tout à fait bien.

Le jeune homme sortit de la chambre.

Moustique l’entendit recommander à Coraline de mettre soigneusement de côté une lettre que déposerait, vers midi, une Mlle Malou. Wallace devait lui apporter cette lettre aussitôt, à une adresse qu’il fît noter par la servante.

Il ne devait pas déjeuner chez lui.

Malou ! Moustique entendait ce nom pour la première fois. Cependant, elle devait l’entendre prononcer trop souvent par la suite, et connaître par lui sa première jalousie.

Mlle Malou...

Elle se répéta ces deux mots bien des fois, ce soir-là, avant de s’endormir.

Le lendemain, en entrant dans la chambre de la fillette, Coraline annonça triomphalement :

– M. Richard vous autorise un petit brin de causette ce matin.

– Quel bonheur ! s’écria Moustique, joyeuse.

La gouvernante ouvrit la fenêtre. Le soleil pénétra dans la chambre, un soleil d’hiver pas très chaud, mais qui apportait la joie dans le cœur de Moustique, maintenant sur la voie de la guérison. Tout lui semblait beau, aimable, les choses et les gens.

– Madame Coraline...

– Oui, ma mignonne ?

– Je voudrais vous demander quelque chose.

– Demande, ma petite, répondit amicalement la gouvernante. Je serai contente de te faire plaisir si je peux. Que veux-tu ?

– Je voudrais seulement savoir... si M. Richard est marié ?

– Quelle idée ! dit-elle, surprise. Bien sûr que non ! S’il était marié, sa femme serait venue te voir.

– Ah ! c’est vrai. Et il n’est pas fiancé non plus ?

Coraline fronça légèrement les sourcils.

– En voilà des questions ! Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Qu’est-ce qui te tracasse ?

– Oh ! rien. Mais j’avais entendu prononcer le nom d’une dame. Alors, je pensais...

– Une dame ? Quelle dame ? demanda Coraline avec un peu d’irritation.

– Mlle Malou.

– Qui t’a parlé d’elle ?

– Personne, dit Moustique. J’ai entendu M. Richard dire ce nom-là...

– C’est une de ses connaissances, bougonna Coraline. Et plût au Ciel qu’il ne l’eût jamais rencontrée, ajouta-t-elle.

– Est-ce qu’elle n’est pas gentille ? demanda Moustique innocemment.

– Gentille ? répéta la gouvernante d’un ton vif. Est-ce que ces personnes-là sont jamais gentilles ? Ce sont de vrais vampires, mis sur la terre pour la perdition des hommes trop bons et les détourner de leur chemin !

Moustique, un peu sidérée par cette diatribe, se sentait pourtant très joyeuse. Une fois sa toilette terminée, elle demanda si elle ne pouvait pas se lever.

– Ah ! pour ça, il faut demander à Monsieur ! répondit Coraline. Je ne peux pas te le permettre sans son avis !

Résignée, la fillette enfonça sa tête dans l’oreiller. Une bouffée de reconnaissance monta soudain en elle. Comme elle était bien ici !

– Madame Coraline...

– Quoi encore, ma petite fille ?

– Voyez-vous, je suis trop bien. J’ai besoin de vous dire merci... pour tout ! Jamais je n’ai été soignée comme ça, jamais.

– C’est M. Richard que tu dois remercier, reprit la servante. Moi, je ne fais que ce qu’il me demande. Il est si bon...

– Oh ! oui, dit Moustique avec conviction.

Coraline était en veine de bavardage. Rien, d’ailleurs, ne lui plaisait plus que de parler de son jeune maître. Elle s’assit auprès du lit.

– Je le connais depuis qu’il a eu deux ans, reprit-elle. Quand je suis entrée au service de son père, le docteur Daubigny, il était haut comme ça, M. Richard...

Elle fit un geste de la main pour indiquer la taille de l’enfant qu’elle évoquait.

– Si tu l’avais vu dans ce temps-là ! Il avait des belles petites boucles autour de sa tête ronde. Il était si mignon ! Et il avait déjà si bon cœur !

« Il était bon avec tout le monde et même avec les bêtes. S’il voyait battre un chien, ça le faisait pleurer. Un oiseau blessé ou tombé du nid, c’était une vraie catastrophe ! Il fallait le ramasser, l’apporter à la maison, le soigner, le guérir...

– Comme moi, murmura Moustique doucement.

– Oui, comme toi. Il a fait ça toute sa vie. Il ne peut pas voir le malheur des autres sans chercher à le soulager. C’est un cœur d’or, M. Richard !

Coraline se leva sur cette affirmation.

– Maintenant, je vais faire mon travail pendant que tu déjeunes. Après, tu te reposeras.

– Je ne fais que ça ! soupira Moustique. Me reposer...

– Tu seras plus vite guérie. Et alors...

La vieille servante n’acheva pas sa phrase et Moustique devint toute songeuse. Tandis qu’elle avalait une tasse de chocolat, une pensée angoissante lui trottait dans la tête : quand elle sera guérie... Qu’est-ce qui arrivera ?

IV

Cette question d’avenir, si elle inquiétait Moustique, ne laissait pas indifférent Richard Daubigny. Il n’avait songé, tout d’abord, qu’à guérir la petite malade en attendant le retour de Mme Morin. Mais la suite des événements lui fit changer ses projets.

L’état de santé de Mme Morin ne s’améliorait pas, au contraire.

Quant à Moustique, elle était encore très affaiblie. Une légère fièvre, le soir, rosissait ses joues, une toux sèche secouait la fillette qui ne reprenait aucun appétit malgré les attentions de Coraline.

– Si tu ne manges pas, tu ne guériras pas ! disait-elle.

Elle recevait invariablement la même réponse :

– Je n’ai pas faim.

Richard fit radiographier sa jeune protégée. Le cliché lui fit faire une grimace : un poumon était voilé.

Moustique était donc plus atteinte qu’il ne l’avait craint. Elle avait encore besoin de beaucoup de soins.

« Il faudrait la montagne pour la convalescence », songeait-il.

Chaque année, à pareille époque, il avait l’habitude de pratiquer les sports d’hiver, avec un groupe d’amis, jeunes gens de son cercle, étudiantes et jeunes femmes très libres.

Il aimait cette vie indépendante, l’atmosphère âpre et vivifiante de la montagne. Chaussé de skis, il se laissait glisser sur les pentes neigeuses, le visage fouetté par le vent mordant des cimes.

L’air pur de la Savoie, n’était-ce pas précisément ce qu’il fallait à sa petite malade pour oxygéner ses poumons, chasser définitivement le mal ?

À peine Richard avait-il envisagé cette solution qu’il l’adopta.

Cependant, il ne parla pas tout de suite à Moustique de son projet. Il appela Coraline.

– As-tu un instant ? J’ai à te parler, ma vieille Cora.

C’était son appellation la plus amicale.

– Bien sûr, monsieur ! Qu’est-ce que Monsieur veut pour son service ?

– C’est un service... indirect ! Voilà : je pars, comme d’habitude, pour Champoutant...

– Alors, Monsieur veut que je prépare ses bagages ?

– Naturellement. Mais ce n’est pas tout... Il s’agit de Moustique. Elle est si faible, si fragile ! Elle ne se remet pas, cette gosse ! Il suffit de la regarder pour voir que l’anémie la guette. Alors, tu vas lui acheter tout ce qu’il faut pour un séjour en montagne. Je vais l’emmener avec moi, l’installer là-bas et je l’y laisserai. Qu’en penses-tu ?

– Monsieur peut compter sur moi... et puisque Monsieur m’en parle, je peux lui dire... que ça lui portera bonheur. Moustique, c’est une vraie créature du bon Dieu. Si douce, si mignonne... et complaisante ! Je vais la regretter...

Dès que son maître fut parti, Coraline alla tout de suite trouver Moustique. L’enfant était levée maintenant. Elle s’ingéniait à rendre de menus services à la gouvernante, et se désolait d’être si vite fatigué.

– Il faut que je prenne tes mesures, ma petite fille.

– Mes mesures ? Pourquoi ? demanda la fillette, étonnée.

Coraline prit un air mystérieux. Elle était très fière de partager un secret avec Richard.

– En voilà une petite curieuse ! Tu le sauras plus tard !

– Ma petite madame Coraline ! supplia-t-elle, cajoleuse, dites-moi pourquoi. Je voudrais tant, tant savoir !

– Tu ne sauras rien, ma fille ! M. Richard te le dira lui-même !

– Ah !

Moustique resta silencieuse, mais, après que Coraline fut sortie, Moustique se creusa la tête pour deviner la raison pour laquelle la vieille servante avait pris ses mesures.

« C’est pour une robe, peut-être ? Mais pourquoi une robe ? »

Tout le jour, elle y songea. Chaque fois que la porte s’ouvrait, elle sursautait dans l’espoir de voir arriver Richard.

Le jeune homme rentra tard dans la soirée.

Coraline, qui l’attendait, lui dit d’un air de complicité :

– J’ai pris les mesures de la petite. Je n’ai rien dit ! Elle est dans un état... Si Monsieur lui parlait...

– Tu as raison, approuva Richard, va la chercher.

La fillette bondit à l’appel de la gouvernante qui la conduisit au bureau du jeune médecin.

Moustique entra, un peu intimidée. Richard, dans un fauteuil, écoutait la radio.

Maigre, pâle dans sa robe sombre, la gamine se tenait immobile. Ses pommettes animées accentuaient le cerne de ses yeux dont la couleur violette fonçait sous le coup de l’émotion.

Ses cheveux courts, d’un châtain cendré, moussaient autour de la tête menue.

– Eh bien ! demanda le jeune homme, comment vas-tu, petit Moustique ?

– Oh ! bien mieux ! affirma la fillette, rassurante.

– Hum ! tu trouves ? Je ne suis pas tellement de cet avis ! Avoue que tu es toujours fatiguée, que tu dors mal, que tu n’as pas d’appétit...

Moustique hochait la tête. Comme il devinait bien ce qu’elle ressentait, M. Daubigny !

Richard la fit asseoir.

– Alors ? reprit-il, quand on est comme ça, est-ce qu’on doit dire : « Je vais bien » ?

– Je ne sais pas, murmura la fillette en baissant la tête.

– Eh bien ! moi, je sais. À un médecin, on ne peut rien cacher. Et je dis qu’il faut te soigner encore, et longtemps, et non pas te remettre à travailler. Coraline me dit que tu veux toujours l’aider. C’est très gentil, mais tu n’es pas en état de le faire. Il faut te soigner et c’est tout !

– C’est que, soupira Moustique, il y a déjà longtemps que je me laisse soigner. Alors, j’ai honte.

Elle avait caché son visage dans ses mains.

– Honte de quoi, mon petit ? demanda affectueusement Richard.

– Je ne peux rien faire pour vous remercier.

– Ne te tracasse pas. Quand tu iras bien, je te demanderai quelque chose. Je ne sais pas quoi encore, mais je suis sûr que tu me rendras service. Un grand service ! Et nous serons quittes.

– Quel bonheur !

Elle releva la tête. La joie faisait étinceler ses yeux.

La fillette ne devait jamais oublier cette parole à laquelle le jeune médecin n’avait, lui, attaché aucune importance. Ce sont des mots que l’on dit aux enfants...

– Alors, reprit Richard, j’ai décidé de t’envoyer à la montagne, dans la neige. L’air pur, vif, sera ton meilleur remède.

Moustique écoutait, stupéfaite.

– Je vais aller à la montagne, répéta-t-elle, et... c’est vous qui m’y envoyez, pour me guérir ?

– Naturellement ! J’ai vu ta marraine, elle est d’accord aussi.

C’est alors que la fillette se leva et tomba à genoux près du jeune homme. Avant qu’il eût pu faire un geste, elle avait pris ses mains et les baisait avec gratitude.

– Voyons, voyons ! Tu es folle ! dit Richard en la repoussant doucement. Ce que je fais est tout simple...

Cependant, plus touché qu’il ne voulait paraître, il attira l’enfant contre lui et posa un baiser sur sa joue.

– Sauve-toi maintenant ! lui dit-il.

Il la suivit du regard tandis qu’elle allait raconter son bonheur à Coraline. Il secoua la tête.

– Pauvre enfant ! Dire qu’il est si facile de faire des heureux ! C’est la plus grande joie des riches de ce monde, la bonté intelligente. Il est dommage que beaucoup l’ignorent.

Il tournait le bouton de son appareil de radio lorsque la sonnerie du téléphone retentit.

Richard prit l’écouteur.

– Allô ! Ah ! c’est toi... Quand partons-nous ? Vers la fin de la semaine, je ne serai pas prêt avant.

– ...

– Comment ? Tu veux partir demain ? Impossible.

– ...

– Tu es furieuse ? Tant pis, mon petit ! Ça passera !

– ...

– Ah ! non. J’ai dit non, c’est non. Si tu n’es pas contente, pars toute seule !

Mécontent, le jeune homme raccrocha le récepteur en grommelant à mi-voix :

– Ah ! Cette Malou aurait besoin de manger de la vache enragée ! Elle n’est jamais satisfaite !

Cette nuit-là, Moustique ne dormit guère. Sa joie était immense, elle croyait rêver.

– Oh ! madame Coraline, disait-elle, songez donc que je vais faire un grand voyage, prendre le train ! Et voir la neige, dans la montagne, avec M. Richard ! Et j’ai de si belles affaires ! Une valise pour moi toute seule... et des pantalons, comme les garçons ! Des bonnets, des chandails, du linge !

Comme elles lui paraissaient lointaines les mauvaises années de son court passé !

V

Sur le quai de la gare de Lyon, une foule de jeunes gens se pressaient. On ne voyait qu’une forêt de skis, hérissant les voiturettes des porteurs ou portés sur l’épaule des voyageurs.

Des groupes se formaient : camarades qui feraient ensemble le séjour dans le même abri ou les mêmes excursions.

Tous ces jeunes jacassaient, piaffaient pour mieux dire, avec exubérance. Ce n’étaient qu’exclamations joyeuses, cris d’appel pour se repérer, se réunir.

Dans la cohue, Richard Daubigny et ses huit ou dix compagnons n’étaient pas les moins agités. C’est que le jeune médecin était un boute-en-train incomparable. Nul mieux que lui ne savait susciter partout la gaieté la plus franche, créer l’ambiance la plus sympathique. Il était le type même du camarade idéal.

Aussi ne manquait-il pas d’amis. Le seul reproche que l’on pouvait faire de son existence dorée était que cette ardeur à vivre n’avait d’autre but que son plaisir.

Son intelligence, son énergie auraient eu besoin d’un grand idéal, capable de centraliser ses activités. Sa personnalité en eût recueilli le sérieux qui lui faisait défaut, bien qu’il eût atteint l’âge d’homme.

Pour le moment, le jeune homme se frayait un chemin parmi les voyageurs. Moustique le suivait, un vrai moustique aux longues pattes, dans sa culotte de ski bleu marine, complétée par une veste courte en mouton blanc qui recouvrait un gros pull-over de lainage quadrillé. Des gants, un petit bonnet assorti achevaient la tenue de la fillette.

Les haut-parleurs annoncèrent :

« Les voyageurs pour Bellegarde, Genève, en voiture ! »

Le brouhaha s’intensifia, devint étourdissant. Moustique, un peu affolée, se cramponna à la veste de Richard pour ne pas se perdre.

Quelques instants plus tard, ils étaient installés dans un compartiment plein à craquer.

– Ça va, Moustique ? demanda le jeune homme quand le train s’ébranla.

– Oh ! oui !

Les yeux de l’enfant brillaient de plaisir.

Avec ravissement, elle se plongea dans la contemplation du paysage qui défilait sous ses yeux.

Alors Richard ne s’occupa plus d’elle. Il devinait que la santé fragile, le jeune âge de sa protégée la rendaient timide vis-à-vis de ses compagnons de voyage et qu’elle aimerait mieux qu’on la laisse tranquille.

– On me l’a confiée, avait-il expliqué, pour voiler sa bonne action et rendre la situation plausible pour ses camarades.

L’opinion des uns et des autres plus ou moins railleurs et malveillants lui était indifférente, mais il ne voulait pas que sa petite amie ressentît la moindre peine, la moindre blessure d’amour-propre à cause de leurs remarques.

Richard ne savait pas être bon à moitié. Il avait spontanément toutes les intuitions, toutes les délicatesses, toutes les compréhensions. Certains hommes ne les acquièrent jamais. Quelques femmes les possèdent après avoir passé leur vie à faire du bien autour d’elles.

Le soir, le groupe joyeux était arrivé dans une petite ville de Savoie. Penché sur l’indicateur, Richard constata qu’il n’était pas possible de gagner Champoutant, but du voyage, autrement que par un omnibus qui arrivait à destination tard dans la nuit.

Ses compagnons protestèrent.

– Ah ! non. Tomber là-bas en pleine nuit, à moitié gelés... Passons donc la nuit ici. Nous trouverons bien une auberge. Et, demain, nous continuerons le voyage.

– Si vous êtes tous d’accord, dit Richard, qui, à titre d’aîné, était le responsable, je me range de votre avis.

Ils trouvèrent de la place dans un petit hôtel, simple et confortable. Après le dîner, tout le monde alla se coucher et, une heure plus tard, chacun dormait paisiblement. Sauf Moustique.

Agitée, fébrile, la fillette ne pouvait pas fermer l’œil. Elle se leva et alla soulever le rideau qui voilait la fenêtre de sa chambre.

Cette fenêtre était pourvue de doubles vitres pour protéger la pièce du froid. Celles qui donnaient sur le dehors étaient givrées.

Le froid devait être sec et mordant, car la nuit ressemblait à un demi-jour. Mais Moustique ne voyait que les arabesques cristallisées que le gel dessinait sur la fenêtre, des fleurs étincelantes, des fougères gracieuses, qui semblaient semées là par la main d’un magicien.