Pourquoi ? - Dany Thierelle - E-Book

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Dany Thierelle

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Beschreibung

« Je l’aimais encore assez pour croire que ma docilité l’amènerait à plus de douceur et de respect. Comme j’étais naïve ! Un homme comme celui-là ne peut pas être doux. Un homme comme celui-là ne peut pas être respectueux. »



À PROPOS DE L'AUTRICE


Dany Thierelle, heureuse maman et institutrice, a été une femme épanouie le jour et une épouse victime d’un pervers narcissique la nuit. Elle n’a pas su dire « non » dès la première insulte ni dès la première gifle, car elle tenait absolument à ce que ses enfants vivent comme les autres enfants, avec un papa et une maman. Pour se libérer des chaînes du passé et profiter pleinement de la vie, elle écrit Pourquoi ? ?

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Dany Thierelle

Pourquoi ?

© Lys Bleu Éditions – Dany Thierelle

ISBN : 979-10-377-9411-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Jean, mon tendre amoureux,

et à Nicolas, mon thérapeute si attentif, merci.

1er janvier 2021

Pourquoi ? Question que j’ai posée tout au long de ma vie. Question que je me suis posée tout au long de ma vie. Questions multiples auxquelles personne ne m’a jamais répondu.

Pourquoi Maman ne m’a pas prise dans ses bras après m’avoir mise au monde ?

Pourquoi Maman ne m’a-t-elle jamais embrassée ?

Pourquoi Maman ne m’a-t-elle jamais touchée, sauf pour me donner une gifle ?

Pourquoi a-t-elle réussi à me persuader que je ne valais rien, que je ne vaudrai jamais rien ?

Pourquoi le premier homme que j’ai aimé m’a-t-il lancé une première insulte le jour de notre mariage ? Pourquoi y a-t-il eu des milliers d’insultes après cette première ?

Pourquoi n’ai-je pas protesté à la première gifle ? Parce que j’avais déjà compris que c’était la suite logique aux mauvais traitements psychologiques que j’avais subis depuis notre mariage ?

Pourquoi n’ai-je pas été étonnée quand les coups de poing, les coups de pied sont tombés, pour un oui ou pour un non ?

Pourquoi me suis-je ingéniée, pendant douze ans, à cacher les traces de coups sous des pulls à manches longues et col roulé ? Pour couvrir mon bourreau ? Pour cacher ma honte ?

Pourquoi est-ce que je n’ai eu aucune réaction, à part le dégoût de moi-même, quand il est passé, pour combler son impuissance, à des viols quotidiens, des viols avec n’importe quoi pourvu que ça ressemble à un sexe d’homme en érection ? Pourquoi avoir accepté tout ça, sans un mot, sans une larme, sans un cri, sans un geste de révolte ?

Pourquoi suis-je tombée en dépression lorsque tout s’est arrêté ?

Pourquoi me suis-je montrée incapable de vivre une vie normale ? Pourquoi est-ce que je ressentais un manque alors que j’aurais dû me sentir libérée ? Mon corps, maltraité pendant douze ans, avait-il besoin, pour continuer d’exister, de sa dose quotidienne de coups, d’humiliations, de viols ?

Pourquoi m’a-t-il fait subir tout ça ? Quelle faute avais-je commise pour mériter d’être corrigée de cette manière ?

Pourquoi, plus de cinquante ans après, ce que j’ai vécu perturbe encore ma vie et m’oblige à entreprendre régulièrement une thérapie libératrice ?

Un homme, Jean, mon Nano, m’a donné de l’amour vrai, de la tendresse à foison, pendant dix années. Comblée par cet amour, le premier vrai amour partagé, je me suis laissé envahir par un bonheur auquel je ne croyais plus, un bonheur dont je ne savais même pas qu’il pouvait exister.

Le même homme a veillé sur moi avec autant d’amour, lorsque les démons du passé ont resurgi avec une telle violence qu’ils m’ont enfoncée dans une profonde dépression, m’obligeant à renoncer à mon travail, faisant de moi une loque, insensible à ce qui se passait autour d’elle, tout entière tournée vers ce qui se passait dans sa tête. Dix ans ! Jean a veillé sur moi pendant dix ans, sur moi et sur mes enfants. Dix années pendant lesquelles il a probablement beaucoup souffert, sans protester, m’entourant de la tendresse si nécessaire à ma vie. Doucement, tendrement, patiemment, il m’a menée à la guérison. Avec amour, il a banni tous mes démons et retrouvé la femme qui s’était perdue, la femme qui l’avait oublié dans sa confusion.

Pourquoi ce brusque changement dans ses comportements après vingt années de vie commune ? Pourquoi, soudain, m’a-t-il refusé cette tendresse qui m’était tellement nécessaire et à laquelle il m’avait habituée ?

Pourquoi toujours la même réponse à ma question « Pourquoi ? »

Pourquoi n’ai-je obtenu que des « C’est comme ça » ?

Pourquoi, à deux reprises, m’a-t-il laissée partir, parce que je ne pouvais plus supporter le fossé qui se creusait entre nous ? Et pourquoi est-il venu me rechercher avec de belles promesses ? Promesses oubliées au bout de quinze jours, me laissant encore plus désarmée.

Pourquoi le fossé s’est-il creusé davantage pour devenir ravin, puis précipice ?

Pourquoi m’a-t-il laissée au bord de ce précipice dont le fond m’attirait de plus en plus, inexorablement ?

Tant de « pourquoi » restés sans réponses ? Qui me répondra ?

11 février 2021

J’ai voulu écrire mon histoire, surtout le compte rendu de la nième thérapie que j’ai commencée en 2018, alors que je n’arrivais plus à gérer seule les difficultés que je vivais douloureusement à cause de la distance que Jean, mon mari adoré, avait installée entre nous depuis de nombreuses années.

Je garde peu de souvenirs de cette thérapie, sauf que je sentais que le psychologue me comprenait et qu’il trouvait le comportement de Jean intolérable. Des recherches de solutions pour alléger ma souffrance, beaucoup de larmes pendant les entretiens qui ne m’ont menée à rien. Il m’arrivait parfois de regretter l’existence que j’ai connue lors d’un premier mariage, même si des bribes de souvenirs douloureux d’un passé vieux de plus de cinquante ans me revenaient régulièrement. Au moins, pendant ces années, le traitement que je subissais me donnait l’impression d’exister. Je ne devrais pas dire de telles monstruosités, mais je me sentais tellement morte auprès de Jean !

Une pause de quelques mois à essayer de résoudre seule mes problèmes. Mais plus j’essayais de m’en sortir, plus je m’enfonçais dans la dépression. Plus j’essayais d’oublier mon passé, plus des images incompréhensibles, sorties de je ne sais où, venaient me submerger et me conduisaient insidieusement vers la folie et l’idée d’en finir avec cette vie. Gérer l’angoisse provoquée par ces retours quelque cinquante ans en arrière, gérer en même temps la colère face aux comportements incompréhensibles de Jean, ça m’épuisait, j’étais incapable de faire face, je sombrais une fois de plus dans la dépression.

C’est pourquoi je suis retournée vers ce psychologue qui avait su m’écouter, qui avait su me pousser dans mes derniers retranchements pour que je vomisse ma douleur. J’aurais pu tomber sur un de ces charlatans ou un de ces psys… quelque chose que j’ai rencontrés lors de mes différents épisodes dépressifs. J’ai eu la chance de trouver celui qui me convient. Il sait écouter, aller au fond des choses, pour m’aider à décortiquer ce qui m’encombre encore le cerveau. Je sais qu’il comprend ma souffrance, je sais qu’il la partage. Je ne sais pas encore si je lui confierai les sévices que j’ai subis. Comment réagira-t-il ? Mes mots le révolteront-ils ? Ma colère deviendra-t-elle sienne ? M’accompagnera-t-il jusqu’à ce que j’aie fini de vomir ma haine envers mon bourreau ?

J’ai pris l’habitude de transcrire le contenu de nos entretiens pour qu’il reste quelque chose de cette collaboration basée sur une confiance réciproque, très proche de l’amitié. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de ces écrits. Je sais seulement que j’aimerais qu’ils soient lus au moins par une femme, une femme parmi ces milliers de femmes qui subissent les violences de leur compagnon, de leur conjoint, du père de leurs enfants.

J’aimerais que cette femme sache qu’il faut dire « non » dès la première claque, car systématiquement, la deuxième s’abattra, suivie de centaines d’autres, de milliers d’autres.

J’aimerais que ce que cette femme découvrira dans ces lignes lui donne le courage de crier sa révolte. Je n’ai pas eu ce courage, j’ai subi pendant douze longues années des attaques de plus en plus violentes, de plus en plus dégradantes, dont le souvenir me ravage aujourd’hui. Des souffrances tellement insupportables que mon cerveau les avait englouties pour me les restituer en flashs incompréhensibles, qui m’ont fait penser que je perdais la raison. Des images qui semblaient n’avoir aucun rapport les unes avec les autres, mais que je m’obstinais à vouloir comprendre.

Et lorsqu’enfin, avec l’aide de Nicolas, mon psychologue, j’ai réussi à resituer, dans le temps et dans l’espace, l’histoire horrible que ces images racontaient, je me suis sentie dévastée par divers sentiments, la honte de la femme asservie que j’ai été, qui a tout accepté, tout et surtout n’importe quoi. Avec la honte sont venus la haine et le mépris pour le bourreau. Et puis l’interrogation : pourquoi, pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de me traiter comme il l’a fait ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Aurais-je un jour les réponses à ces questions ?

Merci à Nicolas qui accepte de tout entendre, même l’indicible. Merci à lui de ne pas me juger. Merci à lui de me tenir la main pendant ce long parcours dont j’espère sortir grandie.

Merci à toi, petite sœur de misère qui me lira peut-être et trouvera la force de dire NON. Je t’aime.

15 février 2021

Après un séjour en psychiatrie de quelques semaines et un retour à la maison, affaiblie, mais pleine d’espoir. Jean, l’amour de ma vie, m’a promis qu’il serait plus présent et m’entourerait de la tendresse dont j’ai tant besoin. Pour consolider les bienfaits de mon séjour à l’hôpital, j’ai appelé le psychologue qui m’aidait à supporter les difficultés de ma vie avant mon hospitalisation.

Bien que nous nous connaissions, le dialogue s’est rétabli difficilement, j’avais trop à dire, j’étais trop en colère contre Jean qui, une fois de plus, une fois de trop, manquait à sa parole. Envolées les promesses ! Ma déception était énorme et j’ai commencé à voir surgir dans ma mémoire d’autres moments douloureux, ceux que j’ai connus avec mon premier mari, Bertrand.

Quand toute cette histoire douloureuse a-t-elle commencé ? Combien de temps ai-je été aveugle ? Savait-il, en unissant sa vie à la mienne, qu’il avait trouvé la victime idéale ? Je pense que j’aurais pu être alertée le jour même de notre mariage. Plusieurs signaux auraient dû m’ouvrir les yeux. Mais non, j’étais une jeune femme amoureuse qui vivait le plus beau jour de sa vie.

Voilà, nous sommes mariés, unis pour toujours. Nos familles, nos amis nous entourent, nous félicitant et nous souhaitant tout le bonheur du monde. Un peu étourdie par tant d’attentions, il me semble que je plane. Sans doute est-ce cela qu’on appelle « être sur un petit nuage » ? J’oublie pour un moment ma crainte de l’entendre dire « non » à la question posée par le maire de mon petit village. Pourquoi cette crainte ? Il était tellement furieux tout à l’heure lorsqu’il a découvert que mon visage était légèrement maquillé. « Va m’enlever cette peinture, tu as l’air d’une pute. » Je ne m’étais jamais maquillée, c’était une idée de mon amie Josette. Je n’ai rien pour me démaquiller, à part de l’eau et du savon… Et les larmes qui coulent de mes yeux. Je promets de ne plus jamais recommencer, implorant son pardon. Il a pardonné puisqu’il a dit « oui ».

Après cette cérémonie des félicitations et d’offrandes de cadeaux, chacun s’installe à table pour partager le délicieux repas que mon adorable belle-mère a préparé. Je remarque que Bertrand mange peu, mais qu’il boit beaucoup, beaucoup trop…

Une image surgit… Celle de mon père, sortant d’un repas trop arrosé, qui rentre à la maison avec quelques copains. C’est la première fois que je le vois ivre. Justement ce jour-là, où un évènement a bouleversé ma vie. Pour la première fois, j’ai vu des traces de sang dans ma culotte. Devant mon inquiétude, Maman m’a dit : « Ce sera comme ça tous les mois jusqu’à ce que tu meures ». Mon esprit de petite fille de dix ans comprend que ce sang qui sort de mon corps me fera mourir. Je pense que Maman et moi avons enfin un secret de femme à partager et ça calme un peu mon angoisse. Mais au lieu de garder ce secret, elle ne trouve rien de mieux que de l’annoncer à mes frères et à ces hommes ivres qui me taquinent de plaisanteries que je ne comprends pas. Quant à mes frères, ils prennent l’habitude de m’appeler « la puante ». Je ne comprendrai que dix ans plus tard les raisons de ces saignements. Et pendant dix ans, je m’empêcherai de dormir pendant mes règles, de peur de mourir pendant mon sommeil.

Un baiser dans le cou me ramène dans le présent. La fête bat son plein. Les rires fusent à chaque histoire drôle, les enfants courent ou se traînent à quatre pattes, à la conquête des ballons de baudruche qui décorent la salle, les toasts sont portés l’un après l’autre. Et toujours ce vin qu’il avale, verre après verre. Son regard devient de plus en plus vague, il bafouille des inepties concernant la nuit que nous allons vivre. Cette nuit que j’imaginais merveilleuse, à l’image de ses baisers qui faisaient naître des frissons délicieux dans mon ventre pendant nos fiançailles. Mais tout cet alcool déjà ingurgité alors que la fête ne fait que commencer !

Mon père se rappelle la promesse qu’il m’a faite de réaliser mon rêve : celui de me faire danser une valse viennoise en robe longue. Moment de rêve qui me fait oublier toutes les mauvaises pensées qui m’ont traversé l’esprit avant que Papa ne m’entraîne sur la piste. Rêve brisé lorsque Bertrand vient nous séparer pour se lancer dans un rock alors qu’il ne tiendrait même pas debout pour exécuter le slow le plus lent ! Moment de honte où nous sommes l’objet de tous les regards, réprobateurs pour lui, empreints de pitié pour moi. Je me rends compte que l’homme dont je suis amoureuse n’est pas celui que je connaissais jusqu’à présent. Étais-je aveugle pour ne pas voir ce que je découvre depuis ce matin ? Comment expliquer ses comportements d’aujourd’hui ?

Je me sens un peu perdue. Je me promets de faire en sorte, cette nuit, qu’il oublie dans mes bras tout ce qui peut le tourmenter. Peu importe si cette nuit ne m’apporte pas la félicité qu’une jeune mariée est en droit d’espérer. Je me dis que cette personnalité que je découvre est un accident de parcours dû au stress, au regret de devoir renoncer à sa vie de jeune homme aimant faire la fête. Je lui pardonne tout, d’avance, je veux le voir heureux de m’avoir choisie pour partager sa vie. Et si cette nuit ne répond pas à mes attentes, tant pis, il y aura d’autres nuits, des milliers d’autres nuits !

Je ne m’attendais pas à vivre un tel enfer. Son haleine alcoolisée qui me lève le cœur, sa violence lorsqu’il arrache mes vêtements, son acharnement à essayer de trouver le chemin dans mon corps écartelé, ses insultes : « T’es vraiment bonne à rien. Qu’est-ce qu’on t’a appris ? C’est tout ce que tu sais faire ? Je vais t’apprendre. Fais tout ce que je te dis et tu seras une bonne épouse. »

Et il s’endort. Je pleure sur ma déception. Je pleure sur ma robe de mariée en lambeaux. Je pleure sur la douleur de mon sexe malmené pendant des heures. Je pleure en me disant que Maman avait raison lorsqu’elle me disait que je ne serais jamais bonne à rien.

27 février 2021

Douze années de mariage… douze années de mauvais traitements… et parmi ces douze années, sept ont été les plus difficiles que j’ai connues. Et parmi ces sept années, deux très particulières où je me retrouve complètement dépendante du bon vouloir de Monsieur, si tant est que Monsieur ait un jour eu l’intention de me vouloir du bien !

En 1973, mon troisième fils vient au monde au printemps ; mon congé de maternité se termine début juin. Nouvelle organisation, surtout le matin. Un biberon à donner pendant que les deux « grands », âgés de deux et trois ans, prennent leur petit-déjeuner. Changer le bébé, débarbouiller les grands, les aider à s’habiller. Préparer un repas à réchauffer pour le midi. Une dose de café entre deux tâches à accomplir. Pas le temps de manger. Déposer bébé chez la nourrice et les autres à l’école maternelle de notre village. Et aller rejoindre mes élèves qui m’attendent dans la cour de récréation. Heureusement, j’ai droit à un logement de fonction, je ne perds donc pas de temps sur les routes. Le soir, je cours moins : récupérer les enfants, petits et grands, câlins, goûters, jeux, rires, bains, repas à préparer, dernier biberon, tout le monde au lit après une histoire. Ma journée de maman est terminée. Ma journée d’institutrice se poursuit dans les corrections des exercices du jour et les préparations de la journée du lendemain. Je ne suis pas tranquille, il n’est pas encore rentré. Dans quel état sera-t-il ? De bonne humeur ou prêt à saisir n’importe quel prétexte pour me chercher chicane ? J’ai du mal à me concentrer sur mon travail, je regarde partout, cherchant ce qui pourrait déclencher sa colère. Moi, je ne vois rien, mais lui trouvera…

Quatre semaines de ce régime où il me faut vivre à cent à l’heure, je vois les grandes vacances arriver avec soulagement et, en même temps, avec appréhension… Comment vont se dérouler ces journées ? Il va être présent plus souvent, il trouvera plus facilement des motifs pour me corriger. « Je te corrige, parce que tu es nulle et bonne à rien. Il faut que je t’apprenne à être une bonne épouse, une bonne baiseuse. » Il a depuis longtemps abandonné les gifles qui laissent des marques. Les coups de poing dans la poitrine, les coups de pied dans le ventre et le dos, des coups de tuyaux de gaz en caoutchouc sur la tête, ça laisse des traces, mais personne ne les voit. Tout est caché par des pantalons et des pulls à col roulé, par n’importe quelle saison. Parfois, il compte, avec un plaisir évident, les bleus visibles sur mon corps, mais il ne voit pas les bleus qu’il imprime à mon âme. Il ne voit pas les mots de haine qui s’inscrivent dans mon cerveau à mesure que sa violence s’accroît. C’est mon secret.

Tout au début juillet, il arrive à la maison tout de suite après sa journée de travail. Je me mets à trembler, la soirée va être longue. Apparemment, il n’est pas ivre, pas autant que d’habitude. « Tu as devant toi le plus jeune directeur d’agence bancaire de toute la région. » En le félicitant, je l’imite mentalement en me disant : « Tu as devant toi le directeur d’agence bancaire le plus con et qui va très vite se casser la gueule ! » Il prévoit un déménagement pour la fin du mois, sa prise de fonction étant prévue pour le 1er août. C’est de la folie, préparer un déménagement en un mois avec trois jeunes enfants qui demanderont tous mes soins ! Et mon travail ? Il faut que je demande ma mutation. Y a-t-il un poste vacant dans le village où nous allons nous installer ? Ou dans le village voisin ? Il ne m’a jamais autorisé à passer le permis. « Tant pis, de toute manière, je vais gagner plus que tu ne rapporterais, tu ne pourras plus dire que je gagne moins que toi, tu t’occuperas des gosses et tu te tiendras comme il faut, j’aurai un rang à tenir, je ne veux pas être l’objet de critiques à cause de ma bonne femme incapable. » Voilà, tout est dit. Monsieur a décidé. Madame n’a plus qu’à s’exécuter. Je demande un congé d’un an pour convenances personnelles, en espérant qu’un poste se libère pour que je puisse y prétendre. Je trie, j’emballe, je console les petits chagrins des grands qui se chamaillent, excités par ces bouleversements, je donne des biberons, je change des couches, je raconte des histoires, j’attends ma raclée quotidienne… Les jours se suivent et se ressemblent, il arrose sa promotion avec ses nombreux copains de beuverie. Comment a-t-on pu lui accorder un poste de cette responsabilité ? Personne ne s’est donc aperçu qu’il n’est qu’un ivrogne ?

Nous visitons l’appartement de fonction qui lui est accordé. « Maintenant, tu es chez moi ! » Je repère cinq chambres et, espoir, je calcule : une pour chacun des garçons, une pour lui et une pour moi. Naïve que je suis. Il a prévu d’occuper une pour s’en faire un bureau qu’il a d’ailleurs déjà équipé : bureau, siège ergonomique, armoires, mini-bar… Une déception de plus, il faudra que je continue à partager son lit et ses relents d’alcool. Dire que ce bureau, il ne l’occupera jamais ! Sauf pour boire un coup !

Commence alors une longue période où je dépends complètement de son bon vouloir. Je n’ai plus de salaire, les allocations familiales sont versées sur son compte. C’est lui qui me donne l’argent pour les courses, vingt-cinq francs par jour. Qu’est-ce que c’est que vingt-cinq francs quand il faut acheter le lait et les couches du bébé ? Et la viande ? Et les fruits et légumes dont mes enfants ont besoin ? Comment leur offrir une petite douceur ? Et comment acheter les cigarettes que je consomme en grande quantité ? Deux paquets par jour, j’en suis là, complètement intoxiquée par le tabac qui est devenu mon seul ami, mon seul soutien. Je cherche des plans B, plus de couches à jeter, retour aux couches en tissu qu’il faut laver à la main. Pas de lait à la pharmacie, je continuerai d’allaiter mon bébé jusqu’à ce qu’il puisse manger comme nous. Je fouille les poches pour dénicher le moindre centime. C’est là que je rencontre mon amie Danielle, la boulangère. Elle a un bébé du même âge que le mien, elle me donne un peu d’argent lorsque je garde l’enfant, ou lorsque je l’aide à classer ses factures, ou quand je donne un coup de main à la préparation des tartes du samedi. Je fais du repassage pour les gens qui en ont besoin, je rédige des courriers pour ceux qui me le demandent. Tout est bon pour récupérer un supplément d’argent pour satisfaire mon besoin de tabac sans rogner sur le budget auquel j’ai droit chaque jour.

Deux années de cette vie où les insultes continuent de pleuvoir, suivies de coups de plus en plus violents, des nuits où les échecs de toute tentative de relation sexuelle le rendent encore plus furieux. Deux années où sa consommation d’alcool est de plus en plus importante et ne passe pas inaperçue. Son alcoolisme devient de notoriété publique, non seulement dans le village, mais aussi au siège central qui décide de le rétrograder et de l’employer dans une autre agence. Nouveau déménagement alors que je comptais obtenir un poste d’institutrice, mon permis de conduire tout récent me permettant d’accepter un poste, même éloigné, qui me donnerait l’occasion de fuir la maison toute la journée. Encore un espoir déçu. Il faut recommencer les cartons, tâche rendue pénible par une quatrième grossesse, un souvenir du réveillon du Nouvel An 1975. Nous déménageons en août, beaucoup de travaux de rénovation dans le logement qu’il a acheté seul, travaux que j’accomplis seule. C’est au cours de ces travaux que se situe l’épisode des araignées auquel je consacre un chapitre plus loin. Ma belle-mère prend en charge les enfants, consciente de ma fatigue qu’elle met sur le compte de cette nouvelle grossesse. Quatre enfants en cinq ans, tous conçus un soir d’ivresse, pas vraiment désirés, mais tout de suite aimés dès que j’ai senti leur présence au fond de mon ventre.

Mon bébé arrive fin septembre. Une semaine de repos à la maternité, retour à la maison. Joie des grands qui avaient appris à aimer ce petit frère attendu et qui s’extasient devant les petits pieds et la bouche minuscule. Moments de bonheur à cinq toute la journée. Mais la nuit, c’est autre chose qui m’attend. Pendant mon absence, il a découvert un magazine axé sur le sexe, le sexe brutal, le sexe pervers, le sexe vu par des détraqués. Le soir de ma sortie de maternité, commence pour moi le long et terrible apprentissage auquel j’ai participé, de plus en plus écœurée, à mesure que les « leçons » devenaient plus exigeantes.

Je me déteste encore d’avoir participé à ces séances dégradantes qui brutalisaient mon corps et détruisaient mon âme.

9 avril 2021

Crise de panique pendant l’entretien avec le psychologue, après avoir vu une araignée. J’ai une peur terrible des araignées, une peur que je ne peux maîtriser. Encore un « cadeau » de mon bourreau.

En août 1975, après deux années difficiles pendant lesquelles, en plus des violences quotidiennes, je dois régler le stress causé par le manque de moyens financiers, il nous faut quitter le logement de fonction que nous occupons au-dessus de l’agence bancaire. Son alcoolisme n’est pas passé inaperçu, il doit quitter son poste, pratiquement du jour au lendemain. Il trouve rapidement une maison, là où il est muté. Il l’achète, sans me consulter, et je ne la découvre que le jour où nous nous y installons.

C’est vieux, c’est sale. Je nettoie, je peins les boiseries, je tapisse, je veux que le bébé que j’attends et qui doit naître fin septembre ouvre les yeux sur un décor agréable. Je suis fatiguée, après avoir préparé un déménagement avec trois jeunes enfants en à peine un mois, avec un ventre énorme et des douleurs dans le dos qui m’empêchent de dormir. Mais je continue mes travaux de rénovation. Ma belle-mère a pris les trois grands pour me soulager. Me soulager, c’est ce qu’elle croit… parce que l’absence des enfants signifie tête-à-tête avec le monstre, 24 heures sur 24, ce que je redoute plus qu’un excès de fatigue !

Un jour, à la fin du mois d’août, il me demande d’aller chercher une scie à la cave. La cave… lorsqu’à notre arrivée, j’ai ouvert la porte, j’ai vu d’énormes toiles d’araignées chargées de poussière. J’ai vite refermé la porte en me disant que je trouverai bien quelqu’un qui se chargera du nettoyage à ma place. La cave, je ne veux pas y descendre. Il sait ma phobie de ces bestioles, pourtant, il insiste, menaçant comme toujours lorsqu’il veut me contraindre à faire quelque chose qui me rebute. J’obéis, je descends la volée de marche en évitant de regarder les murs. Il me semble les sentir, en train de m’observer. Je me hâte pour me débarrasser de cette angoisse au plus vite. Et alors que j’arrive au bas de l’escalier, le salaud éteint la lumière et ferme la porte. Je me retrouve dans le noir et je me mets à hurler ma peur. « Ferme ta gueule, sinon je te laisse là une heure de plus. » Je ne me maîtrise plus, je hurle dans ma tête pour qu’il n’entende pas, je devine les araignées marchant sur les murs, je les sens comploter pour me sauter dessus. « S’il y a un interrupteur en haut, il y en a un en bas. » Avec effroi, je fais quelques pas, au hasard, dans l’espoir de trouver un mur, le mur avec l’interrupteur qui mettra fin à ma terreur. Mes mains ne rencontrent que des toiles, accrochées là depuis longtemps et qui sont répugnantes d’épaisseur. Celles qui pendent du plafond viennent se mêler à mes cheveux. Mes cris résonnent dans ma tête, je me sens devenir folle. Et soudain, je pense à mon bébé. Ressent-il ma peur ? Est-il vrai que lorsqu’une femme enceinte est effrayée pendant sa grossesse le bébé vient au monde avec une tache qui a la forme de l’objet, cause de la peur ? Je ne veux pas que mon bébé arrive avec une tache maudite qui l’enlaidirait et qui me rappellerait constamment ce moment d’épouvante. Alors, je caresse mon ventre, espérant que mes mains le préserveront de l’attaque des bêtes immondes qui nous entourent. Je parle à mon bébé, je lui dis que je serai toujours là pour le protéger, je lui promets que je le défendrai lorsque les araignées attaqueront. Ma peur est toujours là, mais les mots d’amour que je dis à mon bébé me calment petit à petit. Soudain, enfin, la lumière se rallume, je vois ces choses qui m’ont tellement fait peur, je vois surtout qu’il n’y a pas d’outils à la cave, je ne vois pas la scie qu’il m’a ordonné d’aller chercher. Je tremble, pas de peur, mais de colère, une colère comme je n’en ai jamais connu, une rage qui monte en moi, qui se déchaîne à mesure que je remonte les marches. Et, quand il m’accueille avec un sourire ironique, je lui dis : « Un jour, je te tuerai pour ce que tu viens de me faire. » Je crois que c’est la seule fois où il comprend que je ne plaisante pas. Il baisse les yeux, il devient tout pâle. Il ne demande pas pardon, mais ça m’est égal, j’ai vu que j’étais capable de lui faire peur. Je me dis qu’il va trembler chaque jour de sa vie en attendant que je mette ma menace à exécution.

Mon bébé est né, le plus beau bébé de la terre, sans aucune trace de ce qui avait effrayé sa maman.

12 avril 2021

Des flashs après que je me sois brûlée en repassant… une main brandissant le fer à repasser, un gâteau d’anniversaire, quatre petits bras bandés, des cris… La panique ! Qu’est-ce que ça signifie ? Quel rapport entre ces images ? Celles qui m’angoissent le plus sont la vue des bras d’enfants et celle du fer à repasser. Est-ce que les enfants ont été brûlés avec le fer ? Qui les a brûlés ? À qui est la main qui tient le fer ? Pourquoi les enfants crient-ils ?

Je passe le reste de la journée et toute la nuit à essayer de comprendre, à fouiller dans mes souvenirs… Impossible de me concentrer, l’image de ces quatre petits bras bandés m’empêche d’avancer. Je suis folle d’angoisse à l’idée que la main qui tient le fer soit la mienne. Un bras bandé peut faire penser à un accident. Mais quatre bras bandés laissent supposer l’intention de faire mal.

J’attends avec impatience le moment de retrouver le psychologue. Peut-être pourra-t-il m’aider à trouver un sens à ce qui m’obsède ? Ou bien dira-t-il que c’est le fruit de mon imagination, que mon cerveau dérangé par tous les souvenirs ayant déjà été décortiqués s’invente de faux souvenirs ?

Lorsque j’arrive au cabinet de consultation, je demande immédiatement de l’aide, l’angoisse m’étouffe. Je jette mes images, et la peur d’avoir fait mal à mes enfants. Je veux savoir qui leur a fait mal, si c’est moi qui leur ai fait mal. Qu’importe la douleur qui accompagnera immanquablement cette exploration, il faut que je sache.

« Vous avez parlé d’anniversaire. De quel anniversaire s’agit-il ? Concentrez-vous uniquement là-dessus. » C’est par ces mots que le psychologue m’invite à voyager dans mes souvenirs.

J’ai fait un gâteau, avec deux bougies. Demain c’est l’anniversaire de quel enfant ? J’ai vu quatre bras, donc il y a deux enfants. Je les entends jouer dans la chambre. Ils ont des jouets neufs. Ils les ont reçus hier lors de l’arbre de Noël de l’école. Donc on est en décembre et plus précisément le 23 et le gâteau est pour Gilles qui aura deux ans demain…

Petit pas par petit pas, question après question, avec l’aide du psychologue, je parviens à relier les images qui m’ont troublée après ma brûlure, à les ordonner, à reconstituer l’évènement, à me libérer de l’angoisse liée à la question : « Qui a fait mal à mes enfants ? »

Voilà l’histoire telle qu’elle a été reconstituée au cours de cette séance, telle qu’elle s’est déroulée il y a plus de quarante-huit ans.

Les enfants sont dans leur chambre, je les entends crier d’excitation lorsque les petites voitures quittent le circuit qu’ils ont reçu hier, lors de l’arbre de Noël de l’école. J’aime les entendre si joyeux. Je suis dans la pièce voisine que j’ai aménagée en lingerie. Je repasse, assise sur une chaise, rester debout me fatigue, j’attends mon troisième enfant qui pèse déjà bien lourd. J’ai commencé par les pièces les plus faciles à repasser. Je prends la première chemise, j’ai peur, je sais que, même si je m’applique, monsieur trouvera moyen de critiquer mon travail. Faux plis interdits. Sur un cintre ou pliée ? Boutonnée ou pas ? C’est selon son humeur, et son humeur change, selon son degré d’alcoolisation. Selon aussi son désir de me blesser par ses insultes, préludes aux coups.

J’ai déjà repassé trois chemises, je suis satisfaite de mon travail et je me dis que je serai dispensée de reproches aujourd’hui, les enfants sont là, ils sont ma protection, il ne se passe jamais rien quand les enfants sont présents.

J’entends son pas dans l’escalier, le pas incertain d’un homme qui a trop bu. Que vient-il faire ? Il commence à me tourner autour, soulevant ma jupe, me caressant les fesses. J’ai compris, quand Monsieur est rond, il a des besoins qu’il entend satisfaire immédiatement. Je lui fais remarquer que ce n’est pas le moment ni le lieu, que les enfants pourraient nous surprendre. De rage, il empoigne le fer à repasser et le dirige vers ma figure. Par réflexe, je place mon bras pour éviter d’être brûlée au visage. Le fer se pose sur mon bras, je retiens un cri de douleur, j’ai appris à ne pas crier. J’ai mal, le fer a fait fondre la matière synthétique qui compose mon sous-pull, ça reste collé à ma peau. Mais ce n’est pas fini, il jette le fer qui retombe sur ma jambe. Là aussi, le nylon de mon bas se rétracte sous l’effet de la chaleur et s’incruste dans ma chair. La douleur est trop vive, je laisse échapper un gémissement qui alerte les enfants. « Maman s’est brûlée avec son fer à repasser. » Voilà comment Monsieur explique « l’accident » avant de redescendre au rez-de-chaussée. Je l’entends qui loupe une marche et dégringole en jurant. Dans ma tête, je dis : « Crève ». Espoir déçu, il ne crève pas, je l’entends quitter la maison et démarrer sa voiture.

Les enfants pleurent en voyant mes blessures. Je les rassure comme je peux, affirmant que je n’ai pas mal et que le docteur à l’hôpital va me soigner. Mais avant de me rendre à l’hôpital, il faut que je coupe la manche de mon sous-pull et mon bas, car chaque mouvement que je fais exerce sur mes blessures une traction insupportable. Pas facile de découper une manche à droite avec des ciseaux dans la main gauche. Je suis contrainte de demander l’aide de Philippe. Cette tâche que je lui confie lui fait peur, mais il s’en acquitte bravement. Petit bonhomme de même pas trois ans, obligé de m’aider à soulager cette plaie répugnante ! Mon bras droit étant libéré, je peux m’occuper de couper mon bas. Aussitôt, la douleur devient plus supportable. J’habille les enfants, et en route pour l’hôpital où j’espère être prise en charge rapidement. À notre arrivée, une infirmière se précipite vers les enfants en pleurs. « Qu’est-ce qui leur arrive ? » me demande-t-elle. Philippe lui dit : « Nous on n’a rien, c’est ma maman, elle s’est brûlée avec son fer à repasser. » Dès que l’infirmière constate les dégâts, elle fait appel au dermato et à une collègue. Celle-ci veut emmener les enfants qui refusent de me quitter. Elle les installe donc dans un coin de la salle de soins, avec du papier et des crayons, ce qui ne calme pas leur détresse, ils veulent savoir ce que le docteur va faire pour me soigner. Elle les prend sur ses genoux et leur explique avec des mots simples que « le docteur va enlever les saletés de mes bobos et qu’il mettra un pansement ». Elle sort des compresses, de la bétadine et des bandages et entreprend de montrer à mes petits, toujours en pleurs, comment on fait un pansement. Très intéressés par cette démonstration, les enfants sèchent leurs larmes et bientôt, brandissent fièrement deux bras bandés et me rassurent : « Tu verras maman, ça ne fait pas mal ! »

Oh si, ça fait mal, malgré l’anesthésie locale ! Deux heures pour enlever, bribe par bribe, les matières textiles qui se sont incrustées dans les brûlures. Deux heures de larmes que j’essaie de cacher à mes enfants. Deux heures pendant lesquelles l’infirmière « nounou » les occupe patiemment jusqu’à la fin des soins. Une nouvelle piqûre pour atténuer la douleur, nous sommes prêts à regagner la maison. Le médecin refuse que je prenne le volant et charge « Nounou » de nous ramener. Non seulement, elle nous ramène, elle prend aussi en charge le repas, et le coucher des enfants. Et le mien également. Nous décidons de dormir tous les trois dans le même lit, dans le lit qui est trop souvent mon lit de souffrances ! Secoués par trop d’émotions, Philippe et Gilles s’endorment très vite, Philippe, la tête posée sur mon épaule gauche, Gilles et ses dix kilos, à plat ventre sur ma poitrine.

Je reste ainsi, éveillée toute la nuit, respirant au rythme de leur respiration paisible, savourant la chaleur de leurs petits corps blottis contre le mien, leur présence atténue ma souffrance physique, mais dans ma tête, c’est le chaos ! Jusqu’où ira-t-il dans l’escalade de la violence, s’il prend maintenant le risque d’être surpris ? Je me dis que non seulement j’ai épousé un monstre, que je suis liée à lui pour la vie. Mais il est en train de devenir fou et je crains de mettre aussi mes petits en danger. Et ça, je ne l’accepterai jamais.

14 avril 2021

1er octobre 1975, je quitte la maternité avec un nouveau bébé dans les bras. À mon arrivée à la maison, les trois « grands » accueillent leur petit frère avec des cris d’émerveillement. « C’est ça qui te faisait un gros ventre ? » « C’est lui qui gesticulait quand on posait nos mains sur ton ventre ? » Chacun veut toucher les petits doigts, les petites oreilles, la bouche minuscule, chacun veut vérifier si tout est là, là où il faut. Que du bonheur !

Du côté paternel, l’accueil n’est pas aussi enthousiaste. En me lançant une pile de revues sur la table, ses premières paroles sont : « Jette un coup d’œil là-dessus et choisis par quoi tu veux commencer ! » Sans regarder de quoi il est question, je lui réponds que je dois m’occuper de quatre jeunes enfants et que je prendrai le temps de regarder ses revues lorsque les petits seront baignés, nourris et couchés. Pour la première fois depuis qu’il est papa, il donne le repas aux plus grands, pendant que j’allaite le dernier-né. Cette nouvelle paternité l’aurait-elle transformé ? Naïve que je suis ! Il m’aide pour que je puisse regarder ses revues le plus vite possible.

Une fois les quatre enfants au lit, sans prendre le temps de manger, plus moyen d’échapper à la séance de lecture que j’ai repoussée. Rien que les couvertures en disent long sur le contenu des revues qu’il m’ordonne de feuilleter rapidement. Des sexes d’homme en érection, des sexes de femme s’offrant sans pudeur. La revue s’appelle « Union » et propose des conseils pour une sexualité sans tabou. À l’intérieur, les images sont immondes, plus répugnantes les unes que les autres. Je suis écœurée et affolée à l’idée de ce qu’il attend de moi. Je me dis que jamais je n’accepterais des pratiques aussi dégradantes, même si j’éprouvais encore le moindre sentiment pour lui. Je lui fais part de mon refus catégorique de le satisfaire selon les méthodes exposées dans ce torchon. Il me répond par une gifle violente et par l’ordre habituel : « Monte, j’arrive, puisque tu ne veux pas choisir, c’est moi qui vais t’apprendre, je vais te dégeler les fesses. »

Du 1er octobre 1975 au 8 mars 1980, soir après soir, nuit après nuit, il fera mon apprentissage, introduisant dans mon sexe martyrisé tous les objets qui lui tombent sous la main, des manches de couteau, des queues de poêle à frire, des goulots de bouteilles, tout ce qui, de près ou de lois, ressemble à un sexe d’homme en érection. Soir après soir, nuit après nuit, je subis sa folie sans broncher. Pas de cris, pas de larmes, pas même une grimace de douleur. Je suis deux, la Dany qui se déteste de se soumettre ainsi à l’abjection en restant inerte dans le lit, et la « Dany » que je vois au plafond de la chambre, qui me regarde, qui me sourit, et qui me murmure « ce jour-là ».

Lui qui me chassait de son lit lorsque j’avais mes règles, ne me laisse plus souffler, même pendant ces quelques jours. Je me sens alors plus sale. Une semaine de répit seulement au cours de ces cinquante-quatre mois, une semaine, que je passe à l’hôpital pour soigner une infection. Un morceau de branche, enfoncé trop brutalement, a laissé des échardes dans ma chair. « Avec quoi vous vous êtes fait ça ? » m’a demandé le jeune interne qui m’a examinée. Il ne lui est pas venu à l’idée que quelqu’un d’autre s’était chargé de me faire ça. Je l’ai chassé de ma chambre, humiliée à l’idée qu’il puisse penser qu’une femme soit capable de s’infliger un tel supplice.