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Tout le monde a, un jour, été touché par une sage-femme. C’est beau de se dire cela de sa profession et en même temps, tout de suite, ça met la pression !
Lirio Michèle "Quand le carré de chocolat ne suffit plus" explore une série d’histoires, parfois liées, parfois indépendantes, qui abordent la grossesse, la parentalité, le couple et le désir. Il nous pousse à remettre en perspective une conception médicale et très sociétale du fonctionnement du corps. L’auteure partage son expérience et ses réflexions avec délicatesse et passion, invitant le lecteur à esquisser autrement et avec humour des moments comme la grossesse ou l’accouchement.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Lirio Michèle est sage-femme, mère et femme. Soignante engagée,
Lirio Michèle a eu une enfance rythmée par les gardes de ses parents. Littéraire dans l’âme malgré tout, c’est dans l’écriture qu’elle trouve le moyen d’analyser ses colères, ses joies et ses victoires. De ses textes naît son premier livre Quand le carré de chocolat ne suffit plus.
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Seitenzahl: 115
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Lirio Michèle
Quand le carré de chocolat
ne suffit plus
© Lys Bleu Éditions – Lirio Michèle
ISBN : 979-10-422-1902-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toutes les femmes,
À tous les hommes
et les enfants
qui ont fait de moi la sage-femme que je suis
Coups de cœur et coups de gueule d’une sage-femme.
Voir le beau dans le quotidien, prendre le temps de s’émerveiller d’une phrase, savoir s’offusquer quand l’institution nuit à la vie.
À ma sœur,
J’ai toujours pensé qu’il fallait deux métiers pour s’épanouir : un métier intellectuel et un métier physique. Aujourd’hui, j’ai l’impression que j’ai trouvé mon équilibre entre l’action et l’intellect. Oui je sais, toi tu me dirais que je cours « pas mal ». Non ! Tu dirais « trop ».
Et toi alors ? Il semblerait que nous soyons faites du même bois.
Toi, tu dirais qu’il faut un métier qui demande parfois d’écouter son instinct. Cela revient finalement un peu au même.
Tu es une sage-femme. Pour la petite histoire, il n’existe pas de sage-homme. Un ou une sage-femme vient aider la femme. Il ou elle est sage, a la sagesse et donc la connaissance de la femme ou plutôt la sagesse pour entourer, aider cet événement qu’est la naissance et prendre la distance suffisante pour savoir s’il faut agir ou laisser faire.
C’est ça que tu as, toi. La connaissance. Tu sais écouter et comprendre les autres et les accompagner dans ce moment de vie qui te fait passer de personne à parent.
Moi je t’écoute et je me dis que j’ai de la chance de t’avoir comme modèle ; j’aimerais que les autres le voient plus et comprennent tout ce que tu apportes au monde. J’aimerais qu’ils sachent la valeur des gens comme toi.
C’est pour cela que je t’écris cette lettre aujourd’hui ; pour que tu comprennes ta valeur, et aussi pour les autres, pour qu’ils comprennent la valeur des sachants comme toi.
Tu es de ces personnes qui de leur métier ont fait un combat.
De mon point de vue, il y a les gens qui apportent une valeur tangible à la société, et il y a les autres.
« Imaginez-vous dans Lost, l’avion est tombé et vous avez survécu, qu’avez-vous maintenant à apporter comme compétences à cette microsociété en construction. »
Toi, tu sais…
Tu es la femme qui a sauvé un enfant.
Tu es celle qui les a aidés à se relever.
Tu es celle qui a compris sans qu’on lui explique.
Tu es celle qui lui a expliqué à lui, à elle, à eux qui ne comprenaient pas quand les autres ne trouvaient pas les mots.
Tu es celle qui s’obstine, qui ne lâche rien et qui, pourtant, sait leur faire lâcher prise quand il est temps.
Tu écoutes, tu accompagnes, tu accueilles…
Mais qui t’écoute toi ? Qui t’accompagne ?
En France, vous êtes environ 23 000 sages-femmes. Une profession à 97 % féminine et très jeune. Votre salaire est bas. Trop bas. Pourtant, toi et tes collègues vous avez fait 5 ans d’études – minimum. Tu me diras que tu t’en sors, et moi je te répondrais que la valeur de ton temps passé, à bosser tous les mois, ce n’est pas 1 800 euros.
Comment bien accompagner dans ces conditions ? Comment prendre le temps de rentrer dans l’intime sans intrusion ? Comprendre l’individu sans le brusquer ?
Ma sœur, tu t’oublies trop souvent… mais, n’est-ce pas le mal de ceux qui changent le monde ?
Alors j’écris cette lettre pour te donner le courage d’écrire la tienne, rassembler toutes ces notes de tous ces cahiers, ce savoir, ces connaissances, cette expérience… et les partager : pour faire passer le mot, pour alerter, mais aussi soulager les maux des autres et les tiens avec tes mots à toi.
Car le futur se construit maintenant avec des gens comme toi.
À la plus grande des sœurs,
À toi !
Margot Michèle
Septembre 2022
Lettre persane
ODE À MA SŒUR
Dans mon monde merveilleux, les sages-femmes sont les protectrices de la physiologie de la naissance. Dans mon monde merveilleux, elles aident les humains et les femmes en particulier, à se reconnecter à leur corps quand elles ne le sont pas ou plus.
Dans le monde réel, les sages-femmes apprennent tout ce qui peut merder à un accouchement. Elles apprennent à avoir toujours peur, à s’attendre à un piège à chaque recoin d’une salle d’accouchement. Or le cortisol et l’adrénaline, hormones libérées lors du stress, sont hyper communicatifs. Si je suis sur le qui-vive tout le temps comme sage-femme, les femmes ne parviennent pas à mettre au monde rapidement et sereinement.
Dans mon monde merveilleux, j’aurais appris cela à l’école de sages-femmes.
L’odorat des femmes est décuplé pendant la grossesse. Les contractions et leur douleur ont un effet sur la libération d’endorphines. Tout ce processus va stimuler l’olfaction du nouveau-né. À la sortie, ce bébé lèche ses lèvres, ses mains, les renifle. Elles sentent le liquide amniotique. Pas n’importe lequel, celui de sa mère. Chaque liquide a une odeur différente et change de goût selon ce que mange la mère.
Pourquoi le bébé fait cela ? Car il cherche l’endroit qui va le nourrir maintenant qu’il est sorti : les seins de sa mère. Les tubercules de Montgomery, les petits « grains » qui se trouvent tout autour de l’aréole des seins libèrent la même odeur que le liquide amniotique. Propre à chacune.
Voilà pourquoi le bébé sait. Voilà pourquoi il y arrive. Le jour où j’ai appris cela, j’étais éblouie par le processus ! waouh ! comment le corps a pensé à tout cela !
J’aurais aimé apprendre cela pendant mes études.
Mais dans ce monde réel, j’ai vu des bébés être lavés dès la naissance, essuyés, parfois mesurés, pesés, regardés sous tous les angles avant d’être posés sur les seins de leur mère. Des crèmes et un nombre incalculable d’échantillons d’onguents sont offerts aux femmes pour « protéger » leurs seins.
Le mamelon est un organe érectile. La muqueuse dont il est garni est comme l’intérieur de la bouche ou de la vulve. Vous mettez de la crème dans votre bouche pour la protéger ?
Quand je dis que le bout de sein est un organe érectile, c’est-à-dire qu’il grandit en réponse à une stimulation. En l’occurrence il répond à l’ocytocine lors du contact, d’une tétée, du froid, d’un orgasme.
On juge beaucoup de seins de femmes en regardant par-dessus leur épaule :
— Vous avez les bouts de seins plats ! L’allaitement ne va pas marcher !
— Vous éjecter du lait trop fort ! Du coup votre bébé s’étrangle à cause de vous.
Des décennies de regard patriarcal.
Allez, on change d’angle de vue et on bouleverse cette vision :
Combien d’hommes sont regardés par-dessus la ceinture par un soignant : « Alors, monsieur, toujours pas en érection ? »… c’est le même mécanisme que les bouts de seins plats.
Ocytocine bienfaisante…
Dans mon monde merveilleux, les sages-femmes rendent les couples confiants en leurs compétences de femmes et d’hommes.
Dans mon monde merveilleux, toute cette physiologie est magnifiée !
Au lieu de cela, une femme sur quatre est déclenchée pour donner naissance en France en 2022. 30 % des femmes qui souhaitent allaiter sortent de maternité avec un tire-lait, des compléments ou des accessoires comme les bouts de seins en silicone.
J’ai le cœur qui s’accélère quand les yeux de Vincent Munier s’embrument de croiser enfin la panthère des neiges. J’aime son regard intact d’enfant entouré de ses pattes d’oies de quadragénaire. Peut-être qu’il s’émerveille encore plus grâce à ce monde qui est le nôtre.
Peut-être que grâce à ce monde, j’apprends encore beaucoup, tous les jours.
Peut-être que grâce à cette formation imparfaite, je continue d’être émerveillée, de me former, d’observer et de vouloir comprendre.
Comme dit le doyen de la faculté de médecine d’Harvard aux étudiants de première année :
« La moitié de ce que l’on vous enseignera ici est fausse. Le problème c’est que nous ignorons laquelle. »
La nature est belle si tant est que l’on se pose pour l’observer. La physiologie est magnifique. Ne l’entravons pas, respectons-la.
Réveille-moi si on peut rêver d’un monde meilleur ! J’ai pas tué l’espoir qui brûle à l’intérieur.
Hervé, Un monde meilleur
Elle entre dans mon bureau ce matin, la rage au ventre.
Elle a 34 ans, on se connaît depuis sa quatrième grossesse : il y a 9 mois que la naissance a eu lieu.
Son périnée lui rappelle tous les jours qu’elle a mis au monde 4 fois.
Elle déteste ça !
Elle déteste avoir été seule à porter. Elle déteste avoir mis au monde seule. Elle déteste que cette société la rende responsable de porter sa famille. Elle déteste cette perte de contrôle. Ce contrôle, ce paraître, ce « il faut », « on doit », imposé par toute une société. Être responsable des menus équilibrés de la famille, des lessives, des activités des uns et des autres, de leurs affaires, responsable aussi de ce job de médecin où on lui interdit l’erreur.
Lui, il est papa. Il reprend des études et il révise.
Lui, son corps n’a pas enfanté.
Lui, il ne voit pas, la puissance de cette colère qui roule sur ses joues, à elle, ce lundi matin.
Le périnée a le moral dans les chaussettes.
Vieillir est seulement un privilège qui n’a plus d’intérêt lorsque tous ceux qu’on aime ont disparu.
P. Delerm
Sidonie a 84 ans, elle travaille encore. Son travail : elle est boulangère-pâtissière. Elle adore le contact des autres. Elle a vendu son vélo l’an dernier parce qu’avec deux genoux opérés ce n’est plus possible ! Pourtant, ses yeux ont 20 ans. Elle m’évoque son enfance, l’internat à 8 ans, le retour à la maison uniquement aux vacances. On ne se plaint pas chez Sidonie. Elle ne sait pas faire. Alors quand elle passe la porte, pour la première fois, pour me rencontrer, elle se demande si elle a bien fait. Elle n’a pas vu de gynéco depuis 30 ans, pas besoin ! Mais comme je suis sage-femme, ce n’est pas pareil.
Son utérus est un peu attiré par la gravité, foutue pesanteur terrestre. Alors on travaille dans cette zone endeuillée et endormie. Son mari est mort l’an dernier.
Ses souvenirs d’enfantement se réveillent, sa sexualité se rappelle.
Quelques séances plus tard, j’évoque une intervention sur cet utérus :
Le soir, elle rentre chez elle, et annonce à sa petite fille : « Lirio a dit que j’allais vivre encore 20 ans ! »
L’intervention s’est parfaitement bien passée. Sidonie est toujours au comptoir. Elle me fait de grands signes quand je passe et quand je rentre dans sa boutique, je regarde toujours ses yeux de 20 ans.
Elle attend son troisième enfant. C’est comme si nous nous étions quittés la veille. Elle est venue me rencontrer dès la première grossesse, il y a 7 ans. Elle m’envoie des photos de temps en temps, comme une cousine lointaine.
Chaque grossesse, elle rêve de mettre au monde chez elle.
Chaque fois, elle me demande de la suivre dans cette aventure. De venir l’accompagner chez elle pour enfanter. Elle ne le sait pas. Je ne lui dis pas. Chaque fois, j’en meurs d’envie.
Les frissons d’accompagner une femme qui donne la vie.
Le moment où elle perd pied, où le reste du monde ne compte plus, où ceux qui sont autour sont devenus suffisamment des êtres de confiance pour qu’elle laisse son corps enfanter.
Cette fois, elle déménage pendant la grossesse.
C’est une de ces femmes qui écoutent leur corps et qui sont voluptueusement enceintes. Son corps s’arrondit, elle savoure.
Elle accouche dans un mois maintenant. Toute la famille vient d’emménager dans cette nouvelle maison. Ils vivaient dans 60 m2 de préfabriqués. Ils viennent d’entrer dans la grange familiale aménagée. 4 ans de bataille avec les jaloux de la famille qui n’auraient certainement pas eu le courage de faire tous ces travaux.
Elle ne le sait pas encore, mais je m’apprête à lui dire oui pour accompagner son accouchement à domicile.
Jules et moi en avons beaucoup discuté. Il m’a donné son feu vert. L’ultime validation qui me manquait.
Vivre avec une sage-femme engagée, ce n’est pas facile. Lorsqu’elle accompagne des naissances à domicile, il faut être là pour seconder, quand c’est prévu, mais aussi quand ça ne l’est pas, quand on n’avait rien d’autre à faire, mais aussi quand on avait programmé quelque chose, le jour, mais aussi la nuit.
La naissance, c’est un moment magique, c’est une malédiction, un truc qui colle à la peau tout le temps.