Renaître de ses cendres - Peggy Messika - E-Book

Renaître de ses cendres E-Book

Peggy Messika

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Beschreibung

Doit-on attendre de se brûler les ailes à la lumière artificielle du succès et de la réussite professionnelle pour enfin se révéler à soi-même ? Doit-on attendre que la maladie nous rattrape pour prendre conscience que la vie que nous menons n’est pas notre vie ? Le parcours de Anastasia est un puissant récit de transformation. Après avoir connu le succès dans sa carrière professionnelle, elle est confrontée à un cancer qui bouleverse sa vie. Au lieu de céder à la désolation, elle choisit de voir cette épreuve comme un cadeau et trouve en elle les ressources pour se redécouvrir, devenant ainsi une personne plus forte, capable d’embrasser pleinement son authenticité.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Alors que Peggy Messika se formait à la sophrologie tout en travaillant comme manager dans une grande entreprise, elle a été confrontée à un lymphome. Pour faire face à cette épreuve, elle a commencé à écrire chaque jour et a transformé cette expérience en un roman. Son plus grand souhait est que son histoire puisse apporter de l’espoir et de la force à d’autres personnes touchées par le cancer, les aidant ainsi à renaître plus fort après cette épreuve.

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Seitenzahl: 260

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Peggy Messika

Renaître de ses cendres

Roman

© Lys Bleu Éditions – Peggy Messika

ISBN : 979-10-422-1792-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Première partie

La vie d’avant

1

Ce matin est un matin important pour Anastasia. Une consécration, la récompense tant attendue après de longues années de dur labeur, de sacrifices.

Il y a vingt ans déjà qu’elle a franchi pour la première fois les portes de son entreprise, la CICA, la compagnie internationale des cosmétiques américains. À l’époque, à tout juste vingt-cinq ans, elle était une jeune femme un peu rebelle, à l’allure que sa mère qualifiait de hippie, des cheveux longs et fins sans véritable coupe, des piercings et portant des pantalons larges et des docs martins. Elle allait de petit boulot en petit boulot, tantôt serveuse dans un snack, tantôt employée polyvalente dans une supérette de quartier.

Pour son entretien, elle avait fait l’effort d’attacher ses cheveux, et de porter un tailleur prêté par une voisine. Sa détermination avait fait le reste, et la voilà embauchée à l’essai. Elle avait débuté comme standardiste, des journées entières à répondre au téléphone :

— Oui, je vous passe M Untel, non, Mme Machin n’est pas disponible, je peux laisser un message, et accueillir les visiteurs :

— L’ascenseur est à droite, vous trouverez le service comptabilité au 5e étage.

Pendant ses longues journées derrière son comptoir, la jeune femme rêvait à une vie meilleure, en voyant passer tous les matins les cadres dirigeants et leur air supérieur. Chaque matin, ils passaient devant elle sans même la regarder, en la saluant distraitement. Elle ne pouvait envisager de continuer ainsi, de se contenter d’un petit emploi et d’une petite vie. Elle aussi voulait faire partie de cette élite, de ces gens importants, toujours bien habillés, toujours pressés.

Alors, elle avait repris ses études en cours du soir, pour passer un BTS d’assistante de direction. Elle parvint à faire valoir son diplôme fraîchement obtenu et fut nommée assistante de M Salomon, le directeur marketing, auprès de qui elle apprit tous les rouages de l’entreprise. À son départ à la retraite, elle fut nommée pour le remplacer. Avec sa fraîcheur, mais aussi toutes les connaissances acquises, elle ne tarda pas à se faire remarquer par la direction nationale de Paris. De poste en poste, elle avait gravi les échelons de la direction de l’entreprise.

Ce matin, elle se remémore ce beau parcours tout en se préparant. Pour l’occasion, elle a acheté une nouvelle robe, noire, sobre et surtout très chic et très chère, et qui met en valeur sa silhouette. Du maquillage pour camoufler les traces du temps qui passe (en réalité de toutes petites rides autour des yeux), un brushing impeccable, elle enfile ses Louboutin, voilà, elle est parfaite ! C’est ça le bonheur, pense-t-elle, voir son travail enfin reconnu et récompensé à sa juste valeur. Tous les sacrifices qu’elle avait dû faire étaient oubliés.

Certes, son ambition dévorante avait mis fin à son mariage avec Stéphane, mais comment accepter que son homme se contente de sa petite vie bien tranquille, sans ambition professionnelle, alors qu’elle voyait tout en grand. Lorsqu’elle avait commencé à faire des heures supplémentaires et à s’investir de plus en plus dans son emploi, son mari réclamait plus de présence de son épouse à ses côtés. Il ne supportait plus d’entendre parler sans arrêt de la CICA, c’était une obsession, son unique centre d’intérêt. Cela avait empiré à la naissance de leur fille, Amanda, qui passait plus de temps chez la nounou qu’avec sa mère. Bien sûr, Amanda avait dû souffrir de l’absence de sa mère, mais pour Anastasia, le plus important était l’exemple qu’elle lui donnait : on peut être une femme et réussir.

Anastasia chasse ses souvenirs au fond de sa mémoire.

Un dernier café avant de partir de la maison, Anastasia ressent le besoin de rassembler toutes ses forces. Elle est un peu nerveuse, les mains moites et le rythme cardiaque un peu trop rapide.

Elle descend à toute allure les 3 étages de son immeuble, et ne peut s’empêcher de sourire et de dire merci tout bas en passant devant un tag qui déclare « t’es belle ce matin ».

Elle s’engouffre dans le métro bondé, comme tous les matins. Quelle torture les transports en commun, être obligé de cohabiter quelques instants avec tous ces gens, les odeurs pas toujours agréables de chacun, et les gens qui ne marchent pas assez vite, ne sont-ils pas comme elle pressés de remonter à la surface et pouvoir à nouveau respirer ?

Et se déplacer en voiture à Marseille est de plus en plus compliqué, trop de monde, pas assez de parking.

Elle file jusqu’à la Joliette, où siège la CICA. Ils étaient installés aux docks depuis 2017. Ces anciens entrepôts furent construits au milieu du dix-neuvième siècle pour faciliter le commerce du port de Marseille vers l’orient. Abandonné dans les années quatre-vingt-dix, ce bâtiment possède quatre cours entourées de quatre entrepôts pour symboliser les quatre saisons, on y accède par cinquante-deux portes pour le nombre de semaines et il mesure trois cent soixante-cinq mètres comme le nombre de jours dans une année. Réhabilité au début des années deux mille, de nombreuses entreprises ont choisi la Joliette pour s’installer, au cœur d’un quartier en pleine expansion.

Elle entre en trombe dans le hall du bâtiment, salut sans même la regarder la jeune femme de l’accueil et se dirige vers l’ascenseur.

*

**

Sixième étage, elle y est, bureau du directeur régional de l’agence de Marseille. Une visioconférence avec le siège de Paris est organisée ce matin, avec pour but de nommer un (ou une) nouveau directeur adjoint. Anastasia est en concurrence avec trois autres collègues, ils sont sur la short-list, mais les rumeurs annoncent Anastasia gagnante. Soudain, elle s’aperçoit qu’elle sourit beaucoup trop, il ne faudrait pas avoir l’air de triompher avant l’annonce de la nomination. Et si elle n’était pas choisie. Impossible ! Ses concurrents ne sont pas à la hauteur. Flétin et son air de Snoopy, elle plaint ses équipes, comment fait-elle pour les motiver avec cet air toujours désespéré, non elle n’est pas crédible, pas plus que Treil, trop vieux, et encore moins Souchet, qui a failli perdre un gros contrat avec une entreprise américaine. La CICA vend des cosmétiques, des produits de beauté de luxe, avec des formules high-tech, ses dirigeants souhaiteront certainement comme directrice adjointe une femme qui représente les valeurs de la marque : une femme moderne, indépendante, ambitieuse.

Anastasia salue d’un signe de tête les personnes présentes, essayant de trouver un indice dans leurs regards.

Un peu de patience, la visioconférence commencera dans cinq minutes. Cinq petites minutes et ce sera son heure de gloire, enfin c’est ce qu’elle espérait le plus au monde. Elle prend place dans la salle de réunion ultra moderne, composée d’une grande table blanc laqué, entourée de larges fauteuils beiges confortables. Une épaisse moquette recouvre le sol. A la place de chacun un verre et une bouteille d’eau minérale fraîche ont été disposés, et au centre de la table trône une cafetière et des tasses blanc immaculé.

L’écran s’allume lorsqu’apparaît le visage grave de James Legrand, le PDG de la CICA, entouré de ses adjoints les plus proches.

Anastasia sent que ces jambes ne la portent plus, la tension devient trop forte, elle ferme les yeux un instant dans l’espoir de retrouver un peu de calme.

L’attente est insupportable, cela fait des heures que Legrand commente le chiffre d’affaires de la succursale de Marseille, en déroulant un PowerPoint, qui montre des schémas et des courbes reflétant des baisses, ils avaient perdu dix pour cent de chiffre d’affaires. Certainement la raison de la mutation du directeur adjoint à Lille.

Le défi est immense, reconquérir le marché méditerranéen, ne pas compter ses heures, redoubler d’efforts, de créativité, se réinventer… « Et qui mieux qu’Anastasia Selica pour incarner le renouveau dont nous avons tous besoin ». Elle n’a même pas entendu la dernière phrase, tous les visages se tournent vers elle, et Colin, son directeur, lui demande de le rejoindre et de dire quelques mots.

Comment traverser les quelques mètres qui les séparent, Anastasia a la sensation que son corps se liquéfie, et elle a un oursin dans la gorge. Ce n’est pas le moment de fléchir. Anastasia colle son plus beau sourire sur ses lèvres, lève le menton, ce qui, pense-t-elle, lui donne un air conquérant et sûr d’elle, et elle avance d’un pas décidé.

*

**

« Merci pour cette nomination, je suis fière de travailler pour la CICA, qui est devenue ma deuxième famille, et nous allons tout donner pour remplir et même dépasser nos objectifs ». Suivent des applaudissements nourris, des poignées de main et des félicitations. Anastasia exulte, mais ne veut pas le montrer, quand on est une pro, on sait contrôler ses émotions.

Et puis, elle sait qu’il y a ce caillou dans sa chaussure. Elle a beau l’occulter, elle sait que ça va arriver. Plus tard, pour le moment, il faut organiser l’aménagement dans son nouveau bureau, revoir tout son agenda, déjà bien plein, et y ajouter de nouvelles réunions. Les journées promettent d’être longues, mais tellement passionnantes.

Dix-neuf heures déjà, il est temps pour Anastasia de quitter son nouveau bureau.

Elle éteint la lumière, et s’arrête quelques instants sur la plaque qui orne sa porte : « Anastasia Selica, directrice adjointe ».

Son cœur s’emplit de fierté.

La semaine est pour Anastasia un véritable tourbillon.

Tous les matins, elle dévale les trois étages de son immeuble au pas de course, faisant claquer les talons de ses Louboutin flambant neufs. Elle sourit devant le tag « tu es belle ce matin », saute dans la rame bondée du métro, râle contre les odeurs corporelles des autres voyageurs, grimpe en courant les escaliers qui mènent à la libération. Puis, elle pénètre en trombe dans le hall de son entreprise, n’adressant qu’un discret regard à la jolie standardiste, qui la regarde avec admiration, piaffe d’impatience devant l’ascenseur et enfin entre dans son bureau. À peine assise, elle hurle déjà sur Solange. Elle veut son expresso, serré et sans sucre, oui, maintenant, tout de suite et même plus vite.

— Solange, il faut vous endurcir mon petit, et surtout être plus vive. Ne me faites pas regretter d’avoir pris une alternante et montrez-moi que vous voulez réussir. Allez, mon café, puis vous allez me préparer le dossier sur la nouvelle crème de nuit.

Arrivée à l’aube, et quittant le bureau tard dans la soirée, elle tient particulièrement à réussir sa prise de poste, et à prouver à Legrand, ainsi qu’à toute l’entreprise qu’elle mérite largement sa nomination au poste de directrice adjointe.

En y réfléchissant, c’est auprès de ses parents qu’elle a une revanche à prendre, eux qui, d’après elle, avaient passé des années à la dévaloriser et à la comparer à son grand frère qui, lui, était assez doué pour faire une école de commerce, là où elle était allée en fac de lettres. Pourtant, qui aurait pensé que cette adolescente rebelle, toujours vêtue de noir, et la tête dans les livres de poésie, pouvait se transformer en redoutable femme d’affaires. Toutes ces critiques et ce qu’elle avait vécu comme une injustice avaient fini par forger son caractère bien trempé. Si elle en est arrivée là, c’est parce qu’elle a un désir immense de démontrer à ses parents qu’elle aussi est capable de réussir.

Les réunions s’enchaînent à un rythme effréné, avec le marketing, la recherche et le développement, la comptabilité, le juridique. Il faut remonter une équipe dirigeante autour d’Anastasia, et donc écarter certains collaborateurs auxquels on attribue les mauvais résultats des derniers mois.

Anastasia convoque dans son nouveau bureau du sixième étage les malheureux, qui, en plus de se faire réprimander, se voient confier des postes moins importants, voire sont licenciés si les ressources humaines trouvent un motif légitime pour le faire. Cela ne pose aucun problème moral à Anastasia, pour qui le seul objectif demeure l’expansion de la CICA. La seule personne qu’il est difficile de licencier est l’assistante du précédent directeur adjoint. Anastasia sait qu’elle élève seule ses deux filles, et que de se retrouver au chômage en cette période tendue pour l’emploi sera compliqué pour la jeune femme. Mais trop d’erreurs ont été commises, sa direction souhaite faire preuve de fermeté pour redresser la barre. Alors elle ravale ses remords et signifie à la jeune femme devant elle qu’elle est licenciée pour faute grave.

2

Anastasia quitte son bureau ivre de joie après cette journée, encore une journée riche, une de plus, depuis qu’elle a été nommée directrice adjointe, il lui semble que tout est plus intense, plus passionnant.

Pourtant elle sait que ce soir elle a rendez-vous avec le médecin à 18 h 30, en pressant le pas elle peut être à l’heure.

Arrivée essoufflée, elle s’assoit dans la salle d’attente et prend le temps de se remémorer la raison de sa présence ici. Il y a quelques semaines, elle a remarqué une boule derrière son oreille gauche. Pas inquiète, elle a utilisé sa tactique favorite, c’est-à-dire faire comme si cette boule n’existait pas et attendre qu’elle disparaisse. Et vaquer à des occupations bien plus importantes, par exemple préparer le bilan annuel. Cette méthode, pas toujours efficace certes, lui permet de rester focus sur ce qu’elle considère comme important, son boulot, et le reste n’est que secondaire donc inutile d’y passer du temps.

Mais cette boule n’a pas disparu, Anastasia s’est donc décidée à consulter son médecin. Pour lui rien de très grave, certainement un abcès, qu’il faudra faire retirer par un dermatologue. Mais au préalable, le médecin demande à Anastasia de faire une échographie, pour confirmer son diagnostic.

Ne voyant aucune urgence, Anastasia attend ses congés d’été pour s’occuper de cette échographie, et même la dernière semaine de ses congés. Elle a passé les vacances dans un club de la Côte d’Azur avec sa fille Amanda et Victor qui partage sa vie depuis 5 ans, avec pour mot d’ordre : on s’éclate, après un printemps morose plombé par la crise sanitaire due à la COVID 19. Elle est toutefois heureuse de retrouver Marseille, Anastasia adore cette ville, Marseille, la rebelle, l’insoumise, ces bruits, ces odeurs, débordante de vie et d’énergie, un peu trop parfois même.

Anastasia a enfilé une petite robe fleurie qu’elle ne porte que pendant les vacances et ses sandales dorées, et attache ses cheveux en chignon rapide. Il fait beau ce matin-là, mais pas encore trop chaud, Anastasia déambule tranquillement jusqu’au cabinet de radiographie, et étant en avance, elle décide de s’attabler au soleil pour déguster un café. Elle rêvasse, regarde passer les gens, elle les regarde vivre, parler (on a le verbe haut à Marseille). C’est jour de marché aux réformés, au pied de cette église sublime qui provoque toujours chez Anastasia une grande émotion, elle a l’impression que cette église la protège. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours eu l’habitude de venir se réfugier dans cette église lorsqu’elle est dans un moment de doute, et par magie la solution apparaît.

Les couleurs rivalisent avec les odeurs, de fruits, de légumes, d’épices et de fleurs. Lorsqu’arrive l’heure de l’échographie, parfaitement détendue et sereine, Anastasia est prise en charge par une jeune médecin souriante. Elle applique son produit sur l’arrière de son oreille, met en route sa machine et débute l’échographie. Le temps semble long tout à coup, elle ne dit plus rien, prend des mesures, insiste, change de point de vue.

C’est à ce moment qu’Anastasia comprend, dans le regard du médecin. Elle explique que ce n’est pas un abcès, mais que pour l’heure elle ne peut pas déterminer l’origine de cette boule, elle doit procéder à un scanner, et propose à Anastasia un rendez-vous en urgence dès le lendemain.

*

**

Refusant de céder à l’inquiétude, Anastasia note le rendez-vous et rentre chez elle. Ce soir-là, elle a envie de profiter, et surtout pas de parler de cette boule. Alors elle invite sa fille et Victor au restaurant. La soirée est joyeuse, ils ont choisi de dîner en terrasse au cours Julien. Anastasia adore ce quartier, il possède une énergie comme nulle part ailleurs, jour et nuit, il y a de l’activité, des boutiques branchées et vintages, des bars, des restos, et des graffs sur tous les murs, l’ambiance respire la créativité, l’extravagance artistique. C’est un tourbillon de vie, cosmopolite, une galerie d’art à ciel ouvert. Anastasia s’y sent bien. Avec Victor, ils y ont passé de très nombreuses soirées autour de bons repas et de bonnes bouteilles de vin, à discuter, refaire le monde et élaborer leurs projets.

Il est l’heure de se rendre au scanner, dans un petit coin de sa tête ou de son cœur, Anastasia sent que quelque chose ne va pas. C’est un sentiment diffus, mais il est là. Elle sent qu’on va lui faire une annonce grave. Comment est-ce que l’on appelle cela ? Un pressentiment. Non, toutes les personnes qui passent un examen ont les mêmes craintes, on a un petit bobo et on s’imagine avoir une maladie incurable. Anastasia chasse donc cette idée, son mental lui joue des tours, il invente des scénarios pour combler le vide lié à l’ignorance de ce qui l’attend. Peut-être, mais des examens, elle en avait déjà passé, et elle n’avait jamais eu cette certitude au fond d’elle-même que quelque chose clochait.

Elle respire à fond, et tente de calmer la tempête de son cœur qui s’apprête à sortir de sa poitrine.

Elle entre dans le centre d’examen, on la fait patienter, pas longtemps, c’était la prochaine, lui, assure la secrétaire.

On lui demande de se déshabiller dans un petit vestiaire, et d’entrer dans la salle d’examen. Voilà, elle y est, le manipulateur lui explique comment se déroule l’examen, à certains moments elle va devoir bloquer sa respiration, d’autres ne pas déglutir. Il pose la perfusion qui permet de diffuser le produit de contraste, de l’iode, qui procure une douce sensation de chaleur. Anastasia a l’impression que ce scanner dure un siècle, puis on lui annonce par micro qu’elle peut se rhabiller. Et de patienter, le médecin souhaite lui parler.

Anastasia se tient dans une salle d’attente avec des sièges en plastique jaune d’un goût douteux alignés le long du mur, mais elle ne parvient pas à s’asseoir, ses jambes refusent d’arrêter de marcher. Elle arrive enfin, le médecin tient ses clichés dans la main et s’approche d’Anastasia.

*

**

Et là, tout bascule, comme ça, d’un coup, en un instant. Elle lui explique que le scanner a révélé de nombreux ganglions anormalement gonflés, ils sont présents à de multiples emplacements, les aisselles, le cou, la région pelvienne. Aucun doute possible, Anastasia est atteinte d’un lymphome. Elle lui explique que c’est un cancer des ganglions, que cela se soigne par chimiothérapie, que le traitement fonctionne bien et qu’elle va devoir être courageuse, les prochaines semaines vont certainement être difficiles.

Anastasia a l’impression que ses jambes ne la tiennent plus, un gouffre qui veut la dévorer vient de s’ouvrir sous ses pieds, sa tête lui tourne. Non, ce n’est pas possible, elle a mal compris. Elle est abasourdie, plus aucun son ne parvient à sortir de sa gorge. Le médecin l’interroge, a-t-elle des questions.

Bien sûr qu’elle a des questions, des milliers même, les idées partent dans tous les sens dans sa tête, s’entrechoquent, se bousculent. Un ouragan gronde sous son crâne. Si à cet instant-là on lui demande son nom, elle serait certainement incapable de répondre. Le médecin lui laisse encore quelques instants pour essayer de digérer tout ça, puis Anastasia réussit à poser une question : et maintenant on fait quoi ? C’est son médecin traitant qui va prendre le relais, elle doit prendre rendez-vous avec lui.

Dans le chaos de son pauvre cerveau, elle a au moins compris ça, il faut aller voir le Docteur Cohen, elle le connaît bien, il la suit depuis des années, ainsi que sa fille depuis qu’elle est née. Le temps que la secrétaire tape le compte rendu du scanner aide Anastasia à remettre un peu d’ordre dans ses idées. Elle sort sur le parking pour attendre Victor qui doit venir la chercher.

Comment peut-il faire aussi beau dehors, le soleil brille, la nature est en fleur, c’est l’été, la saison préférée d’Anastasia, et elle, elle se sent glacée à l’intérieur. Elle a envie de hurler sa rage.

« Pourquoi moi, pourquoi maintenant ? Pourquoi l’univers m’envoie cette épreuve, ce n’est pas juste et surtout ce n’est pas le bon moment. »

Elle marche comme un zombie jusqu’à la voiture lorsque Victor arrive enfin. Tout à coup, c’est un électrochoc ! Elle s’est toujours battue dans sa vie, et elle va continuer. C’est une sacrée épreuve, certes, mais elle se pense parfaitement capable d’y faire face. Et surtout, le plus important à présent, sera de rester forte aux yeux des autres, de ne pas montrer ses sentiments, ses peurs.

Elle entre dans la voiture de Victor, et lui raconte ce qui vient de se passer, de façon froide, mécanique, comme si cela était arrivé à quelqu’un d’autre.

Son compagnon, qui connaît bien le caractère d’Anastasia, s’en alerte, mais ce n’est pas le moment de provoquer une crise.

3

De retour chez elle, Victor lui propose de rester ce soir avec elle, d’autant qu’Amanda se trouve chez son père. Elle accepte volontiers, même si elle ne l’avoue pas, la présence de son homme la rassure. Et en même temps, elle aurait voulu être seule, pour réfléchir à tout ça.

Le lendemain, elle a rendez-vous chez le docteur Cohen à onze heures. Inutile d’attendre que le réveil sonne, le sommeil la quitte à 6 h ce matin. Comment dormir avec toutes ses questions qui se bousculent ? Et Victor qui n’arrête pas de lui donner des conseils, de lui proposer son aide sur de multiples choses. Comment lui expliquer qu’il l’angoisse plus qu’il ne l’aide ?

Le docteur Cohen la reçoit dans son cabinet, elle s’y sent rassurée, il n’a pas bougé depuis des années, les mêmes sièges rouges en cuir, et son vaste bureau en chêne. Lui-même a très peu changé, un homme a la carrure imposante et la voix grave et aux yeux rieurs.

Il explique avoir eu le médecin du scanner au téléphone hier, qui lui a exposé les résultats. Il a fait quelques recherches, quoiqu’il connaisse bien le sujet, ayant lui-même travaillé au centre contre le cancer de Marseille. Il les a d’ailleurs contactés pour prendre un premier rendez-vous.

Celui-ci aura lieu le 10 septembre. Nous sommes mi-août, Anastasia ne comprend pas qu’elle ne puisse pas avoir de rendez-vous plus tôt. Ils ne peuvent pas la laisser ainsi patienter sans savoir.

Victor pose encore quelques questions, qu’Anastasia n’entend pas, trop perturbée par la perspective de l’attente.

Tout à coup, une voix la sort de sa rêverie : « Madame Selica, c’est à vous, vous me suivez ».

Anastasia respire difficilement, jusqu’à présent rien de concret ne s’est passé, mais être ici, au centre contre le cancer rend les choses un peu plus concrètes. Elle est installée dans une salle d’attente que l’on a voulu rendre confortable, ornée de tableaux représentant la nature et des couleurs douces, mais cela ne suffit pas à la détendre.

*

**

Depuis sa visite chez le docteur Cohen, elle est retournée travailler comme si de rien n’était. Trois longues semaines, à sourire, à travailler de manière acharnée, en raison de son nouveau poste certes, mais surtout pour ne pas penser. Elle a tout fait pour oublier ce rendez-vous chez l’oncologue, et n’en a parlé à personne, seul Victor est au courant.

Amanda, quant à elle, est rentrée au lycée, dans des conditions difficiles avec la Covid, Anastasia craint qu’elle ne se décourage donc elle est sans arrêt sur son dos, pour la motiver, pour qu’elle suive les traces de sa mère vers la réussite sociale. Certes Amanda se montre parfois fière de sa mère, toutefois elle reconnaît que l’école ne la passionne guère, ce que veut la jeune fille, c’est faire de la danse, d’ailleurs elle présente de grandes aptitudes et est extrêmement douée. Son ambition à elle, c’est d’intégrer l’opéra et de devenir danseuse étoile. Lorsqu’elle l’a appris, sa mère est entrée dans une colère noire, ce n’est pas un métier stable et rentable la danse. Les deux femmes sont en conflit depuis cette discussion, et même si Amanda continue à venir chez sa mère une semaine sur deux, le cœur n’y est pas. Parfois, Anastasia se demande pourquoi Amanda n’est pas comme elle, avec une vraie ambition, le désir de faire une grande école, d’avoir une carrière, de gagner de l’argent.

Elle serait si fière de pouvoir pavané devant ses collègues de boulot en affirmant que sa chère fille fait des études supérieures, qu’elle est aussi douée que sa mère. Le rôle de mère est vraiment ingrat. Lors de leurs nombreuses disputes, Amanda reproche à sa mère d’être une égoïste, de ne pas s’intéresser à ce qui se passe dans sa vie.

En retour, Anastasia accuse sa fille de toujours prendre la défense de son père, de le préférer parce qu’il est moins autoritaire qu’elle, moins sévère. Mais si elle n’avait pas bossé aussi dur, qui aurait payé les cours de piano, de danse dans la meilleure école de la ville (si elle avait su, elle s’en serait abstenue), mais aussi son appareil dentaire, ses vêtements et ses nombreux cours de soutien. Anastasia ne supporte plus la négligence d’Amanda, elle a l’impression qu’elle laisse tout traîner, ne range rien, et Amanda de son côté ne comprend pas pourquoi sa mère est aussi maniaque, un verre qui traîne sur une table n’est pas un manquement grave à l’hygiène.

*

**

Anastasia fait la connaissance de son oncologue, qui la tire de ses rêveries, le docteur Kartain. Il a une cinquantaine d’années, et a l’air plutôt bienveillant. Il porte un costume sobre, et des lunettes en écailles vertes qui lui mangent tout le haut du visage. Il l’invite à s’asseoir avec un large sourire, puis le dialogue s’installe.

— Madame Selica, vous avez 45 ans, pas d’antécédents médicaux, pas de problèmes de santé ? Vous fumez ?

— J’ai arrêté il y a 15 ans de fumer, pas de temps à perdre pour ça, sinon je n’ai aucun problème de santé, je suis en pleine forme

— Quel métier faites-vous ? Subissez-vous du stress ?

— Je suis directrice adjointe de la succursale de la CICA à Marseille, annonce-t-elle fièrement, alors les gens ordinaires diront que c’est du stress, pour moi ce n’est que du bonheur cette adrénaline, c’est mon moteur, ce qui me motive.

Le docteur se décide enfin à en venir aux faits. Il avait vu les résultats du scanner, il va falloir faire une biopsie pour connaître la nature du lymphome, et ainsi établir un protocole. Il souhaite aussi faire un TEP scan pour évaluer les zones touchées.

Tout ça va trop vite, et surtout comment se passe une biopsie, Anastasia s’inquiète de ne pas pouvoir retourner au bureau le lendemain. La période est cruciale, les préparatifs des fêtes viennent de débuter, c’est la période la plus importante, mais aussi la plus excitante de l’année, le moment où il faut encore plus être à fond. Il est impossible pour Anastasia de s’absenter, même pour une journée.

Le Docteur Kartain reste interloqué, il retire ses lunettes à écailles vertes en laissant entrevoir des yeux noisette. Il ne comprend pas la réaction d’Anastasia. Visiblement elle n’a pas pris la mesure de ce qu’implique son état de santé. Elle va suivre un traitement à base de chimiothérapie, elle n’allait donc pas pouvoir conserver son activité professionnelle, au moins les premiers mois.

Anastasia se lève, des larmes de frustration dans les yeux. Ce docteur ne veut donc pas comprendre, elle ne peut pas s’absenter du bureau, la seule fois où elle l’a fait, c’était pendant son congé maternité, qu’elle avait écourté de presque trois semaines, ne supportant pas de rester à la maison.

— Je suis désolée Madame Selica, mais nous allons procéder à votre biopsie vendredi, vous serez en arrêt de travail à compter de ce jour. Nous aurons les résultats sous dix jours, et nous commencerons le protocole dès que possible. Cela vous laisse deux jours pour mettre en ordre vos affaires professionnelles. Nous vous attendons vendredi matin à 7 h au service de chirurgie ambulatoire. Et je vous reverrai en consultation dix jours après pour évoquer le protocole. Je vous recommande vivement de venir avec une personne de confiance, cette consultation est très importante, il faut que vous compreniez le protocole, donc si vous êtes deux, il sera plus facile de tout retenir. Je compte sur vous, vendredi matin, Madame Selica.

Passez par le secrétariat, je vais leur laisser des consignes pour vos prochains rendez-vous.

4

Elle ne sait quoi répondre, et se contente de hocher la tête.

Anastasia a pris un coup de massue sur la tête, jusqu’à ce rendez-vous, elle avait espéré qu’il y aurait une erreur, que les docteurs aient mal interprété les résultats. Si elle ne pensait pas à cette maladie, elle allait bien finir par s’en aller comme elle était venue, après tout personne ne l’avait invité.

Anastasia saute dans le métro pour rentrer chez elle, et à la sortie, s’aperçoit qu’il pleut, et bien sûr elle n’a pas son parapluie.

Elle entre dans son immeuble, complètement trempée. Elle monte les trois étages qui mènent à son appartement qui ne lui ont jamais paru aussi hauts, avec l’impression que son corps pèse une tonne.

Arrivée devant sa porte, elle est tellement bouleversée qu’elle ne parvient même pas à mettre la clef dans la serrure. Et là, tout d’un coup, devant cette porte close, elle comprend. Son monde vient de s’effondrer en quelques heures. Comment la femme d’affaires sûre d’elle, presque invincible, peut-elle être atteinte de cette maladie, comment accepter de mettre sa carrière entre parenthèses, ne serait-ce que quelques semaines. Elle se laisse glisser le long de la porte et pleure. Elle pleure comme elle n’a plus pleuré depuis si longtemps. Toutes ces larmes ravalées se déversent aujourd’hui, tel un torrent, le barrage a cédé.