Requis, réfractaire puis père - Michèle Laboureur - E-Book

Requis, réfractaire puis père E-Book

Michèle Laboureur

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Beschreibung

La découverte des archives STO de son père datant de la Seconde Guerre mondiale a incité Michèle Laboureur à consigner son histoire par écrit. À partir du nom d’un lieu, seul vestige évoqué lors de leurs échanges, elle a pu donner substance à un parcours singulier.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Médecin-psychiatre et psychanalyste, Michèle Laboureur est habituée à rédiger des textes sur des sujets liés à la psychanalyse et à la clinique, particulièrement dans le contexte des enfants. À la suite de ses expériences, elle a voulu reconstituer le parcours historique de son père durant la Seconde Guerre mondiale.

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Seitenzahl: 135

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Michèle Laboureur

Requis, réfractaire puis père

STO 1943 et après

Au centre de l’Europe

Édition augmentée STO 1943

© Lys Bleu Éditions – Michèle Laboureur

ISBN : 979-10-422-3604-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

De la même auteure

Jérôme et ses quelques traits d’autisme, L’Harmattan, Paris, 2011 ;

Participation à : Sigmund Freud, Fin d’analyse, traduction sous la responsabilité de Susanne Hommel, Paris, érès, Scripta, 2022.

Pour ne pas oublier

À mon fils Frédéric Diet et son épouse,

À mes petits-enfants, Aloys, Ludivine et Leïla

2018-24-25

Dans cette nouvelle édition, nous avons inclus des témoignages de descendants de Requis au STO ou des commentaires à partir des pièces qu'ils nous ont fournies.

Dans une dernière partie nous avons voulu comprendre la problématique particulière de la Bohême à partir de son histoire.

Michèle Laboureur

Préface

Dans ses interventions à l’Académie des Belles-Lettres et lors de ses discussions toujours érudites avec ses collègues, Michel Laboureur parlait peu de sa jeunesse ; il était plus disert sur Saint-Michel-en-l’Herm, son abbaye et ses buttes coquillières. Il est heureux par conséquent que dans ses archives, aient été retrouvés des documents qui illustrent les événements qu’il a connus pendant la seconde guerre mondiale, au début de sa vie professionnelle, et l’expérience du STO qui l’a conduit en Allemagne.

Trop jeune pour être mobilisé en 1939, Michel Laboureur s’engage dans la vie professionnelle et se marie. Mais dans le contexte de l’occupation et de l’engagement de plus en plus marqué de l’État français dans la collaboration, sa vie, comme celle de centaines de milliers de jeunes Français, se trouve profondément bouleversée, notamment par la loi de février 1943 relative au Service du travail obligatoire exigé par les autorités d’occupation qui ont besoin de la main-d’œuvre des pays occupés pour soutenir l’effort de guerre allemand.

En juin 1943, il doit quitter son travail et sa jeune épouse pour une contrée lointaine, qu’on appelle alors les Sudètes, et travailler dans une usine et un camp situés à Graslitz, dans l’actuelle République tchèque où il restera neuf mois. Il témoigne des vicissitudes de la vie des « victimes du travail forcé », de leurs rudes conditions de vie, de la faim, même si les ressources morales et religieuses de Michel Laboureur lui permettent de supporter l’épreuve. Il s’en échappe finalement à l’occasion d’une permission, ce qui le place en position de réfractaire.

Ses carnets témoignent enfin de la force des réseaux qui lui permettent de traverser les derniers mois de la guerre dans la clandestinité avant de retrouver son travail et sa famille.

Il convient de saluer le travail de Michèle Laboureur qui nous restitue, grâce aux archives heureusement conservées par son père, un épisode de la vie de notre ancien confrère.

Christiane Gachignard et Pascal Even,

La Rochelle 16/05/2024

Avant-propos

Cet opuscule concerne les événements qui ont fait suite à la promulgation du décret de février 1943, instituant un enrôlement des jeunes de certaines classes d’âge pour servir en tant que main-d’œuvre étrangère en Allemagne ou dans les pays occupés. C’est Fritz Sauckel1 qui en était responsable et pour la France, Julius Ritter, assassiné en septembre 43.

Quelques ouvrages importants sont parus du vivant de mon père, avant que ne disparaissent les derniers « requis » du STO, mais son histoire particulière n’y a pas été évoquée. J’ai souhaité donner du poids à cette période du « début dans la vie » de mon père, c’est-à-dire honorer sa mémoire. Il a pris soin de laisser des archives complètes de cette époque dont les effets se sont poursuivis jusqu’à la fin de sa vie. Un repas annuel entre « anciens du STO » permettait de se souvenir et d’être solidaires. Les associations se sont dissoutes dans l’ouest de la France avec la disparition des responsables. Sensible à la permanence de cette mémoire, la Fédération nationale des victimes et rescapés des camps nazis du travail forcé, FNVRCNTF, a créé en 2007 une association où peuvent se retrouver les descendants de « requis ». Le nom de cette association a été modifié à la demande de la présidente, Madame Nicole Godard, en 2022, devenu Association nationale pour la mémoire du Travail forcé, ANMTF.

Je me suis attachée dans ma recherche à montrer comment un nom propre, c’est-à-dire un mot, qui ne fait sens avec aucun autre mot, peut subsister des années sans être interrogé ; heureuse ignorance peut-être ! Ce n’est que très tard à l’âge adulte que j’ai cherché ce qui se rattachait à ce nom de « Graslitz ». Germaniste comme mon père, j’aurais pu être plus tôt concernée. C’est en suivant les traces de Goethe, voyage qui m’a conduite à Weimar, que j’ai tout à coup pris conscience que je n’étais pas loin de Graslitz et je suis allée voir les lieux, usine et camp. Ce texte fait revivre un peu ce qu’a dû être la vie là-bas alors, sachant que maintenant la Tchéquie a une autre culture, les Allemands ont été déplacés. « Nous étions du même côté », m’a rappelé le Tchèque qui sortait de la mairie.

Ces événements et leur surgissement par le biais des archives de mon père m’ont particulièrement intéressée, j’étais concernée, car j’avais beaucoup de questions autour de ma naissance : les circonstances, en cette date de janvier 1945, les personnes présentes, mon père ? et les temps de séparation précoce d’avec mes parents.

De cette recherche a émergé un homme, mon père, ici dans une fonction d’interprète et de chef de groupe, dont j’ai pu décrire et suivre les transformations psychologiques et le comportement dans des situations exceptionnelles. J’ai pu dégager ce qui lui avait permis de « tenir », dont des ressources religieuses et morales. Et j’ai pu observer comment grâce au fil conducteur de la correspondance soutenue avec sa famille et d’autres s’étaient établi les conditions du retour et du maintien au pays dans la situation de réfractaire. La solidarité discrète, les demandes entendues ! Il faut être reconnaissant à l’égard des mairies, des médecins, et de l’appui confessionnel, mon père étant catholique.

La deuxième partie de mon travail montre comment en très peu de temps les rendez-vous médicaux se sont succédé jusqu’à celui de l’autorité occupante permettant la prolongation de la permission. Puis lors de la convocation au bout de quelques mois pour le départ, les démarches faites dans l’urgence où s’est manifestée la solidarité de chacun. Et enfin l’improvisation du retour de Paris au pays avec l’accueil d’un ecclésiastique, ancien professeur qui saura orienter mon père pour sa situation de réfractaire.

Les deux premières parties de cet opuscule présentent le trajet de celui qui va être père, du nom de Graslitz, au nom de Tesson puis à son nom propre Michel Laboureur, en septembre 1944.

Dans une troisième partie, nous développerons les éléments à notre connaissance en Mitteleuropa en Allemagne et en France. Et les annexes nous rappellerons quelques points historiques fondamentaux.

Introduction

À la suite du décès de notre mère, mon père a déplacé son bureau et j’ai eu le rôle d’organiser le rangement de ses archives et livres. C’est ainsi que j’ai pu lui poser des questions sur ce que je retrouvais concernant l’Allemagne durant la guerre, c’est-à-dire son STO dans les Sudètes.

Notre père travaillait déjà à 22 ans, car la déclaration de guerre avait modifié son parcours universitaire. Il avait passé un concours en 1941 dans certaines conditions et cela lui ouvrait une carrière. C’est ainsi qu’en février 43, lorsque parut le décret du STO, il fut réquisitionné sur place. Puis il se maria, « te souviens-tu dans quelles conditions ! » dit-il à ma mère dans une de ses lettres de Tchécoslovaquie. Et l’ordre de départ arriva. Après avoir exploré les possibilités qui s’offraient à lui, il se soumit et partit.

Pendant les vacances scolaires, mes sœurs et moi, nous retrouvions nos grands-parents en Vendée à Saint-Michel en l’Herm. Ma grand-mère paternelle Anna s’adressant à mon père relatait pendant le repas les nouvelles du village. Quand l’une de nous faisait des difficultés pour manger, mon père intervenait et racontait comment, quand il était en Tchécoslovaquie à Graslitz, ses camarades, qui ne recevaient pas de colis de France, avaient souffert de la faim, et comment il avait trouvé une méthode pour partager le pain équitablement. Chaque fois surgissait – maintenant je le vois comme une lumière, en association à das Antlitz le visage – le mot « Graslitz ». « Quand j’étais à Graslitz », disait-il. Il avait en effet été envoyé en Tchécoslovaquie occupée par l’Allemagne nazie au (Service du) travail obligatoire STO,2 en juin 1943 à la suite d’un décret de « l’État français », « le régime de Vichy » qui collaborait avec l’ennemi et se pliait à ses exigences de demande de main-d’œuvre étrangère pour faire fonctionner ses usines.

I A

Ma naissance et la guerre

Née dans la fin de la guerre chez mes grands-parents en Vendée à Saint-Michel en l’Herm le 19 janvier 45, et sensible à la cause juive j’ai toujours cherché à connaître les faits historiques autour de cette date.3

Et je voulais savoir qui étaient les personnes autour de moi dans les premiers mois de la vie. L’étude des lettres de mon père et des documents conservés m’a permis de préciser bien des points.

Après le débarquement du 6 juin 44 et la libération de Paris, l’existence de « la poche de la Rochelle » faisait que l’employeur de mon père était encore dans une zone non libérée ; c’est-à-dire que les Allemands étaient encore présents à La Rochelle, où mon père avant le STO avait été nommé. Une connaissance, un jeune homme de seize ans de Saint-Michel, faisant partie des FFI (forces françaises de l’intérieur) « le petit Roger Gilbert » est mort sur le front de Marans près de La Rochelle en janvier 1945. En revanche, Luçon puis la Vendée ont été libérés en septembre 1944.

J’avais à peine trois mois et demi quand s’est annoncé le suicide de Hitler et la reddition allemande, la fin de la guerre.

Chez mes grands-parents, ma mère m’a nourrie ainsi qu’une sœur de lait, que sa mère ne pouvait allaiter. Je comprends à partir des archives de mon père que mes parents sont restés quelque temps chez mes grands-parents paternels. La date à laquelle ma mère est partie rejoindre mon père à Saintes est difficile à préciser. Il semble que mon père ait d’abord travaillé à la perception de Saint-Michel ou à La Roche-sur-Yon, chef-lieu de la Vendée, en décembre 1944, car il avait demandé à être provisoirement affecté en Vendée. Il a ensuite, en mars 1945, rejoint Saintes en Charente-Maritime, où s’était déplacée l’administration de la trésorerie de La Rochelle.

Dans ce lieu trop petit pour accueillir un enfant,4 mes parents m’ont emmenée quelques mois plus tard ; c’était l’ancienne « Kommandantur » allemande, disait ma mère, mon père réagissait à cet énoncé.

I B

Études

Mon père n’a pas fait de service militaire. Il avait 18 ans quand s’est déclarée la guerre. Il a, comme certains bons élèves, passé les deux bacs « philo et math », si bien qu’il est arrivé en retard au lycée Clemenceau de Nantes en « prépa ». Son idée en tant que fils de paysan, élevé dans une très bonne école catholique à La Roche-sur-Yon, « Richelieu » était d’intégrer Centrale, « Ginette » ou Saint-Cyr. Le premier trimestre sous la guerre déclarée lui a été difficile au lycée Clemenceau de Nantes. Donc il a décidé d’aller en faculté de droit à Poitiers, où il a été dispensé de présence à certains cours et parallèlement il a commencé à travailler. Il avait pour ami au village Monsieur Jean-Paul Le Roux, avec lequel il a eu rendez-vous à Poitiers et ils se sont écrit par la suite. Monsieur Jean-Paul Leroux était frère du musicien, Maurice Leroux, chef d’orchestre, chef de la musique à Radio-France ; dans les années 60, nous avons suivi ses émissions didactiques « Arcana » à la télévision. De lui, je peux dire qu’il était dans la classe de Olivier Messiaen5 dont il s’est absenté pour rejoindre le Général Leclerc et libérer la France avec la 2e DB. « La marche » de la 2e DB composée en 1944 a été jouée pour la première fois au château de Saint-Germain-en-Laye le 11 mars 1945 en présence du général Leclerc. CF. Livre de Patrice Leroux, son fils, » Maurice Le Roux, polyphonie d’un enfant du siècle », Joca seria, éditeur, p 34- 35.

I C

Le travail

Revenons au début de la guerre, en Vendée où les Allemands arrivent le 21 juin 19406. Après ses débuts d’études à Poitiers, mon père travaille à la perception de St-Michel-en-l’Herm, puis à La Rochelle où mes parents s’installeront en 1943.

Quand arrive l’année 1943, dans la ville de Saint-Michel, on apprend que certains sont partis en Allemagne ; dans ma famille mon oncle, frère de ma mère dans le nord de l’Allemagne, à Königsborn, probablement en mars 1943 (lettre d’Auguste Violeau d’août 43).

I C a- L’époque

Il y avait en Allemagne une dictature national-socialiste7, Hitler étant arrivé au pouvoir en 1933, lui qui avait écrit en prison, après l’échec du putsch de la brasserie de Munich, et sa tentative de prise du pouvoir, « Mein Kampf », (mon combat) en 1924-25, son programme de valorisation de la race aryenne, programme visant à l’élimination des juifs. L’état national-socialiste avait une politique expansionniste. C’est ainsi qu’il annexa l’Autriche en 1938. Puis quelques mois plus tard les Sudètes, partie de la Tchécoslovaquie, avec qui nous avions des accords, ceux de Locarno en 1925 qui complétaient le traité de Versailles et l’engagement de la France de la protection de « la petite entente » en 1924 comprenant Tchécoslovaquie, Roumanie et Yougoslavie. Les accords de Munich ont autorisé Hitler à s’approprier les Sudètes.Il s’est emparé quelques mois plus tard du reste de la Tchécoslovaquie. La seconde guerre mondiale s’est déclenchée en 1939 par suite de l’invasion de la Pologne avec qui nous avions des accords de défense – Accords conclus en 1921 entre A. Briand, président du conseil et ministre des Affaires étrangères et Gustav Stresemann, Chancelier de la république de Weimar. Pendant un an, les lignes de front n’ont pas bougé, c’était « la drôle de guerre ». L’Armée allemande a envahi la France en 1940. Un certain nombre de faits ont conduit à la création du régime de Vichy en juin 1940. En revanche l’appel du général De Gaulle depuis Londres, le 18 juin 1940, témoignait de la volonté de résister à l’occupant.

Du fait de la multiplication des fronts et de l’expansion nazie vers les pays occupés, la main d’œuvre allemande active manquait dans les usines notamment dans les usines d’armement. Dans les pays occupés la production d’armement pour l’Allemagne se développait. En France on considère (Raphael Spina) que directement ou indirectement l’économie travaillait pour l’Allemagne à 80°/°. L’économie française au service de l’Allemagne indique Nicolas Beaupré8. Mais cela ne suffisait pas.

C’est ainsi que l’allemand Fritz Saukel fut nommé par les autorités allemandes chargé du recrutement de la main d’œuvre étrangère, en mars 1942. Saukel, chef du gouvernement de Thuringe en 1932 a été nommé par Göring, plénipotentiaire général pour l’emploi de la main d’œuvre, Generalbevollmächtiger für den Arbeitseinsatz GBA. Il y eut discussion et entente entre Laval et Saukel.Laval avait été démis de ses fonctions par Pétain en décembre 40, mais était revenu (à la demande des Allemands) au gouvernement comme président du conseil cette fois, depuis avril 42. Il y eut entente entre Laval et Saukel dans le cadre d’une « collaboration d’état » selon l’expression de Françoise Berger9