Sido - Colette - E-Book

Sido E-Book

Colette

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Toutes les clés pour réussir le bac de français ! 


Explorez Sido de Colette, une œuvre intemporelle qui vous transporte dans les méandres de la vie de l'auteure. Découvrez le récit enchanteur d'une enfance à la campagne, peuplée de personnages hauts en couleur et imprégnée de la magie de la nature. Colette nous ouvre les portes de son monde, dévoilant sa relation unique avec sa mère, Sido, figure emblématique aux valeurs profondément ancrées. À travers une écriture délicate et évocatrice, l'auteure nous plonge dans ses souvenirs, entre rires et larmes, tendresse et mélancolie. Sido célèbre la beauté des liens familiaux et nous transporte dans un univers où la simplicité devient une source d'émerveillement. Une invitation à partager une expérience littéraire empreinte d'émotions et de réflexions sur la vie, l'amour et la nature humaine.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Sidonie Gabrielle Colette, née en 1873 en France, fut une icône littéraire intemporelle. Connue sous le nom de Colette, elle brilla par sa plume unique et sa rébellion subtile. Ses œuvres emblématiques, dont Claudine à l'école  et Gigi, captivèrent le public du début du 20e siècle. Colette n'était pas seulement une auteure, mais une femme audacieuse qui bouscula les conventions sociales. Son art saisissant et son regard perspicace sur la condition féminine lui ont valu une place permanente dans le cœur des lecteurs du monde entier.

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Sido

Colette

– 1930 –

I

– Et pourquoi cesserais-je d’être de mon village ? Il n’y faut pas compter. Te voilà bien fière, mon pauvre Minet-Chéri, parce que tu habites Paris depuis ton mariage. Je ne peux pas m’empêcher de rire en constatant combien tous les Parisiens sont fiers d’habiter Paris, les vrais parce qu’ils assimilent cela à un titre nobiliaire, les faux parce qu’ils s’imaginent avoir monté en grade. À ce compte-là, je pourrais me vanter que ma mère est née boulevard Bonne-Nouvelle ! Toi, te voilà comme le pou sur ses pieds de derrière parce que tu as épousé un Parisien. Et quand je dis un Parisien… Les vrais Parisiens d’origine ont moins de caractère dans la physionomie. On dirait que Paris les efface !

Elle s’interrompait, levait le rideau de tulle qui voilait la fenêtre :

– Ah ! voici Mlle Thévenin qui promène en triomphe, dans toutes les rues, sa cousine de Paris. Elle n’a pas besoin de le dire, que cette dame Quériot vient de Paris : beaucoup de seins, les pieds petits, et des chevilles trop fragiles pour le poids du corps ; deux ou trois chaînes de cou, les cheveux très bien coiffés… Il ne m’en faut pas tant pour savoir que cette dame Quériot est caissière dans un grand café. Une caissière parisienne ne pare que sa tête et son buste, le reste ne voit guère le jour. En outre, elle ne marche pas assez et engraisse de l’estomac. Tu verras beaucoup, à Paris, ce modèle de femme-tronc.

Ainsi parlait ma mère, quand j’étais moi-même, autrefois, une très jeune femme. Mais elle avait commencé, bien avant mon mariage, de donner le pas à la province sur Paris. Mon enfance avait retenu des sentences, excommunicatoires le plus souvent, qu’elle lançait avec une force d’accent singulière. Où prenait-elle leur autorité, leur suc, elle qui ne quittait pas, trois fois l’an, son département ? D’où lui venait le don de définir, de pénétrer, et cette forme décrétale de l’observation ?

Ne l’eussé-je pas tenu d’elle, qu’elle m’eût donné, je crois, l’amour de la province, si par province on n’entend pas seulement un lieu, une région éloignés de la capitale, mais un esprit de caste, une pureté obligatoire des mœurs, l’orgueil d’habiter une demeure ancienne, honorée, close de partout, mais que l’on peut ouvrir à tout moment sur ses greniers aérés, son fenil empli, ses maîtres façonnés à l’usage et à la dignité de leur maison.

En vraie provinciale, ma charmante mère, « Sido », tenait souvent ses yeux de l’âme fixés sur Paris. Théâtres de Paris, modes, fêtes de Paris, ne lui étaient ni indifférents, ni étrangers. Tout au plus les aimait-elle d’une passion un peu agressive, rehaussée de coquetteries, bouderies, approches stratégiques et danses de guerre. Le peu qu’elle goûtait de Paris, tous les deux ans environ, l’approvisionnait pour le reste du temps. Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d’étoffes en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et d’essence à la violette, et elle commençait de nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu’elle ne dédaignait rien.

En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendu le ténor et la conférence sur la Musique birmane. Elle rapportait un manteau modeste, des bas d’usage, des gants très chers.

Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d’elle, perdait la chaleur et le goût de vivre. Elle n’a jamais su qu’à chaque retour l’odeur de sa pelisse en ventre-de-gris, pénétrée d’un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires, m’ôtait la parole et jusqu’à l’effusion.

D’un geste, d’un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des bolducs roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronnés qui sentaient le calfatage. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s’assurer que j’avais brossé mes cheveux… Une fois qu’elle dénouait un cordon d’or sifflant, elle s’aperçut qu’au géranium prisonnier contre la vitre d’une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore. La ficelle d’or à peine déroulée s’enroula vingt fois autour du rameau rebouté, étayé d’une petite éclisse de carton… Je frissonnai, et crus frémir de jalousie, alors qu’il s’agissait seulement d’une résonance poétique, éveillée par la magie du secours efficace scellé d’or…

Il ne lui manquait, pour être une provinciale type, que l’esprit de dénigrement. Le sens critique, en elle, se dressait vigoureux, versatile, chaud et gai comme un jeune lézard. Elle happait au vol le trait marquant, la tare, signalait d’un éclair des beautés obscures, et traversait, lumineuse, des cœurs étroits.

– Je suis rouge, n’est-ce pas ? demandait-elle au sortir de quelque âme en forme de couloir.

Elle était rouge en effet. Les pythonisses authentiques, ayant plongé au fond d’autrui, émergent à demi suffoquées. Une visite banale, parfois, la laissait cramoisie et sans force aux bras du grand fauteuil capitonné, en reps vert.

– Ah ! ces Vivenet !… Que je suis fatiguée… Ces Vivenet, mon Dieu !

– Qu’est-ce que qu’ils t’ont fait, maman ?

J’arrivais de l’école, et je marquais ma petite mâchoire, en croissants, dans un talon de pain frais, comblé de beurre et de gelée de framboises…

– Ce qu’ils m’ont fait ? Ils sont venus. Que m’auraient-ils fait d’autre, et de pire ? Les deux jeunes époux en visite de noces, flanqués de la mère Vivenet… Ah ! ces Vivenet !

Elle ne m’en disait guère plus, mais plus tard, quand mon père rentrait, j’écoutais le reste.

– Oui, contait ma mère, des mariés de quatre jours ! Quelle inconvenance ! des mariés de quatre jours, cela se cache, ne traîne pas dans les rues, ne s’étale pas dans des salons, ne s’affiche pas avec une mère de la jeune mariée ou du jeune marié… Tu ris ? Tu n’as aucun tact. J’en suis encore rouge, d’avoir vu cette jeune femme de quatre jours. Elle était gênée, elle, au moins. Un air d’avoir perdu son jupon, ou de s’être assise sur un banc frais peint. Mais lui, l’homme… Une horreur. Des pouces d’assassin, et une paire de tout petits yeux embusqués au fond de ses deux grands yeux. Il appartient à un genre d’hommes qui ont la mémoire des chiffres, qui mettent la main sur leur cœur quand ils mentent et qui ont soif l’après-midi, ce qui est un signe de mauvais estomac et de caractère acrimonieux.

– Pan ! applaudissait mon père.

Bientôt j’avais mon tour, pour avoir sollicité la permission de porter des chaussettes l’été.

– Quand auras-tu fini de vouloir imiter Mimi Antonin dans tout ce qu’elle fait, chaque fois qu’elle vient en vacances chez sa grand-mère ? Mimi Antonin est de Paris, et toi d’ici. C’est l’affaire des enfants de Paris de montrer l’été leurs flûtes, sans bas, et l’hiver leurs pantalons trop courts et de pauvres petites fesses rouges. Les mères parisiennes remédient à tout, quand leurs enfants grelottent, par un petit tour de cou en mongolie blanche. Par les très grands froids, elles ajoutent une toque assortie. Et puis on ne commence pas à onze ans à porter des chaussettes. Avec les mollets que je t’ai faits ? Mais tu aurais l’air d’une sauteuse de corde, et il ne te manquerait qu’une sébile en fer blanc.

Ainsi parlait-elle, et sans chercher jamais ses mots ni quitter ses armes, j’appelle armes ses deux paires de « verres », un couteau de poche, souvent une brosse à habits, un sécateur, de vieux gants, parfois le sceptre d’osier, épanoui en raquette trilobée, qu’on nomme « tapette » et qui sert à fouetter les rideaux et les meubles. La fantaisie de ma mère ne pliait que devant les dates qu’on fête, en province, par les nettoyages à fond, la lessive, l’embaumement des lainages et des fourrures. Mais elle ne se plaisait ni au fond des placards, ni dans la funèbre poudre du camphre, qu’elle remplaçait d’ailleurs par quelques cigares coupés en berlingots, les culots des pipes d’écume de mon père, et de grosses araignées qu’elle enfermait dans l’armoire giboyeuse, refuge des mites d’argent.

C’est qu’elle était agile et remuante, mais non ménagère appliquée ; propre, nette, dégoûtée, mais loin du génie maniaque et solitaire qui compte les serviettes, les morceaux de sucre et les bouteilles pleines. La flanelle en mains, et surveillant la servante qui essuyait longuement les vitres en riant au voisin, il lui échappait des cris nerveux, d’impatients appels à la liberté.

– Quand j’essuie longtemps et avec soin mes tasses de Chine, disait-elle, je me sens vieillir…

Elle atteignait, loyale, la fin de la tâche. Alors elle franchissait les deux marches de notre seuil, entrait dans le jardin. Sur-le-champ tombaient son excitation morose et sa rancune. Toute présence végétale agissait sur elle comme un antidote, et elle avait une manière étrange de relever les roses par le menton pour les regarder en plein visage.

– Vois comme cette pensée ressemble au roi Henri VIII d’Angleterre, avec sa barbe ronde, disait-elle. Au fond, je n’aime pas beaucoup ces figures de reîtres qu ont les pensées jaunes et violettes…

* * *

Dans mon quartier natal, on n’eût pas compté vingt maisons privées de jardin. Les plus mal partagées jouissaient d’une cour, plantée ou non, couverte ou non de treilles. Chaque façade cachait un « jardin-de-derrière » profond, tenant aux autres jardins-de-derrière par des murs mitoyens. Ces jardins-de-derrière donnaient le ton au village. On y vivait l’été, on y lessivait ; on y fendait le bois l’hiver, on y besognait en toute saison, et les enfants, jouant sous les hangars, perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés.

Les enclos qui jouxtaient le nôtre ne réclamaient pas de mystère la déclivité du sol, des murs hauts et vieux, des rideaux d’arbres protégeaient notre « jardin d’en haut » et notre « jardin d’en bas ». Le flanc sonore de la colline répercutait les bruits, portait, d’un atoll maraîcher cerné de maisons à un « parc d’agrément », les nouvelles.

De notre jardin, nous entendions, au Sud, Miton éternuer en bêchant et parler à son chien blanc dont il teignait, au 14 juillet, la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. Au Nord, la mère Adolphe chantait un petit cantique en bottelant des violettes pour l’autel de notre église foudroyée, qui n’a plus de clocher. À l’Est, une sonnette triste annonçait chez le notaire la visite d’un client… Que me parle-t-on de la méfiance provinciale ? Belle méfiance ! Nos jardins se disaient tout.