Son dernier rhum - Marie Legros - E-Book

Son dernier rhum E-Book

Marie Legros

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Beschreibung

"Son dernier rhum" plonge au cœur des tourments de l’alcoolisme, avec une plume incisive et empreinte de sensibilité, révélant les fractures d’une famille à travers les yeux d’une narratrice façonnée par des silences lourds et des tempêtes émotionnelles. Entre un père prisonnier de ses excès, une mère s’efforçant de préserver les apparences et des enfants grandissant sous le poids d’un chaos étouffant, le récit explore les répercussions profondes d’un héritage intergénérationnel marqué par la douleur. Dans l’intimité d’un deuil bouleversant, la narratrice se lance dans une quête poignante de résilience, entre colère, culpabilité et lueur d’espoir. Comment pardonner l’impardonnable ? Est-il possible de se reconstruire sur les ruines du passé ?

À PROPOS DE L'AUTRICE  

Marie Legros transforme ses blessures en art à travers l’écriture, explorant des thèmes tels que la dépendance et la résilience. Marquée par les ravages de l’alcool, elle offre, avec "Son dernier rhum", un témoignage cathartique empreint d’ombres et d’espoir.

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Seitenzahl: 183

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Marie Legros

Son dernier rhum

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie Legros

ISBN : 979-10-422-5719-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

« Son dernier rhum » explore les impacts d’un père alcoolique sur sa famille, la douleur du deuil et la quête de réponses.

Chapitre 1

La dernière bouteille

La journée avait commencé comme toutes les autres. Une routine banale, presque rassurante, qui dissimulait, sous son voile de normalité, les ténèbres qui rongeaient son cœur. Mon père se levait tôt, comme chaque matin, dans ce silence pesant qui enveloppait notre petite case créole située dans les hauts de Salazie. La lumière grise de l’aube filtrait à travers les modestes rideaux, projetant des ombres sur les murs fatigués de la cuisine. Je me souviens de chaque détail de ce jour comme si c’était hier. Je me souviens de son visage, marqué par les années, le regard éteint, les traits tirés par une fatigue qui ne s’expliquait plus seulement par le travail ou l’âge, mais par quelque chose de plus profond, de plus désespéré. Sa vie avait été une succession de combats, la plupart livrés en silence, contre ses propres démons. Le bruit de la petite bouteille de rhum blanc posée sur la table brisa le calme du matin. Ce bruit anodin, qui aurait pu passer inaperçu dans une autre vie, résonnait comme un glas dans l’air lourd de cette journée fatidique. Je le vis attraper la bouteille de rhum, celle qui traînait toujours sur le coin de la table, jamais bien loin. C’était devenu un geste automatique, une habitude installée depuis des années. Mais ce matin-là, il y avait quelque chose de différent. Je l’observais depuis le seuil de la porte, un nœud au ventre.

Il versa le liquide ambré dans sa gorge avec une lenteur presque cérémoniale, les doigts légèrement tremblants. Il porta le goulot à ses lèvres, ses mains calleuses enserrant fermement la bouteille, comme si cette dernière gorgée contenait une réponse qu’il cherchait désespérément. Le liquide glissa dans sa gorge, et je vis son visage se durcir, comme s’il absorbait en lui-même toute la douleur et l’amertume de sa vie. Ce n’était pas la première fois qu’il buvait dès le matin, mais il y avait quelque chose d’inquiétant dans la manière dont il s’y prenait ce jour-là. Une détermination froide, une résignation se lisait dans son regard, celui d’un homme qui avait renoncé à se battre. Je savais, sans pouvoir l’expliquer, que cette gorgée serait différente des autres.

C’était comme si toute l’énergie qui restait en lui s’était concentrée dans ce dernier geste, comme si cette petite bouteille marquait une fin, un point de non-retour. Il en avala une gorgée, puis une autre, et je sentis mon cœur se serrer. Mon père, cet homme que j’avais connu fort, indestructible, se laissait engloutir par cette boisson qui avait déjà volé tant d’années de sa vie. Cette petite bouteille, c’était plus qu’une simple dose de rhum, c’était une arme, un poison qu’il avait choisi de prendre, scellant ainsi son destin. Je voulais crier, le secouer, lui dire d’arrêter, de reposer cette maudite bouteille, mais les mots restaient coincés dans ma gorge, comme si une main invisible m’empêchait de les prononcer. Les minutes passaient, et le silence entre nous devenait insupportable. Je voulais le comprendre, je voulais savoir ce qui l’avait poussé à en arriver là. Quel était ce fardeau si lourd qu’il avait choisi de s’y noyer définitivement ? Je ne comprenais pas pourquoi il avait décidé de prendre cette dernière gorgée, pourquoi il avait choisi de nous abandonner ainsi, de m’abandonner. Alors qu’il reposait la bouteille vide sur la table, je sentis les larmes monter, une colère sourde grandir en moi. Comment pouvait-il nous faire ça ? Comment pouvait-il me faire ça ? J’étais sa fille, j’avais besoin de lui. Pourtant, il avait fait son choix. Cette dernière gorgée, c’était sa façon de tirer un trait sur tout, de baisser les armes. Il avait choisi la fuite, la lâcheté, préférant se réfugier dans cet océan de rhum plutôt que de continuer à se battre. Je restais là, immobile, le regard fixé sur cet homme que je ne reconnaissais plus. Je savais qu’après ce jour, plus rien ne serait jamais pareil. Il avait franchi une limite, celle qui sépare la vie de la mort, et moi, je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher. J’étais témoin de sa chute, incapable de l’aider, de le sauver. Les heures qui suivirent furent floues. Il ne prononça presque aucun mot, se refermant sur lui-même comme une coquille vide. Je le vis s’affaisser sur sa chaise, son regard se perdant dans le vide, comme si son esprit s’était déjà éloigné de ce monde. Cette dernière gorgée avait été celle de trop, celle qui allait l’emporter, lui, mais aussi une partie de moi. Car en ce jour maudit, ce n’est pas seulement mon père que j’allais perdre, mais aussi l’illusion que j’avais encore d’un père sur qui compter. Je compris alors, dans ce silence pesant, que cette dernière gorgée marquait la fin d’un chapitre, celui de notre vie commune, et le début d’une longue descente dans la douleur, le deuil et l’incompréhension. Cette dernière gorgée était bien plus qu’un acte banal, c’était un adieu déguisé, un geste d’une tristesse infinie.

C’était la fin de tout ce que j’avais connu, et le début d’un chemin solitaire que j’allais devoir parcourir sans lui. Ce matin-là, alors que j’observais mon père vider cette petite bouteille, une tornade d’émotions dévastatrices se déchaîna en moi, me laissant à la fois désemparée et furieuse. Chaque gorgée qu’il prenait me paraissait une trahison, une énième capitulation face à ses démons intérieurs. Une colère sourde montait en moi, brûlante et incontrôlable, dirigée contre cet homme qui, autrefois, incarnait la force et la sécurité. Comment pouvait-il ainsi tout abandonner, se laisser engloutir par cette dépendance qui le rongeait peu à peu, détruisant non seulement sa vie, mais la mienne aussi ? En même temps, une profonde tristesse m’envahissait, une douleur lourde et accablante, née du constat cruel que l’homme que j’aimais tant, celui que je considérais comme invincible, n’était plus que l’ombre de lui-même. J’avais grandi en croyant en lui, en sa capacité à surmonter les obstacles, à se battre contre les vents contraires. Je m’étais accrochée à l’idée qu’un jour, il trouverait en lui la force de se relever, de nous protéger comme il l’avait toujours fait.

Mais cette petite bouteille, si anodine en apparence, avait balayé mes dernières illusions. Cette dernière gorgée qu’il avait avalée, presque en silence, résonnait dans mon esprit comme un point final, une sentence irrévocable. Elle marquait la fin de l’espoir, le moment où j’avais compris qu’il avait fait son choix. Un choix qui allait non seulement briser sa vie, mais aussi nous marquer, ma famille et moi, d’une cicatrice indélébile. Ce geste, si banal pour lui, était pour moi le symbole d’une défaite totale, une abdication face à une bataille que je pensais encore pouvoir être remportée. Désillusionnée, je pris conscience que les héros de notre enfance ne sont pas toujours invincibles, que même ceux que l’on place sur un piédestal peuvent faillir, se perdre dans les méandres de leurs propres faiblesses. Cette révélation était comme un coup de poignard, une douleur aiguë qui me transperçait l’âme. À partir de ce jour, rien ne serait plus jamais pareil.

Le regard que je posais sur mon père changea irrémédiablement, et avec lui, ma perception du monde. Cette journée marqua la fin de l’innocence, l’instant où j’avais compris que, parfois, ceux que l’on aime le plus peuvent aussi être ceux qui nous déçoivent le plus profondément. En fin de journée, alors que le crépuscule étendait lentement son voile sombre sur le monde, la lumière de la vie de mon père s’éteignit doucement, comme une bougie qui vacille une dernière fois avant de céder à l’obscurité. Le poison qu’il avait choisi d’ingérer, gorgée après gorgée, avait finalement eu raison de lui. Assise à ses côtés, je tenais sa main, désormais froide, dans la mienne. Mon cœur, lourd et dévasté, peinait à accepter la réalité de ce moment, pourtant inévitable. Les heures précédentes avaient été marquées par une étrange tranquillité, un silence lourd d’une fin imminente, comme si le monde entier retenait son souffle, respectant ce passage silencieux vers l’inconnu. Je sentais son souffle devenir de plus en plus faible, chaque respiration s’espacer, jusqu’à ce que finalement, il n’y ait plus rien. Ce silence absolu, glacial, s’abattit sur la pièce, écrasant tout sur son passage. La dernière gorgée, celle que j’avais tant redoutée, avait fait son œuvre, dérobant la vie de mon père avec une implacable froideur.

Ce jour-là, il s’était embarqué pour un voyage sans retour, un chemin dont je savais qu’il ne reviendrait jamais. Il avait cédé à ce poison, à cette lutte qu’il avait fini par abandonner, et moi, je restais là, seule, face à ce vide immense qu’il laissait derrière lui. Le crépuscule, avec ses nuances de pourpre et de bleu, semblait être le témoin silencieux de cette tragédie intime. L’ombre envahissait la pièce, tandis que le corps de mon père, désormais sans vie, paraissait se fondre dans cette obscurité. L’espace qui nous entourait, autrefois rempli de sa présence, devenait soudainement immense, étouffant par son vide. Tout ce qui restait de lui, ce corps inanimé, n’était qu’une coquille vide, une trace de ce qu’il avait été. Les souvenirs affluaient, des souvenirs d’un homme fort et vivant, un père aimant qui, autrefois, me portait sur ses épaules, me protégeait des peurs enfantines et me guidait à travers les méandres de la vie. Mais ces souvenirs semblaient maintenant appartenir à une autre vie, à un passé si lointain qu’il en devenait presque irréel. Devant moi, il ne restait que l’image d’un homme brisé par ses démons, d’un père qui avait lentement glissé entre mes doigts, sans que je puisse le retenir. Je restai là, figée, incapable de bouger, comme si en quittant cette pièce, je trahirais sa mémoire, comme si en lâchant sa main, je signerais définitivement son départ. Les larmes coulaient silencieusement sur mes joues, se mêlant à l’obscurité qui m’entourait.

Ce vide, cet abîme immense qu’il laissait derrière lui m’enveloppait de toutes parts, me rappelant cruellement que désormais, je devrais apprendre à vivre sans lui. Une partie de moi était morte avec lui ce jour-là, emportée par ce poison qui avait détruit non seulement son corps, mais aussi une part de mon âme. L’air autour de moi semblait plus lourd, comme chargé du poids de cette absence. Le monde avait continué à tourner, insensible à cette perte qui me semblait pourtant insurmontable. Mais pour moi, le temps s’était arrêté, figé dans ce moment où la main de mon père avait perdu toute chaleur, où son souffle s’était éteint pour toujours. Dans cette pièce, alors que la nuit tombait définitivement, je comprenais que plus rien ne serait jamais comme avant. Mon père avait entrepris son voyage sans retour, me laissant seule face à un avenir qui me paraissait, désormais, terriblement incertain. En cette fin de journée, je réalisai que la mort de mon père n’était pas simplement la perte d’un être cher, mais la fin d’une partie de moi-même, une part de mon histoire, de mon identité. Le chemin qui s’ouvrait devant moi était désormais dépouillé de la certitude qu’il serait là pour m’accompagner. Plus rien ne serait comme avant, et cette nouvelle réalité m’écrasait de tout son poids, me forçant à accepter l’inévitable. La lumière de la vie, celle qui brillait à travers les éclats de joie, d’espoir et de protection que mon père avait représentés, s’était éteinte. Ce jour-là, je compris qu’il me faudrait réapprendre à avancer, mais avec la conscience déchirante que cette ombre, celle de sa mort, pèserait toujours sur mes épaules, comme un fardeau invisible, mais constant. Pourtant, au fond de moi, une petite voix me murmurait que, malgré tout, la vie devait continuer. Que je devais vivre, même sans lui, même avec cette douleur gravée dans mon cœur. Mais à cet instant, cela semblait inconcevable.

Chapitre 2

La descente inévitable

Il n’y avait pas de jour précis où tout avait commencé. Pas de moment clair, pas d’événement déclencheur que je pourrais pointer du doigt en disant : « C’est là que tout a changé. » Non, la descente de mon père dans l’alcoolisme fut lente, insidieuse, presque imperceptible au début, comme une ombre qui s’étire au fur et à mesure que le soleil descend à l’horizon. Mon père n’avait pas toujours été cet homme brisé que j’ai fini par connaître. Dans mes souvenirs d’enfant, je revois un homme fort, un travailleur acharné, toujours prêt à plaisanter et à offrir un sourire chaleureux. Il avait cette énergie, cette vitalité qui semblait inépuisable. Pour moi, il était un roc, une figure de protection et d’amour. Je me souviens des moments simples que nous partagions, des rires autour de la table de la cuisine, des promenades en forêt où il me montrait comment reconnaître les différents arbres et animaux. Il avait cette passion pour la nature, pour les choses simples, et il aimait partager ce savoir avec nous, ses enfants.

Mais quelque chose a changé. Je ne saurais dire exactement quand. Peut-être était-ce lorsque le poids des responsabilités a commencé à peser trop lourdement sur ses épaules. Peut-être était-ce le stress de maintenir une famille à flot, la fatigue accumulée des longues journées de travail qui ne laissaient que peu de place pour le repos ou la joie. Les raisons, je ne les ai jamais vraiment sues. Tout ce que je sais, c’est que, petit à petit, mon père a commencé à chercher un refuge dans l’alcool. Au début, c’était presque imperceptible, une habitude discrète, à peine remarquée par les autres. Un verre ou deux après le travail, un simple moyen de relâcher la pression accumulée tout au long de la journée, disait-il en souriant. Pour nous, cela semblait anodin, une routine inoffensive, presque banale, pour un homme de son âge qui portait sur ses épaules le poids de nombreuses responsabilités. Après tout, qui n’a jamais cherché à se détendre après une longue journée de labeur ? Rien d’alarmant, pensions-nous, rien qui ne sorte de l’ordinaire.

Mais, petit à petit, ces verres se sont multipliés. Le rituel du soir, qui marquait la fin de sa journée de travail, s’est glissé dans celui du midi, puis a fini par contaminer le matin. L’alcool, d’abord compagnon discret, s’est lentement insinué dans chaque moment de la journée, devenant un besoin constant plutôt qu’un simple plaisir. L’odeur du rhum, autrefois rare et subtile, a commencé à imprégner l’air de notre maison, s’infiltrant dans chaque recoin, se mêlant à l’odeur du café que ma mère préparait chaque matin, à celle des repas qu’elle mijotait avec soin. Pour moi, cette odeur est vite devenue le présage d’une tempête à venir, un avertissement silencieux de ce qui se tramait sous la surface. Je me souviens de ces premiers moments d’inquiétude, lorsque j’ai commencé à comprendre que quelque chose n’allait pas. J’étais encore jeune, peut-être dix ans à peine, mais déjà assez grande pour percevoir les changements, pour sentir que quelque chose d’important était en train de se briser.

Ce n’était plus le même homme qui rentrait chez nous le soir. Ses yeux, autrefois pétillants de vie, semblaient voilés par une ombre inquiétante. Ses gestes, autrefois sûrs et pleins de vitalité, devenaient maladroits, souvent vacillants. L’irritabilité s’invitait dans son quotidien, ses colères éclataient pour un rien, imprévisibles et soudaines, alors que son rire, autrefois fréquent et chaleureux, se faisait de plus en plus rare, remplacé par un silence lourd et pesant. Les soirs où il rentrait en titubant se sont multipliés, et avec eux, mon angoisse grandissait, se nichant au creux de mon estomac, une boule d’appréhension qui ne me quittait plus. Chaque soir devenait une épreuve, une attente angoissée, le cœur serré, redoutant le moment où il passerait la porte. Je guettais son retour avec une tension sourde, tentant de deviner, à la manière dont il posait son sac, ou à la façon dont il franchissait le seuil, quel serait l’état dans lequel il se trouvait. Le moindre bruit, le moindre éclat de voix me faisait sursauter, car je savais que l’alcool ne faisait qu’exacerber ses humeurs, transformant parfois la maison en un champ de bataille silencieux.

Et puis, il y avait ces moments où, malgré tout, je cherchais encore à retrouver des fragments de l’homme qu’il avait été. Ces instants volés où il semblait redevenir lui-même, où il me parlait avec tendresse, comme avant, et où, pendant quelques minutes, j’osais espérer que tout redeviendrait comme avant. Mais ces moments devenaient de plus en plus rares, noyés sous l’ombre grandissante de l’alcool, une ombre qui s’étendait sur notre famille, la fracturant peu à peu, laissant dans son sillage une profonde tristesse et une peur omniprésente. L’alcool s’était emparé de lui, lentement mais sûrement, et avec lui, c’était toute notre vie qui se délitait, un peu plus chaque jour. Mon enfance, autrefois douce et insouciante, se teintait d’une inquiétude précoce, d’un fardeau que je portais sans même vraiment comprendre pourquoi. Je sentais que quelque chose d’irréversible était en train de se produire, que l’homme que j’avais connu s’éloignait de nous, emporté par une force contre laquelle il ne semblait plus vouloir lutter. Et moi, impuissante, je ne pouvais que regarder cette tragédie se dérouler sous mes yeux, craignant chaque jour davantage ce que l’avenir nous réservait. Je me souviens particulièrement d’une soirée où tout a semblé basculer. C’était un vendredi, je crois. Il était tard, et je m’étais déjà glissée sous mes couvertures, espérant m’endormir avant qu’il ne rentre. Mais le bruit de la porte d’entrée qui grinçait m’avait réveillée en sursaut. Le son de ses pas lourds résonnait dans la maison, suivi par des éclats de voix entre lui et ma mère. Je les entendais se disputer, et bien que je ne comprenais pas toutes les paroles échangées, je savais que quelque chose de grave était en train de se produire. C’était la première fois que je ressentais cette peur sourde, ce sentiment que ma famille, autrefois unie et forte, était en train de se fissurer. Je me souviens être restée allongée là, les yeux grands ouverts dans l’obscurité, écoutant les éclats de voix se transformer en sanglots étouffés. Le lendemain matin, la tension était palpable, et l’odeur du rhum semblait encore plus forte. Mon père ne disait presque rien, les yeux rivés sur sa tasse de café, tandis que ma mère faisait de son mieux pour cacher ses yeux rougis derrière un masque de normalité. Les années suivantes furent une lente dégringolade.

L’homme aimant et fort que j’avais connu s’effaçait progressivement, remplacé par quelqu’un que je ne reconnaissais plus. Ses absences devenaient plus fréquentes, tout comme ses sautes d’humeur. L’alcool semblait avoir envahi chaque recoin de sa vie, chaque moment de lucidité devenant plus rare, plus précieux, mais aussi plus douloureux à observer. Il n’était plus ce père protecteur, mais un étranger perdu dans ses propres tourments. Le plus difficile, pour moi, fut de constater ce changement sans pouvoir l’arrêter. J’avais l’impression de le voir se noyer lentement, tendant la main vers la surface, mais trop épuisé pour se battre contre les vagues qui l’emportaient. Et moi, trop jeune, trop impuissante, je ne pouvais que regarder, les larmes aux yeux, priant pour un miracle qui ne viendrait jamais. Je ne comprenais pas pourquoi l’alcool avait pris une telle place dans sa vie. Pourquoi avait-il choisi cette échappatoire, pourquoi avait-il laissé cette addiction le dévorer ? Était-ce une faiblesse de caractère, ou une douleur trop grande pour être supportée autrement ? Je me posais mille questions, sans jamais trouver de réponses. Tout ce que je savais, c’est que l’homme qui m’avait tant donné, tant appris, était en train de disparaître, avalé par cette dépendance qui le détruisait lentement mais sûrement. Les disputes entre mes parents devinrent plus fréquentes, plus intenses.

La maison, autrefois remplie de rires et de joie, résonnait désormais de cris, de pleurs et de silence pesant. Je n’étais plus une petite fille insouciante, mais une adolescente qui voyait son monde s’écrouler autour d’elle, sans savoir comment y remédier. Je me souviens d’un jour en particulier où j’