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Souvenirs militaires. Napoléon à Waterloo est un livre captivant qui nous plonge au cœur de l'une des batailles les plus célèbres de l'histoire : la bataille de Waterloo. Écrit par Gustave de Pontécoulant, ce livre est un témoignage précieux et unique sur les événements qui ont marqué la fin de l'Empire napoléonien.
Pontécoulant, qui a lui-même participé à cette bataille en tant qu'officier, nous livre ici ses souvenirs personnels, nous offrant ainsi une perspective intime et authentique sur les événements qui se sont déroulés sur le champ de bataille. Son récit détaillé nous permet de revivre les moments clés de cette bataille décisive, où les destins de Napoléon et de l'Europe étaient en jeu.
À travers ses mots, Pontécoulant nous fait ressentir l'excitation et la tension qui régnaient sur le champ de bataille, les bruits assourdissants des canons, les charges de cavalerie, les combats acharnés. Il nous décrit également les stratégies militaires mises en place par Napoléon et ses adversaires, nous permettant ainsi de mieux comprendre les enjeux de cette bataille.
Mais ce livre ne se limite pas à une simple description des faits. Pontécoulant nous livre également ses réflexions sur les motivations de Napoléon, sur sa personnalité complexe et sur les conséquences de sa défaite à Waterloo. Il nous offre ainsi une analyse profonde et nuancée de cet épisode historique majeur.
Souvenirs militaires. Napoléon à Waterloo est un ouvrage incontournable pour tous les passionnés d'histoire et les amateurs de récits de bataille. Grâce à la plume captivante de Pontécoulant, nous sommes transportés au cœur de l'action, vivant chaque instant avec intensité. Ce livre est une véritable immersion dans l'histoire, une occasion unique de revivre l'une des batailles les plus marquantes de tous les temps.
Extrait : "Conformément à ce qu'il avait annoncé dans sa réponse à l'Adresse des députés, Napoléon s'était mis en route pour la frontière dans la nuit suivante. Heureux d'échapper à tous les mécomptes, à tous les embarras, à tous les ennuis qu'il avait éprouvés depuis le 20 mars, jour de son entrée dans la capitale, si chaleureusement saluée par une population enthousiaste..."
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Seitenzahl: 602
Veröffentlichungsjahr: 2015
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En 1865
Waterloo ! que ton nom a fait couler de larmes !!!
(SAINTE-BEUVE.)
Au mois de juin de l’année dernière (1865), quelques affaires d’intérêt m’avaient conduit en Belgique, je voulus profiter de l’occasion qui m’était offerte pour revoir encore une fois le champ de bataille de Waterloo, sur lequel j’avais combattu cinquante ans auparavant, et pointé, sous les yeux même de Napoléon, le dernier coup de canon qui fut tiré, peut-être, dans cette grande journée. Je l’avais déjà visité une première fois en 1832, lorsque l’armée française, sous la conduite du maréchal Gérard, le traversa pour aller faire le siège de la citadelle d’Anvers. J’avais donc déjà pu me rendre compte des nombreux changements qu’il avait subis depuis l’époque de 1815, à laquelle il avait dû sa triste célébrité, et qui avaient fait dire si naïvement au duc de Wellington, qui le revoyait quelques années plus tard : « Ils m’ont gâté mon champ de bataille. » De nombreux terrassements avaient été effectués dans les environs de la Haie-Sainte, à la place même qu’avait occupé Napoléon en dernier lieu, lorsqu’il rangeait les bataillons de sa garde pour monter à l’assaut du plateau de Mont-Saint-Jean. Des masses de terre considérables avaient été enlevées pour construire l’énorme pyramide que couronne le ridicule lion belge, la tête tournée vers la France, qu’il semble menacer encore de sa griffe impuissante. L’escarpement qui précède le fameux plateau, et qui protégeait l’armée anglaise, est devenu ainsi beaucoup moins rapide en cet endroit, et ne laisse juger que très imparfaitement des difficultés qu’avait à vaincre l’armée française pour parvenir jusqu’à elle.
Mais ce n’était point-là la pensée qui me préoccupait en ce moment. En visitant ce champ de bataille où tant de glorieux souvenirs se présentaient en foule à ma mémoire, je trouvais à chaque pas quelque trophée élevé à la gloire de nos ennemis : sur la chaussée de Charleroi, et non loin du monument, une colonne de marbre noir est consacrée à la mémoire « le lord Gordon, aide-de-camp du duc de Wellington ; vis-à-vis la ferme de la Haie-Sainte, qui porte encore les traces du rude assaut qu’elle eut à soutenir, se dresse une pyramide de pierre sur laquelle sont inscrits les noms de tous les officiers de la légion allemande qui périrent en la défendant ; enfin, aux abords de Planchenoit, un sarcophage, construit sur de plus amples dimensions, est consacré aux officiers et soldats de l’armée prussienne, qui a voulu élever son monument sur le lieu même où elle avait combattu, et le séparer de ceux de l’armée anglaise, pour mieux indiquer que c’est à sa puissante intervention que la victoire avait été due.
Ainsi donc, sur ce champ de bataille arrosé de tant de sang français, aucune colonne, aucune pierre tumulaire, pas même un simple tertre de gazon, n’est là pour dire à ses nombreux visiteurs : « Sta viator, heroem calcas. » Cette idée douloureuse m’a inspiré le dessein que j’exécute aujourd’hui ; j’ai voulu consacrer le souvenir de tant de hauts faits, dont j’ai été le témoin, de tant de braves, morts en défendant l’honneur et l’indépendance de la patrie, si ce n’est par le marbre et l’airain, du moins par un récit exact et fidèle, qui le grave d’une manière durable dans la mémoire de mes concitoyens. Je n’ai pas eu la prétention d’écrire sur le frontispice de mon livre : Exegi monumentum œre perenniùs, ce sont là des visions qui n’appartiennent qu’aux poètes ; mais ce sera du moins comme une simple croix de bois que la piété filiale ou la reconnaissance publique plante quelquefois sur la tombe des plus illustres morts, en attendant qu’on ait pu leur consacrer un monument plus durable.
Je dédie cet ouvrage à mes anciens compagnons d’armes.
Paris, 18 juin 1866.
G. DE P.
Ne quid falsi audeat dicere, ne quid veri non audeat.
CICÉRON
Rien n’est beau que le vrai ! !
BOILEAU
La bataille de Waterloo, par les terribles conséquences qu’elle a eues sur la fortune de Napoléon et sur les destinées du monde civilisé, est sortie du cercle ordinaire des faits de guerre réservés spécialement aux études des hommes du métier, et elle a pris les proportions de l’un des évènements les plus considérables des temps modernes. Aussi tous les écrivains qui se sont occupés de l’histoire de nos soixante dernières années, se sont-ils empressés d’en reproduire des narrations plus ou moins exactes, plus ou moins partiales, et si la postérité n’est pas parfaitement renseignée à cet égard, ce ne sera pas par l’insuffisance des documents qu’elle aura sous les yeux, mais par l’embarras de mettre d’accord tant de récits différents et souvent contradictoires.
En effet, chacun a écrit sous l’influence de ses opinions personnelles, les mêmes faits ont été présentés quelquefois sous un aspect absolument contraire. Les uns, admirateurs enthousiastes de la gloire de Napoléon, n’ont pas voulu admettre qu’aucune faute, qu’aucune erreur, qu’aucun oubli même aient pu être commis par celui qu’ils s’étaient si longtemps habitués à regarder comme infaillible ; les autres, animés par des passions plus aveugles encore, et surtout moins excusables, n’ont voulu voir, dans la campagne de 1815, que la terrible catastrophe qui la termina, et ont fermé les yeux à la beauté du plan, à l’audace du début, aux glorieux succès, enfin, qui avaient couronné ses heureux commencements. C’était donc encore une histoire à faire que celle où l’on ne prendrait pour guide que la vérité, et où tous les faits seraient retracés avec une rigoureuse exactitude et une complète impartialité. Nous l’avons entreprise, et nous avons pensé que le temps était arrivé où cette tâche pourrait être remplie avec des avantages qui avaient manqué à la plupart de nos devanciers. Il est difficile, en effet, à celui qui écrit sous l’impression des évènements qui viennent de s’accomplir, de se soustraire à toute influence étrangère, à toute idée préconçue, à toute considération personnelle. Ce n’est que lorsque les passions contemporaines se sont éteintes ; lorsque toutes les questions d’amour-propre et d’intérêts individuels ont été vidées ; que tous les faits ont eu le loisir de se produire ; que cette foule d’indices, de renseignements, de documents vagues et confus d’abord, que propagent les cent voix de la Renommée, ont eu le temps de se dérouler et de se contrôler l’un par l’autre ; qu’on peut, enfin, soumettre à un examen approfondi les différentes versions, les scruter, les discuter, les rapprocher entre elles, et, par leur confrontation, en faire jaillir la vérité. C’est alors seulement que l’historien peut entreprendre son œuvre et espérer d’arriver enfin à cette vérité et à cette exactitude qui doivent être le premier mérite d’un ouvrage historique. De même que pour juger les beautés ou les défauts d’un tableau il faut s’éloigner à quelque distance pour éviter la confusion des objets, de même l’écrivain trop rapproché des évènements qu’il raconte, risque souvent de les voir sous un faux jour, et de prendre les influences des passions étrangères ou les entraînements du premier moment, pour le jugement calme, réfléchi et impartial qui doit être celui de l’histoire.
Les premières relations un peu complètes qui nous aient été données de la campagne de 1815, sont celles qui nous sont venues de Sainte-Hélène. L’une a été écrite par Napoléon lui-même dans les loisirs de la captivité, comme nous l’apprend son fidèle chroniqueur, le vertueux Las-Cases, pendant l’année 1816, c’est-à-dire sous l’impression toute vive encore des évènements qu’il retraçait ; l’autre a été composée sous ses yeux, et l’on pourrait même dire sous sa dictée, car plusieurs pages de cette seconde version sont textuellement copiées de la première, par l’un de ses plus dévoués compagnons d’exil, le général Gourgaud. Ces deux productions, d’ailleurs, portent ce cachet de grandeur, de clarté et d’admirable concision dont sont empreints tous les écrits sortis de cette plume vigoureuse, que la main de Napoléon maniait avec autant d’éclat que cette main avait manié son épée. Mais souvent, emporté par la rapidité de sa pensée et par le désir d’écarter toute digression inutile à l’exposition de ses grands desseins, Napoléon néglige des détails honorables pour nos armes ou de nature à intéresser le lecteur qui veut être instruit des moindres causes qui ont concouru à produire de si grands évènements. Enfin, quoique ces deux récits se recommandent en général par l’exactitude et l’impartialité, cependant, soit que l’auteur, dans l’isolement de sa prison, ait été quelquefois trompé par ses souvenirs, soit qu’il n’ait pas eu sous la main tous les documents qui lui auraient été nécessaires, soit que quelques circonstances, que le temps a depuis éclaircies, fussent encore obscures à ses yeux, soit, enfin, qu’en face de la postérité, qui déjà posait devant lui, il ait lui-même volontairement altéré certains faits qu’il voulait transmettre aux siècles à venir plutôt comme il les avait conçus que comme ils s’étaient passés réellement, il est certain que quelques assertions contestables, que quelques erreurs manifestes s’y sont glissées et doivent être redressées, de peur que de légères inexactitudes sur des points de médiocre importance, ne puissent altérer la confiance que méritent du reste, sur des points plus essentiels, ces remarquables publications. La gloire de Napoléon, d’ailleurs, n’a rien à craindre de ces rectifications ; elle est assez grande, les talents dont il a fait preuve dans sa dernière campagne, sont assez éminents pour que le simple exposé des évènements, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher, puisse suffire à sa renommée, et montrer que son génie, dans cette dernière épreuve, ne s’était point abaissé au-dessous du niveau qu’il avait atteint dans les plus beaux jours de sa merveilleuse carrière.
Ces deux récits de Sainte-Hélène, plus complets et plus exacts, malgré quelques légères erreurs que nous venons d’y signaler, que tous ceux qui les ont précédés, ont depuis servi de texte à presque tous les écrivains qui se sont occupés de retracer les évènements qui ont accompagné ou suivi la chute du premier Empire ; mais ils se sont presque toujours contentés d’en donner des extraits, sans en réparer les omissions ou en redresser les inexactitudes. Nous citerons, en première ligne, M. Vaulabelle, dont la relation comprise dans son Histoire des deux Restaurations se distingue d’ailleurs par de nobles sentiments de patriotisme et d’orgueil national, qui lui ont assuré une grande vogue dans les classes populaires. M. Thiers, qu’on est habitué à regarder comme l’historien spécial des grandes batailles de l’Empire, a écrit sur la campagne de 1815 un ouvrage d’imagination plutôt qu’une œuvre historique ; il prête à tous ses personnages, ses vues, ses idées, ses impressions ; jamais sa verve intarissable n’a été ni plus féconde ni plus entraînante : il éblouit, il fascine son lecteur, mais il égarerait souvent ceux qui seraient disposés à admettre, sans examen, des assertions hasardées quand elles ne sont pas absolument fausses ; enfin, on chercherait en vain dans ces pages brillantes ces recherches consciencieuses, cette fidélité impartiale, cette passion de la vérité qui doivent passer avant les agréments du style dans une composition de ce genre, et peuvent seules lui assurer un succès durable.
Quoi qu’il en soit, les écrivains honorables que nous venons de citer et tous ceux qui s’étaient inspirés à la même source, tels que MM. Lamartine, Thibaudeau, Norvins, Vaudoncour, etc., bien qu’en se plaçant à des points de vue différents, étaient arrivés aux mêmes conclusions, et c’est d’après leurs récits que l’opinion publique s’était habituée à regarder cette dernière campagne de Napoléon, malgré sa funeste issue, comme aussi glorieuse pour sa renommée que ses plus belles victoires, et à supposer qu’il avait été seulement trahi cette fois par la fortune, qui l’avait jadis comblé de tant de faveurs, ou plutôt qu’il avait rencontré un concours inouï de ces hasards malheureux qui se plaisent souvent à la guerre à déjouer les plus belles combinaisons du génie. Cependant, dans ces derniers temps, une nouvelle école s’est formée, heureusement peu nombreuse, mais fortement appuyée par des influences de parti, qui n’a pas reculé devant la pensée de faire servir au triomphe de ses opinions du moment, l’interprétation inexacte de faits qui se sont passés il y a cinquante ans. Des relations malveillantes de la campagne de 1815, contraires à la fois à la vérité et à la justice, ont été écrites par des hommes trop jeunes pour y avoir pris part, et animés d’un esprit de dénigrement systématique contre Napoléon, dont on peut discuter les principes politiques qui se sont écroulés avec le bras puissant qui leur servait d’appui, mais dont la gloire militaire sera éternelle et appartient à la France entière, qu’elle a pendant vingt ans couverte de tant d’éclat. Dans ces récits qu’on croirait plutôt sortis de la main de l’étranger que d’une plume française, un spectacle peut-être encore plus ridicule qu’affligeant a été donné au monde : on a vu un militaire, jeune encore, sans nom dans l’armée, sans précédents, sans autorité, porté à un grade élevé par le malheur des révolutions, et qui aurait été bien embarrassé, peut-être, de faire manœuvrer devant l’ennemi un bataillon d’infanterie ou un escadron de cavalerie, se poser en juge souverain du plus grand capitaine des temps anciens et des temps modernes, censurer les plus belles conceptions de son génie, et s’évertuer à trouver dans des fautes imaginaires très gratuitement attribuées à Napoléon, la preuve d’une prétendue défaillance de ses facultés morales et physiques et la cause des revers de sa dernière campagne, sans remarquer que c’était attaquer en même temps l’honneur de l’armée française tout entière, nécessairement solidaire de celui de son chef.
Il importait donc, tandis qu’il existe encore un grand nombre de contemporains des évènements dont il s’agit, au témoignage desquels on peut en appeler, de ne pas laisser dénaturer la vérité et s’accréditer des récits erronés, aujourd’hui sans grand danger peut-être, parce que chacun sait quelles sont les passions mesquines et l’esprit étroit qui les a inspirés, mais qui pourraient acquérir quelque autorité dans l’avenir, par cette seule raison qu’on aurait dédaigné de les réfuter. C’est ce qui nous a enhardi à venir, après tant d’autres, rappeler encore une fois l’attention publique sur des évènements déjà souvent racontés, omnia jam vulgata, mais peut-être encore imparfaitement connus, par la diversité même des appréciations auxquelles ils ont donné lieu. La position particulière dans laquelle nous nous sommes trouvé, et qui nous a rendu spectateur souvent spectateur actif de la plupart des faits que nous aurons à retracer, les relations intimes que nous avons longtemps conservées avec plusieurs des personnages qui y ont joué un rôle important, doivent donner à nos assertions une autorité que ne sauraient réclamer à titre égal des écrivains qui n’ont reçu, en quelque sorte, que de seconde main leurs informations. On a dit avec vérité que rien ne remplace cette force de persuasion, cet accent irrésistible de celui qui a vu les faits qu’il raconte et qui initie son lecteur à toutes les émotions de crainte, d’espérance ou d’admiration qu’il a lui-même éprouvées. Nous sommes d’ailleurs pour juger avec une complète indépendance et une rigoureuse impartialité les hommes et les évènements, dans une position plus favorable que celle de la plupart des écrivains qui nous ont précédé. Presque tous les personnages qui ont joué un rôle important dans le grand drame qui a eu pour dénouement la chute du premier Empire, ont aujourd’hui disparu de la scène du monde. Leurs noms désormais appartiennent à l’histoire, et l’on peut les appeler devant son tribunal avec une entière liberté, sans être retenu par la crainte de blesser de justes susceptibilités ou d’affliger au déclin de leur carrière des hommes recommandables par d’anciens et d’honorables services. De vives polémiques d’ailleurs se sont élevées depuis la première apparition des Mémoires de Sainte-Hélène entre plusieurs des chefs dont les fautes y avaient été signalées, ou bien entre leurs descendants qui se sont constitués défenseurs officieux de leur mémoire. Comme il arrive toujours après une grande catastrophe, chacun a voulu se laver du reproche d’y avoir pris la plus légère part ; mais ces discussions, poussées quelquefois jusqu’aux plus violentes récriminations, ont amené des révélations inattendues ; la lumière s’est faite sur plusieurs points demeurés longtemps obscurs, et des documents précieux pour l’histoire, qui étaient restés enfouis dans les portefeuilles de quelques personnes intéressées à les tenir dans l’ombre, ont été produits au grand jour. Ce sont ces clartés nouvelles, ce sont ces documents demeurés longtemps inconnus, et dont nos devanciers n’avaient pu profiter, qui nous permettront de présenter enfin un tableau exact et complet de la campagne de 1815, et de rendre à chacun des acteurs appelés à y jouer un rôle, avec une entière indépendance et une consciencieuse impartialité, la justice qu’il a méritée.
Voici donc, en résumé, la marche que nous avons adoptée dans cet ouvrage :
Dans la première partie, qui sera comme l’introduction du drame, nous retracerons, aussi brièvement qu’il nous sera possible, les circonstances politiques qui ont accompagné le retour de Napoléon de l’île d’Elbe et la révolution du 20 mars.
Quoique notre principal objet soit de considérer ici les évènements militaires qui ont signalé cette dernière période du règne de Napoléon, cette digression rétrospective était indispensable pour montrer par quel enchaînement de circonstances, il s’était vu fatalement entraîné à une guerre formidable contre toute l’Europe soulevée contre lui, sans avoir eu le temps de s’y préparer, et quel effort de génie et d’activité il lui avait fallu pour réunir, dans l’espace de moins de deux mois, des forces assez imposantes pour soutenir cette lutte gigantesque.
Nous raconterons ensuite, jour par jour, et pour ainsi dire heure par heure, la vie de Napoléon pendant les quatre journées de cette mémorable campagne, dans le cours de laquelle nous avons eu souvent l’occasion de l’approcher, de combattre sous ses yeux, d’entendre les accents de sa parole incisive, et d’admirer sur le champ de bataille sa mâle contenance, sa figure impassible, cet admirable sang-froid qui ne se démentait jamais, au sein même des plus grands dangers, ce prestige, enfin, cette inévitable fascination que sa vue seule exerçait sur tous, depuis le dernier soldat jusqu’aux premiers dignitaires de l’armée. Et si l’on nous reproche de nous être arrêté avec quelque complaisance sur cette partie de notre récit, et, peut-être même, de nous être écarté quelquefois des règles d’une froide impartialité, lorsqu’il s’agira de raconter les habiles manœuvres ou les savantes conceptions de ce génie hors ligne, nous ne nous en défendrons pas. Le mot impartial, comme l’a remarqué un écrivain célèbre, ne veut pas dire impassible, et il serait difficile d’avoir assisté à un si grand spectacle sans en avoir été vivement impressionné, et sans en avoir gardé un éternel souvenir. Cette partialité, du reste, qui, si elle existait, ne serait que l’expression de notre profonde admiration pour les mérites transcendants de Napoléon, ne nous rendra injuste envers aucuns mérites d’un ordre secondaire, se trouvassent-ils même dans le camp de nos ennemis, et elle notera rien à l’exactitude de notre narration. Nous y verrons, au contraire, l’obligation d’examiner avec plus de soin les reproches souvent injustes qu’on a cru pouvoir lui adresser, bien convaincu que sa gloire ne peut que gagner à ce que tous les faits soient enfin clairement expliqués. Nous n’aurons donc rien à cacher, rien à dissimuler, et si quelque erreur, quelque oubli dans la transmission des ordres avaient eu lieu, car des fautes graves Napoléon n’en pouvait commettre, nous serions les premiers à les relever, à les signaler. Les réticences calculées ne font qu’engendrer le doute et amener la contradiction, et nous prendrons, dans tout le cours de cet ouvrage, pour règle invariable ces belles paroles où Cicéron a si bien tracé les vrais devoirs de l’historien : Ne quid falsi audeat dicere, ne quid veri non audeat.
Dans cette recherche de la vérité, qui a été l’objet principal de nos efforts, nous avons dû étayer nos propres souvenirs de tous les documents que nous avons puisés aux sources les plus authentiques. Nous avons recueilli dans les cartons du dépôt de la guerre des états de situation plus exacts que ceux qu’on trouve dans les mémoires de Sainte-Hélène, dressés d’après quelques documents incomplets, restés dans les mains de Napoléon et qui ont été reproduits depuis par la plupart des écrivains qui ont pris ces mémoires pour guides. Nous avons trouvé aussi de nombreuses pièces originales dans les différentes publications du maréchal Grouchy, qui après la réorganisation de la grande armée sous le titre d’armée du Nord, à son retour de Waterloo, en avait été nommé commandant en chef et avait reçu, en cette qualité, du maréchal Soult, major général, le dépôt du livre d’ordre de l’armée et de tous les papiers de l’état-major général. La reproduction textuelle des ordres de Napoléon et de sa correspondance avec ses généraux peut seule porter la conviction dans les esprits les plus prévenus, et trancher définitivement des questions devenues obscures à force d’avoir été présentées sous des aspects différents au gré des ressentiments ou des intérêts personnels de ceux qui les ont agitées. Nous n’avons donc pas craint de multiplier les citations et de reproduire même à côté de pièces originales encore inédites, des documents déjà connus ; seulement, pour ne pas suspendre le récit par de trop fréquentes interruptions, nous avons réuni à la fin de chaque chapitre, les différentes pièces sur lesquelles nous nous sommes appuyé et qui n’avaient pu trouver place dans le texte.
La connaissance parfaite des lieux où se passe l’action qu’il décrit, est encore un devoir rigoureux pour l’écrivain consciencieux. La mesure des distances et le temps nécessaire à les parcourir, ont joué un rôle très important dans les discussions auxquelles ont donné lieu les diverses relations de la campagne de 1815, et l’on peut dire que dans cette appréciation qui semble purement matérielle, on ne s’est guère mieux entendu que sur d’autres points d’une constatation moins facile. Nous avons donc cru ne devoir à cet égard nous en rapporter qu’à nous-mêmes, et nous n’avons pas hésité à nous rendre sur le théâtre des opérations de la campagne de 1815, pour visiter de nouveau les champs de bataille de Ligny, des Quatre-Bras et de Waterloo, raviver nos souvenirs et mesurer au pas et la montre à la main toutes les distances contestées.
Après avoir ainsi remis dans leur véritable jour tous les évènements de la campagne de 1815, trop souvent dénaturés par des écrivains de mauvaise foi ou incomplètement informés, nous en présenterons un résumé rapide qui permettra au lecteur d’en embrasser l’ensemble d’un même coup d’œil, et nous serons enfin amené à cette conclusion, qui sera, nous n’en doutons pas, confirmée par la postérité, c’est que plus on étudiera l’histoire de cette campagne, si glorieusement commencée et terminée par l’une des plus grandes catastrophes dont nos annales militaires fassent mention, plus on reconnaîtra que l’armée française, en succombant, n’a rien perdu de son honneur et de sa haute renommée, et que, de son côté, jamais Napoléon, dans les plus belles années de sa prestigieuse carrière, n’avait montré plus de lucidité d’esprit, plus de profondeur dans la conception, plus d’habileté dans l’exécution de ses desseins. La fin qu’il se proposait était immense, et notre étonnement doit s’augmenter encore, lorsqu’on songe à la disproportion du but et des moyens dont il disposait pour l’atteindre. Il ne s’agissait de rien moins que de lutter contre la plus puissante des coalitions qui se fussent encore formées contre la France, avec une armée improvisée, imparfaitement équipée, pleine d’ardeur, mais sans expérience, sans liens entre les officiers et les soldats, qui se connaissaient à peine, et n’ayant derrière elle, pour l’appuyer, qu’une nation épuisée par les deux campagnes précédentes. On a souvent comparé Napoléon aux plus grands capitaines de l’antiquité ; mais jamais, sans doute, un simple mortel, qu’il s’appelât Alexandre, Annibal ou César, ne s’était trouvé aux prises avec des circonstances aussi critiques ; et cependant, telle était l’énergie de ce caractère fortement trempé, sa confiance en ses forces, que sa fermeté n’en fut pas un moment ébranlée.
Seul, dans la solitude de son cabinet, à soixante lieues du théâtre où il veut porter ses premiers coups, une carte de la Belgique sous les yeux, il conçoit un projet qui, s’il réussit, doit avoir pour effet de diviser ses ennemis, de compenser ainsi les désavantages de son infériorité numérique, et de lui permettre, en les combattant séparément, d’amener peut-être l’un de ces conflits décisifs qui, comme à Marengo, comme à Iéna, décident en une seule journée du sort de la guerre et de la destinée des États. Jamais le génie, qui lutte contre la force matérielle, et qui en triomphe par sa puissance, n’aura enfanté un prodige plus digne de l’admiration des hommes. Et ce ne sont pas là les vaines illusions d’une exaltation fiévreuse : ses dispositions sont si bien ordonnées, ses mesures si bien prises, ses manœuvres si mystérieusement conduites, qu’elles sont, dans les premiers moments, couronnées d’un succès complet. Il était parvenu à surprendre ses ennemis dans leurs cantonnements, dispersés sur un terrain de vingt lieues d’étendue, et, se plaçant au milieu d’eux, sans leur donner le temps de se réunir, il les avait obligés à venir, l’un après l’autre, se mesurer avec lui. Partout il s’était présenté devant eux, si ce n’est avec des forces égales, du moins avec des forces suffisantes pour disputer la victoire, et partout un éclatant triomphe avait été le prix de ses habiles manœuvres. À Ligny, il avait remporté une éclatante victoire sur l’armée prussienne, et elle n’avait dû qu’à une circonstance fortuite de n’être pas complètement anéantie. Il avait tourné ensuite tout son effort contre l’armée anglaise, qu’il avait trouvée à Waterloo dans une position si favorable à ses desseins, et si dangereuse pour elle-même, que si elle avait été battue, elle n’aurait pu échapper elle-même à une entière destruction. Ainsi, en moins de quatre journées, toutes les prévisions de Napoléon pouvaient être réalisées : les deux principales armées de la coalition allaient se trouver hors de combat, et la coalition elle-même, frappée au cœur par un coup si rude et si vigoureusement porté, obligée peut-être de se dissoudre et de renoncer à son inique agression.
Un hasard, deux heures de retard dans la transmission d’un ordre, une pluie torrentielle qui fit différer le signal de l’attaque, en décidèrent autrement. Napoléon trouva sa perte dans cette même journée qui devait assurer son salut et mettre le comble à sa glorieuse renommée ; mais ses ennemis durent se souvenir longtemps des terribles chances qu’ils avaient courues. Cependant comment expliquer un si étrange revirement ? Comment la victoire s’est-elle tout à coup changée en défaite ? Les hommes aiment tout ce qui leur paraît surnaturel : on s’en est pris à la fatalité ; mais c’est là une excuse banale, trop souvent invoquée par la médiocrité pour être admise quand il s’agit de desseins mûris par la réflexion et conduits par l’expérience, comme étaient ceux de Napoléon. Non, n’accusons pas la Fortune : elle semblait, au contraire, avoir tout préparé pour le triomphe de la plus juste et de la plus noble des causes, celle d’un peuple combattant pour son indépendance, pour la défense de ses droits et de son territoire. N’accusons que le malheur des temps et nos dissensions civiles. La divergence des opinions avait éclairci nos rangs ; la trahison avait affaibli la confiance du soldat ; les préoccupations politiques avaient divisé les chefs et répandu partout des éléments d’indiscipline : des fautes graves furent commises ; les ordres furent mal compris ou exécutés avec négligence. Napoléon lui-même, il en faut convenir, avait subi cette influence inévitable de l’âge et de l’adversité. Son esprit avait conservé toute sa puissance ; mais il avait perdu quelque chose de cette audace, de cette décision spontanée, de cette énergique volonté, de cette confiance enfin dans son étoile, à laquelle il avait dû autrefois la moitié de ses succès. Il avait commencé cette dernière campagne, il l’a dit lui-même, avec de noirs pressentiments, et il n’est pas douteux que cette disposition fâcheuse exerça une influence fatale sur toutes les opérations de la campagne. Il aurait peut-être plus obtenu de la Fortune, s’il avait moins douté de ses faveurs. Ainsi donc, ce ne fut ni son étoile, ni son génie qui fit défaut à Napoléon dans la campagne de 1815 ; mais les moyens d’exécution manquèrent à ses grands desseins. Ses généraux, autrefois si dévoués, si intrépides, si confiants dans le génie de leur chef, se montrèrent au-dessous de leur vieille réputation, et l’on a dit avec raison que Napoléon fut vaincu à Waterloo bien plus par les fautes de ses lieutenants que par les talents de ses adversaires.
C’est donc dans l’histoire même de la campagne de 1815 qu’il faudra chercher les véritables causes de cette terrible péripétie qui changea tout à coup la fortune, les vainqueurs en vaincus, et fit succéder aux plus heureux préludes des revers plus grands et plus rapides encore que n’avaient été les succès. Ce sont ces étranges vicissitudes qui rendront à jamais cette lecture aussi instructive pour les hommes du métier qu’attachante pour toutes les classes de citoyens. Eh ! en effet, quel cœur français ne serait vivement ému en voyant combien peu il s’en est fallu que le plus éclatant triomphe ne couronnât encore une fois nos armes victorieuses, et à quel fil délié sont restées suspendues, dans cette journée, les destinées du monde. C’est aussi sur ce puissant intérêt qui s’attache au dernier épisode de la vie de Napoléon, et que ne pourrait peut-être offrir au même degré aucune autre époque de nos annales, que nous avons compté, lorsque nous nous sommes décidé à revenir sur un sujet déjà souvent traité, mais presque toujours d’une manière inexacte, partiale, ou du moins incomplète. Au reste, nous n’avons pas prétendu écrire une histoire ; nous n’avons voulu que consigner ici d’une manière durable, par la voie de la publicité, tandis que le temps ne les a pas encore complètement effacés de notre mémoire, quelques souvenirs personnels sur des faits honorables pour notre armée, qui s’étaient passés sous nos yeux, et qui nous avaient laissé une vive impression. Nous ne demandons pas à être cru sur parole, mais qu’on scrute avec soin les preuves que nous apportons à l’appui de nos assertions, et qu’on décide ensuite entre nous et nos contradicteurs : nous ne réclamons qu’un seul mérite, celui de l’exactitude et de la sincérité. Nous n’avons pas craint d’entrer souvent dans les plus minutieux détails, persuadé que rien n’est indifférent quand il s’agit d’un homme comme Napoléon et de la grande catastrophe qui termina sa vie politique. La curiosité publique sur ce sujet, nous en sommes convaincu, est bien loin d’être épuisée, et dans six siècles d’ici on demandera encore : « Comment a été vaincue cette main puissante qui avait gagné tant de batailles ? Quomodò cecidit potens qui salvum faciebat populum Israël ? » Si je suis assez heureux pour avoir fourni aux historiens futurs quelque renseignement utile, quelque document nouveau qui les préservent du danger de reproduire dans leurs récits les mêmes méprises, les mêmes erreurs où sont si souvent tombés leurs devanciers ; si quelque vieux soldat qui aura assisté à la grande bataille, éprouve quelque orgueil à voir fidèlement retracés les actes de courage qui rendirent si longtemps la victoire indécise et suspendirent la catastrophe, ma tâche aura été bien remplie, et je m’applaudirai de l’avoir entreprise.
RÉVOLUTION DU 20 MARS 1815
Retour de Napoléon de l’île d’Elbe. – Il débarque au golfe Juan, il entre à Paris dans la soirée du 20 mars. – Déclaration du congrès de Vienne du 13 mars 1815. – Napoléon fait de vains efforts pour détacher l’Autriche de la coalition. – Réorganisation de l’armée. – Ouverture des Chambres législatives. – Dispositions hostiles qu’elles manifestent. – Réponse de l’Empereur à l’Adresse de la Chambre des députés. – Traité par lequel les quatre principales puissances s’engagent à entretenir chacune un contingent de 150 000 hommes pendant toute la durée de la guerre. – Plan de campagne pour l’invasion de la Belgique. – Napoléon part pour l’armée.
Dans les premiers jours du mois de mars 1815, un bruit vague d’abord, mais qui prenait à chaque instant plus de consistance, se répandit tout à coup dans Paris et tint bientôt en éveil l’attention de tous les oisifs de cette grande cité : « Napoléon, disait-on, revenant de l’île d’Elbe où l’avaient relégué les traités de 1814, était débarqué avec une faible escorte le 1er mars dans le golfe de Juan. » La nouvelle d’abord avait paru incroyable tant on trouvait une telle entreprise insensée et téméraire, et certes, de toutes les actions accomplies par Napoléon dans sa carrière aventureuse, la conquête d’un royaume comme la France avec une armée de douze cents hommes au plus, sans cavalerie, sans artillerie, sans munitions, était celle qu’on pouvait regarder comme dépassant toutes les limites de l’imagination la plus fantastique. Mais Napoléon avait pour lui le prestige de son nom, l’entraînement du caractère français pour tout ce qui est nouveau et extraordinaire, la fascination qu’il avait toujours exercée sur la population des campagnes, enfin la complicité même des troupes envoyées pour le combattre et qui n’avaient pu résister aux accents de cette voix, à la vue de ce drapeau tricolore qui les avaient si souvent conduites à la victoire. Sa course rapide du golfe de Juan jusqu’à Paris fut saluée aux cris mille fois répétés de : Vive l’Empereur ! vive Napoléon ! par une population en délire accourue de toutes parts sur son passage, et ressembla plutôt à la marche triomphale d’un conquérant qu’au retour d’un proscrit. Il faut, toutefois, pour l’honneur de la nation française, lui rendre cette justice, que tous les hommes éclairés, même ceux qui avaient accueilli avec le moins de sympathie la restauration des Bourbons, ne virent qu’avec un sentiment de défiance et d’effroi le retour de Napoléon ; ils prévoyaient qu’il n’en pouvait résulter qu’une lutte funeste à tous les intérêts, une crise dangereuse pour les libertés publiques, et, les chances presque certaines d’une guerre sanglante succédant aux douceurs de la paix, dont à peine on commençait à goûter les bienfaits. Mais chacun sentait, en même temps, qu’il était trop tard pour revenir en arrière, et que puisque cette étonnante révolution qui allait attirer tant de malheurs sur la France, était un fait accompli, chacun devait désormais faire abnégation de ses opinions et de ses sympathies, et se serrer autour du chef de l’État pour opposer à l’ennemi qui allait bientôt assiéger nos frontières, une barrière infranchissable. Tel fut le sentiment, honorable dans son principe, qui conquit à l’Empereur, rappelé sur son trône par un moment de délire populaire et par l’enthousiasme aveugle de l’armée, une adhésion presque unanime et le concours de tous les hommes de cœur même les plus opposés à la restauration du régime impérial.
Le 20 mars, à neuf heures du soir, Napoléon fit son entrée dans Paris ; une foule nombreuse l’attendait dans la cour des Tuileries, et l’enleva de sa voiture pour le transporter sur ses bras jusque dans la salle des Maréchaux. L’émotion de Napoléon en se retrouvant au sein de ce palais, témoin de ses glorieuses années, fut vive et profonde ; ce fut peut-être le seul moment d’une joie sans mélange qu’il lui fut permis de goûter pendant ce nouveau règne d’une si courte durée. Dès le lendemain on put voir passer sur son front des nuages qui semblaient obscurcir l’éclat du triomphe. L’enthousiasme populaire, qui l’avait accueilli sur sa route depuis le golfe de Juan jusqu’à Paris, s’était tout à coup changé en démonstrations plus calmes et plus réservées ; la réflexion et l’inquiétude de l’avenir avaient fait place à un premier mouvement de surprise et d’entraînement. On connaissait déjà la déclaration du congrès de Vienne, publiée le 13 mars, par laquelle tous les souverains signataires du traité de Paris renouvelaient l’engagement d’en maintenir intactes toutes les stipulations ; déclarant que Napoléon Bonaparte s’était placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il serait livré à la vindicte publique. Ainsi les assurances que Napoléon et ses partisans avaient pris tant de soin de semer sur son passage, d’une secrète intelligence avec les cours d’Autriche et de Naples, et d’une division que son retour ferait éclater entre les souverains réunis au congrès, n’étaient que des assertions mensongères, imaginées pour rassurer les esprits crédules des populations des campagnes, et leur inspirer une confiance que les évènements devaient bientôt dissiper. En effet, le soin du salut commun avait rapproché les souverains que le partage des dépouilles conquises aurait peut-être sans cela bientôt divisés, et le retour prématuré de Napoléon avait resserré le faisceau des alliances qui semblait prêt à se rompre de lui-même. Déjà l’on avait parlé d’une convention secrète qui unissait l’Angleterre, l’Autriche et la France, contre la Russie et la Prusse ; mais, à l’apparition de Napoléon sur les côtes de Provence, l’effroi qu’inspirait encore ce nom redouté, avait fait disparaître toutes les questions secondaires, et chacun n’avait plus songé qu’à courir aux armes contre le relaps, contre le proscrit qui avait si audacieusement rompu son ban. Ainsi donc cette terrible vérité apparaissait chaque jour plus manifeste, à savoir que Napoléon, en quittant l’île d’Elbe, pour se jeter sur la France comme sur une proie dévouée, n’avait écouté que les illusions trompeuses de son imagination, les intérêts de son ambition personnelle et les conseils de quelques serviteurs perfides, mais qu’il ne s’était ménagé sur le continent aucun appui, aucune alliance prête à seconder son audacieuse entreprise, et que la première impression de surprise et d’étonnement, en se dissipant comme une vapeur trompeuse qui aurait voilé l’avenir, laisserait voir encore une fois la France seule et isolée en présence de l’Europe entière soulevée contre elle.
C’était le triste renouvellement des résultats qu’avait produits la fatale campagne de Russie ; encore, disait-on, si Napoléon avait retardé de quelques mois l’exécution de ses projets, il aurait laissé au congrès le temps de se dissoudre, et aux armées de la coalition celui de s’éloigner des frontières de la France ; si la guerre alors fût devenue inévitable, on aurait eu du moins quelques mois de répit pour s’y préparer. Mais pris ainsi au dépourvu, il fallait tout improviser, et faire sortir de terre, pour ainsi dire, et comme avec la baguette d’un habile enchanteur, une armée, une flotte, un gouvernement nouveau.
Napoléon, qui ne se dissimulait pas les difficultés de sa position et qui connaissait mieux que personne tous les dangers que sa téméraire agression allait attirer sur le pays, avait bien senti que le meilleur moyen de les conjurer, était de rassembler au plus tôt des forces suffisantes pour les opposer aux armées de la coalition qui bientôt allaient fondre sur lui, s’il laissait à leurs éléments dispersés le temps de se rejoindre et de se réunir. Le meilleur moyen d’obtenir la paix, répétait-il souvent à tous les corps constitués, c’est, de se préparer à la guerre, si vis pacem, para bellum.
Mais au retour de l’île d’Elbe en 1815, les circonstances étaient bien plus défavorables encore qu’au retour de Moscou en 1813. Aucune mesure de précaution n’avait pu être prise pour parer à des évènements dont, quelques jours avant leur accomplissement, nul n’aurait pu supposer même l’éventualité. La Restauration, qui se défiait de l’armée et qui comptait plus pour se garder sur les baïonnettes étrangères que sur son dévouement, s’était peu occupée de remplir les vides causés par les désastres des dernières campagnes, et pour la détacher des souvenirs de l’Empire, elle lui avait donné, dans les six derniers mois de 1814, une organisation nouvelle. Elle se composait, au mois de mars 1815, de cent cinq régiments d’infanterie, dont quatre-vingt-dix-neuf à deux bataillons (six seulement en avaient trois), de quatre régiments suisses, de quatre régiments d’infanterie de l’ancienne garde impériale, sous la dénomination de grenadiers et chasseurs de France ; de cinquante-sept régiments de cavalerie de la ligne, quatre régiments de cavalerie de l’ancienne garde, huit régiments du train, huit régiments d’artillerie à pied, quatre régiments d’artillerie à cheval, deux bataillons de pontonniers, trois régiments de sapeurs-mineurs, dits troupes du génie.
L’effectif de chaque régiment d’infanterie était, l’un portant l’autre, de 900 hommes dont 600 disponibles pour la guerre. La cavalerie avait un effectif de vingt et un mille chevaux, elle pouvait fournir onze mille chevaux prêts à entrer en campagne.
L’effectif général de l’armée active était de 149 000 hommes, pouvant mettre en campagne une armée de 93 000 combattants, présents sous les armes, force à peine suffisante pour garder les places fortes et nos établissements maritimes depuis Cherbourg jusqu’à Toulon.
Il y avait dans les magasins 105 000 fusils neufs, 300 000 fusils à réparer. Le matériel de l’artillerie pouvait suffire pour entrer en campagne, mais elle manquait d’attelages et il fallait compléter ses approvisionnements. Quant aux places fortes, elles étaient presque toutes en assez mauvais état, la maçonnerie tombait en ruines, les terrassements étaient éboulés, les palissades détruites, et elles avaient besoin de grandes réparations pour être remises en bon état de défense.
L’Empereur avait jugé que 800 000 hommes étaient nécessaires pour entrer en lice, sans trop d’infériorité, avec l’Europe coalisée. C’était donc à atteindre ce chiffre que toutes ses pensées s’étaient portées. On créa des 3e, 4e et 5e bataillons dans les régiments d’infanterie, des 4e et 5e escadrons dans les régiments de cavalerie, on doubla les équipages militaires et l’on augmenta l’effectif de l’infanterie de vingt régiments de jeune garde ; pour les commander on rappela à l’activité tous les officiers de terre et de mer à demi-solde et que la Restauration, faute d’emplois à leur donner, avait renvoyés dans leurs foyers. On appela sous les drapeaux tous les anciens soldats qui accoururent spontanément, comme en 1792, à la voix de Napoléon et de la patrie en danger. La conscription de 1815 fut rappelée ; elle devait donner 140 000 hommes, mais elle n’en avait encore rendu que 80 000 à la fin de mai. On forma vingt régiments de marine avec 30 000 matelots provenant des anciennes escadres d’Anvers, de Brest et de Toulon. On requit, comme ressource extraordinaire, 200 bataillons de garde nationale mobile, composés de compagnies de grenadiers et de voltigeurs et destinés à la défense des places fortes. La cavalerie se remonta avec les chevaux de la gendarmerie qui furent remplacés par des chevaux neufs, enfin tous les éleveurs de la Normandie, de la Bretagne et du Limousin furent appelés, par l’appât de fortes primes, à fournir des chevaux pour les attelages de l’artillerie.
Un appel de 250 000 hommes devait être proposé aux Chambres dans le courant de juillet, la levée aurait été terminée en septembre et aurait porté l’armée active au complet de 858 000 hommes, mais ce chiffre était visiblement exagéré, il devait se réduire par les réfractaires, par les doubles emplois de soldats comptés à la fois dans les rangs de la garde nationale mobile et de l’armée active, enfin par le déficit occasionné par l’insurrection de la Vendée, qui s’était produite dans le moment le plus inopportun, lorsque l’État aurait eu besoin de toutes ses ressources pour résister à l’étranger.
En résumé, voici quel était au juste, au 1er juin 1815, l’état des forces dont pouvait disposer Napoléon. L’effectif de l’armée active et prête à entrer en campagne était de deux cent trois mille sept cent soixante-douze mille hommes ; il y avait dans les dépôts cent cinquante-neuf mille sept cent vingt-huit jeunes soldats ; on comptait comme ressources extraordinaires cent quatre-vingt-seize mille gardes nationaux mobilisés, ce qui formait un total de cinq cent cinquante-neuf mille cinq cents hommes.
Ces forces étaient ainsi réparties :
La levée des 200 000 hommes, qui devait avoir lieu en juillet, en supposant qu’au 15 août la moitié seulement eût rejoint les drapeaux, devait porter à cette époque l’armée au dépôt à 259 000 hommes, et par la rentrée des conscrits qui n’avaient pas rejoint, on espérait qu’elle atteindrait le chiffre de 385 000 hommes qui, ajoutés aux 196 000 de ressources extraordinaires, porteraient à 800 000 hommes à peu près les forces de la France au 15 août. Il faut remarquer que la guerre de la Vendée devant être probablement apaisée à cette époque, toutes les troupes qui formaient cette armée auraient alors rallié l’armée active, et l’armée de Paris aurait compté à la même époque près de 150 000 combattants.
Pour armer et habiller, dans un aussi court intervalle de temps, toute cette armée improvisée, et dont quelques jours auparavant l’existence seule eût paru un rêve, il avait fallu donner aux fabriques d’armes et aux manufactures de draps dans toute la France, une activité inaccoutumée, et aucun moyen, aucun sacrifice, aucune récompense pécuniaire ou honorifique n’avait été épargnée pour stimuler le zèle des chefs d’ateliers et des ouvriers.
Tous ces soins ont occupé Napoléon pendant les mois d’avril et de mai ; ce n’est pas trop, sans doute, pour la création, l’habillement, l’armement et l’équipement complet d’une armée de cinq cent mille hommes. Aussi jamais, à aucune époque de sa vie, il n’a fait preuve de plus d’activité, de plus d’aptitude au travail. Ses journées se passent en revues militaires dans les cours du Carrousel ou en visites dans les quartiers les plus populeux de Paris ; ses nuits en conférences avec ses ministres ou en méditations laborieuses, et souvent, quand tout repose dans le palais et dans la grande cité, une lampe solitaire qui brille aux Tuileries, quelquefois jusqu’au lever de l’aurore, annonce que Napoléon a veillé toute la nuit dans l’intérieur de son cabinet, absorbé par les grands travaux qui le préoccupent.
Mais si les préparatifs de la guerre qui le menace à l’extérieur, réclament toute son attention, les affaires intérieures sont pour lui une source nouvelle d’inquiétudes et de déplaisirs plus amers encore, car elles exigent non seulement une contention d’esprit continuelle, mais un renoncement presque absolu à des illusions décevantes et à des habitudes trop enracinées pour être aisément réformées. Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, avait cru retrouver la nation française comme il l’avait quittée l’année précédente, et oubliant l’abdication de Fontainebleau et tout ce qui s’en était suivi, n’avoir qu’à relever sur ses anciennes bases le gouvernement impérial avec tous les privilèges et les immunités d’un pouvoir irresponsable ; mais il eut lieu de reconnaître bientôt combien il s’était trompé. Le peuple français avait vieilli de cinquante ans dans l’espace d’une année, son éducation s’était faite dans cet intervalle, et le règne, quoique bien court, du roi réformateur Louis XVIII, avait fait germer dans toutes les classes des idées d’indépendance et de liberté avec lesquelles il fallait compter désormais. L’Empereur, éclairé sur toutes les difficultés de sa position par la répulsion générale qui avait accueilli les trop fameux décrets de Lyon, et par l’attitude presque froide de la population parisienne, comparée au premier enthousiasme des populations qu’il avait rencontrées sur sa route, avait senti qu’il allait avoir bientôt à lutter à la fois contre les exigences des idées libérales à l’intérieur et à l’extérieur contre toutes les forces de l’Europe coalisée, et pour ne pas compliquer ses embarras, il résolut de céder à la pression des circonstances et d’entrer largement dans la voie des concessions. Le 25 avril, le Moniteur publia l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire. Ce document, calqué sur la charte constitutionnelle du roi Louis XVIII perfectionnée, contenait les bases fondamentales de tout gouvernement représentatif sérieux, et l’on a dit avec raison que de toutes les constitutions qui aient été essayées en France depuis 1789, c’était certainement la plus large et la plus libérale. Cependant cet acte fut mal accueilli par l’opinion publique ; on crut voir dans son titre seul un retour déguisé vers les errements du régime impérial, et l’on ne voulait plus de Napoléon que lui-même et rien de ce qui pouvait rappeler les souvenirs de son despotisme et des malheurs qui en avaient été la suite. L’enthousiasme que le miraculeux retour de l’Empereur avait excité chez toutes les classes de la population, se refroidit avec la même rapidité qu’il s’était allumé ; on était prêt à se lever en masse pour la cause de la liberté ; on refusa de marcher pour la cause d’un homme et on laissa à l’armée, toujours magnanime, toujours dévouée, l’honneur de courir seule à la frontière défendre l’intégrité du sol national.
Aux termes de l’acte additionnel, la convocation des Chambres législatives devait avoir lieu dans un bref délai. Napoléon, sachant que l’esprit qui avait présidé aux élections des députés dans les provinces, était en général celui d’une complète indépendance et d’un dévouement éprouvé aux principes libéraux et constitutionnels, redoutait ce moment qui lui avait déjà suscité tant d’embarras dix-huit mois auparavant. Cependant la marche des évènements ne permettait ni de s’arrêter à de tardives réflexions, ni surtout de revenir en arrière ; le 7 juin, l’Empereur fit en personne l’ouverture de la session législative. Le discours qu’il prononça en cette occasion, contenait les assurances les plus positives de son attachement aux principes d’une sage liberté, c’était une concession obligée à l’esprit de l’époque ; il y renouvelait ensuite la promesse déjà donnée dans son discours du champ de mai, d’employer les premiers loisirs de la paix à rassembler les feuillets épars des constitutions de l’Empire, pour les réunir dans un même cadre et les coordonner dans une seule pensée. Enfin il recommandait à tous les membres du corps législatif de donner l’exemple de l’union, de la confiance, de l’énergie et du patriotisme, et à être prêts à mourir, comme les sénateurs de Rome sur leurs chaises curules, plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France.
Ces déclarations spontanées de la part d’un caractère si absolu, ces engagements solennels, si souvent renouvelés, auraient peut-être dû désarmer les défiances des oppositions qui déjà germaient dans le sein du Corps législatif, et qui auraient du moins pu attendre, pour se manifester, que la fortune de Napoléon eût rendu quelque apparence de courage aux attaques dirigées contre lui. Mais dans les Adresses des deux Chambres en réponse au discours du trône, pleines du reste de sentiments patriotiques, aucune récrimination, aucune allusion aux actes accomplis depuis son retour, ne lui fut épargnée, et la Chambre des députés, tout en se félicitant de l’avoir vu renoncer volontairement à l’exercice du pouvoir absolu, n’avait pas cru superflu de proclamer devant lui la souveraineté du peuple comme le principe fondamental désormais de la Constitution française. Son but principal dans son Adresse semblait avoir été de prouver à l’Europe que l’esprit de conquête était désormais complètement éteint dans le cœur de la nation française et qu’elle n’était plus dominée que par une pensée unique, celle d’établir sur des bases assurées le pacte qui devait unir le peuple et le souverain et de perfectionner les institutions constitutionnelles. Ces déclarations de principes d’indépendance, ces manifestations pacifiques, hors de saison dans les circonstances critiques où l’on se trouvait, offraient pour la seconde fois aux yeux de l’Europe l’étrange spectacle de l’un des grands pouvoirs de l’État semant ainsi la défiance et l’isolement autour du chef auquel la France avait remis ses destinées, au moment même où il aurait eu besoin du concours de tous les cœurs et de toutes les volontés. Napoléon supporta avec calme et avec plus de résignation qu’il ne l’avait fait l’année précédente, cette cruelle épreuve, mais en voyant des circonstances presque analogues ramener identiquement les mêmes fautes, il dut gémir sur la vanité de ses espérances et prévoir que ces mêmes hommes qui l’avaient acclamé si chaleureusement trois mois auparavant, le laisseraient bientôt lutter seul, avec son armée, contre l’Europe entière se ruant sur la France.
Cependant son attitude ne témoigna rien de ses déplaisirs secrets, et ses réponses à ces deux Adresses furent pleines de sens et de dignité. Il renouvela encore une fois l’engagement de s’occuper de la révision de la Constitution, et d’apporter à cette opération tous les fruits de ses méditations et de son expérience aussitôt que la tranquillité publique serait rétablie ; mais il fit sentir en même temps l’inopportunité d’agiter de pareilles questions dans les circonstances terribles où l’on se trouvait. Il dit aux représentants :
« La Constitution est notre point de ralliement. Toute discussion publique qui tendrait à diminuer directement ou indirectement la confiance qu’on doit avoir dans ses dispositions, serait un malheur pour l’État. N’imitons pas l’exemple du peuple du Bas-Empire, qui, pressé de tous côtés par les Barbares, se rendit la risée de la postérité en s’occupant de discussions abstraites au moment où le bélier brisait les portes de la ville . »
L’Empereur, à la fin de son discours, avait annoncé à la Chambre un fait depuis longtemps impatiemment attendu : son départ pour l’armée qui devait avoir lieu la nuit suivante. Les circonstances, en effet, ne permettaient pas de retarder plus longtemps, il fallait se presser d’agir, si l’on ne voulait pas être prévenu. L’orage qui s’était formé au premier bruit de l’apparition de Napoléon sur le continent, grossi de toutes les haines du passé et de la cupidité de tous les intérêts froissés dans la personne des souverains qui s’étaient partagé ses dépouilles, menaçait enfin d’éclater. Le 9 juin une déclaration solennelle du congrès de Vienne annonçait aux peuples que la chute de Napoléon avait rendu à l’indépendance les nouvelles destinées qui leur étaient réservées ; c’était un remaniement complet de la carte de l’Europe. Chacune des puissances qui avaient concouru selon ses moyens à la chute du grand Empire, s’adjugeait de sa propre autorité, et sans consulter ni le vœu des peuples, ni le climat, ni la différence des mœurs, quelques-unes de ces populations qu’on s’était donné pour mission d’affranchir et de rendre à la liberté. Cet acte était une réponse péremptoire aux bruits répandus des divisions que le retour de l’Empereur de l’île d’Elbe avait fait surgir dans le congrès des souverains alliés. C’était une déclaration solennelle qu’ils ne reculeraient pas dans la route qu’ils s’étaient tracée, et que, liés désormais par un intérêt commun, ils marcheraient dans un accord parfait vers le but qu’ils s’étaient proposé, la destruction de Napoléon. Toutes les tentatives que l’Empereur avait faites depuis son retour pour détacher l’Autriche de cette formidable coalition avaient échoué, M. de Talleyrand lui-même avait repoussé toutes les offres ; toutes les démarches qu’on avait essayées auprès de lui avaient été inutiles. On lui avait en vain envoyé à Vienne M. de Montron, homme d’intrigue et de plaisir, initié depuis longtemps à tous les secrets de son intimité, il lui avait tendu la main comme à un ancien ami, mais il avait fermé l’oreille à toutes les propositions dont il était porteur, et ce grand maître en fait de corruption s’était, pour la première fois, montré incorruptible. Rien ne pouvait mieux, sans doute, prouver à Napoléon qu’il ne lui restait nulle chance de détacher aucune parcelle de cette terrible avalanche de haines et de vengeances accumulées contre sa personne, et que c’était désormais au destin des combats à décider seul entre lui et ses ennemis. Il n’hésita plus sur le parti qu’il avait à prendre. Les ministres des quatre puissances principales avaient signé à Vienne, le 25 avril, un traité d’alliance par lequel elles s’engageaient à fournir chacune cent cinquante mille hommes contre l’ennemi commun, et l’on calculait qu’un million d’hommes de toutes les nations serait réuni à la fin de juillet sur les frontières de la France. L’Europe entière était en armes, toutes les troupes de la coalition qui déjà regagnaient leurs foyers, avaient reçu l’ordre de s’arrêter dans leur marche et de revenir sur leurs pas pour effectuer une nouvelle invasion du territoire français. Toutes les routes de l’Allemagne étaient couvertes de leurs innombrables bataillons ; il fallait les prévenir sur le champ de bataille avant qu’elles ne fussent réunies et diminuer le désavantage d’une lutte disproportionnée en prenant l’initiative de l’attaque pour les combattre séparément.
Napoléon avait basé sur cette idée, inspirée par une juste appréciation de sa situation, son plan de campagne. Il consistait à se porter rapidement dans les plaines de la Belgique où s’étaient réunies une armée anglo-hollandaise forte de 104 000 combattants sous les ordres du duc de Wellington, et une armée de Prusso-Saxons forte de 120 000 hommes, commandée par le feld-maréchal Blücher ; à surprendre ces deux armées en les attaquant à l’improviste, à les diviser, à les accabler l’une après l’autre avec la masse de ses forces et à reconquérir ensuite, si la victoire couronnait ses efforts, tous les départements de l’ancienne Belgique et les provinces rhénanes, dont les habitants avaient toujours conservé leur ancien attachement pour la France, avant que les armées russes, autrichiennes, bavaroises, wurtembergeoises, etc., n’eussent eu le temps de franchir les barrières du Rhin et de venir à leur tour mesurer leurs armes avec ses armes déjà deux fois victorieuses.
Il faut le reconnaître, ce plan était parfaitement approprié aux circonstances, et les moyens imaginés par Napoléon pour en assurer la réussite doivent être regardés comme l’une des plus belles conceptions de son génie guerrier. En effet, pour le faire échouer, il n’a fallu rien moins que le concours des plus fatales circonstances, circonstances tellement en dehors des prévisions humaines, que l’esprit le plus enclin à se laisser aller aux noirs pressentiments eût à peine osé en concevoir la pensée ; les calculs de Napoléon enfin étaient tellement exacts, ses mesures si précises, que le succès le plus complet sembla justifier, dans les premiers moments et dans la partie la plus essentielle de son plan, toutes ses combinaisons.
Comment de si flatteuses espérances ont-elles été trompées ? Comment la victoire s’est-elle tout à coup changée en défaite ? Comment la fatalité s’est-elle plu à déjouer tous les calculs de l’art, du génie et de l’expérience ? Comment, enfin, le plus grand homme de guerre qu’aient produit les siècles passés et les temps modernes, a-t-il été vaincu par deux généraux d’un mérite très ordinaire, tels qu’étaient Blücher et Wellington, c’est ce que la postérité aurait peine à comprendre, si on ne lui transmettait avec une impartialité dégagée de toute considération de personnes ou de parti, le récit fidèle de toutes les péripéties de cette courte campagne. Cinquante ans se sont écoulés depuis cette époque ; tous les hommes qui ont joué les principaux rôles dans ces grands évènements, sont aujourd’hui ensevelis sous la tombe, et l’on peut avec plus de liberté que ne l’ont fait les écrivains contemporains, scruter leur conduite et relever leurs erreurs. C’est d’ailleurs non seulement un devoir commandé par la vérité de l’histoire, c’est un enseignement d’où peut sortir une leçon utile, en préservant leurs successeurs de retomber dans les mêmes fautes qui ont amené nos désastres et en montrant qu’à la guerre tout se lie et s’enchaîne, comme dans une action dramatique savamment ordonnée, en sorte que la moindre négligence peut quelquefois engendrer les plus graves évènements. La plupart des généraux employés par Napoléon dans ses dernières campagnes avaient vieilli sous le harnais, ils n’avaient plus l’entrain ni l’activité de la jeunesse, la ferveur des premiers débuts, la passion de la gloire ni le stimulant même de l’ambition non satisfaite qui les avaient signalés dans les grandes guerres de la République et de l’Empire. Ils obéissaient encore aux ordres qu’ils recevaient de Napoléon, mais avec lenteur et, avec indolence ; l’enthousiasme s’était éteint avec les revers, une disposition secrète à la critique et au mécontentement dominait dans les esprits, et les plus belles conceptions de son génie restaient stériles, faute d’être comprises par des hommes intelligents, ou manquaient par les négligences apportées dans l’exécution. Nul doute que la victoire n’eût encore une fois couronné ses drapeaux et qu’il ne fût sorti triomphant de la lutte terrible où il était engagé, s’il eût retrouvé dans ses lieutenants cette confiance sans bornes et cet aveugle dévouement qui unissaient si étroitement jadis le chef et l’armée, et qui l’avaient rendu si longtemps, par leur mutuel accord, l’arbitre des destinées du monde.