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J’ai 16 ans et je veux mourir. Mourir ou partir ? Je ne peux faire ni l’un ni l’autre. Et ce n’est certainement pas parce que je crains de mourir ou de partir, oh non ! Je ne peux pas laisser mes 2 petits frères et ma petite sœur seuls avec ce bourreau et cette mégère.
Je dois être avec eux et les protéger du mieux que je peux.
Même si le prix à payer est de prendre des coups, de servir de bonniche, de coursier et autres, de fille à tout faire quoi !
Mais je sais que je vais vivre autre chose, j’y crois dur comme fer. C’est ce qui me fait tenir, l’espoir d’une autre vie. Une vie ailleurs, ma vie ailleurs.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Enfant,
Nahéma s’est évadée grâce à de nombreuses vies imaginaires qui l’ont aidées à supporter Adolescente, elle se réfugie dans la lecture pour échapper au cauchemar familial qui l’entoure. Les livres sont ses amis et lire est une réelle obsession qui lui procure une joie immense. À 16 ans, elle se crée un ami, son journal. Elle lui confie ses peines, ses espoirs, ses désillusions et ses émerveillements. Écrire lui procure une satisfaction, elle qu’elle envisage d’écrire un roman. Enfin libérée d’un quotidien malsain, elle suit, par défaut, des études de comptabilité, et continue d’écrire son journal et, de temps en temps, le roman.
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Seitenzahl: 660
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Nahéma
Une vie ailleurs, MA VIE ailleurs !
1978
1eravril
Il est minuit moins vingt, c’est à cet instant précis que je viens de décider de tenir un journal, et de lui confier tout ce que je ressens et pense. Journal je te dis « tu » comme à un bon ami. Demain j’ai 16 ans. Demain je vais, je veux tout effacer. Et je vais essayer d’oublier tout ce qui s’est passé avant. C’est-à-dire mes flirts sans importance, 4 exactement ; quand je séchais mes cours ; les copines et copains ; les profs qui m’ont le plus souvent fait chier (mais tu ne peux pas t’imaginer à quel point j’étais insolente - plus pour faire la maligne que pour embêter les profs - et je le suis certainement toujours d’ailleurs) ; mon renvoi temporaire de 48 heures et mon départ définitif du bahut*. J’ai décidé d’écrire sur tes belles pages blanches car en ce moment je lis un livre qui s’intitule « Journal intime d’une jeune droguée ». Bien que je ne sois pas droguée, pas vraiment car j’ai déjà essayé des petits trucs mais sans plus, cela m’a incité à tenir un journal. Et dans le monde déprimant où je vis, tu seras le seul réconfort, soutien et confident que je puisse avoir sans avoir peur d’en dire trop ou pas assez.
Les Vieux, le Père et la Mère, sont sortis chez leurs amis, et ils vont rentrer tard. Djalil, Khalil et Dalila, mes petits frères et sœur, dorment depuis plus d’une heure. Tu sais, j’ai un grand frère, il s’appelle Jessim mais tout le monde l’appelle Jess alors pourquoi pas toi et moi. En ce moment il n’est pas là car il est au Service National en Algérie depuis mai dernier. Pendant un bon moment nous avons fait la guerre lui et moi, mais c’est fini, j’ai décidé de faire la paix. En somme c’est moi qui ai brisé la glace. J’ai une sœur aînée aussi, Hanane, elle est mariée depuis 1 an et 2 mois. Enfin elle a été mariée. D’ailleurs je suis heureuse car demain elle vient. Juste le jour de mon anniversaire, et je suis heureuse car j’aime quand elle vient. On peut discuter ensemble, pas beaucoup mais je m’en contente. Je ne lui dis pas que je suis heureuse qu’elle vienne car je n’aime pas dire à quelqu’un que je l’aime ou des trucs comme ça. Je suis heureuse aussi parce que demain c’est mon anniversaire, ce sera mon cadeau comme je n’ai jamais rien eu, cela me fait plaisir.
Salut ! A Bientôt !
2avril
Aujourd’hui il s’est passé de drôles de choses, rien n’a été d’ordinaire. D’abord je me suis levée et au lieu de préparer le petit déjeuner, j’ai téléphoné à ma frangine pour savoir à quelle heure elle allait arriver. Ensuite je me suis mise au ménage pour pouvoir être plus « libre » après. Et puis au lieu de bouffer à midi, j’ai pris un bain. Hanane est arrivée vers 5 heures du soir. Et elle reste pour un bon mois certainement, car il y a eu des engueulades entre son connard de mari et elle. Ses beaux-parents, son connard de mari et nos parents ont discuté de son ménage parce qu’elle ne s’entend pas très bien avec lui. À un moment donné le Père, « EL DICTADOR » a lancé cette phrase : « la femme est faite pour être dressée par ses parents et son mari ». Et je m’imaginais une cage où les Vieux et son connard de mari essaieraient de dresser ma sœur avec un fouet. Tu ne peux pas savoir ce que j’ai été écœurée en imaginant cela. C’était vraiment idiot et il n’y avait qu’une idiote comme moi pour y penser. Pourtant je l’avais bel et bien entendu.
Il faut que je t’explique les anniversaires, genre on fête les anniversaires, surtout pour faire comme tout le monde. Donc les Vieux achètent un gros gâteau à Euromarché. Il est jaune, d’environ 10 à 12 cm d’épaisseur, avec plein de crème, pour au moins 8 ou 10 personnes. Des grosses parts bien sûr. Sinon, je suis sûre qu’on peut doubler les parts si on les fait plus petites. Mais, si rarement, avoir une « grosse » part de gâteau français ça fait plaisir. Je ne dis pas que les gâteaux que je fais avec la Mère sont mauvais, mais ce n’est pas pareil, il y a de la crème dans les gâteaux français, du chocolat, la pâte est différente, enfin des trucs qu’on ne met pas dans les gâteaux du bled. Mais j’aime beaucoup certaines pâtisseries du bled, surtout les Zlabias*.
La Mère est née le 14 juillet. C’est ce qu’il y a d’écrit sur ses papiers. C’est difficile d’acheter le gâteau le jour même, vu que c’est un jour férié et que tous les magasins sont fermés. L’année dernière cela a été particulier, vu que le Père travaillait la veille, il est rentré tard comme d’habitude et n’est pas passé faire des courses à Euromarché. Donc pas d’achat de gâteau, de gros gâteau spécial famille nombreuse. Nombreuse et gourmande.
Le matin il décide d’aller à Paris au marché d’Aligre, puisque tout est fermé ici dans la banlieue. Il est sûr au moins qu’à Paris, il trouvera de la viande, des légumes et des fruits au marché. Et peut-être bien avec un peu de chance, un vendeur de gros gâteau. C’est sûr qu’il va en trouver. D’après lui on trouve tout au marché d’Aligre. La Mère lui dit que si c’est pour acheter des gâteaux arabes ce n’est pas la peine. Elle sait les faire et ne veut pas manger ceux du marché. Elle ne sait pas qui les a faits et on ne sait jamais ??? Et les gros gâteaux d’Euromarché, elle sait qui les a faits ? Je ne croispas.
Il demande ou propose si l’un de nous veut l’accompagner. D’habitude il impose, c’est obligatoire. Personne ne veut y aller. Faut dire que sortir avec lui relève du parcours militaire. Pas de regard à droite, ni à gauche. Tu marches droit devant et de préférence tu regardes tes pieds quand tu croises des garçons, des hommes. Enfin je sais que c’est comme ça pour moi, pour mes frères je pense, certainement même, qu’ils peuvent regarder qui ils veulent, tout en traçant droit devant.
Il est parti vers 9 heures, seul avec un cabas. Comme tous les samedis il a mis une veste par-dessus sa chemise malgré la chaleur. Le « pseudo-costume » est de rigueur. Il est connu et reconnu surtout pour ça dans la cité, tout le monde dit : « ah ! t’as vu le Père de Jessim il est toujours bien habillé, costume, classe. Ah ! il est vraiment bel homme et tellement intelligent et gentil ». Ils n’ont qu’à vivre avec nous, et ils sauront qui il est réellement.
Bref, toute la matinée, pendant que mes frères et sœur s’amusaient à je ne sais quels jeux stupides et bruyants, je me suis tapé tout le ménage en faisant semblant d’écouter la Mère. Je n’avais qu’une hâte, aller dans la chambre de mon grand frère pour écouter 1 disque ou 2, tout dépend du repassage à faire. Plus il y en avait, plus j’étais contente. Pouvoir écouter de la musique, des chansons, les chanter, danser un peu, repasser beaucoup, mais être seule et bien. La condition pour avoir ce plaisir, ce droit au plaisir : faire tout le ménage avant et continuer pendant. Ce jour-là, ça n’en finissait pas de me trouver des trucs et des machins à faire. Comme si ce que j’avais fait les jours précédents ne comptait pas, la salle à manger, les 4 chambres, la salle de bain, le WC, le couloir et la cuisine pour finir.
Le Père avait dit qu’il achèterait des merguez au marché pour le repas, et le pain aussi. La Mère a donc décidé de faire des frites, une galette et des poivrons avec piments et tomates. Je veux dire, elle a décidé que j’allais faire. Les pommes de terre on les avait. J’ai donc épluché et coupé les pommes de terre et les ai mises à tremper dans une bassine pleine d’eau. Toujours pas le droit d’aller écouter la musique, pas le moment du repassage. J’ai fait une galette avec de la semoule. Il y en a toujours, dans une grande barrique en bois, enfin je crois qu’elle est en bois. Il achète des sacs de 25 ou 50 kilos, qu’il verse complètement dans la barrique. Pendant que j’épluchais et préparais, j’ai eu droit, pour la énième fois, à l’histoire de la guerre d’Algérie. De la grand-mère qui leur mettait de la merde sur tout le corps à elle et ses 2 sœurs pour que les soldats français n’aient pas envie de les violer. Que les pires ce n’était pas ceux qu’on croyait !!! Que c’est pour ça qu’elle a été mariée à 16 ans au Père, pour échapper aux soldats français. Quand elle est bien avec lui, elle raconte l’histoire des oliviers où, pendant qu’il était sur l’arbre à secouer pour faire tomber les olives, elle les ramassait, mettait tout dans sa robe et partait en courant. Tout en lui tirant la langue, pendant qu’il criait qu’il allait la rattraper et la frapper. Et de préciser qu’il était déjà fou amoureux d’elle et qu’il disait à ses parents, mes grands-parents paternels, qu’il voulait se marier avec celle qui avait une poitrine aussi grosse que celle des « tafunast », des vaches quoi !
Une chance que nous n’eussions pas les poivrons et piments et même les tomates, j’ai pu m’arrêter de préparer et d’entendre les conneries de la Mère. En attendant que le Père revienne, je suis allée, par obligation, faire du repassage. Par plaisir, écouter des disques. Je me suis choisie un 33 tours des Chaussettes Noires, et oh mon Dieu ! Quel bonheur ! Tous ces sacrifices pour arriver à ce moment-là, ça valait le coup. Tout en repassant les chemises du Père je chantais et twistais. J’ai découvert cette musique de rock et de twist grâce au départ de mon frère, car j’ai pu utiliser sa chambre pour repasser et surtout mettre tous les disques que je voulais. Et vraiment c’est magnifique, magique, et mes préférés sont les Chaussettes Noires, enfin surtout Eddy Mitchell. Je l’adore. J’aime beaucoup Johnny Hallyday aussi. J’ai découvert Elvis Presley et aussi les Pirates, les Chats Sauvages, Gene Vincent, Eddy Cochrane, Vince Taylor, Chuck Berry, Bill Haley and the Comets, Little Richards, Fats Domino, et encore d’autres. Mon frère a une sacrée collection de disques de Rock &Roll.
Je n’ai pas eu le temps d’écouter les 2 faces que le Père est rentré.
J’ai donc tout arrêté, parce que cela faisait partie de mes devoirs, (obligations, contraintes ?) d’aller ranger les courses qu’il avait faites et préparer le repas.
Il avait acheté un gâteau dans une pâtisserie et c’était dans une petite boite cartonnée. Nous, les gâteaux à Euromarché, on les achetait dans des boîtes en plastique, pour voir au travers comment c’était. La boite en carton avec des dessins de fleurs dessus et un ruban de couleur rose qui l’entourait, on n’avait jamais vu ça. Mais plus que tout ça, c’est la taille qui nous étonnait. Petit, très petit. Je ne suis même pas sûre qu’il faisait la moitié de notre gâteau « jaune ». La Mère a dit : « c’est quoi ça ? On est 6 et il n’y a même pas pour 3 ! ». Le Père a répondu qu’il n’y avait rien au marché, qu’il a été obligé d’aller dans une pâtisserie, qu’il a pris le plus gros gâteau, et que ça lui a coûté une fortune. Ils se sont pris la tête. La Mère a ouvert la boîte et a regardé dedans. Je me suis approchée et j’ai regardé également. Certes il était petit, mais beau. Tout blanc. Je n’avais jamais vu de gâteau de ce genre-là. La Mère a dit : « c’est pour la mariée ! Tout blanc, qu’est-ce que c’est que ce gâteau ? ». Elle a continué à ruminer en kabyle entre ses dents. Je me suis mise à ranger les légumes et les fruits, à préparer les poivrons, piments et tomates, avant qu’elle ne s’en prenne à moi. J’ai fait frire les poivrons, piments et les tomates en dernier. Puis j’ai tout épluché et tout coupé en morceaux.
Une poêle pour les poivrons, une pour les frites. Comme la Mère continuait de ruminer en tournant en rond et que j’avais envie d’être tranquille, je lui ai dit : « vas dans la salle à manger, je m’occupe de tout, c’est ton anniversaire, donc tu dois rester tranquille (genre on fêtait les anniversaires) ». Elle a attrapé mon visage et m’a embrassée comme du bon pain. BEURK ! Je n’aime pas qu’elle m’embrasse, personne d’ailleurs. Ouf ! Partie dans la salle, le Père dans un fauteuil et elle dans l’autre. Chacun faisant la gueule à l’autre, tout en regardant je ne sais quoi à la télé. Cela promettait une journée orageuse. Remarque il pleuvait, donc normal.
Tout en surveillant les cuissons, je faisais des allers et retours dans la salle pour mettre la table, et ça n’a dérangé personne de me voir courir, ni les Vieux, ni les petits. Petits cons oui. Quand j’ai eu fini de mettre la table, je me suis enfermée dans la cuisine et j’ai allumé la radio. Toujours pour pouvoir entendre autre chose, de la musique, des chansons. Bon je ne choisis pas mais c’est bon pour mes oreilles et surtout pour ma tête. Du coup je connais beaucoup de chansons par cœur. J’étais en train de retirer la dernière partie des frites quand la porte s’est ouverte. Le Père. Il me dit : « ah ! tu as fermé pour pas que la fumée entre dans la salle, c’est bien ça ma fille, c’est intelligent, c’est gentil de penser aux autres ». Euh ! non ce n’est pas pour ça, mais j’ai dit : « oui il n’y a pas de raison qu’on soit plusieurs à être dans la fumée et les odeurs de friture ».
Il me dit : « tu veux un coup de main ? ». Euh… qu’est-ce qui se passe là ? Il est tombé sur la tête ? Il veut m’aider ? Ben... Non (tout est fait, c’est un peu tard), mais j’ai répondu : « merci j’ai fini. Je vais emmener les plats sur la table ». Et voilà qu’il prend le plat de poivrons, la galette dans son torchon, et part vers la salle. Revient, prend le plat de merguez et me prend des mains le plat de frites. Je ne dis rien. Que dire ? Il appelle les Petits (cons), enfin il appelle, il gueule « Lavez-vous les mains, et venez à table ». Je le suis avec le pain normal (français quoi) et la mayonnaise (un des caprices de la Mère, il y a de la mayonnaise sur la table à tous les repas). Je pose sur la table, le Père s’installe à sa place, la place du chef. La Mère le regarde et me regarde avec un sourire et un clin d’œil. Je ne comprends pas. Je retourne en cuisine sans chercher à savoir quoi que ce soit d’autre. Elle vient, s’approche et me dit à voix basse : « tu as vu (tout en tournant la tête vers la porte de la salle à manger pour s’assurer qu’il ne vienne pas) il a peur, il sait que c’est pas bien ce qu’il a fait, c’est hier qu’il devait acheter le gâteau ». Il a peur ? Peur de quoi, c’est lui le chef !
Je n’ai rien dit, quoi dire… Les petits cons ont lavé leurs mains, enfin ils ont fait couler l’eau pour faire croire qu’ils se lavaient les mains. Je les connais par cœur mes petits cons. Je reviens avec la carafe d’eau. Et la petite famille est au complet, autour de la table. Tout va bien, tout a été mangé, dévoré. Je ne sais même pas si ça a été apprécié. On va dire que oui. Moi, j’ai mangé du bout des doigts, car j’attendais le beau gâteau tout blanc.
Enfin j’ai pu débarrasser et amener des petites assiettes pour le dessert. La Mère en a rajouté en disant qu’elle n’avait pas d’assiettes encore plus petites pour les petites parts que nous allions avoir. Je crois que le Père n’a pas entendu, tant mieux. Elle n’a pas voulu couper le gâteau, c’est le Père qui s’y est collé. Il a fait quelques remarques en le découpant : « on voit que c’est un gâteau de « luxe », il brille et il craque quand on le coupe ». Effectivement cela faisait des miettes au fur et à mesure qu’il coupait. C’était comme des morceaux de plâtre ou de craie, je ne sais pas, mais je n’avais jamais vu ça. Il a servi et l’on s’est regardé, les petits cons et moi. On attendait de voir qui allait goûter en premier. Le Père s’est lancé. Il a pris une bouchée, a mâchouillé et a reposé sa cuillère. Et ben si c’est ça qu’ils mangent les riches, j’aime mieux acheter ceux d’Euromarché. Là, la Mère a pris sa serviette et a craché le morceau qu’elle avait dans la bouche et s’est mise à dodeliner de la tête en ruminant. Du coup nous goûtons les petits et moi. Mon frère et ma sœur font la grimace, ils n’aiment pas et repoussent leurs assiettes. Je regarde mon autre frère, il me regarde également. Dans ses yeux je lis la même chose que je pense : il adore ! Moi aussi, c’est trop bon. Il me chuchote : « mais c’est super bon » et je chuchote à mon tour : « oui c’est le meilleur gâteau que j’ai jamais mangé ». Nos yeux se dirigent vers les autres assiettes et nous nous régalons d’avance de toutes ces autres parts rien que pour nous. D’un petit gâteau, nous nous retrouvons à avoir un gros gâteau chacun. Mon frère dit qu’il aime beaucoup et j’ajoute : « moi aussi ». Du coup, ma sœur et mon frère nous tendent leurs assiettes et le Père nous regarde et nous dit : « c’est pas la peine de vous forcer, c’est pas bon et c’est tout ». Et moi de répondre : « oh non, j’adore, il est très bon ». Du coup 3 parts pour mon frère et 3 parts pour moi. Je savoure ce gâteau, c’est sucré, craquant, doux sur la langue, c’est le meilleur goût que j’ai jamais eu. La Mère nous dit de ne pas tout manger tout de suite, de laisser pour ce soir ou demain. Khalil dit : « non, moi je mange tout maintenant ». Je décide d’en laisser 2 parts pour plus tard. Quand je serai tranquille, seule, avec la musique peut-être.
Ce fut un pur et merveilleux moment de complicité gustative avec mon frère. Et je n’ai jamais compris que les autres n’aient pasaimé.
Dès que j’ai pu aller à la boulangerie acheter le pain, j’ai décrit le gâteau à la boulangère et elle m’a dit qu’il s’agissait d’un gâteau meringué avec, sûrement, une crème fouettée ou chantilly. J’en salive en y repensant. Le Père a acheté un gâteau « jaune » à Euromarché la semaine suivante. J’ai laissé ma part à la Mère. Je ne pouvais manger cela après avoir découvert le « meilleur ». Mon frère a mangé sa part comme si de rien n’était, comme s’il avait oublié le gâteau blanc.
Et aujourd’hui on a mangé le gâteau d’anniversaire spécial Euromarché pour famille nombreuse vers 11 heures du soir, « Ah Ah ! », ce sera mieux demain quand il y aura mes copines, « Ah Ah Ah !», oui la Mère a accepté que j’invite quelques copines pour faire un truc pour mon anniversaire. Enfin je t’en parlerai plus demain.
Bonne nuit. Tchao.
4avril
Au fait pour la « boum », que j’ai voulu faire, « Ah Ah Ah !», c’est râpé. Camélia n’est pas venue car il paraît qu’elle avait rencard* avec un mec. Isabelle, n’est pas venue car sa Mère avait rencard avec la conseillère du lycée où elle va, elle ne fait que des conneries. Il n’y avait que ma sœur, Dounia avec son tourne disque car ma chaîne stéréo, plutôt celle de mon frère, ne marche pas, et moi. C’est-à-dire 3. On a discuté et écouté des disques. Moi qui étais si contente de faire une « boum » pour une fois, avec plusieurs copines, nous aurions pu danser et rigoler, enfin tant pis. Aujourd’hui rien de spécial.
Bye-bye.
7avril
Je n’ai pas écrit depuis je ne sais combien de jours. Je pleure. Je pleure encore et encore. C’est con vraiment de ma part de chialer, mais je n’y peux rien. C’est ma principale nature en ce moment. Hier, Thierry a fait une déclaration, à mon insu, à Isabelle. Il paraît qu’il y a des rumeurs qui disent que je veux sortir avec lui. Alors que ce n’est pas vrai. Je n’en ai parlé à personne, à part Dounia, et encore, j’ai juste dit qu’il était mignon. Alors Isabelle m’a confié que Thierry lui demandait toujours si je n’avais pas laissé un mot pour lui ou quelque chose comme ça. Et comme j’ai voulu mettre les points sur les « i », je suis montée voir Thierry qui était, bien sûr, chez Isabelle. Je lui ai franchement demandé s’il avait quelque chose à me dire, qu’il le dise devant moi pendant qu’il en était encore temps. Tu vois j’avais pris mon courage à deux mains pour pouvoir lui parler. Mais alors qu’il allait me donner une réponse, nous avons été interrompus par l’arrivée soudaine de la Mère. Elle avait ouvert la porte des escaliers et criait mon nom. Comme elle ne veut absolument pas que je fréquente des garçons, tu vois le résultat, je suis descendue en 4e vitesse en lui disant que je reviendrai tout à l’heure pour qu’il me donne sa réponse, mais je n’y suis pas allée. Tu sais, le soir, je l’ai vu vers 20h 30 à ma fenêtre, il promenait son chien. Ce type est si grand, que quand tu te trouves devant lui, tu te demandes si ce n’est pas la tour Eiffel que tu as devant toi « Ah Ah Ah !». Pour se foutre de sa gueule, Dounia le traite de « Minus ». Au fait, en parlant de Dounia, tu ne peux pas t’imaginer ce qu’elle a comme bol. Mercredi matin elle est allée à Paris avec Catherine Roussel, une nana qui s’occupe des jeunes et qui fait partie des assistantes sociales. Toutes les deux sont allées voir un homme qui s’occupe d’orienter les jeunes qui ne vont plus à l’école et qui sont sans emploi. Il s’appelle Jean-Mathieu. Il lui a fait faire des tests et lui a dit qu’à la rentrée septembre il la foutrait dans un C.E.T.*, pour faire une formation C.A.P.* de comptabilité pendant 3 ans. Après, ils sont allés bouffer au restaurant. Jean-Mathieu et Catherine ont pris un hamburger et une tarte « Fraise et Pomme » et ils ont bu du pinard. Quant à Dounia elle a pris un steak-frites avec une crème chantilly au dessert, et elle n’a rien bu d’autre que de l’eau, car elle n’aime pas le pinard. Ensuite, elle a poireauté une demi-heure pour avoir son train. Elle est allée aux Galeries La Fayette et s’est acheté un disque « Les Rocks les plus terribles de Johnny Hallyday ». Je m’en fous car je l’ai déjà, enfin mon frère. Elle a pris le train jusqu’à Versailles et de là en a pris un autre direction La Verrière.
Dounia a le même âge que moi, elle a 4 frères et 1 petite sœur. Elle était bonne élève mais passait beaucoup de temps à traîner avec des garçons. Son Père a fini par le savoir et lui a arrêté l’école. Elle était en 4ème. On n’était pas copines avant de ne plus aller à l’école, mais maintenant nous le sommes et nous allons ensemble à l’appartement des assistantes sociales.
Comme je l’envie pour les études qu’elle va faire pendant 3 ans, elle a vraiment du bol. Moi je n’ai jamais eu de bol. Dire que quand elle m’en parlait on n’y croyait pas vraiment, elle me disait tout ce qu’ils faisaient pour elle, tout ce qu’ils lui proposaient pour qu’elle retourne à l’école. À quand ma chance ?
À bientôt.
8avril
Je suis allée ce matin aux flics avec le Père pour aller faire mes papiers de carte de résidence, parce que j’ai 16 ans. Au retour, nous sommes passés par le marché deMaurepas et j’ai croisé Catherine qui était au bras d’un type, Chantal et Manuela avec un type aussi. Je ne leur ai pas parlé parce qu’elles étaient avec des garçons. Mais j’ai vu qu’elles me regardaient avec un air étonné, parce que je baissais la tête. Je ne voulais pas qu’elles me parlent, je craignais trop le Père. Ce n’est pas croyable ce que j’ai pu grossir en 1 an. C’est sûrement pour cela qu’elles me regardaient, ou plutôt parce que j’étais obligée de les ignorer. Mais surtout parce qu’elles ne m’ont pas vu depuis presque un an. À partir de demain matin je me mets au régime sérieusement. Je voudrais être mince et belle, mais on ne peut pas toujours être comme on le souhaite. Il faut que je te quitte.
À demain peut-être.
25avril
Aujourd’hui, cela fait 1 an que je suis partie de l’école. Et je repense à tous mes amis, dont j’ai des nouvelles toutes les semaines grâce à Florine, une amie. Dire qu’on est devenues amies après qu’on s’est bagarrées ensemble. C’était en CM2, les autres nous poussaient à nous battre, je ne sais plus pourquoi, et on s’est battues. Elle était plus grande et surtout plus costaud. J’étais squelettique et elle a eu vite fait de me mettre par terre. Je n’ai pas lâché et j’ai continué à me battre mais, j’ai perdu. Plus tard, pendant le cours de gym, à la piscine, on s’est retrouvées toutes les 2 seules dans le petit bassin, tous les autres savaient nager. On a donc trouvé beaucoup de choses à se raconter et on est devenues amies. On s’est même dit qu’on ne savait pas pourquoi on s’était bagarrées, à cause des autres sûrement. Florine est noire, mais je ne sais pas si elle vient d’Afrique ou des Iles ? Je ne lui ai jamais demandé, je m’enfous.
Cela fait plusieurs jours que je n’ai écrit. Je sais pourquoi : parce qu’il n’y a rien àdire.
Mes journées : je me lève et m’occupe des petits cons avec la Mère. Ils partent à l’école, je fais le ménage et la préparation du repas. Ils rentrent manger à midi. Ils repartent, je nettoie et range la cuisine, seule je préfère, comme ça je mets la radio. L’après-midi je fais du repassage et j’écoute des disques, ou je vais au local des femmes avec Dounia, ou je reste à la baraque avec Dounia ou Camélia. Parfois, souvent le matin, mais ça arrive que j’y aille l’après-midi, je vais à pied à La Verrière ou Maurepas : à la sécurité sociale, à la caisse des allocations familiales, à la mairie, aller payer le loyer, enfin tous les trucs de papiers et d’argent. Les petits cons rentrent vers 16h40, ils goûtent et je suis de corvée de devoirs, exercices, leçons, pour chacun. Ce n’est pas facile car je suis obligée de les engueuler, aucun des trois n’aime l’école. Djalil a beaucoup de difficultés. Il faut reconnaître qu’il a un ralentissement et qu’il lui manque peut-être quelques cases. Khalil est vif et intelligent mais ne veut pas apprendre quoi que ce soit, l’école l’agace. Dalila est larguée complètement, je me suis rendu compte qu’elle ne savait toujours pas lire. Elle connaissait son livre de CP par cœur, mais quand je lui indique une ligne au hasard, elle ne sait pas la lire. Elle a une bonne mémoire, c’est toujours ça. Je leur promets des jeux ensemble ou des histoires « d’épouvante » comme ils aiment, pour qu’ils travaillent un peu. Quelquefois j’ai envie de les tabasser tellement ils m’énervent, mais je fais tout mon possible pour ne pas le faire. Je ne veux surtout pas leur faire subir ce que le Père nous a fait subir quand on était petits. Il prenait la règle en fer et on avait droit à des coups sur les doigts lorsqu’on se trompait en lui récitant nos leçons. Et puis, j’avoue qu’avec mes petits cons, on rit ensemble devant leurs âneries ou leurs incapacités. La complicité est là, pour apprendre, pour partager, pour rire et pour jouer.
Ensuite je prépare le repas avec la Mère. Elle veut que je sache tout faire, et passe son temps à me répéter que ce n’est pas « mon mari » qui va faire le « mangé » ou le ménage.
Dans ces moments-là, mon côté insolent revient et je lui dis : « lequel ? Car j’en aurai plusieurs, un qui va travailler et me ramènera beaucoup d’argent ; un qui fera le ménage ; un qui fera les repas ; un avec qui je pourrais discuter et rire ; et sûrement plein d’autres ».
Souvent elle rit, mais elle dit toujours que c’est honteux ce que je dis, et que « c’est pas bien ». Qu’il ne faut surtout pas dire ça devant d’autres gens. Dans ma tête je me dis qu’elle ne se gêne pas pour parler de choses pires que ça, comme de sexe devant ses copines quand je suis là. Et devant mes copines aussi.
Dès que je veux sortir et qu’il y a des copines à elle à la baraque, elle fait son spectacle en disant : « ah ! tu veux aller voir les garçons, tu veux qu’ils te montrent...etc.. ». Et elle fait un geste avec son bras pour parler du sexe des hommes. Ça me dégoûte à chaque fois, elle me fait honte, ses copines lui disent que ce n’est pas bien ce qu’elle dit, ce qu’elle fait, mais elle s’en fout, elle continue. Après, avec mes copines on en parle, elles me disent qu’elles sont d’accord avec les autres femmes, ce n’est pas bien ce que fait la Mère, et que leurs mères n’ont jamais dit ou fait ça. Qu’elle doit avoir un problème avec ça. Je dis que oui que je suis tellement dégoûtée, que je ne sais pas quoi dire, que je me sens blessée et qu’elle me fait honte.
Alors quand elle me dit que ce n’est pas bien quand je dis que j’aurai plusieurs maris, non pardon, ce n’est rien à côté d’elle.
J’ai pris du poids. Je le sens sur moi. Je ne flotte plus dans le 38. Je ne sais que faire pour maigrir, parce que je n’ai pas l’habitude d’avoir besoin de maigrir. J’ai été squelettique depuis toujours, et maintenant je change et je ne sais pas pourquoi. Enfin c’est surtout depuis que je ne vais plus à l’école. Avec Dounia, tout à l’heure, on a discuté dans les escaliers avec Merwan et ma sœur, tout en clopant. Merwanest très beau mais très con, il n’arrête pas d’essayer de me toucher la main, de me faire comprendre que je lui plais, et ça m’énerve. Mais il a toujours des cigarettes, alors il nous en donne. Quelquefois je me dis qu’il faudrait que j’arrête de fumer, mais dès qu’on me propose une clope j’accepte et j’oublie la promesse que je me suis faite. Jeudi dernier j’ai fait la nourrice en gardant 3 mômes pendant 2 heures et j’en ai récolté 20 Francs. Je ne les ai pas encore dépensés, je ne les donnerai pas à la Mère et je ne les dépenserai ni en clopes, ni en magazines et ni en sucreries pour les petits.
Attends, il faut que je te raconte, j’allais l’oublier celle-là. Tu sais, j’ai appris par Isabelle (toujours elle), qu’Éric l’éducateur, a raconté plein de conneries sur mon compte. Mais je ne sais pas quoi. Éric est un éduc du foyer des jeunes, où je ne vais jamais d’ailleurs vu qu’il n’y a que des garçons et des filles françaises. Je n’ai donc pas le droit d’y aller. Il est pas mal, il me plaît un peu, et j’ai bien remarqué qu’il me regarde longtemps dès que je passe pas très loin d’où il est. Je ne vois pas trop ce qu’il aurait pu raconter, et avec Isabelle il va falloir que je sois méfiante. À croire que tous les garçons viennent lui dire des choses sur moi. Je ne sais pas si c’est la vérité, mais j’espère bien que non. Annabelle Ferreira sort avec Merwan, et elle l’adore et est folle de lui. Normal il est beau et elle est plutôt moche mais je l’aime bien, c’est ma copine depuis le CM1. Thierry me fait la tête. Je ne sais pas pourquoi. D’ailleurs je m’en fous parce qu’il ne m’a jamais vraiment intéressée. Cela m’occupe de temps en temps de discuter avec lui. En cachette biensûr !
Il y a peu de temps un mec est venu me demander en mariage. Il avait 28 ans. Il était moche, gros, mesurait 2 mètres et me dégoûtait. Avant lui, plusieurs femmes sont venues voir la Mère pour proposer leur fils, leur neveu, leur cousin, leur « quelqu’un » qu’elles connaissaient de quelque famille qui était très bien. Bref, dès que dans la cité tout le monde asu que le Père m’avait arrêté l’école, les propositions de mariage sont arrivées par dizaines. Beaucoup de personnes en France, plus âgées en général, mais certains étaient du bled et auraient fait n’importe quoi pour venir en France. Enfin c’est ce que je pensais, vu qu’ils ne me connaissaient pas et que je n’avais que 15 ans. Ça me fait penser au livre de Christine ARNOTHY que j’ai lu au collège « J’ai 15 ans et je ne veux pas mourir ». Pour moi c’était plutôt « J’ai 15 ans et je ne veux pas me marier, mais je veux bien mourir ».
Il était venu avec l’oncle Bachir (le Père ne jure que par lui). Ses parents voulaient le marier à une fille de « bonne famille ». Le Père a dit oui, et après la Mère est venue me raconter que c’était une chance incroyable pour moi, car son Père avait plusieurs boucheries à Paris et qu’ils étaient très riches. Elle a même osé dire avec ta sœur on a les légumes et les fruits, puisque son mari et son Père travaillent sur les marchés, avec toi on aura toutes les viandes qu’on veut. Cela ne m’a pas fait rire. J’ai dit non, mais elle s’en foutait et a dit que ce n’était pas à moi de décider.
Je ne sais plus combien de temps après elle m’a traînée de force, avec une tante, celle qui vivait avec son frère, mais ils n’étaient pas mariés (ça faisait jaser), chez la couturière. Comme le « prétendant » avait offert plein de cadeaux, bijoux et ceinture en or, tissus et autres merdes, il fallait faire les fiançailles rapidement. Chez la connasse de couturière elles ont essayé de me mettre la robe rose, qu’elle avait cousue avec le tissu « cadeau ». Rose avec plein de broderies en fil doré dessus. J’ai tout fait pour qu’elle ne rentre pas sur moi, j’ai bloqué les bras, juste après que ma tête a été passée. La connasse de couturière et la connasse de tante ont tiré et forcé sur mes bras pour l’enfiler. J’ai crié que j’avais mal et qu’elles allaient me casser les bras, plus pour qu’elles arrêtent, car je n’avais pas vraimentmal.
La connasse de couturière a dit qu’elle allait faire une autre couture et que ça rentrerait.
Moi j’étais contente, la robe n’était pas prête, donc pas de fiançailles. « Hi Hi Hi ! ».
Il était revenu avec l’oncle Bachir et il a demandé à me voir, parce qu’il se posait des questions sur mon jeune âge ??? Avec la Mère, ce fut la bagarre dans ma chambre pour que j’enfile une robe kabyle, elle a perdu, j’ai mis un jean et un pull sous la robe. Je suis allée me« montrer » et j’ai fait la tête la plus mauvaise que je pouvais faire, je l’ai même regardé avec dégoût, et la robe un peu relevée pour qu’on voit monjean.
Le Père m’a « ordonné » de retourner dans ma chambre. Et puis ils sont partis.
J’ai pris une raclée par le Père parce que je m’étais mal conduite devant des invités et que je lui faisais honte. Par la Mère parce que je n’allais pas me marier avec quelqu’un que je ne méritais même pas. Qu’à cause de mon « attitude » de mauvaise fille il ne voulait plus se marier car il trouvait que j’étais trop jeune. J’ai dit à la Mère, bah il n’est pas si con que ça alors ! Il peut réfléchir ! Une baffe pour avoir dit ça. « Hi Hi Hi !». Elle m’a dit qu’il voulait attendre encore un peu, peut-être l’année prochaine et qu’on pouvait garder tous les cadeaux.
J’ai dit à la Mère que maintenant, l’année prochaine, dans 2 ans ou 10 ce sera toujours non, et que si elle le trouvait si bien elle n’avait qu’à se marier avec lui. Une baffe. J’ai dit que je préférais me jeter par la fenêtre - on habite au 9ème étage - que de me marier avec qui que ce soit. Que les cadeaux elle n’avait qu’à les garder, je n’en voulais pas, que c’était de la merde pour moi. Elle m’a pincée, mordue, puis tirée les cheveux. Ils m’ont fait chier pendant un bon moment avec ça pour me préparer à l’année suivante. Le Père a exigé de la Mère qu‘elle dise à toutes les femmes qui venaient proposer untel ou untel, que j’étais déjà promise et que tout était réglé !!! Le chef a parlé HUGH !
Bof je ne trouve plus rien à te raconter. À bientôt, grosses bises.
29avril
Je n’ai rien à écrire. Bof. Les Vieux ainsi que les mômes sont partis à un baptême. J’ai refusé d’y aller en disant que je préférais rester et m’occuper de nettoyer ce qui devait être nettoyé. La Mère a dit : « mais t’a déjà tout fait ». J’ai répondu, je vais faire les plinthes, ça ne se voit pas mais elles ont plein de poussière. Et je n’ai pas envie de voir des gens, et j’ai mal à la tête. Ils ont accepté. J’ai dû faire les plinthes. Mais tout en écoutant de la musique, donc c’était toujours mieux. Quand je suis seule et que j’écoute de la musique à la radio, quelquefois je danse en même temps que je nettoie, surtout quand c’est BONNEY M ou des trucs qui bougent. Quand je dois battre les tapis aussi (pourquoi on dit les battre ? C’est nul) sur le balcon, je danse et je chante. J’adore Alain SOUCHON et Laurent VOULZY. Dounia m’avait prêté le disque Rock Collection, j’ai adoré et je l’ai écouté plein de fois. Là, je suis dans la cuisine et j’écoute la radio. Sylvie VARTAN est en train de chanter « Comme un garçon » sur Europe1 présenté par Christian MORIN.
Comme un garçon, j’ai toujours voulu être un garçon, du moins avant, quand je pouvais jouer avec des garçons, c’était trop bien. Je me souviens des courses dans les rues, des descentes sur l’herbe assis sur des grands cartons. On arrivait très vite en bas de la colline et on se ramassait, mais on riait, on riait, malgré les genoux ou les coudes écorchés. Parfois les deux. Nous jouions à la « déli-délo », à la « balle au prisonnier », « aux billes ». Quelquefois, mais c’était plus pendant les récréations, on jouait à « colin-maillard », à « où sont les cerfs, dans la forêt… ». Tous ensemble, filles et garçons. C’était bien. Parfois, mais juste avec les copines, on jouait à la marelle. A la corde à sauter en chantant des chansons sur lesquelles il ne fallait pas se tromper dans les paroles et ne pas rater un saut de corde. Il y avait la chanson de la fille qui était amoureuse d’un garçon : « un samedi soir je dis à ma Mère voulez-vous savoir le garçon que j’aime, c’est un jeune garçon à qui j’ai donné mon cœur. J’ai donné mon cœur à.… ». Là, selon la fille qui sautait à la corde un nom de garçon était dit, quand c’était mon tour, les filles disaient toujours : « j’ai donné mon cœur à Pascal, Pascal, Pascal, j’ai donné mon cœur à Pascal, Pascal mon bien aimé. Est-ce bien la vérité oui, non... ». On sautait de plus en plus vite pour voir sur quoi on tombait, le oui ou lenon.
C’est vrai que je l’aimais bien, beaucoup peut-être ce Pascal, mais je crois que lui aussi m’aimait bien. Nous étions petits, c’était à Plaisir, à l’école Antoine de St Exupéry, la première école dans laquelle jesuis allée. J’ai connu Pascal dès mon arrivée en France, en avril 1968, jusqu’au départ de Plaisir en février1973.
Quand nous habitions Plaisir, c’était dans la résidence le « Petit Bon Temps », et nous étions au 1er étage d’un immeuble de 3 ou 4 étages je crois. Dans l’appartement il y avait, dès la porte d’entrée passée, à gauche une grande pièce qui servait de « salle à manger et salon » (et aussi de coin couchage pour moi), à droite une cuisine avec un cellier au fond, il me semble. Devant la porte d’entrée, droit devant un petit couloir qui menait à trois chambres, une petite salle de bain et un WC. Il y avait un balcon qui était tout du long de la salle à manger et du salon. Il y avait du parquet dans la pièce principale et les chambres, et avec ma sœur nous avons frotté souvent à quatre pattes pour les cirer, ce n’étaient pas des jeux, ohnon.
Au rez-de-chaussée il y avait une famille française « BARON » et la maman s’entendait bien avec la Mère. En face de l’appartement, sur le même palier, il y avait une famille espagnole, la maman s’appelait Paloma et avait pris la Mère sous son aile dès que nous sommes arrivés d’Algérie. Elles étaient très amies, Paloma a une fille, Victoria et un petit garçon, Estéban. Je ne me rappelle pas le prénom du père, juste leur nom de famille MARESA. Je le trouvais super joli ce nom. Et Victoria était ma copine, mon amie, je l’aimais beaucoup car elle était tellement gentille, tellement belle, tellement intelligente. Elle était toute petite, fine, blonde avec des boucles, sa mère était brune, grande et très costaud. Il y avait aussi une autre famille dans la résidence, ils sont portugais avec plusieurs enfants. J’étais copine, un peu, avec Maria une des filles qui avait le même âge que moi. J’ai passé beaucoup plus de temps avec elle lorsque Victoria est repartie en Espagne avec sa famille. J’ai beaucoup pleuré.
Je me souviens de Murielle, avec qui je faisais de temps en temps le chemin du retour de classe le soir. Comme elle habitait le « Valibout », la cité qui a été construite à côté des terrains agricoles, on n’avait pas beaucoup de temps ensemble. Je l’aimais beaucoup. Elle était l’aînée de je ne sais plus combien de frères et sœurs, elle n’avait que dix ans, et elle faisait beaucoup de travail pour aider sa mère. Les courses, le ménage, s’occuper de ses frères et sœurs. Enfin tout comme moi aujourd’hui. J’aurai tellement voulu garder le contact avecelle.
Je me souviens du moment où la cité du « Valibout » a commencé à être construite. Toutes les familles des environs avaient été informées qu’il fallait ramasser toutes les pommes de terre avant que les travaux ne commencent et que c’était gratuit. Il y avait la résidence du Petit Bon Temps, la résidence Brigitte, et d’autres résidences dont je n’ai pas retenu les noms. Je me revois avec la Mère et ma sœur, on remplissait autant de sacs que l’on pouvait. Il y avait des chariots de courses chargés à ras bord, des familles étaient venues avec leurs voitures et remplissaient leurs coffres. Nous, on n’avait pas de voiture.
On a mangé des pommes de terre pendant très très longtemps.
Nous étions la seule famille maghrébine, il n’y avait que des Français, des Portugais, des Espagnols et des Italiens. Je dis ça parce qu’il y avait beaucoup de méchanceté de la part de certains voisins et des institutrices aussi. Ma sœur et moi nous étions sans cesse punies, pour rien. Ma sœur se faisait tirer les cheveux par sa maîtresse et moi je prenais des gifles par la mienne. Nous nous retrouvions dans le couloir à sangloter ensemble la bouche scotchée, on ne savait pas pourquoi on subissait tout cela. La bouche scotchée comme quand il y avait un cirque dans l’école et que tous les enfants y allaient. Leurs parents avaient payé 1 franc. Ma sœur et moi nous étions punies parce que nos parents n’avaient pas donné 1 franc pour chacune. Nous ne devions pas parler en attendant que les autres reviennent du spectacle. Mais on entendait tout, les rires, la musique et nous étions encore plus tristes et dépitées.
J’ai commencé l’école dès notre arrivée en France, en avril 1968. Comme je ne parlais pas le français, j’ai été placée dans une petite section de maternelle. La rentrée suivante, je me suis retrouvée dans une classe de CP avec un cartable sur le dos, que j’étais fière de porter. Et lamatinée n’était pas finie, qu’une dame est venue me chercher pour me remettre en maternelle. Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré, de ne pas avoir compris pourquoi je ne pouvais pas garder mon cartable et rester dans cette classe. J’ai su plus tard que je ne maîtrisais pas vraiment le français, et c’était plus simple d’apprendre la langue en étant en maternelle. Je n’étais jamais allée à l’école avant d’arriver en France. Mon frère et ma sœur allaient à l’école à Bejaïa, et moi je découvrais tout cela avec l’apprentissage de la langue en plus.
En 1969, lors d’une visite de suivi médical familial, le médecin a trouvé que ma sœur avait la tuberculose, et moi il fallait m’opérer d’urgence de l’appendicite. J’avais des boutons rouges partout sur le corps, c’était un signe d’urgence d’après le médecin. Je suis rentrée à l’hôpital un lundi et j’ai été opérée le mercredi. La belle urgence ! Surtout que je n’avais aucune douleur du côté de l’appendicite, mais j’avais la rougeole, c’était ça les boutons.
Cependant ma sœur est partie en maison de repos très loin, dans la Haute Loire à Chavagnac Lafayette, pendant 1 an. La Mère a pleuré toutes les larmes de son corps quand elle est partie, elle craignait qu’elle ne soit pas guérie.
Quand la Mère est rentrée à l’hôpital pour accoucher de ma petite sœur, mes frères ont été gardés chez une nourrice dans une ferme. Moi j’ai découvert la cantine. J’étais tellement contente de manger à la cantine, les odeurs de betterave, céleri rémoulade, carottes râpées, et bien d’autres. J’avais l’impression de découvrir toutes ces odeurs, tout était différent des repas faits par la Mère. Et j’ai détesté très vite la cantine. Pour la simple raison que c’était comme avec les institutrices, j’étais punie et méprisée. Le premier repas, je me suis assise en face d’une fille de la classe dans laquelle j’étais, elle s’appelait Brigitte Crétin. Elle me demande d’où vient mon prénom, je lui réponds de Béjaïa en Algérie. Elle me demande où c’est, je lui dis de l’autre côté de la mer. Elle me dit : « c’est chez les arabes alors ! ». Et elle s’est mise à crier très fort et à rire en même temps : « OH JE MANGE EN FACE D’UNE ARABE, VOUS VOUS RENDEZ-COMPTE, JE SUIS EN FACE D’UNE ARABE ! ». La dame qui servait m’a regardée méchamment. Elle m’a jeté une assiette de purée devant moi, et j’ai bien cru qu’elle allait me cracher dessus et peut-être même me gifler. Je n’ai plus jamais mangé avec cette conne de Brigitte C. Plutôt souvent seule. J’ai eu hâte que ma Mère rentre de l’hôpital car j’étais le souffre-douleur des dames qui servaient.
Ma sœur était toute mince quand elle est partie et quand elle est revenue, un an après, elle avait triplé de volume. Il paraît que c’est à cause de la cortisone. Comme elle ne comprenait plus le kabyle, elle n’arrêtait pas de demander pourquoi les parents parlaient en portugais. Eux ne disaient rien et faisaient tout ce qu’elle voulait. Le Père l’emmenait à la grande fête foraine « la fête des loges ». Juste elle, mon grand frère et moi n’y avions pas droit. Il lui achetait tout ce qu’elle voulait. Même un vélo, qu’on se partageait en cachette mon grand frère et moi. Elle ne voulait même pas monter dessus. Son retour n’a pas été facile, ni pour elle et ni pour mon grand frère et moi. Elle voulait retourner à Chavagnac, et nous l’aurions bien aidé à y aller tellement elle était exécrable et intouchable.
Le Père avait des conflits avec un voisin qui l’insultait et qui disait que nous étions sales, malpolis, ignorants, enfin pleins de trucs qui ne plaisaient pas au Père. Je me souviens qu’un soir le Père est sorti avec un couteau, la Mère pleurait, je crois qu’il y avait un rendez-vous pour une bagarre. Je n’ai jamais su ce qui s’était passé et ni comment ça s’était fini. La bagarre n’a pas dû avoir lieu et le couteau n’a pas été utilisé. Tout ce que j’ai su, c’est que le copain du Père, Carlos un Portugais de la résidence, s’en est mêlé, ainsi que d’autres voisins qui ont pris la défense du Père. On a fini par déménager. Pas que pour ça. J’ai appris plus tard que le loyer était trop cher. Que la Mère disait sans cesse : « ton gueule, ou ferme ton gueule » dès qu’un garçon ou un homme la regardait ou lui parlait. Souvent elle rajoutait : « mon mari il va venir, il casse ton gueule ». Bien sûr cela nous a longtemps fait rire après.
Quand je pense que dans la cité Valibout il y a eu beaucoup de familles du Maghreb et de l’Afrique noire, ceux qui ne nous ont pas acceptés ont dû être malades derage.
C’est plus tard que j’ai compris, enfin compris n’est pas vraiment le mot qui convient, mais que j’ai supposé quelques explications. La guerre d’Algérie s’était terminée quelques années avant, par une déclaration d’indépendance, donc plus d’appartenance à la France. Plusieurs familles françaises n’ont pas accepté cette défaite. Elles ont certainement perdu un fils, un frère, un père, un oncle, un cousin, un mari ou un fiancé enfin quelqu’un de leurs familles, peut-être plusieurs. Mais c’était pareil pour les Algériens, ils avaient perdu beaucoup de membres de leurs familles, et pas seulement pendant la guerre, mais depuis le début de l’arrivée des colons envahisseurs (je répète les mots que certains algériens disent).
Lorsque nous étions restés en Algérie, à Béjaïa, avec la Mère, mon frère, ma sœur et mon petit frère qui était encore un bébé, le Père étant en France, nous subissions les agressions des algériens « pilleurs » qui terrorisaient les familles. Mon frère m’avait dit que c’étaient les pères blancs, parce qu’ils étaient habillés de grandes tuniques blanches et d’une cagoule blanche également. Je ne les ai jamais vus donc je ne sais pas si c’est vrai. Mais je ne vois pas pourquoi mon frère aurait menti. Je me souviens que nous étions tous dans le même lit, plutôt un matelas sur le sol, et que la Mère pleurait agenouillée dans un coin de l’appartement. Les pères blancs tapaient aux fenêtres, les cassaient aussi, ils criaient, ils menaçaient. Mais je ne sais pas de quoi, je ne me souviens pas, j’étais petite. Mon frère avait mis des verrous sur les fenêtres pour les bloquer de l’intérieur. Il y a eu des tours de garde organisés pour prévenir les uns et les autres de l’arrivée de ces « haloufs » - les cochons - comme les appelaient les adultes. Comme nous étions dans le premier appartement en rez-de-chaussée, nous étions les moins protégés, en première ligne de tir. Dès qu’on entendait le signal d’alerte de leur arrivée, la Mère nous disait de courir chez notre grand-mère. Elle habitait avant la cour et sur un palier où il n’y avait pas de fenêtres à casser. On allait aussi chez une voisine dans la cour en face et en étage. Mon frère fermait la porte à clef. On courait et la Mère nous criait, sûrement pour nous motiver et qu’on ait moins peur, je ne sais pas, le 1er qui arrive je lui donne « dohro » (un centime). Donc on courait parce qu’avec « dohro » on pouvait s’acheter un glaçon à la pastèque. Je crois surtout qu’on avait très peur et que plus vite nous étions en sécurité, mieux c’était. Plus tard, mon frère m’a expliqué que ces hommes avaient une liste de la mairie, enfin quelqu’un de la mairie, de toutes les femmes seules avec leurs enfants. Ils les attaquaient pour leur faire peur et qu’elles quittent l’appartement. Ainsi ils s’installaient à leurs places. Quelquefois ils venaient un par un et ils rusaient pour se faire ouvrir les portes. Un jour un de ces hommes a voulu se faire passer pour le mari d’une des femmes qui vivaient seules. Il lui a parlé en kabyle derrière la porte en lui disant : « ouvre-moi je suis ton mari ». Elle savait que ce n’était pas vrai car d’autres femmes s’étaient fait avoir de la même façon. Elle lui a demandé de regarder par le trou de la serrure pour qu’elle voit son œil et ainsi pouvoir le reconnaître. C’est ce qu’il a fait, et elle a enfoncé le tisonnier qu’elle avait fait chauffer sur le feu, dans son œil. Il est parti en hurlant et n’est plus jamais revenu.
Nous habitions rue des vieillards, au 9 je crois, pas loin de la place « Gueydon » à Béjaïa, que tout le monde appelle la place « Guidon ». À côté de lamer.
C’est une des raisons pour lesquelles le Père a décidé de nous faire venir en France, pour le rejoindre. Nous ne pouvions pas vivre à « Tifra », le village de mes grands-parents paternels. Il n’y avait pas de place puisqu’il y avait encore le frère et la sœur du Père. Et j’ai cru comprendre que la grand-mère était quand même très garce avec la Mère, ça doit surtout être pourcela.
Donc nous habitions à côté de chez ma grand-mère maternelle « ZOHRA », qui s’est occupée de moi pendant les premières années de ma vie, avant qu’on s’installe tous là-bas. Je n’avais pas une grande santé, comme ils disent. Il m’arrivait beaucoup d’accident pour lesquels j’ai passé quelques séjours à l’hôpital de Béjaïa, donc proche de ma grand-mère. Pendant que la Mère, avec mon grand frère et ma grande sœur, vivait et subissait à « Tifra » chez les parents duPère.
Mon grand-père maternel était en France aussi, mais ne donnait pas beaucoup de nouvelles. J’ai su plus tard qu’il était alcoolique et faisait le clown dans les rues et les bars pour distraire les gens et avoir quelques pièces pour boire. J’ai su aussi qu’il avait été renvoyé de France de force mais qu’il avait réussi à y retourner. Ma grand-mère en était malade de chagrin et de désespoir. J’avais su aussi que la Mère avait un petit frère qui avait habité en Belgique et était mort, à l’âge de 26 ans, à cause d’une fuite de gaz pendant qu’il dormait. Ma grand-mère a été folle de chagrin et son chagrin grandissait encore plus avec notre départ.
Je ne sais plus comment s’est préparé notre voyage. Je sais, par mon frère, que nous l’avons fait 2 fois. La 1ère fois nous avons été recalés aux douanes portuaires car il manquait des papiers. La 2ème fois, tout devait y être puisque nous sommes arrivés en France. Nous avons voyagé avec mon oncle Hamad, le 2ème frère de la Mère. Il voulait tenter sa chance en France lui aussi, et il disait qu’il allait retrouver son Père pour qu’il retourne auprès de ma grand-mère.
Ce fut un très long voyage, entre les trains du bled, le bateau pendant plus de 24 heures, les trains en France et les métros après. Ce devait être une nouvelle et belle vie. Et ce n’est pas vraiment le cas, du moins par pour nous les filles.
Je n’ai plus rien à te dire pour l’instant. Grosses bises. À Bientôt.
15juin
Ça fait plus d’un mois et demi que je n’ai pas écrit. J’ai dormi ou quoi ??? C’est peut-être parce que je n’avais rien à dire ou que j’en ai beaucoup dit avant. Et pourtant il s’en est passé des choses. D’abord j’ai revu Sophie Laqué. Elle était à la Ruche Service - la supérette - avec son copain Michel. Je lui ai dit bonjour et elle m’a donné des nouvelles de tout le monde. Puis elle m’a demandé si je n’avais pas cinquante centimes à lui prêter. Je les lui ai donnés. Elle m’a dit qu’elle était partie du C.E.T. d’elle-même avant de se faire virer. Elle séchait tous ses cours.
Je la vois souvent maintenant. Dès que je dois aller chercher le pain et le lait, une des seules sorties autorisées, je traîne au maximum et je la croise et vois pleins d’autres personnes aussi. Souvent, on se donne rendez-vous avec Camélia ou une autre copine, devant La Ruche Service. On passe le temps à se raconter nos vies misérables, mais surtout les derniers « ragots » de la cité, car il y en a toujours. Chacune avec ses frères et sœurs à garder. Lorsque je rentre, la Mère m’attend déjà à la fenêtre et gueule comme une folle qu’elle va me tuer, me massacrer, m’enfermer à jamais…Donc, j’ai encore moins envie de monter et marche le plus lentement possible. Ça la met encore plus en rage et moi ça me fait rire, ça me fait du bien. Tant qu’à prendre une trempe, autant en profiter encoreplus.
Avec Camélia, on s’arrange pour faire croire qu’on est l’une avec l’autre et ainsi on peut aller ailleurs. Souvent c’est Camélia qui a rencard avec son mec, elle s’arrange pour faire garder ses frères et sœurs par quelqu’un d’autre, moi par exemple. Moi quand je peux être seule, je vais traîner du côté de la Ruche et je discute avec n’importe qui. Je n’ai jamais rencard car je n’ai pas de mec et je n’en veux pas. Avec Camélia on est devenues copines pendant un « pseudo mariage ». Oui le meilleur copain de mon frère a été obligé de se marier avec une fille que ses parents avaient choisie. Lui il aimait une autre fille, une Française et eux ils ne voulaient pas en entendre parler. Il a fait le mariage, la fille elle n’était pas de la cité, mais de Paris je crois. Avec Camélia on devait aider à tout préparer et ranger et tout et tout. Donc on a beaucoup discuté. Le soir du mariage, le copain de mon frère est sorti de la chambre et a donné le drap qui n’était pas tâché de sang, à sa mère. Il a posé la valise de la fille devant la porte de dehors. Ça voulait dire qu’elle n’était pas vierge et qu’il n’en voulait pas. C’était la catastrophe pour la fille, pour sa famille, mais pour le copain de mon frère c’était une victoire. Il a fait comme ses parents voulaient, et comme dans la tradition il faut que la fille soit vierge, et bien il a refusé de rester avec elle. Le lendemain on est allé dehors avec la fille, Camélia et moi. Elle nous a expliqué qu’elle avait fait beaucoup de cheval et que c’était pour ça qu’elle n’avait pas saigné. Je n’ai pas tout compris, mais après, Camélia m’a dit qu’elle croyait à moitié ce qu’elle nous avait raconté. La fille est repartie avec ses parents, et sa valise.
Quelques mois après le copain de mon frère s’est fiancé avec son amoureuse française.
Je vais aussi à l’appartement des assistantes sociales. Il y a toujours plein de femmes qui sont là pour différentes choses. Apprendre à coudre à la machine, échanger des recettes, se raconter des histoires, leurs histoires. Je ne crois pas qu’elles apprennent à lire et écrire. La Mère n’est jamais allée à l’école, je n’ai pas l’impression que ça la dérange. Avec Dounia, nous avons commencé à y aller pour voir. On s’est fait chier. Après c’est devenu un prétexte pour pouvoir sortir et faire autre chose. Mais surtout être ensemble. Ou dire que nous étions ensemble. On a quand même fait l’atelier bricolage et on a fabriqué un berceau pour poupées. On a travaillé le bois et cousu, à la machine, le tissu pour les rideaux. C’était pour nos petites sœurs, pour Noël. J’ai appris à faire du crochet aussi, pas Dounia. J’ai fait 3 « ponchos ». Il y a eu aussi le repas, où nous étions toutes ensemble. Les Portugaises ont préparé « la Bacalahau », les Africaines avaient fait des entrées, les femmes du Maghreb avaient fait des gâteaux du bled et du thé à la menthe, et les assistantes sociales avaient amené toutes sortes de boissons gazeuses et le café. Avec Dounia, on a proposé de faire des tartes aux pommes. Enfin, j’ai fait les tartes, Dounia a épluché les pommes et les a coupées en lamelles. Elle n’aime pas cuisiner etelle ne veut pas savoir le faire, même des tartes. On a passé un moment sympa quand même. On était les seules jeunes non mariées. D’ailleurs les femmes nous demandent toujours pourquoi on n’est pas à l’école ou pourquoi on n’est pas mariées.
Je ne peux pas parler de livres avec Dounia et ni Camélia, elles n’aiment pas lire, donc je ne peux pas partager ce plaisir, c’est dommage.
Avec Dounia, on discute beaucoup avec les assistantes. Dounia dit sans arrêt qu’elle ne veut pas retourner à l’école et moi je dis qu’elle a trop de la chance et que j’aimerais tellement être à sa place. L’assistante sociale Martine LAUTRE a voulu m’aider pour reprendre un apprentissage de comptabilité ou de secrétariat. Mais je lui ai dit que ce n’était pas la peine qu’elle s’occupe de moi, que les parents ne seraient nullement d’accord. Qu’ils attendaient l’année prochaine pour essayer de me marier. Mais je ne voulais pas me marier.