Vichy, le fiasco des Chantiers de la Jeunesse française - Jocelyne Laplagne - E-Book

Vichy, le fiasco des Chantiers de la Jeunesse française E-Book

Jocelyne Laplagne

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Beschreibung

À travers la figure de La Porte du Theil, commissaire général des Chantiers de jeunesse, la pièce retrace l'effondrement d'un projet éducatif devenu rouage de la collaboration. De l'illusion patriotique à la participation au STO, de l'exclusion des Juifs à la mémoire des victimes, le texte interroge les responsabilités individuelles et collectives, les silences, les aveuglements, et les résistances. Le choeur, les historiens, les jeunes, les témoins du STO composent une polyphonie tragique où chaque tableau est une scène autonome, prête à jouer ou à transmettre.

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Seitenzahl: 294

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Table des matières

Vichy, le fiasco des Chantiers de la Jeunesse française

ACTE I – SCÈNE 1

Acte I – Scène 1 (suite)

Acte I – Scène 1 (suite II)

Acte I – Scène 2

Acte I – Scène 3: Genèse et organisation des Chantiers

Acte I – Scène 4: Les acteurs des Chantiers

Acte I – Scène 5: Les Jeunes de France

Scène: Endoctrinement

Acte I, scène 1 bis

Acte I, Scène 2 bis– Formation intellectuelle et culturelle

Acte I, Scène 3 bis – Formation physique et vie rude

Acte I, Scène 4 bis – Jeunes, formation et finalité des Chantiers

Acte I, Scène 5 bis – Travaux, uniformes et contrôle scout

Acte I, Scène 6 – L’utopie des Chantiers et le culte du chef

Acte I, Scène 7 – Effort au grand air et nature rédemptrice

Acte I, Scène 8 – Efficacité de la formation physique

Acte I, Scène 9 – Activités physiques et sportives aux Chantiers

Acte I, Scène 10 – Entraînement spécial pour jeunes déficients physiques

Acte I, Scène 11 – Centre d’éducation physique des Chantiers

Acte I, Scène 12 – Le groupe des sportifs et la fin des initiatives physiques

Acte I, Scène 13 – Le réveil des corps et la formation physique

Ski et spécificités géographiques

Formation virile et morale

Scène 14: Donner l’exemple: le chef et les activités physiques

Scène 15: Épreuves et endurance: la formation virile et morale

Scène 16: Baraques et bourbiers: la rudesse du camp

Scène 17: Crasse et promiscuité: les épreuves de l’hygiène

Scène 18: Rations maigres et festins des chefs

Scène 19: La rigueur et la peur

Scène 20: Bûcherons et choristes

Scène 21: Feux de camp et cercles d’études

Scène 22: Maîtrise de soi et éducation morale en plein air

Éducation morale et religieuse

Scène 23: Bureau de LP, Pierre Giolitto assis face à lui.

Acte II

Tableau 1 – Prologue: « Tout un programme »

Tableau 2 – Les Chantiers ont-ils été efficaces?

Tableau 3 – Le bagne des honnêtes gens

Tableau 4 – Une jeunesse maréchalisée?

Tableau 5 – Une jeunesse à modeler?

Tableau 6 – La République dans les cœurs

Tableau 7 – Le rejet et la rupture

Tableau 8 – On ménage les mulets

Tableau 9 – Le Vercors, entre ordre et maquis

Tableau 10 – Le froid, la faim, l’indignation

Tableau 11 – Corps fatigués, âmes absentes

Tableau 12 – Le bois, les routes, les hommes absents

Tableau 13 – Le village en uniforme

Tableau 14 – Le feu, le drapeau, le froid

Tableau 15 – De la cravache au maquis

Tableau 16 – Le refus, la colère, le charivari

Tableau 17 – Le malaise, la rupture, la révolte

Tableau 18 – Ce qui reste à dire

Tableau 19 – L’école, le dogme, le soupçon

Tableau 20 – Une œuvre de circonstance

Acte III: STO

Tableau 21 – Travailleurs encadrés, jeunesse trahie

Tableau 22 – L’impact du STO

Tableau 23 – Union autour du Maréchal?

Tableau 24 – Toute la classe 42 doit partir

Tableau 25 – Le devoir dévoyé

Tableau 26 – Centres d’esclaves pour Hitler

Tableau 27 – Le piège de la fidélité

Tableau 28 – Le camp Napoléon

Tableau 29 – La psychose de panique

Tableau 30 – Une jeunesse qui ne se laisse pas faire

Tableau 31 – Le bourbier de la trahison

Tableau 32 – Être maître ou valet

Tableau 33 – Le reniement du chef

Tableau 34 – Le dernier souffle des Chantiers

Tableau 35 – Au service de l’Allemagne nazie

Tableau 36 – Le piège se referme

Tableau 37 – Le prix du silence

Tableau 38 – Lettres de la Forêt-Noire

Acte IV Les Juifs aux Chantiers

Tableau 39 – Aux petits oignons

Tableau 40: Vichy et les Juifs

Tableau 41 – Les Juifs aux Chantiers

Tableau 42 – L’exclusion des jeunes juifs

Tableau 43: Les juifs exclus des Chantiers

Acte V: La mémoire confisquée

Tableau 45: Les victimes

Tableau 46: De La Porte n’a rien fait pour la Résistance

Tableau 46 bis: le mythe résistancialiste des Chantiers

Tableau 47 Revanche contre les Allemands?

Tableau 48: les ennemis des Chantiers

Tableau 49: Résistants?

Tableau 50: Les liens avec la Résistance

Tableau 51: Mythe résistancialiste et Chantiers

Tableau 52: Haute Cour et mythe résistancialiste

Tableau 53: Confrontation avec Van Hecke en Afrique fin 1942

Tableau 54: Le débarquement allié en Algérie

Tableau 55: La lutte contre le bolchévisme

Tableau de récap

Tableau 56: Les Chantiers de la Jeunesse et le maintien de l’ordre (1940-1944)

TABLEAU 57 – Les Chantiers et l’idéologie vichyste (1942)

TABLEAU 58 – La fidélité à Pétain et la perte de contrôle des Chantiers (1942-1943)

TABLEAU 59 – Le service S.C et la surveillance des Chantiers (1942-1943)

TABLEAU 60 – La surveillance des Chantiers par Vichy (1943-1945)

TABLEAU 61 – L’arrestation de La Porte et l’effondrement des Chantiers (janvier 1944 – juillet 1944)

TABLEAU 62 – La fin des Chantiers et les projets de nazification (janvier – décembre 1944)

TABLEAU 63 – Le premier semestre 1944: peur, répression et choix ultimes

TABLEAU 64 – Après la Libération: mémoire et contestations

TABLEAU 65 – Opposition et engagements pendant la guerre

Acte VI: Transmission et réparation

Tableau 66 – Le procès de La Porte devant la Haute Cour

Tableau 67 – Le procès de La Porte devant la Haute Cour

Tableau 68 – Le non-lieu de La Porte

Tableau 69 – La demande de pardon par de La Porte

Résumé de la pièce – « Vichy: Le fiasco des Chantiers de jeunesse »

Appuis pour la troupe

Intégrer les Juifs exclus et l’antisémitisme d’État

Note d’intention dramaturgique

Chronologie raisonnée des Chantiers de Jeunesse 1940-1945

Bibliographie commentée – Vichy: Le fiasco des Chantiers de jeunesse

Chronologie du Service du travail obligatoire (STO) et événements associés

Bibliographie commentée – Le Service du travail obligatoire (STO)

Notes et références utilisées pour la pièce

Chronologie raisonnée des Chantiers de Jeunesse, STO et Archives nationales:

Vichy, le fiasco des Chantiers de la Jeunesse française

Personnages principaux

Joseph de La Porte du Theil (LPT)

 : Général, fondateur et chef des Chantiers de la jeunesse. Homme de discipline, croyant servir la patrie mais obsédé par l’ordre, le zèle administratif et la fidélité à Pétain.

Un Jeune des Chantiers (Jean)

 : 20 ans, réquisitionné, il exprime la voix de ceux qui subissent l’expérience. Ses doutes et ses colères représentent la jeunesse française.

Un Jeune Juif (David)

 : Inscrit de force aux Chantiers, victime d’exclusions, porte la mémoire des discriminations.

LP (le Narrateur / Historien)

 : Présente les faits, commente avec un ton implacable. Figure de conscience et de mémoire.

Un Officier Allemand (Reinhardt)

 : Représente la tutelle allemande, cynique et dominateur.

Un Commissaire du gouvernement (Procureur)

 : Porte la voix de la justice lors du procès.

Stéphanie Corcy-Debray (SC-D)

 : Historienne contemporaine, incarne la voix critique, interroge les archives et met en tension les discours justificatifs.

Décor et ambiance

Prologue

 : Une scène nue, brumeuse. Au fond, une grande bannière «

Travail, Famille, Patrie

» flanquée d’un portrait de Pétain.

À jardin : une cabane en bois (camp des Chantiers).

À cour : une estrade avec pupitre, pour les discours et le procès.

Lumières

 : froides et grises, parfois un projecteur rouge sang lors des passages de zèle antijuif, blanches et crues pour le procès.

Musique

 : percussions militaires, tambours sourds, parfois brisées par des chants de jeunes ou des marches forcées.

Costumes

LPT : uniforme impeccable, bottes, képi.

Les jeunes : vareuse kaki des CJF, usée, parfois déchirée.

David porte le même uniforme mais avec l’étoile jaune cousue maladroitement.

LP et SC-D : sobres, modernes, en civil.

L’officier allemand : uniforme noir, bottes de cuir.

Procureur : robe noire, austère.

PROLOGUE

(Lumière rasante. Sur scène, les jeunes creusent, portent du bois, épuisés. Des chants militaires résonnent, faux, cassés par la fatigue. La Porte du Theil se tient droit, sur une estrade. LP avance au centre, comme un témoin intemporel.)

* Dialogue

LP

(au public, ton grave)

Juillet 1940. La France a capitulé. Vichy invente ses propres institutions pour discipliner la jeunesse.

Ainsi naissent les Chantiers de la Jeunesse française, confiés au général Joseph de La Porte du Theil.

Ici, l’idéologie se mêle au quotidien : bois à couper, pierres à déplacer, hymnes à Pétain à chanter.

Mais derrière les chants et la poussière, se cache la ségrégation, le zèle antijuif, la préparation forcée au Service du travail obligatoire.

(Pause. Les jeunes s’arrêtent de chanter. LPT se redresse et prend la parole solennellement.)

LPT

Jeunes de France !

Vous n’êtes plus des élèves, ni des ouvriers, ni des vagabonds.

Vous êtes les fils d’une Patrie meurtrie.

Ici, nous forgerons vos corps, vos âmes et vos esprits.

Travaillez, obéissez, priez !

Et sachez-le : votre place n’est pas de contester, mais de servir !

(Les jeunes baissent la tête. Jean, l’un d’eux, chuchote.)

Jean

(servant de chœur)

Servir… Mais qui ? La France ?

Ou l’Allemagne qui nous surveille, qui nous vole nos vies ?

(David, à côté de lui, serre les poings.)

David

Moi, je n’ai même pas le droit de servir pareil aux autres.

On m’écarte, on me désigne.

Même ici, dans la boue, l’étoile potentielle me condamne.

(Un silence. LPT détourne les yeux, froid. LP reprend, marchant au-devant de la scène.)

LP

Les Chantiers…

Pour certains, un camp de discipline.

Pour d’autres, un camp d’humiliation.

Pour beaucoup : un échec.

Mais pour La Porte du Theil : une mission sacrée.

Jusqu’à son arrestation, le 4 janvier 1944.

(Un roulement de tambour. Les lumières deviennent blanches, crues. Une estrade s’illumine: le procès de la Haute Cour commence. SC-D s’avance, carnet en main. Le Procureur prend place. Les jeunes se figent, comme des fantômes.)

SC-D

(au public)

Il n’a jamais résisté.

Il a trop exclu, trop obéi, trop zélé.

Le procès ne rendra pas justice.

C’est à nous, aujourd’hui, d’exiger la vérité.

(Noir brutal. Fin du prologue.)

ACTE I – SCÈNE 1

(La scène s’ouvre dans une salle solennelle : un tribunal symbolique, mi-historique, mi-théâtral. Au centre, une estrade. À jardin, un drapeau français. À cour, un portrait de Pétain voilé de noir. Lumière blanche, implacable.)

Personnages présents :

LP (le Procureur / Historien, en robe sombre)

Joseph de La Porte du Theil (LPT), en uniforme impeccable, décorations sur la poitrine)

SC-D (Historienne, assise avec un dossier d’archives, témoin moderne)

Les jeunes (Jean et David), silencieux, en arrière-plan, fantômes de l’Histoire.

* Dialogue

LP

(d’une voix ferme, s’adressant à l’assemblée et au public)

Joseph de La Porte du Theil,

nous sommes réunis ici pour examiner vos activités à la tête des Chantiers de Jeunesse française.

Nous voulons savoir si vous avez commis des excès de zèle,

notamment envers les Juifs et dans le soutien au Service du travail obligatoire.

(Il fait un pas vers LPT, le fixe.)

Votre cas n’est pas isolé.

Nous avons déjà interrogé Jérôme Carcopino, secrétaire d’État qui supervisa vos Chantiers.

C’est maintenant à vous de répondre.

(Silence. LPT, droit, mains jointes derrière le dos, ne bronche pas. LP reprend.)

LP

Tout d’abord, permettez que je vous présente à cette assemblée.

Vous êtes né le 29 mai 1884, à Mende, dans une famille de vieille noblesse.

Fils d’un inspecteur général des Eaux et Forêts, vous suivez une trajectoire brillante :

Polytechnique en 1903, officier d’artillerie, professeur à Metz, puis à l’École de guerre.

Pendant la Grande Guerre, vous êtes capitaine, puis chef d’escadron.

Promotions rapides : lieutenant-colonel en 1928, colonel en 1930, général en 1935, commandant l’école d’artillerie de Fontainebleau.

En 1940, pendant la campagne de France, vous êtes l’un des rares généraux dont le dispositif ne fut ni enfoncé ni rompu.

(Pause. LP change de ton, plus grave.)

Mais vous n’êtes pas seulement un militaire.

Vous vous êtes passionné pour la jeunesse, chef scout, commissaire adjoint des Scouts de France pour l’Île-de-France.

C’est cette passion que le maréchal Pétain exploite : le 2 juillet 1940, il vous confie la direction d’un projet inédit : les Chantiers de la Jeunesse française.

(Il se tourne vers le public, puis désigne LPT.)

Vous êtes donc celui qui doit « reprendre en main » la jeunesse française, après la débâcle.

LPT

(se redresse, ton solennel)

Oui, Monsieur le Procureur.

J’ai reçu cette mission des mains du Maréchal.

J’ai cru servir la France en relevant sa jeunesse, en lui redonnant discipline, foi et courage.

J’ai voulu forger des hommes nouveaux, loin de la corruption de l’ancienne République.

SC-D

(interrompt, sèche)

Et en obéissant, vous avez aussi exclu,

discriminé, écarté les Juifs des Chantiers,

soutenu l’envoi des jeunes au Service du travail obligatoire.

(Les jeunes en arrière-plan s’animent. Jean baisse la tête. David serre son uniforme où brille son étoile jaune.)

Jean

(à voix basse, mais audible)

Forger des hommes… ou briser des vies ?

David

(amer)

Et nous, les « indésirables »,

avons-nous été moins français que les autres ?

(Silence pesant. LPT détourne les yeux. LP, d’une voix plus dure, conclut la présentation.)

LP

Voici donc l’homme :

un militaire irréprochable,

un éducateur passionné,

mais aussi un exécutant zélé,

dont les choix pèseront lourd dans ce procès de mémoire.

(Lumière plus sombre. Tambour militaire étouffé. Fin de la scène.)

Acte I – Scène 1 (suite)

Décor : Salle d’audience sobre, dominée par le bois sombre. Au centre, une table de justice avec dossiers empilés. À gauche, une estrade où se tient le Procureur (LP). En face, Joseph de La Porte du Theil, en uniforme militaire, droit mais crispé. Derrière, un grand panneau affiche « Haute Cour – Séance de réexamen ». À cour, un banc pour les historiens appelés comme témoins (Christophe Pécout, et d’autres en attente). Lumière froide, presque crue, accentuant le climat de jugement.

Personnages présents :

LP (Le Procureur)

 : ton ferme, regard perçant.

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

 : droit, voix grave, mélange de conviction et de gêne.

Christophe Pécout (CP)

 : historien, calme, analytique, parlant comme témoin expert.

*Dialogue

LP (s’avançant, dossier à la main)

Général de La Porte du Theil, présentez-nous ces fameux Chantiers de Jeunesse que vous avez dirigés. Quelle était leur finalité, leur esprit, leur fonctionnement ?

JLT (se redressant, voix solennelle)

Les Chantiers de la Jeunesse française, créés à l’été 1940, avaient pour mission de former et encadrer la jeunesse de vingt ans, privée de service militaire par l’armistice.

C’était une institution destinée à reconstruire une jeunesse saine, disciplinée, enracinée.

J’ai affirmé à maintes reprises :

(il lève la main comme pour prêter serment)

« La formation morale doit s’appuyer sur le culte de l’honneur et la vie en commun ; la formation virile se forge dans l’exercice physique. »

LP (sarcastique)

Voilà pour la théorie. Mais en pratique ? Était-ce éducation ou embrigadement ?

JLT (s’énervant légèrement)

Les jeunes vivaient en camp, près de la nature. Ils travaillaient aux forêts, aux routes, à l’aménagement du territoire. C’était rude, mais c’était pour les préparer à servir la France.

J’ai toujours dit : « Savoir se tenir est un devoir moral. Le relâchement de 1940 était physique et moral. Un peuple sans muscles ne peut gagner de guerre. »

LP (froid)

Un peuple sans liberté non plus, général.

(tournant la tête vers le témoin)

Christophe Pécout, vous qui avez étudié ces camps, éclairez-nous.

CP (se levant, posant ses lunettes)

Ces Chantiers n’étaient pas neutres. Ils portaient l’empreinte de la Révolution nationale.

Pétain disait dès juin 40 :

(il cite avec gravité)

« C’est vers l’avenir que nous devons tourner nos efforts. C’est un redressement intellectuel et moral que je vous convie. »

Le nouveau régime accusait l’école républicaine d’avoir failli, jugée trop intellectuelle, trop laxiste. Les Chantiers voulaient régénérer la jeunesse française par l’obéissance, le plein air, l’effort physique, et surtout la soumission.

LP (hoche la tête, incisif)

Donc, une jeunesse encadrée, modelée selon l’idéologie de Vichy. Pas une éducation libre, mais un dressage.

JLT (frappant la table de la paume)

Je refuse ce terme ! J’ai voulu former des hommes solides, capables de relever le pays.

CP (posément)

Permettez, général : entre 1940 et 1944, environ quatre cent mille jeunes hommes ont été incorporés, contraints à huit mois de stage. L’organisation reprenait la hiérarchie militaire : commissariats, groupements, équipes… Jusqu’au terme choisi pour ces garçons : « jeunes de France ». Ce n’était pas un choix, c’était une obligation d’État.

LP (coupant, voix dure)

Voilà la vérité, général. Vos Chantiers n’étaient pas seulement des camps de travail, mais des outils idéologiques. Vous avez servi Pétain, vous avez façonné la jeunesse selon ses dogmes.

Et vous avez exclu, vous avez discriminé. Nous allons y venir.

(Silence tendu. Lumière qui se resserre sur JLT, isolé. Un roulement sourd de tambour marque la transition vers l’interrogatoire suivant, sur les Juifs et le STO.)

Acte I – Scène 1 (suite II)

Orientation idéologique des Chantiers, propagande, haine de l’occupant, autres mouvements de jeunesse, rôle de Carcopino, figure de Pétain omniprésente.

Décor : La salle d’audience reste la même, mais un panneau de propagande des Chantiers est soudain déroulé à l’arrière-plan : silhouettes de jeunes en uniforme, bras levés, le visage tourné vers le soleil, avec l’ombre protectrice du Maréchal Pétain. Les témoins s’avancent successivement au pupitre.

Personnages :

LP (Le Procureur)

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

Christophe Pécout (CP)

Dominique Rossignol (DR)

Jérôme Carcopino (JC)

(en témoin-mémoire, ses « souvenirs » prennent corps sur scène)

Pétain

(présence symbolique, voix off ou apparition en projection, incarne l’ombre idéologique)

* Dialogue

LP (se tournant vers JLT, ton accusateur)

Général, quelle était l’orientation idéologique de vos Chantiers ? Était-ce vraiment pour former des hommes libres, ou pour soumettre des consciences ?

JLT (fièrement, presque exalté)

Deux mots résument notre esprit : fidélité et servir. Fidélité au Maréchal, qui nous a sauvé du chaos. J’ai dit, et je le répète :

(il déclame avec force)

« C’est au Maréchal que vous devez de rester français. Union autour du Maréchal et fidélité !»

Et servir… Servir la Révolution nationale, qui seule pouvait régénérer la France abattue.

LP (ironique)

Servir… ou obéir aveuglément ?

DR (s’avançant, posant un dossier sur le pupitre)

La propagande, monsieur le Procureur, était partout. Le Bulletin officiel des Chantiers, d’abord dirigé par La Porte lui-même, relayait chaque mot d’ordre. Puis, dès janvier 42, le secrétariat général à l’Information en a pris le contrôle. Chaque semaine, les consignes étaient diffusées, amplifiées, répétées. La plume du général ne chômait pas.

LP (acquiesçant, puis à CP)

Et pourtant, Christophe Pécout, la jeunesse ne vibrait-elle pas d’un autre sentiment ?

CP (calme, analytique)

Oui. Malgré l’encadrement, une germanophobie persistait. Le rapport du 3 octobre 41 le dit clairement : les jeunes souhaitaient une victoire anglaise, applaudissaient quand l’ennemi souffrait. Non par gaullisme, ni par idéologie, mais par haine héréditaire de l’Allemand.

LP (à JLT, avec sévérité)

Alors, vos camps prêchaient fidélité au Maréchal, mais les cœurs restaient ailleurs.

JLT (sombre, crispé)

La fidélité s’enseigne, monsieur le Procureur. Tous n’étaient pas prêts à entendre.

LP (se tournant vers DR)

Dites-nous, Rossignol, y avait-il d’autres mouvements de jeunesse ?

DR

Oui. Mais bien moindres.

– Les Chantiers de jeunesse de la marine, créés par Darlan, à peine huit cents jeunes.

– Jeunesse et Montagne, fondée par l’Armée de l’air, douze mille au total.

Des chiffres dérisoires face aux quatre cent mille de La Porte.

LP (note sèchement)

Donc, une hégémonie.

Et sur le plan administratif ?

DR

De 41 à 43, rattachés au ministère de l’Instruction publique : mission éducative, disaient-ils.

Après mars 43, transfert vers la production industrielle, puis le travail : autrement dit, la collaboration économique, l’antichambre du STO.

LP (se tournant vers JC, qui entre lentement en scène, en uniforme de secrétaire d’État) Monsieur Carcopino, racontez-nous votre rencontre avec cet homme.

JC (voix posée, presque nostalgique, décrivant JLT comme une apparition)

Il entra dans mon bureau comme un apôtre en uniforme. Béret bleu, casaque beige, culotte bouffante, coutelas à la ceinture. À plus de cinquante ans, il avait l’allure d’un jeune chef scout.

Ses moustaches blondes, ses yeux clairs, sa carrure solide… Il irradiait d’énergie.

Religieux, fervent, il rêvait de régénération. Il croyait, sincèrement peut-être, mais il voulait former non des libres penseurs, mais des disciples soumis au mythe Pétain.

(Au fond de la scène, la silhouette de Pétain apparaît en projection : Francisque, emblèmes, portraits. Les jeunes des affiches tendent leurs bras vers lui.)

JC (poursuivant)

Partout, son image. Le chef, l’ombre tutélaire, le guide unique. Le jeune ne pensait plus pour lui-même. Il obéissait.

LP (claquant le dossier, coupant la vision)

Voilà le cœur du problème, général.

Vos Chantiers n’ont pas seulement encadré des bras, ils ont modelé des âmes. Et dans cette discipline, dans cette fidélité au Maréchal, il y avait la graine du zèle… et du crime.

(Silence lourd. La silhouette de Pétain se dissipe lentement, laissant le plateau dans une lumière froide. On entend un lointain roulement de tambour. La scène se fige.)

Acte I – Scène 2

Décor : La salle du tribunal s’assombrit, mais à l’arrière-plan, une grande carte de la France non occupée apparaît, avec des points lumineux représentant les cinquante groupements des Chantiers. Un bureau latéral, couvert de dossiers, illustre le siège central de Châtel-Guyon. À cour, une estrade évoque une école de cadres, avec uniformes pendus et drapeaux.

Personnages :

LP (Procureur)

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

Olivier Faron (OF)

Christophe Pécout (CP)

Figurants

(jeunes en uniforme, assis en rang derrière, silencieux, comme auditoire fantôme)

*Dialogue

LP (désignant la carte projetée)

Monsieur Faron, vous avez étudié la structure de ces Chantiers. Dites-nous, quelle était leur organisation réelle ? Était-ce une machine centralisée, ou bien un archipel aux couleurs locales ?

OF (s’avance, voix posée, ton d’historien)

La méthodologie que j’ai adoptée montre que les Chantiers ne se réduisaient pas au seul siège de Châtel-Guyon. Bien au contraire, chaque région avait sa propre école de cadres. Pas d’établissement central unique, comme à Uriage. Chaque province imprimait son empreinte.

(il désigne la carte)

Les cinquante groupements de la zone non occupée… aucun n’était une copie parfaite des autres. Leur autonomie locale était réelle, presque décisive. On y sentait les choix, les priorités, parfois même les résistances propres aux hommes qui les dirigeaient.

LP (aiguillon ironique, vers JLT)

Voilà donc un général qui, tout en prêchant l’unité autour du Maréchal, laissait ses troupes improviser ?

JLT (se redresse, crispé)

J’ai voulu une diversité dans l’unité. Une flamme ne brûle pas partout de la même façon, mais toutes nourrissaient le même brasier : le relèvement national.

LP (change de ton, grave)

Passons à une autre question : celle du service civil obligatoire. Christophe Pécout, que pouvez-vous nous en dire ?

CP (ton clair, presque pédagogique, s’adressant autant au tribunal qu’au public)

La question d’un service civil traverse encore notre époque. Mais il est une réalité que l’on oublie souvent : entre 1940 et 1944, il a existé en France un service civil obligatoire. Son nom: les Chantiers de la Jeunesse française.

C’était une nouvelle conscription, non plus militaire, mais idéologique et éducative.

LP (insistant)

Vous parlez de conscription ?

CP

Oui.

La jeunesse française devenait un enjeu politique, idéologique, économique. Vichy en fit le fer de lance de sa Révolution nationale. Les jeunes n’étaient pas seulement logés et formés : ils étaient façonnés.

Et l’on multiplia alors les organisations de jeunesse : scouts, Jeunesse catholique, mais aussi Compagnons de France, Équipes nationales, Jeune France, les Camarades de la route… Tous coordonnés par un secrétariat général à la Jeunesse, instrument de contrôle et d’endoctrinement.

LP (note dans son dossier)

Endoctrinement… le mot est lâché.

CP (poursuit, prenant appui sur un cahier)

L’expérience fut unique. Originale, parce qu’elle inventait un format civil de conscription.

Éducative, car elle expérimentait de nouvelles méthodes pédagogiques.

Elle anticipait même des initiatives plus récentes : travail d’intérêt général, brassage social, vie en commun, formation morale.

Mais, monsieur le Procureur, il ne faut pas s’y tromper : tout cela n’était pas libre. Ce n’était pas un volontariat, c’était une obligation. Une contrainte au nom d’un idéal imposé.

LP (vers JLT, cinglant)

Un idéal… ou une servitude ?

JLT (d’une voix ferme, presque vibrante)

Un service à la France ! Voilà ce que j’ai voulu. Servir ensemble, apprendre l’effort, bannir l’indiscipline. Oui, c’était obligatoire, mais la grandeur n’est pas une option, monsieur le Procureur.

LP (fermant brutalement le dossier, ton tranchant)

Grandeur, ou illusion de grandeur ?

Dans vos camps, général, on forgeait moins des citoyens que des sujets. Des corps dressés, des consciences alignées. Voilà ce que les faits révèlent.

(Silence. Les jeunes figurants en uniforme se lèvent d’un seul mouvement mécanique, frappent leur poitrine, puis sortent en rang, laissant la scène vide et glaciale. Une lumière blafarde tombe sur JLT, seul, raide, figé dans sa fidélité.)

Acte I – Scène 3 : Genèse et organisation des Chantiers

Décor :

Le tribunal s’efface dans la pénombre. Au fond de la scène, une grande toile peinte représente des baraquements de bois dressés dans une clairière, avec des drapeaux frappés de la francisque. À jardin, une carte de France avec des provinces tracées. À cour, un bureau militaire où s’empilent des dossiers estampillés « Commissariat général ». Quelques jeunes figurants en uniforme, assis sur des bancs rustiques, murmurent comme un chœur.

Personnages :

LP (Procureur)

Christophe Pécout (CP)

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

Figurants

(jeunes en uniforme, chœur)

*Dialogue

LP (se lève, dossier à la main, ton solennel)

Christophe Pécout, éclairez ce tribunal. Quelle fut la genèse de ces Chantiers ? D’où vient leur organisation ?

CP (s’avance, voix claire, ton didactique mais grave)

Le 22 juin 1940 : la convention d’armistice. Elle supprime le service militaire. L’armée française se retrouve alors avec deux contingents : quarante mille soldats démobilisés et cinquante mille jeunes mobilisés de juin.

(il fait signe aux figurants qui se lèvent, mimant la confusion d’une troupe désœuvrée) Que faire d’eux ? Les dissoudre ? Les abandonner ? Non. L’état-major décide de les regrouper dans des camps.

LP (désignant JLT)

Et l’homme choisi fut…

CP

Joseph de La Porte du Theil. Un général reconnu, un éducateur passé par le scoutisme. On lui confia d’abord une mission provisoire. Mais, très vite, l’exception devint loi.

Le 30 juillet 1940, puis le 18 janvier 1941, naît un service civil obligatoire. Désormais, tout jeune Français de vingt ans, en zone libre, devait effectuer huit mois dans ces Chantiers.

LP (vers JLT, accusateur)

Vous avez donc transformé un regroupement temporaire en institution d’État.

JLT (se lève, voix vibrante)

Oui ! Parce qu’il fallait discipliner, occuper, former. Ces jeunes ne devaient pas errer. Ils devaient servir, bâtir, se régénérer.

CP (déroulant un schéma sur la carte, s’adressant au public comme à une classe)

L’organisation était pyramidale :

– Au sommet, le Commissariat général, à Châtel-Guyon.

– Ensuite, six provinces : Alpes-Jura, Languedoc, Auvergne, Pyrénées-Gascogne, Provence, Afrique du Nord. Chacune avec son commissaire et son école de cadres.

– Puis les groupements : près de deux mille hommes chacun, huit à dix par province, cinquante-deux en 1942.

– Enfin, la subdivision : groupes de deux cents, équipes de douze.

LP (ironique)

Un quadrillage parfait… digne d’une armée de papier.

CP (poursuit, implacable)

Les Chantiers s’inspirent du service militaire, mais aussi du scoutisme. On y retrouve le salut, l’uniforme, le code, la route, la vie au grand air, le sens de Dieu.

Et plus encore : l’ombre allemande. Le Service du travail du Reich, créé en 1935, plane sur vos structures.

(les figurants se mettent au garde-à-vous, chantant quelques mesures d’un chant martial allemand, vite couvert par un tambour sourd)

Travaux pour la communauté, vie de camp, brassage social, formation physique… Ce n’est pas un hasard si les Allemands appelaient cela le « service du travail français ».

LP (claquant son dossier)

Vous entendez, général ? Vos Chantiers, que vous prétendiez patriotiques, furent perçus par l’occupant comme une imitation de leur propre machine.

JLT (se redresse, poing serré)

Je n’ai jamais copié ! J’ai adapté ! J’ai voulu une jeunesse forte, disciplinée, unie. La France devait renaître de ses ruines.

LP (froid, tranchant)

Mais à quel prix, général ?

(Silence lourd. Les figurants s’asseyent à nouveau, tête basse, comme écrasés par le verdict invisible.)

Acte I – Scène 4 : Les acteurs des Chantiers

Décor :

La clairière se transforme : à cour, une baraque servant d’infirmerie avec un brassard de la Croix-Rouge accroché à la porte. À jardin, une petite chapelle de bois avec une croix. Au centre, une estrade où se tiennent commissaires et officiers en uniforme. Sur le devant de la scène, un pupitre de tribunal où LP interroge tour à tour les témoins.

Personnages :

LP (Procureur)

Christophe Pécout (CP)

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

Un Commissaire de groupement (CG)

Une Infirmière de la Croix-Rouge (INF)

Un Professeur détaché (PROF)

L’Aumônier catholique, Marcel-Denys Forestier (AUM)

L’Aumônier protestant, Marc Boegner (BOE)

Jeunes figurants

*Dialogue

LP (s’adressant au public, puis à CP)

Parlons maintenant des hommes et des femmes qui faisaient vivre ces Chantiers. Qui étaient-ils ? Quels rôles tenaient-ils ?

CP (avance, avec un ton professoral)

Trois catégories. Trois univers mêlés dans un camp clos :

– Les cadres à statut, officiers, commissaires, chefs de groupe.

– Le personnel civil, sous contrat.

– Les jeunes eux-mêmes, enrôlés, main-d’œuvre au salaire journalier.

(À mesure qu’il parle, chaque personnage entre en scène, venant se placer à son poste.)

CG (se présentant avec raideur militaire)

Nous étions les cadres. Officiers, sous-officiers, aspirants. Nous avions mission d’encadrer, de former. Mais pas seulement. Nous étions « officiers-éducateurs ». Héritiers de Lyautey, nous pensions qu’un militaire devait instruire autant que commander.

JLT (acquiesce, avec chaleur)

Oui ! Je vous ai choisis parce que vous saviez unir la discipline et l’âme. Former des soldats de la terre et de l’esprit !

LP (sarcastique)

Ou endoctriner, plutôt…

INF (douce mais ferme, avançant avec sa coiffe blanche)

Moi, j’étais infirmière. Croix-Rouge. Nous soignions les fièvres, les blessures de chantier, les âmes en détresse aussi. Nous aidions aux papiers, aux permissions. Les garçons nous confiaient leurs doutes, parfois leurs révoltes.

PROF (posant un dossier sur la table, ton neutre mais inquiet)

Et moi, professeur. Détaché de mon lycée, un an renouvelable. On nous appelait pour légitimer l’entreprise. J’enseignais les classiques, l’histoire, parfois même la morale. Mais je savais que derrière mes cours planait l’ombre du Maréchal.

AUM (sort de la chapelle, soutane sombre, voix grave)

« On ne fait pas une société sans Dieu », disait le général. Je le croyais. Aux messes, je prêchais le retour aux valeurs chrétiennes : rejet du matérialisme, rejet de la lutte des classes.

BOE (s’avance, Bible à la main, regard sévère)

Moi aussi. Protestant, mais d’accord avec lui. Ces Chantiers étaient pour nous un champ d’apostolat. La jeunesse devait être sauvée, guidée, fortifiée. Et la Révolution nationale nous offrait ce terrain.

LP (ironique, presque glaçant)

Église, école, armée, Croix-Rouge… toute la société rassemblée sous un seul drapeau, celui de Pétain. Et les jeunes ?

CP (désignant les figurants assis sur des bancs de bois)

Eux, les derniers acteurs. Mais sans liberté. Obligés, encadrés, formatés. Leur salaire journalier ? Une solde symbolique. Leur rôle ? Obéir.

Jeunes figurants (en chœur, monotones, comme un écho)

Obéir… servir… être fidèles…

(Un silence. Les regards se croisent. Les différents intervenants semblent mal à l’aise, pris dans le piège de leurs propres paroles. JLT serre les poings, la tête haute. LP referme son dossier avec fracas.)

LP (au public)

Voilà donc vos Chantiers : une société miniature. L’armée, l’école, l’Église, la Croix-Rouge… et au centre, une jeunesse prisonnière.

(Noir. Fin de la scène.)

Acte I – Scène 5 : Les Jeunes de France

C’est une scène clé, car elle introduit les exclus (juifs, étrangers) et donne un visage sociologique à cette « jeunesse encadrée ».

Décor :

La clairière se remplit de vie : à jardin, une longue file de jeunes hommes attendent devant une table d’incorporation (un fonctionnaire enregistre, un médecin ausculte, un soldat distribue les paquetages). Au centre, une pile de sacs, bérets bleus et casaques beige. À cour, une pancarte : Chantier n° X – Entrée des Jeunes de France.

Personnages :

LP (Procureur)

Christophe Pécout (CP)

Joseph de La Porte du Theil (JLT)

Un Fonctionnaire d’incorporation (FONC)

Un Médecin militaire (MED)

Un Jeune paysan (J1)

Un Jeune étudiant (J2)

Un Jeune artisan (J3)

Un Jeune ouvrier (J4)

Un Jeune juif refusé (JJ)

Figurants – file de jeunes

*Dialogue

LP (ouvrant le dossier)

Qui sont ces « Jeunes de France » dont vous faites vos troupes civiles ?

CP (s’avançant, didactique)

Toute la jeunesse masculine de 20 ans en zone libre. Les classes 1940, 41, 42, 43, 44. Près de 400 000 jeunes, jusqu’en juin 1944.

(Il désigne la file. Les jeunes avancent un à un pour passer l’incorporation.)

FONC (installé derrière la table, voix sèche)

Nom ? Prénom ? Profession ?

J1 (un sac sur l’épaule, timide)

Pierre, cultivateur, Haute-Loire.

FONC (tamponne un document, lui tend un paquetage)

Apte. Chantier huit mois. Prochain !

J2 (lunettes rondes, hésitant)

Jacques, étudiant en lettres, Lyon.

FONC

Tu peux demander un sursis. Mais il faudra justifier. Tu restes inscrit.

MED (examine J2, sec)

Sain. Il fera ses huit mois tôt ou tard.

(J2 recule, troublé.)

J3 (fièrement)

Antoine, menuisier, Toulouse.

FONC

Bon. Tu serviras la patrie autrement que par les armes. Paquetage !

J4 (chemise simple, mains calleuses)

Louis, ouvrier métallurgiste.

MED

Robuste. Il tiendra à la hache et à la pioche.

(Le paquetage lui est jeté. J4 s’éloigne, résigné.)

JJ (arrive, nerveux, tend ses papiers)

André, commerçant, Bordeaux.

FONC (lit, fronçant les sourcils)

Tu es juif. Loi du 2 juin 1941. Interdit.

JJ (pâle, voix tremblante)

Mais… je suis né ici, je suis Français…

FONC (froidement)

Radié. Va-t’en.

(JJ sort lentement, tête baissée. Un silence lourd tombe sur la scène. Les autres jeunes le regardent, certains troublés, d’autres baissent les yeux.)

LP (d’une voix grave, au public)

Voilà la jeunesse que l’on voulait unir. Les paysans, les artisans, les ouvriers, les étudiants… mais sans les juifs, exclus, rejetés, effacés des rangs. Une unité nationale fracturée dès son origine.

JLT (se lève brusquement, ton martial)

Non ! Ces jeunes deviennent les fils d’une France nouvelle. Huit mois de plein air, de travail, de sport, de chants. Huit mois pour redonner des muscles à l’âme et au corps !

Jeunes figurants (saisissant leurs paquetages, en chœur monotone)

Huit mois… travail… obéissance… servir…

(Un tambour bat au fond de la scène. Les jeunes se mettent en marche, sac au dos, pas cadencé, sortant en file. Seul reste l’ombre du jeune juif, assis au loin, rejeté, immobile.)

LP (refermant le dossier)

Servir… ou disparaître. Telle était la règle des Chantiers.

(Noir.)

Scène : Endoctrinement

Personnages :

LP

(intervieweur, sobre, carnet en main)

Pierre Giolitto

(historien, ton professoral, parfois ironique)

Décor : une salle simple, avec une table et deux chaises. Sur la table, des dossiers empilés, un micro comme pour une conférence.

Costumes : LP en costume sombre, Giolitto en veste claire avec lunettes.

Durée estimée : 6 à 7 minutes de jeu.

* Dialogue

LP

(en s’avançant légèrement)

En quoi consiste, selon vous, la priorité de formation générale de la jeunesse aux Chantiers ?

Pierre Giolitto

(ouvre un dossier, le consulte)

Ces jeunes accomplissent un service civil. L’idée est d’assurer leur cohésion morale par la vie en commun, leur développement physique par les exercices sportifs, et de les occuper à des travaux d’intérêt général.

LP

(sceptique)

Une école prolongée, en somme ?

Pierre Giolitto