Vicissitudes de la cause de béatification de Benoîte Rencurel - Paul Weisbuch - E-Book

Vicissitudes de la cause de béatification de Benoîte Rencurel E-Book

Paul Weisbuch

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Beschreibung

Simple paysanne illettrée, Benoîte Rencurel est la fondatrice du sanctuaire de Notre-Dame-du-Laus, dans les Hautes-Alpes, près de Gap. À la demande de la Vierge Marie, qui lui apparaît pendant cinquante-quatre ans, elle se consacre à la conversion de milliers de pécheurs, attirant la colère du malin. Celui-ci la persécute de son vivant et influence la cause de sa béatification après sa mort. Des historiens mettent en doute sa santé mentale, alléguant des hallucinations sans fondement médical, retardant ainsi sa canonisation. Bien que le processus de béatification ait débuté en 1871, il se heurte à l’absence de miracles et à un manque de recherches sérieuses. Malgré la réouverture de la cause en 1981, elle demeure en suspens, attendant le miracle nécessaire pour sa canonisation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Weisbuch a été profondément marqué par l’histoire de Benoîte Rencurel, ayant consacré sa vie à la mission de conversion que la Vierge Marie lui avait confiée. Après une carrière de chercheur au sein d’un organisme de recherche et un brillant doctorat en histoire du droit et des faits sociaux, il devient juge d’instruction. Face aux criminels et proxénètes dans sa ville, il survit miraculeusement à une série d’attentats. Il attribue ce « miracle » à l’intercession de Benoîte Rencurel. En reconnaissance, il rédige cet ouvrage en défense de sa sainteté.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Paul Weisbuch

Vicissitudes de la cause

de béatification de Benoîte Rencurel

© Lys Bleu Éditions – Paul Weisbuch

ISBN : 979-10-422-6689-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Aux amis de Notre-Dame-du-Laus, dans l’attente

de la canonisation de la Vénérable Sœur Benoîte Rencurel, décédée dans la sainteté le 28 décembre 1718

Introduction

La Vénérable Sœur Benoîte Rencurel est morte en odeur de sainteté le 28 décembre 1718, jour des Saints Innocents, à l’âge de 71 ans. Sa sainteté, écrit Bertrand Gournay, qui fut recteur du Laus, est inscrite au cœur des pèlerins, qui sont plus de 100 000 à venir au Laus chaque année depuis 1664. La Vierge lui est apparue de manière continue pendant 54 ans : la première fois, elle n’avait que dix-sept ans, et la dernière, ce fut le jour de sa mort. Ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter, Benoîte n’a pu faire le décompte innombrable des apparitions de Marie ni de celui des anges, des saints et de l’ennemi, Satan, dont les implacables persécutions l’ont tourmentée du berceau à son lit de mort.

La sainteté de Benoîte est acquise, mais elle n’est toujours pas canonisée, en dépit de deux procès canoniques. En effet, le premier n’a pas convaincu les juges romains, c’était en 1913, tandis que le second, réouvert par Jean-Paul II en 1981, attend l’accomplissement d’un miracle spécifique, condition sine qua non de la béatification de Benoîte. Il faudra ensuite qu’advienne un second miracle pour enfin voir Benoîte canonisée.

Ce parcours du combattant a été initié le 11 septembre 1864 par Mgr Bernadou, évêque de Gap. Depuis, dix-sept évêques lui ont succédé. Quand donc prendra-t-il fin ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? Puisque le Ciel ne répond pas, facétieux, le Père Desplanches, recteur du Laus, propose une explication terre-à-terre et humoristique : ce serait la faute de la médecine, car il y a de plus en plus de traitements, donc de moins en moins de miracles ! Ce serait aussi à cause des frais de dossier, car Rome est comme toutes les administrations : il faut bien la faire tourner (Dauphiné Libéré 04/2024). Ce trait d’humour est évidemment à prendre au second degré, sachant que le miracle, manifestation de la puissance divine, est l’œuvre de Dieu, qui en décide certes souverainement, mais en toute opportunité.

En 1996, le rapporteur de la Congrégation pour les causes des saints présumait un délai d’attente de cinq ans, voire plus court, « à moins d’une accélération providentielle » espérée par le Père Combal (Biographie documentée de Benoîte Rencurel, p. XV). La question qui se pose aujourd’hui n’est plus de savoir combien de temps il faudra encore attendre, mais de décrypter la raison pour laquelle le Ciel s’abstient d’agir.

Avec le recul du temps, il est apparu que l’argumentaire construit à l’intention des juges romains met en cause la santé mentale de Benoîte et nie la réalité de son expérience diabolique. Toutefois, cela n’a pas empêché Mgr Di Falco de décréter, le 4 mai 2008, le caractère surnaturel des faits vécus et relatés par Benoîte Rencurel, ni par ailleurs le pape Benoît XVI de la déclarer Vénérable le 3 avril 2009.

Or, l’historien « officiel » du Laus, Roger de Labriolle, dans son ouvrage de référence, la bible du Laus Benoîte, la bergère de Notre-Dame-du-Laus, considère comme fausses non seulement les apparitions démoniaques, mais aussi celle de saint Maurice préparant et annonçant la première apparition de Dame Marie. On s’aperçoit, mais un peu tard, que le Malin s’est insinué dans la maison, qu’il ravage incognito. Tapi dans les recoins des travaux de Labriolle et de ses émules, il est parvenu à instiller le doute : si Benoîte hallucine, comme l’affirme péremptoirement Labriolle, son esprit divague, et ce qu’elle raconte ne serait que des histoires. Mais alors, quand dit-elle la vérité ? Miné, le terrain doit être impérativement déminé, et Satan démasqué. C’est ce que, pour agir, le Ciel demande qu’il soit fait. Sauf à prouver le contraire !

Première partie

Sainteté de Benoîte Rencurel

La sainteté caractérise la nature de Dieu et par extension l’état de vie de ceux qui par leur exemple et leur union au Christ sont des modèles pour les autres. La sainteté implique en conséquence de se donner et de se consacrer à lui exclusivement.

Dieu a choisi Benoîte pour convertir les pécheurs ici-bas. Elle a répondu oui à cet appel, et a consacré sa vie à l’exécution de cette mission divine, sous la direction de Marie qui l’a formée. Elle est donc l’instrument du Ciel pour contrer sur la terre Satan et le combattre. À ce titre, sa sainteté ne procède pas essentiellement des dons et grâces qu’elle a reçues du Ciel, mais de son combat victorieux contre le prince de ce monde.

La sainteté de la vie de Benoîte, innée depuis son plus jeune âge, se confirme en fin d’adolescence lorsque Marie lui apparaît au Vallon des Fours en 1664. Elle l’appelle alors à fonder au Laus le refuge des pêcheurs qu’elle a pour mission de convertir. Le pèlerinage du Laus se développe formidablement à la suite de la guérison miraculeuse de Catherine Vial, ce qui amène les autorités ecclésiastiques à enquêter sur ce qui s’y passe : quatre enquêtes officielles seront diligentées de 1665 à 1671, et toutes conclues à l’avantage de Benoîte, considérée comme sainte par l’Église. C’est dans ce contexte que l’église du Laus, voulue par Marie, est construite et inaugurée en 1669. Le développement exponentiel du pèlerinage du Laus où se convertit une multitude de pécheurs enrage Satan qui tente d’éliminer physiquement Benoîte, mais n’y parvenant pas, il la persécutera à mort sa vie durant. La sainteté de Benoîte se reconnaît par ailleurs à l’intensité de sa vie mystique émaillée de phénomènes surnaturels extraordinaires, innombrables et variés. Sa vie basculera en 1692, lors de l’invasion savoyarde qui la contraindra à fuir le Laus pour se réfugier à Marseille en passant par la Saulce où Marie lui apparaît dans l’Église pour l’avertir de l’imminence du danger et la protéger. À l’aller comme au retour de ce voyage, sa vertu et sa sainteté impressionnent. Elle a 45 ans. Les ennemis du Laus se lancent à l’assaut du pèlerinage, Benoîte subit l’hostilité et l’opposition des prêtres d’Embrun jusqu’en 1712. Puis viendra le temps de la sérénité avec le ministère des prêtres Gardistes, avant sa mort en odeur de sainteté le 28 décembre 1718.

A – Enfance et adolescence (1647-1664)

Contemporaine de Louis XIV (1638-1715), Benoîte Rencurel est née le 16 septembre 1647 et décédée le 28 décembre 1718. Elle fut baptisée le lendemain de sa naissance à Saint-Étienne d’Avançon, l’un des plus pauvres villages des Hautes-Alpes en Dauphiné. Ses parents, Guillaume Rencurel et Catherine Matheron, sont de modestes paysans, parents de deux autres enfants. Son père décède alors qu’elle n’a que 7 ans, elle est alors placée. Catherine Julien, nièce du curé Jean Fraisse, lui offre une place de bergère. Benoîte n’a ni le temps ni les moyens d’aller à l’école, elle ne saura donc ni lire ni écrire et comptera toute sa vie avec des glands. Très tôt, elle manifeste une prédilection mystique qui la pousse à prier dans l’église, à deux pas de chez elle, où elle éprouve un grand désir de voir la Vierge Marie et de se mettre à son service. Ses premiers employeurs la décrivent comme une fille, sage, modeste et pieuse. Elle lutte instinctivement contre le Mal, et fait prendre conscience autour d’elle de son influence négative (François de Muizon – La vie merveilleuse de Benoîte Rencurel. p. 26-27).

B – Le Vallon des Fours (mai 1664)

Adolescente, elle est en charge d’un important troupeau de moutons et de chèvres. En mai 1664, à l’âge de seize ans et demi, conduisant ses bêtes, au sommet de la montagne Saint-Maurice, au-dessus du village voisin de Valserres, elle croise un vieillard habillé de rouge qui porte un bonnet en pointe comme une mitre, qui a très bonne mine et une longue barbe. Cet homme se présente : « je suis Maurice », et il lui conseille d’aller dans le Vallon qui est au-dessus de l’église de Saint-Étienne où elle y verra la Mère de Dieu. Benoîte répond : « Hélas, Monsieur, elle est au ciel. Maurice rétorque : elle est au ciel et sur la terre. » Ce lieu est appelé Vallon des Fours, parce qu’on y produit du plâtre en cuisant sur place le gypse extrait de cette carrière. Au moment de redescendre le troupeau, Maurice lui donne son bâton et la prévient qu’elle croisera quatre loups bien décidés à dévorer des bêtes du troupeau, mais « qu’en les menaçant avec le bâton, ils s’en iront sans faire de mal » (ibidem p.29). François Muizon interprète cet événement comme l’annonce de la future Mission du Laus, lutter contre les forces du Mal, symbolisées par les loups (ibidem).

En ce mois de mai 1664, Benoîte retourne au Vallon des Fours avec son troupeau. Tandis qu’elle récite son chapelet, levant la tête, elle voit : « une belle dame avec un petit enfant d’une beauté extraordinaire qu’elle tient par la main ». Cette dame entre et sort à plusieurs reprises d’une cavité du rocher. Benoîte l’interpelle : « Belle dame, que faites-vous là-haut ? Voulez-vous acheter du plâtre ? » N’obtenant pas de réponse, Benoîte lui propose de partager un peu de pain « qui est bon et que nous tremperons à la fontaine ». Spontanément, elle ajoute : « Voulez-vous me donner cet enfant qui me réjouit tant. » La dame disparaît de l’excavation avec son enfant (ibidem p.30).

Au mois d’août suivant (1664), un magistrat éminent, François Grimaud, membre du Parlement de Grenoble et juge de la vallée de l’Avance, responsable à ce titre de l’ordre public, prend l’initiative d’une enquête sur ces événements extraordinaires, peut-être surnaturels. Il rapporte : « Elle me confirma les diverses apparitions avec une assurance et une gaieté sans pareille. » Pour s’assurer de sa bonne foi, il la fait surveiller, puis il procède à des interrogatoires. À l’issue de ses investigations, il la trouve fort raisonnable, d’humeur sincère et nullement capable d’invention. Mais, il lui faut absolument identifier cette dame mystérieuse, ce qui n’est possible que par l’intermédiaire de Benoîte qu’il invite à mémoriser le texte de la question à lui poser : « Ma bonne dame, je suis et tout le monde en ce lieu, en grande peine pour savoir qui vous êtes ! Ne seriez-vous point la mère de notre Bon Dieu ? Ayez la bonté de me le dire, et l’on fera bâtir ici une chapelle pour vous y honorer et servir. » Mais la dame ne répond pas.

Le 29 août, fête de Saint-Jean-Baptiste, le curé du village organise une procession au Vallon des Fours, à l’entrée de la grotte des apparitions. Grimaud est présent, il demande aux villageois de s’écarter. La dame exige de faire retirer tout le monde. Grimaud se tient à cinq ou six pas. Benoîte s’écrie : Monsieur le juge, voyez-vous la dame ? Je la vois. Venez vite. Grimaud et Benoîte échangent entre eux : « Où est-elle ? Quoi, vous ne la voyez pas ! Je n’en suis pas digne, c’est pourquoi je ne la vois pas. Monsieur, elle vous tend la main ! À cet instant, avoue-t-il, je me suis demandé si quelque chose allait me toucher, mais il ne s’est rien passé. » Cependant, Grimaud reprend ses esprits et rappelle à Benoîte la consigne de demander à la dame son nom. « Elle s’appelle Dame Marie » (ibidem p.49). Comprendre la Mère de Dieu.

Le juge Grimaud adresse à l’évêque d’Embrun un compte-rendu circonstancié de l’événement. Il est témoin oculaire, et par conséquent direct de la première apparition du 29 août 1664, mais il est aussi magistrat compétent pour dresser procès-verbal de ses constatations. La force probante attachée à son constat est maximale, car il fait foi non seulement jusqu’à preuve du contraire, mais également jusqu’à inscription de faux, s’agissant d’un acte authentique émanant d’un juge dans l’exercice de ses fonctions. Ce document officiel intitulé : « Relation véritable de la Sainte Vierge tenant par la main Nostre Seigneur Jesus Christ à Benoîte Rencurel, bergère dans la paroisse de Saint-Étienne d’Avançon, au diocèse d’Embrun, et des miracles que Dieu a opérés ensuite par l’intercession de la Sainte Vierge dans la chapelle qui est dans un hameau appelé le Laus » (1667 : copie authentique Galvin p. 473-489) fonde l’histoire critique de la vie de Benoîte Rencurel.

C – La fondation du Laus (1664-1665)

Au mois de septembre de cette même année, Dame Marie apparaît à Benoîte au lieu-dit du Pindrau où on accède par un sentier en lacets qui ouvre la voie au Vallon du Laus. Menant son troupeau sur ce chemin, Benoîte voit au Pindrau la Dame, très lumineuse, qui lui déclare : « quand vous me voudrez voir désormais vous le pourrez dans la chapelle qui est au lieu du Laus. Et elle disparut après » (Manuscrit Grimaud p.477). Grimaud apporte cette précision : « elle ne manqua pas le jour suivant de laisser ses brebis au pasquis et de s’en aller au lieu que la Sainte Vierge luy avoit dict de la y voir ».

La chapelle en question, appelée Notre-Dame de Bon Rencontre, est vouée à Notre Dame de l’Annonciation. Elle mesure une douzaine de mètres carrés, son toit est revêtu de chaume, Benoîte déplore sa pauvreté. C’est dans cette humble chapelle qu’a lieu la première apparition de la Dame du Laus, fin septembre 1664. Marie lui dit « que dans peu de temps il n’y manquera rien, ny nappes, ny ornements ; qu’elle y veut faire bastir une église à l’honneur de son très cher Fils et d’elle, où beaucoup de pécheurs et de pécheresses se convertiront, qui sera de la largeur et longueur qu’elle doit estre, et comme elle veut ; que c’est là où elle la verra très souvent » (Manuscrit Gaillard 13-XXII). Ainsi donc, la mission assignée au Laus et à Benoîte, c’est la conversion des pécheurs. Marie annonce par ailleurs que ses apparitions en ce lieu se renouvelleront. En effet, demeure de Marie, à ce titre lieu saint, la chapelle de Bon-Rencontre deviendra un haut lieu de mariophanie pendant 54 ans, jusqu’à la mort de Benoîte en 1718.

Dès 1665, des processions s’organisent dont 35 le 3 mai. Pierre Gaillard, chanoine de Gap, vicaire général et official général monte au Laus le 17 ou 18 août et y constate grâces et guérisons. Confesseur de Benoîte et second directeur du Laus, il succède au juge Grimaud et soutient la bergère dans la réalisation de sa mission. Ils sont tous deux auteurs des deux principaux manuscrits du Laus, ès qualité de témoins oculaires et de leurs fonctions officielles. Pierre Gaillard est en outre le confesseur de Benoîte, mais aussi sa plume, car elle est totalement illettrée. De son côté, le juge Grimaud dresse les procès-verbaux des guérisons physiques qu’il constate. Rappelons que ces procès-verbaux sont authentiques et font foi. C’est ainsi qu’il acte la première guérison le 28 juin 1665, et dix-huit autres entre cette date et le 8 septembre : fièvres, maux de jambes, malformations, relaxation, phtisie, guérison d’une femme muette, d’enfants moribonds.

D – La guérison miraculeuse de Catherine Vial

(18/09/1665)

Entre toutes, une guérison va faire date dans l’histoire du Laus, celle de Catherine Vial, car Antoine Lambert, vicaire général d’Embrun dont dépend le Laus, se trouve au Laus pour y mener une enquête officielle sur ce qu’il s’y passe. Il interroge donc Benoîte dans la semaine du 14 au 19 septembre 1665. Elle veut se sauver, mais « la Mère de Dieu luy apparoit qui luy dit de demeurer, qu’il falloit rendre raison aux gens d’Église sans crainte » (Gaillard 16-X). De fait, Lambert se prononce en faveur du Laus qu’il consolide et aide à régler l’administration de la chapelle.

Le mercredi 16 septembre au soir la pluie retient Lambert au Laus pour deux jours. Est présente une jeune femme de 22 ans, Catherine Vial, femme de Gabriel Bois qui s’est fait porter de Saint-Julien en Beauchêne au Laus dans l’espoir d’y être guérie « ayant oui que beaucoup des grâces, faveurs et bénédictions avoient esté obtenues à Nostre Dame de Bon Rencontre audit lieu du Laus auquel il y a un si grand concours de peuple, qu’il s’y est rencontré dans un même jour plus de quinze ou seize processions : les unes venant même près de deux journées loin : ce qui luy avoit fait prendre la résolution de se faire porter audit lieu du Laus » (premier PV d’audition de Catherine Vial dressé par A. Lambert et recopié mot à mot par P. Gaillard. cop.aut. 21). Catherine est infirme de ses deux jambes, ses talons s’étant rétrécis depuis six ans et repliés jusqu’aux cuisses de sorte qu’on ne pouvait passer quoi que soit entre. Son infirmité est incurable. Elle a commencé une neuvaine au Laus le 9 septembre, demeurant le jour sur une table au dehors de la chapelle, et couchant la nuit avec sa mère dans la maison de Jean Jullien, leur hôte. Dans la nuit du jeudi au vendredi 18 septembre, jour anniversaire des dix-huit ans de Benoîte, à la clôture de la neuvaine, Catherine Vial s’écrie : « loué soit Dieu ! J’ay étendu mes jambes ». Elle est guérie.

Au matin, elle se fait porter à la chapelle où Lambert célébrait la messe, tandis que Gaillard servait en présence du juge Grimaud. Tous deux vont dresser quatre procès-verbaux dont deux concernant la chapelle et les deux autres la maison Jullien où Catherine avait passé la nuit. Il a été procédé à trois interrogatoires, deux à la chapelle et un autre chez Jean Jullien. L’enquête, menée par des professionnels est rigoureuse. Tous ceux qui ont vu et qui par conséquent sont témoins directs de la guérison ou impliqués ont signé les procès-verbaux, à commencer par Lambert et Gaillard, au total dix personnes sans compter tous les Vial dont Catherine, sa mère, son frère, Claude Durant, Jean Jullien, Fraisse curé du lieu, Honoré Bertrand et Pierre Meyssonier.

M.-A. Vallart-Rossi qui a décortiqué ces procès-verbaux, souligne la force probante qui leur est attachée. Le formalisme juridique imposé par le droit canon garantit la fiabilité de l’enquête. La vérification et à la confrontation des dires de Catherine Vial avec les témoignages précis et concordants des occupants de la maison Jullien cette nuit-là, authentifient la véracité de la guérison. (op.cit, p. 169-175).

La coïncidence de ces deux événements, l’enquête Lambert ponctuée par la guérison miraculeuse de Catherine Vial, n’est pas fortuite. S’il est vrai que la mission au Laus du Grand Vicaire d’Embrun est de nature ecclésiastique, en revanche le miracle est affaire céleste, car Dieu a guéri Catherine Vial sur l’intercession de Marie auprès de son fils. Ce n’est donc pas un hasard si ces deux événements surviennent de concert, conformément à la volonté de Dieu de fonder et développer le pèlerinage du Laus. C’est désormais chose faite. Des foules considérables montent au Laus, la dévotion y est reconnue et le culte organisé selon le Règlement de Lambert, avec l’aide de P. Gaillard et sous la direction de F. Grimaud.

E – Construction de l’église voulue par Marie

(1666-1669)

Fin septembre 1664, Marie avait annoncé la construction d’une église en l’honneur de son très cher Fils et d’elle-même où beaucoup de pécheurs et de pécheresses se convertiront. Immédiatement après la guérison de Catherine Vial, Lambert, le grand vicaire d’Embrun, met à exécution l’ordre de Marie. À l’automne 1665, il demande à P. Gaillard, son homologue de Gap, de prendre les choses en main. Une église intégrant la chapelle va sortir de terre. Le chantier est ouvert dès le 12 juillet 1666, les limites des fondations sont tracées, et le terrassement commence. Une foule s’active autour du chantier. Gaillard fait rentrer les fonds nécessaires. Ce sont en fait les pauvres qui financent, tout a été bâti avec leurs deniers. La pose de la première pierre a lieu en août 1666. P. Gaillard a engagé tous ses biens, sa fortune, sa bibliothèque, sa maison et ses revenus. Grâce à sa volonté et à son énergie, l’église est achevée en 1669, en quatre ans. Un exploit ! auquel Benoîte est restée étrangère, sa mission céleste n’étant pas de bâtir, mais de convertir.

Pendant que l’on construit l’église, Marie édifie Benoîte. Elle lui apparaît vingt-deux fois pour la former spirituellement. Cette formation a un double objectif, convertir les pécheurs et les conduire au sacrement de Réconciliation (op. cit. p.200).

Les bonnes odeurs accompagnent la présence de Marie.

1669 est une année charnière : l’église voulue par Marie est construite, les pèlerins viennent y prier, assister aux messes et se confesser, tandis qu’arrive au Laus Jean Peythieu, nommé chapelain qui se révélera un infatigable défenseur du pèlerinage, un confesseur mort d’épuisement le 19 mars 1689. Confesseur par ailleurs de Benoîte, c’est un homme discret, mais essentiel dans l’histoire de Benoîte, car il en est non seulement le témoin oculaire, mais également l’un de ses biographes contemporains avec F. Grimaud, P. Gaillard et F. Aubin. Il est également témoin de la vie sainte de Benoîte, vérifiée par les enquêtes officielles ordonnées par l’autorité ecclésiastique.

F – Les enquêtes officielles (1670-1672)

Lambert, parti fin 1669, lui succède le nouveau vicaire général Jean Javelly, lui-même précédant l’arrivée en 1671 du nouvel archevêque d’Embrun, Mgr Brulart de Genlis. L’un puis l’autre initient deux procédures inquisitoires : d’abord la grande enquête d’Embrun diligentée par le nouveau vicaire général du 25 mai au 6 juin 1670, puis l’interrogatoire au Laus de Benoîte le 4 décembre 1671 mené par Mgr de Genlis en personne. Ces deux enquêtes, officielles, manifestent la volonté de l’Église locale de contrôler l’orthodoxie du pèlerinage du Laus et de sa fondatrice, Benoîte Rencurel. Les minutes de ces interrogatoires et le procès-verbal de la grande enquête ont été perdus pendant la Révolution, Toutefois, les historiens disposent des témoignages de P. Gaillard et de Jean Peythieu, rédacteur d’une notice sur « Ce qui arriva lorsque M. Javelly fit aller la Bergère Benoîte à Embrun pour l’examiner ». Notice extraite de ses Mémoires historiques sur Notre-Dame-du-Laus et sur Benoîte Rencurel, la bergère : 1685-1689 (cop. aux. 387-420).

Concernant la grande enquête, Javelly veut donc vérifier ce qui se passe au Laus et se faire son propre jugement sur Benoîte. Est-ce une mystificatrice, comme tant d’autres ? Pour les besoins de l’enquête, il l’oblige à se rendre à l’archevêché d’Embrun, à deux jours de marche, accompagnée de sa mère. Benoîte y est aussitôt placée « en garde à vue », mais sans les droits afférents, et sans contact avec l’extérieur. Elle répond à une commission d’enquête composée de jésuites et de prêtres locaux, sans défenseur. On l’observe et interroge sans répit de manière aléatoire et piégée, mais elle ne se laisse pas déstabiliser du haut de ses 23 ans. Durant les deux semaines de sa détention, du 25 mai au 6 juin, elle s’inflige un jeûne total exception faite de quelques cuillères d’eau la première semaine, puis plus rien. Elle n’a étonnamment ni faim ni soif, alors qu’il est impossible au plan médical de survire plus de 4 ou 5 jours sans boire. Les interrogatoires terminés, Javelly demande à Benoîte de rester à Embrun pour assister à la messe de la Fête-Dieu en la cathédrale le 5 juin 1670. L’orgue la ravit, elle tombe en extase. Elle voit alors la Vierge « habillée en Reyne, couronnée sur la teste, toute esclatante de lumière » (Gaillard cop.aut. XV, p. 52). Javelly est témoin de cet événement surnaturel, Benoîte n’hallucine pas, ni ne délire, ni ne fabule, elle est saine d’esprit, il en témoigne et clame haut et fort qu’elle est « une bonne et sainte fille » (ibidem). C’est une confirmation pour le Laus et sa servante.

Mais pour autant, la messe n’est pas dite, un contre-interrogatoire se profile. Mgr de Genlis qui a fait son entrée solennelle à Embrun le 7 novembre 1671 se rend au Laus le 4 décembre 1672, 17 mois après l’enquête de Javelly. Il a le dessein de faire enfermer la bergère et d’interdire la dévotion, s’il y reconnaissait de l’imposture, car il ne croit pas au Laus. Benoîte est interrogée le soir du 4 décembre 1671 pendant trois heures et demie par l’archevêque lui-même, en présence de Barthélémy Hermitte, chapelain et de Jean Peythieu, directeur du Laus. À la fin pour s’assurer de sa pureté, l’archevêque lui lance : « je vous veux marier, je vous feray une dot ». Benoîte se cabre et le prélat se rétracte aussitôt : « non, non, Benoîte, je ne veux point vous marier, je veux que vous soyez vierge toute votre vie » (Peythieu, cop.aut. p.394). De sa vie, il n’avait jamais rencontré semblable vertu. Édifié, il demande à Peythieu de lui rédiger un rapport circonstancié sur les événements du Laus et sur les remous et oppositions qu’ils suscitent. Il veut avoir une vue d’ensemble sur le pèlerinage et son influence. Ce rapport, « Histoire de ce qui s’est passé de plus extraordinaire à Notre-Dame-du-Laus », insiste sur les vertus de Benoîte, ses souffrances, son usage des sacrements et ses visions. Il réfute par ailleurs les critiques malveillantes et les calomnies.

Pour la quatrième fois, par la bouche de cet archevêque, l’Église s’est prononcée en faveur du Laus et de Benoîte. Son innocence et sa pureté d’âme et de corps ont eu raison des préventions et de la malveillance des ennemis du Laus. Benoîte est sur la voie de la sanctification.

G – La fuite à Marseille (août-septembre 1692)

Fin juillet 1692, les armées du duc de Savoie, Amédée II, assiègent la région : Guillestre, Embrun, puis Gap tombent. Le château de Tallard est incendié. Les ennemis pillent, détruisent, violent, de préférence les religieuses. Le danger est réel et imminent. Il faut fuir, mais Benoîte refuse de quitter le Laus. L’Ange lui dit alors de s’en aller avec les prêtres, car elle ne pourrait pas endurer le martyre que les ennemis lui feraient souffrir (Gaillard, cop. Aut. p.161). Afin de préserver l’instrument du pèlerinage, les prêtres forcent Benoîte à fuir avec eux. À la Saulce, où les fuyards vont résider huit jours, alors que Benoîte balaye l’église, Marie « luy dit qu’après-demain les ennemis seroient là » (ibidem). Effectivement, l’ennemi arrive le jour dit. Benoîte est sauvée in extremis, ainsi que le village.

Marie dirige alors Benoîte sur Marseille où elle demeure un mois. Elle est hébergée par M. de Rémuzat, un grand homme de bien. L’ange lui apprend que les ennemis avaient brûlé la maison des prêtres du Laus. La voyant affligée, l’ange la rassure et lui annonce que la maison sera bientôt rebâtie et qu’elle-même participera à sa reconstruction en allant à la montagne de Théus le jour de la Saint-Jean, et que là on lui donnera beaucoup de bois ; il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter. De son côté, Marie lui apprend que « si Dieu n’eût envoyé une pluye douce alors que le feu se fut pris à la sacristie, il aurait peut estre bruslé le couvert de l’église ». Elle est avertie par son ange de tout ce qui se passe au Laus (ibid.). L’Ange et Marie l’assistent dans son exil.

Précédée d’une réputation de sainteté, Benoîte va visiter cinq couvents en trois semaines. Tout ce qu’elle dit est plein de sagesse, l’Esprit saint semble s’exprimer par sa bouche, elle confie à chaque religieuse en particulier ce qui lui convient, connaissant leurs vertus et leurs imperfections. « Elle porte la sainteté partout » (de Muizon op.cit. p. 194). Son don de lire dans les consciences émerveille. La supérieure des Ursulines témoigne que la visite de la bergère a fait, en un seul jour, plus de bien à sa communauté qu’on n’en a fait en vingt ans (Gaillard, p.163-XI).

Ce voyage épique, Gaillard le résume en une synthèse fulgurante : « Que d’autres belles choses n’a-t-elle pas fait, et ne fait-elle pas tous les jours ! Combien de conversions elle a fait ! Combien de cœurs n’a-t-elle pas touchés ! Nous en disons quelques-uns, mais ce n’est comme rien au prix du reste qu’elle a fait en faveur des pécheurs, puisque dans sa route et son séjour d’un mois et quelques jours elle a fait des miracles et tant d’autres belles choses : un enfant parle, une personne aveugle reçoit la veue et guérit de l’épilepsie ; fortifiée de la grâce de Dieu et de la très bonne Mère, elle ramène les pécheurs à la pénitence, esclaire les consciences les plus ténébreuses, guérit par son seul attouchement un enfant relaxé ; les pierres la respectent et ne la touchent point à cause de son innocence, quand le maistre de la vigne la veut assommer… Benoite va dans tous les monastères, et à l’entrée des maisons religieuses comme elles-mêmes l’avouent, elle fait dans un après-dîner plus de fruict qu’elles n’en ont pas fait dans vingt ans. Quels doivent estre les fruits qu’elle a faits dans toute la ville en si peu de temps et en passant seulement ! » (ibid. p.166-XXIII).

De retour saine et sauve au Laus fin septembre 1692, Benoîte l’a été, car unie à Dieu comme instrument de sa volonté, sa personne est invulnérable, au grand dam de Satan.

H – Satan

Parmi les ennemis de Benoîte, il en est un particulièrement redoutable : Satan ! Elle l’a vaincu, mais à quel prix ! En effet, il a voulu l’assassiner, mais Dieu l’ayant interdit, il la persécutera. Pourquoi, cette hargne, tant de haine ? Parce que Benoîte détourne sa clientèle, les pécheurs convertis. Convertir, c’est la mission que le Ciel lui a assignée. Redoutable mission en ce qu’elle l’expose à la fureur démoniaque. Satan lui a déclaré la guerre : « delenda est Benedicta », il faut la détruire, arrêter l’hémorragie.

C’est ainsi que quinze jours après l’enquête de Lambert de mai-juin 1670 où Benoîte a triomphé, Satan contre-attaque. Ses sbires l’enlèvent la nuit et la séquestrent quinze jours durant dans un champ de blé à proximité de la maison des prêtres. Ils la torturent physiquement et spirituellement. Ils veulent la tuer, mais ils n’y parviennent pas, alors qu’elle vient de passer quinze jours sans boire ni manger, et sans faire ses besoins naturels. Elle est découverte par Jean Peythieu et Barthélémy Hermitte, autre nouveau prêtre affecté au Laus, dans un état effroyable, mais survivante. Elle sort de cette terrible épreuve victorieuse de Satan (Gaillard, cop. Aut. XV, p. 324-327).