Buffet froid à Pouldreuzic - Françoise Le Mer - E-Book

Buffet froid à Pouldreuzic E-Book

Françoise Le Mer

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Beschreibung

Téléréalité en pays breton.

Et vous, que feriez-vous si vous gagniez une très forte somme au loto ? Sans doute, l’idée de ce couple pour dépenser sa fortune ne vous serait-elle pas venue à l’esprit…
Sept personnes ont le bonheur de se voir choisies pour participer à un jeu télévisé. Elles devront, en quatre jours, résoudre une énigme élaborée par la production d’une grande chaîne. À la clé, 200 000 € pour le gagnant !
Dans un cadre enchanteur, un manoir de la commune de Pouldreuzic en pays bigouden, ces sept candidats vont rivaliser d’intelligence ou de duplicité afin de remporter le gros lot.
Ils sont loin, bien entendu, d’imaginer la diabolique surprise qui les attend…

Un thriller noir qui vous fera frémir jusqu'à la dernière page !

EXTRAIT

Le téléphone sonna. Contrariée, Hermione alla répondre, persuadée qu’il s’agissait d’Esther. Son intuition ne la détrompa pas. Sa sœur cadette, excitée comme une grosse mouche verte à l’odeur d’un vieux pont-l’évêque, venait aux nouvelles. Hermione était-elle prête ? Avait-elle songé à tout ? Esther aurait donné n’importe quoi pour prendre la place de sa sœur ! Pensez donc ! Participer à une émission de téléréalité ! Quelle chance ! Elle croisait les doigts - dodus du reste - pour que « sa grande Mimi » remporte, haut la main, la finale du jeu et qu’elle gagne la somme considérable de deux cent mille euros ! Qu’en ferait-elle ? Esther avait réfléchi toute la nuit à ce problème. Pourquoi Hermione n’achèterait-elle pas un appartement près d’elle, à Narbonne ? Elle vivrait alors entourée de l’affection des siens ! N’était-ce pas une excellente idée ?
Hermione Favennec coupa court à l’horripilant babillage de sa cadette, prétextant du fait que le chauffeur de taxi venait de sonner à la porte. En raccrochant, elle fut prise d’un léger vertige. Habiter Narbonne… Et puis quoi encore ? Pouah ! Être étouffée entre de la guimauve et un loukoum, très peu pour elle ! Qui plus est, ces deux friandises fadasses s’étaient reproduites ! Il faudrait, par-dessus le marché, supporter la mièvrerie de sa nièce qui n’aspirait qu’à faire un mariage d’amour, et la niaiserie de l’héritier mâle qui, à vingt-cinq ans, incapable de décrocher un boulot stable, habitait encore chez ses parents ! Plutôt crever !

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

C'est noir à souhait et le puzzle ne prend forme que peu à peu : une histoire passionnante au pays du cheval d'orgueil ! – Le Télégramme

À PROPOS DE L’AUTEUR

Avec seize titres déjà publiés, Françoise Le Mer a su s’imposer comme l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés et les plus lus.
Sa qualité d’écriture et la finesse de ses intrigues, basées sur la psychologie des personnages, alternant descriptions poétiques, dialogues humoristiques, et suspense à couper le souffle, sont régulièrement saluées par la critique.
Née à Douarnenez en 1957, Françoise Le Mer enseigne le français dans le Sud-Finistère et vit à Pouldreuzic.

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Françoise LE MER

 

 

 

Buffet froidà Pouldreuzic

 

éditions du Palémon

ZA de Troyalac’h

10 rue André Michelin

29170 Saint-Évarzec

 

DU MÊME AUTEUR

 

n°1 - Colin-maillard à Ouessant

n°2 - La Lame du Tarot

n°3 - Le Faucheur du Menez Hom

n°4 - L’oiseau noir de Plogonnec

n°5 - Blues bigouden à l’île Chevalier

n°6 - Les santons de granite rose

n°7 - Les ombres de Morgat

n°8 - Le Mulon rouge

n°9 - L’Ange de Groix

n°10 - Buffet froid à Pouldreuzic

n°11 - Amours sur Bélon

n°12 - Maître-chanteur à Landévennec

n°13 - Maux-de-tête à Carantec

n°14 - Les âmes torses

n°15 - Arrée sur image

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

www.palemon.fr

 

 

Dépôt légal 1er trimestre 2015

ISBN : 978-2-372602-55-6

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,des lieux privés, des noms de firmes, des situations existantou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2015 - Éditions du Palémon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remerciements

 

 

À Christiane Fraval mon amie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Antoine Simon,

À mes filleuls, Damien, Benjamin,

Claire-Marine et Brieuc.

 

 

Prologue

À partir de quel moment avait-elle pris l’habitude de placer leurs deux couverts l’un à côté de l’autre et non face à face comme aux premiers temps de leur union ? Cette question saugrenue lui traversa l’esprit au moment où elle disposait leurs verres sur la table. Elle ne l’approfondit d’ailleurs pas. Quelle importance, au fond ? Un couple de galets polis par les ans, émoussé aussi par d’obscurs cataclysmes ; voilà tout. Les corps fuient le mitan du lit, l’un à bâbord, l’autre à tribord, pour se serrer à nouveau les coudes au rituel des repas. On se nourrit côte à côte et non plus l’un de l’autre… C’est cela la force de l’habitude…

L’hôte d’honneur vers qui tendait toute leur attention, face à eux, avait ce soir-là l’humeur chafouine de quelqu’un qui annonce un grand malheur. Il ne s’agissait pourtant que de pluie pour le lendemain.

— Je te sers ta soupe ou tu préfères attendre ?

— Maintenant, si tu veux. De toute manière, elle est trop chaude.

Puis, ce fut l’interminable litanie des spots publicitaires. Il profita de ce point de suspension pour se rendre au cellier et en rapporter une bouteille de bordeaux qu’il déboucha. À cet instant-là, une égérie des années quatre-vingt prétendait que le shampooing qu’elle venait de découvrir changerait le cours de sa vie car elle le valait bien.

Il refroidit sa soupe de pot-au-feu avec une goutte de vin qu’il délaya dans son assiette tandis qu’elle lisait à voix haute, pour sa gouverne, les programmes à venir. Il écoutait sa femme d’une oreille distraite, préoccupé surtout de vérifier qu’il avait, à portée de main, le matériel nécessaire : stylo, bloc-notes et, bien sûr, le petit ticket blanc. Depuis des années, toutes les semaines, le même jour, ce cérémonial ne variait pas d’un iota.

Lorsque l’animatrice apparut à l’écran, il augmenta le son. Les quarante-neuf petites balles se mirent à virevolter dans leur sphère comme des papillons de nuit happés par la lumière.

Elle jeta sur son mari un bref coup d’œil. Le regard rivé sur le poste, il semblait fasciné par ce ballet absurde dans lequel les danseurs rondouillards n’avaient pour unique sortie d’artistes qu’un goulet d’étranglement.

— Moi je gagne toutes les semaines, fit-elle pour parler… Je ne joue pas.

On annonçait ce soir-là quinze millions d’euros à se partager entre les gagnants du premier rang. Elle s’étonnait toujours de l’enthousiasme juvénile de son époux face au loto : il n’avait plus de rêves, subvenait à leurs besoins et n’aimait pas l’argent…

— Le 5… Je l’ai ! commenta-t-il.

— Grand bien te fasse ! approuva-t-elle sans conviction.

Déjà, son effort d’attention battait en retraite. Sans même en avoir conscience, son regard dériva vers la photographie du buffet.

— Le 21, je l’ai aussi…

— Bravo ! Continue ! répondit-elle en se rendant compte, dès sa formulation, de l’ineptie de sa remarque.

Puis, elle se laissa à nouveau harponner par le timide sourire, figé pour l’éternité, du papier glacé. Elle l’enveloppa d’un halo d’amour, de la même façon qu’elle la bordait dans son lit lorsqu’elle était petite. Le 21 mai… sa date de naissance. De toute manière, il jouait toujours les mêmes numéros, ceux qui avaient jalonné sa trop brève vie.

— Le 32… C’est bon !

La soudaine excitation de son mari l’agaça un peu.

— Parfait ! Tu vas pouvoir t’offrir une cartouche de cigarettes…

Comme elle avait oublié le pain, elle partit en couper quelques tranches dans la cuisine. Lorsqu’elle revint, elle fut étonnée de constater que la télévision était éteinte. Elle en conçut un brin d’humeur. La suite du programme l’intéressait, elle ! S’il n’aimait pas les comédies dramatiques, libre à lui d’aller lire dans leur chambre, une fois le repas terminé ! Elle s’apprêtait à lui dire vertement sa façon de penser quand quelque chose l’arrêta… Le teint cireux, les yeux perdus dans le vague, il tremblait. Aussitôt inquiète, elle s’approcha de son mari et l’entoura de sa sollicitude. Mais il se dégagea, avec douceur, de son ébauche d’étreinte.

— Assieds-toi… déglutit-il d’une voix blanche… Regarde…

Il lui mit sous le nez le bloc-notes sur lequel s’alignaient six chiffres. Les deux derniers avaient été tracés d’une main malhabile, comme sous le coup d’une émotion trop forte.

— Oui… Eh bien ? Tu ne vas pas me faire croire que…

— Si… J’ai tous les numéros, même le complémentaire… Vérifie.

Incrédule, elle se saisit du ticket délivré par la Française des Jeux et le compara au relevé du bloc-notes.

— C’est une blague ? Tu me fais une farce, hein ? Et elle redéposa le tout sur la table, dans un éclat de rire libérateur.

— Non ! Tais-toi ! Ce n’est pas une blague ! Je te le jure sur notre fille ! explosa-t-il en désignant du menton le cadre du buffet. Nous sommes trois, ce soir, à avoir gagné… poursuivit-il d’une voix adoucie mais atone. L’un a joué dans le Pas-de-Calais… L’autre est du Jura… Et le troisième, c’est moi… Nous nous partageons 15 millions d’euros…

À présent hébétée, elle se laissa glisser sur sa chaise, au côté de son mari. Elle eut froid soudain. Si froid… Une chape de glace tétanisait son cerveau, engourdissait ses membres. Spectatrice passive de sa propre vie, elle vit alors défiler la provision d’images engrangées de son passé, clichés anodins d’une promesse de bonheur… Elle aurait tout donné pour que cet instant unique eût lieu cinq ans auparavant… Que de rêves assouvis alors ! Mais le temps se joue du temps…

Aujourd’hui, elle ne demandait plus rien au destin, sinon de se fondre dans la léthargie des secondes, dans le magma informe des jours qui passent…

— Ce n’est pas juste ! décréta-t-elle.

Il posa sa main sur son poing serré et se racla la gorge.

— Sais-tu ce que nous allons faire, ma chérie ?

Elle haussa les épaules mais se reprocha aussitôt cet accès d’humeur. Après tout, il avait le droit d’essayer de faire semblant…

— Tu voudrais voyager ? demanda-t-elle pour la forme. Une croisière sur le Nil ou dans les pays nordiques ? Il va nous falloir une sacrée dose d’imagination pour dépenser une somme pareille de toute façon ! Remarque, moi, ça me plairait assez d’aller à la rencontre des baleines à bosse…

Mais son mari la jaugea comme si elle avait sorti une incongruité.

— Quoi alors ? Distribuer l’argent à différentes associations ? Comme tu veux… Je m’en fiche.

Le regard insistant de son époux paraissait vouloir lui transmettre un message qu’elle ne comprit pas.

— Si tu as une idée en tête, dis-la ! Je ne sais pas, moi… Tu veux offrir des cadeaux à quelqu’un ?

— Tu ne saisis vraiment pas ? fit-il, le regard à présent enfiévré. Tu ne vois pas que nous tenons, grâce à ce fric, une chance exceptionnelle ?

— Mais pour que faire ? glapit-elle, fatiguée déjà par cette conversation qui aurait pourtant tenu en éveil des millions de foyers.

Le couperet tomba très vite :

— Pour nous venger, voyons !

L’information mit quelques dixièmes de secondes à faire son chemin jusqu’au cerveau de sa femme. Mais quand elle releva le visage vers lui et qu’il lut, dans ses beaux yeux depuis si longtemps désertés, une lueur nouvelle qu’il croyait pour toujours perdue, il sut d’emblée qu’il venait de la rallier à ses vues…

 

 

Chapitre 1

Deux années plus tard… à Saint-Brieuc.

Mademoiselle Hermione Favennec, ainsi accoutrée, se regarda une dernière fois dans sa psyché. La petite touche finale, un camée ayant appartenu à sa tante, égayait le strict tailleur de tweed. Elle voulut alors essayer le chapeau en feutre vert bouteille qu’elle avait eu tant de mal à dénicher dans une foire aux puces. Le vendeur, un malotru, voleur de surcroît, lui en demandait un prix exorbitant, prétendant que ce couvre-chef avait autrefois eu l’insigne honneur de coiffer la ravissante Gaby Morlaix… Profitant d’un afflux de badauds à son stand, elle avait alors chapardé l’objet convoité… Voilà de quelle façon, elle, Hermione Favennec, réglait leur compte à tous ces filous…

Le port de ce chapeau nécessitait une épingle. Au hasard d’une promenade, le mois précédent, elle avait aperçu celle-ci à la devanture d’une brocante. Ornée d’une grosse perle, sans doute fausse, sertie dans de l’or ciselé, à moins qu’il ne se fût agi d’un alliage ordinaire, cette épingle à chapeau l’avait aussitôt fascinée. Elle avait pénétré dans la boutique, parlementé avec le brocanteur au sujet d’une paire de chandeliers en bronze et était sortie quelque temps plus tard, ravie de sa nouvelle acquisition dont elle ne saurait jamais le prix…

Un « petit péché mignon », se plut-elle à se rappeler, selon l’expression de sa mère pour tout autre chose, il est vrai… Hermione eut du mal à appliquer correctement son rouge à lèvres. Il « filait ». Ah ! Les rides au contour de la bouche ! Quelle plaie ! Avec une rigueur toute militaire qu’elle avait héritée de son père, elle passa en revue le moindre détail de sa tenue vestimentaire. Le règlement du jeu était strict à ce sujet ! D’emblée, elle perdrait deux jetons de sa cagnotte si un détail clochait ! Voyons… Rien ne dépareillait… Elle avait même poussé le vice, au cas où l’on fouillerait sa valise, de se départir de ses collants si confortables pour adopter l’attirail épouvantable des femmes de l’époque… Cette gaine, si elle flattait son profil, lui comprimait néanmoins l’abdomen. Et depuis qu’elle était jeune fille, elle avait perdu tout attrait pour bas et porte-jarretelles. Ainsi attifée, elle avait la désagréable impression de marcher sur des échasses ! Fort heureusement, elle avait adopté les souliers plats si souvent décrits par la romancière anglaise… À dire vrai, si Hermione peinait à se reconnaître ainsi déguisée, elle sentait pourtant que sa panoplie de vieille fille retiendrait, dès son arrivée au manoir, tous les suffrages. Elle consulta la montre-bracelet de sa mère qu’elle avait fait réparer pour l’occasion. Le chauffeur de taxi ne devrait plus tarder… Elle se remémora le parcours du combattant qui l’attendait. Sa brève course jusqu’à la gare de Saint-Brieuc, l’interminable trajet en train, terminus Quimper. Puis l’autocar, direction Pouldreuzic. Un autre taxi, enfin, la conduirait au fameux manoir de Kersallec. Et en route pour la grande aventure ! L’aventure de sa vie, même ! Certes, ces différents moyens de locomotion ne lui facilitaient pas la tâche, mais c’était ce qu’elle avait trouvé de moins onéreux. Avec une simple retraite d’institutrice, elle ne pouvait pas se permettre des folies ! Si encore elle avait passé son permis ! À présent, il était trop tard pour avoir des regrets…

Le téléphone sonna. Contrariée, Hermione alla répondre, persuadée qu’il s’agissait d’Esther. Son intuition ne la détrompa pas. Sa sœur cadette, excitée comme une grosse mouche verte à l’odeur d’un vieux pont-l’évêque, venait aux nouvelles. Hermione était-elle prête ? Avait-elle songé à tout ? Esther aurait donné n’importe quoi pour prendre la place de sa sœur ! Pensez donc ! Participer à une émission de téléréalité ! Quelle chance ! Elle croisait les doigts - dodus du reste - pour que « sa grande Mimi » remporte, haut la main, la finale du jeu et qu’elle gagne la somme considérable de deux cent mille euros ! Qu’en ferait-elle ? Esther avait réfléchi toute la nuit à ce problème. Pourquoi Hermione n’achèterait-elle pas un appartement près d’elle, à Narbonne ? Elle vivrait alors entourée de l’affection des siens ! N’était-ce pas une excellente idée ?

Hermione Favennec coupa court à l’horripilant babillage de sa cadette, prétextant du fait que le chauffeur de taxi venait de sonner à la porte. En raccrochant, elle fut prise d’un léger vertige. Habiter Narbonne… Et puis quoi encore ? Pouah ! Être étouffée entre de la guimauve et un loukoum, très peu pour elle ! Qui plus est, ces deux friandises fadasses s’étaient reproduites ! Il faudrait, par-dessus le marché, supporter la mièvrerie de sa nièce qui n’aspirait qu’à faire un mariage d’amour, et la niaiserie de l’héritier mâle qui, à vingt-cinq ans, incapable de décrocher un boulot stable, habitait encore chez ses parents ! Plutôt crever !

Hermione consulta sa montre. Elle avait précisé dix heures moins le quart au chauffeur de taxi. Cinq petites minutes d’attente encore… Elle vérifia alors les mille détails nécessaires avant le départ de quatre jours. Avait-elle bien coupé le gaz ? Éteint la machine à café ?

Malgré elle, son esprit vagabond revint rôder autour d’Esther. Comme, en vieillissant, sa sœur cadette ressemblait de plus en plus à leur mère ! Le visage d’une femme brune à la peau blanche, morte depuis plus de trente ans à présent, s’imposa à sa mémoire… Marie Favennec, souriante, douce, conciliante, sans grand caractère, au fond… Hermione n’avait connu à sa mère que deux passions. La première, pour son mari, un colonel de cavalerie, homme fougueux et énergique. La seconde, désastreuse, pour le théâtre… C’est à cet engouement maternel que Hermione et sa sœur devaient leurs prénoms… Encore heureux qu’elle n’ait jamais eu de fils ! Elle eût été capable de l’appeler Pyrrhus ! Pourquoi donc, leur père, avait-il eu la faiblesse de céder à ce caprice ? Probablement, se fichait-il de ces détails… Pierre-Henry Favennec avait essaimé sa militaire semence aux quatre coins des colonies françaises, en cette époque bénie où les hommes étaient encore de vrais mâles et de puissants guerriers ! Hermione conservait pour ce père, trop tôt disparu, une véritable dévotion… Parfois, elle se surprenait encore à rêver de lui, de son odeur particulière surtout, alchimie virile de cuir, de sueur de chevaux et de cigares… Si elle avait été sa femme et non sa fille, Hermione aurait su conserver, elle, l’amour de cet homme d’exception ! Certes, elle n’aurait pas eu à supplier et pleurnicher comme leur mère dont l’attitude pleutre la faisait rougir de honte lorsqu’elle était petite ! Si seulement elle avait été un peu plus âgée lorsqu’il avait décidé de fuir ce carcan familial où l’on ne jouait que le concerto pour sanglots et grincements de dents !

Le bruit d’un klaxon sortit Hermione de sa rêverie. L’ancienne institutrice se précipita à la fenêtre dont elle écarta un pan du rideau. Un taxi était stationné à la porte de l’immeuble. Du haut de son deuxième étage, la femme pouvait apercevoir les mains du chauffeur qui pianotaient sur son volant. Hermione soupira. Il ne serait jamais venu à l’idée de ce mollusque de s’extirper de sa coquille pour monter l’aider à porter sa mallette ! Décidément, les hommes d’aujourd’hui ressemblaient plus à des chapons européens qu’aux superbes coqs gaulois de jadis !

 

 

Chapitre 2

Rennes, même jour, même heure.

Assise sur son lit, une carte routière déployée sur les genoux, Gervaise Deloze considérait son mari avec un brin d’amusement.

— C’est fou comme tu peux ressembler à Rudolph Valentino coiffé comme ça ! Tu n’as pas l’impression d’avoir un peu forcé sur la gomina, non ?

— Il faut ce qu’il faut, ma chérie… Dans les années vingt, les élégants d’un certain âge en abusaient toujours… Regarde-moi un peu ce pantalon qui m’arrive presque aux aisselles… C’est atroce !

La femme de Paul Deloze éclata d’un rire libérateur puis se leva pour venir se blottir dans les bras de son mari.

— Je suis obligée d’en convenir, en effet, mon pauvre amour. Tu n’es pas très sexy… Attends d’avoir mis tes bretelles…

Mais Gervaise Deloze ne put terminer sa phrase, empêchée par un fou rire si communicatif qu’il égaya Paul pour de bon.

— Interdiction de se moquer ! Femme ! Passez-moi plutôt le gilet, s’il vous plaît, ainsi que les boutons de manchettes ! Cessez votre arrogance et venez m’aider ! Ah ça, mais ! Je suis maître chez moi ! Tâchez de vous en souvenir !

Cinq minutes plus tard, Paul Deloze, habillé de pied en cap, subissait l’examen critique de son épouse.

— Alors ?

En guise de réponse, Gervaise arrangea la pochette de soie qui, à son goût, était trop voyante.

— De la sobriété en tout, chéri… C’est cela l’élégance.

Puis elle recula de deux pas pour juger de l’effet.

— Tu es parfait ! Un vrai dandy ! On ne pourra rien te reprocher sur ta tenue vestimentaire !

— J’espère bien ! répliqua son mari. Je n’ai aucune intention de perdre deux jetons d’entrée de jeu…

Gervaise Deloze, sa mission terminée, alla chercher un paquet de cigarettes posé sur la coiffeuse Louis-Philippe. Après avoir inhalé une première bouffée, elle se tourna à nouveau vers son époux.

— Nous avons beau être mariés depuis plus de quinze ans maintenant, tu conserves toujours à mes yeux une part de mystère…

— Ah oui ? fit-il, distrait. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Mais je ne vois pas pourquoi…

Appuyée contre les boiseries du mur, Gervaise, de ses pieds nus, jouait avec les fibres soyeuses du magnifique tapis persan qui recouvrait dans sa quasi-totalité le plancher de leur chambre.

— Oui, insista-t-elle. Je ne parviens pas à deviner ta motivation profonde pour ce jeu de rôle… Ce n’est pas l’argent, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas besoin de ces deux cent mille euros - si tant est que tu gagnes - pour vivre de façon confortable, hein ?

Paul Deloze approuva d’un signe de tête. Le col empesé de sa chemise le gênait un peu.

— Non, certes ! Cependant personne ne rechignerait devant une telle somme… Mais, tu as raison, ce n’est pas pour l’argent.

— Quoi alors ? Un passage à la télévision dans une émission people ? Nous en avons déjà discuté, je le sais… Tu as, à mon humble avis, plus à perdre qu’à gagner dans cette aventure… Tes confrères, à la clinique, risquent de se moquer de toi. La clientèle aussi, avec une telle médiatisation, pourra te reprocher un manque de sérieux et préférer un autre chirurgien, même si tu es, de loin, le plus doué.

Le bémol de sa femme affecta un peu l’humeur du médecin. Il soupira en fermant sur le lit sa valise de maroquin fauve.

— Tu m’accompagnes jusqu’à la voiture ? Même si le garagiste s’est porté garant sur le parfait état de la Traction, je préfère partir en avance au cas où elle tomberait en panne…

Gervaise enfila de simples mules de cuir et posa négligemment sur ses épaules un châle de cachemire.

— Je trouve cela un peu discourtois qu’ils n’invitent pas les couples… J’aurais tellement aimé t’accompagner ! fit-elle d’une mine boudeuse. Déjà que la clinique absorbe tout ton temps…

Paul enlaça sa femme et déposa sur ses lèvres un baiser mutin.

— Je te promets que le mois prochain, j’essaye de m’arranger. Nous partirons une semaine ensemble aux Galapagos, rien que tous les deux. Ça te va ?

Gervaise acquiesça d’un hochement de tête quand bien même elle doutait qu’il pût, d’un coup de baguette magique, différer tous ses rendez-vous aux calendes grecques. D’ailleurs, elle se souvint qu’un de leurs très bons amis, affligé d’un kyste au rein et angoissé de surcroît, devait confier sa vie aux mains expertes de son mari. Aussi lui en parla-t-elle tout en descendant l’escalier en marbre de leur propriété.

— Ce n’est pas dans un mois, justement, que tu dois opérer Pierre Menty ? J’espère que son intervention n’est pas prévue la semaine la moins chargée où, éventuellement, tu pourrais te libérer ? Je vois mal annoncer à Constance que son mari attendra notre retour de vacances…

— Je n’ai pas un agenda dans le cerveau, chérie… Mais ne t’inquiète pas. Au pire, j’intervertirai deux opérations. J’ai plusieurs polypes qui peuvent patienter encore un peu. Téléphone à ma secrétaire…

Gervaise, apaisée, se serra davantage contre son époux. La famille et leurs nombreuses relations savaient toujours compter sur son dévouement. Parvenu sur le perron, Paul Deloze s’arrêta un instant pour aspirer, à pleines goulées, l’air automnal saturé d’humidité. L’esquisse d’un sourire guilleret affleurait sur ses lèvres. Consciente de cette métamorphose, sa femme le gratifia d’une légère bourrade sur l’épaule.

— Hé ! Dis donc, toi ! C’est tout l’effet que ça te fait de m’abandonner à mon triste sort durant quatre jours ! On dirait un petit garçon devant des manèges ! J’espère au moins que, là-bas, les filles auront des têtes de poux sur des corps de limaces ! Voilà tout le bien que je te souhaite !

Le sourire de Paul s’élargit. Il tendit vers son épouse une main magnanime.

— Ne sois pas sotte, chérie. Sur ce plan-là, aucune femme ne peut rivaliser avec toi ! Et je te rappelle, pour ta gouverne que nous sommes filmés ! Quel imbécile s’amuserait à batifoler devant une caméra de télévision ?

Il fit, seul, quelques pas dans la cour pavée, attiré par la rutilante Traction avant, louée pour l’occasion et qui devait le conduire vers ce coin du Finistère qu’il ne connaissait pas.

— Elle est belle, hein ? déclara-t-il en se retournant vers sa femme.

— Tu es sûr de ne pas vouloir emporter le GPS ? C’est tout de même plus pratique qu’une carte routière !

— Sûr et certain. Le comité d’accueil s’arroge le droit d’examiner nos affaires. Alors, la voiture, tu penses !

Gervaise Deloze haussa les épaules, estimant un peu puériles les règles de ce jeu auquel elle n’était pas conviée.

— Prends au moins ton portable ! insista-t-elle. Comment veux-tu pouvoir me joindre sinon ?

— Certainement pas ! Tu sais bien que toutes les inventions postérieures à 1950 sont interdites ! Et puis, quatre jours, ce n’est pas la mer à boire, voyons ! S’il y a une urgence, je suppose qu’on nous permettra d’appeler d’un poste fixe du manoir ! Arrête de te faire ainsi de la bile, chérie ! Ça me gâche une partie de mon plaisir…

Gervaise s’efforça alors de faire bonne figure. Elle croisa contre sa poitrine les pans de son châle. Légèrement vêtue, elle sentait l’humidité glaciale s’insinuer sous son chemisier. Installé à présent au volant de la voiture de collection, Paul Deloze ouvrit la vitre afin d’embrasser une dernière fois sa femme.

— À la semaine prochaine, ma chérie. Rentre vite, tu vas prendre froid. Si tu savais comme cette expérience m’excite ! J’ai l’impression d’avoir retrouvé mes quinze ans !

Gervaise sourit et acquiesça d’un battement de cils. Elle le comprenait à présent…

 

 

Chapitre 3

Même jour, Vannes, 14 heures.

— Allez ouste, chéri ! Lève-toi ! Il reste encore mille choses à faire avant de partir !

Mais le chéri en question, bras croisés derrière la nuque, ne semblait nullement pressé de quitter le champ de bataille où il prenait quelque repos après ses exploits guerriers. Il était, au demeurant, assez content de lui. Depuis un certain temps, ses relations avec Marjorie le laissaient un peu sur le qui-vive… Son insatiable maîtresse prenait de l’ascendant sur lui et commençait à revendiquer quelques avantages d’ordinaire réservés aux épouses légitimes. Pour résumer la situation, elle devenait emmerdeuse… Néanmoins, il aurait eu du mal à faire l’impasse sur ses très grandes qualités : des jambes interminables, un grain de peau d’une finesse inégalable et une chevelure si flamboyante qu’elle aurait même conduit aux enfers un moine castré à tendance homosexuelle.

Bref, cette pause-déjeuner lui avait permis de faire le point sur ses propres compétences. Marjorie était comblée ; du moins le pensait-il. Après tout, ce n’était qu’un homme…

La rousse Marjorie, quant à elle, se remaquillait devant la glace qui lui renvoyait l’image de son amant alangui dans le lit. Elle aurait préféré rester seule, maintenant qu’il avait obtenu ce pourquoi il était venu. Cependant, la jeune femme n’osait pas trop le brusquer. Avant d’être le partenaire favori de ses jeux érotiques, il demeurait son patron et elle ne voulait pas gâcher ses chances de remporter son treizième mois à la fin de l’année. L’air béat qu’il affichait la rassurait… À l’issue de ces quatre jours de bonheur total, il ne lui demanderait pas de rattraper ses RTT. Marjorie força un peu sur le fond de teint afin d’estomper les marques rouges de sa peau irritée par le menton mal rasé de son amant. Elle lorgna sur la brochure publicitaire posée près d’elle, sur la coiffeuse, et résista à l’envie de s’y plonger à nouveau. La chaîne télévisée n’avait pas lésiné sur la qualité de ses invitations ! Le papier glacé et le programme alléchant laissaient augurer un séjour divin ! La jeune femme attendait tout de cette fabuleuse expérience : célébrité, gloire et argent ! Car, bien entendu, elle gagnerait les 200 000 euros offerts au « survivant » ! Et, qui sait… peut-être remporterait-elle l’amour en prime ? Combien étaient-ils de concurrents ? Dans le lot, il y aurait bien un joli garçon célibataire et riche de surcroît !

Tout en se repoudrant le nez, la belle rousse affinait ses projets. Seule ombre au tableau : l’autre dans son lit ! Il n’allait pas piquer un roupillon, tout de même !

— Amour ! susurra-t-elle d’une voix flûtée. N’oublie pas ton rendez-vous au cabinet à 14 h 30 ! C’est madame Bernard, pour un implant. Ensuite, tu as deux caries, une dent sur pivot et la prothèse de monsieur Leduc à 16 h 50. Tu vas prendre du retard !

— Tu as un agenda à la place du cerveau, ma chérie, répondit-il en bâillant… Cela dit, je n’ai jamais eu d’assistante aussi efficace que toi… en tous domaines, se crut-il bon d’ajouter alors qu’il tapotait le matelas en signe d’invite.

Ce geste n’échappa pas à la pétulante rousse qui, à ce moment précis, aurait échangé sa défroque humaine pour celle d’une mante religieuse…

Heureusement pour elle, Marjorie disposait d’un joker de taille dans son sac à malice… Autant l’utiliser…

— À propos, chéri, dit-elle distraitement, tout en faisant glisser un bas de soie sur sa jambe au galbe parfait, ça m’était complètement sorti de la tête ! Ta femme a téléphoné ce matin… Elle m’a dit de te prévenir qu’elle passerait avant ton premier rendez-vous au cabinet pour te donner les réservations du théâtre. Elle a peur d’être en retard ce soir, parce qu’elle doit amener votre fils à sa compétition de judo, je crois…

La piqûre de rappel matrimonial eut un effet instantané sur le dentiste. Il quitta aussitôt le lit du péché à la recherche de ses chaussettes, prétextant du fait qu’il ne pouvait plus longuement abuser de son temps, à elle.

Marjorie avait sûrement des tonnes de détails à régler avant son départ… Il devait se faire violence, accepter cette courte séparation et ne pas se montrer égoïste…

La jeune femme savoura sa petite victoire en achevant de s’habiller.

Elle avait un peu travesti la réalité. L’épouse de son amant était déjà passée au cours de la matinée mais n’avait pas voulu déranger son mari.

Les billets de théâtre attendaient donc sagement sur son bureau… S’apercevrait-il de ce minuscule mensonge ? Bah ! Au pire, elle possédait tous les arguments pour le faire fléchir dès son retour… Au mieux, elle gagnerait le jeu de téléréalité, rencontrerait un homme bien plus intéressant que lui et lui donnerait congé dans tous les sens du terme… Après tout, ce n’était qu’une femme…

Avant de quitter son appartement, il s’approcha d’elle et lui déposa un baiser chaste sur le front.

— Tu es splendide, Marjorie, maquillée et déguisée comme ça… Tu me fais penser à une actrice des années cinquante. Ah ! Comment s’appelait-elle déjà ? Heu… oui, Rita Hayworth. Tu sais ? L’épouse de l’Aga Khan…

Sensible au compliment, Marjorie lui sourit et lui offrit un bonbon.

— À mardi, chouchou… Je te raconterai. N’oublie pas que je t’aime !

— Pas autant que moi, trésor… Amuse-toi bien et sois sage surtout ! J’ai confiance en toi !

— Pour qui me prends-tu ! répliqua-t-elle d’un ton offusqué.

 

 

Chapitre 4

Pouldreuzic, même jour, 15 heures.

Claire-Marine Le Brabant, à quatre pattes, parlementait avec son chien réfugié sous son lit. Rox, un croisé Fauve de Bretagne dont la mère avait sans doute été présentée un jour à un teckel à poils longs, lui-même fruit d’amours clandestines, Rox, donc, ne l’entendait pas de cette oreille. Un sixième sens l’avertissait de ne pas quitter la place malgré les injonctions de sa maîtresse. Celle-ci, après avoir essayé la thérapie douce à laquelle le chien, d’ordinaire, se montrait sensible changea de méthode et aboya :

— Tu sors de là tout de suite, Rox, ou maman va gronder ! Ça y est ! Elle gronde ! Tu es content ? Voilà ce que tu as gagné ! Maman a grondé !

Ce procédé disciplinaire aurait fait s’étrangler plus d’un dresseur canin, il eut néanmoins l’avantage d’avoir de l’impact sur Rox qui se tortilla comme un ver pour venir jouer les carpettes repentantes aux pieds de sa maîtresse. La jeune fille n’attendit pas pour autant la fin du procès en béatification de son chien pour lui passer la laisse autour du cou. Rox ne restait pas très longtemps en odeur de sainteté… Or, à présent, on pouvait causer…

— Je te promets, mon amour, ce n’est que pour trois jours. Au chenil, tu trouveras des copains ! Maman ne peut pas t’amener au manoir de Kersallec. Tu comprends ? Et c’est une chance pour moi d’avoir trouvé ce job ! Tu te rends compte ? Je me déguise en soubrette, je sers les invités à table, je fais les lits et je gagne mille euros par journée ! Ce n’est pas Byzance, ça ?

Mais Rox coula un regard mélancolique vers le chaton qui, lui, échapperait à la rigueur du pensionnat. C’est du moins le message que crut saisir Claire-Marine. Elle s’en expliqua tout en caressant la tête du chien :

— Tu as raison… mon beau. Camélia reste à la maison. Jean viendra lui donner à manger ainsi qu’à Arsène Lapin, dehors, dans le clapier. Mais pour toi, c’est trop compliqué… Je te connais, va ! S’il te promène sur la plage, tu t’échapperas pour aller courser les goélands !

Tout en jappant, le chien pencha alors la tête de côté, mimique à laquelle, d’ordinaire, sa maîtresse ne savait pas résister. Mais ce jour-là, Claire-Marine Le Brabant fit preuve d’une fermeté presque héroïque…

— Écoute, mon chéri… Je te propose un marché. On va tous les deux faire un petit tour au bord de l’eau et, ensuite, tu m’obéis sans faire d’histoires. D’accord ?

Lorsque la jeune fille passa son vieux parka dont l’usage était réservé aux promenades sur la grève en compagnie de son chien, Rox manifesta bruyamment sa joie, ce qui conforta Claire-Marine dans l’idée que ce cabotin était d’une intelligence prodigieuse…

À l’entendre discourir avec ses animaux, bêtifier en donnant du « maman » long comme le bras à son lapin, son chat ou son chien, n’importe quel témoin aurait taxé cette jeune personne de niaiserie. Il n’en était rien pourtant.

Étudiante en troisième année de médecine, Claire-Marine Le Brabant vivait seule, au bout du bout du monde, face à l’océan, dans le penty qu’elle avait hérité de sa grand-mère, à Penhors. Ce choix lui imposait bien des sacrifices. Elle se levait tous les matins à cinq heures, afin d’arriver à l’heure à ses cours ou aux différents stages hospitaliers à Brest. Elle oubliait aussi les joyeuses soirées estudiantines ou les sorties en boîte entre copains, car même si elle n’avait pas de loyer à payer, le prix du carburant lui grevait son budget. Surfeuse accomplie, durant les congés scolaires, elle troquait sa blouse blanche contre une combinaison en latex noire et devenait l’une des monitrices favorites des amateurs éclairés ou non des sports de glisse. Il lui suffisait pour cela de choisir l’une de ses nombreuses planches alignées dans l’appentis attenant à sa maison et de se rendre à pied sur le spot situé à deux cents mètres de chez elle.

Pour l’heure, la jeune fille se réjouissait de l’aubaine qui s’était présentée à elle quelques semaines auparavant. Une simple affiche épinglée à la boulangerie de Pouldreuzic avait attiré son regard. Une équipe de télévision, en préparation de tournage dans la région, recherchait des figurantes, de préférence étudiantes en hôtellerie, en vue de participer à un jeu de téléréalité. Sans égard pour d’éventuelles autres postulantes, Claire-Marine avait subtilisé l’affichette au lieu de noter l’adresse et le rendez-vous du casting et l’avait fourrée dans sa poche, décidée à décrocher ce job providentiel sûrement bien rémunéré.

Trois jours plus tard, elle se rendait au manoir de Kersallec, forte de sa joyeuse humeur et de son inexpérience. Elle fut cependant désappointée lorsqu’un domestique la fit entrer dans un salon transformé en salle d’attente. Une dizaine de candidates l’avaient précédée…

Au bout d’une heure et demie de bâillements, le même majordome vint la chercher pour la conduire dans une pièce aussi nue que la main d’un nouveau-né.

Les murs blancs et aveugles ne protégeaient qu’un bureau et un fauteuil déjà occupé par un homme portant une barbe fournie et des lunettes fumées. Un cameraman la filma dès son entrée.

Cette mise en scène, censée rendre mal à l’aise les impétrants, stimula les défenses de Claire-Marine. Convaincue d’avoir l’air d’une godiche endimanchée, elle se piqua au jeu, flattant la caméra et déambulant calmement dans l’exiguïté de la pièce.

— Racontez-nous quelque chose, Mademoiselle, dit enfin le bouddha assis d’une voix aussi suave qu’un sirop de prunelle.

Prise au dépourvu, Claire-Marine récita son dernier cours d’hémato-pathologie qu’elle venait d’apprendre par cœur. Mais elle le fit avec grâce et coquetterie, soulignant par un battement de cils des passages qui auraient pu passer pour coquins.

Le gros poussah l’avait arrêtée de sa main grassouillette pour se tourner vers son acolyte.

— Comment tu l’as, Pierre-Yves ?

— Parfait pour moi. Elle crève l’écran.

C’est ainsi que la jeune fille avait été embauchée, pour un rôle, certes modeste. Heureusement pour elle, on avait omis de lui demander ses compétences en matière de service à table.

 

*

 

Emmitouflée dans sa parka, traînée par son chien qui piaffait d’impatience, Claire-Marine Le Brabant suivit le chemin côtier qui débouchait sur le parking du Musée des Coquillages. Bondé à la belle saison, il n’était occupé, en ce vendredi 30 octobre, que par un autocar de touristes allemands et quelques voitures d’autochtones amoureux de paysages sauvages. Des bourrasques, vestiges de la tempête de la veille, l’obligeaient parfois à progresser courbée. La jeune fille longea le tout petit port dont la digue, jusqu’au musoir, était inlassablement léchée par la langue râpeuse des flots. La marée montait, déchaînant un branle-bas de forces obscures venues du ventre de l’océan dans un fracas extraordinaire. La bête mouvante mordait le quai, l’avalait pour le recracher aussitôt, le blessait dans des gerbes de salive écumante.

Le chien de Claire-Marine n’osait jamais s’aventurer là. Il entraîna donc sa maîtresse à une centaine de mètres plus loin, sur la cale qui descendait à la plage. Rox se retourna alors vers la jeune fille, pencha la tête de côté tout en jappant. Elle n’eut pas le cœur de bouder le plaisir de ce retors et le libéra de sa laisse. Le chien n’attendit pas qu’elle eût changé d’avis. Il déguerpit au pas de course, s’abandonnant à son jeu favori et dérangeant par ce fait même une colonie de goélands qui s’envola pour se reposer bien plus loin. Qu’à cela ne tienne ! Le vaillant chasseur les poursuivit et fit une pirouette lorsqu’un retardataire, négligeant le danger, faillit y laisser des plumes. Ce manège, sans l’intervention de Claire-Marine, pouvait durer des heures. Le nigaud fend-la-bise passait et repassait devant elle jusqu’à ce que, immanquablement, il s’écroule sur le sable, ses rêves de festin évanouis…

Pour l’instant, Rox y croyait encore. Aussi sa maîtresse s’assit-elle sur le feston de galets qui ourlait la plage. Claire-Marine aimait beaucoup se retrouver à cet endroit. Situé juste au milieu de la baie d’Audierne, Penhors jouissait d’une vue incomparable. À main droite de l’anse, les villages de Plozévet et de Plouhinec dentelaient l’échancrure de la côte. À gauche, en revanche, l’interminable robe de sable se perdait dans la gaze éthérée de brumes nacrées, couturée au lointain par la tête d’épingle du phare de Penmarc’h. En face, une mer qui ne dévoilait pas toujours ses couleurs tant l’écume de ses gigantesques vagues la blanchissait, telle une lavandière du cosmos.

Le ciel, étuvé par la tempête, avait balayé à l’horizon ses nébuleuses scories anthracite pour laisser peau neuve à un azur opalescent. Une mouette rieuse, bout au vent, renonça finalement à cet exploit sportif et chavira dans un vol oblique. Un autre, sur la plage, donnait lui aussi des signes de faiblesse… Claire-Marine siffla son chien qui revint, cahin-caha, la truffe constellée de filets de bave et désenchanté. La jeune fille tenta alors de le consoler.