L'Ange de Groix - Françoise Le Mer - E-Book

L'Ange de Groix E-Book

Françoise Le Mer

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Beschreibung

Il est de ces vies qui, parfois, au hasard d’une rencontre ou d’un événement, se transforment en destins...

Tel fut le cas du médecin nantais Vincent Lambertin, le jour où, rentrant chez lui harassé, il subit un très grave accident de voiture. Un instant donné pour mort, il reviendra néanmoins à la vie et conservera de sa NDE, ou expérience de mort imminente, un souvenir très précis qui bouleversera sa vie.
Dès lors, il recherchera sans relâche sa femme disparue mystérieusement, un an plus tôt.
Caroline est-elle décédée ? Pourquoi alors recevoir des cartes postales écrites de sa main ?
Cette enquête personnelle le conduira vers des personnages aux étranges pouvoirs que le cartésianisme de ce médecin reconnu ne pouvait jusqu’alors que réfuter.
Aidé par une jeune journaliste, Hanna Baron, Vincent parviendra-t-il à éclairer son passé ? Qui, d’autre part, peut nourrir des griefs à l’encontre de Lucie Sauveterre considérée pourtant par tous comme l’Ange du bien ?

Un thriller captivant à la frontière entre la vie et la mort...

EXTRAIT

— Et sachez, enfin, qu’on ne ressort jamais indemne de ce type d’expérience…
Le docteur Vincent Lambertin se tut. La gorge sèche, il profita de ce moment de répit pour se servir un verre d’eau de l’une des bouteilles mises à la disposition des conférenciers. C’était au tour de Simon de parler, de raconter à ce public la façon dont sa vie avait basculé voilà vingt-huit ans à présent. Le docteur Lambertin, qui connaissait par cœur, l’histoire du kinésithérapeute, accorda une oreille distraite à son ami et ausculta leur nouvel auditoire.
La petite salle de réception prêtée par la mairie était bondée. Elle pouvait, au juger, contenir une centaine de personnes environ. Des Groisillons ? Des touristes pour la plupart ? Difficile de trancher. Les visages, attentifs, se tournaient vers Simon. Alors qu’il balayait le public du regard, Vincent Lambertin remarqua, au troisième rang, un homme corpulent dont les mimiques, très expressives, semblaient prendre à témoin l’assemblée qui, et pour cause, ne faisait aucun cas de lui. Il ponctuait le discours de Simon de hochements de tête désabusés, souriait parfois avec condescendance ou se bornait à lever les yeux au ciel.

À PROPOS DE L’AUTEURE

Avec seize titres déjà publiés, Françoise Le Mer a su s’imposer comme l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés et les plus lus.
Sa qualité d’écriture et la finesse de ses intrigues, basées sur la psychologie des personnages, alternant descriptions poétiques, dialogues humoristiques, et suspense à couper le souffle, sont régulièrement saluées par la critique.
Née à Douarnenez en 1957, Françoise Le Mer enseigne le français dans le Sud-Finistère et vit à Pouldreuzic.

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Françoise LE MER

 

 

 

L’ange de Groix

 

 

éditions du Palémon

ZA de Troyalac’h

10 rue André Michelin

29170 Saint-Évarzec

 

DU MÊME AUTEUR

 

n°1 - Colin-maillard à Ouessant

n°2 - La Lame du Tarot

n°3 - Le Faucheur du Menez Hom

n°4 - L’oiseau noir de Plogonnec

n°5 - Blues bigouden à l’île Chevalier

n°6 - Les santons de granite rose

n°7 - Les ombres de Morgat

n°8 - Le Mulon rouge

n°9 - L’Ange de Groix

n°10 - Buffet froid à Pouldreuzic

n°11 - Amours sur Bélon

n°12 - Maître-chanteur à Landévennec

n°13 - Maux-de-tête à Carantec

n°14 - Les âmes torses

n°15 - Arrée sur image

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

www.palemon.fr

 

 

Dépôt légal 4e trimestre 2014

ISBN : 978-2-372602-54-9

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,des lieux privés, des noms de firmes, des situations existantou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2014 - Éditions du Palémon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Michel

 

Chapitre 1

— Et sachez, enfin, qu’on ne ressort jamais indemne de ce type d’expérience…

Le docteur Vincent Lambertin se tut. La gorge sèche, il profita de ce moment de répit pour se servir un verre d’eau de l’une des bouteilles mises à la disposition des conférenciers. C’était au tour de Simon de parler, de raconter à ce public la façon dont sa vie avait basculé voilà vingt-huit ans à présent. Le docteur Lambertin, qui connaissait par cœur, l’histoire du kinésithérapeute, accorda une oreille distraite à son ami et ausculta leur nouvel auditoire.

La petite salle de réception prêtée par la mairie était bondée. Elle pouvait, au juger, contenir une centaine de personnes environ. Des Groisillons ? Des touristes pour la plupart ? Difficile de trancher. Les visages, attentifs, se tournaient vers Simon. Alors qu’il balayait le public du regard, Vincent Lambertin remarqua, au troisième rang, un homme corpulent dont les mimiques, très expressives, semblaient prendre à témoin l’assemblée qui, et pour cause, ne faisait aucun cas de lui. Il ponctuait le discours de Simon de hochements de tête désabusés, souriait parfois avec condescendance ou se bornait à lever les yeux au ciel.

Un drôle de client… ne put s’empêcher de juger le docteur Lambertin. À chaque conférence qu’il donnait, il y en avait toujours un ou deux comme ce quinquagénaire à la barbe bien taillée, content de lui et confortablement assis dans la vie. Lorsque viendrait le moment des questions, cet homme-là ne les ménagerait pas de ses sarcasmes… Mais Vincent Lambertin et ses deux compagnons avaient l’habitude de susciter des réactions vives, voire hostiles. Pouvait-il en être autrement d’ailleurs ?

De l’autre côté de la salle, le médecin sentit un regard se poser sur lui. Tournant la tête, il croisa les yeux d’une jeune femme au visage doux et grave. Un calepin posé sur les genoux, elle prenait des notes. Vincent Lambertin cessa là son examen empirique sur la nature humaine et se concentra sur l’intervention de Simon.

Abrité derrière ses sempiternelles lunettes fumées, cet homme réservé s’exprimait à haute et intelligible voix :

— J’ai été déclaré physiquement mort durant trente ou quarante secondes tout au plus. Mais aux frontières de l’au-delà, notre estimation du temps est abolie… Ces quelques secondes volées à l’éternité comptent, pour ma part, plus que mes cinquante-trois années d’existence… Comme vous l’avouait tout à l’heure le président de notre association, on ne se remet jamais totalement d’une expérience de mort imminente, ou NDE, si vous préférez.

Au moment où ma conscience a brutalement réintégré mon corps, lorsque les médecins urgentistes, à force d’opiniâtreté, ont réussi à me ramener à la vie, j’ai compris aussitôt que mon acte désespéré était vain… Comment vous expliquer… Le suicide n’est pas une solution… Même si nous n’envisageons pas d’autre issue que celle de mettre un terme à nos jours, c’est lors de notre court passage sur terre, et uniquement là, que nous devons trouver la clef de nos problèmes, aussi insolubles soient-ils. C’est ce que m’a révélé le bain d’amour pur dans lequel j’ai été plongé un trop bref instant… Tout se trouve dans l’homme, mais à quantité infinitésimale… Voilà le message que je voulais faire passer…

Un peu intriguée, Jeanne jeta un coup d’œil de biais à son ami. Simon avait beaucoup insisté sur le suicide, ce soir. Connaissant les dons que son compagnon avait acquis après sa NDE, elle sut d’instinct qu’il s’adressait à une personne particulière de l’assistance…

Elle jaugea le public. Ce jeune homme, au dernier rang, qui essuyait les verres de ses lunettes… il paraissait troublé… Était-ce lui qui avait des idées suicidaires ? Ou peut-être cette fille, assise près du gros monsieur qui considérait Simon comme s’il se fût agi d’un débile mental… Elle avait une petite mine chiffonnée.

Mais Jeanne n’eut pas le loisir de mener plus avant son investigation. Simon lui tendait déjà le micro. Elle serait la dernière à intervenir ce soir-là.

— Bonsoir Mesdames, bonsoir Messieurs, fit-elle en s’éclaircissant la voix. Je m’appelle Jeanne Le Coïc, j’ai quarante-six ans, j’exerce la profession de secrétaire à Hennebont et j’ai vécu, moi aussi, une expérience de mort imminente à l’âge de vingt-quatre ans à la suite d’un accouchement qui s’est mal passé.

D’un timbre où perçaient encore, malgré le temps, des inflexions chargées d’émotion, Jeanne raconta à son tour sa peu banale aventure. À l’instar de ses deux amis, cette femme, à la physionomie agréable et énergique, entama son témoignage par l’évocation de la phase de décorporation qui devait la marquer pour le restant de sa vie.

— J’ai senti ma conscience s’échapper de mon corps. Je flottais et je considérais mon corps inerte, au-dessous de moi, tandis que l’équipe médicale s’échinait à me ranimer. L’une des infirmières a crié : « il n’y a plus de pouls, elle nous lâche… Appelez Philippe ! » Tout le monde s’agitait autour de mon enveloppe charnelle. Moi, j’étais bien, sereine, libérée de la peur et de la souffrance. J’ai traversé les murs de cette chambre aussi facilement que dans un rêve. Mais ce n’était pas un rêve. Jamais je n’ai été aussi lucide qu’à ce moment-là. Extralucide même, je dirais… Mon esprit, qui flottait toujours au plafond de ce couloir où je voyais mon mari faire les cent pas, pouvait pénétrer toute chose, toute matière, un peu à la manière d’un zoom. Sauf que j’étais moi-même ce zoom… C’est très difficile à expliquer… Voyant le visage angoissé d’une infirmière qui sortait précipitamment de ma chambre, mon mari a été pris d’une crise de panique. Personne ne voulait rien lui dire. J’ai tenté de le calmer, mais il ne m’entendait pas. Il a agressé alors une aide soignante qui passait dans le couloir en poussant son chariot, la sommant de lui avouer la vérité sur mon état. Pourquoi lui refusait-on l’entrée de ma chambre alors que le bébé était né ? Jean-Marc, mon mari, hurlait. L’aide soignante ne s’est pas laissée démonter. C’était une femme brune, aux joues rebondies. À cet instant-là, elle pensait à l’anniversaire de son petit garçon. Elle se demandait si elle aurait le temps, après son service, de passer chez le marchand de cycles pour chercher le vélo rouge qu’elle avait commandé. J’ai revu cette femme par la suite, devant deux personnes dignes de foi qui ont consigné par écrit mon témoignage. Ahurie, elle a corroboré les faits…

Une onde de murmures parcourut la salle où se disputaient scepticisme, connivence ou simples commentaires entre voisins. Les trois conférenciers, accoutumés à ces réactions naturelles, attendaient simplement que le silence s’installât à nouveau.

Le docteur Lambertin esquissa un sourire encourageant à l’adresse de Jeanne qui poursuivit alors le récit de son incroyable aventure :

— Ma conscience se trouvait toujours dans le couloir auprès de mon mari lorsque je me suis sentie aspirée par une force inouïe. C’était une sorte d’entonnoir géant dont les parois sombres, faites de fumée, avaient pourtant la consistance de la matière… Il est très difficile pour moi de vous expliquer cela car rien de tel n’existe dans notre monde…

— Ni dans l’au-delà d’ailleurs ! persifla alors une voix masculine dans l’assemblée.

Le public se retourna vers le fauteur de troubles et, par des « chut ! » sévères, l’incita à plus de courtoisie. Toutefois, le docteur Lambertin jugea utile d’intervenir, lui aussi, rappelant aux auditeurs que leur propos à tous trois n’était pas de faire du prosélytisme mais de leur rapporter une expérience unique et personnelle. Puis il invita Jeanne à reprendre le cours de son exposé :

— Tu disais, Jeanne, que tu te trouvais dans un immense entonnoir…

— Oui, reprit la femme. À l’inverse de vous deux, je n’ai pas été projetée dans un tunnel, mais le résultat est le même. À l’intérieur du tube où je tournoyais à une vitesse inouïe, j’ai aperçu soudain une lumière blanche. Elle grandissait au fur et à mesure que je m’approchais d’elle. J’étais très attirée par cette lueur étincelante, mille fois plus vive que la clarté du soleil. Cependant, elle n’éblouissait pas et je pouvais la regarder en face… Elle n’irradiait que de l’amour, la quintessence de l’amour, je dirais… Je voulais tant pénétrer dans cette lumière ! À son contact, mon esprit s’est éveillé… Je touchais tous les secrets du monde, connaissais le pourquoi et le comment de la création… Et puis, l’être de lumière - je ne peux l’appeler que par ce nom - m’a demandé ce que j’avais fait de ma vie… Je communiquais avec lui par télépathie. J’ai vu alors mon passé défiler devant moi, les moments de tristesse, de doute ou de joie, des choses aussi que j’avais oubliées. L’être de lumière les considérait avec bienveillance, sans me juger. C’est moi seule qui faisais mon autocritique… Je ressentais ce que mes proches avaient pu éprouver à mon contact, le bien comme le mal… J’étais aussi les autres… Puis derrière l’être de lumière sont apparus mon père et la grand-mère qui m’avait élevée. Je me sentais si heureuse en leur présence ! Papa, toujours par télépathie, m’a signifié alors que je ne pouvais pas poursuivre le chemin avec eux. Il fallait que je retourne sur terre où je n’avais pas terminé ma mission. Ma petite-fille avait besoin de moi. J’étais si partagée ! Mais je n’ai pas eu le choix. La lumière s’est éloignée emportant avec elle ma grand-mère et mon père. Avec une incroyable violence, j’ai réintégré mon corps, retrouvant par là même mes souffrances et une nostalgie de l’extase perdue. Voilà…

Dès que Jeanne Le Coïc se tut, les rumeurs reprirent dans l’assemblée avec son cortège de bruits familiers : raclements de chaises, toussotements de fumeurs, apartés et apostrophes. Le docteur Lambertin se leva et se dirigea vers Jeanne qui lui tendit le micro.

— Mesdames, Messieurs, un instant d’attention, s’il vous plaît… Je sais bien qu’il se fait tard, mais si vous avez des questions à nous poser ou des témoignages à apporter, n’hésitez pas…

L’invite était trop tentante : l’homme à la barbe bien taillée et à l’embonpoint bourgeois fut le premier à se mettre debout et à demander la parole.

Vincent Lambertin sut d’instinct que la joute orale serait de haute lice…

— Monsieur ! attaqua d’entrée le quinquagénaire en s’adressant au conférencier. Comme tout le monde ici, j’ai entendu ce soir et sans broncher, un tissu d’inepties. Vous vous targuez du titre de docteur… Je suppose qu’il faut comprendre docteur en parapsychologie ?

Le mépris qu’affichait l’individu à son encontre stimula les défenses de Vincent Lambertin.

— Non, Monsieur, réfuta-t-il calmement. Je suis docteur en médecine. Ancien interne des Hôpitaux de Paris, j’étais jusqu’à mon accident de voiture, chef du service de gastro-entérologie au CHU de Nantes. Si j’ai quitté par la suite ce poste, ce n’est pas par obligation mais par choix. Cette réponse vous convient-elle, Monsieur ?

Un instant déstabilisé, l’intervenant ne s’en laissa pas pour autant conter… Les regards étaient tournés vers lui… Il s’agissait de ne pas perdre la face devant cet hurluberlu…

— Je suis moi-même médecin et libre-penseur, ajouta-t-il non sans fierté. Et d’abord, permettez-moi une lapalissade : étant donné que vous êtes en vie, vous ne pouvez avoir entraperçu qu’un aspect du processus de mort !

Devant cette évidence, le docteur Lambertin ne put qu’acquiescer d’un hochement de tête. Cette petite victoire ragaillardit son contradicteur : Satisfait, il émit un claquement de langue avant de poursuivre :

— Je ne mets pas en doute votre bonne foi, concéda-t-il alors. Mais tous trois, vous avez été victimes d’hallucinations. Quant à vous, docteur Lambertin, en tant que médecin, vous n’ignorez pas que l’arrêt des fonctions vitales et notamment de la respiration entraîne une diminution de la quantité d’oxygène distribuée au cerveau ? Il suffit d’entendre les rescapés d’accidents de plongée qui ont ainsi subi une augmentation rapide du niveau de CO2. Retournez donc au cinéma revoir Le Grand Bleu ! L’anoxie, l’oxygénation insuffisante du cerveau, provoque des visions similaires à vos NDE !

— Je ne nie pas ce fait, approuva Vincent Lambertin. Mais à lui seul, il ne suffit pas à expliquer la totalité de notre expérience…

— Votre extase ? ironisa alors le même détracteur. Parlons-en et cessez donc de vous réfugier derrière une mystique à trois francs six sous ! Vous n’êtes pas sans savoir que le cerveau d’un mourant sécrète massivement des molécules endorphines. Ces substances, voisines de la morphine et produites naturellement par notre chimie organique en période de stress, masquent la douleur immédiate et sont responsables de l’espèce de béatitude que vous avez décrite. D’ailleurs, je ne vous poserai qu’une seule question : qui est Dieu ? Si tant est qu’il existe, bien évidemment…

Le docteur Lambertin haussa les épaules, impuissant.

— Comment voulez-vous que je vous réponde…

— Ah bon ! jubila son interlocuteur devenu le point de mire du public. Vous l’ignorez ? À vos dires, vous l’avez pourtant côtoyé de très près ! Demandez-vous alors pourquoi — et je ne me fonde que sur votre brillant exposé — les membres de votre nouvelle secte, selon la religion à laquelle ils appartenaient, ont vu dans l’au-delà Jésus-Christ, Allah, Bouddha, Vishnu et tutti quanti ! Au mieux, ceux qui, je suppose, n’avaient aucune idée préconçue sur le sujet, parlent comme vous trois d’une lumière blanche, source d’amour divin…

— Qu’essayez-vous de prouver ? l’interrompit Vincent Lambertin avec un brin d’humeur.

— Ce que je prouve ? reprit l’autre. Tout simplement que vos cerveaux, face à la peur qu’engendre l’imminence de la mort, se sont déconnectés en se réfugiant dans un monde de fantasmes construits à partir de croyances conscientes ! Vos NDE ne sont que purs phénomènes pathologiques de dépersonnalisation, proches de la schizophrénie…

— Monsieur ! l’interpella alors Simon de sa voix douce. Regardez-moi un instant, s’il vous plaît…

Le conférencier ôta, tout en parlant, ses lunettes fumées, laissant entrevoir un regard blanc comme celui des statues…

— Je suis aveugle de naissance. Si je vous affirmais que ma chambre est peinte en « cardon », vous la visualisez ?

— Non… répondit le médecin… Je ne connais pas cette teinte. Quel intérêt, d’ailleurs ?

— Soit ! sourit Simon avec bienveillance. Et si je vous précise que le « cardon » est un mélange de deux couleurs franches : le « zémilat » et le « birien », vous voyez mieux ?

— Vous vous fichez de moi ? grommela l’homme.

— Loin de moi cette intention, Monsieur. Je désirais simplement vous prouver que pour moi, l’orange, le rouge ou le jaune ne sont que purs concepts… Ces couleurs n’existent pas plus que le cardon, le zémilat et le birien. Or, durant ma NDE, lorsque mon esprit s’est échappé de mon corps, un trop court instant, j’ai vu… Je garde un souvenir ébloui du bleu du ciel, des champs verts, des formes aussi que je n’avais jamais pu les saisir dans leur intégralité… Les choses n’avaient de sens pour moi que si je les palpais… Vous comprenez ? Une étude américaine a eu lieu d’ailleurs, portant sur des gens aveugles comme moi qui ont vécu la même expérience. Je ne suis pas un cas unique…

— Hallucination collective ! se défendit leur détracteur avant de se recaler sur sa chaise, bougon.

Au deuxième rang, une vieille dame se leva alors et demanda la parole.

— Madame, Messieurs, interpella-t-elle les conférenciers, d’une voix intimidée, moi aussi, j’ai été ramenée à la vie après un infarctus. Pourquoi est-ce que je ne conserve aucun souvenir comme ceux que vous décrivez ? Pour moi, la mort n’est qu’un trou noir.

Jeanne se chargea de répondre à la vieille femme. Elle n’avait, hélas, aucune explication à lui apporter.

Puis d’autres mains se levèrent. Face à la seule et véritable énigme de l’existence, les questions se bousculaient. Jeanne glissa un mot à l’oreille de Simon, son voisin de gauche. Le jeune homme à lunettes qu’elle avait déjà remarqué au dernier rang désirait intervenir. Elle l’invita donc à s’exprimer.

— Vous parlez tous les trois de NDE heureuses, bredouilla-t-il. Dans votre association, n’avez-vous pas rencontré de cas où ce genre d’expérience se serait mal passé ?

— Si, lui répondit Simon. On ne peut pas le nier. Les NDE négatives sont rares, mais elles existent. Pour ma part, je n’ai rencontré personne à en avoir subi de telle, mais les statistiques américaines montrent que 4 % parmi les cas recensés ont très mal vécu cette aventure. Visions apocalyptiques de l’enfer selon un schéma fortement ancré dans la religion ou sentiment de désolation… Quoi qu’il en soit, ces NDE ne sont jamais méritées. Il ne s’agit pas de punition divine… Un seul lien, peut-être, unirait ces malheureux cas, ajouta Simon après une seconde de réflexion… Il semblerait, en effet, que ces personnes refusaient de lâcher prise et luttaient contre leur destin.

C’est alors que la jeune femme au visage grave qu’avait remarquée le docteur Lambertin leva la main pour intervenir.

Vu le nombre de pages qu’elle avait griffonnées sur son calepin au cours de la soirée, le médecin pensa avoir affaire à une journaliste.

— Oui ? Madame ou Mademoiselle du second rang… ? Vous avez une question ?

— Un commentaire plutôt… entama-t-elle d’une voix posée. C’est à propos de la dernière intervention. J’avoue ma déception. J’étais prête à adhérer à ces contes de fées pour grandes personnes, mais là franchement… Si l’au-delà se résume à la vision manichéenne du Bien et du Mal… Si certaines âmes sont condamnées aux tortures infernales… prions tous pour que Dieu s’autodétruise dans les trente secondes !

Cette remarque provoqua quelques rires étouffés. Le docteur Lambertin ne savait que rétorquer à la jeune femme qu’il pressentait angoissée malgré sa désinvolture affichée.

La réponse aurait demandé beaucoup de temps et de réflexion…

Nonobstant, cette fausse note dans le chœur des anges sonna l’heure de la retraite. Certains auditeurs, après un bref salut de la tête à l’adresse des conférenciers, s’entretenaient par petits groupes. D’autres quittaient déjà la salle.

Les chuchotements et bavardages gagnaient en décibels, tant et si bien que Vincent, Jeanne et Simon levèrent la séance après un mot de remerciement au public.

Tandis que la salle se vidait, Vincent et Jeanne rangeaient leurs documents éparpillés sur la table. Immobile, Simon attendait que sa compagne en eût terminé.

Un léger sourire errait sur ses lèvres. Comme elle passait derrière lui, Jeanne lui déposa un baiser sur le sommet de son crâne dégarni.

— À quoi rêves-tu, mon champion ?

— Je pensais au garçon de tout à l’heure… Celui qui m’a posé une question sur les NDE négatives… Il nous attend dehors… Quelque chose me dit que nous ne sommes pas près d’aller nous coucher…

Fataliste, Jeanne se contenta de soupirer. Il ne lui serait pas venu à l’esprit de mettre en doute l’affirmation de Simon. La récognition des événements dont jouissait son compagnon ne l’étonnait plus. Et souvent même, ils s’en amusaient tous deux en public, lançant parfois : « quel est le comble pour un aveugle ? C’est d’être voyant… »

— Bon, mes cocos ! lança joyeusement le docteur Lambertin… Je vous laisse jouer les prolongations ! Quant à moi, je vais me prendre une petite bière en solitaire avant de regagner l’hôtel.

— Que tu crois ! répondit Simon, malicieux. À mon avis, il faudrait alors une sortie de secours… Elle est jolie, non, la fille qui n’a pas cessé de t’observer pendant la conférence ?

Vincent Lambertin, pour le coup, laissa retomber ses papiers sur la table et se pencha vers Simon dont le regard vide fixait sa nuit.

— Je ne m’y ferai jamais, je pense… Par moments, je me demande si tu n’as pas ta paire d’yeux de rechange cachée derrière le crâne ; tu sais, comme les robots des enfants…

Simon se renversa contre le dossier de sa chaise et éclata de rire, de ce rire large et puissant, si commun, aux aveugles… Le médecin hocha la tête et considéra son ami avec affection.

 

*

 

En ce premier week-end automnal, l’air avait considérablement fraîchi. Descendant les quelques marches de l’hôtel de ville, Vincent reboutonna sa veste. Au pied de l’escalier, le jeune homme que reconnut aussitôt le médecin grillait une cigarette. Vincent le salua, mais l’autre ne chercha pas à l’accoster.

Simon et Jeanne n’étaient pas encore sortis.

« Diable d’homme », se dit le docteur en repensant aux prédictions de son ami. Machinalement, il balaya du regard la petite place de l’église paroissiale. Deux adolescents, tels des apprentis chevaliers, faisaient hennir leurs montures modernes, avec cette naïveté courante de croire que le boucan produit était proportionnel à la puissance de leurs cylindrées… Des portes ouvertes des cafés, s’échappaient les volutes indistinctes de conversations étouffées, de fumée et de musique avant de s’élever, moribondes, dans la nuit insulaire. Calfeutrés derrière la vitrine d’un restaurant, quelques couples finissaient de dîner tandis que d’autres goûtaient au simple plaisir de s’attarder un peu dehors.

C’est avec une certaine satisfaction que Vincent Lambertin ne reconnut personne. Il se sentait fatigué et avait besoin d’un moment de solitude. Il s’engagea dans la ruelle qui conduisait à la place où il avait retenu une chambre, heureux de constater que Simon, « le grand Manitou », comme il se plaisait à l’appeler, n’était pas infaillible…

— Monsieur ! sollicita soudain une voix derrière lui.

« Et zut… », ne put s’empêcher de penser le médecin en se retournant. La jeune femme au visage grave qu’il avait déjà remarquée lui faisait face à présent. Une constatation incongrue lui parasita un instant l’esprit. Debout, elle était grande, presque aussi grande que lui…

— Excusez-moi de vous déranger, Docteur… J’ai assisté à votre conférence…

Le docteur Lambertin songea à l’inanité de cette entrée en matière. Évidemment qu’elle était présente si elle avait posé une question ! Il la laissa parler, peu enclin ce soir-là à fournir d’autres efforts. Ainsi qu’il l’avait deviné, elle était bien journaliste, s’appelait Hanna Baron et souhaitait une interview en particulier.

— Je désirerais écrire un article de fond sur les NDE, expliqua-t-elle.

— Soit ! concéda le médecin. Mais cela peut attendre demain… Je suppose que vous dormez sur l’île et que vous ne rentrerez pas chez vous cette nuit à la nage ? J’ai une chambre au Triskell. Alors, disons… 8 heures 30, pour le petit-déjeuner…

Et il tourna les talons, abandonnant sur place une jeune femme quelque peu déconfite. Tout en se dirigeant vers son hôtel, Vincent se reprochait son ton sec et son manque de courtoisie. Pourtant, les relations qu’il avait pu entretenir avec des journalistes étaient en général amènes. Cette pauvre fille faisait les frais de sa propre fatigue…

Au lieu de s’engager dans l’étroit couloir qui menait directement aux chambres, le docteur poussa la porte du café attenant d’où s’échappait un air de folklore irlandais. Il s’installa au comptoir, près d’un homme âgé qui, tel un petit garçon, quémandait le droit d’obtenir « le dernier pour la route ».

— Tu as assez bu comme ça, Jos… Même si tu n’as pas ton vélomoteur… Je n’ai pas envie de me faire enguirlander par ta Thérèse demain ! Et pour vous, Monsieur ? Qu’est-ce que je vous sers ?

— Une pression, s’il vous plaît…

Le client louchait à présent sur la bière de Vincent Lambertin.

— Elle est belle ! s’exclama-t-il avec la seule sobriété qui lui restât… J’ai toujours aimé les blondes !

Attentif aux manœuvres opérationnelles de ce fin stratège, le cafetier ne s’en laissa pas pour autant conter.

— Attention Jos ! Je te vois venir ! Laisse Monsieur tranquille ! Même si on t’offre la tournée, je ne te servirai pas… Pas même dans tes rêves !

Le vieux coula un regard pitoyable d’épagneul breton à son bourreau puis sortit, souriant gentiment à son monde intérieur et prenant l’étranger pour témoin :

— C’est fou ça ! Je suis venu ici sans un rond, et me voilà complètement saoul !

Vincent Lambertin hocha la tête, méditant la parole du philosophe. Puis, comme celui-ci continuait à couver sa blonde mousseuse avec les yeux de Chimène, le médecin résolut de botter l’arrière-train de Pavlov, responsable de tous ces maux : il but sa bière d’un trait et déposa sa monnaie sur le zinc.

Dégoûté par tant de légèreté, le vieux Jos dodelinait de la tête.

— C’est pas vrai, ça ! Une jolie blonde ! Sans vouloir vous vexer, M’sieur, j’suis sûr que vous êtes pas une affaire au lit…

L’exégète du houblon fut aussitôt remis à sa place par le cafetier. D’un signe de la main, Vincent Lambertin salua son nouveau copain qui boudait toujours, demanda sa clef et, par une porte à l’intérieur du bar, monta à l’étage.

Simple mais coquette avec ses murs lambrissés lasurés de blanc, sa chambre lui convint tout à fait. Aussitôt, Vincent se dirigea vers la fenêtre qu’il ouvrit. La pièce donnait sur une petite place. Nul commerce, excepté le café-hôtel du Triskell, ne venait colorer la quiétude de la nuit. Face à lui, une maison bourgeoise retint son attention. Elle possédait un grand charme malgré la peinture écaillée de sa façade et de ses volets clos. Cette demeure devait dormir depuis longtemps, abritée derrière ses grilles d’où s’échappait un foisonnement de branches et d’herbes folles. À gauche de la place, la lumière acidulée du distributeur d’un établissement bancaire focalisait le regard de quelque noctambule papillon…

Une silhouette sortit du café. À pas menus, elle traversa la place. Vincent reconnut le fameux Jos. Il marchait droit, honneur oblige… Arrivé à l’angle de la rue, il se retourna. Son expression madrée n’échappa pas au médecin, tandis que le bonhomme vérifiait que l’on ne se préoccupait plus de lui. Sûr de son fait, il releva un vieil engin motorisé que le malin avait planqué au pignon de la belle au jardinet dormant et s’enfuit dans la nuit en pétaradant…

Vincent Lambertin, qui ne cessait de s’arrêter de fumer, s’autorisa une cigarette. Après deux bouffées coupables mais bienfaitrices, il sortit de la poche de sa veste la carte postale maintes fois manipulée… Elle représentait une valeur sûre du patrimoine touristique groisillon : la pointe des Chats. Le médecin ne s’attarda pas à admirer le paysage idyllique de la photographie. Au dos de la carte, il relut les quelques lignes qu’il connaissait pourtant par cœur, tant il les avait disséquées, mâchées mot à mot, s’en était nourri, sans pour autant en être rassasié. Comme à chaque fois, une sensation de manque lui noua l’estomac. Le mystère de sa vie résidait dans cette écriture vive et élégante, calligraphie qu’il aurait reconnue entre toutes… Celle de Caroline… Or, il était tout bonnement impossible que sa femme eût pu écrire cette carte, pas plus que les autres. Ou alors, il devenait fou ; ce qui ne manquerait pas de réjouir certains de ses détracteurs…

La vue brouillée par toutes les fatigues accumulées, Vincent Lambertin réprima un sanglot, serra contre lui la dernière carte reçue comme s’il eût bercé un tout petit enfant…

 

Chapitre 2

Les yeux encore ensommeillés, Vincent Lambertin ouvrit ses volets, se demandant comment l’insomniaque qu’il était devenu avait pu dormir aussi longtemps. Une lumière laiteuse investit la pièce. C’est alors qu’il l’aperçut, à la terrasse de l’hôtel, unique cliente attablée devant une tasse fumante. Le médecin grommela son déplaisir, espérant que la journaliste n’eût pas la fâcheuse pensée de lever la tête vers lui. Un coup d’œil à sa montre-bracelet le rassura. Il prendrait le temps de se doucher, comme convenu. Alors qu’il se dirigeait, serviette sur l’épaule, vers la salle de bain commune, Vincent se demanda d’où venait l’idée, généralement acquise, qu’une femme, par définition, est toujours en retard…

Soufflant sur son thé trop chaud, Hanna Baron craignait, quant à elle, d’avoir raté son rendez-vous. Les médecins, d’ordinaire, se targuent d’être ponctuels. Peut-être le docteur Lambertin était-il déjà sorti et reviendrait-il la surprendre après son jogging matinal ?

Du bout des lèvres, la journaliste goûta son breuvage à l’amertume délicieuse. Elle résista à la tentation de croquer le croissant qui la défiait dans sa panière. Elle aurait l’air malin si la bouche pleine, il lui fallait déglutir un bonjour professionnel… Hanna mit alors à profit ce moment de solitude pour réviser son futur entretien. Le sujet l’intéressait fort, mais elle savait intuitivement qu’elle ne pourrait pas bombarder l’homme de questions… À première vue, Vincent Lambertin ne lui semblait pas commode. Et il n’était pas du tout tel qu’elle se l’était représenté. Pourquoi, d’ailleurs, avait-elle imaginé un spécimen viril sorti tout droit de la série Urgences ? Grand, brun, athlétique, charmeur… C’était idiot de sa part ! La jeune femme fit alors un examen de conscience, rapide et léger comme une toilette de chat… Elle, qui se croyait intelligente, n’échappait pas aux lieux communs qui dictent de curieuses lois naturelles ; à savoir qu’à quarante ans un professeur de médecine, svelte, élancé et beau se transforme à soixante en un bonhomme rondouillard, petit, sévère et barbichu…

Hanna Baron se pardonna très vite ses fantasmes de midinette en mordant à belles dents dans l’unique objet de désir qu’elle eût à portée de main.

— Excusez mon retard, Madame, fit aussitôt une voix derrière elle. Déconfite, Hanna se leva pour accueillir le médecin.

— Je… postillonna-t-elle.

— Je vous en prie… Prenez le temps d’avaler votre bouchée, concéda l’odieuse voix, magnanime.

À présent frais et dispos, Vincent Lambertin s’installa en face de la jeune femme dont le regard dépité le surprit. Il en attribua la cause au fait qu’elle l’avait attendu et réitéra donc ses excuses. L’intervention enjouée de l’hôtelier venant prendre la commande du médecin, sauva la journaliste d’un embarras exponentiel…

Puis très vite, contrairement à d’autres idées préconçues qu’elle s’était forgées, Vincent Lambertin réussit à la mettre à l’aise. Un comble pour un reporter censé l’être !

Il lui demanda avec gentillesse si elle avait des attaches sur l’île.

— Mon père est originaire de Groix, expliqua-t-elle. Ma grand-mère vit encore ici. J’ai passé sur le « caillou » les meilleures vacances de mon enfance. À cause du métier de papa qui est attaché d’ambassade, j’ai voyagé de par le monde. À force, quand on est gamine, ce n’est pas rigolo…

— Tiens ! C’est curieux ça ! l’interrompit le médecin.

— Quoi donc ?

— Rien… Non rien, je vous assure… se ravisa-t-il. Juste une coïncidence, c’est tout.

Devant l’expression soudain attristée du docteur, Hanna craignit avoir commis quelque bourde. Elle décida donc de reprendre les rênes de la conversation :

— Docteur, je suis vos interventions dans la presse depuis quelques mois… Le compte rendu du colloque auquel vous avez participé l’an dernier à Paris m’a particulièrement intéressée… Excusez ma question si elle, est indiscrète… Mais vous animez des conférences un peu partout, dans les grandes villes de France… pourquoi donc avez-vous choisi Groix ?

Vincent Lambertin sourit devant l’incrédulité de la jeune femme.

— Oh ! Si c’est tout le mystère qui vous préoccupe, je peux vous le dévoiler. Vous qui êtes un peu groisillonne, vous connaissez certainement Lucie Sauveterre ?

— La vedette locale de notre caillou ? s’étonna Hanna. Personnellement, je ne l’ai jamais rencontrée… Et pour cause… Cette dame n’a pas dû quitter son lit depuis une vingtaine d’années. Mais ma grand-mère lui rend visite, de temps à autre. La sœur aînée de Lucie, aujourd’hui décédée, était sa meilleure amie d’enfance. Lucie Sauveterre est-elle l’une de vos parentes ?

— Non, mais j’ai reçu un courrier d’elle l’année dernière… Plus exactement de sa nièce à qui elle dictait son message, étant donné que Lucie se trouve dans l’incapacité physique de tenir un stylo… Sa lettre m’a profondément troublé… Depuis, nous correspondons régulièrement. C’est elle qui a tenu à ce que je vienne ici donner une conférence. Comme, à présent, je suis son chevalier servant, ajouta le médecin en mimant une révérence, j’obéis à ses ordres !

Hanna Baron fronça les sourcils tout en buvant une gorgée de thé. L’intérêt de la vieille dame pour Vincent Lambertin pouvait se comprendre… Mais compte tenu de l’aura toute particulière qui enveloppait cette femme hors du commun, son insistance à faire venir à Groix le médecin devait revêtir un dessein caché…

— J’ai rendez-vous avec elle en fin d’après-midi, avoua alors Vincent Lambertin, j’ai hâte de la rencontrer.

— C’est bizarre, ne put s’empêcher de répondre la journaliste. On dit qu’elle ne reçoit que le matin, entre dix et douze heures. Sa pitoyable vie est réglée comme du papier à musique. Si elle fait pour vous une exception, c’est que…

— N’employez pas cet adjectif pour qualifier sa vie, l’interrompit le médecin en éludant ainsi la réflexion de la jeune femme. L’existence de Lucie est tout sauf pitoyable ! Ce serait lui faire offense que de penser cela d’elle !

— Oh ! Moi, vous savez, répliqua Hanna un peu vexée, je ne suis pas très versée dans les bondieuseries, les mystères insondables et tutti quanti ! Je suivrais plutôt le précepte d’Épicure quand il écrit :

« Tant que nous existons la mort n’est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus. » Circulez ! Il n’y a rien à voir ! Si vous préférez…

Tout en repoussant sa tasse vide, Vincent sourit à la jeune femme.

— Permettez-moi, Madame, de soulever ici une contradiction à votre encontre. Pourquoi donc l’agnostique que vous prétendez être s’intéresse-t-elle à mes travaux sur les NDE ?

— Nous dirons qu’il s’agit d’une curiosité intellectuelle, répondit Hanna d’une moue boudeuse. Et puis, le paranormal et le questionnement mystique si prisés par le New Age des années soixante-dix sont à nouveau dans l’air du temps… Il suffit de considérer le succès mondial du Da Vinci Code et de tous les petits satellites qui gravitent péniblement autour de lui ! Si j’y vais aussi de ma plume et que je fasse chorus à cette littérature écrite à l’eau bénite, le journal qui m’emploie sera ravi de publier mon papier. Voilà…

Le docteur Lambertin se cala contre le dossier de sa chaise et observa, songeur, son interlocutrice. Sa première impulsion aurait été d’envoyer paître cette fille qui n’affichait que mépris et scepticisme à l’égard de son travail. Puis il se ravisa. Son intuition, en éveil, l’avertissait qu’il devait, au contraire, collaborer avec elle… Qui plus est, la brutalité de sa franchise cachait, à son avis, une certaine forme de désespoir. Il fut alors persuadé que ce n’était ni l’argent ni la gloire qui la motivait…

— Vous êtes bien, comme tous les Français d’ailleurs, l’enfant de Descartes, se contenta-t-il de répondre. Mais n’oubliez pas que, moi aussi, je suis avant tout un scientifique…

Puis changeant de sujet, le médecin sortit de sa poche une carte postale écornée qu’il présenta à la journaliste.

— Vous connaissez cet endroit, je suppose ? Voudriez-vous m’y conduire ? Si ce n’est pas trop loin, nous pourrions marcher tout en bavardant…

— Ah ! Le phare de la pointe des Chats ? Si sept kilomètres à pied ne vous font pas peur, aller-retour j’entends…, eh bien, allons-y !

 

*

 

La randonnée possède bien des vertus… C’était en tout cas la réflexion du docteur Lambertin tandis qu’il suivait son guide. Comme, en effet, marcher tout en prenant des notes relèverait de l’exploit sportif, la jeune femme avait rangé son calepin dans un petit sac à dos et devisait de choses et d’autres. Ils empruntaient chemins et sentiers intérieurs en direction du sud-est, contournant des champs de seigle ou de blé noir, bornés çà et là de halliers touffus où croissaient à l’envi prunelliers et parfois des asperges sauvages.