Carnage... en coloriage ! - Gérard Chevalier - E-Book

Carnage... en coloriage ! E-Book

Gérard Chevalier

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Beschreibung

Une enquête burlesque menée sur des pattes de velours !

Moi, la sublime Catia, chatte super-flic, suis confrontée à une énigme incroyable !
Un cadavre est découvert au premier étage de la Maison de la Presse de Pont-Aven, l'ex-pension Gloanec des peintres impressionnistes. Une toile de Gauguin est enfoncée sur sa tête.
Le commissaire local demande à Yvon Legal, son ami de Quimper, de se charger de l'enquête car celui-ci est désigné comme responsable moral du meurtre par un message écrit attaché sur la victime.
Devant la complexité de l'enquête, Erwan, mon homme, et le commissaire Legal sont d'accord pour que je fasse appel à Hector, mon très cher ami le vieux et beau chien Saint-Hubert.
Malgré sa culture exceptionnelle et mon talent, malgré l'efficacité de mes bipèdes, ça va déraper grave !!!

Cette nouvelle aventure, basée sur un fait historique réel, ravira les amateurs de romans policiers bretons ainsi que les amoureux des chats et des chiens...

EXTRAIT

Je suis exténuée, et ça ne peut pas continuer comme ça ! Rose cavale dans tout l’appartement à quatre pattes et… Quoi, comme moi ? Ah, vous les lecteurs, hein… camembert ! Ne commencez pas à chatouiller la bête !
Donc, Rose file à toute vitesse dans sa condition provisoire de quadrupède mais, contrairement à nous, elle cumule toutes les bêtises inhérentes à votre race : débranche les appareils électriques, tente de mettre ses doigts dans les prises (je suis obligée parfois de la griffer pour qu’elle retire sa main), fait tomber tout ce qu’elle peut de la table basse du salon, des guéridons, et se fourre dans la bouche n’importe quoi ! Le tout avec des cascades de rire, des borborygmes et des cris dont ses ancêtres les singes auraient honte. Et moi, dans cette catastrophe pas naturelle, je suis constamment sur le qui-vive, la seule responsable qui assume la garde de cette calamité dont les parents, gâteux, ne réalisent pas la chance inimaginable d’avoir une chatte, aussi exceptionnelle que moi, pour pallier leur… incapacité abyssale d’éducateurs.

À PROPOS DE L'AUTEUR

À la suite d’une longue carrière au cinéma et à la télévision commencée à 30 ans, Gérard Chevaliers’est lancé dans la littérature avec une affinité pour le genre policier et à suspense.
Après avoir tenu à la télévision des rôles populaires dans des séries Le 16 à Kerbriant, Les gens de Mogador, Arsène Lupin, Vidocq, La cloche tibétaine et dans des téléfilms, il écrit et monte ses spectacles au café-théâtre puis de vraies pièces, comme Coup de pompe, dont il partage la distribution avec Annie Savarin et Bernard Carat.
Aujourd'hui, auteur de romans policiers et de thrillers, il s'est installé en Bretagne, sa terre d'inspiration inépuisable, terre qu'il affectionne tout particulièrement et à laquelle il rend un vibrant hommage à travers ses écrits.
Son premier ouvrage, Ici finit la terre paru en 2009, a été largement salué par la critique et a remporté de nombreux prix littéraires : le grand prix du roman Produit en Bretagne, le prix du livre insulaire à Ouessant et le 2e prix du Goéland Masqué. L'ombre de la brume, paru en 2010, La magie des nuages en 2011, Vague scélérate en 2013, Miaou, bordelRon-ron, ça tourne ! et Plumes... Et emplumés ! rencontrent également un véritable succès en mettant une nouvelle fois la Bretagne à l'honneur.

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CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

I - Halte aux cadences infernales !

Je suis exténuée, et ça ne peut pas continuer comme ça ! Rose cavale dans tout l’appartement à quatre pattes et… Quoi, comme moi ? Ah, vous les lecteurs, hein… camembert ! Ne commencez pas à chatouiller la bête !

Donc, Rose file à toute vitesse dans sa condition provisoire de quadrupède mais, contrairement à nous, elle cumule toutes les bêtises inhérentes à votre race : débranche les appareils électriques, tente de mettre ses doigts dans les prises (je suis obligée parfois de la griffer pour qu’elle retire sa main), fait tomber tout ce qu’elle peut de la table basse du salon, des guéridons, et se fourre dans la bouche n’importe quoi ! Le tout avec des cascades de rire, des borborygmes et des cris dont ses ancêtres les singes auraient honte. Et moi, dans cette catastrophe pas naturelle, je suis constamment sur le qui-vive, la seule responsable qui assume la garde de cette calamité dont les parents, gâteux, ne réalisent pas la chance inimaginable d’avoir une chatte, aussi exceptionnelle que moi, pour pallier leur… incapacité abyssale d’éducateurs. Sans parler des sévices que je subis, dont le moindre est de prendre mon panache pour un cordon de cloche dès que je lui tourne le dos !

Assez ! Au secours ! J’ai déjà envoyé des mails à la S.P.A., mais ils ont été pris pour un canular, et j’ai essuyé une humiliation de plus.

Ben oui, quoi, je sais me servir d’un ordinateur, d’une tablette, et toutes leurs applications n’ont aucun secret pour moi1. Pas comme vous autres que j’entends constamment râler contre ces « trucs modernes » auxquels vous ne comprenez rien, surtout les vieux ! C’est tout simple : vous n’avez qu’à envoyer vos protestations aux fabricants, en les menaçant de boycotter leurs produits. Mais si ! Ça marcherait !

Enfin, je m’égare, comme d’habitude ; ce sont vos problèmes dont je n’ai que faire.

En revanche, il faut que je trouve une solution à MES problèmes. Nous sommes… je ne sais pas quel jour, et je m’en secoue les paturons. Catherine et Erwan, les parents de « Calamity-Jane »2 sont sortis étancher leur soif de consumérisme et, dès leur arrivée, je vais leur soumettre mes revendications « chadycales ».

1 – Puisque vous envisagez, vous les bipèdes, de ne plus travailler tout en percevant des revenus, j’exige de ne plus garder Rose toute seule.

2 – Si c’est l’apprentie avocate3 qui sert de nounou, je ne veux plus voir sa petite culotte ! Qu’elle revête une jupe décente !

3 – Il n’est plus question de me considérer comme un objet d’utilité domestique. On me demande mon avis, on me considère avec déférence, on ne me donne pas d’ordre, on me témoigne un minimum d’admiration, eu égard à ma prodigieuse personnalité dont le talent fait vivre : le correcteur de mes livres (à ce sujet, j’aimerais bien qu’on m’en trouve un autre !), mon éditeur, le distributeur, les libraires, les marchands de papier et d’encre, et sert de base (mon talent) aux salons littéraires, aux médias qui peuvent enfin parler d’un sujet intéressant : MOI !

4 – Au sein de ma famille, une refonte totale des mauvaises habitudes prises à mon encontre est nécessaire. D’abord, j’ai besoin d’un surcroît d’amour, pour me replacer au statut de « ma jolie fi-fille » qui prévalait dans cette turne avant l’arrivée des gonzesses bipèdes. Erwan est « mon homme » et il serait souhaitable qu’il ne se fasse pas bouffer par ses femelles. En ce qui concerne Yvon, mon flic celte, mon commissaire de police préféré, j’aimerais qu’il me témoigne cette admiration du début de notre collaboration. Ce ne serait que justice, étant donné que je résous toutes les énigmes de ses enquêtes. Je refuse d’être traitée comme une simple fliquette… qu’est-ce que je raconte… comme une subordonnée lambda.

5 – Enfin, question confort personnel, bien des améliorations sont possibles. Par exemple :

Le matin, mes croquettes. Cela va de soi, avant le petit-déjeuner des « autres ». Mais le soir, un sachet cuisiné ou du poisson frais (du lieu jaune par exemple). Pour la gamelle d’eau, il faut la renouveler tous les jours.

La litière agglomérante, ça va.

En revanche, un coussin ou un panier en tissu rembourré est indispensable. L’un ou l’autre, brodé à mes initiales. Je ne veux plus m’affaler n’importe où. J’ai besoin d’un espace à moi, même si je décide de ne pas l’utiliser. D’ailleurs, je ne supporterai pas la moindre réflexion à ce sujet.

Si ces quelques évolutions ne sont pas réalisées dans l’immédiat…

Tiens, je les entends revenir, les parents sans cervelle… ROSE ! NOOON !!! LÂCHE ÇA TOUT DE SUITE !

La demeurée est en train de secouer le pied d’une petite table sur laquelle est posé un gros vase de fleurs rempli d’eau. Je lui donne des coups de patte sur le poignet pour lui faire lâcher prise et, comme elle s’obstine en riant, je la mords jusqu’à ce qu’elle arrête. Ce qu’elle fait en hurlant. Nom d’un tigre ! Quel coffre ! Toute la rue doit l’entendre… Les parents aussi, qui se précipitent pour enfin assurer leur rôle !

— Mon Dieu, que se passe-t-il ? beugle la mère en saisissant sa marmaille.

Ce faisant, elle découvre les traces de mes dents imprimées sur la chair potelée de la donzelle qui, bien sûr, les lui montre en imitant l’expression de sainte Blandine livrée aux lions. Quoi ? Ben, justement, ils n’en ont pas voulu, les lions.

— Pourquoi tu lui as fait ça, Catia ? dit la mère d’un ton que je n’admets pas.

— Alors, réponds ! dit le père, à côté de ses pompes comme d’habitude.

Ah, vous voulez la guerre ? Vous allez l’avoir !

Je pars doucement, majestueusement, sans les regarder, et saute sur le bord de la fenêtre pour faire semblant d’admirer le paysage des beaux toits de Quimper. Pas un poil de ma sublime fourrure ne bouge mais, à l’intérieur, ce serait plutôt le Vésuve se préparant à anéantir Pompeï. Les synapses de l’Homo erectus s’étant enfin branchés, Erwan apporte ma tablette et la pose près de moi.

— Donne-nous une explication !

Je ne tourne même pas la tête et, en prenant tout mon temps, je frappe :

« S’il te plaît… »

— Quoi ?… Oh là là, explique-nous pourquoi tu as blessé Rose, « s’il te plaît ! »

Le mot « torturé » est sous-entendu dans son intonation. Waouh ! C’est parti !

Cette fois, je bondis de mon perchoir, cours comme un lévrier jusqu’au bureau d’Erwan, saute sur le meuble et, cliquant sur Word, je tape sur son ordinateur comme une greffière (ah, elle est bonne, non ?) de l’ex-Union soviétique aux procès des ennemis du peuple (non, je ne ferai pas ça pendant des heures). La famille « N’a qu’une case » me rejoint et lit mes doléances, sauf évidemment Rose qui profite de la position penchée de Catherine au-dessus de moi, pour m’arracher des touffes de poils. Je suis tellement en colère qu’on pourrait me tondre comme un caniche sans que j’aboie… euh… que je proteste. Évidemment, je n’écris pas de patte morte et je sens, malgré mon état, la surprise, la confusion, non seulement quant à leur méprise mais aussi à leur comportement général envers ma personne. Ils le manifestent d’abord par des soupirs, des onomatopées, des « Oui, bien sûr ! », « Évidemment… », « Enfin, voyons ! », puis par des excuses maladroites que je recouvre mentalement comme si elles étaient déposées dans ma litière. Je termine par des éclairs fulgurants d’écriture.

« …et à partir de maintenant (je vous laisse le soin de mettre l’heure et la date de votre calendrier à la con), j’entame une grève illimitée de ma communication avec tous les bipèdes et je vous prie instamment de ne voir à travers ma personne rien d’autre, désormais, que le statut de : CHAT NORMAL.

Pour valoir ce que de droit,

Catia »

Je clique quand même sur « enregistrer sous » avant de redescendre du bureau en prenant l’air le plus idiot correspondant à mon nouvel état. Allez, une petite léchouille pour conforter la chose…

Hahaha, la tronche des cromagnons ! Même la bestiole bipède a l’air hagard de ses parents ! Ils digèrent, à la vitesse des habitants de Lausanne, la tuile qui vient de leur tomber sur la tête. Mais je parie qu’ils vont s’en remettre. Pas comme le pauvre Cyrano de Bergerac4. Enfin, ça va également leur prendre un certain temps… vaudois.

— Écoute, Catia… commence Catherine.

Mais non, justement, moi pas écouter.

— On ne pouvait… pas… savoir… bafouille Erwan.

Ahhhh, je m’étire sur le tapis, en faisant honteusement mes griffes dessus…

— Tu comprends, ma chérie…

Ben non, moi pas comprendre…

— On sait bien que tu es indispensable…

— Oui, et que ce n’est pas facile pour toi…

Ah, moi me délecter… moi contente, eux patouiller…

— Pour ton coussin, je te ferai des lettres dorées…

Et lèche-cul avec ça, la biologiste !

— On peut demander à Morgan5 de mettre un pantalon quand elle vient, renchérit Erwan.

Huummm… je bois du petit-lait, j’exulte, je… ne sais pas quoi. Les enfifrés ! Si on se laisse faire, on devient carrément esclave. Ah, mes saligauds, vous allez en baver des ronds de passe-montagne !

— Tu sais pour le lieu jaune, ce n’est pas un problème… susurre mon journaleux6.

Bien tout ça… À plat ventre que je vais vous mettre… ou au « garde-à-vous », suivant mon humeur. Ah, vous avez oublié qui est Catia et son immense génie ! Vous avez commis l’irréparable, vous allez expier maintenant, bande de droches7 ! « Dieu a donné un cerveau et un sexe à l’homme, mais pas assez de sang pour irriguer les deux à la fois. » Voilà un bel apophtegme de Pierre Desproges. Comment ? Vous ne connaissez pas ce mot ?

Et le grand Larousse alors, c’est fait pour les chiens ? Pas le moment de me souffler dans les bronches !

Un petit pipi, dans un silence respectueux, et hop, je repars dans le salon, toujours accompagnée par la tribu préhistorique, et grimpe sur un fauteuil.

— Tu… tu ne veux vraiment pas nous parler ? dit timidement Erwan.

Frapper serait plus approprié, crétin !

Je tourne en rond pour annoncer que je vais me coucher, comme le font les félins et les canidés depuis le début de l’oligocène, afin d’étaler les herbes et détecter d’éventuelles saloperies d’insectes ou de serpents.

Je m’arrange pour avoir la tête face à eux et, à travers mes paupières presque fermées, je me régale de leur consternation.

— Tâ, na tu ? fait Rose pour meubler le silence.

— On va la laisser faire dodo, dit la mère, pourtant bardée de diplômes, mais pas de la Faculté des Lettres.

Ils s’éloignent et conversent à voix basse pour ne pas me déranger. Hahaha ! Comme si je ne pouvais pas entendre un pet de souris à trente mètres !

— Qu’est-ce qu’on va devenir ? chuchote Erwan.

— C’est une catastrophe ! répond Catherine, plus objective.

— Râââââ ! glisse Rose.

— Et si nous demandions à… un conciliateur d’intervenir ? continue la femelle bipède, nettement plus évoluée que son mâle.

Remarquez bien : c’est toujours la règle. Je me marre quand je pense à la théorie de l’évolution de Darwin. Il y a deux évolutions : l’une mâle et l’autre femelle ! Et le score final n’est pas comparable, misérables petits machos, obtus, prétentieux, violents, adorateurs de football, éponges à bière… « Un jour j’irai vivre en Théorie… car en Théorie tout se passe bien. »8

— Bonne idée ! Tu penses à qui en premier ? Son… sa copine Juliette ?

— Mais non, voyons : Yvon, Papa ! Il la connaît bien. Je pense qu’il aura plus d’arguments pour… pour… pour que tout rentre dans l’ordre.

Mais bien sûr, allons-y, les rigolos ! Envoyez l’éléphant que je lui mette un peu de piment dans sa trompe !

Hahaha ! Le négociateur de la flicaille face à une redoutable féline, retenant en otages deux consommateurs qui ne peuvent plus sortir faire leurs courses chez Casino !

Oh, que je me régale à l’avance ! La tête de Môssieur le commissaire devant un chat qui ne pige plus rien ! Qui ne sait plus dire que « Miaou ». Ah, les investigations vont être sérieusement réduites… Tandis que, à côté, les supputations vont bon bateau, je sens une douce torpeur m’envahir…

Rideau.

Un coup frappé sur un meuble me fait sursauter. Devant moi, perché derrière un gros bureau, un individu en robe rouge me fixe méchamment. Deux hermines enroulées autour de son cou me tirent la langue en ricanant. Il est coiffé d’une toge et tient dans la main un maillet en bois.

« Attendu que la prévenue ne répond à aucune injonction du carrelage, que son mutisme à l’égard des forces de la pagaille est manifestement une attitude délibérée, que son refus de participer à la vie du ménage provoque un grave déséquilibre dans son harmonie, susceptible d’entraîner des traumatismes psychologiques, attendu qu’on n’attend plus rien d’elle, qu’elle s’est rendue coupable d’usurpation d’identité vis-à-vis de son correcteur, le sieur Chevalier, attendu son insolence, sa grossièreté, son mépris blessant vis-à-vis des bipèdes qui la nourrissent mais subissent ses caprices incessants, attendu les mauvais traitements qu’elle inflige à l’enfant dont elle a la garde, nous, juge indécrottable du ministère des pas contents, déclarons sans conscience que la dénommée Catia, née le 5 mai 2011, sur la commune de Botmeur, Finistère-Nord, est justiciable des peines prévues par le code de législation des Conants, article 7218, paragraphe 604 B, escalier gauche, en foi de quoi et comment, est coupable, et la condamnons à la réclusion perpétuelle chez les Auvergnats, assortie d’une peine incompressible, même gonflable. »

Les hermines sifflent et le juge frappe à nouveau sur son bureau.

— Gardes ! Emmenez la condamnée et mettez-la dans la fourrière, direction Clermont-Ferrand !

Et là, le bonhomme éclate de rire. Je reconnais, stupéfaite, Pierre Dac ! Le livre posé près de lui, que je pensais être le Code civil, est en fait un exemplaire des recueils de L’os à Moelle9.

Pourquoi je…

— CATIA ! CATIA !

Je sursaute encore mais, cette fois, dans la réalité.

Yvon est à vingt centimètres de mon nez ! Ces rêves épouvantables me démolissent. Sont-ils provoqués par cette gigantesque culture dans tous les domaines que mon extraordinaire cerveau a enregistrée ? Il est vrai que mon érudition humoristique est peut-être la plus importante et, par là même…

— TU NE VAS PAS BIEN ? hurle mon flic celte.

Il pose ma tablette à portée de pattes et, tendu, attend que je frappe quelque chose… Mais oui, mon gros, compte là-dessus ! Je commence par m’étirer voluptueusement. Je sens quatre paires d’yeux qui me scrutent curieusement. Enfin, surtout trois car Rose, dans les bras de sa maman, a plutôt envie de jouer (ben oui, ça fait combien de temps qu’elle ne m’a pas arraché de poils ?).

Ensuite, une petite léchouille pour faire monter la tension. Dans un silence de vie, joyeuse en ce qui me concerne, je consens à renifler la tablette, avec précaution, comme si je ne connaissais pas cet objet… Et puis je me recouche, tranquillement comme le cattus vulgaris que j’ai décidé de redevenir. Pour bien appuyer l’indifférence que je suis censée ressentir, je bâille longuement, repose ma tête sur mes pattes et ferme les yeux avec juste la fente nécessaire pour ne rien perdre de la suite des événements.

Yvon s’est statufié, un cafouillage de connexions inouï neutralisant ses neurones. Il ouvre la bouche trois ou quatre fois et finit par accoucher de cette phrase qui mérite d’être citée au Livre des records :

— Qu’est-ce qui lui prend ?

La gêne des sapiens est aussi épaisse que la croûte terrestre.

— Viens, laisse-la, dit Erwan doucement. On va t’expliquer…

Hahaha, elles vont être gratinées, les explications du journaleux au chef-flicaille !

— Elle est en grève de communication, dit Erwan.

— Parce qu’on a cru qu’elle avait mordu Rose par méchanceté, enchaîne Catherine.

— Non râ tâ pou lu ! confirme Rose.

— Alors que la petite faisait une bêtise qui la mettait en danger…

— … et que Catia a été obligée de la mordre un peu pour lui faire lâcher le pied de la petite table sur laquelle un gros vase de fleurs risquait de lui tomber sur la tête…

— Mais auparavant, elle avait établi des revendications à notre encontre parce que… parce…

— … qu’on ne fait plus assez attention à elle, qu’on néglige, selon ses dires, son confort et l’amour qu’on doit lui porter…

— Plus la reconnaissance pour la garde de Rose…

— … et sa collaboration exceptionnelle à nos enquêtes ! conclut Môssieur le commissaire. Il est évident que votre attitude n’est pas conforme à ce qu’elle devrait être.

Ohhhhh… le nirvana est un enfer par rapport à ce que je ressens ! Avec un peu de chance, ils vont se taper dessus…

— Si j’ai bien compris, ajoute Yvon, vous comptez sur moi pour renouer avec elle et renforcer vos excuses ?

— Voilà ! dit le chœur des pénitents, sauf Rose.

— Vous ne manquez pas de culot, diveiz10 !

— Tu sais, Papa, fait Catherine d’une petite voix, on s’habitue à tout, même à cette situation phénoménale… On finit par oublier…

— Vous voulez que je vous dise, coupe Yvon, on est dans la merde !

Un jour, j’écrirai mes mémoires et cet épisode-là, même si je viens de le transcrire, je le reproduirai encore. Ça me fait tellement de bien !

S’il y avait une échelle pour qualifier le silence, on serait près du zéro kelvin11 en température, dans les secondes qui suivent.

Il faut du temps pour réchauffer tout ça.

À propos de temps, une phrase des Confessions de Saint-Augustin vient me titiller sans que je lui aie demandé quoi que ce soit : « Qu’est-ce en effet que le temps ? Si personne ne me pose la question, je le sais. Si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus ! » En ce qui me concerne… je m’assois dessus. Poil au…

— Bon, je vais essayer, reprend Yvon. Mais vu vos… bévues, c’est pas garanti !

Il se lève, vient près de moi, réfléchit, s’agenouille devant mon fauteuil et, avec une douceur inaccoutumée, me caresse le dos, me gratouille entre les oreilles, va jusqu’à me déposer un bisou sur le front. Bon, c’est toujours bon à prendre, ça ne mange pas de pain.

Raoooout…, je fais, comme n’importe quel abruti de félin. Tiens, je vais même me fendre d’un « ronron » pour exprimer « moi contente ».

— Tu sais que je t’aime beaucoup, que je t’admire, dit le chef des keufs en prenant sa voix pour extorquer des aveux à Miss France prise en flagrant délit d’exhibitionnisme.

« Va te faire voir chez les Grecs, lui réponds-je (oui, je sais) mentalement. Tu n’es qu’un bipède et ton sirop, garde-le pour ta taupe ! »

— J’ai besoin de toi, nous avons tous besoin de toi, continue-t-il, et nous apprécions tes fabuleuses capacités. S’il te plaît… sois gentille ! Pardonne-leur ces gaffes qui ont lieu justement parce qu’on te considère comme une personne, supérieurement intelligente.

— Nan, je ne pardonnerai pas ! Nan, je ne serai pas gentille ! Je suis en grève ! Halte aux cadences infernales !

Tout cela se traduit, en apparence, par une absence de réaction de ma part, en dehors des crispations de mes griffes sur le fauteuil pour manifester mon bien-être d’animal stupide.

Yvon qui, lui, ne l’est pas, soupire, se relève et rejoint le trio figé dans son mutisme.

— La situation est bloquée ! profère-t-il doctement. Je ne vous fais pas mes compliments.

— Lala ma bu ba si tâ non ? demande Rose, en me désignant.

— Mais oui, viens voir parrain, ma petite chérie ! fait Môssieur le commissaire qui n’a rien compris (c’est pourtant clair).

Il prend Rose dans ses bras et la couvre de baisers.

Autrefois, j’étais dans cette situation. Quelle dégringolade !

— Il faudra tout faire pour arranger les choses avec Catia. Je voulais venir vous voir de toute façon, et sa collaboration sera indispensable dans le cas qui me préoccupe. Je vais vous montrer…

Il fouille dans la poche intérieure de son veston et en retire un sachet transparent renfermant une feuille de papier. Il s’approche d’Erwan, le lui met sous le nez.

— C’est un morceau de papier à dessin, du Canson exactement.

Sur la feuille, je l’ai constaté plus tard, est écrit :

« COMMISSAIRE LEGAL, VOUS ALLEZ EN VOIR DE TOUTES LES COULEURS !

SIGNÉ : UPULU GAGNAI »

Une grosse tache rouge macule un des coins.

Catherine et Erwan éclatent de rire. Ce qui rend Yvon furieux.

— C’est un canular, dit Catherine.

— Je n’en suis pas si sûr !

— Pourquoi ? demande Erwan.

— Parce que la tache rouge est du sang humain !

C’est plus fort que moi, je dresse l’oreille. Si. Je suis l’unique chatte policière de la planète et toute recherche d’énigme, fût-elle dérisoire, fait partie de mon ADN. Je ne vous permets pas de ricaner.

— Par ailleurs, le labo n’a relevé aucune empreinte sur l’enveloppe ou le papier. L’auteur d’un canular n’aurait pas pris ces précautions.

— Ce n’est pas très sérieux quand même, s’autorise mon journaleux. On a eu par le passé ce genre de plaisanterie douteuse.

— Oui. Mais pourquoi mettre une tache de sang ? Si c’était pour faire une blague, pourquoi n’avoir pas employé de l’encre ou de la gouache ? C’est ça qui me turlupine… J’aurais bien voulu avoir le flair de Catia pour m’aider…

Hahaha, s’il s’imagine m’entuber avec une flatterie concupiscente… Hein ? Mais oui, il revient vers moi, prend un gant de latex dans sa poche, l’enfile, sort le document du sachet et me le met contre la truffe… euh…

— Catia, ma chérie, je t’en prie… Dis-moi si tu détectes quelque chose…

Je ne bouge pas d’un poil mais ne peux m’empêcher de humer les effluves horribles qui émanent du papier. C’est abominable ! Malgré moi, ma fourrure se hérisse : sans aucun doute, il s’agit d’un indice de drame atroce. Mes sens sont immédiatement en alerte maximum…

Ouais, ce n’est pas une raison pour capituler lâchement et abandonner mes résolutions.

Voyons, voyons, procédons avec méthode. Réfléchissons bien… Oui, je suis alléchée, intriguée, concernée, mais pas encore impliquée. Je relève la tête, plante mes yeux dans ceux de mon vis-à-vis… dans lesquels je lis… l’espoir d’une réaction de ma part, mais aussi, indiscutablement, une grande affection à mon égard. Je prends tout mon… temps. Comment ? Les photons ont mis trois cent soixante-seize mille années-lumière avant de s’échapper de la soupe primordiale créée par le big-bang, alors vous n’allez pas me pomper l’air pour quelques secondes ! Je suis en position de force, je vais donc en profiter.

J’affiche sur ma tablette « Suis-moi… » et, dès qu’Yvon a pris connaissance du message, je me lève. À l’allure d’un légionnaire défilant sur les Champs-Élysées, je gagne l’ordinateur d’Erwan. Les bipèdes suivent et s’alignent dans mon dos. En premier, je fais apparaître mes doléances enregistrées dans Word. Môssieur le commissaire lit attentivement en hochant la tête. Quoi ? J’ai des yeux dans le dos ? Mais non, bande de lecteurs attardés : je lui jette des coups d’œil discrets… Ah là là… pénible ! Quand il a terminé, il se redresse, se tourne vers ses semblables.

— Bravo ! Il n’y a pas de quoi être fier !

— Je te ferai remarquer, risque Catherine, téméraire, que Catia estime être appréciée de ta part telle une simple fliquette !

— Mais tu débloques ! hurle aussitôt le pachyderme. Elle a rectifié : subordonnée lambda ! Et puis c’est au conditionnel hypothétique !

— Tiens ! dit Erwan pour adoucir les bosses, je ne connaissais pas ce mode de conjugaison !

L’effet est immédiat : la bête devient apoplectique.

— Tu peux te la mettre dans le fion, ta conjugaison ! C’est honteux la manière dont vous traitez Catia ; vous n’êtes pas capables de mesurer la chance faramineuse de sa présence dans votre vie.

— Ah oui ? Et toi ? Tu réalises que, sans elle, tu n’es même pas foutu de mener à bien tes enquêtes ?

— Ahhhh ! Quelle honte ! Pour ne pas assumer tes erreurs, tu m’accuses de nullité !

Rukunus ! Tralalalalère-re ! Mais à part ça, « Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien » ! Si je pouvais, je danserais bien la gigue. Hé, mais j’y pense, si je me dresse sur mes pattes postérieures, j’arriverai à…

— Houuuuhhh ! A ga la pa tâââââ !!!

Le cri déchirant de Rose, qui ne supporte pas les disputes bruyantes, interrompt ipso facto l’altercation. On s’agglutine pour calmer la mignonne, sans avoir compris qu’elle prenait aussi ma défense. Mais si, je commence à comprendre son charabia et ses intonations. TÂ, c’est mon nom. « A ga la pa tâ », ça veut dire « Foutez la paix à Catia ! ». Si !

Môssieur le commissaire n’en a pourtant pas fini avec sa hargne. Il reprend, quarante décibels en dessous, mais trois doses de perfidie en plus :

— Et puis, hein ? Question moralité, c’est un félin qui vous fait la leçon ?

Cette fois, c’est Catherine qui monte au créneau.

— Explique-toi, Papa ! Tu sous-entends que nous avons des mœurs dissolues ?

— Ben, c’est pas chez moi qu’une étudiante se promène en petite culotte !

— Oh ! Ça, c’est… c’est…

Étant la fi-fille à son papa, elle grimpe, elle aussi, dans la zone « rouge ». Erwan, par un effet de volonté rare, essaie d’apaiser tout le monde.

— Allons, allons, ça ne sert à rien de se quereller ! Nous avons des…

Mais Catherine, qui a retrouvé le contrôle de sa personne, lance à son père :

— Notre nounou laisse peut-être apercevoir ses dessous avec sa minijupe, mais chez nous, il n’y a pas de nymphomane qui montre son cul à la fenêtre !

Vous avez entendu parler de la bombe tombée sur Hiroshima ? Ou des V2 s’abattant sur Londres ? Ce qui se passe dans notre appartement est bien au-dessus de ces cataclysmes. « Que voulez-vous qu’il fît seul contre trois ? Qu’il mourût ! » Mais non, cher Corneille, je ne veux ni mourir ni être secourue par un « beau désespoir » ! J’attends, amusée et distante, que le ridicule du pugilat s’évapore, que ces pauvres bipèdes s’épuisent, que leurs arguments vulgaires viennent à court, que leurs ignominies les submergent jusqu’à les humilier eux-mêmes. Dire que je vais assumer l’éducation de Rose dans ces conditions ! Je n’ai pas fini de galérer !

Bon, où en est-on ? Chacun dans son coin rumine. Seule Rose a encore quelques spasmes de nervosité dans les bras de sa mère qui, encore troublée pour juguler sa colère, ne fait pas attention à sa progéniture.

Allez, à moi de jouer.

Je pousse un dossier posé sur le bureau dans le vide. Il tombe avec fracas, et toutes les feuilles qu’il contient s’éparpillent. La tribu sursaute, vient ramasser les documents.

— Tu veux nous écrire quelque chose, ma jolie fi-fille ? dit Erwan, revenu d’un coup au bon vieux temps.

Je me réinstalle au clavier, prends la posture la plus hiératique possible et frappe :

« Mes chers ancillaires,

Vous avez en votre possession la liste détaillée de mes revendications. Dans un esprit de conciliation, je veux bien mettre fin à ma grève de communication. Mais à une condition : après impression de ladite liste, vous signez au bas du document : « Lu et approuvé, bon pour accord, ». La date, je m’en tape.

Si une défection survient dans les… semaines qui viennent, au détriment des clauses du contrat susnommé, j’entamerai une nouvelle grève dont je serai le piquet vigilant.

Quand vous aurez apposé vos signatures, je m’engage à collaborer sans restriction à la nouvelle enquête du commissaire Yvon Legal.

Mes heures supplémentaires feront l’objet d’une discussion ultérieure.

Fait ce jour, pour valoir ce que de droit (c’est la deuxième fois que j’emploie cette formule du jargon judiciaire ; elle est top !),

Catia »

Je tape sur « fichier », « enregistrer sous » et lance l’imprimante. Une fois la feuille éditée, je me pousse pour les laisser signer, ce qu’ils font avec application.

Bien, bien, bien…

Il est temps maintenant d’avoir une discussion professionnelle avec Yvon. Je tape un message à son intention, il acquiesce avec enthousiasme, et nous nous isolons dans le coin du salon où ma tablette est restée sur le fauteuil.

— Alors, comment as-tu reçu le papier à dessin ? dis-je avec le clavier.

— Boutier, mon flic d’accueil, l’a trouvé glissé sous la porte.

— Vous avez visionné les caméras de surveillance ?

— Oui ! Un individu, le visage dissimulé par une capuche, l’a déposé à 3 heures du matin. Il est absolument inidentifiable ! Je te ferai voir l’enregistrement…

— O.K. As-tu une idée de ceux qui pourraient t’en vouloir au point de se venger sous une forme quelconque ?

— Bien sûr. Comme tous les policiers occupant ma fonction : la cohorte de voyous qu’on a arrêtés !

Nous poursuivons notre entretien sans que la notion de temps vienne me triturer. Yvon non plus, d’ailleurs. Avec délectation, je retrouve dans ses yeux l’admiration qu’il m’a toujours témoignée. Oui, je sais, je suis un grand flic… qu’est-ce que je raconte… un grand esprit perspicace, accompagné d’un flair dont le commissaire Maigret peut se ronger d’envie les ongles… s’il lui en reste.

L’heure du dîner arrive sans que nos estomacs aient proféré le moindre gargouillement, probablement fascinés par nos élaborations supputatives. Les hominidés, eux, incapables de surmonter leur faiblesse, ont préparé le dîner sans nous importuner et, lorsque Catherine lance aimablement : « À table ! », cri de guerre préféré des Français, nous obtempérons sans rechigner.

La biologiste a installé ma gamelle entre les assiettes, devant le tabouret haut sur lequel je saute. Bien sûr, elle n’a pas eu le temps de faire les courses, et j’ai droit à du dos de cabillaud surgelé Picard. Je constate que, comme toujours dans notre belle démocratie (mais si, la mieux), si on ne pousse pas sa gueulante, on n’obtient rien. Ben, hé, la preuve ! Évidemment, il y a leur infect gwin ru dans leurs verres… Je ne désespère pas de les mettre tous un jour à l’eau… Mezvier12 !

1. Voir Miaou, bordel ! même auteur, même collection.

2. Hors la loi américaine du XIXe siècle.

3. Voir Ron-ron, ça tourne ! même auteur, même collection.

4. Cyrano de Bergerac est mort en effet à la suite de la chute d’une tuile reçue sur sa tête.

5. Morgan, étudiante en droit, qui sert de nounou occasionnelle. Voir Plumes et emplumés, même auteur, même collection.

6. Erwan est journaliste d’investigation. Je répète pour ceux qui n’auraient pas lu mes chefs-d’œuvre.

7. Bretonnisme : sots, fous.

8. Encore un apophtegme de Desproges ! (N.D.L.A)

9. Revue créée par le célèbre humoriste.

10. Inconscient en français.

11. Moins 273,3 degrés Celsius.

12. Ivrognes, en français.

II - Ça déraille chez les poulets

Le commissariat est une ruche bio ce matin, résonnant légèrement de ce bourdonnement inhérent au travail appliqué des abeilles flics, le nez butinant dans leurs papiers multiples, élaborés dans d’autres ruches émérites baptisées : Assemblée nationale et Sénat. Même le colossal Boutier, de faction à l’accueil, ne bouge pas d’un muscle, plongé dans un formulaire dont, malgré ses diplômes universitaires, il ne comprend pas un mot ; français et traître à la fois. Il faut dire que beaucoup de grands esprits ont participé à sa rédaction, chacun y ajoutant son « empreinte » sans se soucier des autres ! Aussi, quand une voix spéciale l’interpelle, il sursaute.

— Pardon, Monsieur l’agent…

Il lève la tête et découvre une jeune femme d’une beauté troublante. Il se lève aussitôt.

— Veuillez m’excuser, Madame, je ne vous ai pas vue arriver… Mes hommages, Madame. Que puis-je faire pour vous ?

— Je suis un peu désemparée… Je viens de me faire agresser alors que je montais dans ma voiture. Un individu a surgi, m’a agrippée pour m’extirper de mon véhicule. Comme je ne me laissais pas faire, il m’a frappée violemment…

— Mon Dieu, vous êtes blessée ?

— Oui, en fait, pas très…

— Voulez-vous que j’appelle un médecin tout de suite ?

— Non, ce ne sera pas nécessaire.

— Où êtes-vous blessée ?

— Il m’a donné des coups de pied dans les jambes.

Boutier, qui s’est levé, se penche par-dessus le comptoir, et constate que la jolie femme a relevé sa jupe et désigne, sur ses jambes magnifiques, deux ecchymoses sanguinolentes dans les déchirures des fins bas noirs.

— Je vais appeler une ambulance, Madame, et vous allez vous faire soigner aux urgences, d’abord…

Boutier empoigne son téléphone, mais la dame pose la main délicatement sur la sienne, ce qui lui procure un frisson de bien-être.

— Non, laissez, ce n’est pas grave. En revanche, je voudrais porter plainte contre cet individu.

— Mais bien sûr, Madame. Je vais consigner votre déposition dans la main courante. Vous le connaissez ?

— Non, mais vous le retrouverez sans peine…

— Ah bon ? Vous savez où il se trouve ?

— Oui… Il est assis par terre au coin de la rue Kéréon et de la rue des Halles…

— Comment ? Vous voulez dire que…

— Oui, dit la dame avec un sourire adorable, je l’ai un peu… cabossé !

Boutier, stupéfait, reste un instant songeur. Puis il appuie sur la touche du combiné imposant posé sur son bureau.

— Laurent, tu prends Claude avec toi et vous allez ramasser un voyou assis par terre au coin rue Kéréon – rue des Halles… Oui, immédiatement. Il a frappé une dame qui est au commissariat avec moi… Voilà, c’est ça.

Il prend le cahier de la main courante et le pose sur le comptoir.

— Je vous félicite, Madame… Vous… pratiquez le close-combat ?

— Entre autres ; j’aime beaucoup les arts martiaux.

— Si tout le monde était aussi… efficace, nous aurions moins de travail. Mais une si jolie femme qui… qui… enfin qui sait se défendre, c’est surprenant ! Alors, votre carte d’identité, s’il vous plaît…

Tandis qu’elle fouille dans son sac, Boutier, subjugué, détaille sa personne élégamment vêtue, ses mains longues et fines, son visage harmonieux, discrètement maquillé, ses yeux splendides aux longs cils habillés de rimmel, sa bouche pulpeuse au rouge…

— Voilà, dit-elle en tendant le document.