Miaou, bordel ! - Gérard Chevalier - E-Book

Miaou, bordel ! E-Book

Gérard Chevalier

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Beschreibung

Une intrigue policière vue à travers les yeux d'un félin...

Dans cette nouvelle collection, qui s’écarte totalement de son style habituel, Gérard Chevalier propose une belle originalité : son héroïne et narratrice ! Catia, minette quimpéroise « surdouée », mène l’enquête en assistant son maître, journaliste d’investigation, dans ses recherches. Elle maîtrise le langage humain dans ses nuances les plus intimes et emploie parfois des termes fleuris pour juger les comportements des « bipèdes ».

Un ouvrage à la fois tendre et très drôle, laissant la part belle au suspense, qui ravira les amateurs de romans policiers, de Bretagne et les amoureux des chats… Un remède à « la crise », une pause entre les soucis.

EXTRAIT

J’arrive là où la gouttière s’arrête, au rebord de la fenêtre du vieux… Miracle ! Elle est ouverte ! Je le sens à l’odeur du tabac qui s’en échappe.
— Miaou ! je crie, tonalité désespoir.
Rien ne se passe. Il dort peut-être la fenêtre ouverte.
— Miaou ! recommencé-je, un ton plus déchirant.
Toujours rien. C’est inquiétant.
— Miaou, bordel !
Là, c’est carrément la roue de voiture qui m’écrase la patte.
Une lumière s’allume ! J’ai gagné !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce roman est un véritable élixir de bonne humeur. - Munier, Babelio

On suit avec jubilation [l]a jolie narratrice angora dont le caractère et le langage ne manquent pas de verdeur. - Serge Cabrol, Encres vagabondes

Dans la lignée des chats détectives de Lilian Jackson Braun, Gérard Chevalier nous offre une vision truculente des hommes par une petite chatte pleine de gouaille. - Tana77, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

À la suite d’une longue carrière au cinéma et à la télévision commencée à 30 ans Gérard Chevalier s’est lancé dans la littérature avec une affinité pour le genre policier et à suspense. Auteur de romans policiers et de thrillers, il s'est installé en Bretagne, sa terre d'inspiration inépuisable, terre qu'il affectionne tout particulièrement et à laquelle il rend un vibrant hommage à travers ses écrits.
Son premier ouvrage, Ici finit la terre paru en 2009, a été largement salué par la critique et a remporté de nombreux prix littéraires. L'ombre de la brume, paru en 2010, La magie des nuages en 2011, Vague scélérate en 2013, Miaou, bordel ! et Ron-ron, ça tourne ! rencontrent également un véritable succès mettant une nouvelle fois la Bretagne à l'honneur.

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GÉRARD CHEVALIER

Miaou, bordel !

éditions du Palémon

ZA de Troyalac’h

10 rue André Michelin

29170 St-Évarzec

DU MÊME AUTEUR

Aux éditions du Palémon

La magie des nuages

Vague scélérate

Dans la collection Le chat Catia mène l’enquête

n°1 - Miaou, bordel !

n°2 - Ron-ron, ça tourne !

n°3 - Plumes… et emplumés !

Le site de l’auteur :www.gerard-chevalier.com

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,

des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant

ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L'autorisation d'effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d'Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70/Fax : 01 46 34 67 19. - © 2014 - Éditions du Palémon.

Pas de remerciements de Catia

Faire éditer Miaou, bordel ! n’a pas été une sinécure.

D’abord parce que les Éditions du Palémon m’ont imposé un correcteur. Je me suis retrouvée avec un grand escogriffe, pas de la première jeunesse, nommé Gérard Chevalier.

Ce type, entièrement suborné à l’éditeur, s’est révélé un peu… borné, pointilleux, ne faisant qu’à m’embêter pour des détails stupides : « et ça, c’est vulgaire », « et ça, ça ne se dit pas », « et ça, c’est une répétition », etc. À vous dégoûter de la littérature. Ensuite, il a renâclé quand j’ai exigé d’écrire à la fin de mon livre : Miaou, bordel ! a obtenu 63 prix littéraires et a été traduit en 186 langues.

Je lui ai fermé son clapet en citant Cyrano de Bergerac : « Je me les sers moi-même avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve ».

Remerciements de Gérard Chevalier

Je tiens à remercier tout particulièrement les Éditions du Palémon pour leur grande patience envers Catia, auteure insupportable, capricieuse, mal élevée, prétentieuse et souvent confuse.

Je décline, comme nous tous dans cette respectable maison, la responsabilité de ses assertions, de ses positions et jugements.

Un merci chaleureux à ma famille qui a dû temporiser mon humeur exécrable due à cette collaboration forcée, à Mauricette Lambert d’un comportement inébranlable face à cette odieuse féline et d’une gentillesse réconfortante, pour porter au jour cette œuvre plus que discutable.

Enfin je ne remercierai jamais assez Françoise Chevais qui par amitié a chassé impitoyablement toute faute de français dans ce texte, lui ayant évité soigneusement toute rencontre avec l’auteure pour ne pas lui faire perdre de temps. J’espère que nous n’aurons plus jamais l’occasion de travailler dans ces conditions épouvantables.

« On dirait que les chats devinent l’idée qui descend du cerveau au bec de la plume et que, allongeant la patte, ils voudraient la saisir au passage. »

Théophile Gautier

« J’ai beaucoup étudié les philosophes et les chats. La sagesse des chats est infiniment supérieure. »

Hippolyte Taine

I

Ça a commencé comme ça… C’est vraiment pas beau… Cela s’est produit ainsi… Non, c’est prétentieux. Un beau matin… Ah, les lieux communs ! Un matin n’est pas particulièrement beau, jamais. Ou alors il faut le préciser autrement. : le soleil projetait son or sur l’azur du matin qui… Je m’égare. Ce n’est pas du tout mon propos.

J’étais seule dans l’appartement ce matin-là, lorsque des bruits de pas dans l’escalier se firent entendre. Nous ne sommes pas les uniques habitants dans ce petit immeuble ancien. Aussi, n’ai-je prêté qu’une vague attention à cette manifestation d’une présence extérieure à notre logis.

Je surveille tout : mouvements, bruits, phénomènes naturels, odeurs, lumières, la liste n’est pas exhaustive. Mon attention est en alerte perpétuellement, même quand je dors. Et je suis une grande dormeuse.

Les pas se sont arrêtés sur le palier, devant notre porte ! Aussitôt je me suis redressée, mes sens en perception surdimensionnée… Un cliquetis métallique m’a fait comprendre que la personne cherchait une clef. C’est alors qu’un remugle épouvantable est parvenu à mon nez. Une fragrance de sauvagerie, d’humeur barbare, qui m’a terrorisée. Je me suis précipitée sous le buffet deux corps du coin* salle à manger, tandis que l’horreur déverrouillait la serrure et franchissait le seuil de notre nid douillet. J’avais déjà deviné que c’était un homme, une femme ne peut pas dégager pareilles ondes, ou alors une octogénaire dans le fin fond de l’Auvergne. Aussi n’ai-je pas été surprise à la vue des grosses chaussures noires à bout ferré. Sa respiration bruyante exhalait des vapeurs d’alcool anisé mélangées à celles du tabac, d’une puanteur absolue. Il s’est dirigé vers le bureau d’Erwan et a entrepris de le fouiller méthodiquement. Je le voyais maintenant de dos, sa silhouette trapue découpée à contre-jour sur la grande fenêtre donnant sur le balcon. À sa façon de remettre chaque document à sa place de ses mains gantées, vérifiant la bonne position initiale, je compris que c’était un professionnel. J’assistais impuissante à cette intrusion dans notre intimité, notant cependant chacun de ses gestes dans ma vaste mémoire. Après l’examen minutieux du bureau, il se dirigea vers la bibliothèque de laquelle il sortit chaque livre, le secouant légèrement, couverture écartée. Ce fut fait à une vitesse surprenante. Ensuite il se retourna et je dus m’enfoncer contre le mur pour mieux me dissimuler. Puis, il se dirigea vers notre chambre où je l’entendis inspecter les deux tables de nuit et les tiroirs inférieurs de la penderie. Ce furent ensuite la chambre d’amis, les toilettes, la cuisine qui durent subir les investigations de cet individu nauséabond. Sa visite dura environ… un certain temps.

Quand enfin la porte palière fut de nouveau verrouillée, je pus m’extraire de ma cachette. Instinctivement, je vérifiai l’état du bureau. Mais, comme je l’ai déjà précisé, c’était un professionnel de la fouille et rien ne laissait supposer qu’on avait soigneusement visité les lieux. Évidemment, cet événement était en rapport avec l’activité de mon homme.

Erwan est journaliste d’investigation, après avoir été mis à la porte de la police. Une sombre histoire. J’ai compris, malgré mes lacunes dans la compréhension des rapports humains, qu’il avait découvert la corruption d’un de ses chefs. Avec un de ses amis, il avait constitué un dossier pour prouver sa culpabilité. Mais l’autre l’avait appris, une traîtrise sans doute, et l’avait piégé.

Erwan perdit son travail et depuis, vivant sous une menace sournoise, devint un brillant journaliste, correspondant d’un grand quotidien national. Ce qui, d’une certaine manière, constituait une protection.

Qu’importe, je sais qu’il s’en sortira toujours. Je possède un pouvoir prémonitoire et je suis certaine qu’il ne peut rien lui arriver de vraiment dramatique. Je suis sa compagne attentionnée, débordante d’amour pour ce quadragénaire qui sent si bon. Cela fait maintenant quatre ans que nous vivons ensemble. Quatre ans de bonheur, de caresses, de pâtées délicates, de brossages à sombrer dans le nirvana, sur le dos, pattes étirées.

Ah ! Vous n’aviez pas réalisé ! Oui, je suis une chatte. Mais pas n’importe laquelle. J’arbore une fourrure somptueuse comme tous les angoras de la race dite « Européenne ». Mon panache, ma queue, est ma fierté. Mon homme, Erwan, m’appelle « sa jolie fi-fille ». C’est d’un ridicule ! Je lui pardonne volontiers car je ressens de sa part une affection sans limites. Nous nous comprenons au moindre regard, et savons réciproquement dans quel état d’esprit nous nous trouvons.

Jean Cocteau a dit : « Je préfère les chats aux chiens car je n’ai jamais vu de chat policier ». Ce joyeux et talentueux « touche à tout » a occulté le fait que nous, les félins, évoluons au contact de la race humaine. Les autres animaux aussi d’ailleurs. Les corbeaux, les pies, et autres charognards, même les poules ne se font plus écraser par les engins roulants. Seuls quelques demeurés se font encore prendre. Comme les « roquets à sa mémère », sortant de chez le toiletteur, imbus de leur brushing, le sens olfactif détruit par leur parfum. Bon débarras. Certains n’hésitent pas à égorger des chatons. Le grand Clifford Donald Simak a écrit ce chef-d’œuvre de la S.F.1, Demain les chiens, une histoire de l’évolution de la race canine qui, au fil des siècles, prend le pouvoir sur la planète, au détriment des hommes décadents qui ne pensent qu’à se massacrer. Je lui en veux de ne pas nous avoir pris commes personnages car, dans l’ensemble, notre Q.I.2est nettement plus intéressant que ces remueurs de queue obséquieux. Mais un écrivain de cette importance ne saurait être critiqué sur le choix de ses sujets.

Je perçois déjà certains lecteurs ironiques pensant, en haussant les épaules : « Mais bien sûr, une chatte qui possède le langage et l’écriture ! Elle tape sur un ordinateur peut-être ? »

Il y a toujours des sceptiques, c’est normal. Relisez l’Histoire et vous vérifierez que les grands savants ont toujours été contestés, surtout par leurs confrères. Même aujourd’hui.

En ce qui me concerne, il est vrai que je représente un cas rare. Pour ne pas dire exceptionnel. Quoique… J’ai des amis dits « de gouttière » avec lesquels j’échange des idées qui vous stupéfieraient. Les sceptiques ont cela de particulier qu’ils ne cherchent pas à comprendre. Ils rejettent l’idée en bloc, certains d’avoir raison. Alors je leur dis à ces lecteurs dubitatifs : il est plus facile pour un chat de taper sur un ordinateur que de tenir un stylo ! Il n’y a même pas à discuter.

Ensuite mon homme est un littéraire avant d’être un policier-journaliste. Toute petite, j’ai vécu entre un dictionnaire Larousse et un computer Hewlett-Packard, installée sur le bureau d’Erwan qui n’arrêtait pas de me parler.

Dans l’évolution de la vie, il y a toujours un moment où l’anomalie apparaît qui transforme l’espèce. Cela nécessite des millions d’années évidemment, mais cela existe. Les humains n’y pensent pas, conditionnés par les commerçants de la mondialisation qui les persuadent que l’inutile est indispensable tout de suite. Aujourd’hui, sur la planète, nous devons être quelques centaines de chats dans mon cas. Demain, des milliers. « Demain, les chats » ai-je envie de clamer aux mânes de Clifford Donald Simak. Hélas, les derniers habitants de ce monde, après la disparition des hommes et des bêtes, ce seront les insectes… Mais je m’égare encore.

Un jour, je devais avoir sept mois, affalée près d’Erwan avec un bandage autour du ventre (il m’avait fait opérer pour que je ne puisse pas avoir d’enfant, ce qui finalement n’est pas plus mal), je regardais ses doigts courir sur le clavier de l’ordinateur.

Cela me donnait vaguement envie de jouer. Il y a eu comme une déflagration dans ma tête. La relation entre le signe frappé sur le clavier et son affichage sur l’écran a été une révélation ahurissante. Non seulement je comprenais ce qu’il fallait faire pour écrire mais, grâce à Erwan qui lisait à haute voix au fur et à mesure qu’il tapait son texte, la clarté du langage m’est apparue. Bon, ben oui, c’est comme ça, ne vous en déplaise. Cela faisait quand même des mois que je reluquais les lettres. On sait bien que pendant l’enfance on mémorise facilement.

Le plus dur a été de comprendre le sens des mots. Grâce au petit Larousse, fruit du travail de quarante travailleurs habillés en vert foncé, en relisant plusieurs fois les définitions et en y associant les intonations d’Erwan, petit à petit j’ai saisi les nuances et les interactions complexes qui construisent une phrase du langage humain. Quant au vocabulaire !… Cinquante-six mille mots !… Alors que je dispose, de naissance, d’une vingtaine de modulations pour communiquer avec mon homme. Il est vrai que certains jeunes (je les entends hurler dans la rue) ainsi que quelques vieux dans les trous perdus de l’Auvergne, ne doivent avoir guère plus de mots à disposition de leur savoir. Et puis, et puis, sur le plan physique, vous êtes des sous-développés par rapport à nous. Comment ?… Vous pouvez sauter six ou sept fois votre hauteur ? Tomber de plusieurs mètres sans vous blesser ? Grimper aux arbres à toute vitesse ? Retrouver votre famille en marchant des centaines de kilomètres ? Brisons là, je vous prie. Inutile d’évoquer la vision nocturne, la perception du moindre pet de souris, le fumet du cabillaud surgelé Picard là-bas, à cinq cents mètres…

Une autre composante de ma personnalité, et pas des moindres, je suis bretonne ! Allez, gardez vos sarcasmes. J’habite depuis toujours à Quimper, comme Erwan. On a beaucoup jasé sur notre beau pays. On nous a caricaturés, calomniés, méprisés. Nous étions si sales, si arriérés, et nous parlions un charabia invraisemblable. À ce sujet, j’ai entendu récemment un philosophe à la mode qualifier notre belle langue de « dialecte ». Où ça ? Mais à la télévision évidemment. Les hommes et les animaux ont traversé des époques de grande misère dans nos campagnes, avant que le monde ne découvre que la Bretagne est magnifique, exceptionnelle, à la pointe de la réussite économique, même avec les difficultés actuelles. Ce qui est une gageure en ces temps de bêtises. Si je parle… pardon, si j’écris en breton ? Oui, bien sûr. Comme mon homme. Nous trahissons avec bonheur la tradition celtique qui se voulait exclusivement orale. Fallait-il qu’elle soit forte cette langue pour vivre encore aujourd’hui ! Vous ne me croyez pas ? Qu’importe,ginaouek !

Ah ! J’entends Erwan qui arrive. Il est encore dans la rue, cette fabuleuse rue du Chapeau Rouge, cœur historique de la ville. Nous sommes au premier étage, sous le toit, au-dessus d’une boutique de fleurs dont les fragrances m’emplissent de nostalgie. Nous avons aussi une très vieille maison près de Botmeur dans les Monts d’Arrée, et les parfums des plantes sauvages sont assez proches de ces jolies fleurs. Pour moi, en tout cas. Quand mon homme sort mon panier du placard, je sais que trois quarts d’heure plus tard je gambaderai dans le grand champ autour de notre demeure, sautant après les papillons, croquant une sauterelle, toutes ces joies simples de la vie à la portée de tous.

Ça y est ! Il ouvre la porte. Je viens à sa rencontre, quittant le bord de la fenêtre ouverte. Je me frotte contre ses jambes, articulant un gentil miaou de bienvenue.

— Ma fi-fille ! Oh, la jolie fi-fille ! dit-il en se baissant et en me caressant plusieurs fois le dos.

Oui, je sais ; soyez indulgent, s’il vous plaît. Vous ne proférez jamais ce genre d’idiotie, en faisant semblant de vous extasier sur l’horrible poupon de la voisine ? Au moins lui, Erwan, est sincère. D’ailleurs ce ne sont que des paroles pour me saluer le matin, ou après son absence. Car il me raconte énormément de choses correctement. Ses soucis, ses difficultés à écrire, ses interrogations sur la vie, sa copine (hélas, il a une copine, je vous en parlerai plus tard, mais on aurait pu tomber plus mal). Il termine toujours ses élucubrations par la même phrase qu’il me lance avec un mouvement de tête :

— Qu’est-ce que tu en penses, toi ?

Je lui rends son mouvement de tête, sans un miaulement superflu. Comment pourrais-je le conseiller sur des concepts purement humains qui, entre autres, n’ont jamais éveillé de ma part le moindre intérêt. Bon, passons.

Comment vais-je lui faire comprendre qu’un sinistre bonhomme est venu fouiller ses affaires. Hein ? Vous n’avez pas d’idée ? Moi non plus.

Je commence par sauter sur son bureau et je miaule comme si j’avais faim. Il s’approche aussitôt, intrigué.

— Qu’est-ce qu’il y a, ma fi-fille ? Elle n’est pas là, ta gamelle !

Je sais bien, andouille. Je saute sur le parquet et, au lieu d’aller dans la cuisine, je file dans la chambre et m’assois devant les portes de la penderie. Il me suit, sa curiosité en éveil. Je le regarde intensément.

— Tu veux aller dans le placard ?

— Non, dis-je avec un petit cri.

Il ouvre les portes, regarde et, comme je ne bouge pas, les referme. Immédiatement, je retourne dans le bureau et saute sur un rayonnage de la bibliothèque, là où une petite statuette laisse un espace libre. Il me rejoint et, à son attitude, je vois que peut-être il réalise l’étrangeté de mon comportement. Nous n’avons pas vécu si longtemps ensemble sans découvrir notre moi profond.

— Qu’est-ce que tu veux me faire comprendre ?

Ah ! Là, j’ai marqué un point. Il sait que je suis supérieurement intelligente. Il n’arrête pas de le répéter à ses amis ou à sa copine. Qui lui répondent : « Tu es complètement gâteux avec cette bestiole ! » Bestiole, bestiole : est-ce que j’ai une tête de bestiole ?

Une idée de génie me traverse le cerveau. Avec ma patte je fais tomber un livre. Surpris, il le ramasse et le remet à la même place, en m’observant. Je le fixe dans les yeux et calmement le refait chuter. Il voit bien que je ne veux pas jouer. Alors je retourne sur le bureau et là je pousse carrément une chemise cartonnée à terre.

— Qu’est-ce que tu veux me faire comprendre, hein, ma jolie fi-fille ? répète-t-il. Quelqu’un est venu ?

Ouais ! Il n’est pas bête non plus mon homme. Nous avons un code très simple pour dire oui ou non. Enfin… moi. Pour oui, je lève mon cul légèrement avec un faible miaulement. Pour non, je tourne la tête dédaigneusement. Donc, je lève…

— Ah ! Quelqu’un est venu !… C’était Annick ?… Hein, ma jolie fi-fille ?

Non, mon joli con-con, ce n’était pas ta copine, comme j’essaie de te le faire réaliser en tournant ostensiblement la tête. J’attends deux secondes et je reviens vers lui. Il est franchement perplexe, récapitulant brièvement les détenteurs de la clef de notre appartement. C’est vite fait : lui, sa mère et Annick. Il me contemple avec l’espoir de recevoir une information supplémentaire. Je trouve que j’en ai déjà fait beaucoup. Demandez autour de vous si les chats de vos amis sont capables d’accomplir ce que je viens d’exécuter. Il y aurait bien une autre solution. Je pourrais lui écrire sur l’ordinateur ce qui s’est passé… Cela me semble prématuré. Il risque de se précipiter chez un psychiatre, et je n’ose penser aux conséquences catastrophiques qui s’ensuivraient. Déjà dire à ce genre de praticiens qu’on a fait un rêve bizarre peut vous octroyer la camisole de force ou l’enfermement, à minima. Alors une chatte qui rédige un message sous Word… Il appelle sa maman, cette brave femme qui lui a légué dans ses gênes l’amour des animaux. Qui est-ce qui s’occupe de la « jolie fi-fille » quand Erwan s’absente ? Hein ? Et qui me parle avec confiance des femelles que son fils choisit sans discernement ?… J’écoute un moment, et puis sa voix monocorde m’endort. Elle s’en aperçoit, ce qui lui faire dire immanquablement :

— Tu t’en fiches, hein, ma fi-fille ?

Non, je ne m’en fiche pas, mais c’est un sujet qui passe bien après mes croquettes. Et puis être la fi-fille à sa mémère, même avec toute l’affection qu’elle me témoigne, finit par m’irriter. Quelle manie de bêtifier dès que l’on s’adresse à moi !

— Bonjour maman. Ça va ?… Tu es passée chez moi ?… Non… aujourd’hui ?… Je ne sais pas, Catia se comporte curieusement, comme si quelqu’un avait visité l’appartement… Oui…

Et il lui décrit tous mes mouvements.

Excusez-moi, je ne me suis pas complètement présentée.

Catia est mon nom. Cela vient de Cat, chat en anglais, ai-je entendu dire. J’ai presque cinq ans et ma couleur est blanche avec le dos et la tête gris perle. Mes yeux sont verts avec un M à peine visible marqué sur les poils au-dessus des paupières. Je suis née à Botmeur, lieu de notre résidence secondaire, dans un panier confortable, avec couverture, et nous étions cinq bébés. Je ressemble beaucoup à ma mère, qui a élevé seule ses cinq enfants, mon père étant un obsédé sexuel, responsable de l’existence de presque tous les chats du village. J’aurais préféré m’appeler Morgan ou Nolwenn, mais on ne m’a pas demandé mon avis. Entre Erwan et moi ce fut le coup de foudre. Il m’a prise dans ses bras, sans un regard pour mon frère et mes trois sœurs, je me suis blottie contre lui en mordillant son bouton de chemise et nous ne nous sommes plus quittés. La vie tient à ces choix fondamentaux qui se décident en moins d’une seconde.

— Si tu veux… Oui… Viens déjeuner avec nous dimanche. Au revoir Maman. Bisous…

Il repose le téléphone et entreprend minutieusement la vérification de ses papiers. Que vous le vouliez ou non, j’ai quand même réussi mon coup. Oui, un jour, je lui montrerai ce que je sais faire avec l’ordinateur. Mais, j’y ai déjà réfléchi, cela devra être progressif. D’abord quelques signes, comme mon nom par exemple. Je ferai semblant de me tromper en recommençant le mot avec la bonne orthographe. Il me posera inévitablement des questions. Là encore, je m’obligerai à comprendre de travers, avec une écriture phonétique enfantine. Enfin, toutes ces choses qui peuvent vous différencier de l’écriture de Michel Houellebecq.

Un cri me fait sursauter. J’étais en train de lécher ma patte, perdue dans mes pensées. Erwan tient deux minces liasses de feuilles, une dans chaque main. Sur celle de droite, il n’y a pas de texte.

— Tu avais raison, ma fi-fille. Quelqu’un est bien venu. Il a fouillé dans mes écrits et là il a oublié de remettre la page dans le bon sens.

Il me jette un bref regard.

— Je le sais, parce que je l’ai écrit ce matin et, en relisant, je range toujours mes pages avec soin, m’explique-t-il.

Et là, il se met à jurer d’une manière abominable ce que, par décence, je ne transcrirai pas. N’oubliez pas qu’il est flic, même exclu de la police. La politesse n’est pas la vertu première de ces gens-là. Il faut dire que le contact permanent avec les voyous n’arrange rien.

— Ah ! Mais ça aussi ! vocifère-t-il.

Il a découvert un autre détail qui m’échappe car je finissais ma léchouille.

Du coup tout l’appartement est passé au crible. Je l’entends faire des commentaires selon son habitude. Je dois vous dire que c’est un râleur perpétuel. Contre tout. L’administration, les lois, la conception des objets ou des machines usuelles, ses semblables, la vie, le monde entier. Il n’y a que moi qui ne suscite aucune critique. J’en suis très fière. Remarquez, je n’ai rien à lui reprocher non plus. Pas comme sa copine. Ah, celle-là ! Je dis celle-là parce qu’elle n’est pas la première à venir dormir ici de temps en temps. Ni la dernière, à mon avis. Ce qu’il y a d’extraordinaire est que j’ai l’impression de servir de test. Il se réfère aux attitudes de ses femelles à mon égard pour les accepter dans son intimité. Je me souviens d’une pétasse qui m’avait donné un coup de pied. Elle s’est retrouvée dans l’escalier avec sa veste et son sac à main sur sa sale gueule. Faisant semblant d’être endolorie, j’ai dormi toute la nuit sur l’oreiller, à côté de sa tête, en gémissant… de plaisir !

— Yvon, rappelle-moi s’il te plaît sur mon portable. C’est urgent.

Il est revenu dans son bureau et ferme son téléphone. Il s’accroupit, me regarde. Moi aussi. Je lui témoigne tout mon amour avec ce genre de « miaou » à faire tomber raide tout mâle qui se respecte.

— Ma Catia, ma jolie fi-fille… Heureusement que tu es là ! Mon petit génie qui veille sur moi…

Parfaitement, je ne vous autorise aucun commentaire.

Il promène sa main sur mon dos, ma tête, et mon ronron doit s’entendre jusqu’à la cathédrale. C’est ce genre d’instant qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue.

La sonnette, ainsi que l’ouverture de la porte, brise notre échange si délicieux.

— C’est moi ! crie Annick.

Formidable ! Neuf fois sur dix quand les humains s’annoncent, que ce soit dans l’interphone, au téléphone, ou derrière la porte, ils s’écrient : « C’est moi ! » En l’occurrence ça ne nous pose pas de problème, la voix aiguë de cette personne est identifiable sans confusion possible. Elle fait son entrée, telle ces femelles que je vois défiler à la télévision pour présenter des fringues. Même tête à claques inspirée, mêmes ondulations des hanches à donner le mal de mer à un retraité maritime.

Elle se jette sur lui et commence à lui frotter les lèvres avec les siennes. C’est incompréhensible. Elle est capable de faire ça tous les jours, et je ne sais que trop bien comment ça se termine. Pendant ce temps-là, je suis mise à la porte de la chambre, condamnée à écouter ses cris débiles qui vont crescendo pendant au moins dix minutes. Quelle espèce bizarre, les humains… Quand je compare le grondement sauvage des félins avec ses stridulations stupides, j’ai honte pour eux. Et puis nous, ça n’a pas lieu n’importe quand. Un peu de tenue, je vous prie.

Pour cette fois, ce sera plus tard. Il se dégage de ses bras car, Dieu merci, son mobile sonne.

— Ah, Yvon… Oui… Il faut qu’on se parle… Oui. Très bien, viens dîner. Avec ta fille, pas de problème… Annick est là… D’accord. À tout de suite.

— Tu veux que j’aille faire des courses ? demande la créature.

— On va y aller tous les deux, ma chérie.

Ma chérie, ma chérie, gna… gna… gna… Et moi alors ? C’est moi sa vraie chérie ! Vous, vous n’êtes que de passage, femelles diaphanes sans queue ni fourrure. Enfin, ce n’est qu’un artifice de langage machinal qu’il emploie, je l’ai remarqué, pour ses copines. Rien à voir avec le « ma chérie » qu’il me murmure quand je suis sur ses genoux. Il faut avoir de l’oreille pour saisir le ton chargé d’émotion avec lequel il prononce ce mot pour moi. Pas comme ces bonnes femmes qui n’entendent aucune nuance dans sa voix, trop préoccupées de se faire grimper dessus. Hé, oui, c’est un sacré matou, mon homme, c’est comme ça.

J’ai à peine le temps d’aller pisser dans ma litière, de faire quelques griffures sur le club en cuir du salon (oui, c’est interdit mais c’est tellement bon) qu’ils sont déjà revenus de chez les commerçants de pâtées pour humain. Je les suis immédiatement dans la cuisine pour voir le déballage des provisions. Ahhhhhhh ! Il a pris des crevettes grises ! Laissant de côté toute dignité, je supplie Erwan de m’en donner au moins une. Et ça marche à tous les coups.

— Mais oui, ma fi-fille. Tiens…

— Ah, non, fait Annick, pas sur la table !

Je m’en étrangle d’indignation.

— Mais Catia n’est pas sale ! Et on a toujours fait comme ça !

Prends ça dans les dents ! comme disent les gens du peuple. De quoi me mêlais-je ? N’étaient tes deux gros tétons et ton cul volumineux, tu ne serais pas là…

Pour bien souligner nos habitudes, Erwan me dépose deux autres « crangon vulgaris » sous le nez. Elle ronchonne pour le principe, mais n’insiste pas. Va mettre le couvert, ça t’occupera ! Ce qu’elle fait, ayant probablement reçu mon ordre par télépathie.