Ivy - Lou Valérie Vernet - E-Book

Ivy E-Book

Lou Valérie Vernet

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Beschreibung

Une immersion plein coeur dans les pires fléaux de notre humanité pour lesquels IVY, éprise de justice, va tout risquer, tout sacrifier, tout expier. Un thriller Implacable. La violence 'd'une plume contre la violence des hommes.

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Seitenzahl: 220

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Pourquoi nous souvenons-nous du passé Et non pas du futur ?

Une brève histoire du temps Stephen Hawking.

Chacun de nous a son histoire

Et dans notre cœur à l’affût

Le va-et-vient de la mémoire

Ouvre et déchire ce qu’il fut.

« Nul ne guérit de son enfance ».

Jean Ferrat, 1990.

Sommaire

8 mai 2019

PREMIERE PARTIE

I

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

26

27

28

29

30

31

ENTRACTE

DEUXIEME PARTIE

32

33

34

35

36

37

38

39

40

41

42

43

44

45

46

47

48

49

50

51

52

53

54

55

56

57

SECOND ENTRACTE

TROISIEME PARTIE

58

59

60

61

62

63

64

65

66

67

68

69

70

71

72

ULTIME ENTRACTE

RIDEAU FINAL

76

77

78

79

80

81

82

83

84

Épilogue

Remerciements

8 mai 2019

«

X : Pourquoi avez-vous fait ca ?

Y : Vous le savez bien.

X : Ce n’est pas très malin ? Il y avait peutêtre une autre solution ?

Y, du tac au tac, énervé comme si c’était encore possible de l’être.

Vous savez bien que non. C’était même la seule solution. Et je suis content.

X, affligé.

Mais à quoi cela sert-il ? Vous n’allez même pas en profiter.

Y, affligé plus encore.

Vous ne comprenez vraiment rien. C’est tout l’intérêt. Mourir pour qu’elle vive. C’est encore mieux. Ça rachète tout.

X : Mais ce n’était pas à vous de décider…

Y, l’interrompant.

Pas à moi de décider. Vous rigolez. À qui alors ? À Dieu ? À son bon vouloir ? Selon son timing ? À vous peut-être ? Vous vouliez me voir souffrir. Agoniser. Ne plus en pouvoir.

X, choqué.

Non. Évidemment non. Comment pouvezvous dire ça ? J’ai tout fait pour vous. Tout. Même si vous ne m’avez pas beaucoup aidé.

Y, tout sourire.

Alors vous devriez être content parce qu’elle va vivre et qu’elle est bien meilleure que moi. »

PREMIERE PARTIE

IVY

1

9 mois plus tard…

Février 2020

La colère en point d’appui, lancinante depuis toujours, en soubresaut parfois, volcanique aujourd’hui.

Il fallait bien qu’elle explose, qu’elle s’incarne, qu’elle fustige ses proies.

Il était temps !

Sous couveuse depuis des lustres, c’est l’heure de la naissance. La troisième. La vraie cette fois-ci. La plus puissante.

Au diable les dénis, Ivy ouvre enfin les yeux. Et la liste est longue. Il y a longtemps qu’elle a hiérarchisé les sept charognards et demi qui hantent ses pensées. Pendant des années, ils n’étaient que cinq mais depuis peu, c’est décidé, ils seront sept et demi.

Aujourd’hui, elle a ouvert une vanne alors que d’habitude, elle retombe sa colère. C’est bien ça le piège d’ailleurs. Une colère molle, bien enfouie, sans ressort, larmoyante, insipide. Lâche.

Mais ça, c’était hier.

Aujourd’hui, sa colère est une entité quasi omniprésente, dure comme de la roche, au souffle long. Forte comme une armée. Gonflée à bloc.

Ivy s’est préparée minutieusement et elle a tracé tout droit. Sans se retourner. La liste de ses sept charognards et demi s’est affichée dans son champ de vision au fur et à mesure qu’elle enquillait les kilomètres. À huit heures du soir, elle frappait à la porte des origines, là où son enfoiré d’oncle, avachi sur le canapé, finissait son troisième pack de bière de la journée. Elle voulait le choper à temps. Il n’était pas question qu’il soit trop dans les vapes ou en train de s’astiquer le bourgeon devant un porno ou pire, absent, comme souvent, en route vers sa dernière défonce dans un bouge quelconque.

L’heure de la vengeance avait sonné. Fin du sursis. Avec sa tête de fouine, son regard fourbe, son odeur de putois, sa truffe supérieure au moment de dégainer son ceinturon, le vicelard allait passer un sale quart d’heure. Peut-être moins d’ailleurs.

Avec ce qu’elle avait dans les mains, la fin serait rapide. Efficace. Sans bavure.

En prévision, un pistolet automatique 6 coups, noir-argent et comme une facétie provocatrice, une culasse rose. Presque un bijou. Au design élégant et féminin.

De loin, on pouvait presque croire à un jouet mais le site précisait bien le contraire, en le comparant même à un Beretta 85. Aucun doute possible, un calibre 9mn blanc qu’on pouvait aussi charger de Gaz CS. Que du faux, du bluff. Bruit dissuasif ou gaz irritant, dans les deux cas, le gus allait se recroqueviller comme un fœtus ou chialer comme un môme mais, certainement pas, mourir.

Par contre, il serait choqué assez longtemps pour qu’Ivy se rapproche et l’immobilise avec son poing électrique Tiger Stun 2 500 000 V, muni, si elle le jugeait utile, d’une lampe flash à 6LED. La suite et fin se feraient à l’ancienne. Dans un dernier corps à corps. D’où, cette fois-ci, elle sortirait victorieuse. Elle savait ce que le vieux avait de retors. Elle ne devait laisser aucune place à l’improvisation. Sa détermination était sans faille. Son plan parfait.

1/ Entrer sans frapper.

2/ Où qu’il soit, tirer. Elle s’était entrainée, l’illusion était parfaite.

3/ L’immobiliser.

4/ Le regarder droit dans les yeux.

5/ Ne rien dire.

6/ Attendre, au moins une minute pleine.

Et 7/ Enfin, l’achever.

Entre le 3/ et le 6/, le temps devait défiler pour toutes les fois où. Le salaud avait beau avoir un cerveau gorgé de vinasse, elle était sûre que sa mémoire fonctionnerait à mille à l’heure. Une minute c’était suffisant. Elle n’avait aucune velléité d’être plus cruelle que lui. Elle ne voulait pas passer des heures à le torturer et refaire l’histoire. Son retour neuf années après suffirait largement pour créer un choc et mettre le film en marche.

Toutes les fois où il l’avait battue et l’unique fois où il l’avait violée.

Car après elle s’était enfuie.

De victime, elle allait passer en mode bourreau et c’était foutrement légitime.

Elle venait finir ce qu’elle n’avait même jamais commencé mais tant de fois imaginé.

Son oncle en premier.

Les six autres et demi dans la foulée.

2

Dans sa vie, Ivy a eu plusieurs avant et plusieurs après. Des instants T, des jours J et de pénibles semaines voire mois, sans.

Des abandons. Des fuites. Des paliers. Des étapes. Des processus. Des sept fois à terre, huit fois debout mais jamais comme ce jour-là.

Jamais comme cette seconde où son cœur avait implosé. Où après l’avoir senti s’éteindre, rendre son dernier souffle, l’emmener vers la mort, il lui était revenu plus puissant, plus fort, plus armé, plus courageux. Où elle s’était sentie mourir puis renaitre. Où elle l’avait senti battre dans son corps comme une arme indestructible.

Ce battement-là et les suivants l’avaient métamorphosée. Elle s’en souvient très bien. Dès son réveil, ce nouveau cœur avait pris la place. Toute la place. Un sentiment puissant, électrisant s’était propagé en elle.

Pour la première fois de sa vie, elle s’était sentie remplie, forte, neuve. Ce fut un instant magique. Immédiat. Comme une certitude. Quelque chose venait de naitre à son insu. Une force nouvelle, des envies, des idées, tellement à l’opposé de ce qu’elle avait toujours été. Depuis elle se sentait vivante. Déterminée. Consciente. Elle n’avait plus jamais peur, plus jamais mal. Elle écoutait son cœur et lui seul savait.

Il lui dictait quoi faire et comment le faire. Elle n’avait plus à se poser de questions, elle qui s’en était tant posé. Son cœur parlait pour elle. Il était devenu sa voix intérieure.

Elle n’avait qu’à agir, suivre ses instructions. Il avait une connaissance d’elle et de ses possibles qu’elle-même n’avait jamais soupçonnés. Il parlait clair. Sans jamais douter.

Comme si tout était tracé depuis longtemps.

25 ans pour enfin en arriver là : la rage au ventre et une haute estime de ce que devait être la justice. Un idéalisme frisant l’utopisme. Une jeunesse sourde à tout raisonnement qui ne parte pas des tripes et du cœur. Un engagement à 100%. Une foi comme il n’en existe encore qu’à cet âge.

Avant que la bascule du renoncement ne soit saturée par trop de déceptions, d’écœurements, de lassitudes, d’expériences.

Elle croyait encore y échapper. Avait attendu neuf ans. Un 14 février.

Comme une date butoir.

Pour tout régler.

3

En guise de maison, un camping-car posé sur cale dans un jardin miné, totalement isolé, à plus d’un kilomètre de la dernière habitation visible. Le feu a tout ravagé. La pleine lune projette un halo fantôme qui n’épargne rien. Ni les trainées de suie en traces épaisses où un doigt vengeur a signé le mot « assassin », ni les quatre murs noirâtres, encore moins les courants d’air de vide qui semblent être pris dans ce labyrinthe spectral. Plus de toit, plus de fenêtres, plus de porte. Une ruine laissée en l’état. Avec encore éparpillés des vestiges gorgés de terre, d’eau, d’usure. Un lit rouillé. Des lambeaux de vêtements. Des bouts de planches qui rappellent peut-être une table ou une armoire ou un meuble, les trois à la fois, disloqués, arrachés de leurs gonds, pillés, refourgués ailleurs et tellement d’autres squelettes de ce que quelqu’un avait sûrement voulu sauver des flammes sans y arriver. Au milieu, comme une anomalie, trône presque flambant neuf ce qui, en s’approchant, ressemble plus à un fourgon aménagé qu’à un camping-car. L’endroit semble habité. Un morceau de tissu mauve masque les fenêtres. Une antique guirlande de Noël clignote sous une espèce d’auvent qui semble avoir été rajouté comme le marchepied en bois qui mène à hauteur de la porte centrale. Un fond sonore, sûrement le son d’une télé et sinon, un silence de désolation. Qui avec la nuit englobe l’endroit d’une aura lugubre.

C’est maintenant là que vit l’oncle d’Ivy depuis que toute sa vie a brûlé dans l’incendie. Toute sa vie ? C’est-à-dire rien. Il y a longtemps que l’homme n’est plus dupe. Chaque jour à chaque bouteille, il s’en souvient puis il oublie. Il n’a plus rien à reconstruire.

L’argent de l’assurance a servi à l’achat du van, un V65 XL d’occasion duquel il a ôté le moteur et les roues. Il finira comme ça. Sans pouvoir repartir. Sans que personne ne puisse le chasser ou ne le vole. C’est peut-être son dernier doigt d’honneur, une ultime provocation mais il s’en fout.

La mort il y a longtemps qu’il l’attend. Ses ennemis peuvent revenir. Il les laissera faire.

4

Il y a cet instant d’abomination entre le moment où la porte vole en éclats, où Ivy pénètre dans le camion, où elle discerne la silhouette de son oncle avachi, sans réaction, devant la télé allumée, qui manque de tout faire foirer. Une seconde d’éternité où il lui semble arriver trop tard. Où elle a l’impression qu’on lui vole sa vengeance, son plan. Où son cœur fait un bond dans sa poitrine sans arriver à se stabiliser.

Vu comme ça, l’enfoiré est déjà mort. Tout d’un bloc. Comme un con, souillé de pisse, étouffé dans son vomi. Et puis, il y a la seconde d’après, où l’homme devenu vieillard, miteux et flasque, se redresse et les yeux épouvantés, tente de comprendre ce qui lui arrive. Où comme par magie, devant sa gueule de travers, ses cheveux blanchis, sa mine complètement défoncée, tout redevient fluide, presque facile. Aussitôt Ivy fait feu et sur une distance aussi courte, l’effet est immédiat. Aucun dégât mais un boucan du diable qui tétanise le vieux.

À partir de là, tout devient sublime. Trois pas entre l’entrée et le canapé. Trois pas qu’elle parcourt sans quitter l’homme des yeux. Elle voit bien qu’il ne la reconnait pas. Qu’il est surpris. Qu’il semble chercher en lui qui de ses adversaires est arrivé le premier. Alors elle s’approche encore plus près, jusqu’à sentir son haleine de vieil ivrogne lui exploser les sinus et de tout son regard où brille une lumière froide, elle lui balance le grisvert de ses pupilles au fond de ses orbites creuses en même temps qu’une décharge de 2 500 000 volt. Lentement, comme un effarement progressif, presque irréel, étape par étape, elle voit sa bouche se distordre et comprendre. Elle pourrait presque entendre sa tête penser à toute vitesse, vouloir poser des questions, puis en être empêchée.

Elle la tient sa minute exemplaire. C’est encore mieux que tout ce qu’elle avait imaginé. Elle perçoit la panique dans ses yeux. L’incompréhension. Le chaos. La lumière qui vient tout éclairer. Et puis aussitôt le mépris. Le dégoût. La haine. Et enfin le rejet. Tout ce qu’elle a déjà subi mille fois enfant, le pouvoir en moins et ça change tout. Cette fois-ci, c’est elle qui est du bon côté. Et ça lui fait comme un shoot d’adrénaline en plus. Une jouissance supérieure à tout ce qu’elle a pu connaitre. Cette minute pourrait durer des heures que ça n’en serait pas meilleur. C’est comme une suprématie. Une certitude que ça y est, cette fois-ci, tout est remis à sa place. Elle pourrait vouloir la faire durer mais au loin, un cri de bête retentit et pour Ivy c’est comme un déclic. Qui la sort de sa transe. La minute est achevée. L’homme n’aura pas eu le temps de parler. Encore moins de tout comprendre.

Le geste est rapide, précis, efficace.

Une aiguille. Un anesthésiant à dose létale.

Une jugulaire.

5

La mort sous les traits d’une femme.

Est-ce une justice divine ?

Un dernier pied de nez à sa misérable vie ?

La farce d’un diable ou d’un démon ?

D’une revenante ?

La mort apprêtée comme pour aller danser au bal. Les cils repoussés jusqu’au ciel. Un brillant au cou qui scintille et attire d’emblée le regard. Qu’il lui semble reconnaitre. Rien qu’un faux semblant, pacotille d’anniversaire. Et puis, une robe trop légère pour la saison sous un manteau de laine bleu. Une sorte de grâce et de maladresse aussi. Quelque chose qui détonne. Dans le geste, à cause de l’arme ou le déhanché, pas si couture que ça. Une ressemblance toujours. Comme un passé lointain. Qui saute au visage et pourtant questionne.

Impossible. Et pourtant là.

La mort grimée d’une large couche de fond de teint. Un peu trop peut-être. Pour cacher les laideurs du temps, de la peau. Pas si nette cette peau. Pas totalement défaite de sa gangue originelle. Et cette chevelure. Noir corbeau. Qui ondule par endroit. Manque le doigt qui s’enroule autour d’une mèche, un pouce dans la bouche.

L’enfance derrière le masque. Cette gueule d’ange. Tout le portrait de sa mère. Cette haine qui renait instantanément. Jalousie primaire. La mère et donc sa sœur, la petite dernière, la préférée et lui, le laissé-pour-compte.

Heureusement la vie a redistribué les cartes. Elle est bien morte cette salope. Il le sait. C’est lui qui a creusé le trou, à chaque castagne, à chaque humiliation, à chaque fois qu’il en avait envie.

Non pas envie, besoin serait plus juste.

Comme une nécessité vitale.

Faire mourir l’autre pour ne pas mourir à soi.

Jusqu’à aujourd’hui.

6

Une heure plus tard, Ivy gare sa vieille Volvo aux abords d’un bois. Elle sait où elle va, ne sait pas où elle est. Elle a suivi les indications de son vieux TomTom mais n’a rien vu du voyage. Trop occupée à se repaître de sa réussite. Mille fois elle a revécu comme dans un rêve son entrée fracassante et sa sortie victorieuse. Elle a roulé en mode pilotage automatique, comme une somnambule, le corps associé à une volonté mécanique, l’esprit en apesanteur et n’a rien ressenti d’autre, pendant tout le trajet, qu’une immense fierté.

Pour une fois, la vie lui a paru magique, juste, à sa place. Le monde enfin meilleur, débarrassé du mal.

Elle n’a pas seulement vengé son enfance, sa mère, des années de galère. Elle a aussi vengé tous ces gens qui ont dû croiser le chemin du vieux et le haïr au point de vouloir ruiner sa vie. L’incendie et l’inscription sur le mur le prouvent. Le seul regret d’Ivy, avoir pris tant de temps. Avoir eu si peur. La faute à ce cœur si lent, si misérable qui l’a accompagnée toutes ces années. Mais c’est fini, maintenant elle se sent forte. Et prise dans l’élan sait que plus rien ne l’arrêtera.

Elle ira jusqu’au bout.

Il faut juste qu’elle se repose.

Et pour cela, tout est prévu.

Sa Volvo l’accompagne depuis tant d’années qu’elle n’a qu’à tendre la main, incliner le siège passager, recouvrir son corps d’un douillet sac de couchage et dans trente secondes, peut-être moins, elle dormira. Ici, la pleine lune ne transparait pas. Les arbres, hauts et denses, camouflent son coupé sport de 2012. Son allié depuis dix ans, couleur bleu azur. Comme ses rêves. Sa fuite. Sa liberté. Un antique souvenir, vestige de son évasion, le jour où. Volé à son oncle. Jamais rendu. Jamais réclamé non plus. Il a dû se dire que c’était le prix à payer. N’a pas cherché à porter plainte. Trop peur que cela se retourne contre lui. Jusqu’à cette nuit, il a même dû croire que les comptes étaient réglés et si le cœur d’Ivy n’avait pas volé en éclats pour renaitre, il aurait eu raison. Elle ne serait jamais revenue.

Alors le monde aurait continué de porter le mal absolu. Absolu parce que tellement ordinaire, noué dans la trame de la vie, à chaque carrefour de toute existence. L’envie. Qui fait de l’homme, un être dupe de sa propre cruauté et de la femme, une poupée de chiffon sale.

Mais tout cela est derrière Ivy maintenant. Le compte à rebours est enclenché. Même si elle se sent épuisée, elle est heureuse. Alors elle s’endort. Comme repue. Du sommeil du juste. Et dans son rêve, sa mère apparait. Un sourire comme un jour nouveau. Chaud comme l’été. Aussi beau qu’un arc-en-ciel après la pluie. Enfin vivant et même espiègle.

Son regard, l’air de dire « là, tu m’as bluffée… et maintenant… ».

Et maintenant, la route est ouverte. Ivy le sait. Sa mère ne sera pas déçue. Elle aimerait le lui affirmer mais c’est un rêve sans parole. Juste son visage rayonnant. Une telle découverte. Aucun souvenir, aucune photo ne le lui a jamais montré ainsi. Comme si la mort qui l’habitait avait disparu. Et qu’elle était enfin réhabilitée.

Rendue à sa vraie nature. À son entièreté. À son âme intacte. À sa beauté réelle.

Ivy en a le souffle coupé. Elle a presque envie de pleurer. Elle sait que c’est un rêve et que pour le faire durer, elle doit dormir. Encore. Ne pas se réveiller. Profiter de sa mère.

À portée de main, de souffle, d’un baiser. Comme elle osait encore enfant. Quand c’était encore possible.

Avant que la misère de sa vie ne la roue de coups et ne la précipite dans la mort.

7

À peine quatre heures de sommeil, largement suffisantes. Ne pas se ramollir. Ne plus se réveiller en sanglots. Ne pas retomber dans le piège de la souffrance. Du ressassement.

Sa mère morte. Son beau visage ruiné. Ses pommettes défoncées. Sa vie saccagée. Toutes ces années, ça n’a pas fait avancer les choses.

Plutôt trouver une station essence ouverte dans cette région paumée et se remettre en selle. Boire un café, long, sucré puis un court, serré, sans sucre. Une manie qu’elle a gardée du temps de la clope. Quand elle avait encore le droit de fumer. Elle ne pouvait pas tout arrêter non plus. Plus de nicotine mais une bonne dose de caféine. Et sûrement ces madeleines aux fruits confits qui fondent dans la bouche et lui rappellent que oui, parfois le bonheur se mange à pleines dents. Le second charognard sur la liste, elle va le surprendre au saut du lit. Il lui reste deux bonnes heures de route. De quoi se souvenir encore. Une dernière fois. D’arriver la rage au ventre. La certitude ancrée.

Son six coups bien en main.

Sa seringue prête à l’emploi.

Même protocole, même punition, une extermination pure et simple.

Entrer sans frapper, tirer si nécessaire, plutôt choisir de l’immobiliser avec son poing électrique, rose fuchsia lui aussi et définitivement, l’achever.

Pas de fantaisie.

De signature. D’acharnement. Pas de message laissé aux bons soins des flics qui les mettrait sur sa piste ou les ferait dériver pendant des jours. Elle règle ses comptes. Ça ne regarde personne. Que ces sept charognards et demi et elle.

Qui irait lui courir après pour des gens si ordinaires, dont la réputation n’est plus à faire ?

Une simple enquête dira ce qu’il y a à savoir. C’étaient des salauds. Ils l’ont tous mérité.

Étonnant que ce ne soit pas arrivé plus tôt.

Bien de la chance déjà qu’ils soient morts dans leur sommeil.

8

Il y a des gens qui ne méritent pas une ligne dans le grand livre de la vie et encore moins sur une page d’histoire. À peine plus dans un entrefilet en bas de page. Et certainement pas en héros dans un polar. Ou alors au climax, quand le moment vient de bouffer le cœur pourri du méchant, de le déchiqueter avec les dents, d’en faire de la bouillie tout juste bonne à donner à un chien galeux. Et même et encore, il y en a qui ne méritent rien.

Que de se voir crever, encore et encore, en vagissant et en suppliant alors que la dernière minute s’éternise. Ivy n’a aucune pitié.

Ce rebut de l’humanité a déjà trop vécu. Le second sur la liste. Après l’oncle. Et pour cause.

À l’époque, ils étaient frères d’armes. Copains comme cochons. De vrais porcs. Jamais l’un sans l’autre. L’un l’a tenue, l’autre l’a violée. Et puis ensemble, ils ont recommencé. Alternance, même violence.

Évidemment, au bout de neuf ans, lui aussi semble surpris. Il cherche à mettre un nom. Force sa mémoire. La petite minute d’étincelle où tout se joue. Le lobe pariétal en pleine anarchie, l’hippocampe en déroute et le regard d’Ivy plongé dans le jaune malade de ses yeux. Puis, l’instant du déclic, où il comprend, où il voudrait crier, ouvrir la bouche, où la seringue se plante et où bientôt tout s’arrête.

Ivy qui pousse un soupir long comme sa vie. Comme si toutes ces années elle s’était retenue de respirer. Et presque aussitôt, l’image de sa mère.

Son regard lumineux. Qui s’impose devant Ivy alors qu’elle repart sans se retourner.

Là, devant elle, appuyée contre sa berline, sa mère, radieuse. Comme si elle avait repris vie. À chaque trépas, une part d’âme qui lui revient. Et Ivy aussi. Puissante comme jamais. Qui sourit. Et démarre dans un état second.

Le jour à peine levé. Une brume enveloppante. Comme un manteau d’hiver posé sur le chemin.

La route fluide. Sans alerte. Des gestes mécaniques et le souvenir de l’homme, agonisant, impuissant, à sa merci.

Une délivrance.

9

Pauvre hère qui n’aura rien fait de sa vie que de réduire en poussière tout ce qu’il a touché. Une méchanceté de base. Qui ne s’apprend pas. Ne s’enseigne pas. Qui est là. Déjà tout mioche. Tout moche. Qui s’apparente à une lucidité, découverte très jeune, qui l’a rempli de fureur. Qu’il a nourrie à l’excès.

Quoi faire d’autre ?

Comment faire autrement ?

Pas de femme à aimer. Que des femmes à mépriser, à prendre, à posséder. Qu’on paie ou qu’on viole, c’est idem. Même pas des femmes, de simples viscères qui viennent nourrir le fond des tripes de l’homme. La luxure comme antidote. Comme calmant.

Pour un peu de repos. Entre chaque crise.

Parce qu’il faut bien tenter de vivre même si la mort est préférable.

Tant d’années de vices et toujours ce foutu discernement. Même pas idiot ou débile ou fou. Seulement clairvoyant. Écœuré de lui-même. Qui n’a jamais su s’en prendre qu’aux femmes parce c’est ainsi que ça se passe. Souvent. Toujours. Dans ces territoires-là. Ceux du père tout puissant et de la mère soumise. Une seule race à reproduire. Une caricature comme il en existe trop. La lie du monde. Qu’on laisse pourtant se dupliquer. En espérant que… La vie se chargera de rendre justice. Même pas en rêve.

La moitié de la vie de l’homme en taule et pas la moindre amélioration.

Il était né ainsi. Il faut savoir le dire et l’accepter. Mais c’est fini. Enfin. Soulagement des deux. Dans un même souffle long comme l’envie qu’ils avaient que ça s’arrête.

L’homme à bout de cet ersatz de vie.

Ivy au commencement.

10

De : [email protected]

À : [email protected]

Objet : 1ère vidéo

Un jour, la terre se creusera de l’intérieur. Il y aura ni fissure, ni craquement sourd, ni tremblement d’aucune sorte. Rien qui n’avertisse personne. D’un coup, alors que chacun sera à son ouvrage, en train de dormir ou de travailler, de fumer, de danser, de parler, de naitre et même de baiser, la terre s’ouvrira brusquement par le milieu. Apparaitra aussitôt un trou géant comme un énorme siphon qui entrainera tout le monde jusqu’à son magma intérieur. Et personne, je dis bien personne ne pourra en réchapper. Aucun Dieu, ni miracle, ni héros de dernière minute. Il y aura une immense et rapide aspiration de tous les hommes, de toutes les bêtes, et de la moindre particule. En quelques minutes, ou peut-être plus - et alors ça prendra des heures et ça sera horrible - tous seront aspirés broyés, fusionnés, incendiés.

« Gloups la vie… Finito ».

Quand il ne restera plus rien en surface, et seulement à ce moment-là, alors de la même façon que la terre s’est ouverte, elle se refermera. Dans un clap de fin brutal et définitif, l’espèce humaine aura disparu. Et quand je nomme l’espèce humaine, je parle de cette engeance souffreteuse qui la piétine (piètre euphémisme) depuis des siècles. Rappelez-vous, aucun rescapé.

Le monde enfin redevenu neuf. Silencieux. Nu. Vierge. Et voilà, ça en sera fini de cette course contre la montre. De tous ces cycles de réincarnation - naissance, survivance, mort. De la maladie. De l’abjection. De l’ignominie.

Ça en sera fini d’imaginer, qu’à chaque seconde, on ne parle pas de minutes là, on est bien d’accord mais de putain de secondes, plus de 900 viols et 500 homicides sont perpétrés, le plus souvent dans une totale impunité.

Oui, à chaque seconde.

Que des milliers de victimes sont massacrées dans des conflits armés qui n’en finissent plus d’ouvrir le ventre des mères à la hache. D’exciser les enfants. D’asservir les plus pauvres. D’autoriser des bidonvilles de vieillards agonisants. De saccager le fond des océans. D’asphyxier le moindre horizon.