Ozzy - Lou Valérie Vernet - E-Book

Ozzy E-Book

Lou Valérie Vernet

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Beschreibung

21 nouvelles noires (chacune couleur sang ou rose ou grise ) saupoudrées de bleu, de jaune, d'authentique, de farfelu et même de poétique composent ce recueil à l'image de son autrice, en recherche d'humanité. Parce que si elle était le monde ? Ah, si elle était le monde... Ce qu'elle ferait ! Elle l'écrirait... A grignoter ici où là... selon humeur !

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Seitenzahl: 140

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Sommaire

Ouverture

HANG

CARACAL DREAM

Perdu !

Double Je

Entracte

Confidences

Le 18h43

Esteban Le Grand

Ozzy

Intermède

Les Vid’Anges du Diable

« Into The Head »

Le Dernier Patient

Mauvaise réponse !

En bref !

Ne rien demander !

Le Prix de l’Art

3 mois, 6 jours et 2h30…

Hommage

Conclusion

Ouverture

 

Si j’étais le monde ?

Ah, si j’étais le monde...

Ce que je ferais !

D’abord, c’est sûr, je tomberais à genoux. Le regard au plafond du ciel et les bras ouverts, tendus à l’infini, j’implorerais la terre de pardonner aux hommes de lui piétiner la face, de profaner son ventre, d’asservir ses ressources.

Je vomirais l’injustice jusqu’à supplicier les bourreaux, les traîtres et les malins.

Je condamnerais le béton à s’emmurer d’isolement en peignant sa grisaille aux couleurs de l’arc-en-ciel.

Je pleurerais d’impuissance devant la bêtise édifiante des pensées imbéciles. Et je noierais les abjects dans la fange de leurs monstruosités.

Alors, seulement, je demanderais une minute de silence, chaque jour et partout, pour le cycle des vies qui vont et repartent à chaque seconde, les arbres endeuillés, les animaux sacrifiés, les humains foudroyés.

Ivre de possibles, j’accrocherais au bout de mes dix doigts des conditionnels à n’en plus finir et, devenu le monde, j’éduquerais les oiseaux à chanter plus fort que tous les hymnes nationaux, leurs courses drainant à leur suite un souffle de vie plus libre que tous les idéaux.

Je soufflerais au vent de s’ébattre comme une caresse, au soleil de briller sans irradier et à la lune de régner sans rendre fou. Les mers auraient des bras jusque dans chaque pays, nourriciers et bienfaiteurs.

J’élirais les différences au rang de richesses à cultiver, invitant les contraires à respecter la plus infime de leurs nuances.

Je traquerais l’indifférence, l’ignorance et la peur qui sont à la guerre ce que l’œuf est à la poule (l’éternelle et absurde question du commencement) en pointant au bout de leur haine le sourire d’un enfant, le parfum d’une femme.

Je brûlerais dans un grand feu blasphématoire tout ce qui se revendique d’argent, les effigies numéraires, les icônes en papier-monnaie avant d’en édifier un monument si laid et si difforme qu’il serait à jamais impossible à celui qui le regarde de vouloir lui consacrer toute une vie de labeur.

J’apprendrais aux malades à reconnaître la souffrance qu’ils n’ont jamais voulu entendre et qui a tant blessé leur âme avant de terrasser leur corps.

Je punirais le paraître à tout homme qui ne saurait déjà être. Puis j’habillerais d’indulgence et de compassion ce pauvre hère démuni de son seul bien - lui-même dans sa parfaite nudité.

Je réformerais l’école dans un apprentissage du jeu, des arts et de la création.

Je ferais tellement, qu’à la fin, j’oublierais peut-être que je ne suis qu’un homme.

Et même un mauvais homme.

HANG

Si c’était à refaire, je le referais.

De la même façon.

Parce que l’instinct ne se trompe jamais.

Parce que la brutalité et la mort ne sont pas dans le sang qui a coulé, dans cette vie qui s’échappe et que l’on condamne.

Mon crime n’est pas d’avoir foncé tête baissée. D’avoir eu ce sursaut rageur. De l’avoir massacré à mains nues. Ce n’est même pas, comme ils l’ont écrit, cet acharnement à le réduire « en bouillie » alors qu’il était déjà mort.

Quand ils m’ont appréhendé, j’en étais à lui crever les yeux et les tympans. Mourir par là où l’on a péché. C’était clair dans ma tête.

Au-delà du caractère « bestial » de mon acte, je savais que c’était juste.

J’étais conscient. Terriblement lucide. Pendant qu’une partie de moi défonçait ce type à coups de poing et de pied, une autre partie de moi remontait le temps. Ces quelques minutes avant l’assaut. Là où tout bascule. Impitoyablement.

Evidemment je n’ai rien dit, rien expliqué. Je ne me suis même pas débattu et je les ai laissés m’emporter. C’est surtout pour ça qu’ils m’ont condamné.

Qu’ils ont fait de moi, un fou sanguinaire.

Le silence que je leur ai opposé a été ma pire sanction. Le pauvre avocat commis d’office n’a cessé de me le répéter, à en devenir fou lui aussi.

Vous vous condamnez tout seul à ne rien dire. Vous provoquez les jurés. Votre mutisme vous dessert. Ils le prennent pour de l’indifférence. Parlez, nom de Dieu.

Je dois reconnaître qu’il a tout essayé pour me sauver. Pour me comprendre. Mon passé, ma vie, mes relations, tout a été fouillé. Je n’avais pas le profil. Quelque chose clochait entre ce que j’avais été et ce que j’étais devenu.

Entre le poète et le tueur, il y avait maintenant la femme du « Hang ».

Une perle brisée, une magie saccagée. Plus que mes poings n’auraient pu venger.

C’est vrai, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai eu comme une grande déchirure. Et une pulsion « salvatrice-destructrice » s’est emparée de moi. J’ai bondi sur mes deux jambes et j’ai fondu sur l’irrévérencieux. A chaque coup, je sentais craquer ses os. Son sang giclait de partout, je le sentais poisser mes mains, et plus cet homme se réduisait en larve sanguinolente, plus ma rage amplifiait. Il est devenu poupée de chiffon, ne s’est plus débattu et même à terre, j’ai continué.

Et pourtant, ce n’est pas moi qui avais commis le crime, pas moi qui avais changé le cours des choses, pas moi qui avais sali la vie.

Non ! C’était cet homme que l’on m’accusait d’avoir défiguré, broyé, énucléé.

Lui, sa bêtise, son ignorance, sa sauvagerie. Cette certitude de pouvoir profaner la vie en toute impunité. A ce stade, pour moi, cela n’avait plus d’importance. La digue avait lâché. Si c’était à refaire, je le referais.

De la même façon.

Et pour les mêmes raisons.

Parce que j’entends encore cette mélodie à couper le souffle. Qui s’élève et virevolte. Cette mélopée sans mots, juste quelques notes qu’une main experte égraine. L’instant de grâce, magique. Ces quelques minutes où je n’avais jamais été aussi près de toucher les étoiles, le ciel. Les anges.

Qu’est-ce qu’ils auraient pu comprendre ? Eux, les avocats, le procureur ? Leur robe noire, leur mime outragée, leur sentence exemplaire. Eux qui chaque jour avançaient tête baissée, aveugles et sourds.

Auraient-ils entendu comme moi je l’avais entendue, cette musique gravir l’échelle de la verticalité, s’affranchir de la pesanteur, monter comme une bulle de champagne, légère, cristalline et tournoyer dans l’air en une onde heureuse.

J’étais saisi, en transe, je montais avec elle, j’étais en train de rejoindre les cimes. Délesté de ma souffrance, de ma sordide condition humaine, je devenais libre, flottant quelque part dans l’espace, empli de sagesse et de bonheur inconditionnel.

Elle est là, encore, un peu, tout au fond de moi. Et avec elle toute la poésie du monde. Elle plane dans cette geôle misérable où je suis enfermé depuis des jours. A elle seule, elle fait entrer le soleil et remplit l’espace entre les barreaux. Même s’il pleut au dehors et que l’humidité fouraille mon corps de grelottements saccadés. Elle balaye tout, m’enveloppe, me réchauffe.

Il me suffit de fermer les yeux et d’écouter.

Alors les larmes viennent.

Encore une chose qu’ils n’auront pas.

Le sel de mes yeux qui s’écoule dans le souvenir. Qui vient tracer le chemin.

Oui, si c’était à refaire, je le referais. De la même façon. Pour les mêmes raisons. Et sans regrets.

J’errais dans la ville depuis l’aube. Depuis que le silence oppressant de mon appartement m’avait jeté dehors. Comme toujours, la solitude prenait trop de place, elle m’étouffait, je me sentais cerné.

Marcher le matin aux premières lueurs m’en guérissait à chaque fois. Il me suffisait de faire quelques pas, de m’asseoir sur un banc, d’étendre les jambes, de pencher la tête en arrière et d’attendre l’aurore. Contempler la naissance du jour, en absorber chaque frémissement, et le vide en moi se transformait en plein. Chaque seconde bourgeonnait une énergie qui venait choyer mes fissures.

Quand la nature avait fait son œuvre, je me redressais, puissant. Certains ont la caféine en piqûre de rappel, garrottée à la veine de l’envie.

Moi il me suffisait d’une aube, d’un bouton de soleil, d’une parcelle de beau, d’un horizon.

Surtout le dimanche.

Un jour sacré, le dimanche.

Le temps distendu invite à l’errance et l’oisiveté, promet dans sa langueur qu’aucune seconde ne nous échappe. La majorité des gens exècre le dimanche.

Pas moi.

Il me permet de n’être plus qu’une entité divagante, sans contrainte, curieuse d’une périphérie de vie aux aguets d’un regard bienveillant. Je marche beaucoup le dimanche. Je m’arrête souvent. J’écoute. La ville en dilettante, sa rumeur nonchalante, tellement différente de la semaine. Je ne fais jamais le même circuit.

Ce soir-là, il m’avait mené au Père Lachaise, devant cette bande de pelouse qu’on appelle le Jardin du Souvenir.

Il y avait une jeune femme. Elle était seule.

Assise en tailleur, les yeux à demi fermés, on aurait dit un ange. Une sorte d’aura incarnée, gracile et majestueuse à la fois

Posé entre ses cuisses, un drôle d’objet, gris acier. Comme une mini soucoupe volante qu’elle effleurait du bout des doigts, avec grâce.

Je n’avais jamais rien vu de tel. Ses mains habiles dansaient autour de l’idiophone, révélant des sonorités insoupçonnées, proches de la harpe ou d’une cloche. Des sons d’une pureté incroyable. Enivrants, cristallins, presque fragiles. Ses volutes poétiques résonnaient en moi comme un jardin d’Eden. J’étais comme aspiré, pris dans une spirale de délices.

Cette femme jouait comme une caresse éternellement posée sur les plaies du monde. La musique emplissait l’espace. Une farandole d’amour et de volupté.

Je n’avais jamais rien entendu d’aussi beau, d’aussi grand, d’aussi généreux.

Elle était là, comme en absence, dans sa bulle, offrant une part d’humanité aux fantômes du lieu. Jouant un air inconnu, proche du divin.

J’étais subjugué. Planté devant elle.

Avec dans le cœur un débordement qui venait brouiller ma vue.

Je me suis assis, incapable de rester debout, mes jambes ne supportant plus mon poids. A un moment, elle s’est arrêtée de jouer et a levé les yeux. Surprise. Un peu hagarde. Comme si elle revenait d’un long voyage, étonnée d’être à quai. Face à moi, complètement hypnotisé, en larmes.

Pendant que les dernières notes rejoignaient le silence, une conversation muette s’est engagée entre nous. Une connexion telle que toute l’énergie du monde semblait suspendue, en apnée. Comme retenue par un fil invisible. Exponentielle.

Des secondes d’éternité repues de douceur et d’intime consentement. Le temps que mon émotion s’apaise et prenne la parole.

Alors je lui ai avoué n’avoir jamais rien entendu d’aussi beau, d’aussi fort. D’aussi…

Au point d’en perdre les mots.

J’étais bluffé. Moi, le poète ! Dont le métier était d’en mendier chaque syllabe. Aphasique !

Elle a souri. Mimant une moue comme pour me dire « Ah bon ?! » et puis elle m’a expliqué que c’était là toute la magie du « Hang ».

Que c’était un instrument d’exception. Rare.

Qu’il était né par envoûtement, lorsqu’un couple suisse avait un jour découvert son petit frère, le steeldrum. Tombés sous le charme de ce « tambour » des Caraïbes, ils avaient mis des années à s’en fabriquer un. Faisant appel à des physiciens, tentant toutes les formules, testant divers matériaux et maintes évolutions.

En 2001, le « Hang » avait pris sa forme définitive. Assimilé à une percussion, il en était pourtant à mille lieues. Ce volume lenticulaire composé de deux hémisphères en acier a rendu fous les gens. Dès sa sortie. A tel point que ses inventeurs avaient arrêté sa production. Seuls les passionnés montrant patte blanche avaient pu se le procurer.

A qui sait le caresser, une pointe d’extase est promise. Pour ma part, et sans me vanter, c’est tous les jours. Même si je ne suis qu’une « barbare » comparée à d’autres.

Elle m’avait lancé un clin d’œil et s’était remise à jouer, d’un seul coup, comme si elle était fatiguée de parler. Comme si tous les mots du dictionnaire l’avaient lâchée, lasse d’un lexique trop cru. Etroit. Sans âme.

Ses doigts ont pris le relais et lentement la magie est revenue. Un ballet de tonalités entrelacées d’où jaillissait un refrain soyeux.

Le Hang avait son langage propre, intraduisible, singulier. Précis, magistral, parfait. Qui ne s’offrait qu’aux élus. Il fallait une oreille attentive et une intériorité spéciale. Il fallait être d’une autre planète, perché ailleurs, accroché à une étoile ou relié au firmament.

Ce que je ressentais encore plus à présent que le jour déclinait et que, sous couvert de la nuit, le monde entier semblait s’effacer pour nous engloutir. Elle, moi, le hang et grâce à lui, les infinies turpitudes cosmiques.

Je vivais un moment hors du temps, un de ceux dont on peut dire qu’il y a un avant et un après. C’en était presque douloureux. Tellement intense que je fermais les yeux. J’étais à fleur de peau, priant pour que dure cet instant.

C’est à ce moment-là que l’homme est arrivé. Il a foncé sur nous comme un bulldozer. Brisant dans un jargon obscène le charme d’un instant privilégié.

La réintégration d’avec mon corps physique a été violente, grossière, désastreuse. J’ai eu comme un étourdissement suivi d’un choc électrique. Mon sang n’a fait qu’un tour et quelque chose en moi a explosé. J’ai ouvert les yeux et lui ai sauté à la gorge.

Du paradis je plongeais dans l’enfer. Je sentais que je perdais les pédales, complètement habité par une pulsion à l’opposé du divin qui m’avait brutalement déserté.

J’ai libéré en moi ce que j’avais de plus sanguinaire. Incapable de m’arrêter. Presque heureux que me soit donnée l’occasion de me débarrasser de ce flot d’énergie. C’était à la hauteur et à l’exact contraire de mon envolée musicale. Ce sauvage m’avait ramené sur terre. A sa cruauté. A sa blessure primale. A son incohérence. A ses bas instincts. A sa condition purement animale.

La jeune femme s’était enfuie, emportant avec elle, son Hang, sa magie et ma part d’humanité.

J’ai su que c’était elle qui avait appelé les flics. Je venais de tuer son petit ami.

Certes, il avait hurlé, s’était jeté sur elle, avait brisé son Hang mais non elle ne comprenait pas pourquoi j’avais fait ça. Comment ça avait dérapé. Ni même qui j’étais. Au procès, elle n’a rien fait de pire ou de moins que dire Sa vérité. Mais sa version ne ressemblait à rien de ce que nous avions vécu. Je me suis senti seul. Si dérisoire dans Ma vérité. Alors j’ai choisi le silence. Personne ne méritait ces mots. Ils sont pour moi. Pour que subsiste une trace avant que le temps n’engloutisse ma mémoire. Depuis hier déjà, le souvenir s’efface. Je n’arrive plus à retrouver ce refrain qui m’avait fait tutoyer les anges. Des jours, longs comme un trou noir, que je suis enfermé ici et la musique du Hang s’éloigne.

Je sais ce qui m’attend. Plus rien d’aussi beau ne peut plus m’arriver. Le monde est laid. Grotesque. Quand on est touché d’un instant de grâce comme je l’ai été ce jour-là, il devient même d’une absurdité affligeante.

En prendre conscience, c’est déjà mourir.

Je ne laisserai à personne le droit de m’achever à petit feu. Coincé dans cette cellule. Quiconque me trouvera pendu et lira ces mots, sache que si c’était à refaire, je le referais.

De la même façon

Pour les mêmes raisons.

Et sans regrets.

Ouais, c’est ça le mytho. Tu sais quoi, ta prose de petit pédé commence sérieusement à me les casser. Tu nous refais l’histoire, à ta sauce, chaque fois que t’entends sonner la cloche du soir. Ton Hang, c’est rien que ta cervelle qui part en live, ton prénom d’asiat « Hằng machin chose » à la mords-moi-le-nœud. T’as buté ta môme et ça, tout le monde le sait. Six mois que ton crachin de merde me file la gerbe. Alors ce soir, tu la boucles ou sinon, putain…c’est moi qui vais te pendre.

C’est vrai, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai eu comme un étourdissement suivi d’un choc électrique. J’ai ouvert les yeux et lui ai sauté à la gorge. Le dimanche, je ne fais jamais le même circuit.

CARACAL DREAM

On dit que les objets n’ont pas d’âme et donc pas de cervelle, de mémoire, d’affect. On dit encore qu’ils n’ont qu’une utilité réduite, vaincue par l’immédiateté et le consumérisme. Et que le monde court si vite à sa perte qu’un jour il périra par là où il a péché.