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Le fou de papier, La source vive, deux histoires : une continuité. L'amour avec un grand A et ses méandres labyrinthiques. Universalité des sentiments. Nuit noire de l'âme. Concept flamme jumelle, âme soeur, relation karmique. Conte moderne de deux enfants de la terre en guérison et en équilibre de leur Yin et Yang.
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Seitenzahl: 237
Veröffentlichungsjahr: 2023
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M + Editions :
Acouphanges
Matricule 2022
La toile aux alouettes
Un trop grand silence
Grand comme le monde
Les Editions du Loir
G comme Gratitude, 2019
Surtout le pire, 2019
Ed. La Trace : Le rire du monde, 2018
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A toutes les FJ qui œuvrent
pour l’humanité.
A la mienne,
Éternellement.
LE FOU DE PAPIER
Préhistoire
De nos jours
Entracte
LA SOURCE VIVE
J moins 1, Mémé Luce
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
J plus 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
J plus 5
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
J plus 12
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Instant T
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Instant T
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Instant T
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Instant T
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Ailleurs
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Sept mois après
De retour
Paru en 2019 sur Amazon
sous le pseudonyme de Gaia
Nous devions nous aimer,
C’était écrit là-haut.
Les âmes sœurs finissent par se trouver
quand elles savent s’attendre.
Théophile Gautier
L’intemporel en vous est conscient de l’intemporalité
de la vie,
et sait qu’aujourd’hui
n’est que la mémoire d’hier,
et demain le rêve d’aujourd’hui.
Khalil Gibran.
Et la pluie festoyait, drue, insolente, en virevolte. Du plus haut qu’elle achoppait sur la terre sèche et craquelée, on l’entendait frapper le sol, têtue, comme endiablée.
Les premières gouttes matutinales, rares et timides, avaient d’abord explosé net. Coupées en deux sur les roches dures, les bois secs, les pistes durcies, vaincues par la rugosité des éléments, elles s’étaient épuisées à la tâche, sacrifiant leurs premiers jets dans un fatras meurtri ; n’entamant rien de la croûte terrestre où plus rien n’avait poussé depuis dix lunes.
Au galop d’essai, alors que le soleil aurait dû pointer droit à la cime du monde, avait suivi un pilonnement assourdissant. Les larmes divines avaient redoublé d’acharnement, certaines déjà qu’il leur faudrait s’unir pour venir à bout des terres incendiées. A présent, il en tombait tellement et tant et encore, que de toute la colline et à des milles de là, on l’entendait s’élancer, s’embourber, se charrier en trombe. On l’entendait chanter sous les feuillages, ployer les branches, creuser les terriers et déranger la faune qui croassant, pérorant ou sifflant, s’enfuyait sans pouvoir lui échapper.
Il avait fallu à l’orage une journée et une nuit tout entière pour venir à bout de l’âpreté estivale. Les hommes avaient accompagné sa vindicte au premier éclair venu zébrer l’horizon. Ils étaient sortis des grottes, à demi nus et les bras tendus jusqu’au ciel, ils avaient hurlé. Des rites, des prières et toutes ces incantations que la mémoire des sources leur avait léguées. Ils avaient tapé bois, os et cailloux entre eux à s’en meurtrir les doigts, espérant tirer de chaque son une flèche d’abondance plus violente et haute que la précédente. Ils savaient que la pluie nouvelle claironnait la renaissance.
Après les fortes chaleurs, c’était là, la grande joie du ciel : ouvrir une grande fois les vannes. Dans une ivresse dégoulinante, les dieux autorisaient enfin les nuages à se tordre comme des éponges gorgées jusqu’à la moelle. Et chaque goutte d’eau tombée au sol, sur les têtes, aux arêtes des choses et des bêtes, criait victoire.
Dans un joyeux charivari, la danse des hommes se muait en transe.
Un nouveau cycle pouvait commencer.
*
Pour Mya et Lyan, c’était le dernier.
Ils en avaient goûté de ces saisons où tout est à refaire toujours, où le vivant se redresse et meurt, donne des fruits, balaie la plaine, terre les bêtes, appauvrit la terre, se ré-apprivoise en bourgeons, grelotte, sue, claque des dents. Ils avaient vu se dresser les clans, les uns contre les autres puis l’espace d’une nouvelle oraison, s’unir les uns avec les autres. Ils connaissaient très bien toutes les tribus. La leur qui s’étend bien après la plaine et les bois et le grand lac blanc. Celle de l’autre côté des montagnes. Celle plus loin encore au versant du soleil couchant. Et celle de dessus les nuages, perchée sur la colline. Ils savaient reconnaitre le signal. Celui d’après la liesse et les envolements. Bientôt les territoires se redistribueraient.
Ici tout était combat et cette fois-ci, Mya et Lyan ne gagneraient pas. Ils devraient céder, contraints de se réfugier plus au sud, là où la terre est jaune et meule et pauvre. Là où s’entassent les moins hardis, les plus fragiles. Ceux que la vie exclut et que peu à peu les ténèbres endorment. Dont on dit que la nuit les a mangés.
Ils le savaient comme tout ce qu’ils avaient appris depuis leur première aube. Sans même s’être jamais parlé. C’est leur peau fissurée, crevassée, nouée à leur chair qui leur a montré le chemin. C’est ce chien-loup dans le regard comme une bougie presque éteinte. Le suranné de leurs effluves corporels comme l’ultime pestilence de ce qui tend à pourrir pour disparaitre. Et cette détresse qu’ils éprouvent pour la première fois peut-être. Qui cette nuit encore a rapproché leurs corps sans pourvoir se défaire. Cette appartenance qui n’a cessé de grandir bien avant que leurs jambes d’enfants aient soutenu leur course. Quand les aïeux les asseyaient ensemble, qu’ils jouaient à attraper l’ombre de l’autre et qu’on les retrouvait blottis dans la même cavité froide, crevant de chaud.
De la première heure jusqu’à la dernière, ils n’ont jamais rien connu d’autre qu’eux mêmes, enfantant d’eux-mêmes et ne survivant qu’en se soumettant l’un à l’autre. Chevauchant les saisons en gagnant chaque fois le privilège de la grotte Alpha. C’est la clarté de leur aura, la force de leur unité qui les a protégés jusque-là. Mais cette nuit, le ciel a cédé et dans leurs âmes entrelacées, qui ne savent rien des noms, des verbes et des pesanteurs de la pensée, la violence cosmique a parlé.
Ils ont ressenti le craquement du ciel comme le présage de leur dernière aube. Leurs mains ont parlé pour eux, elles ont pris route ensemble, là-bas, en amont de toutes choses, où personne ne va, bien après le lac blanc. A sept lunes de marche au moins. Un territoire que les hommes des tribus ont toujours laissé en creux parce qu’il n’y coulait ni eau, ni vie d’aucune sorte. Un socle brun, poreux, mélange de sable et de terre, instable, désertique, illimité.
Et mythologique.
*
La légende raconte que tout a commencé dans ce désert bleu. A cet endroit du monde que rien n’enfante jamais et à cette seconde précise du jour où la nuit s’évapore dans l’aube. Là où naissent toujours les premières lueurs d’avant le soleil. Un espace temps si ténu et prodigieux qu’il est rare de le contempler. Et les enfants à ce stade de l’histoire de murmurer immanquablement « Mais qui l’a vu alors ? ».
Aux ancêtres d’aussitôt répliquer « chut » en retenant leur souffle, le regard courroucé comme si de ce seul secret dépendaient la véracité des faits et le pouvoir de convertir la superstition en magie. Le silence se faisait alors pour de bon. Les jeunes voyaient les plus vieux fermer les yeux et comme eux, ils tentaient d’imaginer un bleu mystique, entre nuit et jour, aux reflets lumineux. Une sorte d’aurore fugace, offerte et insoumise, quasi irréelle qui inévitablement se mourrait aussitôt dévoilée. De cette vision en apnée de conscience, frustrés d’en être si vite dépossédés, tous la remplaceraient très vite par l’Arbre de l’Eau de Lune et l’histoire pourrait continuer de se raconter. Il suffisait de lever la tête et de le contempler. Mastodonte fier et droit, puissant, majestueux, inébranlable.
Parce que l’AEL existe en vrai et qu’il faut bien qu’il soit né de quelque part, d’un mystère plus grand que soi, très vite ils oubliaient la vision obsédante. Et qu’importe alors, de qui ou de quoi l’AEL a poussé, puisqu’il existe. Qu’importe que ce temps-là échappe aux hommes s’il continue d’enraciner leur mémoire comme il enracine la tourbe alentour. Là où autrefois sable et boue se partageaient famine et où, à présent, s’étendent des champs agricoles généreux et nourriciers. Et là où la légende raconte qu’un frère et une sœur, en venant y mourir, auraient à l’heure bleue ensemencé la première graine de l’éternité, fécondant simultanément le plus grand arbre que la terre ait porté.
Que les jumeaux, Mya et Lyan, dont la sève ne cesse de nourrir et la légende et le végétal, aient bu leurs dernières larmes, à la pleine lune, alors que pourrissaient déjà leurs corps et s’élevait leur âme. Qu’ils se soient endormis à jamais, étourdis de fatigue, après des jours d’errance. Que l’Arbre de l’Eau de Lune se soit en une nuit déployé. Que l’histoire de l’humanité en ait à jamais été modifiée. C’était en vérité tout cela qui comptait.
C’était au temps d’avant où l’homme ne connaissait ni la pierre, ni le bronze, ni le cuivre et à peine l’écriture mais où il savait recevoir les dons pour les transformer en croyances.
On dit depuis que cette alchimie précède celle des hommes, que l’AEL en est l’emblème et qu’à travers lui l’âge des métaux a balayé la poussière du passé et porté l’humanité à sa nouvelle création. On dit aussi que certaines nuits, ses racines chuchotent, qu’à la rosée son feuillage pleure et qu’à la cime des branches s’élève parfois une mélopée qui fige le temps et ensorcelle les amoureux. Et si, par miracle, une naissance coïncide, l’enfant en recevra le baptême et sera protégé pour toujours.
Boire à l’Arbre de l’Eau de Lune, c’est être assuré de croître puissamment. S’y réunir, c’est goûter à son enchantement.
Personne n’a jamais pensé que l’Arbre puisse mourir un jour. La légende et l’AEL ont traversé tellement d’âges. Pourtant, à cet instant, alors que les aïeux louent son histoire et illuminent les yeux des petits, s’il pouvait parler, il avertirait ses enfants.
Parce que dans ses souches, ses veines et son cou immense, une vibration comme un long signal a couru. Parce qu’il a senti d’un coup le poids de ses branches devenues lourdes et lasses et impatientes et que dans son écorce craquelée par les décennies, des murmures en veine de pluie se sont écoulés.
Humant l’air, scrutant les étoiles, fouillant la terre, il a mille fois eu le temps d’apprendre et de se souvenir. Tout cesse un jour pour mieux se perpétuer. Si rien ne disparait, rien n’apparait jamais. Le temps imparti à chaque être est une nécessité vitale. Ni trop ni pas assez mais ce qu’il faut pour se transformer et continuer de porter la course de l’humanité.
Alors oui, s’il pouvait parler, il les préviendrait et surtout il les réconforterait. La foudre, bientôt, s’abattra sur lui. Elle écartèlera son tronc d’un coup sec, le scindant en deux parties, qui fléchiront lentement dans un déchirement de bête. Les racines soulèveront la terre et dans les minutes qui suivront, les hommes croiront à une éventration du monde. Alors qu’à l’agonie d’un temps qui fissure encore l’histoire, son peuple croira vivre son dernier jour, l’âme des jumeaux, libérée et revenue à la vie, reprendra enfin le chemin des vivants.
*
Il y a quelque part dans l’univers, un endroit tenu secret qui pourrait raconter, siècle après siècle, vie après vie, ce que sont devenus Mya et Lyan. Une mémoire qui se souvient encore d’eux quand leurs corps ont percuté la Perse Antique et qu’ils se sont retrouvé frères d’armes, à lutter avec pour seul rempart un bouclier d’osier et de courtes piques. Ils avaient l’âge d’être des hommes sans en connaitre vraiment la signification aussi insouciants et valeureux que le sont les amis. Puis Meysam a vu tomber Mahyar. Le temps de s’étonner et de comprendre, qu’il tombait, empalé lui aussi, à ses côtés. Tête contre tête, ils n’eurent pour eux qu’une poignée de secondes. Un dernier instant qui passa comme un éclair dans leurs yeux. Comme si, d’un coup, ils se souvenaient et qu’à ce moment-là, leurs prénoms (Meysam « eau courante » - Mahyar « ami de la lune ») firent enfin écho à leur courte vie et à leur incroyable amitié.
Cette mémoire qui transcende les âges a tout retenu de ces secondes qui façonnent les destins. Pour chaque homme l’histoire est gravée. Elle sait ce qui fut, ce qui est et dans une certaine mesure ce qu’il adviendra. Chaque vie traversée a laissé son empreinte et chaque situation sa conséquence.
Plus tard, ce cortex géant retrouve trace. Encore et encore. Ils ont été jumeaux. Puis amis. Au Moyen Âge, ils seront mari et femme avant que la peste ne leur ronge la peau, le sang et les yeux. Mais pas l’âme. Cette âme qui dans les temps modernes les dissociera pourtant. Qui de Lyan ou Mya sera le poète maudit et l’autre, la muse absente ? Qui tentera d’échapper à son destin, à cette mémoire légendaire, à cette fausse croyance d’éternité. Alors que l’AEL n’existera plus que dans les livres et que trop de vies bâclées en auront gommé la solidité, seule la mémoire du monde le sait. Et continue sa route.
Au premier jour me sont apparus tes yeux. D’un bleu pâle, presque transparent. Une aube de printemps dans son premier éclat, étonnée d’être là, timide, un brin farouche. Tu les cachais derrière de grandes lunettes ombrées que tu as retirées doucement afin de mieux me sourire.
Ce fut comme une mise à nu de ton âme. Comme si tout était donné sans retenue. Ton visage ainsi dénudé, offert à ma vue et baigné de soleil venait d’enlacer mon cœur. J’ai senti en moi se briser la gangue qui le retenait prisonnier. Je l’ai senti battre et même bondir. Tu venais de le libérer d’un coup. J’en ai eu presque mal. Un sang nouveau l’irriguait.
Et même si pour te l’écrire aujourd’hui, j’ai dû attendre de goûter mille fois ta peau, je sais aujourd’hui que de cet unique instant est né notre amour. Dans cette seconde où tu m’as souri, où j’ai plongé dans ton regard, où plus rien n’existait d’autre que nos retrouvailles. 35 ans ont passé depuis. 35 ans sans que rien ne s’efface. Ni le goût, ni l’odeur, ni nos bras impatients de s’enlacer sans bouger.
Je venais vers toi sans même te connaitre ou si peu. Quelques mots précipités dans le jeu de la séduction. Autant de messages à lire entre les lignes. Des ponts bâtis à la hâte. Comme si l’urgence nous imposait la nécessité d’aller à l’essentiel. De ne plus attendre. Nous avions déjà tant vécu. Nous nous étions déjà tant attendus.
Nous étions à l’automne de notre vie. A nos âges, l’hiver pouvait arriver si vite. Il était encore possible de grignoter deux ou trois décennies de bonheur. De jouissance. De partage. D’espoir d’une vie à deux. La certitude de nous appartenir hantait nos âmes depuis si longtemps. Nous ne nous découvrions pas, nous nous retrouvions. Et nous le savions.
Cette certitude de l’autre s’était ancrée en chacun de nous depuis le virtuel d’un ordinateur. Les algorithmes avaient ourdi la rencontre, réunissant nos profils. La nouvelle muse de l’ère contemporaine avait proposé de reprendre le chemin là où certainement il y a très longtemps il avait été arrêté. Nous avons par la suite souvent joué à nous réinventer ces vies passées. Qui de l’autre avait été l’amant, la sœur, l’ami ou l’ennemi, et peut-être même le chien de l’autre ? Nous n’en savions rien mais nous inventions tout.
Parce que 35 ans après, notre rencontre dans cette vie nous semblait à ce point miraculeuse qu’elle ne pouvait être apparentée qu’à des retrouvailles. Nous supposions que nos âmes s’étaient cherchées en vain. Qu’elles s’étaient perdues toutes ces années dans des semblants d’amour qui n’avaient même pas la médiocrité de l’ersatz le plus primaire.
Ce fut soudain. Brutal même. Un choc frontal qui a bien failli nous mettre KO au premier round. Nos valises étaient lourdes. Nous avions désappris à aimer. Et même à espérer d’y arriver un jour. Passé cet embrasement de la première heure, il nous a fallu tout réapprendre. Ne pas se prendre les pieds dans le tapis boueux de nos hiers blessés et de nos passés respectifs sertis dans les renoncements, les douleurs, les pertes, les mauvais traitements, les trahisons parfois. Des passés qui nous sautaient à la gorge au premier éclat de voix, à la première lueur d’agacement, au premier tiraillement d’un idéal venant buter contre la réalité quotidienne.
Combien de fois au tout début ai-je fait et défait ma valise devant nos entêtements ? Combien de fois ai-je pris le parti de fuir pour ne rien trahir ? De me taire pour ne pas blesser plus cette relation qui peinait à se défaire de l’illusion pour entrer dans la réalité.
Dans ces instants, nous oubliions toi et moi, ce regard rempli d’éternité qui avait soudé nos corps à la première étreinte. Nous oubliions nos âmes à nu devant l’évidence et ce sourire grand comme l’univers qui avait accueilli nos retrouvailles.
Ce 31 août pataugeant dans le soleil à la gare de Genève. Toi m’attendant, postée à l’avant de ta voiture sur le parking. Tu portais ce chemisier noir à pois blancs avec cette échancrure fine et insolente. Et moi allant à ta rencontre d’un pas faussement nonchalant. Quand pour la première fois, je t’ai vue de loin, en vrai et que tu m’es apparue plus belle encore que tout ce que j’avais pu rêver. Nous oublions à quel point nos cœurs avaient bien failli bondir hors de nous, comment tes bras s’étaient ouverts pour m’accueillir et combien de minutes nous avons passé à nous tenir debout, serrés, oubliant presque de respirer.
Le passé nous griffait alors de ses peurs les plus retorses, nous mettant au défi de faire mieux, de briser le miroir de nos propres névroses. Nous achevions de résoudre l’énigme d’un désamour qui avait empêtré nos vies depuis toujours.
Est-ce dire que 35 ans après nous avons gagné ?
Ce matin encore je te regarde me sourire pendant que j’écris ces lignes.
Le temps a passé mais ton sourire n’a pas changé. Je dirais même qu’il s’est agrandi avec les années. Il est empreint de cette conviction que plus rien ne peut plus nous atteindre. Il a la bienveillance du renoncement. Quand plus rien n’est à prouver. Que les enjeux ont cessé. Il possède cette puissance souterraine qu’on attribue à la paix intérieure. Celle acquise à la force de l’expérience. Quand même les mots ne servent plus. Et qu’un seul regard suffit à tout dire.
35 ans que je ne m’en lasse pas. 35 ans qu’il atteint mon cœur à chaque fois. Que je titube à m’en abreuver. Et que je jalouse encore parfois qui en profite quand je ne suis pas là.
Aucune de tes ridules n’en a érodé la vigueur. Et même si tes larmes l’ont parfois noyé d’oubli, il a toujours rejailli plus décidé et enjôleur que précédemment.
Je sais, tu vas me répéter pour la millième fois que je suis bien naïf et romantique de croire à ton aura incandescente. Tu jetteras aux orties mes compliments comme tu l’as toujours fait. Et devant ta pudeur, ce sera à mon tour de glousser. De dessous ton refus, je verrai encore une parcelle de toi rosir et savourer le plaisir que tu as de me plaire, encore et toujours.
Je te connais si bien. Je t’ai tant regardée, épiée, admirée.
Chaque matin, depuis 35 ans, quand tu t’asseyais devant ta coiffeuse pour te préparer à conquérir le monde. Quand tu lissais tes cheveux, que tu dessinais tes lèvres, que tu maquillais tes yeux. J’étais là et je m’imprégnais de chacun de tes gestes, j’imaginais qu’ils pouvaient m’embellir aussi. Ils étaient tout le soin que tu donnais à la beauté de ton corps. Comme si de cette lente transformation, tu devenais enfin femme. Je me taisais, attentif et ému. Pour moi tu restais la même. C’est dans ton geste, gracile et lent, que je t’apprenais. Dans cette application chaque jour renouvelée. Dans cette lumière que tu jetais soudainement dans la pièce. Chaque matin tu m’étreignais le cœur un peu plus, tu l’arrachais à sa pesanteur et je retombais amoureux. Je t’aimais autant au réveil, qu’en ces minutes de dépassement. Je n’ai jamais réussi à te trouver une laideur quelconque. Mes yeux remplis de toi ne t’ont jamais vue autrement que belle. Touchante. Admirable. Peut-être aurais-je dû te le dire plus souvent. Mais à chaque fois que je l’ai fait, tu répondais que l’amour rend aveugle et sourd et bête avant de m’embrasser en riant. Et je gardais pour moi de te contredire. Tu m’avais embrassé. Tu avais ri. C’était là toute la beauté du geste et ce qui te rendait plus magnifique encore.
Pourtant, je n’étais ni aveugle ni sourd ni sot. J’ai bien vu en 35 ans blanchir tes cheveux, se rider tes yeux, tomber tes seins. J’ai bien vu le temps te grignoter le corps par petits bouts en laissant apparaitre ça et là, les ombres de la vieillesse. Je n’ai rien loupé des fourberies que le quotidien balance subrepticement à tour de bras. Il n’y avait rien à faire. Rien à combattre. Tu étais là et ta seule présence rachetait tout. Il te suffisait d’apparaitre et tout devenait beau. Personne ne peut expliquer cela. C’est comme une magie, un don. Quelque chose que l’on reçoit à la rencontre et qui ne s’en va plus dès lors que l’on aime. Ou alors c’est que l’on n’aimait pas ou pas vraiment ou mal.
Moi, je t’ai aimée avant même de te connaitre. Tu préexistais déjà à notre amour. Tu étais là depuis le premier jour. Distillée dans chaque rencontre. Je ne le savais pas et je courais, estourbi par l’illusion. Aveugle et sourd et con pour le coup. Je voyais un reflet, je m’y jetais, croyant t’avoir trouvée. Mais, et je l’ai appris depuis lors, ces rencontres n’étaient que des éclats de toi. Des petits bouts qu’un ange disgracieux aurait dispersés en plusieurs. Pour me prévenir ? Me perdre ? Me faire languir ? Ou me prévenir ?
Qu’aurais-je fait à 20 ans si je t’avais rencontrée ? Certainement, nous nous serions gâchés. Il faut être prêt pour un tel cadeau. Pour toute cette entièreté. Il faut être solide, ancré, apaisé aussi. Il faut admettre, qu’en une seule personne, puissent se trouver toutes les facettes d’un même joyau. Il faut ne pas perdre la tête. Y croire. Parce que cet amour là peut rendre fou. L’absolu n’est pas donné à tout le monde. C’est le miracle d’une vie. L’aboutissement d’un long chemin.
Rendre fou. Certains ne retiendront de mon dernier geste que cette interprétation. Qu’ils s’en insurgent seuls. Toi et moi savons bien ce qu’il en est. Nous n’aurions pas pu faire autrement. Ces mots ne rachèteront rien. Ils n’essaient même pas un début d’explication. Ils sont les derniers que j’écrirai. Pour toi. Seulement pour toi. Tu as toujours aimé me lire. Il y a longtemps que j’aurais dû le faire. Tu me l’as demandé si souvent. Je ne me sentais pas à la hauteur. Pour parler de toi, il aurait fallu inventer un nouveau langage. Apprendre le chant des oiseaux ou dessiner dans l’air de vaporeuses arabesques comme seuls les nuages savent le faire.
Oui nous nous sommes aimés à en crever. A devenir dingues. A ne plus savoir comment faire. J’ai capitulé devant toi à la première seconde. Tu as pu tout demander. Je t’ai toujours tout donné. Le meilleur. Et le pire, aussi, évidemment. Nos exigences savaient lorgner les sommets. Avides de les dépasser et inflexibles à la médiocrité, elles se transformaient en rixes. Ce faisant, nous traverserions des contrées sauvages dans lesquelles plus d’un se serait perdu. Mais pas nous. Jamais. Souvent in extremis, dans un dernier sursaut, le bord du vide apparaissait et nous reculions, enfin vaincus.
Combien de fois ai-je caché mes larmes, replié mes poings, enfermé ma colère devant ces assauts de tempêtes ? Nos blessures d’hier rongeaient notre présent. Il a fallu en conclure des pactes et des deuils pour restituer nos histoires afin d’accueillir la paix et poursuivre le chemin.
On n’aime pas à 50 ans comme on aime à 20 ans.
Les peurs ont la vie dure, la confiance est un défi à haut risque alors même que le cœur est devenu poreux. Combien d’embourbements dans les eaux sales de nos souvenirs ? Combien d’enlisements ? Combien d’aversions devant le miroir que chacun tendait à l’autre ? L’amour était là pourtant. Il cognait dur dans nos poitrines. Il voulait sortir et s’affranchir. Il voulait vivre. Mais les morsures de l’âme sont tenaces. Les monstres s’étaient tellement nourris de notre naïveté que nous étions devenus rusés. Supra réactifs. Et continuellement sur le qui vive.
C’était à nos débuts.
Quand la magie venait à disparaitre devant les contraintes et que nous ne savions pas encore la retenir. Nous étions usés d’avoir trop défié, lutté et de nous être trop souvent tus. Nous voulions du simple, nous engendrions du chaos. Ce que finalement, nous connaissions de mieux, depuis si longtemps.
Il est si simple de reproduire.
Si difficile et lent de transformer.
35 ans après, quand je te regarde me sourire, tout est dit. Pour l’éternité. Pour cette vie et celles d’après. Quoi que nous devenions. Quoi que j’aie fait. Quoi que tu m’aies laissé faire.
J’effeuille nos souvenirs en mots pour te retenir, encore, un peu. Pour laisser trace aux vivants comme chacun de mes livres en a eu l’audace. Parce qu’il faut bien que l’un de nous témoigne et dise tout haut :
L’amour triomphe toujours. Du temps et des légendes. Et aujourd’hui de la brutalité de vivre encore une fois pour fatalement finir par mourir.
Est-ce à la préhistoire que tout a débuté entre nous ? Est-ce le fruit de mon imagination ou une des vérités de ce monde enfin révélée ? Est-ce une inspiration abstraite et mystérieuse pour tenter de nommer ce que l’on ne peut saisir et appréhender ? Notre amour venait de si loin, pensions-nous. Quand et où avait-il commencé ? Et comment en recoller tous les morceaux ?
C’est en y songeant, seul à te rêver dans nos absences, que les mots me sont venus. J’avais toujours accordé au ciel une voix particulière et voilà ce qu’il m’avait donné à entendre. Tu avais souri. Mes mots te laissaient sans voix. Nous n’en étions qu’au balbutiement et déjà tu aimais à dire que j’étais un peu fou. C’est parce qu’en vérité, je n’ai jamais eu que cela à t’offrir, ma folie de papier. Du rêve et quelques étoiles encore intactes. Des mots satinés et des contes en cachemire. C’était là, ma façon de t’aimer, de t’enlever un peu aux terriens et de nous propulser ensemble hors des frontières trop étroites du matérialisme. Un sacré duo que le nôtre. La rencontre de deux mondes aux exacts opposés que nous mixions en espérant secrètement maintenir l’autre à son rivage.
A l’époque je ne gagnais pas encore ma vie. Je n’étais pas l’écrivain qu’on s’arrache. Je vivais dans une bulle au milieu des nuages. Toi tu te levais chaque matin pour gagner de quoi remplir notre frigo et nos armoires. Tu étais l’ancrage qui me retenait au sol, j’étais l’oiseau qui permet le voyage. Tu as toujours su que je réussirais. Après ton sourire et tes yeux et ta voix et tes seins et tes hanches, c’est peut-être ce que j’ai aimé très vite chez toi. Cette certitude que tu posais sur certaines choses et qui semblaient acquises dès lors que tu les avais énoncées.
Ainsi tu m’arrimais à toi et si parfois je dérivais, je n’étais jamais complètement perdu.