L’éveil du Dieu Serpent - Christine Barsi - E-Book

L’éveil du Dieu Serpent E-Book

Christine Barsi

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Beschreibung

Découvrez la guerre sous-jacente qui, en 2027, est dissimulée au peuple depuis plusieurs décennies : l'invasion des Reptiliens... Que veulent-ils ?

Sur Terre, en 2027, la guerre sous-jacente n’est pas celle à laquelle s’attendent les masses, mais plutôt de celle qu’on leur dissimule depuis plusieurs décennies.
Nous sommes envahis, bien plus que nos déclencheurs d’alerte ne cessent de nous le clamer. Les Reptiliens, les Gris et la déclinaison des races hybrides sont parmi nous. Que nous veulent-ils ?
Avril Scott, éthologue au sein d’une association de protection de l’environnement, et renommée pour son expertise des dossiers sensibles traitant des abus dans le domaine des organismes génétiquement modifiés, devra l’appréhender et affronter l’homme d’affaires et scientifique Maur Evans qui se dressera sur son passage et l’entraînera dans un périple australien qui les mènera de Sydney à Melbourne, aux Blue Mountains, et jusqu’au cœur de la Tasmanie.
Lorsqu’Avril discerne le personnage derrière l’homme d’affaires, il est trop tard pour revenir en arrière. Ils se heurteront violemment, car tout les sépare, leurs idéaux comme leur tempérament. Mais au-delà de sa quête d’un passé révolu, c’est l’identité de l’homme qui la pourchasse ainsi que sa propre identité qu’elle découvrira derrière le voile des illusions. Au final, un dilemme et un choix douloureux qui risquent de briser leurs rêves et leur raison.

Avril Scott, une éthologue renommée, devra accompagner et affronter l’homme d’affaires et scientifique Maur Evans. Ce roman d'anticipation haletant vous entraînera dans un périple australien et une quête identitaire qui mènera à un dilemme déterminant.

EXTRAIT

Avril se révélait capable de faire cela au point d’en négliger sa propre personnalité et son appartenance à la race humaine. Elle ne savait pas d’où lui venait cette disposition singulière de son esprit à une telle malléabilité, mais celle-ci la fascinait ainsi qu’un maléfice dont on est l’objet, mais dont on ne souhaite pas malgré tout qu’il vous quitte. Elle n’en avait cure. Ce « don » ou cette « tare » lui permettait de parfaire sa connaissance des mœurs animales, aussi bien que des habitudes et des empreintes émotionnelles, imperceptibles, des plantes sous toutes leurs formes.
Pour l’éthologue qu’elle incarnait, cette manifestation de sa personnalité s’avérait un atout précieux qui faisait d’elle un être à part qu’elle ne galvaudait pas auprès de ses relations, détestant généralement parler d’elle-même et de ses particularités.
L’idée la fit rebondir sur une autre problématique actuelle. Ses associés rencontraient, ces derniers temps, des difficultés croissantes à dégotter des sponsors sensibles à leur anachronisme. Leur projet de parcs naturels, alternant les zones boisées et les prairies, intégrait une végétation de souche parmi les plus anciennes ; celle-ci ne comporterait aucune trace d’organismes génétiquement modifiés autre que les résistances acquises par l’incorporation aléatoire de transgènes et la sélection naturelle. Bien entendu, une faune qui ne subsisterait plus qu’en l’état de pré-extinction y aurait droit de cité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteure, Christine Barsi, est une scientifique et une artiste qui a fait des études en biologie et science de la nature et de la vie, cherchant à comprendre ce qui anime le genre humain. Aujourd'hui, l’auteure travaille dans les ressources humaines, pour une grande entreprise d’informatique et d’ingénierie, écrivant en parallèle depuis 1998 des romans de science-fiction et de fantastique, avec à son actif quatre romans publiés à compte d’éditeur.

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L’éveil du Dieu Serpent

Du même auteur

 

– Déviance, roman

5 Sens Éditions, 2017

 

– Teralhen, roman

5 Sens Éditions, 2017

 

– Mutagenèse, roman

5 Sens Éditions, 2018

Christine Barsi

L’éveil du Dieu Serpent

 

Roman d’anticipation

 

 

À mon père ; je ne me lasserais jamais de le répéter, encore et encore.

 

À ma mère qui m’a donné la vie.

 

À mon relecteur privilégié, mon mari. Il aura relu chacun de mes manuscrits.

 

À mes écrivains fétiches dont Jimmy Guieu a été l’un des grands piliers.

 

À mes amis rencontrés sur les réseaux sociaux qui m’ont ouvert les yeux sur un tout autre univers, aussi exubérant que riche en partage.

 

À mon collègue et ami, Thierry Belou qui a su m’écouter inlassablement lui parler de chacun de mes manuscrits et de mes aventures littéraires.

 

À Manuel Lamiroy qui m’a gentiment renseignée sur des points importants à mes yeux. Son site Exopaedia s’avère une source importante d’informations pour un auteur d’anticipation.

 

Enfin, à tous les blogueurs et blogueuses qui m’ont encouragée en lisant et commentant mes précédents livres, m’aidant dans leur promotion et me donnant des ailes pour ce tout dernier roman.

 

Prologue

Cahier d’Avril Scott : Comment redéfinir un gène déviant ? Par le fait d’une manipulation extérieure ? Ou bien la réapparition d’une souche ancienne, au sein d’un nid d’organismes génétiquement modifiés ? La question paraît intéressante. Mais faudrait-il encore se la poser !

Une fin d’après-midi de ce printemps deux mille vingt-sept ; le soleil rouge embrasait les champs céréaliers à sa gauche et une prairie à sa droite, délimitée par une rangée de rondins mal écorcés qui s’alignaient le long d’un chemin de terre menant chez les agriculteurs du coin. Des trognes centenaires, dressées ainsi que des gardiens d’une autre époque, cernaient le cadre et l’horizon. Une pente herbeuse, inclinée, descendait dans leur direction vers une mare asséchée. Avril observa le vol d’un rapace qui allait et venait, de son nid tout en haut d’un tilleul, au poteau télégraphique en bordure du chemin. De ses ailes étroites, celui-là survolait les cultures les plus proches, en un gracieux glissé au-dessus des vastes étendues céréalières. De son point d’observation, Avril le suivit du regard un moment.

Quand il se mit en chasse, face au vent, la tête baissée, son vol devint stationnaire et ses battements d’ailes frénétiques, elle l’étudia plus attentivement. Il avait dû repérer sa proie, car très vite, il fondit vers le sol en piqué, à peu de distance. Elle put le distinguer plus franchement. Un Falco tinnunculus, le faucon crécerelle. Ses yeux noirs, sa tête et sa queue gris ardoise ainsi que sa poitrine mouchetée en témoignaient, comme tout à l’heure la succession de cris aigus : ki-ki-ki. C’était un mâle. Avril admira le contraste entre le jaune vif de ses pattes et de ses doigts, et le bleuté des épis dont la variante génétique pullulait dans la région. Le champ en était semé. Les hautes tiges transgéniques l’empêchèrent de distinguer les tentatives de l’oiseau pour saisir sa proie avec ses serres. Un rongeur, sans aucun doute.

La jeune femme imagina le bec crochu transpercer la peau du petit mammifère et se gorger de sa chair en un simultané stupéfiant. Une seconde, elle oublia ce qu’elle était pour se plonger pleinement dans la réalité présente du falconidé, empruntant son indifférence animale qui lardait de coups de bec la chair offerte, tout en goûtant l’ivresse sauvage de son espèce. Avril se révélait capable de faire cela au point d’en négliger sa propre personnalité et son appartenance à la race humaine. Elle ne savait pas d’où lui venait cette disposition singulière de son esprit à une telle malléabilité, mais celle-ci la fascinait ainsi qu’un maléfice dont on est l’objet, mais dont on ne souhaite pas malgré tout qu’il vous quitte. Elle n’en avait cure. Ce « don » ou cette « tare » lui permettait de parfaire sa connaissance des mœurs animales, aussi bien que des habitudes et des empreintes émotionnelles, imperceptibles, des plantes sous toutes leurs formes.

Pour l’éthologue qu’elle incarnait, cette manifestation de sa personnalité s’avérait un atout précieux qui faisait d’elle un être à part qu’elle ne galvaudait pas auprès de ses relations, détestant généralement parler d’elle-même et de ses particularités.

L’idée la fit rebondir sur une autre problématique actuelle. Ses associés rencontraient, ces derniers temps, des difficultés croissantes à dégotter des sponsors sensibles à leur anachronisme. Leur projet de parcs naturels, alternant les zones boisées et les prairies, intégrait une végétation de souche parmi les plus anciennes ; celle-ci ne comporterait aucune trace d’organismes génétiquement modifiés autre que les résistances acquises par l’incorporation aléatoire de transgènes et la sélection naturelle. Bien entendu, une faune qui ne subsisterait plus qu’en l’état de pré-extinction y aurait droit de cité.

Bientôt, plus personne ne s’intéresserait aux sciences qualifiées de « naturelles ». Plus de quatre-vingts pour cent des végétaux de ce monde étaient dorénavant assimilés d’une manière ou d’une autre à ces organismes dits « améliorés ». Et au sein même de cette proportion, plus de quarante pour cent n’avaient plus rien de « naturel » autre que leur nom d’origine que la junte industrielle, alliée à la mafia scientifique, ne s’était pas encore approprié au point de les renommer.

Avril s’était rendu, aujourd’hui, sur ce site agricole pour appréhender par elle-même les conséquences de ces macros cultures déviantes, et comprendre mieux les impacts en série que ces dernières déclenchaient. Ici, en l’état, la flore sauvage n’existait plus. Elle étendit son regard sur toute la surface supérieure du champ, tentant de cerner ce qu’elle espérait y dénicher. Il n’y avait que ces milliers de plants bleutés dans lesquels étaient incorporés les enzymes et bactéries censés accroître les mécanismes d’autosuffisances et les rendements productifs. Aucun insecte vrai ne parcourait plus ces champs nécrosés. Seuls, des néoinsectes patrouillaient ces rangées mortuaires, leurs génomes artificiels leur permettant de butiner les artefacts de végétaux sans remettre en cause leur survie immédiate. Avril avait entendu parler, dans le secret de certaines alcôves laborantines, que même ces minuscules moissonneurs bioniques1 des champs déviants enregistraient leurs taux de déchets, mécaniques ou électroniques, après quelques centaines d’heures à peine de cette activité industrieuse.

Son regard plongeant dans les profondeurs végétales, dans l’espoir d’y découvrir ce qu’elle ne trouvait pas dans les hauteurs, elle repensa au petit rapace commun de ce secteur proche de la ville. Lui aussi subirait bientôt les effets de son passage entre les épis. Rares étaient ceux qui s’en sortaient, à long terme. Généralement, leur plumage se couvrait, au bout de plusieurs mois, de ce bleu foncé si reconnaissable pour l’œil averti de l’éthologue. S’ensuivraient les inéluctables conséquences pour les oiseaux.

Alors que la jeune femme fouillait le sol de sa vision précise, elle aperçut enfin ce qu’elle était venue chercher. Le plant fantôme existait bien, éloquent témoin dans un futur en marche. En plein milieu de ce champ morbide, l’émergence de quelques triples tiges identifiables d’une espèce mutante en un modeste îlot cerné de toute part, indemne, et se développant à l’insu des autres, l’un de ces parasites que les producteurs réussissaient à enrayer, la plupart du temps, mais dont la prolifération latente inquiétait énormément. En dépit de sa teinte, pas exactement conforme aux inventaires, le plant paraissait tout à fait normal. Des souches résistantes qui se multipliaient de manière erratique au départ, et qui, après un temps de dormance apparente, contre-attaquaient les nouvelles générations aux gènes incendiaires.

L’éthologue ne s’en étonnait pas.

La capacité des organismes à se développer sur les terrains les plus incultes l’avait toujours impressionnée, et la rassurait tout à la fois. Quels que soient les impacts ultérieurs sur la biodiversité et sur les nappes phréatiques, pour ne nommer que ces deux domaines, il y aurait un retour de flux à la hauteur des transgressions réalisées contre la nature et ses bienfaits originels. Une modification de l’équilibre des écosystèmes amenait invariablement son lot de catastrophes que les hommes ne parvenaient pas à contenir. Dans ce combat pour la survie, les espèces sauvages, plus stables, se rebellaient chaque fois que l’occasion leur en était fournie, réapparaissant en force, un jour ou l’autre.

Du mouvement sur la terre meuble, là où le rapace s’était posé ; les tiges furent violemment écartées et le faucon s’envola avec sa proie inerte, suspendue entre ses serres. Il prit de la hauteur pour aller se percher sur le tronc d’un chêne pétrifié, à une centaine de mètres. Désorientée, Avril émergea de ses réflexions intérieures et se focalisa sur la vieille souche, suffisamment élevée pour permettre un support sécurisé. Même les arbres moribonds contribuaient à la biodiversité en offrant un habitat à une faune disparate. Celui-ci avait-il été frappé par la foudre et fauché par un coup de vent particulièrement violent, ou bien la nocivité des céréales mortifères ne l’avait-elle pas épargné ? La jeune femme se pencha sur le sol et entreprit d’extraire, avec la plus extrême précaution, l’une des racines du plant invasif avant de le placer dans son récipient d’échantillons rangé dans son sac à dos. Elle l’examinerait plus tard, dès qu’un moment de répit s’offrirait à elle, et dans l’entre-temps, elle protégeait son existence. Par la suite, elle le réimplanterait, là où il aurait toutes ses chances.

Bientôt les agriculteurs du coin viendraient prendre leur tribut, et les quelques plantes non transgéniques seraient réduites en miettes, pulvérisées avec une acrimonie vindicative. Les preuves gênantes de la nature devaient être annihilées à tout prix par ces gens-là. L’éthologue rumina un instant ; leur informateur ne les avait pas trompés, ses associés et elle. Le champ et les suivants regorgeaient d’épis bleus déviants de seconde génération. Une déviance non reconnue par le Tiers Conseil américain. L’organe officiel était l’un de ceux créés, quelques années auparavant, pour pallier les dérives des sciences du génome. Rattaché au ministère de l’Environnement, sa fonction, bien que subsidiaire aux regards des experts, en imposait cependant, avec un certain impact, sur l’édiction des nouvelles lois dans le domaine.

Elle devait contacter leurs avocats. Un coup d’œil à l’horizon lui confirma qu’il était temps de repartir. Les ouvriers agricoles n’allaient pas tarder à revenir pour pulvériser d’autres variétés de leurs intrants destructeurs. Avril ne voulait pas risquer de se voir arrosée et découvrir par la suite que des excroissances lui poussaient à même les membres, ou que des nuances alarmantes entachaient son derme. C’était déjà arrivé à certaines de ses connaissances.

Chapitre : L’empire de Maur Evans

Précepte et enseignement de Maur Evans : Le produit phare d’une spéculation marchande doit être en relation avec une nécessité pour le peuple qu’il représente ; si ce n’est pas le cas, celui-là ne se vendra pas, et ne sera comme tant d’autres, qu’une supercherie vide de sens.

Maur Evans admirait le dôme de verre, au-delà de la baie vitrée de son bureau au trentième étage du complexe industriel portant son nom, dans le quartier central des affaires de Sydney.

Le cœur de ville, un secteur on ne peut plus privilégié.

Le dôme abritait le nouvel espace dédié à l’un des produits phares de la toute dernière technologie en vogue en biogénétique. Bien que controversé encore aujourd’hui, celui-là pourvoyait désormais de très nombreuses filières de production, toujours plus gourmandes au fil des années. Le congrès annuel, sur le sujet, qui devait se tenir le mois prochain à Melbourne, serait l’un des expédients pour le présenter en grande pompe. Maur aurait à préparer son discours et à anticiper les sempiternelles interrogations qui s’engouffraient, chaque fois, dans les discussions, tel un leitmotiv qui n’en finissait pas.

À tous les coups, le même schéma : le bien-fondé des modifications génétiques, les processus employés, les bénéfices et les risques pour tout un chacun.

Une ritournelle pour l’homme avisé qu’il était devenu. Il savait comment vaincre les peurs et les réticences des plus frileux. Ses matériaux s’incrusteraient dans le maillage profond de cette civilisation, jusqu’au moment où l’on ne pourrait plus les extirper de leur socle sur lequel viendrait se fondre la multitude des autres. Certaines de ses créations génomiques, par essence artificielles, faisaient déjà des émules et battaient leur plein au sein de cercles privés, tandis que d’autres de ses inventions s’inséraient au centre même du Gouvernement qui en redemandait.

Mais jusqu’à la date fatidique de l’évènement, le secret de son dernier-né serait bien gardé. L’homme d’affaires, autant que l’homme de science qu’il personnifiait, se méfiait de la concurrence et ne souhaitait pas que leurs partenaires, pour la plupart des sponsors privés qui finançaient BioJadh, soient trop au fait des informations cruciales soutenant leur découverte récente. Ils étaient instruits dans les grandes lignes, mais pas dans les détails. Maur avait déjà fort à faire pour maintenir en haleine la presse scientifique, tout en la tenant à distance. La pression concurrentielle et le poids des marchés très volatils nécessitaient d’être toujours sur la brèche et de financer l’innovation au moment le plus opportun, toujours en avant.

La stratégie de sa firme.

À leur habitude, les organisations syndicales hurleraient comme des loups contre la sortie de sa dernière trouvaille, prétextant que la mondialisation néolibérale mènerait les peuples à leur perte. Le tout était de savoir de quels peuples il était question dans cette sorte d’affaire. Si lui les identifiait parfaitement, le reste de l’humanité s’avérait loin de pouvoir en faire autant.

Dans une petite heure, il avait rendez-vous avec l’un des représentants d’une transnationale avec laquelle il envisageait de nouer un partenariat fort, afin de développer la filière production et les canaux de la distribution. Maur anticipait avec plaisir le jeu de négoce qui ne manquerait pas de s’ensuivre. Aguerri à l’exercice, il s’appuyait sur son charisme particulier qui l’avait sorti d’une flopée de situations où beaucoup se seraient embourbés.

 

Chapitre : La péninsule

Cahier d’Avril Scott : Cette péninsule, l’une des plus belles au monde… j’en avais rêvé.

Avril arpentait les vastes territoires de la péninsule Freycinet, à l’est de la Tasmanie. Isolée du monde pendant huit mille ans, celle-ci faisait figure de sanctuaire pour la faune et la flore de la région, et signifiait pour la jeune femme un terrain de recherche privilégié qu’elle mettait à profit en inspectant chaque arpent, chaque souche végétale. L’ancien parc national de Freycinet avait été laissé à l’abandon, en raison d’une déforestation intensive qui avait donné lieu à des mouvements d’opposition suffisamment marqués pour que l’État renonce à ses projets et instaure un système de jachères à grande échelle.

Depuis peu, l’association pour laquelle œuvrait la jeune femme en avait obtenu le droit de gestion avec option d’achat, et ce résultat aboutissait après des années d’un combat acharné pour que ces terres deviennent patrimoine intouchable. En dépit des dégâts sérieux que la déforestation et le tourisme avaient générés, les terres avaient miraculeusement conservé leur beauté originelle et leur écosystème natif. Le parc abritait une flore et une faune abondante, des cacatoès noirs, des wombats, des wallabys de Bennet, mais aussi des dauphins, des manchots pygmées, des opossums ou encore des rats-kangourous. Les paysages diversifiés s’étendaient sur plusieurs milliers d’hectares de landes, de cavernes et de forêts. Mais alternaient, aussi et surtout, les parois montagneuses, ainsi que les falaises en à-pic de granits déchiquetés qui abritaient les populations d’oiseaux. L’un des attraits de la péninsule : ces formations de granit rouge et rose, la roche dominante. L’orthose rose, un feldspath qui conférait aux montagnes et au littoral leur teinte rose caractéristique. On y glanait également des micas noirs et du quartz blanc. Au-delà de sa passion pour la faune et la flore, Avril s’intéressait aux minéraux, à leur texture et leurs pigmentations aux tonalités extraordinaires. En chacun résidait à ses yeux un univers à part entière. Leur histoire s’amarrait dans chacune de leurs particularités, leurs nuances, leurs aspérités. Mais elle ne devait pas oublier, non plus, les merveilleuses plages et les prairies intérieures.

L’éthologue se baissa pour ramasser une poignée de terre qu’elle effrita entre ses doigts. Des sols peu fertiles, pauvres, peu adaptés à l’agriculture. Des podzosols où proliféraient les conifères, mais aussi les fougères et les bruyères. La plupart des sols de l’Est de la Tasmanie. Propices pour la sylviculture qui y était très productive et l’une des mannes industrielles majeures de l’État. Les espèces de plantes endémiques à ce secteur y foisonnaient. L’éthologue rêvait d’y installer leur base si particulière, et faire de ce paradis, une terre de nouveau protégée. Hélas, si la beauté des côtes sauvages et des plages tasmanes qui cernaient la péninsule valait tous les sacrifices, elle attirait également son pesant de touristes.

La jeune femme contourna une étendue marécageuse sur sa droite, tout en s’y attardant, examinant au travers de l’eau affleurant, sa faune distinctive. Parmi les roseaux et les massettes, un huîtrier pie errait non loin d’un nid d’algues et de coquilles. Porté par ses courtes pattes rosées, l’échassier noir et blanc balançait son bec tel un marteau en direction d’une moule accrochée à sa pierre. Avril esquiva de la tête un couple de libellules entreprenantes. Leurs corps racés vrombissaient ainsi que les pales d’un micro-hélicoptère. Elle frissonna, le temps changeait, et le soleil à son arrivée n’était plus qu’un souvenir que les premières gouttes de pluie remplaçaient dorénavant. Elle était une habituée des métamorphoses du climat ; ici, les coups de vent vous surprenaient alors même que vous goûtiez, l’instant précédent, une atmosphère paisible imprégnée d’un souffle d’air tiède et subtil. Avril enfila une parka qu’elle avait glissée dans un sac, par précaution, le matin même, et rebroussa chemin pour rentrer sur Coles Bay, à l’extrémité nord de la baie de Great Oyster.

Non loin de l’eau stagnante qu’elle venait de quitter, elle buta sur un ancien dépôt de coquillages amoncelé à cet endroit par des aborigènes, autrefois. Un Copper head s’en délogea en sifflant en signe d’avertissement. Le serpent aux couleurs de rouille et de feuilles mortes mesurait bien un mètre vingt. L’éthologue poursuivit son chemin en le guettant du coin de l’œil. Elle sourit en percevant sa hargne d’avoir été dérangé. S’il l’avait mordue, l’épreuve aurait été douloureuse, très douloureuse, mais le reptile n’en avait pas l’intention.

Demain, elle entreprendrait des recherches plus poussées sur le terrain, afin de réaliser un inventaire des espèces végétales peuplant la péninsule, d’identifier les spécimens à réimplanter et d’entériner leur projet de parc. Il était aussi nécessaire qu’elle évalue le réseau des échanges d’énergies et de matières permettant le maintien et le développement de la vie. Ce que l’on nommait l’écosystème se réduisait au final à l’unité de base définie dans laquelle les plantes, les animaux et l’habitat interagissaient au sein du biotope. Dans cet écosystème rudimentaire, le rôle du sol s’avérait essentiel parce qu’il fournissait une diversité d’habitats et opérait comme un accumulateur, un transformateur et un milieu de transfert pour l’eau et les autres éléments apportés. Leur future acquisition serait régie en se basant sur cette approche écosystémique, une méthode de gestion où les terres, l’eau et le vivant s’intégraient pour favoriser la conservation et l’utilisation durable et soutenable des ressources naturelles, afin de respecter les interactions. En résumé, toutes les parties d’un écosystème étaient liées, il fallait donc tenir compte de chacune d’entre elles.

Idéalement édifiée sur la côte Est de la Tasmanie, aux portes de ce secteur privilégié de la péninsule, à cent quatre-vingt-douze kilomètres au nord-est d’Hobart et à deux cent neuf au sud-est de Launceston, la bourgade de Coles Bay se nichait au pied des rochers de granit rose et gris des Hazards2. Ces derniers se dressaient à pic, teintés de lichen orange, offrant un spectacle extraordinaire et un splendide coucher de soleil que la jeune femme admira longuement depuis le balcon de l’appartement qu’elle avait loué plusieurs semaines auparavant.

Un peu plus tôt, sur la terrasse ouverte, elle avait dégusté des huîtres accompagnées d’un vin local.

Bâti à proximité de l’Esplanade, le lodge bénéficiait d’une vue sur la mer et sur les pics majestueux. À quelques kilomètres de l’endroit, s’étendaient les amples coulées de sable blanc de Wineglass Bay, classée comme l’une des plus belles plages du monde encore maintenant.

Toute à sa contemplation, Avril songeait à l’avalanche des dossiers d’étude et de mises en conformité qui ne faisaient que s’accumuler sur ses frêles épaules. Façon de parler, mais qui nécessitait beaucoup de son temps, afin de détecter puis pointer du doigt les non-conformités toujours probables dans ce genre de dossiers trop rapidement placés entre les mains des organes certificateurs. Si les produits des entreprises industrielles se multipliaient sur les marchés boursiers, dans l’élevage de masse et l’exploitation agroalimentaire, et au sein même des logements privés, des vêtements, de l’alimentation de tous les jours, les opposants de ces néopratiques du tout-venant ne lâchaient pas prise, contrairement à ce que les lobbies clamaient depuis des années. Le travail de l’éthologue s’en trouvait complexifié, et l’existence même de celui-ci confortée. La jeune femme n’avait jamais disposé d’autant de relations que ces derniers temps. Elle soupira, laissa son regard errer vers l’horizon qui se fondait à l’azur des eaux du front de mer et, mue par une impulsion subite, se débarrassa de ses vêtements qu’elle jeta sur un fauteuil proche, enfila un maillot une pièce, un débardeur par-dessus, s’empara d’une serviette de bain et quitta son appartement pour se rendre sur la plage locale, à moins d’une centaine de mètres.

Le rose caractéristique des sols rocheux de ces parages transparaissait à intervalle, se mêlant aux teintes bleutées de la mer et du ciel, créant une palette de nuances qui apaisaient l’âme et le corps. L’éthologue marcha dans les eaux jusqu’à ne plus avoir pied, et s’éloigna d’une nage tranquille des bords de plage pour rejoindre une masse rocheuse recouverte de lichen, au-delà d’une courbure de sable.

Chapitre : Le visiteur

Hors séquence : L’hôtesse tenait à sa place ; elle ne devait rien dire, et pourtant elle s’était mise à parler.

Le visiteur avançait au sein du vaste hall en direction de la zone d’accueil, ouverte sur une baie vitrée donnant sur les toits de Sydney.

Parvenu près de l’une des hôtesses, l’homme patienta. La quarantaine passée, il affichait une assurance presque agressive en se focalisant sur les expressions de la femme ainsi que sur sa silhouette. Les gestes maladroits de cette dernière, ses paupières abaissées et son attention volatile révélaient sa nervosité face à cette incursion introvertissante. L’homme ne fléchit pas dans son examen, et quand son regard parvint à croiser celui de l’hôtesse, il ne découvrit qu’une neutralité prudente dissimulant le trouble qu’il provoquait.

– Oui, Monsieur ?

– Monsieur Evans, je vous prie.

– Votre nom ?

– Khard Fintch.

L’hôtesse eut une expression presque surprise lorsque l’agenda de son patron dévoila son contenu.

– Aviez-vous un entretien programmé ?

Le « aviez-vous » laissait sous-entendre qu’il y aurait dû y en avoir un, mais qu’il n’y en avait pas. Khard le savait parfaitement. Il avait débarqué à l’improviste.

– Pas vraiment. Il m’avait suggéré de le rencontrer lorsque je serais de passage à Sydney.

– Monsieur Evans n’est pas dans son bureau, en ce moment. Puis-je vous proposer un rendez-vous pour une date ultérieure ?

– Pourquoi pas, en effet. Quand est-il censé revenir ?

De nouveau l’agression sous le ton voilé. L’hôtesse, une jeune recrue qui n’avait intégré l’entreprise que trois mois auparavant, se troubla de la même façon. À l’instar des nombreux visiteurs qui venaient rencontrer leur patron, celui-ci ne paraissait guère commode. Imbu de sa personne et convaincu de sa supériorité. Devant la question indiscrète à laquelle elle n’aurait pas dû répondre, la volonté de la jeune femme plia sous celle de l’autre.

– Dans la soirée, je pense. Monsieur Evans travaille habituellement très tard.

– Savez-vous où je pourrais le trouver dans l’entretemps ?

Elle hésita, mais sous le regard infatué, elle ne parvint pas à conserver suffisamment de hauteur pour garder par-devers elle l’information. Elle lâcha :

– Généralement, en fin de semaine, il se rend au sein de son complexe en périphérie de Sydney, à environ trois kilomètres au sud ; il y supervise les recherches.

– BioJadh possède un biocluster, à présent ?

Elle acquiesça, éludant toute réflexion. L’homme la terrorisait sans aucun effort. D’autres mots coulèrent de sa bouche sans qu’elle puisse les retenir :

– L’ATP…

– L’ATP ?

Quel butor ! songea l’hôtesse, sentant la sueur au creux de ses aisselles. En plus, il était ignare. D’où sortait donc celui-ci ? Elle avait hâte que l’homme s’en aille. Les bureaux allaient bientôt fermer ; elle ne voulait pas se retrouver avec cet énergumène sur les bras, à ce moment-là. Elle précisa bêtement :

– L’Australian Technology Park, dans Eveleigh.

– Ah oui, bien sûr. Merci, et à tout à l’heure.

– Mais, je vous dis que…

Elle s’abstint de poursuivre. L’homme se moquait royalement de ce qu’elle avait à dire. Il reviendrait, elle en était convaincue. Elle espérait qu’alors, aucun contretemps ne l’aurait retardée afin de ne pas risquer qu’il l’aborde à son retour.

Chapitre : Circuit de distribution

Manuel d’Instrumentation idéologique : Intervenir pour un autre n’est pas toujours le bon choix. Souvent, il vaut mieux réorienter l’action pour éviter que l’on s’en prenne à vous. Tout est dans le positionnement, tout est dans le contexte.

Le superviseur veillait à la progression du chargement des camions. Parqués les uns derrière les autres, devant l’une des annexes de BioJadh, en extrémité de l’ATP3, les trois véhicules exposaient leur masse ainsi que des mammouths de pierre sculptée figés pour l’éternité dans leur posture de mastodontes. Un œil rivé aux caisses destinées aux grands laboratoires pharmaceutiques, à celles dédiées à l’industrie militaire, ou encore à celles dont le contenu appartenait à la longue liste des produits phares de BioJadh en termes d’organismes génétiquement modifiés, et qui iraient approvisionner l’agroalimentaire qui ne cessait d’en réclamer, le superviseur vérifiait les opérations très sérieusement, lorgnant l’équipe de manutentionnaires qui œuvraient, depuis l’aube, sur les chargements du jour. Trois laboratoires étaient concernés, cette fois. Tous en lien direct avec BioJadh qui possédait la globalité des locaux de l’ATP.

Au fil des années, l’établissement avait racheté toutes les parts du biocluster, afin qu’aucun concurrent ne demeure dans le secteur, dont toutes les branches, aujourd’hui, représentaient une spécialité complémentaire et annexe de l’entreprise mère, y compris les deux ou trois laboratoires prestataires qui louaient l’espace tout en proposant leurs services. Le grand ponte, propriétaire de l’intégralité du biocluster, s’était assuré du contrôle total des activités de la filière multiple. Tout sortait des labos, de l’élément microbien ou de l’échelle génomique, aux inventions célébrées régulièrement par la presse, et qu’attendaient impatiemment l’opinion publique et les fauves industriels.

Ils étaient trois superviseurs sur le terrain, dont deux travaillant en parallèle, et le troisième les remplaçant dans une tournante à trois bien rodée sur la semaine. Ils régentaient leur propre équipe dédiée, ce qui facilitait la tâche de chacun d’eux. Après que la cargaison ait été embarquée, les camions emprunteraient la route déterminée pour chacun d’entre eux, afin de livrer les matériels et les matériaux aux différents complexes qui les retraiteraient pour certains, mais très peu dans les faits quand il s’agissait des articles à commercialiser pour BioJadh, pour ensuite achever leur parcours dans des centres de vente dédiés.

Paolo bossait pour Evans depuis cinq années ; il ne s’étonnait plus du côté immuable des filières constituées par le patron lui-même. Depuis une année, néanmoins, des changements avaient dû être effectués, peut-être sans l’aval direct du patron de BioJadh, et certaines des filières le faisaient flipper. Deux destinations vers des sites inhabituels, dont il suspectait l’un d’être localisé dans les pays de l’Est, avaient fait leur apparition dans la planification des livraisons, faisant intervenir des équipes étrangères aux filières d’origine. D’après lui, c’était pas net, mais il n’était pas payé pour discuter et devait se borner à l’exécution de son contrat. Ceux du « dessus » devaient savoir ce qui se manigançait, et le grand patron devait être à même de contrôler toutes les faces obscures de son entreprise. Depuis peu, Paolo s’arrangeait le plus possible pour que les nouveaux cycles de livraisons ne lui soient pas attribués. À destination de ces sites suspects, les individus qui s’y échinaient lui apparaissaient comme pas tout à fait « légaux » dans son jargon intérieur. Le contrôleur général avait dû avoir vent de ses réticences, car depuis plusieurs mois, il n’était plus inquiété par la distribution vers les deux secteurs en question.

Ayant perdu le fil de son observation, Paolo reporta son attention sur les gars de son équipe, sagement positionnés en file indienne, ahanant parfois sous le poids d’une caisse plus lourde que les autres. Son regard dévia vers la seconde équipe, et il nota que l’un des porteurs se dirigeait vers le troisième container avec une caisse étiquetée pour le second. Il avait une bonne vue, et ce genre de détail ne passait pas inaperçu. Il lorgna du côté du second superviseur, responsable du chargement du second camion, et attendit qu’il intercède. Le chargement se poursuivit sans réaction autre qu’une certaine bonhomie de façade de la part de celui-là. Surpris, Paolo l’apostropha :

– Tu dors, Baylee !

Le prénommé Baylee se renfrogna et largua :

– Occupe-toi de tes affaires, Paolo, et je ne m’occuperais pas des tiennes.

Intrigué, Paolo avança vers le superviseur. L’autre n’avait dû rien voir. Comme d’habitude. Il insista :

– Un de tes gars charge du mauvais côté.

Se disant, celui qui venait d’être apostrophé alla à la rencontre de son congénère et le menaça :

– Reste du côté de ton camion ; t’as qu’à pas zyeuter dans notre direction.

Si Paolo avait réagi plus rapidement, peut-être aurait-il évité ce qui survint ensuite, mais il demeura immobile en se campant sur ses deux jambes pour expliquer au contestataire ce en quoi il avait tort. Deux porteurs avancèrent pour apporter leur appui à celui qu’il considérait comme leader. Baylee était costaud, plus corpulent que les deux autres superviseurs. Ses poings étaient percutants. Paolo fût trainé au sol derrière le container à remplir, puis les coups plurent sur son dos et sur ses côtes, le sonnant complètement. Quand un troisième gars les rejoignit, il comprit qu’ils en voulaient à sa peau, mais ne put se redresser et encaissa les violents coups de pied et coups de poing qui s’abattirent sur son torse et sa tête, achevant de le faire sombrer dans un état dont il ne se relèverait pas.

Chapitre : Point d’achoppement

Cahier d’Avril Scott : Un jour, je pense d’une manière, et le suivant, ma pensée est tout autre. Qu’est-ce que ce phénomène ? Si l’on doit lui donner un nom ? Un syndrome de personnalités multiples ou un dédoublement manichéen ? Je me dissocie beaucoup trop souvent. Est-ce pour autant de la schizophrénie ? Qu’en sais-je moi-même ? Et après tout, quelle importance ? Je suis toujours moi, quelle que soit la forme de pensée qui me traverse ou qui m’anime.

Avril était revenue de l’île Tasmane avec les éléments demandés par ses associés et leurs sponsors entre les mains desquels appartenait dorénavant la décision. L’éthologue, quant à elle, avait déjà entériné son choix. Les sols de l’ancien parc de la péninsule Freycinet comportaient tout le terreau nécessaire à la vie qu’ils envisageaient et aux évolutions implicites. De retour à Melbourne où la jeune femme y avait un appartement, dans Drummond Street, dans le quartier de la Little Italy, près des Carlton Gardens classés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis plus de deux décennies, elle s’était empressée de se rendre au sein des bureaux de leur association de protection de l’environnement afin d’y remettre ses conclusions. Elle avait ensuite fait un détour par GénOGuide, le cabinet d’avocats qui l’employait à mi-temps pour son expertise des dossiers sensibles traitant des abus dans le domaine des organismes génétiquement modifiés, même si par les temps qui couraient, le terme galvaudé n’avait plus tout à fait de sens. Les États ne détenaient plus la mainmise sur les politiques industrielles relatives à ce sujet, mais se les étaient fait voler par les superstructures qui en possédaient dorénavant le monopole. Les lobbies particulièrement actifs avaient saboté le système depuis fort longtemps. Et s’il y avait bien eu des tentatives en hauts lieux pour le biaiser et revenir à un contexte plus régulier, celles-ci avaient également échoué. Les zones encore protégées se réduisaient désormais à quelques îlots au milieu de secteurs contaminés. Tout, jusqu’à la trame des tapis d’intérieur et les kleenex autonettoyants dont l’effet lotus4 en était accentué par des séquences géniques les plus farfelues, était infesté de ces babioles divergentes qui amusaient les foules et leurraient les masses. Avril n’avait pas toujours été en lutte contre cette science controversée, mais le raz-de-marée était devenu bien trop aberrant pour ne pas prétendre lutter contre.

– Mademoiselle Scott ?

La jeune femme revint à la réalité présente.

– Oui, Dareios ?

Le jeune assistant avocat du cabinet atermoya une brève seconde avant de poursuivre :

– Nous avons un problème avec l’un des bioclusters en vogue.

– Lequel ?

– Celui qui menaçait de lancer sur le marché quelques-unes de ses substances insuffisamment testées. Vous aviez déposé une mise en garde les concernant.

– BioJadh ?

– Celui-là, oui.

– Eh bien quoi, Dareios ?

– Leur Direction marketing vient de démarrer une campagne de propagande, et plusieurs de leurs outsiders s’érigent contre l’opération.

– Tu sais que je n’ai que faire des affrontements publics entre ces requins d’un bord ou d’un autre.

– Pour l’un d’eux, il ne s’agit pas d’un concurrent habituel. L’instigateur de l’attaque se camoufle, mais selon nos sources, il semblerait qu’un grain de sable se soit introduit dans des rouages trop bien huilés.

– Et tu vas me dire que le grain de sable exige une expertise sur les produits émergents ?

– Précisément. Tu es sollicitée, ma belle. Si tu l’acceptes, cette étude est pour toi. Un vice de forme à ce qu’il paraît. L’un des artefacts n’est pas exactement conforme. Le comité d’éthique leur a fourni ton nom.

– Bon sang, Dareios, tu sais que je n’ai plus de temps à réserver à ce genre d’investigations !

L’homme abaissa le regard, gêné. Elle réagit plus violemment :

– Quel est l’imbécile qui a avancé mon nom ?

– Marin, lança-t-il du bout des lèvres.

L’éthologue songea aux flux et aux leviers composites qui géraient l’intégralité d’un marché en expansion, depuis plus d’une quinzaine d’années. Le maelstrom engendré par les quantités d’argent brassé ne pouvait être endigué. Les marchés financiers planaient haut, au-dessus de la mêlée. Les potentialités qui se signalaient recueillaient les suffrages d’une majorité d’intérêts croisés qui ne faisaient que complexifier à souhait les règles de bienséance en biogénétique. Trop de pouvoirs généraient un absolutisme qui empêchait tout retour en arrière. Avec le peu d’institutions publiques ou privées censées maîtriser les abus, qui aurait pu les arrêter ? En dépit de ses inclinations pour une vie équilibrée et saine, scientifique dans l’âme, Avril appréciait la nouveauté, la modernité, le bouillonnement culturel sous toutes ses formes. Il lui était difficile, parfois, de savoir ce qu’elle voulait vraiment, de savoir comment traiter un sujet alors que tout la passionnait. Aussi avait-elle opté pour une scission de comportement en fonction de ses domaines de prédilection. Pour tout ce qui avait trait au « végétal » dans le sens éloquent du terme, elle préconisait une tempérance du milieu naturel, un conservatisme qui mesurait le droit à l’interaction, tant que le naturel demeurait le point de repère. On ne dégradait pas ce que la nature avait enfanté. Par prudence, autant que par une propension au traditionalisme et un respect pour tout ce qui touchait à la création originelle. Les végétaux, quelle que soit leur forme, participaient de la vie sur Terre ; enrichissaient l’air, nourrissaient, harmonisaient et apaisaient. Pour ce qui se rattachait aux autres domaines, son instinct la poussait à contrevenir, de manière aléatoire, à cette aspiration de base. En fonction des objectifs, des résultats, des profits des uns et des autres, de la fonctionnalité de l’objet, de la cause initiale et des conséquences subséquentes, elle disséquait puis refusait, ou encore tolérait, voire acceptait le changement.

Ambivalence de son tempérament provocant qui déstabilisait ceux qui se heurtaient aux mécanismes analytiques de son esprit, et qui croyaient avoir décrypté les rouages de ses raisonnements. Partie dans son introspection, elle ne vit pas Dareios sourire. Elle finit par revenir au temps présent, lorsque le soupir de l’homme la décrocha de ses réflexions. Son regard balaya l’ennui de l’assistant, infiltra ses pensées circonspectes. À son tour, elle sourit, avant de préciser d’une voix lasse où perçait une certaine agressivité latente :

– D’accord ; fais-moi parvenir le dossier, tout à l’heure, chez moi, et si tu l’estimes suffisamment consistant, propose un rendez-vous pour demain ou après-demain. Tu sais que je repars…

– OK, Avril. C’était bien, là-bas ?

L’intérêt tangible de son collègue transparaissait dans le timbre de sa voix et dans sa posture inclinée dans sa direction. Un instant, l’esprit de l’éthologue s’échappa vers la péninsule ; elle tarda à répondre.

– Nous avons trouvé ce que nous escomptions. Les analyses du terrain sont en adéquation avec nos projets ; j’espère juste que nos associés ne s’arrêteront pas aux facteurs minimes qui les contrarieraient. Ce serait vraiment dommage. Il y aura de l’ouvrage pour réaménager la flore et la faune, et préparer la terre ; cependant, ce serait regrettable que nous ne prenions pas l’affaire, sous prétexte que tout n’est pas irréprochable…

Elle s’attarda sur les images fugaces qui remontaient, avant de s’enquérir :

–  Et ici, rien de nouveau ?

– Rien de transcendant. Toujours ces allusions sous-jacentes d’une présence « extraterritoriale » dont personne ne voit la moindre manifestation. À croire qu’on veut nous préparer tout doucement, afin de contrer toute réaction de peur de la part des foules. Tu y crois, toi, à ces simagrées ?

La jeune femme esquissa une grimace. Quand Dareios abordait le sujet d’actualité sur une prétendue intégration inhumaine, le terme employé d’extraterritorialité venait naturellement dans sa bouche. Elle-même y croyait-elle ? Cela faisait tellement d’années qu’on leur bassinait la tête avec ces histoires d’épouvantail. Elle y avait cru, bien sûr. Il était tellement évident à ses yeux que le monde ne s’arrêtait pas à leurs petites personnes, mais qu’il grouillait d’êtres différents sur des mondes qu’eux-mêmes n’envisageaient même pas, voire qu’ils habitaient leur propre Terre sans se révéler au grand jour. Mais, après tout, qu’est-ce que cela changeait, au final ? Il y avait déjà tellement de races qui se croisaient au quotidien, qu’une race de plus ou de moins n’était rien tant qu’une banalité à concevoir. Néanmoins, étant donné que ces petits nouveaux ne se montraient toujours pas, et jouaient aux timides, elle n’y apportait plus l’intérêt qu’elle y avait placé, plus jeune. D’autres sujets nourrissaient autrement sa soif d’intrigues et d’aventures.

– Joker. Pas d’autres nouvelles ?

– Que dalle.

– Le monde comme on le connaît alors. Avant de repartir, je vais trier mon courrier. Si tu es encore là, tout à l’heure, on va se boire un thé quelque part ?

– C’est vendu, Avril. Je viens te prendre dans une heure.

Avril abandonna son collègue à ses propres tâches, et se rendit vers son antre, au bout d’un long couloir, puis traversa la cour qui desservait plusieurs bureaux disposés en rotonde.

Chapitre : Agrément

Champ de conscience : Le pouvoir étatique n’est plus. Il a disparu sous les coups de boutoir de l’économie marchande. Mais lorsque l’économie marchande l’aura intégralement remplacé, qui viendra à son tour pour la débouter ?

Le secrétaire du Haut Conseil en biotechnologie épluchait le dernier dossier, en date, au-dessus d’une pile de dossiers plus anciens. Épais, celui-là contenait les pièces essentielles d’un sujet de ce type. Un sacré paquet de tests enrichissait d’ores et déjà le monceau de documents entre ses mains. Il s’en entassait tout autant sous forme d’archives numérisées. Visiblement, l’entreprise concernée ne rechignait pas à la dépense, et mettait tout en œuvre pour obtenir les autorisations obligatoires. L’expertise collective qui assurait l’évaluation s’avérait généralement fiable dans ses retours. Mais le secrétaire du Haut Conseil ne détestait rien tant qu’on leur force la main, et que l’on tente d’orienter le verdict final de leur instance. Les responsabilités qui incombaient à l’organe officiel étaient lourdes de conséquences. Éclairer le Gouvernement sur toutes les questions se rattachant aux biotechnologies, et formuler des instructions en matière d’évaluation des risques pour l’environnement et la santé, ainsi qu’en matière de surveillance biologique du territoire, représentaient une tâche ingrate, et en même temps passionnante. Leurs recommandations étaient, chaque fois, rendues publiques, mais c’était un peu comme sauter sans parachute ; l’atterrissage pouvait être douloureux, très douloureux ; définitif. Il suffisait d’une seule anicroche ou d’un infime détail qu’il n’avait pas remarqué pour que le scandale vienne entacher leur mission délicate, tel un navire qu’un feu consume jusqu’au moindre plancher. L’étincelle pouvait provenir des usagers, des communautés, des firmes elles-mêmes, sans compter le monde journalistique qui s’appropriait les sujets les plus anodins à sa portée.

À ce stade, il semblait qu’une des associations agréées de protection ait eu vent de l’affaire qu’il traitait. Il allait devoir faire procéder à une expertise, des analyses complémentaires qu’il jugerait nécessaires, et remettre le dossier entre les mains du comité scientifique, et des comités économique, éthique et social qui œuvraient au sein du Haut Conseil. Après réexamen, ceux-là élaboreraient leurs recommandations d’usage, adaptées à ce dossier. L’avis du comité scientifique comporterait des évaluations sur les risques encourus, mais également sur les bénéfices attendus, et il ferait état des positions divergentes exprimées. On y verrait alors plus clair sur le sujet.

Arbitrer les litiges n’avait jamais été une sinécure, mais dans ce domaine particulier de la technologie de pointe, la difficulté s’accentuait. Depuis que cette science était née, près de quatre décennies plus tôt, les choses avaient drôlement évolué, surprenant tout le monde, l’État, comme les multinationales. Le génie génétique exacerbait les ardeurs et l’instinct d’affrontement des acteurs « pluriels » sur le marché : les entreprises privées, les organisations publiques comme les associations, et les individus que chaque nouveau saut dans une modernité, souvent contestée, agitait d’émotions allant de l’apathie à la peur, de l’hostilité et la colère, ou encore de l’antagonisme à l’enthousiasme en passant par l’ennui.

Avec les traités notoires entre continents, les rouages des marchés financiers avaient progressivement dérapé jusqu’à la venue d’une législation tout à fait inattendue. Les normes du libre-échange ayant dévié de leur contexte et de leurs cibles premières pour protéger dorénavant les entreprises et asseoir leur suprématie sur un marché ayant trop tendance à tromper le consommateur. Désormais, les sanctions commerciales s’imputeraient au pays ou à l’État qui contrevenait à l’invasion marchande afin de protéger l’environnement et les biens des consommateurs. Ces sanctions imposaient jusqu’à des sommes colossales au bénéfice des « plaignants » – ici, les grandes entreprises. Le monde changeait d’une manière que n’auraient jamais anticipée les éminents penseurs. Les privilèges des multinationales avaient été entérinés dans de monstrueuses collusions, où seul le mercantilisme de la finance avait son mot à dire, et les gouvernements se découvraient liés à leur mainmise.

Imperméables aux alternances politiques et aux mobilisations populaires, les engagements s’appliqueraient de gré ou de force, puisqu’aucune disposition ne pourrait plus être amendée qu’avec le consentement unanime des pays signataires des accords qui s’étaient multipliés ces dernières années au mépris de la vigilance, pourtant permanente, des plus éclairés.

Il y avait eu les premiers accords transatlantiques, suivis par ceux de la Transpacifique Partnership qui avaient fini par être adoptés dans plus d’une dizaine de pays puis bousculés pour des raisons de mésententes entre ces derniers. Il y en avait eu d’autres encore, de fragiles expériences qui n’avaient fait qu’empirer et corrompre davantage la scène globale. Des accords soi-disant nouvelle génération, du type Ceta5, signés dans l’objectif d’éradiquer toutes les entraves au commerce en même temps que d’étendre le phénomène des normes. Cela n’avait pas fonctionné. L’empire économique qui en avait découlé avait été capable de dicter ses conditions, au point que tout pays dont la politique serait en but avec les règles de ces accords, et qui aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial, serait poursuivi et se verrait contraint à des pénalités auxquelles ledit pays aurait d’extrêmes difficultés à faire face. Aucune force contraire n’était parvenue à les chahuter suffisamment pour revenir à de plus justes visions en faveur d’une humanité plus prospère.

Aujourd’hui, un certain nombre d’organismes d’États étaient placés sous la tutelle de tribunaux spéciaux, exposés à des risques financiers exponentiels du seul fait d’avoir contrecarré, par des procédures valides, la reconnaissance de brevets médicaux, ou d’avoir empêché l’emploi d’énergies fossiles trop polluantes.

L’ancien régime s’avérait depuis longtemps dépassé, comme l’était l’ancienne organisation étatique livrée en pâture aux multinationales et à leurs tribunaux extrajudiciaires qui réclamaient des dommages et intérêts à n’en plus finir. Une extorsion légalisée dont l’unique objectif n’était pas de protéger les investisseurs, mais bien d’accroître le pouvoir des multinationales. Ce système d’arbitrage commercial datait des années mille neuf cent cinquante, mais ce n’est qu’à partir des années deux mille douze que ses rouages huilés au fil du temps s’étaient démultipliés.

C’est à partir de cette époque qu’était née cette armada de consultants financiers et d’avocats d’affaires qui, depuis, constituaient une véritable armée au service des intérêts privés. Le nouveau mot d’ordre : la dérégulation sous toutes ses formes. Au fur et à mesure des années, dans des tentatives désespérées pour raviver une croissance économique en berne de manière chronique, les États signataires s’étaient vus contraints de soumettre leurs services publics à la logique marchande, amenant les marges de manœuvres politiques en matière de santé, d’énergie, d’éducation, d’eau ou de transport à se réduire toujours plus.

Évidemment, lui se signalait parmi ceux qui postulaient que le libre-échange dynamisait la croissance économique, mais cela n’excusait pas les débordements ; tous ne pensaient pas comme lui et réfutaient régulièrement les faits.

Le secrétaire du Haut Conseil soupira et feuilleta machinalement l’épais dossier à sa disposition. L’entreprise concernée avait déposé trois demandes de brevet distinctes, touchant des secteurs diversifiés. C’était à la fois peu commun, mais pas rare. Son regard s’appesantit sur l’un des fascicules retraçant le contexte de marché et la raison du produit. Encore un qui servirait les intérêts militaires. Ils étaient légion. Ici, il était question d’une méthode de protection innovante qui reposait sur les contre-efforts du corps sur l’environnement. Le champ induit utilisait une énergie macromoléculaire qui enveloppait le corps et le rendait plus rapide, plus résistant et plus évolué. Le concept s’assimilait à celui d’un corps amélioré et très tendance. Une notion chère aux fervents adeptes du transhumanisme.

Aux dires des explications renseignées dans le fascicule, le génome de l’enveloppe corporelle se densifiait ou se vidait de son contenu, se mouvait en fonction de la résistance opposée, de la présence de couleurs plus ou moins lisses ou agressives, des émotions analysées… Inusité, mais était-ce vraiment viable ? Quels seraient les effets secondaires de l’utilisation d’un tel ADN ? Impatient et intrigué, il passa à la seconde proposition qui se révéla être un masque actif de personnalité, surnommé par son concepteur l’Ennéa. La firme n’était pas la première à vouloir percer dans ce domaine très controversé, car pénétrant dans le monde de l’individualité et du contrôle de la psyché, une entrée dans le courant de la psychologie humaniste des années mille neuf cent soixante-dix.

Il n’alla pas plus loin, et s’attacha au troisième fascicule qui exposait une formule génique pour une chevelure aux nuances mouvantes ; le concept s’annonçait beaucoup plus dans l’ère du temps et familier. Des dizaines de ces projets de licences croupissaient dans leurs archives. Peut-être, l’entreprise aurait-elle, cette fois, gain de cause. L’État ne se manifestait plus que comme un pantin sous la férule d’un nouvel ordre mondial qui n’en finissait plus de se mettre sur le devant de la scène.

Chapitre : Révélations de médias

Hors séquence : Des races d’Aliens, d’Hybrides, de Reptiles humanoïdes, de Gris. Qu’en étaient-ils exactement ? Nous trompait-on sciemment sur toute la ligne ?

Archives : Le 7 décembre 2012, lors d’une interview relayé par la presse et les télévisions du monde, le Premier ministre russe, Medvedev, révèle l’existence des extraterrestres et leur présence sur Terre, (Info LCI, info Canal+ du 10 décembre 2012, site Web du Dailymotion…)

Votre interlocuteur Remy Falkhone pour le journal : « Le Voyageur » :

« Dans le cadre de cette 102ème publication, nous avons choisi de traiter l’une des problématiques que rencontrent régulièrement nos citoyens. Depuis plusieurs mois, des incidents mystérieux se déroulent à proximité de nos zones urbaines, tant ici sur Melbourne que sur Sydney ou Adélaïde. Mais l’Australie n’est pas le seul continent à subir les récidives de bandes organisées se prenant pour des extraterrestres. Hier, le terrain vague derrière le stade de Melbourne a été le centre de phénomènes étranges que nous ont rapportés plusieurs témoins oculaires. Ces derniers certifient avoir entendu des sons à la limite du tolérable qui les ont alertés. Quand ils se sont rapprochés des lieux, des quidams non-humains œuvraient autour d’un véhicule qu’ils n’ont pas pu identifier. Leurs dépositions sont toutes similaires ; ces êtres ressemblaient physiquement aux gens ordinaires, mais leur minceur détonnait et leur taille atteignait, voire dépassait, les deux mètres. Certains témoins décrivent leur tête comme plus grande et plus ronde que celle d’un être humain. Le journal tentera de vous fournir, chers lecteurs et chères lectrices, d’autres précisions, lors de l’édition de la semaine prochaine. »

C’était Rémy Falkhone pour « Le Voyageur ».

Agacé, Lashlan feuilleta un autre journal sorti plusieurs jours auparavant, cette fois en provenance de France où des individus, loin des standards humains, avaient été appréhendés près d’un casino en bord de mer, dans le Sud. Les descriptions des témoins avaient été également enregistrées. L’agent, en colère, replia l’hebdomadaire et l’abandonna sur la table où s’empilait une bonne quinzaine de revues et périodiques dont au moins une rubrique traitait du sujet. Même « Le Monde », un journal réputé pour son sérieux, brassait ce genre de nouvelles affirmant que les êtres entraperçus avaient été identifiés comme appartenant à la race des Hybrides. Une engeance qui découlait notamment d’une sélection entre Humains et Gris6 dont les médias, les scientifiques et les ufologues7 rabâchaient l’existence depuis plusieurs décennies. Lashlan ne remettait pas en cause la véracité des propos rapportés dans les nombreux articles qui s’amoncelaient sur la table, il estimait plutôt le travail de désinformation que sa hiérarchie lui demanderait ; si tout au moins, celle-ci se décidait. Récemment, les ordres n’étaient plus aussi formels, ni aussi directs, parfois incohérents, parfois même tardaient à lui parvenir. Les autorités publiques hésitaient-elles à poursuivre leur politique de l’autruche comme elles la pratiquaient depuis plus d’un demi-siècle ou le laisser-aller général de ces dernières années polluait-il jusqu’aux plus hauts niveaux de l’armée, des services de renseignement et du Gouvernement lui-même ?

Chapitre : Un client singulier

Étude du genre humain du point de vue d’un Alien : Les Ordinaires, de ceux qui se complaisent dans une condition qui s’avère être loin de ce qu’ils imaginent. Mais à leur décharge, le piège est insidieux, le leurre bien trop parfait.

Un verre à la main, installé à une table dans un coin discret d’un restaurant branché du quartier huppé de Sydney, Maur attendait. Khard Fintch était revenu à la charge. L’une de leurs hôtesses l’en avait prévenu, la veille, encore tremblante de la visite. Son compatriote avait toujours eu cet effet sur ceux qu’il abordait. En dépit des rappels à l’ordre de la meute de loups, dans les hautes sphères de leur cercle fermé, il ne modifiait pas d’un iota son intempérance vis-à-vis des « Ordinaires » comme il surnommait ceux parmi lesquels ils vivaient.

Maur n’approuvait pas cette attitude qu’il jugeait méprisante pour le genre humain, et dangereuse pour leur propre espèce. Savoir que ce dernier pénétrait sans vergogne sur son territoire, sans autre difficulté que de s’introduire et lire les réponses qu’il cherchait dans le crâne de ses employés, le tracassait chaque fois au plus haut point ; mais l’homme et ceux qu’il représentait s’accrochaient à ses basques. Il ne leur suffisait pas de profiter de son réseau et du bénéfice évident que leur apportaient ses activités, il fallait qu’ils le marquent à la culotte, comme voulant s’assurer de biens qui ne leur appartenaient pas en propre.

Maur observa la salle et le personnel qui se déplaçait discrètement d’une table à l’autre. Au travers des baies vitrées de l’étage, la nuit s’installait lentement. Les lumignons s’allumaient les uns après les autres, transformant l’atmosphère chaude de Sydney en une aura festive qui le dérangeait singulièrement. Il devina l’arrivée de son invité au bouleversement des ondes dans l’espace proche. Maur se détourna des carreaux de verre pour l’examiner. Grand, comme la plupart de ceux de leur race, une tignasse trop épaisse et des lunettes de vue pour dissimuler leur myopie générée par l’atmosphère de ce monde et sa lumière particulière. Lui, Maur, ne portait pas ce type d’accessoire encombrant. Ses laboratoires avaient su créer à sa demande une huile spécifique dont les propriétés génomiques avaient fini par se mêler aux siennes comme une seconde peau. Il n’avait plus aujourd’hui besoin de ces intermédiaires.

– Salut Evans. Beau repaire, merci de me le faire partager.

L’allusion était claire. Maur ne broncha pas, et d’un signe, invita l’homme à s’installer.

– Vous savez pertinemment que je ne souhaite pas que vous veniez dans nos bureaux.

– Craindriez-vous que l’on vous découvre ?

– Je ne pense pas seulement à moi, Khard. Les médias rapportent de façons de plus en plus soutenues les ingérences de nos races dans l’univers des Humains, et tout ça pour des maladresses qui se multiplient ; à croire que nos pairs briguent des occasions de se mettre en avant. De leurs côtés, les gouvernements humains ne font plus beaucoup d’efforts pour dissimuler la réalité aux masses pensantes.

L’autre ne répondit pas.

Maur demanda :

– Qu’attendez-vous de moi que je ne donne pas déjà ?

– Que vous accélériez la cadence dans la conception, puis la production de cette arme biogène que vous nous avez fait miroiter.

– Je n’ai rien fait miroiter, Khard, et vous le savez encore. Les instances souveraines m’ont instamment sollicité sur ce projet. Mais je ne suis pas prêt. Et certains d’entre nous ne sont pas convaincus que ce soit une solution viable. Les autres rebondiraient trop bien si l’on démarrait les hostilités. Que deviendraient nos hôtes, au milieu d’un conflit qu’ils ne comprendraient pas ?

– Qu’ils se tiennent à carreau, et tout ira bien pour eux.

– Ce ne sont pas tous des pleutres comme vous le préjugez.

– Peut-être pas, mais leur race est faible.

– La nôtre n’est guère plus florissante.

– Vous nous sous-évaluez, mon cher. Mais le niveau est quand même bien supérieur.

– Pour ce que cela change…

Ils furent interrompus par un serveur venu prendre la commande. Quand il fut reparti, Maur s’enquit :

– Un autre sujet vous tient-il à cœur ?

– On m’a attribué comme mission de vous ramener au bercail. Ils ont besoin de vous, là-bas, de vous et de vos œuvres.

– Je leur ai déjà délivré ma réponse. Celle-ci est on ne peut plus claire ; je ne reviendrais pas. Mon univers est ici, désormais.

– Qu’est-ce qui vous y attache ?

Comme Maur ne rétorquait pas, Fintch insista :

– Je suis curieux de ce qui vous y attire.

Maur réfléchit une minute :

– Je dois reconnaître que c’est difficile à dire, mais… Ce monde est un brouillon du nôtre, sans conteste, mais l’existence y est plus… inattendue, plus illusoire, et à la fois plus envoûtante et plus surprenante. Tout peut arriver à n’importe quel moment. On a beau se préparer, il semble que cette existence nous dépasse. Aucun ordre n’établit les priorités qui apparaissent ou disparaissent selon des critères qui déconcertent chaque fois. C’est vivifiant, et en même temps prenant et inquiétant. La mort y survient n’importe quand, et de n’importe où ; que ce soit par l’invasion des virus tropicaux au sein des zones tempérées, des guerres apatrides ou de la Terre elle-même qui se soulève des abus que nous lui faisons subir. Même la race que nous représentons peut être impactée par ces bouleversements. Là-bas, sur Talavèle8, tout était beaucoup mieux maîtrisé, en dépit des hostilités croissantes des différentes cabales.

Maur étudiait chez Fintch l’effet de son discours. Ce dernier précisa à contrecœur :

– Ils sont en train de nous rassembler, de récupérer tous les premiers-nés, les premiers débarqués et leur descendance. Je tenais à vous en toucher un mot. D’ici que vous vous retrouviez dans l’une de ces rafles aléatoires… Vous ne pourrez pas me reprocher de ne pas vous avoir prévenu.

– Je vous en sais gré, Khard. Qu’est-ce qui vous pousse à me tenir informé ?

– Un quelque chose chez vous qui finalement touche une corde sensible chez moi. Allez savoir quoi exactement ? Je suis un soldat, brut de fonderie ; comme mon souffle, ma violence est permanente et rejaillit sans cesse, tandis que vous paraissez policé en surface, presque intégré, mais sous les apparences, là, tout au fond, se terre un fauve qui n’exige que de ressurgir, et c’est ce qui vous arrivera, Evans. Le fauve ressurgira, et j’aimerais assister à cette renaissance. C’est cela que j’admire en vous : cette dualité aujourd’hui inopérante. Une vraie poudrière.

Maur eut un rictus ennuyé, cet homme se conduisait en véritable forcené, et pourtant, il arrivait que son esprit pénétrant puisse lire dans les tréfonds des âmes. Il lui arrivait de deviner des faits et des déviances que certains, au sein de leur race, ne suspecteraient jamais le concernant.

– Vous n’exagéreriez pas un tout petit peu, Khard ?

– Non, Maur, et vous vous en doutez. Mais dites-moi, les gars qui travaillent pour moi ont noté certains débordements du côté de vos distributeurs. Vérifiez vos filières ; il y en a une ou deux qui nous paraissent plus ou moins véreuses, et nous ne voudrions pas que d’autres que nous bénéficient de ce qui nous revient en propre.

Maur détecta de l’anxiété chez son partenaire. Une émotion qui ne lui était pas familière, et qu’il devrait prendre en considération. L’homme était sincère sur ce point. Il allait devoir creuser l’information et dénicher les failles. Difficile, en ce moment où l’accroissement de leurs activités et la sortie des nouveaux produits canalisaient toutes leurs énergies.

– Je prends note du sujet, Khard.

Chapitre : Ennéa

Cahier d’Avril Scott : Fusionnez un gène animal avec celui d’un Humain, et ajoutez-y quelques gènes de bactéries, d’archées ou de virus, et là, vous avez un vrai problème.

Avril avait rendez-vous avec un spécialiste du Comité scientifique de l’organisme d’État en charge des agréments. Elle avait déjà rencontré l’homme à plusieurs reprises, et le connaissait plutôt bien, un homme intègre et difficile à déstabiliser. La jeune femme appréciait qu’il y ait encore des gens honnêtes dans le métier.

La salle d’attente jouxtant le cabinet officiel manquait d’espace et de fenêtre, et l’indisposait. Avril s’impatientait quand la porte du cabinet s’ouvrit sur un homme de science, fluet, la cinquantaine. Il lui fit signe d’entrer, et l’invita à s’asseoir dans un fauteuil à côté d’un autre dans lequel s’affalait plus ou moins un étranger, devant un bureau tout ce qu’il y avait de plus représentatif de la fonction. Sur l’un des côtés de la pièce, à sa droite, un support en bois sur lequel s’éparpillaient des fioles et des cahiers d’une période surannée, qui ne devaient plus servir qu’à ressasser de vieux souvenirs de gloire. Comme elle interrogeait du regard celui qui l’avait accueillie, il fit les présentations :

– Avril Scott, notre consultante en science du génome, également éthologue et associée au sein d’Appden, l’Association protectrice pour le développement de l’environnement naturel, en charge des domaines sauvages du globe ; c’est à ce titre qu’elle exerce ici, avec nous, pour procéder aux expertises et analyses qu’elle jugera nécessaires pour l’évaluation de ce dossier. Scott, voici Adham Lacks, l’avocat en droit des licences pour un concurrent de BioJadh, GenOTab.

Avril s’attacha au personnage, imposant, les traits pincés. D’emblée, le courant ne passa pas entre eux. Elle se tourna vers le scientifique et interrogea :

– Vous avez une expertise pour moi, Monsieur ?

– Oui, Scott. Un dossier que nous avions refusé, mais qui nous est revenu, comme vous pouvez l’envisager. Lacks soutient que le travail de BioJadh qui œuvre sur des matériaux haute performance a été bâclé afin de lancer sur le marché un premier artefact qui leur permettra, par la suite, de pénétrer une sphère qui ne leur appartient pas de droit.

L’homme de loi intervint. Sa voix cassante interpella Avril.

– GenOTab s’emploie sur une filière similaire. Mon client dispose d’un dossier à l’étude, ici même. Le fait que BioJadh interfère aussi rapidement peut l’empêcher de réaliser une mise sur le marché prometteuse. La concurrence engendrée risque de lui être préjudiciable.

– Je comprends, argua la jeune femme.

Puis à l’intention du scientifique :

– Quel est l’écueil selon vous ?

– Une séquence de gènes singulière qui ne nous paraît pas à sa place. C’est ce qui nous a fait rejeter la demande. Nous souhaiterions que vous approfondissiez la carte du génome impliqué ici, et mettiez en avant l’impossibilité d’un tel projet, s’il existe. Si c’est le cas, cela signifie que les équipes du labo de conception sont pressurisées, ou bien que le service marketing de la firme a mis la charrue avant les bœufs et déployé le tintouin avant que le produit ne soit tout à fait finalisé. GenOTab suspecte une non-conformité majeure qui supposerait l’utilisation de gène animal interdit.

Surprise, l’éthologue sursauta, elle avait rencontré pas mal de malfaçons dans les prouesses des labos patentés, mais pour sa part peu souvent ce type d’entorse à la législation, sévèrement sanctionné. Celui-ci entraînait invariablement de sérieuses pénalités, pénalités, hélas, peu convaincantes pour les contrevenants notoires s’estimant au-dessus des lois.

– Une belle stupidité, à mon sens, Monsieur. De quel animal s’agirait-il ?

– Indéterminé à ce jour.

– Vous voulez dire, une espèce non identifiée.

– Trop tôt pour l’avancer, à ce stade.

Du coin de l’œil, Avril surprit l’œil mauvais de l’avocat de GenOTab.

– Un délai doit-il être respecté ?

– Nous avons un mois à partir d’aujourd’hui, y compris notre relecture. Vous avez donc deux semaines devant vous.

L’avocat hocha silencieusement la tête. Il aurait souhaité que l’obtention des conclusions prenne davantage de temps. Plus l’enquête s’éterniserait, plus longtemps le concurrent de GenOTab piétinerait. Damer le pion à cet enfoiré d’Evans permettrait à son client de rattraper un peu du retard accumulé, et dans son cas, d’empocher un petit pactole.