SolAs - Christine Barsi - E-Book

SolAs E-Book

Christine Barsi

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Beschreibung

Une astrophysicienne s'aventure sur un monde où les grandes variations climatiques ont modifié l’équilibre des puissances.

L’essence plasmatique est au cœur de toutes les productions sur l’ancienne Terre rebaptisée Origine. Les grands industriels d’Eurafrique s’arrachent les droits de son extraction sur les astéroïdes. Lorsqu’un géocroiseur d’un type très particulier approche de leur sol, il est d’abord question de le piéger à l’aide d’un tracteur gravitationnel et de le placer en orbite. L’astrophysicienne et sensitive Maylis Lhan est envoyée sur ce monde en miniature où les périls sont légion et le précieux plasma stellaire omniprésent. Mais qu’en est-il exactement de ce dernier ? La jeune femme apprendra à reconnaître dans sa trace imperceptible des signes d’une humanité que personne ne soupçonne, et lorsque la relation singulière qui la lie à son opérateur s’engage dans une direction inattendue, elle devra assumer ses choix et oublier ce qu’elle est pour l’accueillir.
C’est au cœur de l’astéroïde SolAs, ainsi que sur Origine, que se jouera le final alors que les grandes variations climatiques ont bouleversé l’équilibre des puissances en place et fait des terres canadaskiennes ainsi qu’étatsunienes, une sorte de mausolée vivant, et que l’Eurafrique connaît dorénavant le froid et la glace. Le périple qui entraînera Maylis jusqu’au bout du monde l’entraînera également au-delà d’une position sans retour, où elle devra choisir entre une humanité en perdition et un nouvel horizon plus périlleux encore. Mais qu’a-t-elle concouru à amener sur Origine ?

Suivez le périple de Maylis dans ce roman de science-fiction qui dépeint un univers surprenant et complexe où aucun choix n'est anodin !

EXTRAIT

– Éprouvez-vous des variations de tonus physiologique, ces derniers temps ?
Maylis fut tenté de répondre par la négative, avant d’opter pour une honnêteté sans réserve ; elle ne pouvait jouer avec sa santé, au vu de la conjoncture actuelle sur l’Aster.
– Oui, mais ça remonte à un moment maintenant. Disons que c’est capricieux. Il m’arrive de me sentir pleine d’allant et à d’autres moments…, je me sens vraiment frêle. De la fatigue, je vous l’ai dit.
– Je vois.
Maylis le vit se raidir, délibérer en lui-même. Ce n’était pas bon.
– Je me demande si un retour sur Origine ne serait pas la meilleure solution pour vous. Je sais que vous êtes un agent très utile ici, mais…
– Il est hors de question que je reparte. En tout cas, pas avant que notre mission ne soit achevée.
– Notre mission ?
– Mon opérateur et moi-même constituons une équipe… soudée. C’est notre mission commune, même si j’en incarne la tête pensante.
– Bien entendu.
Des éclats de voix leur parvinrent de l’aire d’accueil. Suffisamment audibles pour détourner leur attention vers la sortie de l’infirmerie. Le vacarme s’intensifiait ; cinq minutes plus tard, au travers des cloisons vitrées, Starks apparaissait, se débattant entre deux vigiles qui le retenaient de passer le sas d’accès au module de consultation. Un forcené. Inexplicablement, lorsque son regard atteignit celui des gardes, ceux-ci se calmèrent. Étrange, songea Maylis, témoin de cette scène qui lui en rappelait une autre. Le charisme de son opérateur était perceptible depuis sa position d’observation. Que voulait-il ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christine Barsi est une scientifique et une artiste qui a fait des études en biologie et science de la nature et de la vie, cherchant à comprendre ce qui anime le genre humain. L’auteure travaille dans les ressources humaines, l’informatique et l’ingénierie, écrivant en parallèle depuis 1998 des romans de science-fiction et de fantastique, avec à son actif cinq romans publiés à compte d’éditeur.

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Christine Barsi

SolAs

 

À mon père, toujours.

Car c’est dans son univers que j’ai puisé mes sources d’inspiration, au-delà du monde présent.

 

À mon neveu, Fabien Larby, féru de géographie et de mondes stellaires.

 

À mon petit-fils, Benjamin Barsi, qui depuis tout petit, s’intéresse à mon travail de romancière.

 

À mes écrivains fétiches qui m’ont inspirée dans ce domaine de la SF.

 

Enfin, à mon mari qui m’accompagne dans les petites et les grandes choses d’une modernité au quotidien souvent très dense.

Grâce à lui, ainsi ai-je pu trouver le temps nécessaire à cette écriture qui me fascine et dévore mon existence et la sienne.

 

Je ne dois pas oublier non plus, ceux qui, au sein de mon entreprise, ont su m’écouter quand je m’interrogeais sur une technique d’avant-garde ou une autre. Thierry, tu es l’un de ceux-là.

  

Prologue

Le chant du Métal : « Le métal qui draine toute l’attention des grands lobbies n’incarne déjà plus qu’un matériau sur le déclin. Il maintient son illusion tel un magicien ou un automate, mais à terme, sa source se tarit tandis que sa déchéance n’est plus qu’une notion de temps ultime. »

 

Khal Sihlen évaluait d’un air méfiant le métal qui se convulsait derrière la paroi de bioverre épais qui assurait leur sécurité. Sans qu’il comprenne comment c’était arrivé, ils avaient perdu le contrôle de ce secteur. À l’une des étapes du processus, mais laquelle ? Il pouvait voir le roboïde, en charge des opérations, figé le long de la citerne d’acier trempé, sa coque à l’épreuve des miasmes acides et des explosifs à forte charge avait été démantelée ; une lèpre inconnue le rongeait à un rythme déroutant. Près de lui, au sol, Warrhaen était tombé. Au travers de la visière du casque, il avait l’air mal en point et le métal paraissait attiré par son immobilité ; un métal si particulier. Depuis son axe d’observation, Khal jeta un coup d’œil derrière lui, au-delà du périmètre sécuritaire ; comme lui, les scientifiques ne comprenaient pas. Affolés, ils tentaient d’isoler la zone afin de la placer en quarantaine.

Équipés d’armes létales, des soldats enrégimentés envahissaient les lieux en jappant comme des chiens fous. Khal voyait les barrières hermétiques se fermer les unes après les autres. Il y avait des cris que le verre assourdissait. Il eut le temps de repérer l’un des leurs qui ne s’était pas retiré à temps, s’effondrer à son tour sur le sol recouvert, à présent, de cette marée d’argent. Des sirènes hurlaient dans le lointain, les forces de nettoyage n’allaient pas tarder à rejoindre les équipes déjà en place.

Il y avait eu une première alerte, une semaine auparavant. Khal n’était pas sur poste, à ce moment-là ; il venait d’entamer sa période de pause. Le règlement stipulait que chaque technoS1 et chaque ingénieur ne devait pas travailler plus de quatre heures dans le bloc. Il n’était pas censé être informé des détails, mais une ou deux relations parmi les anciens « privilégiés » lui avaient chuchoté, en aparté, que les choses n’étaient pas exactement ce qu’elles auraient dû être, et ce qui leur était déclaré quand ils débarquaient ici, dans le bloc B. Novices enthousiastes de vivre cette existence qu’on leur avait brossée, tout au long de leurs cursus d’enseignement sur Terra Base, l’une des bases d’entraînement, mais également le spatioport principal d’où partaient la plupart des navires stellaires d’Origine, – leur ancienne Terre, encore rebaptisée SolO – ils ne bénéficiaient d’aucun droit de regard quant aux circonstances dans lesquelles ils s’immergeaient, à partir de là.

Khal songeait qu’on allait bientôt exiger leur départ du bloc, et ils auraient de la veine si on les autorisait à demeurer dans l’un des autres blocs du secteur, ou encore sur la base surnommée : « les Communs », un ensemble de bâtisses correspondant à une sorte de complexe hôtelier et de restauration, de loisirs et de centre de soin à la disposition des équipes, au niveau zéro de SolAs. Ses rapporteurs improvisés lui avaient affirmé que souvent, pour des causes apparemment sécuritaires, les technoS et parfois même des ingénieurs de plus haut grade étaient renvoyés, expulsés sur le socle de Terra Base avec généralement pour règle, de ne plus remonter ici et de se museler. Des cloisons, étanches et opaques, venaient d’être dressées empêchant le technoS d’épier davantage de ces courtes séquences de la scène effarante, mais les voix qui s’étaient tues, un instant, reprirent de plus belle. Les types, là-bas, pensaient sans doute qu’à l’instar des caméras, les haut-parleurs avaient été débranchés, mais ce n’était pas le cas, et si les caméras ne montraient plus rien, les sons, eux, se propageaient avec une force d’autant plus percutante que le visuel était muet, laissant place aux interprétations. Des exclamations fusaient, et Khal supputait dorénavant la scène qui s’aggravait.

– Le site est en plein chaos et le métal s’agite.

– Nous le savons, Mitch, les robs ont perdu le contrôle et nous tentons de maîtriser la situation.

– On nous rapporte que les malaises se multiplient, dans les bocaux. L’un des technoS a été retrouvé inanimé.

– Il a été évacué ?

– Oui, mais je ne garantis pas de sa survie. Il a été amoché. Sale coup.

Il y eut un parasitage qui priva le témoin involontaire de percevoir une tranche du discours, puis la communication revint :

– Nous devons rapatrier les nôtres avant que nous ayons une vraie hécatombe sur les bras.

– Que suggérez-vous ?

– Pas d’autre solution, il faut fermer le site, ou tout au moins l’isoler complètement, et investiguer.

– C’est impossible, vous le savez. Les patrons ne vont pas aimer cela ? Ils ont trop misé sur l’affaire. Il n’y a pas d’alternative.

– Alors faites évacuer, au moins le plus gros des troupes, en ne conservant ici qu’une équipe réduite. Le temps de l’analyse…

– Ils seraient trop peu et la maintenance ne se ferait pas. Je vais demander qu’on augmente la sécurité.

– Quelle sécurité ?

Nouveau mutisme que Khal traduisit comme une fin de non-recevoir de la part de l’individu qui venait de regimber. Curieux, il attendit.

– Ce serait un coup de pied dans l’eau, Vaughn. La sécurité n’est pas un problème, comme elle n’est pas la solution, ici, dans la conjoncture actuelle.

– Que voulez-vous dire ?

– Que quelque chose, là-bas, œuvre en catimini et nous dépasse tous.

Khal perçut le souffle agacé de l’autre protagoniste.

– Alors déterminez ce qu’est cette chose et neutralisez-la ! C’est tout ce que je vous suggère.

Il y eut un crachotis dans les haut-parleurs qui firent réagir ceux qui, derrière le filtre sécuritaire, révélaient leur incompétence.

– Bon sang, qu’est-ce que c’est ? Éteignez-les, Mitch !

– Je croyais que c’était fait.

Dans cette partie du site, le silence, cette fois, s’éternisa, remplacé par une sorte de brouhaha qui sollicita l’attention de Khal ; les équipes de nettoyage arrivaient sur les lieux du drame ; il était temps pour lui de s’esquiver. S’il se faisait suffisamment oublier, peut-être aurait-il une chance de rester dans le coin. Il n’avait pas achevé la mission qu’on lui avait attribuée de manière tactique. Derrière la façade officielle, ses supérieurs avaient exigé de lui d’autres tâches que celles pour lesquelles il s’échinait dernièrement. Putain de métal ! Il abhorrait ces heures passées à s’éreinter pour les gros bonnets du Scientificat. Ce trou était un piège à rats qu’il quitterait dès que l’occasion arriverait.

  

 

Chapitre 1 : Les sphères ascensionnelles

Leçon de terrain appliquée aux planétoïdes : « Qu’est-ce qu’un astéroïde, si ce n’est un corps fantôme croisant au large d’un mastodonte, bourlinguant au cœur des espaces infinis ou bien attaché contre son gré au limon lointain, ou proche, d’un monde survivant ? Un vaisseau cabotant aux frontières d’une terre en marge d’un univers connu, alors que lui-même demeure invisible la plupart du temps ? Qu’en savons-nous ? Peut-être, n’est-ce qu’une entité se suffisant à elle-même dont on peut craindre l’influence cachée ? »

 

Maylis avait douze ans lorsque le phénomène avait commencé à inquiéter les scientifiques. Au Centre des Apprentissages de Technosciences, au cœur des promotions juniors, ses professeurs en parlaient parfois comme d’un évènement sans précédent. Puis l’excitation s’était amenuisée au fur et à mesure du temps qui s’écoulait sans incident. Si l’objet non identifié conservait son mystère, il ne faisait plus peur, du moins plus autant. Les chercheurs y flairaient, au contraire, une source de discussions interminables et d’hypothèses soumises à débats… Certains étaient parvenus à y déceler un réservoir de matériaux abscons, par l’intermédiaire de sondes et d’une onde expérimentale.

Les grands entrepreneurs avaient fini par en entrevoir toutes les potentialités. Les astéroïdes incarnaient depuis longtemps le champ d’activités industrielles touchant à des secteurs croissants dont la chimie, la métallurgie2 et la pharmacie n’en étaient que quelques-uns des plus importants. Il n’y avait qu’à voir les innombrables satellites et les territoires hors-sol, en orbite autour d’Origine dont Laefin et Meltpoint qui étaient des exemples typiques d’astéroïdes capturés par des champs magnétiques tels des animaux sauvages. Du fait de leur petitesse, ces corps stellaires n’avaient généralement pas subi la différenciation planétaire, commune à tous procédés de genèse de mondes ; ils étaient donc riches en métaux lourds et en terres rares, précieux matériaux que s’arrachait la vindicte des trusts. Le coût en temps et en énergie était faramineux, mais c’était sans compter les sommes astronomiques dépensées pour arrimer certains des astéroïdes, aujourd’hui en place, au moyen de harpons et de projectiles que l’on ancrait dans les profondeurs de l’astre mobile par le biais de machinerie et de treuil. Parfois l’un de ces corps célestes se libérait de son entrave.

Par le passé, quelques anecdotes avaient circulé dans le domaine, anecdotes qui avaient fait froid dans le dos aux entreprises occultes cautionnant les financements dans cette discipline. Alors, découvrir à présent l’un de ces astéroïdes venir jusqu’à eux, sans qu’il y ait à en assumer les frais dispendieux, ouvrait des opportunités d’une puissance incalculable. Il leur fallait simplement patienter en estimant la faisabilité d’un projet d’extraction à long terme de leur future proie des étoiles.

Durant les huit années qui avaient suivi la détection initiale du mastodonte, celui-ci était parvenu à s’approcher, puis à s’ancrer dans l’espace au-dessus de SolO sans produire les bouleversements majeurs auxquels s’attendaient les plus éminentes autorités scientifiques, en dehors d’une ombre permanente portée sur tout le territoire situé sous l’astéroïde, une ombre qui amenait des baisses de températures de plusieurs degrés et l’émergence d’un nouveau climat pour les « terres d’en dessous », selon l’expression et l’engouement à la mode. Des marées de fortes amplitudes s’étaient également déclarées dans les premiers temps, mais des champs magnétiques surpuissants exercés par des chambres à plasma particulières, disposées à des intervalles définis en hauts lieux, avaient atténué les variations les plus conséquentes.

Les mesures réalisées à distance par des appareillages complexes des plus sophistiqués, appartenant à des firmes à l’autonomie financière colossale, avaient toutes été convaincantes : l’astéroïde possédait tout ce qu’il fallait pour se rattacher à l’une des classes les plus prisées. Ses concentrations en métaux plasmatiques apparaissant infinies, et plusieurs fois supérieures à celles de nombreuses classes d’astéroïdes recensées jusque-là.

Cependant, des ombres persistaient dans l’apprentissage à distance de ce qu’était exactement ce morceau d’étoile, figée dans sa position orbitale, ne faisant qu’accompagner le mouvement d’Origine. Certaines zones de l’astéroïde s’avéraient désespérément épargnées par les sondes qui demeuraient, pour la plupart d’entre elles, étonnamment sourdes et muettes, et ne réussissaient pas à franchir une barrière fictive qui les limitait et dressait un obstacle à leur rayon d’action en profondeur ou en surface. Ce qui conduisait les scientifiques à s’interroger sur le contenu du noyau stellaire et de son atmosphère dont ils discernaient quelques traces infimes, contraires à toutes les règles de l’astrophysique.

 

Si l’année de sa mise en orbite, l’ancrage satellitaire du corps spatial avait causé beaucoup de bruits et amené un développement accru de l’intérêt général pour tout ce qui touchait de près ou de loin à l’astrophysique et l’astronomie, les deux années suivantes avaient vu étouffer dans l’œuf les discours plus ou moins cohérents des experts. À croire que l’on voulait que les foules oublient l’évènement, pour mieux inciter le corps scientifique à œuvrer dans les coulisses, comme à son habitude.

Aujourd’hui, alors que Maylis allait sur ses vingt-trois ans, la presse à sensation ne laissait filer que quelques bribes à intervalles irréguliers, alors même que PlasmAtal, l’une des plus grosses entreprises industrielles implantées en Eurafrique et en Ruschin, avait investi le corps stellaire et installé son site d’exploitation après en avoir obtenu la licence adéquate, auprès des autorités compétentes. Dans les revues scientifiques et dans les quelques rares articles qui abordaient le sujet de l’astéroïde et du type de production que l’on y effectuait, il était question d’un plasma métalloïdique aux propriétés fascinantes, mais les précisions s’arrêtaient là. Pourtant, la jeune femme devinait qu’il y avait davantage que ce que les infos distillaient par doses infinitésimales.

Onze ans plus tôt, l’apparition du phénomène dans leur métasphère avait provoqué chez elle une réaction instantanée et surprenante, un peu comme les raz de marée qui avaient accompagné la manifestation. Maylis avait trouvé sa voie et ce que serait désormais sa profession. Mettre les pieds sur le corps céleste était devenu pour elle un leitmotiv.

À la suite de cette réalisation inattendue, elle était entrée dans les études spatiales puis avait adopté sa filière, construisant son projet avec une hargne et une persévérance difficile à admettre chez une simple fillette. Mais elle n’avait jamais vraiment été ce que l’on qualifiait de « simple fillette ». Elle n’avait été qu’un garçon manqué sans cesse sur les basques d’un père qui la faisait rêver, mais qui savait en même temps canaliser chez elle, tout le potentiel dont il avait disposé lui-même pour ses propres ambitions. Il l’avait aidée à exprimer les siennes et l’avait chaperonnée lorsque les obstacles, nombreux, s’étaient dressés à ses pieds, et qu’il avait fallu convaincre les institutionnels de ce que les frasques de sa fille n’en faisaient pas moins une surdouée de l’astrophysique dont il fallait encourager les aptitudes innées.

Depuis, son père était parti ; il les avait quittées, sa mère et elle, emporté par l’une de ces inventions industrielles qu’il avait concouru à réaliser. Un professionnel hors pair dans le secteur des véhicules hors sol. Un crash qui n’aurait pas dû avoir lieu. À l’origine, le mauvais montage d’un technicien peu minutieux. Depuis, la jeune fille s’était fait un point d’honneur à maîtriser aussi bien l’ingénierie de pointe que la mécanique de base, tout aussi essentielle à ses yeux que les projets d’envergure et la haute technicité. Aujourd’hui, alors qu’elle atteignait son objectif, son père n’était plus là pour la féliciter.

 

La jeune femme s’extirpa de ses pensées, alors que le brouhaha s’intensifiait autour d’elle et que les rumeurs enflaient et s’épandaient ainsi que des nuages porteurs de froid et de glace. Elle balaya du regard la foule qui se pressait vers les sas menant vers le satellite géant. Il y avait quelques femmes que l’on reconnaissait à leur combinaison plus colorée, mais dans l’ensemble, une majorité de représentants masculins. Il en était ainsi dans ce métier. Malgré les encouragements des pouvoirs étatiques pour un plus grand équilibre du genre, la gent féminine se défaussait face à la brutalité des contingences, propres à leur métier.

Par petits groupes, des technoS se rassemblaient, échangeant les nouvelles en attendant que les appareils soient prêts et que leurs portes s’ouvrent. Maylis n’avait pas de camarades qui puissent adoucir ces moments d’angoisse, alors qu’un nouvel univers allait se révéler à elle. Elle avait tant imaginé ces instants où les sas s’escamoteraient devant elle. Hélas, les jeunes femmes de sa condition évitaient le métier, lui préférant les facilités qu’offraient invariablement les secteurs branchés des loisirs et du tourisme satellitaire. Du côté des jeunes gens, elle n’était pas parvenue à se familiariser avec leurs jeux rudes et leurs manières ostentatoires.

En dépit de ces freins indubitables, Maylis était trop passionnée par ses propres objectifs pour ne pas poursuivre les études qu’elles s’étaient imposées. Sur Origine, les forces de Terra Base œuvraient autour de deux pôles d’intérêt que représentaient le tourisme satellitaire et l’industrie, et la production technique et scientifique de minéraux et de substances nécessaires au développement, toujours plus important, du voyage d’agrément hors-sol. Du moins pour ce qui était de l’Eurafrique et dans une proportion plus restreinte de la Ruschin, car pour le reste, c’était le grand inconnu. Personne ne soupçonnait généralement ce qu’il en retournait sur l’autre continent. À ce qu’elle en savait, ce dernier avait sombré dans la décadence aussi bien technique que sociétale. Mais peu parlaient de ce sujet, depuis longtemps tombé en désuétude.

Avec les intempéries qui sévissaient depuis plusieurs jours, la jeune femme avait craint que le projet spatial ne soit reporté. Elle en aurait crevé de frustration. Pour elle qui se passionnait pour le corps étranger au-dessus d’eux, la technique propre aux sciences résumait la seule alternative, et son projet immédiat était de se faire enrôler.

Comme elle avançait, poussée par le flot des jeunes recrues, Maylis échoua près d’un groupe bruyant dont elle capta des bribes d’une conversation animée. Il semblait qu’il y ait eu un problème au sein de l’organisation méticuleuse des hauts ingénieurs gravitant sur SolAs, le nom dont on avait affublé le corps stellaire à l’époque ; la jeune fille d’alors avait réprouvé cette dénomination trop édulcorée. Elle se rapprocha discrètement des jeunes gens. Apparemment, un évènement imprévu avait provoqué le décès d’au moins un technoS, là-haut. Une agitation dans la foule la déporta et les sons se biaisèrent.

Quelque trois années auparavant, Terra Base avait été agrandie pour accueillir un nouveau spatioport afin de permettre l’accès au corps satellitaire qui avait fait couler tant d’encre. Ce dernier dansait dorénavant sa danse monotone au-dessus de SolO sans émouvoir les peuples occupés à assumer leur existence précaire. En dépit du manque évident de lumière que son ombre générait dans cette partie du globe, et des températures plus fraiches ainsi qu’une végétation caméléon qui s’était modifiée pour accompagner ce contexte inédit, les populations ne s’y intéressaient guère. Les rapports scientifiques s’étaient avérés riches d’informations quant à la teneur de l’astéroïde en constituants métalliques et en minéraux. Les phases d’analyses préalables achevées, celle des conflits leur avait succédé, causée par les industries matures qui s’étaient littéralement battues pour emporter un marché dont la manne financière était estimée de manière plus que généreuse. Encore toute jeune, Maylis avait cru qu’ils allaient tuer la poule aux œufs d’or, à force de sabotages heureusement mal ciblés pour éliminer les concurrents les plus sérieux.

Après une période d’atermoiement puis de choix étatique, la phase de production avait débuté aussitôt que les infrastructures avaient été mises en place.

Désormais, c’est de ce lieu même, où aujourd’hui se pressait la nouvelle génération de technoS et d’ingénieurs, que partaient toutes les sphères3 ascensionnelles depuis SolO vers la superstructure du corps céleste en suspension, que le milieu scientifique nommait dorénavant aussi bien Nadh que SolAs.

 

Au sein du peuple, on le désignait comme le satellite fantôme.

La file des technoS avançait lentement au long des couloirs de Terra Base. La température à l’intérieur ne dépassait pas quinze degrés, mais c’était bien plus confortable que les températures glaciales du dehors. Deux sphères ascensionnelles devaient décoller d’Origine pour le satellite naturel dans le cadre d’un court transfert de près de deux jours stellaires, tandis qu’un astronef quitterait SolO également depuis le spatioport de la base pour voguer durant plusieurs semaines vers une constellation répertoriée depuis peu. Il existait des moyens plus rapides pour se rendre sur le satellite, mais ils étaient réservés à la junte en haut lieu. Parmi ceux-là, les sphères à plasma proposaient un trajet d’à peine un couple d’heures, de ce qui se disait, et par le biais d’une technologie difficile à appréhender pour les non-initiés, nécessitant un réacteur à plasma permettant la manipulation de champs magnétiques et gravitationnels, protégeant les voyageurs, et accélérant les déplacements, au-delà de toute imagination. Quant à l’acheminement du minerai et de son essence, il se faisait par convoyeurs stellaires dont la gestion était endossée par quelques minéraliers notoires ayant eu les épaules suffisamment larges pour remporter ce type de marché, épineux à mettre en œuvre, mais financièrement très lucratif.

L’effectif de « tournants », comme ils s’appelaient entre eux, variait en fonction des destinations. Pour le satellite fantôme, ils étaient une kyrielle et les allers-retours plus réguliers que pour des secteurs plus éloignés. Chacune des sphères affectées au transfert des hommes pouvait contenir jusqu’à près d’une centaine d’individus, bien qu’elles ne soient que rarement bondées.

Comme une technospace arrivait dans sa direction, flanquée d’un officier revêtu du costume gris reconnaissable, Maylis osa les aborder pour s’enquérir de la rumeur qui enflait autour d’elle.

– Il y a eu du grabuge dans l’un des blocs de production, là-haut.

– Une explosion ?

Le couple s’éloignait, alors que la technospace murmurait à son intention :

– La seule allégation qui se propage, c’est qu’on nous envoie dans un secteur chaud.

Les jeunes gens furent avalés par la foule aussi vite qu’ils étaient apparus, et Maylis finit par les perdre de vue. Elle songea que la situation ne pouvait pas être aussi dramatique que ces gens le pensaient, et oublia volontairement la rumeur pour se presser vers le stand d’accueil qui leur était dédié. L’excitation de l’instant montait en elle avec une saveur d’acidité qui énergisait la moindre de ses cellules humaines. Elle attendait ce jour depuis son enfance.

Chapitre 2 : Sélection

Études des Sciences Humaines : « La sélection n’est qu’un leurre pour les bien-pensants. Dans les faits, ceux qui doivent être aux commandes le deviennent un jour. Le destin, le futur ne sont que des mots sans fondement, comme tant d’autres. Le temps n’existe pas, seul est l’instant présent, encore et encore. L’élu n’a que le choix de cet instant, qu’il soit passé ou à venir. Il n’a que son intention pour lui, l’unique juge de ses décisions. »

 

Les sphères ascensionnelles les avaient déposés sur le sol de l’entité mouvante.

Aujourd’hui, Maylis pénétrait en même temps que tous les technospaces sur ce monde authentique en dépit de sa taille extrêmement modeste en définitive. L’énorme sas d’un noir profond s’était ouvert sur son personnage, à l’instar d’une bouche colossale qui les avalerait pour les mener le long d’interminables couloirs vers des bâtiments secondaires leur évitant tout contact hostile avec l’astéroïde lui-même.

Maylis possédait une certaine expérience des astéroïdes et de la sélection que l’on y pratiquait. Celle-ci ratifiait les candidats finalistes à y demeurer et y être acceptés en tant que membres à part entière des équipes en place, pourtant, à cet instant, la jeune femme se sentait insignifiante parmi la masse grouillante de ces spécimens humains qui avançaient vers les hangars du niveau zéro, en même temps qu’elle. Trop insignifiante et trop commune pour être repérée par l’un des ingénieurs en place. Mais c’était une étape préliminaire et elle s’était juré de les franchir une à une, quand bien même cela nécessiterait une existence entière. Qu’était-ce qu’une destinée humaine quand il existait de tels phénomènes dans l’univers ?

À l’écoute des sons de ce nouvel habitat, regardant alentour pour mieux s’imprégner de cet environnement, elle s’était intégrée sans y prendre garde à l’un des groupes que les superviseurs agençaient en ce moment même. On les guidait jusqu’à une pièce aveugle, dénuée de tout accessoire, vers une console où deux agents de sécurité commencèrent à les instruire des différents protocoles, du règlement, des comportements escomptés, avant d’entreprendre la constitution des binômes.

Intimidée, Maylis conserva un silence prudent tout en se tenant bien droite derrière une recrue masculine qui la dépassait d’une tête, comme si ce simple fait la déroberait et lui offrirait une chance de passer inaperçue. C’était stupide, alors qu’elle était exactement à l’endroit où l’avait conduite le moindre de ses objectifs. Ce fut cet homme qui fut désigné pour être ce compagnon de labeur pour la routine à venir. Elle ne se leurrait pas ; là, en bas, sur Origine, on l’avait instruite des diverses tâches à accomplir sur le corps en orbite. Aucune ne l’effarouchait ; elle était téméraire et endurante, et elle savait surtout ce qu’elle voulait. Ses précédents voyages, au fin fond de systèmes où les conditions d’existence s’avéraient loin d’être une panacée, l’avaient aguerrie intérieurement aussi bien qu’extérieurement. Sa préparation allait bien au-delà de l’attendu et malgré cela, elle se figurait toute dérisoire au sein d’une machinerie humaine plus effrayante que toutes les mécaniques et les engins de mort que la science inventait régulièrement. Sous son vernis de jeune femme civilisée se dissimulaient un corps et un esprit aussi durs que les métaux rares extraits des sous-sols de cet astéroïde. Le discours des officiers se clôtura sur les présentations individuelles. La première étape était achevée, la suivante débutait, celle de l’évaluation approfondie de leur personnalité propre. Elle n’admettait pas l’importance d’une telle exigence. En quoi son tempérament les inciterait à retenir sa candidature, alors qu’il y avait tant à faire ici, tant à faire et tant à perdre. Elle ne se leurrait pas non plus sur la flopée de disparitions dont faisait subrepticement, mais invariablement, mention « le livre des manquants », comme si le corps stellaire et son précieux métal pouvaient absorber autant d’individus sans que personne, pas même le personnel des services de sécurité, ou de santé, ne s’en aperçoivent.

Pourtant, elle fut tout comme les autres passée au crible, jusqu’à son choix de monter jusqu’ici, jusqu’à son choix des études d’astrophysique, jusqu’à ses motivations et les divers entraînements physiques endurés tout au long de ses expériences antérieures. En dépit de son jeune âge, elle avait cumulé quelques missions astreignantes qui les intéressaient. Pourquoi vouloir connaître ce qui était une évidence, vouloir présager de l’insaisissable ? Comme si Maylis l’avait pigé elle-même ! Elle ne se comprenait pas, ne s’était jamais comprise.

Ils amorcèrent ensuite l’analyse ; elle aurait employé le terme de dissection, de ses états de santé. Elle dut tolérer leurs regards fouineurs, leurs contacts de pâte à modeler – c’est ainsi qu’elle envisageait les choses –, leurs vaccins et leur soi-disant antidote dont elle suspectait qu’ils ne lui feraient pas le bien dont on la serinait. Elle supporta tout ce qu’il fallait, et elle fut sélectionnée ; ainsi que son binôme.

Sur la centaine qu’ils étaient en ce début de processus, quinze furent évincés pour des raisons dont elle ne sut rien pour la plupart. On les guida ensuite vers des appareillages occultes au moyen desquels leur résistance à l’effort, leur endurance, leur niveau d’énergie immédiate et à plus long terme furent de nouveau quantifiés, enregistrés, reportés sur des unités de mémoire.

Elle se retint de rire quand elle prit soudain du recul et qu’elle considéra elle-même la situation, se promettant tout à coup d’écrire un jour l’un de ces bouquins où le personnage principal ne serait que son propre reflet. Elle n’aurait pas même à trop imaginer ; tout, ici, étant au-delà du quotidien de tous, là, en bas, sur SolO.

Enfin, les superviseurs leur tendirent un badge, un uniforme, et les accessoires de base pour la toilette ; le lendemain, on leur fournirait une combinaison protectrice lestée de toute la technologie nécessaire à une sortie hors du cocon sécurisé des bâtiments.

Les superviseurs s’effacèrent au profit d’un énergumène un peu plus souriant qui les encouragea à le suivre vers les « Communs », un corps de bâtisses pourvu de deux bâti-sphères reliées ensemble sur un même niveau et comportant, notamment, les dortoirs, les douches, deux réfectoires et le collectif. Ce dernier, sorte de vaste pièce assez confortable derrière la zone cantine, proposait des coins isolés, des remparts de plantes et des renfoncements électroniques, de quoi se détendre et évacuer la tension instillée par le quotidien au sein des ateliers de SolAs, comme les surnommaient les générations de tournants passés avant eux.

On leur octroya une pause qui leur permit quelques brefs et superficiels échanges. Maylis nota encore les rumeurs courant sur l’équipe en place, qui aurait rencontré quelques incidents sérieux ; un accident était également incriminé dans les coursives qu’empruntaient les technoS et leurs affiliés pour se rendre sur les lieux de production. Elle se ferma aux indiscrétions et bavardages, et, après s’être désaltérée d’un jus de fruits insipide, s’isola vers l’une de ces zones à l’écart, hélas escortée de cet étranger qui avait à cœur de jouer son nouveau rôle. Et pourquoi pas ?

– Vous êtes toute jeune, vous êtes passée par quelle école ? l’interrogea-t-il d’emblée, alors qu’il la jaugeait depuis un moment.

– L’école des Hautes Astrophysiques, dans les monts alpins d’Origine, en Eurafrique.

Il patienta et comme son interlocutrice ne rebondissait pas, il précisa :

– Pour moi, c’est l’institut des Sciences Fondamentales sur Laefin.

Le plus gros satellite en orbite autour de SolO. Un trou perdu pour Maylis, mais pour la plupart une opportunité. Elle y avait fait un bout de spécialisation, là-bas. Elle acquiesça, marquant un intérêt tout artificiel. Il en redemanda :

– Quelle orientation majeure pour vous ?

– Un certain nombre, en fait.

– Ah…

Ce vaste ensemble de connaissances s’avérait impossible à assimiler dans sa globalité. Ce bout de femme, tout juste sortie de l’adolescence, n’allait pas lui en compter longtemps.

Il attendit qu’elle fasse l’effort de revenir vers lui. Ce qu’elle fit, manifestement agacée par son intrusion.

– Dans les premières années, l’instrumentation et les exoplanètes, puis l’ingénierie spatiale.

– C’est déjà beaucoup, vous savez.

Elle eut un petit sourire en biais. Elle allait lui faire plaisir, ou démonter sa complaisance pour sa personne, au choix :

– J’ai néanmoins parachevé cette éducation par une formation complémentaire et, notamment plusieurs stages expérimentaux.

Et comme il allait encore vouloir poursuivre la communication, elle enchérit spontanément :

– La physique des plasmas denses, des exo métaux ; la matière noire, bien que ce soit de l’histoire ancienne. Le concept est désormais dépassé, vous le savez.

Ébahi, il quémanda presque :

– Vous avez pratiqué ?

– Bien sûr. Je vous l’ai dit ; mes stages. Mais ma vraie spécialité concerne les astéroïdes.

– Vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir réalisé ce parcours.

Elle sourit plus largement et plaisanta :

– On m’a toujours affirmé que je ne faisais pas mon âge. Mais de votre côté ?

Troublé, il atermoya d’abord, avant de répondre vaguement :

– Je ne dispose pas d’un cursus complet ; c’est pourquoi je rapplique sur ce morceau de caillou volant. Mais pourquoi ce choix de mission, ici, pour vous-même, alors que vous pourriez être n’importe où ailleurs ?

– Je ne souhaite pas finir ma vie dans un laboratoire, à conceptualiser à l’infini. Je veux entrer en profondeur dans le métier, en embarquer toutes les subtilités… trouver un sens que d’autres n’appréhenderaient pas. Seul un apprentissage intensif pourra me le permettre. Ce corps étranger recèle des messages qu’il n’a pas encore livrés aux scientifiques, comme aux profanes.

– Mais en tant que technoS…

– Eh bien, oui, cet angle d’approche me paraît judicieux. Un technospace est le meilleur instrument pour sonder la matière…

– À coups de burin et d’acide…

– Pourquoi pas ?

– Pour une femme, il y a mieux, non ?

– Pas nécessairement. Apparemment, je n’ai pas la même vision que vous, à la fois sur le statut de femme et sur celui de technoS. Mais cette mission-ci est un peu particulière, non ?

Elle n’attendit pas qu’il réagisse et s’enquit :

– Quel est votre nom, déjà ?

– Jhano. Jhano Pan.

Elle lui tendit la main, un sourire à peine esquissé sur ses lèvres.

– Maylis Lhan.

Il soupesa leurs chances de s’entendre. Leur tempérament ne se complétait visiblement pas, ni leurs aspirations. Mais on les avait réunis ; il s’interrogea sur la compétence des recruteurs qui venaient de les examiner sous toutes les coutures. Mais elle était mignonne avec sa frimousse en cœur, ses boucles châtaines qui l’encadraient et ses prunelles grises. Il n’allait pas se plaindre ; qui sait ce qui pouvait en découler ? Il se détendit et lui offrit à son tour sa main qui faisait deux fois la sienne. Maylis ne cilla pas, mais n’apprécia pas l’expression du visage de l’homme ni les pensées qu’elle devinait trotter dans sa tête. Elle soupira avant de s’éloigner de leur coin à l’écart, et entreprit de rejoindre les équipes au centre de la salle.

Elle et son binôme furent momentanément séparés par la foule des technoS et des ingénieurs qui refoulaient vers l’un des couloirs s’enfonçant dans les profondeurs de leur nouvel habitat. Bientôt, ils atteignirent un embranchement qui menait à d’autres couloirs. Les dortoirs, leur précisa-t-on. Destinés uniquement aux membres féminins dans l’une des ailes, et aux membres masculins dans une autre. Ringards ! songea Maylis que cette différence n’ennuyait pas. C’était tout aussi bien. Non pas qu’elle ne recherchait pas, parfois, une relation masculine, mais elle n’avait pas d’expérience sur le sujet, en dehors des problèmes que ces mêmes timides relations avaient ensuite générés. Elle ne s’attachait pas, voilà tout. Quelques-uns de ces gros mâles avaient tenté de s’accrocher, mais elle les avait rapidement mis au fait de son manque d’intérêt pour leur masculinité tout apparente. Eh bien, ce n’est certainement pas dans ces lieux qu’elle débusquerait l’âme sœur. Et cette perspective lui convenait parfaitement.

Chapitre 3 : L’une des recrues

Études des Sciences Humaines : « Il n’est rien tant qu’illusoire, un secret que l’on croit bien gardé. Les surdoués ne sont pas toujours ceux que l’on pense, parfois l’on en découvre dans le terreau profond qui sert de socle même à l’existence des plus simples, des plus vrais. »

 

Les opérateurs s’étaient éparpillés dans les blocs à plasma, ces ateliers de production contenant, chacun, l’un de ces puits dont on extrayait le minerai depuis bientôt deux années. Adheel, l’un des opérateurs de l’équipe en place, se souvenait que la première année de forage avait été compliquée. L’implantation des hangars et du matériel adéquate que l’on devait ancrer sur l’astéroïde, puis le début du forage des puits de mine avaient pris, comme souvent dans un tel contexte, beaucoup plus de temps que les estimations des professionnels l’avaient auguré au préalable. Rien ne s’était réalisé aussi facilement que l’avaient escompté les responsables du site et leurs Directions, celle de l’Aster4 et celle de Bãtonh et du Siège Central sur SolO – et de leurs partisans – à qui l’on avait remis tous les pouvoirs pour s’ingérer dans les strates souterraines de l’astéroïde. Les pionniers, ingénieurs et technospaces avaient rencontré un certain nombre d’achoppements liés à la nature même du corps céleste dans le socle duquel les foreuses et les perforatrices avaient tenté de pénétrer.

 

Si les sondes préliminaires avaient signalé un noyau dense doté d’une haute teneur en métalloïdes, la dureté de la couche inférieure ainsi que sa dynamique de rétractation les avaient néanmoins surpris. Lorsqu’une cavité était creusée, il arrivait aux équipes en charge du secteur de revenir le lendemain avec tout le travail à recommencer et un matériel détérioré du fait de la contracture du sol excavé.

Les scientifiques s’étaient penchés avec une avidité extrême sur le phénomène durant plusieurs mois, avant de pallier l’obstacle en suggérant d’injecter, dans ces fosses artificielles, une substance à l’élasticité suffisante pour compenser la rétractation. D’autres déboires s’étaient succédé, mais Adheel ne se souvenait plus des détails ; lui n’avait mis les pieds sur le corps étranger qu’une année auparavant. Il faisait dorénavant figure d’ancien, car les équipes se renouvelaient très régulièrement ; une nécessité, si l’on voulait survivre après le Nadh, une maxime que se répétaient les opérateurs et les technoS, davantage exposés que les ingénieurs.

Aujourd’hui, chacun des blocs s’équipait de pupitres sophistiqués qui contraignaient à une série d’ajustements fonction de la densité du minerai qui variait continuellement selon les heures et selon les jours. Les maintenances de base résumaient le quotidien des opérateurs. Les technoS auraient ensuite leur rôle à jouer dans les réparations plus complexes ainsi que dans l’extraction de l’étrange minerai qui s’accompagnait la plupart du temps de cette sorte de plasma magmatique qu’ils ne réussissaient pas toujours à canaliser, et dont la teneur en métalloïde était telle qu’elle modifiait les mesures des instruments et détraquait nombre de ces derniers au bout de seulement quelques semaines, si ce n’était au bout de quelques jours. Lorsque les technoS abordaient la phase délicate de la transformation définitive en un plasma stabilisé, il leur fallait toute la concentration et le doigté d’un orfèvre pour cet aboutissement. Certains d’entre eux n’y parvenaient pas, et ils n’avaient d’autre choix que d’accepter une rétrogradation en prenant un poste vacant d’opérateur ou bien d’être évacués du Nadh.

Lorgnant du côté de l’opérateur qui l’épaulait, Adheel attendit que celui-ci ait achevé le nettoyage des sols, régulièrement aspergés du matériau cryptique, avant de se rapprocher de l’une des tubulures qui présentait une fissure qu’il devait colmater avant qu’une coulée de cette viscosité ne suinte et ne vienne enrayer rapidement le fragile équilibre des extractions. À intervalle, celle-là échappait au contrôle draconien mis en place par les premières générations de scientifiques. En dépit de leur équipement protecteur, les technoS y étaient souvent exposés, et par la suite pouvaient éprouver des effets secondaires demeurés inexpliqués aujourd’hui, mais pour lesquels des solutions chimiques avaient été préconisées.

– Salahm…

– Ouais ?

– Tu es au courant pour les derniers incidents ?

– Pas vraiment. Ceux de la Direction se taisent en se murant derrière le secret professionnel et les normes sécuritaires, mais j’ai des potes qui m’ont cependant encouragé à mots couverts à quitter cet endroit sans pour autant oser me divulguer quoi que ce soit.

Salahm jeta un coup d’œil sur les dispositifs de télésurveillance aux quatre coins du bloc dont ils assuraient la maintenance. Par petits groupes, les jeunes recrues se réunissaient, sans doute pour débattre de leur ressenti suite à leur sélection. Son regard se posa sur une technoS qui les scrutait, par l’intermédiaire de l’une des caméras de la salle commune. Une futée ! Il étira un bras dans sa direction, et demanda :

– C’est qui celle-ci ?

– L’une des recrues de la veille, rétorqua Adheel qui aimait s’enquérir de l’identité des nouveaux, dès leur arrivée. Il parait que c’est une surdouée, en dépit de son titre actuel. Il y en a quelques-uns qui sont plutôt bons dans la toute dernière promo. On les verra bientôt à l’œuvre.

L’inquiétude incrusta les traits de son compagnon qui questionna, connaissant néanmoins déjà la réponse :

– Ce n’est pas un peu dangereux, tout ça, Adheel ? Ces jeunes sont à peine sortis de l’enfance, et on les introduit sur ce vaisseau fantôme sans ceinture de sécurité, en dehors d’une combinaison tout ce qu’il y a de plus dans le vent, de bottes de sécurité géniales et d’un masque facial plutôt performant, je dois le reconnaître. Avec les évènements des jours précédents, à la place de la Direction, j’aurais attendu que ces derniers se tassent et j’aurais pris le temps de la réflexion. Tu ne crois pas ?

– Je suis en phase, Salahm, mais ni toi ni moi n’avons notre mot à dire.

Une fois achevés le contrôle du bloc et le raccommodage de la tubulure, ils se dirigèrent vers un bloc situé un peu plus loin dans le couloir.

  

 

Chapitre 4 : La phase Une

Études des Sciences Humaines : « La foule est tel un courant d’air vicié ; ceux qui la composent déforment le miroir au travers duquel l’étranger ne peut faire autrement que de s’identifier. Hélas, ce faisant, ce dernier sacrifie beaucoup plus que son identité, mais le souffle qui l’anime, mais son être tout entier. Ne pas regarder la foule. Ne pas s’y complaire. »

 

Dans la première salle de restauration, le brouhaha s’amplifiait avec les arrivées de technoS et d’ingénieurs débarqués de la veille pour venir grossir les équipes en place. Ils déferlaient de leur cellule de dormance – terme dévoyé de ses origines par une sorte de plaisanterie ayant trait aux conditions environnementales toujours harassantes pour un spationaute – les uns après les autres, l’air encore ahuri par la nouveauté de leur situation.

Pressée d’explorer le site de production, Maylis ne s’était pas donné la peine de se brosser les cheveux qu’elle avait épais, mais heureusement assez courts ; ils rebiquaient sous les oreilles et dans son cou. Après avoir emprunté le couloir circulaire, elle avait pénétré le réfectoire dédié aux petits déjeuners, s’était orientée vers la large desserte au centre et, en même temps qu’elle se procurait un plateau et se versait de café, elle replaça machinalement l’une de ses mèches rebelles derrière l’oreille. La jeune femme aperçut l’éventail des jus de fruits sur une desserte à l’écart, et alla se servir d’un garlonh, l’une de ces boissons exotiques qui faisaient fureur sur SolO et ses extraterritoires. À base d’un ancien fruit oublié des dernières générations, et qui reprenait de ses lettres de noblesse depuis quelque temps. Un fruit comme un soleil au goût de mer, d’algues et de coquillages, puisé au sein d’un océan, quelque part sur l’une des bases annexées par Origine. Maylis ne se souvenait plus de laquelle, mais cette donnée n’avait pour elle aucune importance, seule la substance appétissante rappelait chez elle quelques réminiscences de plaisirs familiaux désertés depuis longtemps. Ce serait autrement agréable que la boisson, sans saveur, avalée hier à leur arrivée.

Attablée à l’une des tables ovales, réparties autour de la desserte centrale, elle observait les allées et venues de ceux qu’elle allait désormais devoir côtoyer régulièrement. Quelques-uns des jeunes gens et des jeunes femmes attisaient sa curiosité, mais dans l’ensemble, cette faune ouvrière et technique ne l’enchantait guère.

Maylis se savait peu attirée par la sociabilité et ses règles implicites. À l’absurdité et la normalité extravagante des communautés, elle préférait privilégier quelques individus choisis méticuleusement pour une qualité, une particularité qui éveillait soudain son intérêt, sans qu’elle puisse même parfois en préciser le bien-fondé. Le côté bohème avait sa prédilection, mais on en dénichait peu des comme ça dans son métier, en dépit des apparences. La science et la technologie embarquant souvent des types du genre traditionaliste, des types rigides quant aux doctrines et normes acceptables, intolérants et sectaires jusque dans leur personnalité. Bah…, d’y penser remuait chaque fois chez elle, ce petit quelque chose de l’artiste qui voit en chaque découverte, même minime, une raison de s’enthousiasmer, de se divertir, d’exhaler l’étincelle instillant l’amorce d’un développement de conscience vers d’autres ouvertures que son esprit n’aurait pas encore extrapolées ; suite improbable d’éléments de logiques purement conceptuelles, jusqu’à ce que l’un de ces éléments trouve à s’emboiter dans une succession de faits quant à eux bien réels.

C’est cette source d’inspiration, ce modèle de réflexion, qui était devenu, avec les années, son processus de pensées intimes, du détail technique épluché un jour quelque part, aux nuances particulièrement riches de profondeur, parrainées par l’un de ces artistes qu’engendraient les quartiers surpeuplés de l’unique mégapole eurafricaine de SolO. Il arrivait que Maylis croise l’un de ces énergumènes sur l’un des astroports des bases de Sol, alors qu’ils revenaient de l’un des extraterritoires ou en repartaient.

Les individus se firent plus nombreux autour de la desserte centrale, certains jetaient un coup d’œil vers sa propre table. Le brouhaha inévitable s’intensifia, tandis que des serveurs à l’uniforme impeccable apportaient les denrées classiques et se promenaient entre les tables, afin d’assurer un service qui satisferait tout le monde. Un homme d’âge mûr finit par approcher de son coin tranquille et, hésitant, s’installa en face d’elle. La jeune femme regimba, mais dissimula sa gêne. L’homme paraissait tout aussi ennuyé qu’elle. Elle accepta de sourire, et s’introduisit :

– Maylis Lhan, toute récente recrue de ce 18e jour d’octobre de l’an 2041. C’est d’ordinaire votre table, n’est-ce pas ?

Intrigué, il demanda :

– L’une de ces sensitives ?

Elle opina et minimisa, espiègle :

– Avant tout très observatrice.

Il approuva, un léger intérêt venant gommer la morosité du début :

– De toute évidence.

L’homme lui plut. Peu de mots, du discernement. Pas trop jeune.

– Vous êtes ici depuis combien de cycles ?

– Quelques-uns de trop pour certains, mais j’aime bien le job.

– Superviseur ?

– Simple Opérateur. Je me nomme Adheel ; Adheel Thorn. J’apprécie que les rouages et la technologie soient fonctionnels pour vous autres. Les Superviseurs font partie d’un tout autre monde. Pas le mien.

Elle acquiesça, elle comprenait.

Ils furent rejoints par une jeune femme de la nouvelle promotion. Un air supérieur affiché sur son visage, déjà imbue de son grade d’Ingénieure fraîchement acquis. L’œil de Maylis nota l’ensemble des ondes émises, avant de revenir vers le prénommé Adheel, bien plus pittoresque et bien plus engageant. Lui n’avait pas bronché, ne paraissant pas même s’être aperçu de la présence de l’autre. Maylis sourit intérieurement. Cet homme avait du cran. Elle reprit leur bavardage innocent :

– Vous vous relayez sur les blocs ou vous êtes attaché à certains ?

– Tout dépend de l’organisation décidée en haut lieu, chaque Phase Une.

– J’ai entendu parler de ce concept, mais qu’est-ce exactement ?

– Vous cherchez à conforter vos acquis ?

Elle sourit :

– Un peu de ça, oui.

– La Phase Une est propre à ce corps-ci – il désignait tout l’espace, signifiant le corps céleste. Ici, le sol paraît se régénérer à des intervalles bien particuliers dont les scientifiques n’ont pas encore déterminé les caractéristiques détaillées, bien qu’ils se soient accordés sur un consensus mutuel plutôt bien ciblé. La Phase Une résume ce consensus. Elle est enclenchée quand un maximum d’indicateurs, toujours les mêmes, sont recensés.

– De quel type ? l’interrogea Maylis, un positionnement différent ? Une variation des températures ? L’émergence de nouveaux principes ?

– Il y a de ça, reconnut-il.

La nouvelle venue releva la tête de son plateau-déjeuner pour faire remarquer :

– Vous devez savoir que ces critères ne sont pas suffisants pour une Phase Une, Opérateur.

Elle avait éventé la carrière de l’homme à son badge et la couleur de la veste d’intérieur qu’il portait, songea Maylis un tantinet amusée.

– Avez-vous des précisions à nous fournir ? demanda l’opérateur.

Le ton sec qu’il avait adopté surprit Maylis. Un ingénieur, même les ingénieurs tout frais émoulus de leur école, attendait une certaine considération de la part des moins diplômés, surtout d’un simple opérateur. Ceux des emplois inférieurs se prêtaient généralement au jeu, mais visiblement pas cet opérateur. Elle applaudit silencieusement à la répartie de l’homme. Décidément, le comportement de ce dernier lui plaisait. Lorgnant le badge qu’il arborait, elle aperçut le tracé d’un N épuré de couleur rouille, en surimpression sur les contours irréguliers et très reconnaissables de l’astéroïde. On y discernait l’esquisse d’une caméra évoquant la fonction première d’un opérateur, de manière plutôt appropriée : la surveillance et la prévention. Son propre badge, qui lui était attribué en tant que technoS, représentait l’ébauche d’un pupitre et d’un bloc à plasma avec son puits et ses tubulures, et le même N épuré au centre. Quant à l’insigne des ingénieurs, elle pouvait la distinguer sur la poitrine de la femme en face d’eux : un graphique de couleurs et un flot de particules de plasma, avec le même N épuré, cette fois en haut à gauche.

Devant la rudesse de la réplique de l’opérateur et le rictus moqueur de cette rivale discutable qui la toisait sottement, la grincheuse prit la mouche et malgré un dédain flagrant, opta pour une placidité de façade, se remettant à avaler une gorgée trop chaude de son café. Elle se brûla, fit la grimace. Maylis suggéra :

– De nouvelles essences plasmatiques ?

– En quelque sorte, oui, bien que le constituant principal se modifie sans cesse. Nos chercheurs ne sont pas parvenus à isoler un pattern régulier dans la trame structurelle du minerai et de son métalloïde. Sans ce pattern, ils ne peuvent présager précisément de l’arrivée de la phase et de son terme. Les innombrables docimasies5 qu’ils réalisent et qui devraient déterminer la teneur en métal du minerai ne sont d’aucun secours ; elles varient également sans que rien ne puisse l’annoncer. Le métal lui-même…

Il n’acheva pas sa pensée. Maylis l’intercepta néanmoins et cautionna, avant de reporter son attention sur les tables alentour. L’affluence s’était amenuisée. Les groupes se reformaient sur le schéma de la veille. Elle fouilla la salle à la recherche de son coéquipier et l’aperçut près d’une jolie jeune fille, apparemment l’une des serveuses de l’endroit. Un officier s’engouffra dans la cantine et commença à rassembler certains de ses auxiliaires, reconnaissables à leur titre de superviseur cousu sur leur veste. La vue aiguisée de Maylis lui permettait de voir plus loin que la plupart de ces gens. Seulement, elle ne le montrait pas.

– Ça va être notre tour, alors merci pour cette histoire sur la Phase Une, Opérateur.

Elle atténua son formalisme par un sourire en biais et se leva, abandonnant son plateau sur la table. Dans son dos, elle devina la manœuvre de la femme ingénieure qui se levait à son tour, mais ne se retourna pas, rejoignant la file de technoS qui s’étoffait, encadrée par les superviseurs.

Chapitre 5 : Le niveau supérieur

Leçon de terrain appliquée aux extractions sur les planétoïdes : « La maîtrise des éruptions provenant d’un puits, nécessite un bloc d’obturation consistant en un système de vannes élaboré. »

 

Après un passage obligé vers l’aire des vestiaires afin de récupérer l’accoutrement vestimentaire dont une combinaison suffisamment proche du corps pour ne pas être encombrante, ultralégère et souple pour permettre une fluidité et une amplitude des mouvements appréciables, on les initia hâtivement à son maniement. Bien sûr, la plupart d’entre eux n’en étaient pas à leur première expérience, mais les règles de sécurité imposaient cette étape.

La jeune femme frappa du pied pour tester la solidité des chaussures montantes qu’elle venait d’enfiler. Souples également et résistantes, faites d’un matériau à l’épreuve des projections, à l’instar de la combinaison dont la texture de tressage polymérisé empilait les couches de fibres isolantes. Là-haut, les risques qu’ils côtoieraient deviendraient leur lot quotidien dans le cadre des sorties hors des Communs, même si ces sorties, à ce qu’on lui avait affirmé, s’effectuaient généralement en intérieur par des passages édifiés, à l’origine, pour éviter les extra-bases.

De véritables structures alvéolées, en dur, recouvraient les sites de production tout en étant elles-mêmes enveloppées d’un champ plasmatique pulsé et maintenu par de gros générateurs à plasma dont une infime partie provenait du plasma extrait sur le Nadh à partir des puits de mine. Puits de mine que les nouvelles recrues allaient, elles-mêmes, contribuer à entretenir. Ces architectures novatrices amenuisaient les expositions aux conditions du Nadh, en tout cas les limitaient le plus possible et réduisaient l’occurrence des incidents à un taux acceptable, si tant est qu’un seul d’entre eux pût être acceptable.

Ils avaient quitté le niveau zéro de SolAs, là où s’intriquaient, dans le roc de l’astéroïde, les espaces de vie de leur communauté, pour atteindre à l’aide de navettes-bulle ascensionnelles glissant au sein de couloirs translucides, le niveau supérieur sur lequel se dressaient les hangars aux silos de ce qu’ils nommaient le « plasma nadhien », et leurs blocs et leur puits. Là où dorénavant, se déroulerait leur besogne de fourmis au sein de la fourmilière géante, à plus de deux mille mètres du niveau zéro et du complexe.

À l’intérieur de ces hangars pressurisés, réalisés à partir de la roche même, si particulière à cet astéroïde, ils avaient été séparés en unités de six binômes de technoS pour un binôme d’ingénieurs censés chacun se remplacer en fonction des impératifs de service et des circonstances ponctuelles, comme dans le cas d’un accident toujours envisageable.

Les superviseurs les firent déambuler dans chacun des six blocs constituant ce qu’ils baptisaient un silo. Un jargon approprié à cet endroit perdu au-dessus d’Origine. Dans ce secteur, le corps stellaire se criblait de ces puits sans fond dont chaque bloc extrayait son quota journalier de minerai sans que le puits central du groupe de six blocs semble se tarir d’une quelconque façon. De certains de ces puits centraux, excavés par les toutes premières équipes de technoS ayant posé les pieds sur SolAs, et autour desquels s’étaient édifiés les silos, dépendait un puits secondaire. Certains blocs, suffisamment bien appareillés, avaient été aménagés autour de l’un de ces puits secondaires. La partie du corps spatial sujette à ces extractions intensives exhibait ces sortes de vasques ou de nasses d’où, à tout moment, pouvait jaillir la substance précieuse autant que létale, arrachée au minerai ou bien giclant en même temps que ledit minerai, voire même le devançant. À l’instar d’une bête enragée, pressée de se dépêtrer de sa fange, l’essence plasmatique brute, canalisée par un phénomène insondable, s’extirpait d’elle-même du minerai en leur facilitant la tâche, d’une certaine manière, et en la leur compliquant d’une autre. Ils avaient été prévenus ; ils devaient se méfier des caprices de l’Aster et de son essence vitale qu’ils auraient à retraiter in situ.

Maylis et ses compagnons écoutaient religieusement les explications des superviseurs. La manipulation du plasma stellaire s’avérait délicate et le métal imprévisible, laborieux à juguler, impossible à maîtriser dans certains cas. Ils devaient apprendre les gestes sécuritaires qui pouvaient les sauver d’un débordement plasmatique. Si l’accident survenait, il allait de la survie des équipes en place de réagir promptement afin de générer un flot plus soutenu de prélèvement. On leur enseignerait les manipulations de secours en temps voulu. Quand ? songea Maylis, que la présentation du contexte déconcertait. Si l’appréhension était loin d’être chez elle une seconde nature, elle n’en répugnait pas moins à ne pas contrôler son environnement. Au cours des quelques expériences passées dans d’autres secteurs de l’espace, ses connaissances lui avaient souvent valu d’avoir la vie sauve. Elle avait soif que l’on aborde les conditions de leur survie.

Dans le silo principal qu’ils entreprirent de visiter ensuite, le puits paraissait monstrueux et régurgitait à intervalle des sons lourds et visqueux, des bouillonnements troublants et détestables. Les superviseurs, attachés à leur groupe, les emmenèrent dans chacun des blocs successifs entourant le puits majeur. L’équipement de certains équivalait, voire surpassait celui des plus illustres laboratoires industriels et chimiques dans lesquels Maylis avait eu l’occasion de pénétrer, d’autres ne possédaient que quelques tuyères poussives.

Comme la jeune femme scrutait avec plus d’attention l’un de ces blocs, un superviseur lui fit remarquer :

– Le magma qui pisse de celui-ci ne pulse qu’à faible pression, d’où ces tuyères sous-dimensionnées. Nous ne connaissons pas la raison de ces différences d’un bloc à l’autre en dehors, peut-être, d’un champ magnétique dont nous avons suspecté la présence à plusieurs reprises, et qui apparaîtrait de manière tout à fait aléatoire, mais que nos équipes n’ont que très rarement pu calibrer l’ampleur par manque de matériel adéquat. Tout juste avons-nous pu obtenir une approximation.

Il les entraîna un peu plus loin, et spécifia :

– Dans ce bloc-ci, ce qui semble être de l’essence métalloïdique est prépondérant ; seuls, d’infimes résidus de minerai sont encore mesurés à ce stade, bien que le bloc tire son essence du même puits qui alimente les cinq autres blocs qui y sont associés. On pourrait presque avancer que ce foutu plasma abrite des fantômes de volonté.

– Habité d’une entité ? suggéra Maylis en s’amusant, tout en songeant que l’homme n’avait pas paru sûr de lui en parlant de l’essence métalloïdique.

Y avait-il des nuances qu’elle n’avait pas saisies ? Elle garda pour elle sa question qu’elle replacerait plus tard, à un moment plus propice. Le superviseur riva un œil surpris sur la technoS, avant de rétorquer :

– Certains l’insinuent, mais n’allez pas dans leur sens ni n’allez nourrir leurs compulsions. Ce ne sont que des inepties dignes des moins performants d’entre nous.

– Ce n’est pas moi qui ai mentionné ces « fantômes de volonté ».

Crispé, il l’examina, il n’aimait pas que l’on joue avec lui.

– Occupez-vous de retenir les modes opératoires que nous vous fournirons aujourd’hui, et tout au long des jours à venir. Après, chacun d’entre vous sera lâché dans ces fosses. Et croyez-moi, au début, cela vous fera tout drôle ; vous aurez la perception d’être isolés du reste du monde, de vous noyer dans une mer de ce métalloïde dont on apprend à se méfier, dont on devient l’ennemi sans l’avoir cherché.

Mouchée, Maylis se retourna, discernant dans son dos le sourire méchant de la femme ingénieure ayant déjeuné à leur table, le matin même ; Annielhe Loch. Celle-ci allait œuvrer à leurs côtés. Cela promet, songea la technoS.

Comme ils pénétraient dans le bloc de production le plus conséquent du silo Un, Maylis, impressionnée, étudia les panneaux composites occupant chaque surface des parois. Les tuyères, ici énormes, reliaient des secteurs mystérieux pour eux. Elles plongeaient dans l’un de ces puits secondaires dont les superviseurs leur avaient parlé un peu plus tôt, pour aller extraire le fameux minerai, le séparer de son essence métalloïdique quand c’était encore nécessaire, et propulser cette dernière vers d’autres secteurs, au-delà des parois auxquelles ces tuyères se raccordaient. Le minerai était quant à lui emporté dans une direction différente pour subir un traitement approprié. Certaines des tuyères s’articulaient autour d’axes. Pour permettre d’orienter l’axe de poussée, songea Maylis qui les étudia avec intérêt.

– C’est ici que vous et votre binôme débuterez, lança le superviseur le plus proche, en s’adressant à Maylis et à son compagnon d’infortune. Mais à plus ou moins court terme, vous aurez à tourner sur tous les blocs. Celui-ci n’est pas ce que l’on pourrait juger comme le moyen le plus aisé pour un apprentissage digne de ce nom, mais vous vous y ferez. Il s’évertuait déjà à la mater. Maylis frémit, et retint un commentaire acerbe. Commencer par ça ou autre chose ! De toute manière, il fallait en passer par là et elle était là pour ça, pour plonger au cœur de l’expérience du terrain et apprendre vite. C’était l’un de ses leitmotivs : apprendre vite, et apprendre le plus possible. L’une de ses sources d’inspiration dans cette existence. Pour infiltrer l’obscur, en noyauter les zones d’ombre et atteindre à la maîtrise.

Chapitre 6 : Complexe sécurisé de Bãtonh

Leçon de terrain appliquée aux extractions sur les planétoïdes : « Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être. Le son du métal n’est plus et moins que la somme qu’il révèle. Ne pas s’y fier, ne pas l’analyser. C’est inutile, et vous n’y retrouveriez pas votre compte. »

 

SolO – Complexe sécurisé de Bãtonh. Bâtiment 33HB sous sarcophage. Unité d’Ingénierie Technique du centre spatial – Secteur d’observation des systèmes orbitaux.

Le gradé considérait le tracé régulier sur l’un des écrans muraux. Rien n’indiquait une quelconque déviance des schémas types. Il rétablit le contact avec la base stratégique de SolAs, et demanda :

– Vous êtes certain de ce que vous avancez, Opérateur ? Rien, ici, ne corrobore votre analyse.

– Oui, Monsieur. Les caractéristiques de l’essence plasmatique divergent légèrement de nos enregistrements de référence. Ces modifications sont si lentes que nous n’avons rien décelé durant de longs mois ; aujourd’hui, le système devient instable ; nos efforts de maintenance commencent à coûter cher. Il est question de revoir la stratégie financière.

– Nous n’en sommes pas encore là, Opérateur. Que donnent les taux de rendement ?

– Les industriels déplorent la baisse de régime, et nos commanditaires se plaignent que nous ne respectons pas les quotas.

– Comment cela ?

– Nous ne comprenons pas. Nous assurons la même quantité de production, depuis bientôt une année pleine. Nous avons atteint, du moins, des taux fiables, et les sphères transportent les bonbonnes d’essences sans anicroche. Le circuit n’est pas en cause, et se conforme aux chartes qualité. Pourtant, depuis quelques semaines, les containers ne fournissent plus autant qu’auparavant.

– Vous parlez d’actes de piraterie ?

– Nous l’avons d’abord supputé, mais aucune faille dans nos chaines d’intermédiaires n’a été consignée. Nous produisons une quantité équivalente de métalloïdes, les silos se remplissent de manière identique, pourtant, de l’autre côté, les containers ne contiennent plus autant de notre élément.

– Où voulez-vous en venir ? Et pourquoi parler à présent de métalloïde, alors que selon tous les témoignages et les conclusions des savants qui se sont penchés sur cette matière, il est de source manifeste qu’il s’agit d’un métal, fluide à basse température, certes, mais non d’un métalloïde ? Bien qu’il n’y ait pas de règle absolue, je vous rappelle que lorsque l’on provoque un état plus ou moins solide de ce matériau, il détient toutes les caractéristiques d’un métal.

– Ce qui tenait du métal ne semble plus aussi convaincant aux yeux des équipes de scientifiques en place sur SolAs. Quelle que soit cette matière, elle est en train de muter spontanément. Pour expliquer cette perte incompréhensible que je viens de vous exposer, certains de nos experts songent à une rétractation du produit plasmatique sur le moyen terme.

– Que me chantez-vous là ? Rien n’a été constaté de la sorte, jusqu’à présent.

L’opérateur en chef préféra ne pas polémiquer. Il avait déjà l’impression de se ridiculiser. S’il n’avait tenu qu’à lui, il aurait temporisé avant d’alerter les bases officielles. Il estimait ne pas disposer de suffisamment d’indicateurs prouvant ce qu’il avançait aujourd’hui. Pourtant, la Haute Direction en charge des opérations techniques et commerciales ne leur avait pas laissé le choix, à lui et à ses gars. Maintenant, le CEOS, le Corps d’Étude et d’Observation Stellaire, pour les non-initiés, ne les lâcherait plus ; ils allaient les avoir sur le dos en permanence, ce qui n’arrangerait pas leurs affaires. L’autre insista :

– Des modifications subtiles de l’ionosphère, au-dessus de SolAs ?

– Aucune que nous ayons retracée. Sa conductibilité évoque toujours cette anomalie, signalée depuis plusieurs mois ; celle-ci est stable dans son paradoxe, néanmoins.

L’opérateur devinait le mécontentement grandissant de son interlocuteur, en bas, bien confortablement installé dans leur base à demi ensevelie de Bãtonh, tandis qu’eux risquaient leurs fesses sur ce satané bout de caillou branlant. Son interlocuteur reprit :

– Faites en sorte de nous tenir informés, chaque fin de semaine standard. Et envoyez-nous, quotidiennement, les relevés de matière, de densité, de pression ionique et de chaleur latente, entre autres indicateurs.

– Bien, Monsieur, je ferais part de vos exigences à nos équipes.

– Avisez vos patrons qu’il n’est pas question de modifier quoi que ce soit en l’état.

Ça y était, tout le tintouin était en branle !

– Ce sera fait, Monsieur.

– Très bien, Opérateur. Nous veillerons nous-mêmes au bon déroulé des évènements.

La ligne longue distance fut interrompue.