Les êtres de Langhãem - Christine Barsi - E-Book

Les êtres de Langhãem E-Book

Christine Barsi

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Beschreibung

Au sein du Matin des Archanges, le Journal de François Karradec, l’exobiologiste Ketty Brownel enquête sur l’existence d’humanoïdes stellaires. Dans le cadre d’une expédition hasardeuse, lorsque l’une de ces créatures la soustrait à l’attaque d’un Alien, Ketty ne peut que se lancer sur la piste de ces êtres en dépit des avertissements de son mentor. Sa quête la mènera de l’Islande, aux terres canadiennes et d’Amérique du Sud, jusque dans les îles du Pacifique. Quand la jeune femme croise le chemin de Brouth Mac Tavish, un homme ténébreux œuvrant au sein des gouvernements occultes, elle n’aura de cesse de s’en éloigner lorsqu’elle comprend que l’Archonte des Bäanhs l’a prise en chasse pour des raisons qu’elle ne devine pas encore. Que découvrira-t-elle, à l’ultime fin, pour que tout son univers en soit irrémédiablement bouleversé ? Ce récit relate la traque d’un Alien pour l’Humaine qu’il a sélectionnée entre toutes. C’est aussi l’embrasement d’une passion aveugle entre deux êtres plongés dans les affres d’un futur proche, envenimé par les conflits entre races, que celles-ci soient de la Terre ou des mondes alentour.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Christine Barsi - L’auteure puise son inspiration dans ses études en biologie, et dans son métier dans les ressources humaines. L’auteure écrit depuis 1998 des romans de science-fiction et de fantastique. Elle est membre du Conseil d’administration de sa ville, afin de promouvoir la littérature et elle est Présidente de l’association culturelle Les Mondes Mutants. Plusieurs romans publiés et un recueil de nouvelles dont l’une, L’Avatar, a gagné le prix René Barjavel 2022.

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Christine Barsi

Les Êtres de Langhãem

Saga Les Mondes Mutants

Du même auteur

– Déviance,

roman, 5 Sens Éditions, 2017

– Teralhen (tome 1 du Cycle des Trois Marches),

roman, 5 Sens Éditions, 2017

– Mutagenèse (tome 2 du Cycle des Trois Marches), roman,

5 Sens Éditions, 2018

– L’éveil du Dieu Serpent,

roman, 5 Sens Éditions, 2018

– Déviance II (Renaissance),

roman, 5 Sens Éditions, 2019

– Déviance III (Les Aulnes Jumeaux),

roman, 5 Sens Éditions, 2019

– La Résurrection du Mauhl’Ahm,

Roman, 5 Sens Éditions, 2022

 

Saga des Mondes Mutants :

– SolAs,

5 Sens Éditions, 2019

– La Passion de l’Arachnee (tome 1 : L’Odyssée),

5 Sens Éditions, 2020

– La Passion de l’Arachnee (tome 2 : Thanäos),

5 Sens Éditions, 2020

– La Passion de l’Arachnee (tome 3 : Le Bal du Léviathan),

5 Sens Éditions, 2020

– Les Déviants Sacrés (tome 1 : Le Grand Dessein),

5 Sens Éditions, 2021

– Les Déviants Sacrés (tome 2 : La Quête du Dragaãnh),

5 Sens Éditions, 2021

 

Recueil de nouvelles :

– L’Œil Quantique et autres nouvelles,

5 Sens Éditions, 2022

 

 

À mes écrivains fétiches qui m’ont inspirée dans ce domaine de la science-fiction et à tous mes lecteurs et lectrices qui ont osé plonger au sein de mes univers.

 

Je remercie tout particulièrement ma belle-fille, Marie Laure Barsi, qui, au fil des années, a su m’accompagner, jusque-là, de manière soutenue avec cette persévérance que j’admire.

 

De même, mon mari, mon tout premier et unique relecteur pour la plupart de mes manuscrits. Tu vois dans quelle estime, je te tiens, Laurent !

 

Les mots de votre auteure,

 

Nous devrions nous attacher à cette fameuse résilience que prônent les plus éveillés d’entre nous. Elle est telles ces eaux d’un océan sous un ciel mouvant, fluide et omniprésent.

 

Mais il existe une autre dimension à ne pas minimiser, et c’est l’endurance. Sans ce concept, nous ne serions pas cette Humanité pensante à laquelle nous nous comparons invariablement. Mais en incarnons-nous, réellement, l’essence originelle ?

 

Enfin, soyez vigilants sur ce qu’il se trame sur Terre !

Ces êtres contrôlent les effets de la réalité et en maîtrisent ses lois, jusqu’à en jouer librement. Leurs corps se diluent dans l’ombre d’un rayon de lune ou de soleil et l’instant suivant, ils sont méconnaissables. Magie, illusion ou bien emprise extraordinaire sur une réalité artificielle ?

PREMIÈRE PARTIE – LES PRÉMICES

Prologue

Souvenir d’un ailleurs : Quand il s’agit de travailler sur une chaîne génomique, pour en modifier l’ADN, l’intervenant doit être expérimenté et avoir en tête le but de la métamorphose potentielle. Faire abstraction de ces conditions entraîne des séquelles, plus ou moins définitives.

 

Les biologs autour de lui s’activaient. Des brumes dansaient dans l’esprit de l’être inconscient. De lentes nuances sans substance réelle, mais qui, peu à peu, prenaient forme.

Égaré, perdu dans l’aube chimique créée par d’autres, il était plongé dans le film de son intelligence en suspens traversée par de brèves lueurs de lucidité. Acuité soudaine de ses perceptions, artificiellement endormies. Stanylia ? appela une étincelle dévoyée de son fantôme en déliquescence, en croyant entrouvrir des yeux aveugles. Pour la première fois, depuis…

Stanylia ? esquissèrent ses lèvres prisonnières du liquide biotique, tandis que son regard enténébré la cherchait désespérément. Il ne pouvait bouger ; des sangles solides l’écrouaient à sa couche.

Il tenta de se mouvoir, de se battre contre le néant, mais ce ne fut qu’une illusion de sa raison éparpillée.

Il flottait en suspension… dans… rien ?

Où se trouvait-il ? Et qui étaient ces créatures qui l’observaient, au travers de l’opacité du vide ? Il interceptait l’onde rémanente de leurs intentions, au-delà de l’espèce de bastion forgé par ses visions. Des voix autour de lui, des chuchotements étouffés derrière le voile.

– Va-t-il survivre ?

– Oui ! Mais sous quel aspect ? Et s’il apprend ?… Il est capable de nous tuer. Plusieurs deäcens 1 se sont écoulées…

– Êtes-vous certains qu’il soit vivant ?

– Oui. Ses fonctions vitales sont à peine perceptibles, mais elles imprègnent le soma 2 artificiel incorporé à son métabolisme. Bien qu’instable, celui-ci l’assimile peu à peu…

– Son métabolisme est si bas… Avez-vous pu contacter Stanylia ?

– J’ai bien peur que nous ne l’ayons définitivement perdue.

– Il nous exterminera tous, s’il apprend ne serait-ce qu’une infime partie du rôle que nous avons joué dans sa disparition.

Naantar guettait au travers du caveau de cristal, la moindre crispation de leur archonte 3. Celui-ci survivrait-il effectivement au traitement, une fois qu’il aurait réalisé ce qu’ils avaient fait de lui alors que sa bien-aimée n’était plus de ce monde et empruntait, désormais, une physiologie qui n’était plus compatible avec la leur ?

– Nous avons fait ce qu’il fallait, Talhöen. La transmutation à rebours s’avérait l’unique solution pour Stanylia, ainsi que ce voyage vers la Terre.

– Oui, mais à terme, ce dernier peut se révéler une impasse. Ce monde qui la dévore déjà nous en dépossèdera. Nous enregistrons des phénomènes singuliers en ce qui la concerne. L’oubli s’empare progressivement d’elle.

Soucieux et conscient du problème, Naantar acquiesça tout en s’adressant au responsable des communications avec cet autre monde qu’ils colonisaient insidieusement depuis des deäcens et sur lequel ils proliféraient tout récemment.

– Continuez d’émettre, Mielën.

Chapitre 1 : Flash infos

L’œil de la Presse : L’univers de la Presse incarne le miroir de notre civilisation, lorsqu’elle se nourrit de faits réels et non pas des mensonges que tentent de lui faire absorber les gouvernements et les forces occultes qui les ont mis en place.

 

Dans l’une des salles d’archives climatisée de l’OOEM, l’Organe d’Observation de l’État de Montréal, dans le Bureau des Investigations, l’officier en charge de l’information pointait du doigt un encart dans la presse du jour.

– Tu as vu ça, Tylian ?

L’interpellé leva les yeux de son écran et, intrigué, se tourna vers son collègue. Comme ce dernier insistait, il fit rouler son fauteuil jusqu’à sa console et se déhancha pour mieux voir ce qu’il lui indiquait. Placé en position centrale, l’article lui sauta immédiatement aux yeux.

– Bon sang ! s’exclama-t-il.

Sur l’écran, en gros caractères s’affichait le texte dans l’encadré suivant :

 

Flash info N° XXXVIème — Presse Universelle

6ème décade — Anno 2060

 

Une découverte surprenante sur les hauteurs des Monts-Torngat, au Québec, en Zone Franche.

Des touristes lyienchous 4 ramènent un trophée macabre, en provenance d’Ultranth, l’une des planètes phares du système de Liam. Le membre utranh sera analysé sans tarder.

Les autorités affirment que ce genre de découverte se multiplie, ces derniers temps. Nous vous apporterons des précisions, dans notre prochaine publication.

 

– Ils sortent du District… 5

– On dirait. Mais ce n’est pas tout, Tylian ; regarde celui de l’Exo :

 

Flash info N° XXXIVème – ExoPresse

6ème décade de l’anno 2060

 

« Sur l’une des plages cosmopolites de l’une des îles de Solom 6, dans le Pacifique sud, un groupe de scientifiques vient de mettre à jour ce qui ressemble à une trace de Manchou. Cette race particulièrement agressive n’avait encore jamais été détectée dans la région. Des recherches ultérieures seront entreprises. Mais les experts expriment, d’ores et déjà, leurs inquiétudes sur le nombre croissant de ces apparitions en dehors du Complexe Continental Canadien, au nord de la Saskatchewan 7. »

 

– Ouah ! Deux, en à peine quelques jours !

– Sur deux publications périodiques.

– Qu’est-ce que ça veut dire,Lenny ?

– Qu’ils sortent des trous, dans lesquels on les a parqués.

– C’était cousu d’avance.

– Tu lances la procédure, Tylian.

– Foutue procédure !

– On n’a pas le choix. Les grands pontes doivent être avisés. À eux de gérer tout le toutim.

Chapitre 2 : L’éveil de la chimère

Les Êtres de Langhãem : Un souvenir d’un temps qui fut, un souvenir fort et douloureux de la perte d’un être qui fut aimé.

 

D’autres mois se sont écoulés. Des membres de la caste des Bäanshets veillent.

Il a bougé !

Les courbes du tracé encéphalo ont repris leur fréquence, après… un sommeil d’une à deux décennies de cet univers d’emprunt, quelques infimes variations du temps de leur monde du fait de leur physiologie et de son biorythme temporel. Rien d’extraordinaire, bien que très long. L’être émerge de sa léthargie.

Son faciès est dessiné à coups de serpe. La chair bleu vert est à nu. De son torse naissent deux larges membranes translucides repliées contre lui. Les membres inférieurs ne constituent qu’un seul membre solide. La silhouette rappelle quelque peu la forme humaine, ancien apanage de cette race antique.

Pour l’Arbitre Suprême des Bäanhs, le grand Archonte, l’opération n’a pas fonctionné. Sa chair à vif ne s’est pas cicatrisée sur les muscles. Ceux-ci sont affleurants, robustes et noueux. Leur Archonte conservera différemment sa puissance et sa force d’antan, mais pas l’apparence, pas dans un premier temps. Ainsi en est-il de la plupart d’entre eux, désormais. Seul un miracle a pu se faire dans le cas de la jeune Stanylia. Un merveilleux miracle qui les sépare, dorénavant, plus solidement que n’importe quels murs dressés ainsi que des obstacles. Ils l’ont perdue plus encore, et sans doute à jamais.

 

L’être flotte dans la substance saturée, inconscient de ce qui s’est tramé auparavant. Ses yeux sans paupière se sont rivés sur eux qui sursautent.

– A-t-il repris connaissance ?

– Oui, Naantar.

Sur l’un des écrans secondaires, un point lumineux a vu le jour et ne s’éteint plus. Les deux Bäanshets s’approchent. C’est l’effervescence ; et quand une pensée soudaine s’immisce dans leur esprit, l’effroi les reprend. La pensée est mauvaise, négative. Qu’est devenu leur Archonte, songent-ils épouvantés.

– … Stanylia ? Où… ? hurle la pensée brutale qui les heurte et les blesse.

Ils s’enfuient pour échapper aux échos térébrants de l’emprise souveraine. L’être est en colère. Elle n’est pas à ses côtés. Il a peur. Il a mal. Il tremble. Et puis surviennent le calme et la retombée dans un état de prostration aphrodisiaque, lorsque les fantasmes l’emportent.

… Stanylia court devant lui, petite fille joyeuse. À part elle, il n’a aucun ami. L’héritier de la caste des Bäanshets se doit à son devoir, et appartient à son peuple. Entraîné à se battre, il étudie, travaille avec acharnement auprès de ses précepteurs, tandis que la sévérité de son père est exemplaire et sa fermeté est à son image.

Jeux d’enfants devenus plus sérieux.

Il a quinze ans, quand elle n’en a que neuf. C’est une aberration qui les a réunis ; ils n’auraient pas dû se rencontrer. Elle, la fille d’un diplomate de renom au service de son père, l’Archonte régnant. Un matin, dans un long couloir, ils se sont croisés. Un simple regard. Un ravissant sourire, et la journée d’Attal s’en est trouvée embellie. Ils ne se sont pas arrêtés pour autant, excepté pour une révérence. Elle accompagne son père et sa gouvernante. Il est avec l’un de ses maîtres d’armes, et il n’a que le temps d’un hochement de tête admiratif à lui offrir ; mais déjà, son cœur s’est ému inconsciemment de la fillette et de son innocence. Il ne la reverra pas d’un mois, puis de nouveau une confrontation éphémère dans les jardins de son père. Il a pris le temps d’interroger son maître, et n’hésite pas, quand, la seconde fois, ils se croisent.

– Que tu es gracieuse, Stanylia.

Cette fois, en dépit de la sévérité peinte sur les traits d’un cousin plus âgé, il s’est arrêté et s’est penché sur le petit minois.

– Où est ton père ? Son nom ?

Il avait été abrupt alors, mais la fillette singulière ne s’était pas alarmée.

– Je ne peux te parler…

Il n’avait pas insisté.

 

L’être se tourne dans la cuve translucide. La réminiscence le fait revenir instantanément à la réalité. Colère sourde, mais aussi vague inquiétude, alors que les souvenirs jaillissent en masse et le débordent. Ses membranes se plaquent au cristal, et la pression engendrée conjuguée à sa force mentale brisent la couche minérale.

Chapitre 3 : Les frasques d’une adolescente

Journal d’une enfant perdue : Qu’avais-je à faire de ces gens

qui se disaient mes parents. Ils n’en avaient que le nom, et en

abusaient plus que nécessaire.

 

Comme toujours, ils n’avaient rien compris. Avec l’impression de n’être qu’une marionnette entre les mains de ses parents d’accueil, Ketty se demandait quel serait son futur. Son frère, plus âgé, se targuait d’être plus au courant des choses de la vie et la regardait continuellement de haut, en se mêlant aux discussions des parents chaque fois qu’il était question de leur fille adoptive. Quant à sa sœur, sa jalousie vis-à-vis d’elle atteignait des seuils de bêtises monumentales.

Ketty ne pensait pas leur ressembler. Ils étaient bien trop pragmatiques et se moquaient de ses impulsions créatives ou de sa volonté d’apprendre qui la tenait en haleine des jours durant, oscillant entre des phases de stimulation intellectuelle entrecoupées d’autres, plus atoniques. À dix-sept ans, la jeune fille nourrissait des idées bien précises sur la profession qu’elle exercerait. Le problème se résumait à ses parents qui lui imposaient des contraintes absurdes, chaque fois qu’elle souhaitait leur parler de ses projets.

Aujourd’hui, elle avait eu maille à partir avec son père qui lui interdisait de s’inscrire dans l’une des écoles de la région, spécialisées dans les exosciences, sous prétexte qu’elle devait les aider financièrement et se procurer un travail dans ce sens. À son habitude, il arguait que sans eux elle n’aurait pas eu de vie décente. Il lui rabâchait sans cesse qu’elle serait sans doute encore à végéter dans son orphelinat, s’il n’était pas allé l’y chercher.

Ketty ne pensait pas être égoïste. Elle était prête à payer ses études en cumulant un job en parallèle, et en leur donnant le surplus de ses finances si cela tenait du possible. Elle avait songé au journalisme. Elle était douée pour écrire, rédiger des articles, analyser des thèmes et les aborder sur n’importe quel support. Avec un peu de chance, elle pourrait se dégotter un travail à mi-temps, dans l’une des agences de presse de la Baie. Son père ne voulait cependant rien entendre, et montait sa femme contre elle en permanence. Il lui suggérait qu’avec ses incidents mnémoniques et neuromusculaires, leur fille ne ferait rien de bien de sa vie.

Quand elle avait été découverte, à l’âge de quatorze ans, abandonnée dans un hangar désaffecté près de Cannon Lake dans le Minnesota, Ketty avait perdu la mémoire des évènements passés. Quels qu’ils fussent, ses parents naturels n’avaient pas été retrouvés. Aucune des tentatives du centre de jeunesse qui l’avait recueillie, et qui avait pris soin d’elle à l’époque, n’avait eu de succès. Dès les premiers temps, Ketty les avait rapidement surpris par ses crises d’amnésie qui allaient de l’oubli d’un détail de la vie courante, à l’oubli de son prénom, quelquefois, durant plusieurs heures ou plusieurs jours.

Le phénomène s’était reproduit, à intervalles, sans qu’il fût possible de déterminer ce qui le déclenchait. Et depuis, il y avait des périodes où, dans sa tête, les faits et la réalité se mêlaient pour lui faire perdre ses moyens ou des périodes où elle éprouvait des difficultés à contrôler son corps, ses mouvements. Dans ces moments-là, elle devenait effectivement vulnérable et ses parents en profitaient pour la rabaisser davantage, ne manquant aucune occasion pour la déprécier et marquer sa dépendance vis-à-vis d’eux ; l’emprisonnant dans les mailles toujours plus serrées de leur tyrannie, et refermant sur elle le carcan de leur despotisme conjugué.

Ketty avait décidé de se prendre en main. Ce n’était pas facile. Le village de Brandeen, avec ses quelque trois mille habitants, ne constituait pas un lieu de passage évident. Les moyens de se sortir de sa condition y étaient rares, aussi rares que les occasions d’un travail dans ses cordes. Demain, elle partirait pour la grande ville et ne reviendrait pas. Son baluchon était déjà prêt dans la mansarde que lui avaient octroyée ses parents, au-dessus des pièces de vies que se partageait le reste de la famille. À croire qu’elle avait été indésirable, à la minute où ils l’avaient accueillie. Encore aujourd’hui, elle s’interrogeait sur les motivations de ceux qu’elle n’avait jamais considérés comme sa famille.

Quelques pants 8 en denim recyclé, des chandails en laine végétale et un peu d’argent sur son holocompte accumulé ces derniers mois, en travaillant le week-end et certains soirs. Les trois quarts des sommes gagnées avaient été confiées à ses parents adoptifs, mais elle avait su mettre de côté quelques unités d’échange, de temps à autre. Cela serait suffisant. Elle devrait simplement être prudente et se faire discrète. Et même s’ils s’efforçaient de la retrouver, elle doutait qu’ils poursuivent longtemps leurs recherches.

Son père lui avait annoncé qu’il lui avait obtenu un travail au village, et qu’elle commencerait d’ici trois jours. Il l’avait menacée, en lui assenant qu’elle n’avait pas d’autre choix que de lui obéir. Eh bien, il en serait pour ses frais ! Elle ne serait plus là, quand il reviendrait.

Chapitre 4 : Le Matin des Archanges

Les mésaventures d’un journaliste : Surmonter les premières difficultés s’avérait essentiel, quel que soit le projet que l’on entendait réaliser. Mais parfois, le découragement envahissait les meilleurs d’entre nous. Allais-je flancher, comme beaucoup d’autres ?

 

François Karradec passait dorénavant tout son temps à redémarrer cette fichue agence de presse, dont il avait fait l’acquisition une année auparavant, grâce au petit héritage que lui avait laissé son grand-père à sa mort. Avec trois copains d’écoles férus d’exocivilisations, ils avaient profité de l’opportunité qui leur était offerte. Lui, avait apporté les finances, tandis que Jaohn, n’ayant pas dix-neuf ans, utilisait les relations de son père qui tenait une maison d’édition dans le centre-ville. Quant à Boz et Erwin, ils étaient assez bons en matière de technologie pour se charger, notamment, de la maintenance des machines existantes et de celles à venir.

L’endroit où ils travaillaient s’avérait assez sordide, mais c’est tout ce qu’ils pouvaient se permettre pour le moment. Il déménagerait le bureau par la suite, lorsque l’occasion s’offrirait.

Avant qu’il n’en rachète la licence, François avait effectué une étude approfondie du secteur. L’agence avait connu quelque développement intéressant avant de péricliter, face à une concurrence agressive. Il avait l’intention de la soutenir avec la création parallèle d’un Journal, dont il cherchait encore le nom.

Après l’obtention des licences appropriées, François avait, néanmoins, rencontré des difficultés à décrocher l’agrément de la PAASE, l’organe de la Presse Artistique et Audiovisuelle des Sciences Émergentes, et c’était grâce aux relations du père de Jaohn qu’il était parvenu à ses fins.

Ils avaient deux ou trois clients déjà. Leurs principales tâches : quelques enquêtes sur de singulières apparitions, et la diffusion d’articles suffisamment diversifiés sur les Exotypes 9. François multipliait les déplacements, visant l’exploit, le phénoménal, le paranormal, la moindre piste ou trace d’ExoRaces.

Ils étaient tous les quatre passionnés par leur sujet, chacun donnant le meilleur de lui-même pour rendre opérationnel ce Journal dédié aux ExoSphères. Et tout était à construire.

Ils avaient finalement décidé, ensemble, du nom du Journal. Le Matin des Archanges, ça sonnait bien. Ça sonnait comme un bouleversement à venir, sous la protection des anges tutélaires ; ce qui s’avérait le cas, dans la réalité de leur quotidien. Le monde changeait, et avec lui tous leurs idéaux. Le Matin des Archanges annonçait la tempête soufflant sur les esprits des Humains, en mal de buts ultimes !

Chapitre 5 : Le monde d’Attal

Les Êtres de Langhãem : Les historiens remontaient l’âge d’or des peuples de Langhãem, si le temps avait une quelconque importance au vu de sa relativité évidente, à bien avant l’ère terrienne.

 

Lui et son peuple avaient dû s’adapter. Leur monde s’était métamorphosé en un vaste aquarium, dont il n’était plus possible de se dépêtrer. De hauts et solides dômes de cristolythes émettant à intervalles un champ ionosphère, à des fins de rééquilibrages physiologiques, se dressaient dorénavant au-dessus des cités faisant de celles-ci d’immenses océans naturels cernant quelques îlots de sables accueillants.

Leurs corps ne figuraient plus que ces monstres aquatiques ; les transmutations radioniques les avaient totalement remodelés, en ces chimères que lui-même ne parvenait pas encore à accepter. Pour une grande part, lui et son peuple avaient néanmoins conservé les attributs de leur humanité dans ce qu’il y avait de plus instinctif en eux. Les forces psychiques s’étaient accrues, avec les deäcens. Le mental du grand Arbitre des Bäahns et ses récentes particularités physiques s’étaient développés simultanément. Et s’il n’y avait pas eu ces dernières, il aurait été heureux de ces nouvelles dispositions.

Avec une application extrêmement soutenue, certains d’entre eux se transmuaient quelque peu, au point de réussir à quitter le milieu liquide et prendre pied sur la terre ferme. De ce simple fait, leurs membres absents réapparaissaient, leurs branchies se modifiaient afin de filtrer l’air et non plus l’eau. Pour peu que le phénomène, quoique rare, se prolongeât, un système de respiration terrestre finissait par prendre le relais. Quelques heures.

L’Archonte y était parvenu sur quelques jours, au prix d’une intense concentration. Il avait ainsi pu relancer quelques machineries indispensables à la filtration des eaux et à l’amorçage des barrages de la région de Ponsth, au sein de laquelle lui et les siens s’étaient repliés sur Chäetzl 10.

Attal n’en avait pas voulu longtemps aux biologs qui avaient tenté de lui épargner les effets des radiations mutagènes. Sa seule hantise restait de ne pas réussir à localiser celle, dont le souvenir demeurait ancré en lui au plus profond de ses nuits sans sommeil.

Tellement de nuits.

Grâce à leurs actions conjuguées, les Bäanshets avaient sans doute protégé la jeune princesse du sort qui s’était abattu sur le peuple des Bäanhs. Pourtant, comment concevoir qu’il ne puisse jamais se rapprocher d’elle, s’il la retrouvait un jour, dans cet ailleurs étranger qui leur était interdit. Leurs corps s’avéraient, dorénavant, si dissemblables que la moindre proximité s’annonçait impensable. Et elle, petite fille égarée dans un monde insolite et hostile, comment survivrait-elle ?

Comment survivait-elle ?

 

Dans la phase de reconstruction de leur empire, Attal avait dû se consacrer tout entier à son peuple. Dans le cataclysme, son propre père avait perdu la vie ainsi que nombre d’entre eux. Après avoir été intronisé comme le nouvel Archonte et l’Arbitre Suprême, l’héritier de la lignée des Bäanshets avait réuni ses meilleurs biologs, afin de concevoir un plan de pérennité à long terme. À l’instar de lui-même qui n’avait pas même eu le choix de la décision, beaucoup s’étaient fait cryotroniser pour survivre à cette époque d’instabilité des climats et des sols. La plupart d’entre eux avaient survécu à l’opération, mais certains dans des états modérément viables qui les avaient fait végéter quelque temps.

Aujourd’hui, d’autres tentatives étaient menées. Les biologs parlaient de transmutations morphogéniques, d’autres de mutations endodermiques… et de matériaux susceptibles de favoriser les rétroactions physiologiques. Tandis que l’on s’occupait de la survie des corps, des scientifiques se chargeaient des sols et de l’air. Du fait des eaux diluviennes et de leur métamorphose plus ou moins volontaire en ces créatures sous-marines, il avait fallu, dans un premier temps et très paradoxalement, immerger davantage de terres, afin d’étendre leur espace vital très largement étréci après la catastrophe à l’échelle de Chäetzl. Il avait fallu également reconsidérer les machineries, les modalités de tous les andromates 11 dont, jusqu’à ce jour, ils avaient bénéficié. C’était jouer sur plusieurs tableaux : accroître leur périmètre océanique d’un côté pour pouvoir se mouvoir dans leur nouvelle morphologie, et de l’autre, développer des cités qui maintiendraient les eaux à distance et leur permettraient de recouvrer, ne serait-ce que partiellement leur physiologie humaine.

Grâce à ses aptitudes grandissantes, Attal pouvait, quant à lui, muter à intervalles et œuvrer avec plus d’efficience. À force d’acharnement, ils avaient remis en fonctionnement partiel une quantité restreinte d’usines abandonnées. L’instabilité du phénomène demeurait, cependant, une problématique à résoudre ; et peu y parvenaient.

Par des voies détournées, Attal savait que chez les Mõhgrendhs, leurs voisins et ennemis parmi les plus vindicatifs, beaucoup n’avaient pas encore surmonté les premiers obstacles. Leur politique de réappropriation de leur ancien mode de vie « humanoïde » se révélait contradictoire avec celle des Bäanhs qui cherchaient à accroître le phénomène des eaux plutôt que de tenter d’assécher celles-là. Pour Attal et les siens, l’objectif consistait aussi à ne pas se laisser distancer, et à conserver l’avance notable qu’ils avaient gagnée sur leurs ennemis. Et cet objectif s’avérait vital.

Chapitre 6 : Ennemis héréditaires

Mémorial : Les Archivistes des Exosphères étudiaient les relations entre les races mõhgrendhaïes et bäanhs. Et dans ce cadre, ils observaient qu’en tant que seconde race du monde de Chäetzl, les Mõhgrendhs offraient les traits typiques de psychopathes patentés en cherchant l’affrontement dans chacun des axes de leur perpétuation.

 

L’empire liquide s’était étendu jusqu’à leurs territoires, noyant ces derniers à l’instar de ceux des Bäanhs. Les maîtres mõhgrendhaïes avaient survécu, à l’abri d’antres surélevés, mais l’ensemble de la sous-race avait été immergé et une bonne part avait été détruite par les eaux qui n’avaient pas cessé de se répandre dans les fentes des Terres Zéro. À présent, il leur fallait reconstruire à partir de l’existant, c’est-à-dire peu de choses. Les fabuleuses industries mõhgrendhaïes s’étaient évanouies dans la béance aqueuse, anéantissant tout espoir de remise en fonction pour la plupart d’entre elles. Les énergies de l’Ambre, qui engendraient les naissances, s’étaient tues en menaçant d’extinction leur race soumise à leur monopole. Ils devaient, désormais, tenter de pomper les zones inondées les plus élevées et rétablir les barrages, afin de vider les eaux du côté des territoires des Bäanhs. Ils annihileraient, dans le même temps, une part substantielle de leurs ennemis héréditaires. Les Épiants 12 n’avaient plus donné signe de vie depuis l’holocauste, et il était difficile de connaître la quantité de dégâts subie par les « autres ».

Ainsi que ses deux frères, Raspwoë patienterait. Il n’était pas nécessaire de hâter les évènements. Ils relèveraient les maîtres, leur redonneraient leur force et, au moment opportun, ils reprendraient les armes. Quelle que fût la situation véritable, ils devraient achever ce qui avait été commencé, achever de détruire jusqu’au dernier, les Bäanhs qui les harcelaient depuis des générations.

Chapitre 7 : Aparté officiel

L’art de la diplomatie : Adresse, tact et doigté sont essentiels si l’on veut mener à terme des négociations internationales, mais quand il s’agit de réaliser des tractations intersidérales c’est une autre affaire !

 

Une cellule de crise de l’une des extensions ministérielles québécoises de Saguenay, sur le lac Saint-Jean, se tenait dans le bureau officiel du ministre en charge des ExoRaces des territoires de la Zone Franche Canadienne.

L’expert détaché pour les missions Ufo 13 affrontait les regards contrariés du ministre et de son adjoint, pour lesquels il avait été mandaté. Depuis l’annonce des découvertes macabres par les journaux traitant d’informations occultes sur ce thème, les gouvernements et leurs élus exigeaient une étude d’ampleur inédite afin d’approfondir l’exacte situation.

L’arrivée massive d’étrangers stellaires, au cours de ces dernières décennies, avait été délicate à dissimuler aux populations et plus délicate encore à gérer de manière à ne pas provoquer de bouleversements. Ces derniers auraient eu un impact fort, au sein des offices Ufo et dans le déséquilibre des positions exécutives qui s’en serait ensuivi. Mais la fuite journalistique de ces semaines écoulées entraînait des conséquences qu’il ne fallait pas minimiser.

Les implications des discours tenus et le fait de ces fuites volontaires, contraires au plafond de silence exigé des hauts fonctionnaires internationaux, contraires également au modus operandi appliqué sur le sujet tout entier par les éminentes personnalités de ce monde, suscitaient des désaccords dans les lieux de décision. Afin de s’extirper de ce guêpier, les membres du cabinet du ministre canadien devaient reconsidérer les éléments sous un nouveau jour. De l’avis de l’expert, la sécurité à proximité des centres de parcage des ressortissants extraTerre, ces réserves de Stellaires camouflées au regard du grand public, devait être renforcée. Mais comment renforcer cette foutue sécurité, lorsque cela requérait des effectifs aguerris que le pays ne possédait pas ?

En dépit des traités internationaux, les États refusaient d’envoyer des fonds et des hommes aux pays davantage exposés. Les alliances et le consensus adopté aveuglément, ainsi que la pertinence des actions passées, devaient être remis en question rapidement si l’on ne voulait pas que le monde s’effondre, dans une anarchie et une cacophonie qui ne seraient plus contrôlables.

À n’en pas douter, les ExtraTerres sauraient profiter du contexte pour imposer leurs propres vues et leurs propres règles, et ce serait le début d’un cycle de décadence qui ne s’achèverait que dans le sang des populations terriennes.

– Monsieur le Ministre ?

– Oui, Thornwell ?

– Nous devons renforcer la surveillance des centres de parcage, si nous prétendons réduire les possibilités d’autres fuites d’information.

– Que comptent me vendre vos patrons, cette fois, Thornwell ?

– Ma hiérarchie suggère de nous allier plus… « étroitement » à certaines des ExoRaces parmi les plus dociles, tout en étant les mieux armées et les mieux représentées.

– C’est mettre le doigt dans un piège duquel nous ne sommes pas certains de pouvoir nous extraire, le moment venu. N’est-ce pas Sandhill ?

Le prénommé Sandhill hocha la tête en silence, préférant écouter attentivement l’échange entre le Ministre et leur Consultant, pour retravailler la trame par la suite avec le recul nécessaire. En tant que Haut Préfet délégué aux ExoRaces, il accompagnait régulièrement son Ministre sur ce genre d’affaires. Il sourit, en acquiesçant à la remarque, avant d’arguer :

– Nous devrons prendre quelques précautions, en effet, et exiger des contreparties.

– Avez-vous, à ce stade, une liste desdites races à me soumettre, Thornwell, ou bien « votre hiérarchie » envisage-t-elle de nous mettre sur des charbons ardents ?

– Je l’obtiendrai très bientôt et je ne manquerai pas de vous en informer aussitôt, Monsieur le Ministre.

Ce faisant, l’homme en charge des tractations lança un œil prudent vers l’adjoint au Ministre qui, s’il ne disait mot, devait déjà reconsidérer les choses à sa manière. Il était connu pour ses décisions à l’emporte-pièce.

– J’escompte de vos nouvelles très rapidement, Thornwell. Ne m’en voulez pas, mais je dois vous abandonner. Le devoir m’attend, dans un tout autre registre.

Et comme le Consultant l’interrogeait du regard, l’Officiel précisa :

– Si ce que vous nous apporterez en vaut la chandelle, je vous parlerai plus franchement de ces autres sujets qui m’accaparent actuellement… officieusement, bien entendu.

– Très bien, Monsieur le Ministre. Merci pour votre présence, Haut Préfet.

Chapitre 8 : Une rencontre opportune

Journal d’une enfant perdue : J’avais vécu une expérience de synchronicité qui avait modifié mon chemin de vie, à cent quatre-vingts degrés. Alors, comment manifester ma gratitude autrement qu’en empruntant ledit chemin, avec une allégresse que je n’avais guère éprouvée avant cela.

 

François l’avait repérée, assise à une table du bar qu’il fréquentait près du Journal. Avec sa frimousse avenante et son casque de cheveux châtain doré, elle lui avait immédiatement tapé dans l’œil. Intrigué de découvrir dans un endroit pareil, une jeune fille de son genre, il l’avait étudiée discrètement. L’un des serveurs lui avait apporté un citron pressé et la fille n’avait pas même levé les yeux, concentrée sur des colonnes d’une feuille de Presse sagement posée près de son verre, sur la nappe de textile blanc.

Elle prenait des notes à intervalles, biffait ou soulignait les lignes holographiées, parfois mécaniquement, parfois avec une irritation à fleur de peau qu’il devinait sous le vernis social. Comme elle ne prenait garde à ce qui l’entourait, il l’avait plus amplement détaillée. Mince, mais bien portante, elle paraissait avoir cette santé éclatante que l’on trouvait rarement chez les filles de son âge, souvent si pâles et aériennes que l’on se demandait si elles n’allaient pas tomber au moindre coup de vent. Celle-ci avait l’air bien ancrée au monde actuel. Son pant élimé et son chemisier de biocoton n’étaient pas de la première fraîcheur, mais il émanait d’elle une assurance peu commune. François décida de l’aborder, en sachant qu’il risquait fort d’être remis à sa place.

– Bonjour.

Contrariée, la fille leva la tête avant de se replonger dans les colonnes de son journal. Puis, après un temps d’hésitation, comme si la présence de l’homme l’indisposait, elle releva la tête une seconde fois.

– Bonjour.

– Je peux vous aider ? proposa François.

Elle ajusta son port de tête pour le toiser, ses traits jusque-là empreints d’un ennui tangible se teintèrent d’un air revêche :

– Vous êtes du coin ?

Il acquiesça avant de préciser :

– Je travaille par ici.

Ketty le considéra. Le type ne semblait pas vouloir lui en imposer ou l’importuner.

– Je cherche un travail dans l’édition. Je voudrais être journaliste… un travail d’appoint.

Et comme intrigué, il l’observait, elle ajouta :

– Pour payer mes études…

Plus qu’intéressé tout à coup, François jaugea la fille à sa table.

– Vous paraissez bien jeune.

– Je le suis. Et alors ?

Imperturbable, il s’enquit :

– Des références ?

– Pour l’enseignement général, uniquement. Et quelques extras le week-end, au Journal de notre village en tant que pigiste – elle ne précisa pas le nom du village en question. Quelques autres depuis, sur la Baie, puis ici, à Réal 14. Je ne suis arrivée, que depuis quelques semaines…

François réfléchit. Cette fille lui tombait du ciel. Il comptait recruter une petite main pas trop chère, pour l’aider dans ses enquêtes et la rédaction de quelques articles. Mais il lui fallait quelqu’un de fiable et d’intelligent. Cette fille était un peu trop jeune. Un instant, il s’interrogea sur l’existence de sa famille. Une fille comme elle ne pouvait pas avoir fugué, mais la vie avait un certain penchant pour assener, au moment où l’on s’y attendait le moins, quelques embûches de son cru.

– Ce ne sera pas facile.

– Je ne cherche pas la facilité.

Il sourit.

– Quel apprentissage avez-vous l’intention de poursuivre ?

Ketty étudia l’homme. Pouvait-elle se fier à lui ? Sans doute, à l’instar des autres, jugerait-il ses choix dénués de sens. À son attitude et à ses questions, il avait l’air de s’y connaître dans le métier. Peut-être que sa présence ici, était-elle inespérée ?

– Les « Bios », lança-t-elle en se jetant à l’eau.

S’il fut surpris, il ne le montra pas. Elle rajouta :

– Filières de bioethnologie et d’exobiologie.

Son regard le sonda, comme si elle le mettait en demeure de s’exprimer. Médusé, François ne dit rien. Ce bout de femme tenait littéralement du miracle. Il décida de ne pas la tourmenter plus avant ; cependant, il devait vérifier un point crucial :

– Quel est votre âge ?

– J’ai dix-sept ans.

Il était heureux, songea-t-il, que depuis quelques années, la majorité fût passée à seize ans. Il conserva un silence prudent.

– Je sais ce que vous pensez, l’attaqua-t-elle. Comme tous les autres.

Il ouvrit la bouche pour protester, mais elle ne lui en laissa pas l’occasion.

– Je n’ai rien à prouver, et je me fous de vos considérations. Je…

Ses yeux lançaient des éclairs, tandis qu’elle le toisait avec une acrimonie évidente.

Émergeant de sa torpeur, François finit par se ressaisir :

– Détrompez-vous, votre démarche m’intéresse au contraire…

Elle le fusilla du regard, croyant qu’il se moquait. Les disciplines qu’elle avait sélectionnées, trop récentes dans les académies, et pas encore parfaitement intégrées dans les mœurs estudiantines et les filières professionnelles, prêtaient généralement à rire. Ces disciplines, au risque de tomber dans la discrimination, s’adressaient plus particulièrement aux membres du sexe masculin malgré les multiples et vaines tentatives des gouvernements pour inverser la tendance. Et de fait, en dépit des apparitions croissantes d’exocivilisations et des découvertes réalisées dans les exosciences, les nouveaux canaux d’éducation s’avéraient trop inédits et trop inquiétants, pour attirer beaucoup d’étudiants davantage séduits par les matières traditionnelles procurant des métiers plus établis et mieux rémunérés.

L’existence de deux ou trois colonies stellaires, dans l’escarcelle de la Terre depuis approximativement quatre décennies, ne paraissait pas capter l’intérêt des toutes dernières générations. Cette indifférence ne laissait pas de surprendre et de déconcerter Ketty que le domaine passionnait. Les terres martiennes constituaient un gros enjeu pour les industriels et les scientifiques, ainsi qu’un terrain d’expérimentations tout à fait extraordinaire. Leur colonisation avait réellement débuté cinq années auparavant, bien qu’un certain nombre d’initiés dans les sphères privées de ce secteur clamassent leur colonisation bien plus ancienne. Et c’était sans compter sur les deux corps astéroïdaires ayant été piégés par le biais d’un champ magnétique innovant qui les maintenait en orbite et dans l’influence de la Terre de manière permanente. Ceux-là, baptisés Laefin et Meltpoint du nom des scientifiques qui les avaient localisés les premiers, se révélaient particulièrement riches de potentialités et d’un matériau qui s’apparentait à l’essence plasmatique, puisée jusque-là dans l’atmosphère terrestre par des techniques novatrices prometteuses de sources d’énergie sans équivalent.

– Que voulez-vous dire ? le contra-t-elle abruptement, prête à le repousser et se souvenant de la précision de l’inconnu.

– Votre choix m’interpelle vivement. Je diffuse des revues dans ce secteur, et je…

Il atermoya. De son regard bleu rivé à sa personne, elle le jaugeait presque craintivement, intriguée à son tour, mais pas sûre de ce qu’elle comprenait de son discours. Il reprit néanmoins :

– … nous fondons notre travail, sur les civilisations hors de la Ceinture 15 ; toutes sortes de civilisations… Nous sommes quatre au Journal, chacun de nous dans une spécialité, et nous ne possédons pas, du moins pas encore, de scientifique en tant que telle. Notre activité est trop modeste, à ce jour. Mais quand…

Bouche bée, elle le scrutait, seulement capable d’écouter. Sa hargne vindicative s’était évanouie, avec les éclaircissements du curieux personnage.

François cessa de parler. Il avait tendance à s’étendre sur sa passion. En dépit des feux fréquents de l’info et de l’infox 16, certains individus n’étaient pas prêts à entendre les révélations dont les Presses avant-gardistes et certains politiciens ou organes politiques se faisaient les échos depuis plusieurs années. Cette fille intrépide, en face de lui, trop jeune pour comprendre et savoir, paraissait plus mature que nombre de ses congénères. Il devait prendre garde à ne pas trop en dire.

– Écoutez, abrégea-t-il, expliquez-moi d’abord votre plan. Combien de temps devez-vous consacrer à vos études… et… au reste ?

Il sourit avant de poursuivre :

– Je suppose que vous n’êtes pas encore inscrite dans ces disciplines auxquelles vous aspirez.

Elle s’assombrit :

– Non. Mais j’ai obtenu une bourse pour la Haute École des Nouvelles Sciences de Montréal. Je dois juste financer de quoi me loger et me nourrir. Le reste n’a pas d’importance.

Le journaliste était impressionné. L’HENSM était célèbre, pour les cours dispensés au sein de l’école et le niveau de ses lauréats en fin de cursus. Méditatif, il finit par demander :

– Quels sont vos thèmes privilégiés ?

– Que voulez-vous dire ?

– Des sujets qui vous attirent davantage que d’autres dans le journalisme.

– Oh !

Ketty le jaugea, suspicieuse. Elle s’était laissé aborder trop aisément, et l’étranger en profitait. À l’examiner de plus près, il paraissait, cependant, différent des hommes rencontrés récemment. Ils parlaient depuis dix minutes, alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Interloquée de s’être laissé prendre au piège du bavardage de l’inconnu, la jeune fille se renfrogna. François réalisa qu’il était allé trop loin dans ses questions.

– J’ai un job à vous proposer, indiqua-t-il finalement en dardant sur la fille un œil précautionneux.

Surprise, cette dernière sursauta avant d’interroger.

– C’est quoi, ce job ?

– Comme je vous l’ai dit, je suis moi-même journaliste. J’ai créé, il y a quelque temps, une agence de presse puis son Journal avec des potes. J’ai besoin de quelqu’un pour quelques recherches, des enquêtes, des sondages, de l’écrit. Rien de bien sorcier ni de très captivant, pour le moment. Du moins pour vous qui vous orientez vers le monde de la Science. Mais ensuite, on pourra voir selon vos compétences.

– Vous ne vous moquez pas de moi ?

– Je ne crois pas en avoir l’air. Vous tombez à pic, c’est tout. Ça vous intéresse ?

– Combien vous payez ?

– Pas tellement, au début. Pour un temps plein : trois cent cinquante unités canadiennes, à la semaine. Pour vous, ça dépendra du temps que vous aurez à nous consacrer.

Pour la jeune fille, c’était peu et beaucoup à la fois. Et c’était une aubaine. Mais il lui faudrait encore se loger.

– C’est d’accord. Il me reste à trouver une chambre. Qu’elle est la spécialité de votre Journal ?

– Achevez votre verre. Je vous y emmène. Vous verrez par vous-même.

Chapitre 9 : Dissension Intras / Humains

L’Art de la diplomatie : Lorsque l’habileté et la prudence ne suffisent pas à mener des négociations sensibles, l’autorité naturelle et l’ascendant ainsi que les moyens de pression appropriés sont des armes à ne pas négliger.

 

Accompagné de plusieurs des siens, l’Intra émergeait à l’air vivifiant de ces contrées hors du ventre de Gæa 17. L’anfractuosité qu’ils venaient d’emprunter se refermait déjà derrière eux, ne laissant aucune trace de leur passage. Du fait d’une technologie que n’appréhendait aucun des Terriens qu’ils fréquentaient, dans le monde du dehors, les particules de matière s’étaient comme ressoudées entre elles.

Nãeduul, leur Primum, les avait missionnés afin qu’ils témoignent de leur présence et révolutionnent les règles de vie commune et les lois dont ils ne dérogeraient plus. Eux refusaient, désormais, de se cantonner dans le monde intérieur. Seulement, il leur fallait davantage de terres de parcage, de celles que leur avaient abandonnées méprisamment ces êtres de la surface terrestre.

En tant qu’Intras et citoyens incontestés de cette Terre, ils exigeraient de vastes espaces en dehors des contrées habitées. Côtoyer de près les hommes de la surface s’avérait délicat, du fait de l’influence délétère d’un trop grand nombre de ces déchets humains qui s’étaient octroyés, sans vergogne, les ressources de la Terre mère sans partage équitable.

Les Intras ne se satisfaisaient plus de ce déséquilibre. Un remodelage devenait indispensable. Les signes qui les annonçaient se multipliaient, ces dernières décennies. D’autres races des étoiles descendaient par milliers de leurs vaisseaux, pour s’imposer à leur tour. La Terre devait se partager. Le plus difficile serait que ce partage se fasse progressivement ; mais c’était exiger l’impossible, devant les agissements inconsidérés de ces peuples déchus qui hantaient la surface.

Le Primum avait décrété que les temps advenaient, hurlant qu’ils devaient se manifester et aménager ce qui pourrait l’être, en dépit des températures contrastées qui marquaient de leur empreinte ces terres de l’extérieur et s’envolaient ces derniers temps, à la hausse ou à la baisse en fonction des secteurs géographiques. Une conjoncture, inversement proportionnelle à ce qui avait été annoncé par les scientifiques depuis des décennies. Eux, les Intras, avaient leur part de responsabilité et devaient investir chacun des maillons de cet univers, afin de s’infiltrer et garantir la passation, regagner une certaine couche du contrôle et maîtriser les peuples du dehors qui, jusque-là, les avaient floués comme ils avaient floué les races supras, celles des étoiles.

Leurs stratagèmes, pour sortir des terres qui leur avaient été attribuées et se déployer, consistaient à intensifier discrètement leurs contacts auprès de groupes gouvernementaux de certains pays organisés en trust, mais aussi lancer des hameçons vers l’une ou l’autre des races supras en développement croissant. Ils utiliseraient également le relais des médias et notamment des journaux, et les surchargeraient de communiqués quant au contexte qui s’avérait le leur et celui des races stellaires. S’ils n’obtenaient pas suffisamment d’assurance et de résultats, ils n’hésiteraient pas à envenimer la situation pour faire réagir les populations terrestres ainsi qu’intras et supras.

Le Primum avait été clair. Ils devaient inonder de leur présence la sphère terrestre, au-dehors de leurs territoires intérieurs, et marquer les esprits de leurs droits à l’existence au grand air. Lui, se tiendrait à leurs côtés.

Et pour cela, les plus performants d’entre eux quittaient le ventre de la Mère et se répandraient, sous peu, jusque dans les entrelacs du monde, qu’ils soient virtuels ou bien tangibles. L’Orbe et le Prisme 18, en tant que réseaux d’investigations plus ou moins limités en termes d’accessibilité, selon qu’il s’agissait de l’un ou de l’autre, seraient investis insidieusement dans le même temps et piratés si nécessaire.

SECONDE PARTIE – L’ESSOR

Chapitre 10 : L’agence de presse

Journal d’une enfant perdue : L’agence de presse dans laquelle j’œuvrais, désormais, contribuait à neutraliser les fantômes d’une existence jusque-là très étriquée si je la comparais à mes premiers idéaux.

 

Ketty travaillait à l’agence depuis bientôt quatre mois. Elle avait fait connaissance avec les compagnons de l’homme qui l’avait embauchée. À l’instar de Karradec, Jaohn Dengh ramenait de nouveaux contrats tandis que Boz Laign et Erwin Lashan faisaient tourner les machines à laser plasma et imprimaient quelques feuillets holos 19 que diffusait leur agence.

La jeune fille était tombée des nues, lorsque son employeur lui avait divulgué les sujets traités d’ordinaire. Les exocivilisations figuraient au cœur des passions des quatre hommes. Dans ce petit monde singulier, Ketty avait peu à peu trouvé ses repères et, depuis, faisait son possible pour seconder au mieux son patron et ses collègues.

Au début, cela n’avait pas été si simple. Si ses cours à l’HENSM n’avaient pas encore démarré, les formalités d’inscription n’avaient pas été non plus une sinécure. Plusieurs entretiens avec le rectorat et l’ensemble des tutorats de chacune des matières impliquées l’avaient rodée dans son discours et confortée dans ses choix, mais son opiniâtreté à vouloir convaincre l’avait vidée de son énergie. Au cours des premières semaines, dès qu’elle ne s’adonnait pas à des cycles administratifs, elle se rendait à l’agence de Karradec pour approfondir ses notions de base du journalisme et apporter sa contribution. En dépit de son apprentissage, Karradec avait insisté pour la payer pour ces quelques heures passées au sein de l’agence ; Ketty avait accueilli la proposition avec plaisir ; cela faciliterait ses démarches.

Ensuite, les cours avaient débuté, et les ennuis avaient empiré. Il n’était pas aisé de combiner études et travail, quand ses professeurs exigeaient qu’elle s’y consacre pleinement et potasse, en soirée, les enseignements de la journée.

Ketty travaillait quatre soirs par semaine avec l’équipe de Karradec, alternant le secrétariat et les enquêtes auprès d’un public ciblé par le Journal. Graduellement, au fur et à mesure de l’accroissement de ses connaissances dans le milieu de la Presse, l’équipe lui attribuait des fonctions supplémentaires dont elle s’acquittait tant bien que mal, éprouvant régulièrement le sentiment de ne pas être, tout à fait, à la hauteur malgré les encouragements du Directeur du Matin des Archanges.

Jaohn, Boz et Erwin ne l’avaient pas prise immédiatement au sérieux. Seul, Karradec avait eu la patience de lui expliquer les différentes tâches afférentes à ce poste d’appoint. Puis, alors qu’avec le temps elle faisait ses armes, Ketty avait protesté, les avait traités de fous lorsqu’ils avaient insisté pour qu’elle amorce des investigations plus complexes sur quelques phénomènes étranges et paranormaux. Elle avait participé à la rédaction et la mise en page des articles, avait ri avec ses nouveaux collègues quand certains faits divers s’avéraient par trop extraordinaires et elle s’était rapidement prise au jeu.

Elle allait au fond des choses, quel que soit le domaine sur lequel elle s’investissait ; aussi avait-elle entrepris d’approfondir le champ des exocivilisations, en dehors de son contexte scientifique qu’elle maîtrisait plutôt bien. Évidemment, comme beaucoup, elle était instruite de certaines des lois et des amendements institués au fil de ces quatre dernières décennies sur le thème brûlant des ExoRaces et de leur incorporation aux peuples de la Terre. Aux problématiques jamais vraiment résolues des immigrations de masse des peuples dits sous-civilisés s’était rajoutée celle de la lente invasion de races en provenance de mondes insoupçonnés du citoyen lambda terrien. Par la suite, la conjoncture avait imposé leur intégration et les lois s’étaient mises à pleuvoir. Du fait de cette assimilation précipitée et inattendue, l’ostracisme inévitable s’était aussitôt ensuivi.

Ketty s’employait désormais à parcourir d’innombrables revues, livres ou dossiers sur ces circonstances particulières. Si aujourd’hui, en deux mille soixante, les évènements semblaient presque normalisés, en deux mille vingt-quatre ou deux mille vingt-cinq, lorsque l’annonce avait paru dans chacun des grands journaux officiels, à l’échelle du monde, le choc culturel avait été profond et marquant. Des bouleversements avaient progressivement désagrégé les routines établies de siècles d’obscurantisme, volontairement maintenu sur le sujet.

Tout avait réellement débuté avec ce premier colloque réunissant sur les gradins de l’Institut Mondial d’Astronautisme et de Science Spatiale – démantelé ultérieurement – plus de deux cents personnalités reconnues de l’aristocratie scientifique.

Mais au-delà de cette conférence historique, dans les quelques décennies qui lui étaient antérieures, les remous enlisés des apparitions de races supraterrestres, de crashs insolites et de phénomènes cosmiques ahurissants avaient habité le cours de l’histoire tout au long de ces années improbables. Un peu partout dans le monde, des affaires émergeaient un instant, pour être étouffées l’instant suivant par les autorités étatiques et militaires. Mais chaque fois, ces étincelles, prématurément enfouies, dans les girons gouvernementaux, faisaient naître d’autres flammèches beaucoup plus malaisées à éteindre. Dans nombre de pays, des érudits, des physiciens du quantique et des astrophysiciens s’étaient approprié le concept et communiquaient déjà, auprès de cercles publics de plus en plus larges, le fruit de leurs recherches et les éléments de leur thèse sur l’existence d’extraterrestres œuvrant sur Terre sur des fréquences peu accessibles aux êtres humains. Ketty avait écouté, avec un vif intérêt, de vieilles conférences traitant de ces thématiques captivantes. C’est en Amérique du Sud qu’avait éclaté le scandale obligeant les gouvernements à révéler, au moins partiellement, les arcanes de cette dissimulation d’ampleur inégalée. Les titres éloquents des journaux de l’époque exposaient, on ne peut plus clairement, la situation et les contraintes qui en découleraient dans le futur.

En ingérant ces multitudes de publications surannées, et de débats sur le devant de la scène, Ketty réalisait l’énormité du complot à l’échelle mondiale et la bêtise des gouvernements précédents. Au fur et à mesure des semaines, les dossiers s’accumulaient autour d’elle, dans l’espace que les quatre hommes avaient bien voulu lui allouer. De temps à autre, l’un d’eux protestait sur les relents de poussière qui envahissaient régulièrement leur plan de travail et s’immisçaient jusque dans leurs équipements. De ces descentes dans le passé, la jeune fille revenait échevelée et couverte de résidus de vieux listing et de toiles d’araignées.

Cependant, à peine la porte franchie et le campus en vue, elle ne parlait jamais à ses camarades de promo de son job au Journal de Karradec, ne parlait pas non plus d’elle-même ni de son histoire personnelle, craignant que l’on s’avise de sa fuite de chez ses parents adoptifs, craignant que ceux-là ne finissent par la retrouver ; car en dépit de sa récente majorité, elle devait obtenir leur autorisation pour quitter la région. Sans cette approbation inepte, cette loi canadienne établie une douzaine d’années auparavant pour raison démographique, et qui n’avait plus aucun sens aujourd’hui, elle encourait une peine de prison et une interdiction de travail hors de la juridiction familiale. Elle n’y croyait pas vraiment, mais une obscure terreur la rendait discrète et peu loquace. Seul, Karradec était au fait de certains détails la concernant, encore qu’il ne connaissait que l’émergent, rien d’autre.

Chapitre 11 : Un dîner chez les Dengh

L’œil de la Presse : Le milieu journalistique est un milieu ingrat, pour celui qui aspire à une prospection honnête des informations. Parmi les pierres d’achoppement à cette activité entre toutes, nous pourrions citer les lobbies toujours sur la brèche quand il s’agit de préserver leur pré carré, mais également les gouvernements ou le milieu associatif qui ne voient que les intérêts qu’ils défendent et aucun autre.

 

Les relations qui se développaient entre l’agence de presse de Karradec et l’ADSI, l’Association pour les Droits des Supras et des Intras – trust ou consortium regroupant des communautés de Supras et d’Intras luttant pour leurs droits sur Terre –, suscitaient ou entraînaient de nombreuses conférences et quantité de travail supplémentaire que la petite équipe de François absorbait difficilement.

De même, les agréments légaux et les licences nécessaires auprès de la PAASE 20 devaient être reconduits tous les semestres, les premières années d’existence d’une agence de presse et d’un Journal. Ce dernier était également régulièrement pris à partie par l’OOEM 21 et les différents syndicats de la Presse, très présents et très jaloux de leurs prérogatives dans ce domaine.

François se démultipliait, ne rêvant que d’une chose, se trouver là où les évènements l’exigeaient et publier des articles percutants qui les feraient sortir de l’ombre et jaillir dans la lumière des projecteurs du monde politique autant que publique. Il avait récemment déménagé l’agence et le Journal, afin de se rapprocher des grands du secteur et de ses clients les plus notoires, et modernisé leur matériel. Il veillait tard et dormait peu, conscient que les débuts d’une Presse s’avéraient les plus laborieux.

Ce soir, il dînait chez les parents de Jaohn.

Directeur d’une maison d’édition au 1008 rue du Square Dorchester, près de l’édifice Dominion Square, et à neuf cents mètres de l’agence de presse et du Journal de Karradec, Kassyl Dengh avait proposé de les soutenir dans l’évolution de leur agence émergente. Dans la maturité de l’âge, l’homme séduisait par une certaine prestance et une autorité naturelle qui forçait le respect. Il était estimé dans le milieu de l’édition, et possédait un réseau conséquent qui dépassait la zone d’influence de la région. Un point crucial aux yeux de François résidait dans l’intérêt que portait l’éditeur aux sujets qui les passionnaient, Jaohn et lui.

Kassyl les avait introduits auprès de certains clients et avait ouvert, pour eux, son carnet de relations ; l’impact significatif pour l’agence de presse de François et de ses compagnons n’avait pas été négligeable.

Ce soir, ils devaient aborder la délicate étape de la phase de croissance du Journal, du moins débattre de la manière de le faire prospérer sans les mettre en danger par des risques inutiles et un développement anarchique et trop rapide. De très nombreuses compagnies sortaient de leur anonymat pour y replonger aussitôt, et s’effondrer définitivement. François était bien conscient de cette phase sensible qu’il leur fallait conduire avec la prudence et le doigté nécessaires.

– François ?

Ce dernier qui écoutait Kassyl les entretenir de ses propres activités se détourna, pour découvrir la frimousse de la sœur de Jaohn. Lisah avait neuf ans et dix ans de moins que son frère. Elle s’était attachée curieusement à François qui ne manquait pas de lui porter toute l’attention attendue. Rousse et menue, la fillette aimait les entendre parler de leurs métiers, même quand l’heure tardive aurait dû l’encourager à obéir à ses parents qui l’incitaient à laisser les grands discuter de leurs affaires. Lisah s’accrochait alors à François, et demandait à grimper sur ses genoux. Celui-ci ne pouvait résister à ces jolis yeux innocents qui le sollicitaient en silence. Lanhe, la mère de Lisah, en riait et abdiquait quant au sujet du coucher de sa fille, en vérifiant que leurs invités ne manquaient de rien dans le cadre de ces soirées de travail.

– Oui, Lisah ?

– Tu m’amèneras avec Jaohn à la fête foraine, la semaine prochaine ?

– Oui, Lisah. Jaohn et moi te l’avons promis, si la chaleur n’atteint pas des records qui nous empêcheraient de sortir. Ketty nous accompagnera aussi.

Le sourire de l’enfant rasséréna François. La petite s’était liée d’amitié avec la jeune fille, et il était rafraîchissant de les voir s’amuser devant le spectacle de troubadours et de magiciens, férus d’art moderne et de sciences portés sur des technologies non humaines. Les Arts Stellaires et IntraTerres, comme ils avaient été qualifiés par les sommités artistiques et scientifiques qui menaient la danse dans ce secteur d’activité connexe, attiraient leurs quotas de passionnés et de marginaux.

– Trinquons à votre succès, Messieurs de la Presse, clama avec emphase Kassyl Dengh. Il ne sera pas dit que je ne vous aurai pas appuyés de mes relations fortunées.

De sa part, c’était une plaisanterie qu’il appréciait de sortir en fin de dîner. Si ses relations étaient loin d’être fortunées, elles s’avéraient nombreuses et infiltraient leur marché avec une effervescence industrieuse qui ne manquait pas d’incidences positives, pour chacun des membres autour de la table.

– Avec plaisir, Kassyl, répondit François. La prochaine fois, Ketty Brownel participera à cette assemblée chaleureuse. Notre mascotte a toujours beaucoup de suggestions à nous soumettre. Et nous aimerions vous la faire connaître davantage.

– Qu’il en soit comme tu le dis, François. Nous aborderons, également, les difficultés que vous rencontrez avec certains des officiels qui ne cessent de vous mettre des bâtons dans les roues ces derniers temps. J’ai une idée précise des motifs cachés de quelques-uns d’entre eux. Mais pour ce soir, il est bien trop tard.

Chapitre 12 : Une chroniqueuse en herbe

Les Êtres de Langhãem : J’observais, dans les ombres nocturnes ou la lumière de l’astre solaire, ces êtres qui nous côtoyaient discrètement tout en filant sur leur chemin de vie bien différent du nôtre. Mais qu’en savais-je, au juste ? Moi, Ketty Brownel, allais entreprendre de décrire ces fantômes versatiles et transcrire leur destinée au cœur des lignes d’un manuscrit que j’allais amorcer. Je verrai bien où me mènera l’aventure, et me laisserai guider, autant que possible, au sein de cet univers que je pénétrais sans vergogne et avec un plaisir qui m’étreignait l’esprit et plus encore.

 

Abandonnant sa chambre dans un immeuble délabré, Ketty avait trouvé à louer un studio climatisé, à proximité de la Haute École des Nouvelles Sciences de Montréal. Son travail, avec l’équipe de Karradec, lui permettait dorénavant cette dépense nécessaire en plus des petits à-côtés qui rendaient son quotidien plus confortable que ce qu’elle avait présumé. Le Journal ne se situait pas très loin de l’HENSM, ce qui facilitait ses allées et venues. Elle ne regrettait absolument pas sa chambre mal isolée qui concentrait la chaleur, tel un four en surrégime, alors qu’au-dehors, les températures croissaient anormalement même en basse saison. Chaque année qui s’achevait voyait la chaleur se renforcer en Zone Franche 22, y compris dans les terres supposées plus froides de l’ancienne Alaska intégrée au secteur canadien près d’une décennie auparavant.

Fidèle à ce qu’elle avait affirmé à François Karradec, Ketty partageait son temps entre ces deux activités orientées autour d’un même axe que figuraient les filières des ExoRaces. Ses cours en bioethnologie, en exobiologie et en anthropologie la satisfaisaient pleinement, mais elle était consciente qu’ils ne lui apporteraient pas toutes les réponses. D’où l’importance de ce travail, à l’agence de Karradec, qui lui ouvrait davantage de potentialités.

Pour Ketty, les sciences humaines terrestres ainsi qu’intras et extras humaines se rejoignaient dans leurs fondamentaux. La dimension sociale y était invariablement représentée. Certaines des races, désormais sur Terre, divergeaient résolument sur cette dimension, mais le sujet dans son intégralité relevait de l’anthropologie, à laquelle les notions intra et extra humaines avaient ou auraient dû être ajoutées. Car il n’existait pas de concepts précis pour l’étude des races non humaines, bien que, pour la plupart, elles auraient pu se qualifier d’une humanité qui faisait défaut à certains des spécimens de son espèce. Malgré son jeune âge et son peu de pratique, Ketty identifiait les failles, on ne peut plus évidentes, des peuples dits « humains » de cette Terre.

En relisant l’un des traités conseillés par leur professeur d’exobiologie, sur le comportement des populations et leurs organisations, elle s’agaça et manqua rejeter les feuillets holos qui ne mentionnaient que des argumentations surannées et discriminatoires. Parfois, comme ce matin, elle doutait des véritables intentions de cette école, néanmoins parmi les meilleures dans le domaine, et aurait préféré délaisser l’instruction du jour pour courir au Journal et se plonger dans un quotidien bien plus tangible. Machinalement, elle se servit un café serré et marcha de long en large dans son minuscule appartement, en réfléchissant à son existence des derniers mois.

François Karradec lui avait donné l’occasion de travailler sur ses premières vraies enquêtes en solo avec l’enregistrement de témoignages, la visite des lieux sur lesquels s’étaient déroulés des phénomènes singuliers.

Pour ses débuts sur le terrain, Ketty avait établi un compte rendu précis et clair qui lui avait attiré les félicitations de Karradec. Montréal, du moins Réal, évoquait une ville cosmopolite où se croisait une diversité d’Humains et de non humains qui aurait pu lui faire froid dans le dos, mais elle n’avait pas peur, et ne craignait pas les éventuelles rencontres qui auraient mis sa vie en péril. Elle appréciait de se promener sur ses larges avenues et au cœur de ses parcs fertiles, longer de ses foulées dynamiques les allées d’érables centenaires et goûter l’humidité des eaux du Saint-Laurent charriée par le vent.

Il lui arrivait de se laisser surprendre par un individu au faciès d’Intra ou de Supra. Ces fois-là, les émotions affluaient en elle, à l’instar d’étincelles de conscience tentant de surgir d’un néant qu’elle n’aurait pas imaginé abriter. Elle aimait ces confrontations insolites qui la déstabilisaient et l’enchantaient sans raison, sans raison qu’elle eut pu appréhender sans se dire qu’elle n’était pas une fille normale, et qu’il était naturel que dans les salles de cours, on ne recherche pas son amitié.

Au bout de plusieurs semaines de ce travail à l’agence, les évènements s’étaient accélérés. Ketty accompagnait désormais Karradec, en tant que collaboratrice à part entière et non plus en tant qu’apprentie. Elle prenait part à la rédaction des articles et, graduellement, s’était mise à les rédiger seule. François validait derrière elle, n’ayant généralement que peu de corrections à y apporter. Il lui faisait, dorénavant, entièrement confiance.

Il y a peu, elle avait eu l’occasion de travailler sur un sujet plus délicat, et elle s’était rapprochée de François qui avait pris plaisir à lui venir en aide. À ses yeux, Ketty s’avérait une drôle de fille, indépendante et talentueuse. Belle également, et il était sensible à son charme sans trop le lui montrer. Elle ne parlait jamais de sa famille, et n’avait vraisemblablement pas d’ami ; aucun qu’elle lui ait présenté, en tout cas. Aussi lui arrivait-il assez souvent de dîner avec ses collègues fantasques, devant une pizza ou un végéburger, dans l’un des pubs à proximité du Journal ou bien devant un article qui devait paraître prochainement. Progressivement, Ketty s’intégrait au groupe qui l’acceptait comme l’une des leurs.

La jeune fille songea que demain, à l’aube, Karradec l’amènerait dans l’un de ses périples interminables. C’était une première ! Elle anticipait ce moment, avec une émotion qu’elle tentait de canaliser.

Chapitre 13 : De l’anonymat d’un Intra