Les Déviants Sacrés - Tome 2 - Christine Barsi - E-Book

Les Déviants Sacrés - Tome 2 E-Book

Christine Barsi

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Beschreibung

Après maints affrontements contre les Dégénérés, nous pénétrions dans la cité d’Orakthias, à l’extrême nord de Sylvainth. Je me heurtais en permanence à l’officier aux prises avec une singulière altération qu’il s’évertuait à me dissimuler. En lutte contre ce dernier, l’amazone que j’incarnais s’attribuait pour mission de découvrir le Berceau des Origines. C’est là qu’étaient détenues les femmes dont se servaient les Maîtres Draegs pour se reproduire, et je n’avais de cesse de libérer ces captives cloîtrées au sein de leur gynécée.
Lorsque le Dragaãnh disparaît mystérieusement, en proie à ses démons, je n’avais plus d’autre choix que de défier le Haut-Divin et sa caste de prêtres qui voyaient en moi une ennemie qu’il leur fallait neutraliser. Je devais pénétrer dans ce harem, en extirper ces femmes, nous évader de la cité escortée des fidèles guerriers du Dragaãnh, et partir à la recherche de celui-ci. Cependant, aurais-je suffisamment de certitudes et de détermination en moi ? Une alternative me murmurait que je pourrais tout aussi bien sombrer dans le piège sordide que s’efforçaient de me tendre le Haut-Divin et ses sbires ?


Après la trilogie de La Passion de l’Arachnee, Les Déviants Sacrés développent l’univers de cette saga des Mondes Mutants chère à l’auteure.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Christine Barsi est une scientifique qui puise son inspiration dans ses études en biologie et science de la nature et de la vie, ainsi que dans son métier dans les ressources humaines et l’ingénierie. L’auteure écrit en parallèle depuis 1998 des romans de science-fiction et de fantastique, avec à son actif plusieurs romans publiés. Elle est membre du Conseil d’administration de sa ville, afin de promouvoir la littérature.

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Christine Barsi

LES DÉVIANTS SACRÉS

Saga des Mondes Mutants

Tome 2 : La Quête du Dragaãnh

 

 

Du même auteur

 

– Déviance

roman, 5 Sens Éditions, 2017

– Teralhen (tome 1 du Cycle des Trois Marches)

roman, 5 Sens Éditions, 2017

– Mutagenèse (tome 2 du Cycle des Trois Marches)

roman, 5 Sens Éditions, 2018

– L’éveil du Dieu Serpent

roman, 5 Sens Éditions, 2018

– Déviance II (Renaissance)

roman, 5 Sens Éditions, 2019

– Déviance III (Les Aulnes Jumeaux)

roman, 5 Sens Éditions, 2019

 

Saga des Mondes Mutants :

 

– SolAs

5 Sens Éditions, 2019

– La Passion de l’Arachnee (Tome 1 : L’Odyssée)

5 Sens Éditions, 2020

– La Passion de l’Arachnee (Tome 2 : Thanäos)

5 Sens Éditions, 2020

– La Passion de l’Arachnee (Tome 3 : Le Bal du Léviathan)

5 Sens Éditions, 2020

– Les Déviants Sacrés (Tome 1 : Le Grand Dessein)

5 Sens Éditions, 2021

 

 

À mes écrivains fétiches qui m’ont inspirée dans ce domaine de la science-fiction.

 

Voici une phrase de George Bernard Shaw que j’apprécie beaucoup : « Vous voyez des choses et vous dites : « pourquoi ? » Mais moi je rêve de choses qui n’ont jamais existé, et je dis : « pourquoi pas ? »

 

 

 

Prologue

Journal de Maeween Baäelt : Le Grand Nord possédait cette majesté des immensités glacées qui, au-delà de leur réalité bien tangible, convoquaient des réminiscences que je n’avais jamais imaginé receler en moi.

 

La piste.

Depuis des jours, qu’ils la voyaient défiler sous leurs pas ! Les modifications du terrain s’accentuaient. Les forêts troquaient leurs essences contre de plus hautes et de plus résistantes. Des essences ignorées de Maeween et des soldats qui, pour la plupart, ne connaissaient à l’instar de celle-ci que l’iloth et leur cité d’origine. Seuls ne paraissaient pas surpris, le Dragaãnh et le Rörht.

Voies glissantes sur des toiles de givre géantes adhérant au sol, jusqu’au matin, alors que le réveil les sortait de leur engourdissement. Hautes forêts sombres et changeantes, mais dont les spécimens sylvestres ne semblaient pas être la proie d’entités rancunières ou farceuses auxquelles ils étaient accoutumés. Le silence, par moments, s’annonçait presque effrayant pour la troupe. Le silence et le froid qui, par une lente progression, augmentait le seuil de leur tolérance à la souffrance. Le froid et la forêt. Mais pas de Draegs. Dans cette contrée à la limite d’un nouveau monde, ceux-là ne s’exhibaient pas. L’amazone n’en devinait pas la raison, mais se doutait que leur officier, lui, en savait bien davantage.

Rhäjonah demeurait pour Maeween la meilleure source d’information, et l’amazone lui en était reconnaissante. Lui, avait déjà parcouru une partie de la route vers le nord en compagnie de grands prêtres rörhtes, bien qu’il ne se souvînt plus que de sporadiques tronçons d’itinéraires. Il avait prévenu la jeune femme que beaucoup plus loin dans ces terres, les températures seraient beaucoup plus rudes et qu’il leur faudrait revêtir de lourdes peaux animales s’ils voulaient survivre.

– Et après ? questionnait la Guénoêlhan1. Qu’y a-t-il après ?

Là, Rhäjonah devenait plus évasif. Il appelait les souvenirs, s’efforçait de les raviver ; ceux-là semblaient le fuir. Comme un cratère de vide qui aurait rongé son esprit, du moins les quelques recoins qui auraient pu éclairer l’amazone et lui-même. Il avouait :

– Je n’en sais trop rien, Maeween. Ce flou en moi est comme un voile sur ma mémoire. Je n’en ai plus que quelques vagues visions très imprécises. Je ne vois plus qu’une succession de hauts plateaux et du brouillard. Un brouillard épais dissimulant ses habitants. Peut-être était-il provoqué, alors, ou peut-être a-t-on sciemment suscité cette confusion en ce qui me concerne ?

L’amazone soupirait sans pour autant en vouloir à son ami. Elle était certaine qu’il ne lui cachait pas ses informations, et qu’il les lui aurait volontiers transmises si celles-là avaient été disponibles. Comme au premier temps, elle marchait de concert avec les soldats, au milieu de leurs rangs, très loin de leur capitanh qui ne lui jetait plus même un regard depuis des lustres ni ne s’approchait plus d’elle, comme à ses débuts dans la caserne.

Pour Maeween, cela n’avait plus d’importance. Si elle avait pu fuir l’homme et sa troupe, elle l’aurait tenté très certainement. Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec l’individu. Le seul point positif à le côtoyer, c’était cette connaissance nouvelle d’elle-même, de ce qu’elle incarnait, de ce qu’il incarnait lui et des potentialités de maintes autres existences que, peut-être un jour, elle rencontrerait sur Sylvainth. Rhäjonah avait abordé le sujet, voici quelque temps, en lui affirmant que des races moins redoutables que les Draegs habitaient ce monde.

En attendant, elle continuerait de marcher vers ce Grand Nord qui semblait si important pour l’officier qui les guidait.

PREMIÈRE PARTIE

L’ENFANT DE LA DÉESSE

Chapitre 1 : Sur la piste du Nord

Journal de Maeween Baäelt : Le froid s’annonçait déjà mais dans l’état d’esprit où je me trouvais, il ne faisait que m’effleurer sans m’atteindre vraiment. L’aventure se poursuivait, et je nageais dans le cours de celle-ci à l’instar de l’un de ces shandles furtifs qui hantaient les eaux particulièrement denses des driverlides2 au-dessus de cités fantômes.

 

D’autres journées qui s’écoulent. D’autres horizons qui s’ouvrent. Ils repérèrent un étrange animal-insecte, voguant à plus de deux altipas3 du sol à l’instar d’une énorme baudruche gonflée d’air. Un appel impératif de Searle Népalhânh les mit sur leurs gardes. Le drôle d’animal était dangereux. Recouvert d’une épaisse fourrure, seule sa gueule ressortait de la baudruche que figurait son corps boursoufflé sur le point d’éclater. Arthris, l’un des soldats de la troupe, lança un javelot sur la créature en suspension, mais l’arme n’atteignit pas le cœur de sa cible qui fut déviée et repartit en sens inverse. Des pointes, tels des pieux, avaient jailli du corps de l’animal-insecte, à l’instar d’une protection biologique, alors que le javelot l’avait encore à peine effleuré. Les aiguillons étaient apparus en nombre si serrés, partout sur la fourrure, qu’il aurait été impossible d’abattre la bestiole par une arme de ce type. D’ailleurs, du fait du rebond, le javelot avait bien failli embrocher son propriétaire au retour.

Lorsque Searle avança, les hommes s’écartèrent pour lui céder la place. Un large moulinet du Dragaãnh envoya une corde s’enrouler, à trois altipas ou presque, autour du balhon vivant qu’ensuite l’officier attira lentement à lui.

– Ne vous en approchez jamais plus que cela, signala-t-il à ses guerriers. C’est un dondart ; il est empli d’une substance hautement toxique. Néanmoins, certains d’entre nous peuvent lui trouver une utilité particulière. Il suffit pour cela de posséder une certaine habileté, aussi bien mentale que physique. Un bon exercice en soi !

En même temps qu’il parlait, Searle avait lâché du mou à la corde ; l’animal-insecte s’était éloigné de quelques altipas, tout en flottant au-dessus des têtes des soldats. L’officier parut soudain se concentrer, le regard rivé à l’animal ; comme mû par une volonté étrangère, ce dernier commença à vagabonder, porté par les airs et les vents. La troupe vit leur officier s’agripper à la sangle improvisée, et se faire traîner à la suite du dondart sur une vingtaine d’altipas avant de revenir, toujours accroché à la corde, vers le petit groupe qui l’attendait au sol. Quand Searle se fut désempêtré de l’attache, il l’ôta de l’animal et celui-ci resta à flotter dans les courants invisibles. Un sourire moqueur aux lèvres, l’officier avança vers ses hommes.

– Si l’un de vous veut tenter sa chance ?

Mais aucun des guerriers ne s’y hasarda. Ils étaient bien mieux, les pieds sur terre. Quant à Maeween, elle n’osa pas se calquer sur l’exemple du Dragaãnh devant tous, mais se jura d’essayer quand personne ne risquerait de la surprendre. Searle ne s’était pas même tourné vers elle, lorsqu’il s’était adressé à tous. À croire qu’il la méprisait, pensa tristement l’amazone en se promettant d’éviter l’homme autant que possible.

D’autres jours défilèrent, et le temps se mit à l’instabilité. Beaux soleils radieux, auxquels succédaient, l’instant suivant, des nuages noirs annonciateurs de pluies diluviennes et de chutes de neige. Les pluies d’entre-deux survenaient, préludant à la saison froide. Mais dans ces lieux perdus, battus par les vents sévères qui ôtaient toute chance de parcourir quelques marches4 supplémentaires, elles empruntaient une forme déviante de la zone intermédiaire. Ces pluies tombaient moins dru et se transformaient, la plupart du temps, en cristaux de glace qui leur gelaient les doigts et le visage. Ils commencèrent par mieux se couvrir, et les soldats se firent chasseurs pour récupérer la fourrure des proies tuées à cet effet.

Près de deux mois s’étaient écoulés, depuis qu’ils avaient quitté la caserne et sa sécurité. Maeween, pourtant, ne se lassait pas. Elle avait longtemps recherché une équipée de cette sorte, et aujourd’hui, en dépit des circonstances, cette dernière s’avérait au rendez-vous et ne la décevait pas. Il n’y avait que l’absence de sa sœur adoptive qui lui pesait, d’autant qu’elle était dans l’impossibilité de la prévenir de ce que leur éloignement perdurerait de nombreux mois.

À plusieurs reprises, au cours d’une journée, des pensées étrangères envahissaient l’esprit de l’amazone. Le Dragaãnh tentait de s’immiscer en elle pour intercepter les siennes ou s’assurer de ce qu’elle suivait toujours. Peut-être s’évertuait-il à l’investir insidieusement, pour mieux la contrôler. Chaque fois, elle se murait aussitôt à l’abri de son écran psychique afin de le rejeter. Elle apprenait beaucoup ; son esprit vif s’ouvrait à ce qui l’entourait, et se fermait à l’officier en se forgeant une carapace qui se renforçait au fil du temps. S’il croyait qu’elle lui avouerait la moindre faiblesse, la plus infime intention à quémander son aide, il se trompait. Maeween était en pleine forme, et très heureuse de cette expédition. Et jamais il ne lui viendrait l’idée, devant une quelconque embûche, de faire appel à l’officier personnifiant, désormais, à ses yeux, un ennemi au même titre qu’un démon draeg. Ils s’évitaient. Il n’y avait que la nuit, parfois, où Maeween sentait le poids de son regard brillant, presque cruel, porté sur elle. Elle simulait de dormir alors, afin de ne pas risquer de l’encourager dans l’une de ses frasques perverses et malfaisantes. Maeween savait de quoi il était capable, mais à certains moments elle se demandait même si elle connaissait l’homme aussi bien qu’elle le présumait. Il était devenu si silencieux, si hautain, et si impitoyable à son égard !

 

Chapitre 2 : Le dondart

Journal de Maeween Baäelt : Le jeu est l’un des moteurs de l’existence, mais ne pas « se brûler les ailes » est essentiel ; bien que parfois, l’instinct prédomine. Et mon instinct aimait jouer, et me confronter à des situations censées m’instruire et renforcer en moi cette dureté du cristal le plus pur. Je ne voulais pas être ce cristal. Je voulais simplement être moi.

 

Un soir, l’amazone fut éveillée par un souffle de vent brutal. En se redressant à demi pour vérifier qu’il n’y avait pas de menace alentour, elle repéra l’animal-insecte en bordure du campement, à quelque vingt altipas au-dessus : le dondart ; certainement, l’un de ses représentants. Elle se leva sans bruit, prête à tenter l’expérience qu’elle avait en tête depuis l’apparition du premier spécimen.

En approchant de la bestiole, Maeween considéra la situation. Elle n’avait pas de quoi fabriquer une entrave. Elle hésita à bondir sur son dos. Si elle ralentissait son mouvement d’atterrissage, les pointes qui jailliraient seraient tellement nombreuses qu’elle ne risquerait peut-être pas vraiment de s’y empaler. Ce n’est qu’à la dernière seconde, qu’elle repensa à la toxicité du dondart et à son incapacité, à ce stade, de contrôler ses sauts de manière satisfaisante. Searle avait vaguement parlé de quelque chose, à ce sujet. Peu encline à se mettre dans une position périlleuse, la jeune femme fouilla autour d’elle à la recherche d’une liane suffisamment résistante pour la supporter ; quand elle l’eut dénichée, elle dut s’y essayer à plusieurs reprises avant de parvenir à attraper l’animal qui dérivait avec les courants nocturnes.

Réalisant sa folie, elle pouffa discrètement ; jouer en pleine nuit telle une enfant, avec une espèce de balhon itinérant se révélait cocasse. Quand elle l’eut harponné, elle s’évertua à lui insuffler sa volonté. À sa stupeur, sa monture extraordinaire obéit sur-le-champ, et l’amazone se sentit partir à sa suite dans les ténèbres.

Bientôt, elle se promenait au-dessus du camp et distinguait les formes endormies de ses compagnons ensevelis sous des monticules de feuillages censés les isoler du froid. En voulant changer la direction dans laquelle l’entraînait le dondart, elle ne prit pas garde à l’énorme tronc dressé droit devant elle ; quand elle discerna son ombre géante, il était déjà trop tard.

Elle heurta violemment l’arbre majestueux, et poussa un cri de douleur vite réprimé avant de lâcher le lien qui l’amarrait à l’animal-insecte et tomber vers le sol tandis que la bestiole, délestée de son poids, franchissait l’espace à une allure accélérée. Surprise par l’enchaînement abrupt, l’intrépide jeune femme ne put que se laisser choir sans parvenir à utiliser son don pour la suspension.

Pourtant, ce ne fut pas sur la terre ou la roche rude qu’elle atterrit, mais dans les bras de Searle qu’elle reconnut immédiatement à la puissance de sa musculature. Elle étouffa un vrai juron et ne bougea plus, craintive tout à coup. Les bras de l’homme se refermèrent sur elle, quelques secondes incroyablement longues, avant qu’ils ne la libèrent et ne la posent sur le sol en douceur. Leurs yeux s’étaient croisés ; leurs lèvres n’avaient été qu’à un fil si infime qu’il leur aurait été facile de le transgresser, mais ni l’un ni l’autre ne s’y risqua. Néanmoins, ils ne purent éviter de capter les coups brutaux de leurs deux cœurs qui battaient à l’unisson et beaucoup, beaucoup trop rapidement. Searle ne fit aucun commentaire, à l’exception des mots suivants très laconiques :

– Sois plus prudente la prochaine fois, Maeween. Se distraire avec ce petit jouet peut se révéler plus complexe qu’on ne le croit.

Étourdie par le choc et la présence de l’homme, la jeune femme préféra ne pas répondre. Il la laissa aller, et, se détournant, partit veiller à l’écart du camp et très loin de son amazone. De son côté, alors qu’elle se rendormait progressivement, Maeween tremblait encore de la situation dans laquelle elle s’était mise toute seule. Insidieusement, le fait que le Dragaãnh ne l’ait pas molestée, que ce soit en paroles ou en gestes, la tranquillisait. Une singulière pensée de reconnaissance l’envahit, alors qu’elle plongeait dans le sommeil.

Chapitre 3 : Les concrétions de glace

Journal de Maeween Baäelt : Nous étions comme des enfants qu’un nouveau jeu enthousiasmait. Aussi insouciants, aussi téméraires.

 

Près d’une autre quinzaine s’était écoulée. Glaces, pluies et vents nous harcelaient et mugissaient une bonne partie des jours et des nuits. Il leur était de plus en plus laborieux de trouver un refuge sûr, lors des haltes et des bivouacs.

Sous les frondaisons, en profondeur, les trombes d’eau s’avéraient plutôt aisées à éviter. La canopée les préservait de l’humidité, mais n’empêchait pas les vents du nord de souffler dans leur direction avec d’autant plus de force que les interminables couloirs de végétaux traversant la forêt permettaient qu’ils s’engouffrent sans schéma prédéfini. Dès que leur expédition s’en écartait, la neige et la pluie cinglante la happaient impitoyablement.

Sur leur chemin, des congères élevaient leur masse imposante en les bloquant à intervalle. Il était assez facile à Maeween comme à Searle de les passer de leurs bonds vertigineux, mais les hommes s’empêtraient dans leurs fourrures, glissaient, retombaient en ahanant, recommençaient… Ils s’épuisaient en évoluant sur la glace, ainsi que des patineurs involontaires.

Au début du troisième mois, quelques semaines depuis la décision de Searle de pousser vers le Grand Nord, apparurent des constructions géologiques stupéfiantes. Des structures de glaces immenses comme des cathédrales, dans lesquelles ils purent se mirer tout à leur aise tant étaient pures leurs eaux pétrifiées. Certaines présentaient des concrétions étranges, accumulation d’agrégats figés par les cystäens5 dans des positions singulières si fantasques que les envahisseurs qu’ils incarnaient s’oubliaient à les admirer en négligeant le froid et les vents. Ils s’engagèrent sous des arches qu’on aurait dites creusées, tout exprès, pour le passage des hommes. D’autres fois, des séries de moutonnements glacés constituaient des chaînes de dos ronds qu’il leur fallait franchir.

En riant aux éclats, Maeween s’amusait à les sauter un à un. Tandis que ses compagnons choisissaient les plus petits, elle bondissait au-dessus des plus hauts, au risque de se rompre le cou à l’atterrissage tant leurs pieds dérapaient. Plus d’une fois, à les chevaucher maladroitement, elle acheva sa course, tout comme les autres, sur les fesses ou bien en haut de l’un de ces dos.

Seul, le Dragaãnh ne souriait pas à leurs jeux. Il ne souriait plus depuis des semaines. Voir ses hommes, ses guerriers, rire et s’amuser en compagnie de son amazone, quand lui s’interdisait de partager ces moments d’euphorie, le rendait plus taciturne et maussade encore. La nuit où il avait surpris la Guénoêlhan tenter sa chance avec le dondart, il avait failli ne plus se contrôler et assouvir cette envie de la faire sienne encore et encore, cette envie de s’oublier en elle et de s’y perdre irrémédiablement. Or, jusqu’à la venue de la jeune femme, il prenait à cœur la responsabilité de ses actes et n’avait laissé son instinct atavique parler pour lui qu’en de rares occasions. Ces quelques occasions lui pesaient, aujourd’hui, comme autant de fardeaux d’éternité indéfaisable. Lorsqu’à la sortie du second aqualide – celui de la forêt de Brarht – les visions avaient jailli en lui, il avait su qu’il ne pourrait plus la toucher sans risque pour elle. Il avait vu la mort, alors. À ce moment précis, sa décision de ne plus jamais en être le vecteur avait été entérinée. Son rôle avait toujours été de protéger, non pas de tuer dans un instant de démence incontrôlée. Oui, il ramènerait Maeween aux siens, et ensuite il repartirait. Peut-être.

Chapitre 4 : L’embuscade

Journal de Maeween Baäelt : Nous atteignions bientôt notre objectif. La seule idée de cette contrée des Origines m’intimidait, et pourtant je demeurais rivée à la magnificence de ces paysages de glace qui moiraient notre horizon comme autant de voiles opalescents de ce rouge qui dévorait tout ce qu’il effleurait sur Sylvainth.

 

Ils aperçurent leurs premiers Draegs, alors qu’ils franchissaient l’une de ces congères extraordinaires. Dissimulés dans une alvéole creusée dans l’inlandsis, ceux-là attendaient que la troupe de Sylvaneeths passe pour mieux les piéger sur leurs arrières.

Ce fut le flair du Dragaãnh qui les détecta. Son neurochim6 décocha des éclairs, lorsqu’il entra en action sans aucun délai entre le moment où il les découvrit et celui où il tira. Deux Extraterres 7 s’affalèrent en travers du trou béant élargi par la chaleur des feux de l’arme. Aucun, dans la troupe de Searle, n’avait réalisé la présence des monstres avant que leur officier n’abatte les Aliens.

Un silence se fit aussitôt, en hommage au génie et à la vélocité de leur capitanh. Maeween voulut s’approcher, et dut se frayer un chemin parmi les hommes qui cherchaient à lui éviter la vision sanglante des Draegs avachis. Ces derniers se différenciaient, assez notablement, de ceux qu’elle avait rencontrés aux environs de l’iloth et dans les ruines de Meyäelhown ainsi qu’à proximité de son aqualide. Ceux qui s’exposaient devant ses yeux, à cet instant, paraissaient plus grands, plus développés sans être pour autant moins laids.

L’amazone les observa longuement avant de se reculer, avec un froncement de sourcils. Elle avait eu envie, subitement, de comparer ce qu’elle était ou bien ce qu’était le Dragaãnh, à ces deux-là, afin de s’imprégner de leurs disparités et de leurs similitudes. À demi soulagée, elle réalisa qu’il n’y avait pas de parenté visible, tout du moins à première vue, entre ces êtres et Searle et elle. Avec un gros soupir, elle s’éloigna, traquée par le regard de l’officier qui devinait les appréhensions de l’amazone et ce qui l’avait motivée à s’avancer ainsi, aussi près des Draegs. Plus que lui encore, elle devait se poser d’innombrables questions qui n’auraient de réponses que bien plus tard, s’ils avaient de la chance. Une brève seconde, l’émotivité de Searle afflua, atteignit un point critique. Il se retint d’aller rejoindre son trésor, et de l’emporter loin des autres pour tout lui avouer avant de la serrer dans ses bras et de… Il ferma les yeux, sous le coup d’une émotion envahissante.

Les jours suivants, les Draegs parurent se multiplier ; les Sylvaneeths endurèrent des combats âpres et farouches qui firent trois morts au sein de la troupe. Searle hésitait sur la direction à prendre. L’une des voies traversait un aqualide gelé, à une dizaine de jours de distance, et la seconde, la plus dangereuse, mais la plus directe, passait par la forêt. Deux jours suffiraient s’ils optaient pour cette alternative. Searle fit part de ses réflexions à ses hommes ; la majorité d’entre eux choisit de pénétrer dans la forêt. Ensuite, Searle se retrouverait en territoire connu.

 

Maeween n’avait jamais vu de forêt si dense ni si vertigineuse. En levant la tête vers les fûts gigantesques qui culminaient à des hauteurs inimaginables, elle ne distinguait pas leur extrémité perdue sous la canopée. Des poudreneiges, lui avait précisé le Rörhte entouré de ses prêtres. Des sortes de malissanhs des contrées froides. Leurs mousses d’une blancheur ouatée redessinaient leur univers et le ciel qui s’ennuageait de ces masses intangibles et lointaines. Des vents mugissants ne cessaient de les frapper de leurs bourrasques, tandis que leurs gémissements vrillaient les sens des membres de l’expédition.

Plus d’une fois, Maeween manqua être emportée dans ces couloirs puissants, et s’il n’y avait pas eu, alors, le bras robuste du Dragaãnh, elle l’aurait certainement été. Vers la fin du premier jour, faisant fi de ses considérations, il l’avait d’ailleurs encordée à lui afin de s’assurer qu’elle ne risquerait pas de s’évanouir sous leurs yeux dans les limbes de l’inlandsis. À la suite de quoi, il avait dû lutter contre son attirance pour elle qui revenait en force. Il n’en avait rien laissé paraître néanmoins, et sa morgue désagréable avait désespéré la jeune femme à ses côtés en accentuant leurs différends. Au final, le cordage avait été abandonné.

Le froid qui se faisait plus vif força les hommes à se couvrir de fourrures supplémentaires. Searle, quant à lui, se cantonnait, à son habitude, à la mince épaisseur qu’il portait depuis le début du voyage. Maeween avait tout d’abord copié l’exemple des premiers, mais, en constatant que le Dragaãnh ne se chargeait pas outre mesure, elle se délesta d’une ou deux couches de laine qu’elle fourra discrètement dans son sac, au détour d’un sentier, sans voir l’officier qui l’observait et dont le regard se fendit d’un rire silencieux.

Le jour suivant, une dizaine de Draegs leur coupèrent soudainement la route et les Sylvaneeths ne purent, cette fois encore, esquiver l’embuscade. Il y eut deux autres morts parmi eux et lorsque le hurlement de terreur de son amazone vrilla les tympans de Searle, ce dernier crut que toute lucidité lui échappait tant sa frayeur se portait à son comble et que son courage se délitait en un instantané d’horreur.

Fouillant comme un fou les trouées végétales de la forêt, et réalisant la disparition de l’amazone, il s’était mis à courir tel un démon galvanisé par une fureur qui fit s’écarter ses hommes sur son passage. Quand, rauque et puissant, son cri résonna entre les fûts géants, et que l’appel affaibli de la captive lui répondit, deux des Draegs perdirent la vie en se relevant inconsciemment pour chercher du regard l’être plus démoniaque qu’eux-mêmes qui se déchaînait ainsi. Ils eurent à peine le temps de surprendre la lame effilée d’un saberh se dresser et trancher leur chair, à moins que ce ne fussent des griffes démesurées qui les déchirèrent en couvrant leur torse d’un flot de sang bouillonnant. Ils s’écroulèrent dans une mort brutale et sans appel, et dans un silence lourd d’une démence implacable et féroce.

Il fallut vingt minutes à Searle, pour traquer et rattraper le reste des fuyards. À son paroxysme, sa folie était telle qu’il fonça dans le tas et atteignit deux démons de son arme chimique qui crachait son poison tout autour de lui sans qu’aucun ne vît les traits d’acide dans le magma végétal, tandis qu’il perforait les autres de son saberh d’une poigne fanatique et s’acharnait sur les corps pantelants.

Éteinte et prostrée, Maeween était allongée, à demi renversée sur le côté, petite poupée désarticulée et brisée contre le pied d’un arbre, lorsque le dernier Draeg s’enfuit sans un regard en arrière, conscient d’avoir la mort à ses trousses. Les larmes aux yeux, Searle s’agenouilla et entreprit de remettre en place une épaule déboitée, lissa quelques mèches rousses, puis souleva l’amazone délicatement dans ses bras pour l’emporter vers ce qu’il subsistait de ses hommes. C’est ainsi qu’ils le virent revenir. Rhäjonah aussi pâle qu’un mort, debout devant les autres, à guetter son retour. Avec une prudence fiévreuse, Searle déposa la jeune femme sur le sol et, sans attendre, la dévêtit en partie afin de s’assurer, sous le regard suspicieux du Rörhte, qu’elle n’était pas grièvement blessée. Il n’y avait que cette estafilade sanglante sur sa tempe, provoquée à coup sûr par l’un des Draegs ayant voulu la faire taire et la maîtriser. Aucune autre trace sur son torse, pas de déchirure de sa chair ni d’outrage plus profond. Pour les soldats témoins de l’examen, le soulagement de Searle s’avérait palpable. Le leur n’en était pas moins grand, pour autant ; ils exhalèrent, à leur tour, des murmures de contentement. L’officier avait demandé à l’un de ses compagnons de lui ramener un peu de glace réchauffée et de tissu propre afin de nettoyer la plaie. Il se chargeait lui-même des soins, lorsque Maeween ouvrit des yeux embrumés qui s’attachèrent immédiatement à ceux de l’homme à ses pieds.

– Searle… ?

Désorientée, l’esprit désemparé, elle avait néanmoins récupéré très vite ses repères et avait rassuré l’officier d’une crispation presque sereine au vu des circonstances.

– Est-ce que ça va, Maeween ?

Il en aurait pleuré s’il n’y avait pas eu ses autres compagnons qui les observaient, inquiets tout comme lui.

– Oui, ça va, répondit l’amazone d’une voix frêle.

Searle s’était relevé aussitôt, avait abandonné le tissu humide entre les mains du Rörhte et de l’un de ses semblables, et s’était littéralement enfui de la scène pour dissimuler sa peur rétrospective. Il n’aurait pas supporté qu’elle meure ou disparaisse emportée par les Draegs, leurs semi-frères.

Ralentis par l’attaque des Extraterres, ils n’émergèrent de la forêt qu’une demi-journée plus tard que prévu pour devoir braver un froid d’autant plus sévère qu’il n’était plus tempéré par l’entité-forêt. Les guerriers se couvrirent davantage si tant est que ce fût possible, mais rien ne parvenait réellement à freiner le vent glacial qui s’infiltrait sous leurs vêtements en dépit de leurs précautions.

Le Dragaãnh entraîna son unité dans une enfilade de nouvelles congères, plus hautes et plus incroyables encore que celles qu’ils avaient franchies ces derniers temps ; leur hauteur même amoindrissait très légèrement l’amplitude des températures extrêmement basses. Les pans de glace translucide révélaient, à intervalle, une faune encapsulée dans sa gangue gelée. On aurait pu imaginer toutes sortes de mises en scène théâtrales, pour leurs seuls yeux médusés.

Ce furent d’abord des cristaux épars de glace cramoisie qui annoncèrent le driverlide, à une marche de leur position. En découvrant ces gemmes teintées de pourpre et d’incarnat incrustées dans les parois de glace et les congères, et qui se déployaient au fur et à mesure de leur progression, l’amazone resta sans voix. La beauté angoissante de ces éclats aux nuances de rouge carmin et de leurs déclinaisons emplissait l’espace et leur horizon d’un hâle morbide rappelant les horreurs récentes qu’ils avaient dû affronter. Cependant, la magnificence de ces nuées immanentes ajoutait à l’expérience une aura mystique qui apaisait dans le même temps la jeune femme. À ses côtés, les exclamations des soldats rompaient avec la torpeur résignée qui avait régné, jusque-là, après l’attaque des Draegs.

Maeween s’égayait de cette opalescence diaphane qui réfléchissait de mille facettes son reflet, lors de son passage entre deux surfaces dont les rougeoiements réverbéraient leurs miroitements irisés, telles des créatures qui ne demandaient qu’à émerger de leur gangue. Les hommes s’en distrayaient d’ailleurs autant, portés au rire après la traversée de l’impressionnante forêt qui avait coûté la vie à deux des leurs et manqué causer la disparition de leur amazone.

L’attention détournée par ces hauts pans glacés, ils n’avisèrent pas aussitôt le driverlide en suspension dans les airs ni les statues dressées sur les premiers contreforts, droit devant eux. Ce fut Maeween qui les repéra, mais seulement après Searle et le Rörhte.

– Oh ! s’exclama-t-elle en les apercevant.

Les silhouettes figées, à l’instar de dieux érigés sur leur chemin, semblaient les saluer du haut de leur taille majestueuse. Toutes sculptées dans la glace, leur nombre croissant au fur et à mesure qu’avançaient les soldats, celles-ci les stupéfièrent. En les observant de plus près, Maeween s’interrogea sur ce qui avait motivé, à l’origine, de telles créations.

– Avons-nous franchi la frontière d’une contrée particulière ? questionna-t-elle à l’intention du Rörhte.

Ce fut Searle qui lui répondit.

– Nous venons de pénétrer des territoires interdits aux profanes. À partir d’ici s’étend le pays des Maîtres Draegs, Maeween ; ceux des Origines.

– Comment ?

 

Chapitre 5 : Les demi-dieux

Journal de Maeween Baäelt : Searle Népalhânh n’était plus l’officier que j’avais jusque-là côtoyé. Il n’était d’ailleurs plus lui-même, à ses propres yeux. Quels étaient ces bouleversements intérieurs qui minaient l’intelligence de l’homme et sa perspicacité ?

 

Ils étaient quatre. Quatre à épier les Sylvaneeths progresser le long du sentier glacé. Leur flair, à cent pas, humait la présence de la femelle et du petit Rörht à ses côtés ; humait de même la fragrance caractéristique d’un membre de leur caste. Celui-ci les guidait-il ou bien les leur amenait-il en offrandes pour leurs dieux ? Dans l’ombre des terres gelées, les observateurs dissimulés se retirèrent discrètement. Il était temps de rapporter au Prince et au Haut-Divin, leur découverte.

Sur son trône de glace, Sïigürdjian jaugeait les quatre prêtres venus pour le consulter en même temps que l’informer. Qu’y avait-il dans ces nouvelles qu’on venait de lui relater, d’étrange ou de singulier ? Les présages lui avaient appris ce qu’il devait savoir de son règne, bien avant que l’exode n’ait commencé à causer des pertes irréversibles au sein de leur peuple. Ceux qui étaient demeurés parmi eux ne l’avaient pas fait par choix, mais par la force et les ultimatums. Les barrières de glace s’étaient resserrées pour mieux condamner les voies de passage, et assujettir en leur place les derniers fils du peuple de l’Univers de Thoryns. Lui, Sïigürdjian, prince régnant des Fils des Origines, ne fuirait pas ses responsabilités comme l’avait fait avant lui son frère Aakash ; il maintiendrait son peuple uni, envers et contre tous. Il s’interrogeait, néanmoins, sur les raisons de sa propre réémergence sur le trône, ce matin, alors qu’au-dehors…

Le prince avait la curieuse impression de s’extirper d’un rêve qui l’aurait arrimé au sein d’un univers captif, dont il n’aurait pas eu les clefs jusque-là. Ces derniers temps, il avait le sentiment d’être malmené par des phases de conscience et d’inconscience qui se lèveraient ou s’abaisseraient en fonction de critères intangibles hors de sa portée. Mais puisque les Divins ne paraissaient pas, outre mesure, étonnés de sa présence ou de son absence, c’est que tout allait pour le mieux et que ses craintes et ses ambiguïtés n’avaient aucune substance qui aurait dû l’inquiéter.

Après le départ des prêtres, protecteurs d’Orakthias, Sïigürdian fit les cent pas dans la salle du trône, réfléchissant aux implications possibles d’une telle réapparition. Il ne doutait pas de qui revenait, aujourd’hui, vers lui et vers Orakthias, la plus secrète des cités originelles ; mais ce qu’il se demandait cependant, c’est si ce dernier revenait en allié ? Quant à la Sylvaneeth, il était impatient de la connaître. Le peu de spécimens féminins qui subsistaient à Orakthias était… Bah, elle le découvrirait bien assez tôt.

Le gong sonna, et une armée de serviteurs s’achemina vers l’une des autres imposantes pièces du palais.

 

Searle luttait pour que les souvenirs ressurgissent. De sa fuite d’Orakthias, il éprouvait des difficultés à obtenir une vision claire et précise. La brume qui imprégnait son esprit l’obscurcissait au point qu’il ne parvenait pas à identifier la clef, le symbole qui lui aurait permis de se remémorer du passage jalousement gardé tout au long des années et des cycles de temps8, depuis que des membres de l’ancienne race avaient échoué, ici, sur Sylvainth.

Depuis combien de temps n’était-il pas retourné, jusqu’à ces murs érigés pour durer des millénaires ? Le temps s’était consumé… Son regard coula vers la silhouette féminine, un peu plus loin. Bientôt, il la perdrait. Définitivement. Une angoisse soudaine le frappa au creux du ventre. Mais elle n’avait jamais été pour lui… bien qu’il l’ait cru, et espéré. La personnalité de Maeween s’avérait trop riche, trop belle pour qu’il se l’approprie. Trop de potentialités en elle, trop à donner pour qu’il les lui vole et risque de l’abîmer. Des larmes couleur de sang roulèrent au bord de ses cils. Il les refoula brutalement avant qu’un autre ne les remarque.

Et puis le souvenir se manifesta, comme s’il avait fallu cette tension en lui pour libérer sa mémoire. Le symbole de l’infinie présence se profila dans son esprit. L’emblème des Origines, celui des dieux et demi-dieux, celui de leur lignage et de leur signature. L’infini, non pas aujourd’hui transcendé, mais gaspillé, dissipé, dilapidé au contact des siens dans le limon et la tourbe des aqualides de la cité des « dieux étrangers ». Searle possédait désormais la clef. Ils passeraient.

 

Ils empruntaient depuis des heures, un couloir d’ombres glacées menant vers l’inconnu. Maeween avançait prudemment, s’attendant à chaque pas à tomber entre des mains ennemies. La dernière entreprise des Draegs avait sapé en elle, cette fougue tempétueuse affranchie du contexte et pleine d’une impulsivité instinctuelle qu’elle ne souhaitait pas réitérer. L’évocation de la scène, lors de laquelle elle avait été entraînée sur le sol et ballotée sans précaution, lui laissait un arrière-goût de non-maîtrise et de débâcle personnelle. Son inconséquence et sa désinvolture avaient mis fin à ses illusions, et l’avaient en quelque sorte fait murir plus rapidement.

Depuis toutes ces heures qu’ils progressaient ainsi, un sombre pressentiment l’empiégeait dans ses serres mortelles. Des visions tourmentées submergeaient la jeune femme, comme autant de tisons brûlants plongés dans ses orbites. Là-bas, derrière ces immenses couloirs de glace, se terrait une chose témoignant d’horreurs invisibles qu’elle ne parvenait pas à cerner. Pourtant, la Guénoêlhan les percevait sans réussir à leur donner un nom ou les qualifier d’une façon ou d’une autre. Ces choses étaient réelles, mais elle ne les voyait pas ; pas encore.

De son côté, perdu dans un monde à part, Rhäjonah ne lui était d’aucune utilité ; lorsqu’elle avait voulu l’interroger, il n’avait fait que marmonner des paroles inintelligibles. Quant à Searle, il paraissait s’être replié davantage, si c’était possible, dans son univers personnel où l’amazone n’avait pas d’existence propre. Ce dernier l’avait tant rejetée qu’elle ne se souvenait plus du moment crucial où ils s’étaient éloignés l’un de l’autre, aussi manifestement. Mais il y avait eu si peu, en fait, à partager entre eux ; si peu à regretter qu’elle ne comprenait pas comment elle pouvait concevoir qu’il eut pu y avoir quelque chose de vivant entre elle et lui. Il n’y avait rien eu, rien eu que ce flux invisible qui, un temps, les avait portés.

Sous le flot des réminiscences, Maeween ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, ce fut pour découvrir Searle qui l’épiait derrière le voile de son regard à demi clos. La haïssait-il à ce point ? En cet instant, elle le croyait vraiment. Autour d’eux, il n’y avait que ces hautes parois de glaces que depuis des jours et des jours ils avaient appris à accepter. Et il y avait le froid, le froid perpétuel qui les faisait se recroqueviller en eux-mêmes, chaque heure du jour et de la nuit, même en ce qui la concernait en dépit de la résistance de son corps.

Maeween présageait, pour bientôt, la fin du voyage, et pressentait de grands changements. Plus rien ne serait comme avant. De savoir cela l’intriguait, autant que cela l’effrayait. Car jamais ses visions ne l’avaient abusée ; jamais, l’une d’elles ne s’était révélée fausse. Dans ce futur proche, elle n’était pas certaine que Searle serait à ses côtés ; et ce savoir, en parfaite contradiction avec ses états d’âme à son encontre, l’épouvantait de manière indéfinissable.

Un jour et une nuit advinrent encore. Et puis un cri s’éleva, proféré par l’un des soldats envoyés en éclaireur.

– Une cité ! Une cité !

Les hauts murs apparurent, non plus seulement de glace, mais aussi de roches mêlées. Une porte aux larges vantaux s’ouvrit, lorsque le Dragaãnh eut scellé l’un des symboles-objets qu’il portait sur lui. Maeween observait, en un état second, les gestes de l’officier et l’artefact qu’il manipulait. Un curieux artefact qu’elle ne lui connaissait pas. Un amalgame de huit entrelacés et couchés sur le côté, brisés en un même endroit ; le tout cerné par des paquets d’appendices tentaculaires, dont les ondoiements versatiles figés dans leurs postures amenaient une apparence de vie chaotique. Fascinée, l’amazone rompit le contact visuel. La peur en elle s’immisçait, comme un relent d’une vieille histoire du passé ; de son passé sous-jacent. D’autres portes, plus imposantes, plus impressionnantes. Et puis des hommes, beaucoup d’hommes, des soldats en armes prêts à les accueillir.

Toute seule au milieu de cette marée masculine, Maeween contemplait le palais derrière cette masse de guerriers olympiens. Aucune femme. Quelle étrangeté faisait de Sylvainth, un univers constitué d’hommes pour une majeure partie ? Tout à coup, cela sautait aux yeux de l’amazone. Il paraissait n’y avoir que si peu de femmes, sur Sylvainth ! Comment le Dragaãnh pouvait-il, en toute conscience, les inciter à entrer dans ce gouffre… ce piège… peut-être.

Deux colonnes de guerriers, casqués et solennels, les encadraient désormais. Plus d’une fois, l’un d’eux voulut séparer le Rörhte de la Guénoêlhan, mais ni lui ni elle n’y étaient disposés. Maeween leva le regard, vers la tête de leur corps d’armée.

Déjà Searle n’était plus visible.

Il les avait abandonnés.

L’amazone retint difficilement des larmes perlant au bord de ses paupières. Elle ne devait pas pleurer. Avant tout, elle était guerrière et ne devait pas l’oublier. Non ! Elle ne pleurerait pas.

Un brouhaha, là-bas, devant. Un amas de guerriers qui bouchonnent et piétinent. Et puis le silence. De nouveau, un ordre spontané qui se recrée. Et puis deux hommes, deux puissants guerriers, superbes, qui avancent, et dont la présence presque surnaturelle rompt le cliquetis des armes qui se heurtent, les exclamations diffuses, le fracas des bottes sur le sol, le tumulte joyeux ou inquiet et la cacophonie générale.

Quand Maeween relève la tête qu’elle avait baissée, c’est pour découvrir les deux êtres à la similitude parfaite. L’homme qu’elle a aimé avant même de le rencontrer, il est là sous son regard, mais il n’est plus seul. Son jumeau est à ses côtés, d’une identicité qui lui fait mal. Et quand ils approchent ensemble, et que l’un d’eux avance encore et lui murmure :

– Est-ce bien toi, l’Enfant de la Déesse ?

Maeween sombre au fond d’un puits d’inconscience, et s’effondre.

Chapitre 6 : Un jumeau en cache un autre

Journal de Maeween Baäelt : J’avais supporté les frasques d’un officier prénommé Searle Népalhânh ; mais l’on me présentait un double de son personnage. Est-ce que je succombais à l’une de ces visions qui me hantaient continûment ou bien me torturait-on sciemment pour une raison que j’ignorais ?

 

Quand la jeune femme s’éveilla, elle subodora avoir été transportée dans quelque endroit à son insu. Rien de ce qui l’entourait ne lui était familier. Le vague regard qu’elle promena autour d’elle lui fit prendre conscience qu’elle n’était pas seule. Ses yeux se posèrent sur l’homme à ses côtés.

– Searle ?

– Searle… ? Tu veux sans doute parler d’Aakash ?

Interrogation muette de l’amazone qui ne se risque pas à répondre. Les yeux terriblement gris de l’étranger s’appesantirent sur les siens avant qu’il ne reprenne :

– Je m’appelle Sïigurdjian ; je suis le Prince des Maîtres Draegs de cette cité. Je suis aussi le jumeau de celui que tu nommes Searle. Notre seule différence : la teinte de nos pupilles, comme tu parais le remarquer.

– Oh, par les dieux ! s’exclama la Guénoêlhan. Quelle est cette cité ?

– Il n’y a de dieux que nous-mêmes, récusa le prince froidement. Et cette cité est celle des Origines lorsque nous, les Draegs, sommes arrivés sur Sylvainth.

Interloquée, Maeween retint son souffle.

– Les Draegs… ? Où sont vos femmes ? riposta-t-elle abruptement, en se remémorant ses précédentes réflexions.

– Préservées dans un lieu secret, et à l’abri. Mais cessez de m’interroger, Enfant. Vous êtes en ma cité, et j’ai droit de m’enquérir des intentions qui vous ont menée jusqu’ici.

– Je ne les connais pas. Consultez plutôt le Dragaãnh. C’est son choix qu’il nous a imposé.

– Il sera là, tout à l’heure.

– Où est-il ?

– Avec ses hommes, à organiser leur installation. N’ayez aucune crainte, il va revenir.

La jeune femme soupira.

– Que désirez-vous savoir, Prince ?

Il hésita, puis plongea son regard dans celui de son invitée. Cette dernière frissonna. Ce regard était si identique à celui du Dragaãnh !

– Ce que vous êtes, Maeween ?

Nouveau frisson de celle-ci.

– Comment cela ?

– Vous devez savoir, combien vous êtes différente des autres femel… des autres femmes.

– Pas tant que ça, murmura l’amazone, plus pour elle-même.

– Vous l’êtes pourtant, et je vous connais, Maeween ; j’ai connu votre mère.

Il lui prit la main, du moins sembla-t-il à la Guénoêlhan qu’il en était ainsi. Elle ne comprenait pas ce qu’il lui disait.

– Plus tard, je vous expliquerai, assura-t-il comme s’il avait capté l’écho de ses pensées.

Maeween se rappela les dons télépathes de Searle. Son jumeau devait évidemment en posséder de similaires. Il la dévisagea longuement avant de relâcher sa main, c’est en tout cas la sensation qu’elle en eut d’un contact qui s’éloigne.

Un bruit à l’extrémité de la salle détourna l’attention de l’amazone et de son hôte. Celle-là releva les yeux, et fixa l’arrivant. Ce dernier la mangeait du regard sans pouvoir se contrôler. Il n’aimait pas ce qu’il voyait. Sïigurdjian se tenait beaucoup trop près du divan, sur lequel Maeween était assise.

– Notre installation est achevée, mon frère.

Puis, à l’intention de son amazone.

– T’es-tu remise, Maeween ?

– Je vais mieux, admit celle-ci en fuyant le regard du Dragaãnh, trop effrayée par son intensité.

– Souhaites-tu que je te montre nos quartiers ?

– Volontiers.

Maeween s’efforça de sourire. En dépit de sa répugnance, elle préférait se tenir aux côtés de Searle que de cet étranger.

– Ton amazone n’est-elle pas encore sous le coup d’une émotion bien compréhensible, mon frère ? Elle devrait se délasser, un peu, avant de vaquer à d’autres occupations.

La jeune femme perçut une tension entre les Jumeaux, ténue, mais cependant présente. Elle n’émit aucun commentaire, mais son regard s’appesantit davantage sur l’officier.

– J’attends de Maeween qu’elle soit à mes côtés pour le moment, Sïigurdjian. Sans compter que je dois l’instruire de certaines choses qui ne peuvent être reportées.

Le prince s’inclina.

– Comme il te siéra, Aakash.

Pourtant, la lueur qui brilla un bref instant dans les yeux du prince démentit le ton des paroles et leur sens. Searle trembla intérieurement, s’interrogeant sur le bien-fondé de la décision qu’il avait prise au sujet de son amazone. Mais comment aurait-il eu le cœur à renvoyer la jeune femme dans la caserne des hommes-guerriers ? Elle n’était pas faite pour cette existence-là. Une existence si peu faite, en vérité, pour les représentantes de son sexe, sur Sylvainth. Il ne souffrait plus que Maeween parte en chasse, chaque jour, contre les Draegs dégénérés, et risque sa vie, chaque fois, d’une manière abominable. Non, il ne le supportait plus. La connaissant, il savait parfaitement qu’elle s’érigerait contre cette décision, mais il ne lui donnerait pas le choix. C’est pourquoi il l’avait entraînée si loin au nord, si loin qu’elle n’aurait plus l’occasion de revenir. Si elle le tentait, elle se perdrait au sein du labyrinthe de glaces. Et elle était beaucoup trop sensée pour cela. Bien sûr, il y avait d’autres raisons… Searle devrait le lui annoncer, mais pas maintenant. Il voulait l’avoir auprès de lui avant de repartir. Il lui faudrait également s’informer de la façon dont vivaient les femmes, ici. Il y avait si longtemps pour lui… Il n’en avait encore aperçu aucune.

Avec une fausse nonchalance, Searle étudia son amazone qui se levait gracieusement pour venir à sa rencontre. Le flot de ses cheveux de soie s’éclaira d’un reflet de sang. Ceux-là avaient poussé étonnamment. Fasciné, il la buvait des yeux, impatient soudain de la savoir auprès de lui et loin de l’influence de son jumeau. Insatisfait des alternatives à venir, mais dans l’incapacité d’en retenir une qui soit plus appropriée. Quand la jeune femme fut si proche qu’il put tendre le bras et l’attirer à lui, son cœur se rétracta d’angoisse dans sa poitrine. Qu’y avait-il en lui, qui le força par tous les moyens à la repousser ainsi ? De ses lèvres s’échappa un soupir imperceptible.

– Tu viens, Maeween ?

Elle lui sourit presque timidement, et il ne put que lui rendre ce merveilleux sourire. Derrière leur dos, Sïigurdjian se retint d’intervenir. Il était dans sa cité, et avait tous les droits ; mais il hésitait à les appliquer aux dépens de son frère et de sa maîtresse. Il devinait qu’Aakash avait possédé l’amazone ; une jalousie aiguë fondit sur lui, inexplicablement. Il attendrait son heure, et il interviendrait.

Chapitre 7 : L’Enfant de la Déesse

Journal de Maeween Baäelt : L’on me contraint à l’obéissance, et je ne suis pas suffisamment solide pour leur résister avec efficience, mais cet assujettissement qu’ils escomptent de ma personne ne fera pas long feu. J’allais jouer avec eux, mais à la toute fin, je leur échapperais ainsi que je le dois.

 

Le Dragaãnh entraîna son amazone, dans les ruelles de la cité. Il avait pris sa main aussi naturellement que possible, et lui fit visiter les méandres confinés du centre d’Orakthias. Ils croisèrent les hommes de Searle, ainsi que les guerriers et les habitants de la cité. Ceux-là se différenciaient des hommes-guerriers de l’iloth par des apparences très diversifiées. Des attributs spécifiques des Draegs se reflétaient dans certains de leurs aspects et leur physionomie recelait des distinctions notables, parfois assez extravagantes.

Maeween s’évertuait à ne pas manifester de curiosité ; mais lorsque dans l’une de ces ruelles étroites, un guerrier manqua la heurter en passant près d’elle, elle ne put éviter que ses yeux ne plongent dans le regard de l’autre. Un regard rougeoyant qui l’effraya par l’incandescence qui s’en irradiait. Les traits de l’homme, au contour hexagonal, lui rappelaient la face caractéristique des Draegs entraperçus dans un récent passé, et d’une manière moins évidente la structure osseuse du visage de Searle. Le bras rassurant de celui-ci vint calmer son anxiété subite.

Ils dépassèrent l’individu sans encombre, et Maeween parvint à se tranquilliser. Quand elle se tourna vers son compagnon, le regard étrange qu’il portait sur elle la décontenança ; elle l’esquiva sans pouvoir se contrôler. L’amazone ne savait plus, soudain, si sa présence à ses côtés s’avérait souhaitable ou pas ? La lueur équivoque qu’elle y avait cernée la déstabilisait singulièrement. Ce n’est qu’une fois qu’il eut détourné les yeux, qu’elle recouvra suffisamment de maîtrise d’elle-même. Il ne l’avait pas lâchée pour autant.

– Nous serons bientôt dans le camp provisoire, que nous venons d’installer, Maeween.

– Quelle est cette ville, Searle ? Qui sont tous ces… hommes ?

Searle balaya du regard les environs. La cité faisait remonter, en lui, des souvenirs qu’il aurait préféré ne plus revivre. Il y avait une telle beauté, ici, mais gâchée par une violence latente et si dissimulée qu’il était seul à la deviner, à se la remémorer. Oui, la ville était belle, mais son éclat n’était qu’une façade derrière laquelle le mal s’engouffrait et qui attisait chez lui des centres nerveux spécifiques. Il n’aimait pas être là ni y avoir emmené son amazone, mais c’est ici encore qu’elle serait le mieux protégée de lui et de tant de monstres à son égal. Maeween méritait une seconde vie, et il la lui offrirait. Dût-il la perdre, définitivement ; et il en prenait le chemin le plus direct, ces derniers temps. Il demeurait, en outre, la possibilité des autres rares cités originelles disséminées sur Sylvainth ; l’une d’elles s’avérait proche d’Orakthias. Néanmoins, la présence de son jumeau occulte serait une sécurité supplémentaire pour Maeween. En dépit de son tempérament, celui-là saurait l’épargner sans doute mieux que lui-même. De nombreux mois auparavant, l’amazone lui avait avoué spontanément être née dans le Grand Nord ; du moins le présumait-elle, alors.

Searle s’immisça dans les pensées de la jeune femme, pour voir par son truchement et lui décrire à sa manière tout ce qui les environnait. Sa compagne ne dut pas percevoir le changement, car elle ne fit rien qui put prévenir Searle qu’elle l’avait détecté en elle.

– Cette ville a été créée voici près de trois cents ans, Maeween. À l’époque, elle n’était que le rassemblement des membres d’une race venue pour envahir Sylvainth, y trouver la vie et l’investir. Orakthias est la cité originelle des Draegs ; ma cité comme celle de mon frère et de tous ceux que tu croises aujourd’hui, comme de beaucoup d’autres qui s’en sont enfuis par la suite, tout au long de ces trois cycles-temps. C’est aussi ta cité, du moins je le crois. Je soupçonne que ce sont de ces murs que tu es partie, quand tu n’étais qu’une enfant.

La jeune femme demeura sans voix, à fixer son compagnon dans les yeux sans plus y voir cette lueur effrayante qui s’y dessinait si souvent. Des prémices de souvenirs enfouis parvinrent, quelques secondes, à faire illusion dans sa mémoire défaillante. Ils furent balayés par la logique et la raison.

– Que veux-tu dire, Searle ? Tu ne m’as jamais parlé de ta théorie auparavant, alors pourquoi seulement maintenant ?

– J’ai préféré attendre le moment adéquat, Maeween. Mais… oui. Je crois sincèrement que tes origines sont identiques aux miennes, du moins à quelques distinctions près ; tu dois bien le comprendre, n’est-ce pas ? Et puis, tu me l’as plus ou moins affirmé sur les hauts plateaux.

Maeween réalisa qu’il faisait, notamment, allusion à l’organe singulier, dissimulé en elle comme en lui. Oui, Searle était certainement dans le vrai. Mais tous les Extraterres venaient-ils du même endroit ?

– Pourtant nous sommes si différents des… autres, Searle, argua-t-elle en implorant intérieurement pour qu’il ne la détrompe pas.

– Nous le sommes. Les Draegs que nous pourchassons ne sont que les membres dégénérés d’une race qui s’effondre. Le croisement inexplicable de notre espèce avec celle de Sylvainth, sans doute…

– Mais ces hommes, ici, ne sont pas non plus comme nous ; ils possèdent tellement de similitudes… fortes, avec les… démons.

– Toi et moi, sommes différents, comme le sont un certain nombre d’autres êtres. Mais je ne peux t’en dire plus à ce sujet.

– Pourquoi ?

Il la jaugea, tout en se taisant.

– Pourquoi, Searle ? Tu ne peux me le dire ou tu ne le veux pas ?

– Tu trouveras toi-même la réponse à tes questions, Maeween.

De nouveau, il s’était renfermé. La jeune femme ne pourrait plus rien tirer de lui.