Déviance - Christine Barsi - E-Book

Déviance E-Book

Christine Barsi

0,0

Beschreibung

Un dilemme difficile dans univers peuplé de créatures fantastiques inquiétantes...

Sur la lande des Pennines, la rencontre d’une écrivaine de récits fantasques avec l’un de ces êtres étranges peuplant les antres rocheux des Yorkshire dalls, là où les trolls et les vampires se terrent dans le triangle des Bardens, un site réputé parmi les plus hantés au monde. Leur confrontation entraînera un choix difficile pour la jeune femme, déchirée entre son amour pour ses enfants et leur bien-être, et celui éprouvé pour l’être dangereusement mortel qui la pourchasse. York et ses ruelles tortueuses seront le théâtre de crimes énigmatiques, ainsi que leur terrain de jeu, jusqu’à ce qu’il en décide autrement...
Caitline s’était souvent interrogée sur le type de fonction occupée par son mari, au sein du cabinet de courtage, ainsi que sur ses motivations. Il avait toujours gardé beaucoup de discrétion quant à son travail. Caitline s’étonnait parfois de ce qu’il l’ait épousée, mais ce qui l’intriguait surtout, c’étaient les raisons qui l’avaient poussée, elle, à envisager un tel mariage. La jeune femme était veuve depuis une année quand elle avait rencontré James. À la mort de son père, Peter avait sept ans et pour lui le choc avait été important. Caitline avait pensé que la présence d’un homme à ses côtés aurait été salutaire pour l’enfant.

Ce roman fantasy nous emmène dans un voyage terrifiant au pays des vampires et des trolls !

EXTRAIT

Tout en préparant les sacs de voyage des enfants et d’elle-même, Caitline songeait aux dernières recommandations de James. Il avait été très précis quant à ce qu’il souhaitait comme nouvel habitat : « pas à plus de quatre miles environ du centre de York, et pas de ces zones frontières entre le monde huppé et les bas quartiers. Je compte pouvoir me rendre au bureau en quinze à vingt minutes, Caitline. » Il avait téléphoné un mois plus tôt pour l’informer de ses exigences. Absent pour affaires depuis trois mois, il n’avait appelé que quelques rares fois et la dernière avait été pour revendiquer ce déménagement surprenant. « Mes associés m’octroient une promotion, mais m’enjoignent d’être disponible à cent pour cent de mon temps. »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christine Barsi : Je suis une scientifique et une artiste. J’ai fait des études en biologie et science de la nature et de la vie, cherchant à comprendre ce qui fait s’animer le genre humain. J’ai travaillé quelque temps dans ce domaine, avant de bifurquer vers la technologie informatique et les ressources humaines. J’écris depuis 1998 des romans de science fiction et de fantastique. L’écriture est un art qui me nourrit intellectuellement.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 310

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

Christine Barsi

Déviance

 

À ma première relectrice, ma belle-fille, Aimelle Barsi, qui n’avait encore jamais lu un roman de vampire.

À ma seconde relectrice, Michèle Benayoun, qui m’a accompagnée tout au long de ce récit, depuis le scénario jusqu’au choix de la couverture.

À mon mari, enfin, qui a approfondi pour moi, le monde de l’édition, afin que je puisse me consacrer à la réécriture.

À mes parents, qui chacun à leur manière, et avant même ma toute première année de scolarité, m’ont apporté les fondements d’une éducation livresque qui me permet aujourd’hui d’éditer ce premier manuscrit.

À mes écrivains fétiches qui m’ont inspirée dans ce domaine du fantasque et du merveilleux.

Liste des personnages

Aidana, une femme vampire, italienne.

Caitline Malhon (nom d’auteur : Marinenh), écrivain d’origine écossaise. Veuve remariée à James Malhon.

Gail Jones, le mari de Lorna Jones.

George, un clochard

Glen Shepherd, commissaire en charge de l’enquête sur les morts de York. Enquêteur principal de l’affaire.

Heinfray, un clochard

James Malhon, le mari de Caitline. Anglais.

John Foklhen, le premier mari de Caitline ; architecte américain.

Jordan Jones, enfant de Lorna Jones.

Keizer Winfrard, une voisine du quartier des Malhon.

Lorna Jones, voisine du quartier de Caitline.

Matthew Griffin, l’associé principal du cabinet de courtage dans lequel travaille James Malhon.

Nailen Mackar, une voisine des Malhon.

Peter Foklhen, le fils d’un premier mariage de Caitline.

Platon, le chat de la maison.

Rany, une vieille dame dans la montagne.

Sean Mackrey, un vampire.

Stefan Henry, agent littéraire de Caitline Malhon.

Tim Jones, enfant de Lorna Jones.

Tommy Malhon, le fils cadet des Malhon.

Waldon Weiss, détective privé.

Prologue

Tout en préparant les sacs de voyage des enfants et d’elle-même, Caitline songeait aux dernières recommandations de James. Il avait été très précis quant à ce qu’il souhaitait comme nouvel habitat : « pas à plus de quatre miles environ du centre de York, et pas de ces zones frontières entre le monde huppé et les bas quartiers. Je compte pouvoir me rendre au bureau en quinze à vingt minutes, Caitline. » Il avait téléphoné un mois plus tôt pour l’informer de ses exigences. Absent pour affaires depuis trois mois, il n’avait appelé que quelques rares fois et la dernière avait été pour revendiquer ce déménagement surprenant. « Mes associés m’octroient une promotion, mais m’enjoignent d’être disponible à cent pour cent de mon temps. »

Caitline s’était souvent interrogée sur le type de fonction occupée par son mari, au sein du cabinet de courtage, ainsi que sur ses motivations. Il avait toujours gardé beaucoup de discrétion quant à son travail. Caitline s’étonnait parfois de ce qu’il l’ait épousée, mais ce qui l’intriguait surtout, c’étaient les raisons qui l’avaient poussée, elle, à envisager un tel mariage. La jeune femme était veuve depuis une année quand elle avait rencontré James. À la mort de son père, Peter avait sept ans et pour lui le choc avait été important. Caitline avait pensé que la présence d’un homme à ses côtés aurait été salutaire pour l’enfant.

James était très différent alors. Il avait su dissimuler le côté sordide de son tempérament. Hélas, très vite, il s’était néanmoins, révélé violent et impatient. Avec les années, ses absences s’étaient répétées, en se multipliant ces derniers temps. Caitline n’avait pas cherché à resserrer les liens qui se relâchaient naturellement. Une ou deux fois, elle avait été jusqu’à lui suggérer une séparation à l’amiable, mais son mari s’y était chaque fois refusé sans avancer pour autant de raisonnement logique ou faire preuve de plus de discernement par la suite.

D’une extrême jalousie pour tout ce qui la concernait, il avait embauché un garde du corps chargé de les surveiller, elle et Tommy, leur cadet de six ans. La nouvelle du déménagement apporterait un renouveau peut-être salutaire. James avait promis d’être présent plus souvent ; pourtant, Caitline n’était pas si certaine que ce fut une bonne chose.

Ses pensées dévièrent vers leur cadet qui déboulait dans le salon à la recherche de Platon, leur chat qu’il taquinait à longueur de temps. La jeune femme tourna la tête vers le poste de télévision qui ronronnait en fond. Le commentateur annonçait la série Ivanhoé, créée par Peter Rogers d’après le roman de Walter Scott. La série faisait parler d’elle tout récemment.

Vaguement ennuyée, elle se détourna et lança :

– Peter ! Moins fort !

Le son baissa d’un cran. Caitline soupira. Elle évitait tant que possible ces pertes de temps devant le poste de télévision. Gavage de surinformations à outrance qui menait, selon elle, à un lavage de cerveau programmé par avance. Pour sa part, elle préférait de beaucoup ses soirées passées à construire le canevas de ses manuscrits qu’elle envisageait de faire éditer par la suite. Caitline referma le sac de voyage et jeta un coup d’œil autour d’elle. La pièce, quasi-vide, produisait un drôle d’effet. Demain soir, à la même heure, ils auraient emménagé dans leur nouvelle maison qu’ils loueraient au nord ouest du centre de York. Le son du poste TV s’éleva de nouveau et la voix du commentateur parut enfler démesurément.

– Mman ! Viens voir ça !

Caitline soupira. C’était toujours pareil.

– Quoi, Peter ?

– Il parle de Clifton.

Curieuse, la jeune femme s’approcha.

« … Les meurtres ont eu lieu près du secteur protégé de Clifton Park. Deux morts dans des circonstances encore non déterminées. Il semble cependant, que les victimes, émaciées à outrance, aient perdu une grande quantité de sang… Les lieux sont sous surveillance. Les forces de police quadrillent le secteur à l’heure actuelle, et depuis la veille, un couvre-feu partiel a été instauré… » La voix du commentateur poursuivait sur le même ton journalistique. Caitline tendit l’oreille. À première vue, les évènements se déroulaient à la périphérie de leur nouveau lieu d’habitation.

– C’est vraiment à Clifton ? demanda-t-elle à son aîné.

– Oui, Mman, en tout cas, pas très loin, près de Clifton Park Avenue.

– Si ton père écoute ça… !

– Ne dis pas ça ! Ce n’est pas mon père !

– Peter, ne recommence pas !

– Papa est mort, et ce type n’est pas mon père, c’est tout. N’insiste pas, Mman.

Caitline préféra ne pas relever la contestation plus avant, et après tout, son fils n’avait pas forcément tort.

– Écoute, des meurtres, il y en a partout, Mman. Alors c’est simplement une coïncidence.

– Hum… Sans doute, répliqua Caitline, songeuse. N’en parle pas à ton frère, quand même. Tu sais combien il est sensible.

Peter acquiesça et éteignit le poste.

– On charge la voiture ?

– On y va, Peter. Appelle ton frère.

Chapitre I : Emménagement

Extrait : « J’ai toujours rêvé d’une demeure au milieu de son parc de verdure. J’ai perdu la mienne, un jour… »

Depuis deux jours qu’ils avaient emménagés dans le cottage de Westminster Road, Caitline ne s’était pas arrêtée une seconde. La grande demeure les accueillait enfin au sein d’un environnement agréable avec ses doubles bow-windows et son entrée en retrait sous une voûte de pierre, son toit architecturé et sa bande de pelouse arborée, large de près de trente mètres qui ceignait la maison sur l’entièreté de sa façade.

De l’autre côté de la clôture de métal havane, la rue se profilait, étroite et sombre à cette heure. D’autres maisons dispersées en enfilade jusqu’au « Water End », le pont traversant l’Ouse un peu plus loin, offraient une vue paisible et rurale à qui songeait les observer. L’étranger qui aurait pénétré l’enceinte de la nouvelle maison des Malhon aurait été surpris par la superficie de son parc qui partait de la pelouse, en façade, pour s’évaser de part et d’autre de la bâtisse et s’étendre sur l’arrière en un joli terrain clos peuplé de nombreuses variétés d’arbres et d’arbustes en dormance en ce mois de janvier enneigé.

Le front posé sur le carreau froid du bow-window du salon donnant de ce côté, sur la rue et ses cottages anciens, Caitline contemplait le couchant éclairé de lueurs orangées. Durant le jour, le paysage se couvrait d’une ambiance presque bucolique avec ces maisons toutes plus jolies les unes que les autres avec leurs particularités propres, leurs espaces verts dénudés en cette saison, leurs massifs et, s’imaginait-elle – car elle avait été trop occupée pour les capter réellement –, les éclats de rire des enfants et leurs cavalcades durant ces derniers jours de vacances.

À la nuit tombée, l’atmosphère était très différente. Plus aucun bruit humain à l’exception de quelques exhortations et appels, par intervalles, qui montaient jusqu’à eux, le chuintement des coussinets délicats d’un chat en quête de proies nocturnes, les battements d’ailes d’un oiseau de nuit. Les lumières ajoutaient une note de féerie romantique avec leurs lumignons dressés tels des petits cônes sur les pelouses obscures ou encadrant les escaliers majestueux. Des fenêtres, jaillissait l’aura des éclairages intérieurs amenant la vie dans ce qu’elle se plaisait à baptiser des trous de hobbits sur le versant d’une colline, en puisant dans les souvenirs de sa prime jeunesse dans les Pennines. Elle pourrait insérer quelques lignes à ce sujet dans l’un de ses prochains manuscrits.

Le regard de Caitline s’abaissa sur le large escalier de leur propre demeure, qui s’évasait en descendant sur la pelouse en friche. James apprécierait certainement son choix. Les enfants, quant à eux, avaient immédiatement adopté la maison. D’ailleurs, si celle-ci leur plaisait vraiment dans la durée et si le travail de James se stabilisait et le leur permettait, peut-être qu’ils pourraient songer à en faire l’acquisition et devenir propriétaire ? Ils n’en étaient pas à ce stade, néanmoins. Caitline joua un instant avec cette idée avant de revenir à la réalité. Là-haut, dans sa chambre, Tommy devait déjà dormir après une journée à courir avec ses nouveaux copains. Quant à Peter, il écoutait un quarante-cinq tours de John Lennon. Caitline en percevait les harmoniques en provenance du salon. Il avait tendance à écouter et réécouter sans se lasser ses chanteurs fétiches. Elle aurait presque pu dresser de mémoire la liste des morceaux privilégiés. Ces dernières semaines, Lennon et McCartney remportaient haut la main l’adhésion de son fils aîné. Leur propre chambre, à James et à elle, à l’instar des garçons, se situait à l’étage. Plus haut, dans les combles auxquels on accédait par un étroit escalier de chêne teinté, la jeune femme s’était créé son espace d’artiste. Elle pourrait y écrire à l’abri des indiscrétions et en toute quiétude.

Le choix de la maison n’avait pas été une sinécure. Son agent immobilier lui en avait présenté une bonne vingtaine avant celle-ci et James l’avait pressée, même à distance, pour qu’elle accélère la finalisation du projet locatif. Il y avait eu cette occasion, en toute dernière extrémité, et Caitline, fatiguée de ces visites fastidieuses, avait failli ne pas accepter le rendez-vous. Finalement, c’est Peter qui l’avait encouragée en lui promettant de l’accompagner. Heureusement, car la maison avait emporté leur suffrage à tous les trois. Tommy avait insisté pour venir également ; il s’était pavané dans les pièces en criant qu’elles étaient « cools » et qu’il avait déjà retenu l’une d’elle à l’étage pour en faire sa chambre. Ils s’étaient disputés, Peter et lui, pour le choix définitif et Caitline avait dû s’en mêler, avec toute la diplomatie nécessaire. Elle en riait encore aujourd’hui. Oui, cela avait été une parfaite occasion et la jeune femme n’avait pas hésité un seul instant. Le jour même, elle signait le bail.

James devait revenir d’ici une semaine, lorsque les garçons auraient repris les classes, et il avait souhaité que tout fût prêt à son retour. Le regard de Caitline s’égara dans le feuillage dense du cèdre imposant qui couvrait son horizon sur la gauche, il s’attacha aux branches massives et noueuses qui apportaient de la profondeur au jardin. Une chauve-souris fit claquer ses ailes membraneuses près des carreaux, avant de se perdre dans l’univers de l’arbre majestueux.

Caitline revint à l’instant présent. Demain, elle aurait fort à faire pour parachever leur installation. Le nouveau canapé de cuir serait livré dans la matinée, ainsi que deux fauteuils pour le salon. Tout à son observation, la jeune femme n’avait pas même réalisé que les lanternes aux façades des maisons voisines s’étaient éteintes les unes après les autres, plongeant les lieux dans des ténèbres grandissantes. La nuit s’était emparée de son horizon.

Sensible aux variances de climats, Caitline engrangeait déjà dans son subconscient des images furtives, à la limite de sa compréhension. Son esprit les accaparait à son insu, les dévorait pour les retransmettre ensuite, sous forme de visions singulières qui faisaient de son monde, un univers à la frange des autres. La jeune femme frissonna sans raison et ferma les stores des bow-windows du salon. Aussitôt ce fut un autre univers, plus feutré et plus rassurant, qui l’enveloppa de son aura de paix. Elle respira plus légèrement. L’atmosphère avait eu sur elle, sans qu’elle s’en rende compte, un poids curieux et pesant qui, un instant, l’avait troublée.

Chapitre II : Retour de James Malhon

Extrait : « … Je ferai tout pour mes enfants, par contre mon mari est une erreur que je ne referai pas. »

Peter et Tommy avaient effectivement repris l’école lorsque James revint. Sur le pas de la porte, il embrassa sa femme, puis la suivit, tandis qu’elle lui faisait visiter la maison. Elle épia ses réactions, mais à son habitude, il demeura hermétique et elle en fut pour ses frais.

Une fois retournés dans le salon, James s’enquit de Tommy. Caitline savait qu’il ne parlerait pas de Peter. Entre eux, un mur infranchissable s’était dressé au fur et à mesure de ces six années. S’il n’y avait eu Tommy, la jeune femme aurait très certainement déjà quitté son mari, en amenant Peter avec elle. Seulement Tommy était né dès le début de leur mariage et Caitline n’avait pas voulu créer de bouleversement. Et si James la jaugeait toujours d’un regard appréciateur, après ces années communes, elle avait davantage le sentiment d’être une figurine à ses yeux plutôt qu’un être humain. Sorte de petite poupée dansante dans sa boite à musique. La jolie ballerine en tutu blanc s’exposant aux regards pour le plaisir des yeux et des oreilles, tournant et tournant au sein de son coffret de bois de noyer réalisé par un ébéniste talentueux.

À cet instant, il l’étudiait presque machinalement, du moins, ce fut l’impression qu’il lui donna avant qu’il ne convienne d’une voix qui frisait la condescendance :

– Caitline, tu as fait un bon choix. Cette maison est suffisamment grande pour que nous recevions ainsi que je l’entends. Cependant, le notaire que j’ai contacté pour juger de ta sélection, m’a fait part d’étranges informations sur les environs. As-tu eu connaissance de la sale affaire qui s’étale dans les journaux du matin ?

– Tu sais combien je me moque des nouvelles, James. Qu’as-tu entendu ?

– On parle d’un tueur dans un secteur proche. Hier encore… Un collègue y faisait allusion.

– Ton information date de plus d’une semaine.

– Non. Il y a eu un autre meurtre…

Caitline pâlit. Elle songeait aux enfants.

Heureusement, leur école n’était pas située dans la zone concernée. Elle avait choisi le quartier pour le centre privé, édifié en périphérie. Un bon centre, renommé pour sa discipline et la qualité des cours qui y étaient enseignés. Elle ne nourrissait aucune inquiétude le concernant. Cependant, James ayant fait son effet passa à un autre sujet : son voyage et les difficultés inhérentes qui y étaient rattachées. Comme toujours, il en disait assez pour l’intriguer, mais pas assez pour qu’elle comprenne bien les enjeux de son activité. Elle ressortait de ces conversations avec la même sempiternelle frustration qu’elle détestait. Enfin, les yeux de son mari se plissèrent sur elle qui devina immédiatement ce qui allait s’ensuivre.

– Passons dans la chambre, Caitline.

Mal à l’aise, la jeune femme voulut protester, mais il ne lui en laissa pas l’occasion.

– Suis-moi ! assena-t-il.

Si elle refusait, James pouvait devenir violent. Caitline préférait ne pas se l’aliéner dès son arrivée. Elle ne pouvait décemment se défiler, alors qu’il revenait tout juste de son voyage d’affaires.

Dans la chambre, il la culbuta sur le lit, brusquement, la dévêtit sommairement avant de se jeter sur elle, brutal et sans égard. La jeune femme endura ses attouchements et sa pénétration rapide, puis quand il se fut rassasié de son corps, comme si celui-ci n’était qu’un gadget qu’il lui concédait, il s’en retira et quitta la chambre. Ce ne fut qu’après de longues minutes, repliée sur elle-même, qu’elle parvint à se relever pour prendre une douche et se rhabiller. Quand aurait-elle la force de ne plus lui céder et de divorcer ?

Bientôt la porte de l’entrée claquait en bas, et Caitline soupira. James était parti. Sans doute se rendait-il à son cabinet du centre-ville. Heureusement, les enfants n’avaient pas été là au retour de leur père.

Peter n’aurait pas desserré les lèvres, amenant sur lui la colère de James, tandis que Tommy aurait dû subir l’étreinte revêche de son père. Comme chaque fois, leur garçon aurait tenté de se débattre pour esquiver les retrouvailles. James aurait tempêté et s’en serait finalement pris à elle, en lui reprochant son mode d’éducation. Les évènements de leur existence se déroulaient invariablement sur le même schéma. Immuabilité qui déroutait chaque fois la jeune femme.

Cette dernière profita de sa solitude pour grimper dans les combles par l’étroit escalier de meunier partant du couloir distribuant les chambres de l’étage. Elle se sentait bien dans cet espace clos et relativement isolé du reste de la maison. Un imposant bureau occupait une bonne place dans la vaste pièce aux murs enduits d’une patine à la chaux et au sol recouvert d’une épaisse moquette vert d’eau. Il y avait une fenêtre assez grande et octogonale, très pittoresque dans un tel lieu. Les branches du cèdre centenaire montaient jusqu’ici pour dissimuler la pièce à tout autre regard extérieur que celui du végétal, et Caitline aurait pu se croire suspendue dans le feuillage de l’arbre bienveillant.

La veille, elle avait installé les étagères en bois de chêne sur lesquelles elle avait rangé les livres précieux qui ne la quittaient jamais longtemps. N’écoutant déjà plus que les sons étouffés en provenance du dehors, ceux qui parvenaient à traverser les murs épais, elle positionna sa machine à écrire, une auguste Underwood achetée quelques années auparavant à une vente aux enchères, de manière qu’elle put l’utiliser aussi confortablement que possible si l’inspiration lui venait.

Elle ouvrit un cahier et entreprit de développer le plan détaillé d’un roman qu’elle avait amorcé plusieurs semaines auparavant. Sur son thème favori : le vampirisme. Son sujet de prédilection, bien que l’ésotérisme en général la fascinât tout autant. Les pouvoirs de l’esprit, le surnaturel, la spiritualité ainsi que l’existence d’au-delà fantastique aussi irréel pour la plupart des gens qu’ils lui étaient familiers, n’avaient pour elle que peu de vrais mystères.

Caitline avait le don de faire de ces sujets éculés pour certains, hors des normes pour d’autres, une réalité très probante pour ses lecteurs assidus autant que pour elle-même. « Marinenh », un nom d’auteur qu’elle avait trouvé fluide dès la première prononciation de ses syllabes. Un nom qui la représentait et qu’elle avait aimé dès qu’il lui était apparu à l’esprit, à la suite de ses premières tentatives d’écriture. Une exploration dans son folklore personnel. Il ne signifiait rien, mais pour elle, il avait tout son sens. Un mot inventé qui coulait dans la bouche. Cela lui suffisait. Elle éditait ses livres sous ce nom depuis bien avant la naissance de Tommy, et James ne s’était jamais donné la peine de s’intéresser aux créations de sa femme depuis leur mariage. C’était tout juste s’il avait marqué quelque intérêt sur le sujet lors de leurs premières rencontres. Il est vrai qu’elle-même ne faisait, de son côté, aucun effort pour l’intégrer dans son univers. L’inanité de ses premières tentatives avait-elle été l’un de ces signes qu’elle aurait dû savoir interpréter dès le départ, et qu’elle avait pourtant, repoussé dans l’ombre, aveuglée certainement par l’aplomb et le charisme que James affichait à l’époque ?

Les branches du cèdre venaient frapper par instants la singulière ouverture octogonale et chaque fois, Caitline levait le regard, fascinée par le mouvement majestueux du feuillage qui envahissait la toile de son horizon. Un autre sujet de passion pour l’écrivaine : les grands arbres tutélaires et leur puissance bénéfique. La jeune femme avait l’impression que celui-là communiquait avec elle à sa façon primitive.

Elle songea à sa nouvelle demeure au milieu de son parc boisé. Celle-ci lui plaisait énormément. Son côté vieillot et mystérieux tranchait sur l’atmosphère de leur ancien logis, plus moderne et moins chaleureux.

Ses pensées, un instant retenues à l’intérieur de la maison, s’échappèrent pour glisser vers les terres alentour. Elle devrait trouver un peu de temps pour le défrichage des haies en bordure de la propriété. À certains endroits, les ronces avaient envahi l’espace sur une bonne épaisseur le long des allées.

Elle établit mentalement la liste des outils de jardinage indispensables dont elle devrait faire l’acquisition avant le printemps, et décida qu’il serait nécessaire de faire appel à une entreprise d’élagage pour les plus gros travaux. Les herbes devaient envahir les lieux dès les premières ondées et les premiers rayons de soleil. Caitline sourit, heureuse de ce contretemps de ses pensées volatiles, puis revint à l’essentiel de sa vie.

Le temps s’écoula ensuite, sans plus de repère que la rythmique des barres à caractère, les coulées de lignes sur le papier inséré autour du cylindre de la vieille machine, et le tempo du chariot à chaque retour à la ligne.

En fin de matinée, la jeune femme descendit se préparer un encas dans la cuisine toute neuve. Elle s’éternisa devant la fenêtre donnant sur le parc derrière la maison et admira la fine couche de neige recouvrant les branches des arbres et le sol gelé. Le chat la fit sursauter quand il miaula, se pressa contre sa jambe, puis fila vers le salon. Elle finit par le suivre et remonta dans les combles sans perdre plus de temps.

Ce fut le carillon de l’entrée qui la fit abandonner son travail d’écriture et redescendre sur terre dans l’après-midi. Tommy avait toujours été ponctuel au retour de l’école et elle aimait être là pour lui préparer son goûter, converser avec lui sur le programme de sa journée et le guider dans ses devoirs. Quand Peter rentrait à son tour, elle laissait les garçons ensemble. Ils s’entendaient très bien. Il y avait une grande complicité entre eux.

James revint tard ce soir-là. Tommy dormait déjà et Peter était ressorti pour rejoindre le fils de l’un de leurs nouveaux voisins. Caitline prépara pour James un plateau de jambons crus, de fromages et de pain frais qu’elle emporta dans le salon à son intention. Il examinait l’agencement de ce dernier.

– J’ai à peine mis vingt minutes pour me rendre sur Stonegate, ce matin. Cette maison est très bien située, Caitline. Ni trop proche ni trop éloignée du centre-ville. Tu as fait du bon travail.

Sa femme hocha la tête. Elle augurait de la suite.

– Cependant, le coût du loyer est un peu élevé, tu ne trouves pas ? J’aurais dû moi-même conduire les tractations, mais le temps m’a manqué ces derniers mois.

Elle se contenta d’acquiescer.

– Es-tu certaine d’avoir négocié au plus juste ? La maison nécessiterait un bon ravalement et le jardin est en friche…

– J’aime m’occuper moi-même de l’entretien des arbres. Cependant, j’ai l’intention de me rendre prochainement chez un pépiniériste. Je leur demanderai de nous envoyer un jardinier au printemps.

– Ah ! Très bien ! Où est Peter ?

– Dehors, chez nos nouveaux voisins. Il s’est pris d’amitié avec leur garçon. Il nous rejoindra tout à l’heure.

– Ne lui as-tu pas dit que je serais là ce soir ?

– Nous n’avions pas d’heure précise, James…

Caitline s’efforça de prendre un ton neutre, mais elle devinait déjà la scène à venir.

– Préviens-le que je veux le voir dès qu’il rentre.

– Il sera toujours temps demain, James… Et tu as besoin de repos.

– Je vois…

Son mari se leva brusquement et le plateau tangua sur la petite table. Il lui lança nerveusement :

–… Va te coucher ; je vais l’attendre…

Caitline pria que Peter fût de bonne humeur quand il rentrerait ; dans le cas contraire, la fin de soirée promettait d’être difficile entre lui et leur fils.

Chapitre III : Dans les branches du cèdre

Extrait : « …ma passion pour les hauts cèdres appelait en moi des souvenirs depuis longtemps éteints. La forêt se rapprochait… »

Caitline était furieuse. Cette semaine avait été particulièrement exécrable. Dans un désir certainement inconscient de reprendre sa famille en main, James avait été odieux, imposant sa présence aux enfants d’une manière trop flagrante.

Au retour de classe dans l’après-midi, Peter avait prévenu sa mère de ce qu’il ne serait pas là dans la soirée, et comme elle l’avait présumé, James était parti dans une colère mémorable en l’apprenant, et Tommy avait regagné sa chambre, surexcité et en pleurs.

À présent, Caitline ne parvenait pas à se concentrer sur l’écriture des premiers chapitres. Au-dehors, derrière l’unique fenêtre des combles, les branches du cèdre s’agitaient comme autant de bras démoniaques, tandis qu’un vent violent s’abattait sur la région. En dépit de son chandail de laine, l’humidité de l’air ambiant la faisait frissonner par instants. Elle quitta son poste de travail pour aller scruter, à la fenêtre, l’aggravation du mauvais temps. L’orage menaçait depuis plusieurs jours déjà. Les médias l’annonçaient de manière imminente depuis l’aube. Les pelouses des habitations se couchaient en ondes parallèles sous les assauts du vent, tandis que les arbres des jardins se tordaient de manière alarmante. Les branches du cèdre giflaient la façade de la maison, et le mugissement du vent, d’abord étouffé, se métamorphosait en hurlements stridents. En bas et à l’étage, les volets avaient été fermés, mais ici, il n’y avait pas de protection possible. Caitline ne le regrettait pas ; elle affectionnait particulièrement ce vent et ses assauts, tout comme la pluie cinglante qui s’était mise à tomber dru quelques minutes auparavant.

La nuit, le déchaînement des éléments prenait des proportions dantesques qui les rendaient incomparables. Comme son regard se noyait dans la ramure sombre du cèdre et la fouillait jusque dans ses profondeurs, Caitline sursauta brusquement, sous le coup d’une vision particulièrement choquante. En examinant de plus près l’univers secret du titan végétal, elle s’employa à capter ce qui venait de s’imposer à elle en un flash obscur et menaçant. Sondant plus minutieusement le feuillage, elle s’ingénia à assimiler le schème ténébreux qui l’avait percutée presque mentalement. Prudente, elle s’apprêtait à s’éloigner de l’octogone de verre, quand à la limite de son champ de vision, le visage se matérialisa de nouveau, comme tout à l’heure, au moment où l’éclair avait surgi de l’océan nocturne et qu’une image très nette d’un faciès singulier s’était incrustée en surimpression sur le ciel tourmenté et dans ses propres yeux. Effrayée maintenant, Caitline tenta de rompre le lien vers l’extérieur qui la rivait sur place sans bouger ; une force inconnue la maintenait, ici, comme pour lui commander de regarder encore. Ses yeux la piquaient, tandis que son esprit absorbait contre sa volonté, l’image de l’être qui l’observait. Caitline crut qu’elle s’évanouissait quand le mirage sombra soudain et que ses jambes l’abandonnèrent en la projetant sur la moquette. Elle se retrouva à genoux sur le sol des combles, en pleine confusion.

En se relevant, la jeune femme évita de regarder du côté de la fenêtre et rejoignit un fauteuil près de son bureau. Quand elle ferma les yeux pour retrouver un semblant de tranquillité, elle se surprit à redessiner mentalement et machinalement les traits entraperçus dans une évocation d’enfer. Envahie par les réminiscences, tout son corps se mit à trembler. Tel un enfant tétanisé par la peur, Caitline se recroquevilla dans son fauteuil, ses doigts s’accrochèrent au cuir des accoudoirs pour mieux s’y arrimer, puis elle ne bougea plus.

Il s’écoula de nombreuses minutes avant que son esprit ne se rebelle et qu’elle ne s’efforce d’affronter l’image résiduelle, au fond de son iris. Reproduisant patiemment l’ébauche maladroite des traits cruels, et à la fois beaux, de l’être dont l’émanation l’avait à ce point effrayée, elle lutta de nouveau contre la peur instinctive, s’exhorta à poursuivre la tentative et peu à peu, sa peur s’amenuisa jusqu’à n’être plus qu’un nébuleux relent, aux tréfonds de son esprit. Quand elle se fut accoutumée à sa création mentale, Caitline, désorientée, finit par se relever ; elle recouvrit de sa housse la lourde Underwood, et descendit l’étroit escalier menant à l’étage inférieur. Elle ne savait pas ce qui s’était passé là-haut, mais elle avait intérêt à se reprendre rapidement. Sans doute, l’orage avait-il réveillé des terreurs enfouies, que l’écrivaine, en elle, avait été prompte à déterrer pour invoquer des forces créatrices dont elle n’avait rien su, mais dont elle se nourrirait par la suite afin de poursuivre l’œuvre de fiction. Dans leur chambre, James ronflait paisiblement et ne s’éveilla pas quand elle se glissa dans le lit. Pour une fois, elle était presque réconfortée de se retrouver au côté de son mari. Pourtant, le sommeil tarda à venir et des images d’horreur surprenantes la hantèrent une partie de la nuit.

La tempête dura deux jours et durant ces derniers, Caitline, tout en se traitant de lâche et d’imbécile, ne put se résoudre à retourner dans les combles. Elle s’installa dans le salon et travailla sur ses textes manuscrits, n’ayant pas même le courage d’aller chercher la machine à écrire.

La semaine qui suivit, James repartit en voyage avec ses associés, pour un nombre de jours indéfini, et Caitline respira, se persuadant même de ce que sa posture lors de la tempête, n’avait été que la conclusion logique d’une semaine de tension difficile. Fidèle à son habitude, son mari n’avait pas été très prolixe sur le genre de commerce qu’il devait mener, cette fois encore, avec les associés de la firme. Il ne s’étendait jamais sur les contrats en cours, sur le type d’acheteurs ou de vendeurs avec qui il traitait régulièrement. Elle avait néanmoins rencontré, à diverses reprises, plusieurs d’entre eux par le passé, mais n’avait, ces fois-là, pas été convaincue par leur entreprise, leur langage ou leurs attitudes. Des industriels et des exportateurs, pour la plupart, des négociants également. Des individus à l’antithèse de son propre personnage et des valeurs qu’il incarnait. La jeune femme n’était pas d’un abord austère ou fier, et ne fuyait pas les contacts ; encore fallait-il que ceux-là correspondent à certains critères de conduite avec lesquels elle pouvait se retrouver elle-même. Dans tous les cas, bien que sachant que James les amènerait à la maison par la suite, elle préférait que ce fût le moins souvent possible.

Anticipant le plaisir de se recentrer sur son travail sans avoir à redouter la venue impromptue de son mari, elle repartit dans les combles et travailla d’arrache-pied sur son dernier manuscrit. Ses idées lui venaient plus facilement, le texte coulait de son esprit à ses doigts qui pianotaient sur les touches du clavier à une vitesse surprenante. Saturée de concepts féconds et inhabituels à ce point, l’écrivaine ne pouvait plus cesser d’écrire.

Quelques jours plus tard, Caitline recevait une lettre de son éditeur qui lui apprenait que la trame de son « scénario » lui plaisait et qu’il envisageait de l’éditer, une fois qu’il serait achevé, sous réserve de quelques retouches et restructuration qu’il lui suggérait. Avec celui-ci, cela ferait le troisième roman qu’il publierait pour elle. La jeune femme était radieuse. Sa verve littéraire augmenta encore, et avec elle, le sentiment très fort d’irréalité qui s’emparait d’elle chaque fois qu’un roman en cours de création exigeait tout son temps. Elle s’enfermait dans les combles et s’attelait à l’intrigue de l’histoire qui se dessinait ou se redessinait à la cadence de ses nouvelles idées, n’hésitant pas à en déformer la structure, à la mettre sens dessus dessous pour mieux la remodeler selon ses desiderata ou ses impulsions du moment, introduisant les personnages, leurs lieux de prédilection, ainsi que leurs objectifs et leurs dominances propres.

Caitline ne surgissait des combles que lorsque le timbre de l’entrée la rappelait à l’ordre. Elle descendait alors, détendue et sereine à l’idée de revoir son cadet et de toucher un peu de la réalité du présent en lui préparant son goûter et le dîner du soir. Quand Peter revenait à son tour, ils s’accordaient une balade à trois dans leur nouveau quartier, échangeaient quelques mots ou plaisanteries avec un voisin ou un autre, se poursuivaient parfois en riant, puis rentraient affamés.

Lorsque James fit de nouveau son apparition, Caitline se mit à considérer les combles comme son dernier refuge. Un soir, alors qu’elle avait veillé tard, installée sur le canapé, un calepin et un stylo à la main, accaparée par la somme des corrections que nécessitait le manuscrit, elle s’y endormit sans y prendre garde et au cœur de la nuit se réveilla, surprise de se trouver là. Hésitant à redescendre, elle chercha le plaid tombé à ses pieds, s’en recouvrit et observa les rayons de lune irradiant l’espace obscur des combles. Il y avait quelque chose de beau et de malsain à la fois dans cette obscurité intense, palpitant dans les coins, et cette lumière de lune au centre, bien vivante et orientée sur le canapé sur lequel la jeune femme était couchée. Nuage nébuleux de lumière au sein de la noirceur opaque. Caitline n’osait faire un geste de crainte d’elle ne savait quoi. En tournant légèrement la tête, vers le bureau face à la fenêtre, elle crut discerner une ombre volatile dans un angle sur la droite, mais la sensation disparut si vite qu’elle pensa avoir imaginé la trace ou les contours mouvants. Pourtant, l’impression d’être observée, celle d’une présence proche, était maintenant si forte que Caitline en avait la chair de poule, et pour tout l’or du monde, elle n’aurait mis un pied par terre. Se dissimulant sous le plaid, à l’instar d’une gamine pusillanime, elle espéra que la perception n’avait été qu’une déviation des ombres projetées par la lumière venant de l’octogone de verre.

Elle dut se rendormir, et à l’aube, quand elle émergea des limbes de la nuit, le plaid de nouveau à terre, et que le rappel de son effroi nocturne revint la hanter quelques secondes, elle se mit à sourire en se traitant de froussarde. Et dire qu’elle écrivait des scènes de terreur où vampires et incubes infernaux affrontaient les humains, et qu’elle tombait à son tour dans le panneau ! Quelle petite fille elle faisait ! Pour la troisième fois, Caitline se rendormit, mais cette fois, beaucoup plus paisiblement. Quand elle se leva et descendit préparer le petit déjeuner de Tommy et de Peter, elle réalisa qu’elle avait, au final, merveilleusement dormi.

Chapitre IV : L’éditeur

Extrait : « Je n’aime pas ceux qui prennent les autres de haut. Généralement, il me suffit d’un regard dans leur direction pour qu’ils cessent leur petit manège. Mon éditeur n’était pas de ceux-là. »

La société d’édition était située dans le centre de la ville de York, dans Bootham, près de Saint Leonard’s Place, et plus proche encore de Marygate cernée tout du long par la portion de remparts encore debout. Les galeries d’art et les librairies florissaient dans le coin, au milieu de nombreuses autres petites boutiques et de restaurants de standing. La façade de l’agence éditoriale s’affublait de colonnes, de part et d’autre de son entrée spacieuse, et rappelait diverses facettes de l’histoire du pays. Stefan Henry, son agent, la suivait depuis trois années, l’encourageant à écrire depuis qu’il avait lu son premier manuscrit. D’un naturel traditionaliste, il avait néanmoins des goûts artistiques proches des siens, et s’intéressait, à l’instar de Caitline, à l’étrange et au mystique. La jeune femme souhaitait lui soumettre une nouvelle version du manuscrit en cours d’écriture. Il était important pour elle d’échanger régulièrement avec lui sur le sujet. Ses retours, invariablement perspicaces, lui apportaient une certaine stabilité et la persévérance nécessaire à la production de l’œuvre à venir. Tout juste la quarantaine, l’homme exerçait dans le milieu depuis une dizaine d’années et côtoyait de nombreux écrivains. Cependant, il ne travaillait vraiment qu’avec un petit cercle restreint dont Caitline faisait partie. Son dynamisme et sa créativité plaisaient à la romancière qui trouvait en lui un éditeur suffisamment ouvert à la modernité pour être crédible à ses yeux. Avant lui, elle avait approché certains de ces magnats de l’édition, imbus de leur personne et retranchés dans un conservatisme beaucoup trop strict pour lui permettre de s’épanouir dans son art et d’améliorer son travail d’écriture. Elle avait gâché son temps et son énergie avant de comprendre qu’il lui fallait découvrir l’une de ces perles rares : un éditeur prêt à l’écouter et la conseiller, sans pour autant l’accabler de critiques sévères et improductives. Elle avait sillonné loin hors de son secteur, avant de finalement le trouver sur York. Son récent emménagement dans cette ville allait lui faciliter la vie. Installée dans son office, dans un fauteuil moelleux qui faisait face à celui de l’éditeur, elle regardait par les fenêtres à guillotine et à petits carreaux donnant sur Bootham, les cyclistes et les piétons qui déambulaient dans le brouillard de ce milieu de matinée. En venant ici, elle avait admiré les maisons de caractère, principalement édifiées en brique, et leurs enfilades de fenêtres spacieuses et de porches élégants. Caitline se détourna pour porter son attention sur son agent qui avait reposé les feuillets chargés d’une écriture dense, et s’adressait à elle :

– À votre habitude, vous avez réalisé un beau travail de préparation. Certains détails en témoignent… C’est ce que j’apprécie notamment chez un auteur, sa minutie dans la phase préparatoire. Vous le savez.

Il lui sourit.

– J’ai aussi modifié l’intrigue initiale.

– Oui. Quelque chose vous rebutait dans cette dernière ?

– Pas vraiment. Néanmoins, j’ai trouvé plus pertinent de déconstruire le schéma de base pour cette nouvelle tournure. Cela vous déplaît ?

– Non, au contraire, c’est plutôt astucieux. L’intérêt du lecteur en sera ferré davantage. Et j’aime particulièrement le style et le ton de ce nouveau manuscrit. Ils s’écartent légèrement des précédents. Une volonté derrière ces changements ?

– Je dirais que je me suis laissée emporter par les personnages de l’histoire. Il me semble qu’ils courent devant moi plutôt que l’inverse.

Il sourit de nouveau.

– Je vois. Cependant, n’oubliez pas de rester, malgré tout, maîtresse de cet univers en construction. Faites semblant de vous laisser porter, mais à la fin, désignez votre but et atteignez-le. Vous en gagnerez en cohérence.

– J’en prends note, Stefan.

Très bien. Comment allez-vous faire grandir vos personnages ?