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Dans un monde où tout est compté, pesé, mesuré, où le culte de la performance devient le critère de toute vie, la place de la gratuité se réduit sans cesse. Et donc celle du Dieu de la Bible, qui ne mesure pas, donne sans compter, et dont l'auteur montre bien qu'il se présente sans cesse comme le héraut de la nécessaire gratuité.
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Seitenzahl: 96
Veröffentlichungsjahr: 2020
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Ma réflexion sur la gratuité est en gestation depuis… trente ou quarante ans. Plusieurs personnes m’ont, à divers moments, encouragé à en faire non seulement le sujet d’un billet ou même d’une conférence, mais un livre.
Le sujet me débordant de toutes parts, j’ai eu bien du mal à le réduire, et je ne pense pas avoir fait mieux que poser la première ou la deuxième marche d’un escalier.
Au risque d’oublier tant et tant de ceux qui m’ont aidé à préciser ma pensée, et encouragé au fil du temps, je vais quand même singulariser :
Certains auditoires, tel celui de Carnac, à l’initiative de son curé Dominique Le Quernec.
Des frères et sœurs dominicains, parmi lesquels les sœurs moniales de Chalais, dans le massif de la Chartreuse.
Les amis de toujours ou ceux plus récents, comme j’en rencontre sur les réseaux sociaux, au travers de ma page Facebook, de mon blog
Proveritate
, d’un déjeuner ou d’un dîner où l’on discute à bâtons rompus : n’est-ce pas, parmi beaucoup d’autres, Florian, Bruno ou François ?
LIMINAIRE
LA TRÈS CHÈRE SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION
Le règne du numérique
Des coûts indéfinissables
Temps compté
Le règne de l’apparence
Une prétendue gratuité
Une égalité trompeuse
Le règne de la mort
L’avertissement écologique
L’avertissement économique
Le faux-nez de la société de consommation
Au cœur de cette société, l’illusion technique
L’éviction de Dieu
Un constat à tempérer
LA GRATUITÉ DE DIEU
La gratuité de Dieu dans les récits de création
La liberté reçue en toute gratuité
La liberté perdue, la gratuité oubliée
La gratuité de Dieu au cœur de la Loi
Le livre du Deutéronome aujourd’hui
Don originel
Élection
L’alliance
La fécondité
Faute, châtiment et pardon
LA GRATUITÉ DANS LA VIE DE JÉSUS
Les marques indirectes de la gratuité
La naissance de Jésus
Le baptême de Jésus
Les marques directes de la gratuité
La prière
Les tentations de Jésus
L’appel des disciples
Les guérisons
L’abandon à la Providence
Les repas avec les pécheurs
La multiplication des pains
La mort de Jésus sur la croix
LA GRATUITÉ DANS LES PAROLES DE JÉSUS
Les Béatitudes, ou les « valeurs » humaines inversées
Le dépassement de la loi du talion
La parabole du semeur
La parabole des ouvriers envoyés à la vigne
LA GRÂCE, UN AUTRE NOM DE LA GRATUITÉ CHEZ SAINT PAUL
L’appel de Paul sur le chemin de Damas
Le mystère de la Croix
Le règne de la grâce
UNE ÉTHIQUE DE LA GRATUITÉ
La prière
Le respect
Générosité et partage
Le pardon
TÉMOIGNAGES
Quelques réflexions sur la gratuité
Deux exemples de gratuité « en acte »
La vie d’un homme de parole, saint Dominique
La courte vie d’un saint enfant, Gaspard Clermont
Trois étudiants de grandes écoles françaises sont invités à se rencontrer. À chacun d’eux, la même question est posée : « Combien font deux et deux ? ».
Le premier, issu de l’école Polytechnique, répond sans hésitation : « Quatre », et l’interrogateur se félicite de son jugement sûr et de son caractère décidé ; le deuxième, formé à l’école des Sciences-Politiques de Paris observe : « Tout dépend de la conjoncture ! », et l’interrogateur admire sa pondération ; le troisième, issu des Hautes Études Commerciales, rétorque pour sa part : « C’est pour acheter ou c’est pour vendre ? ».
Cette anecdote est révélatrice d’un univers où se meuvent non seulement ces étudiants dont je fus, mais encore tant et tant d’êtres humains aujourd’hui : cet univers est celui du nombre et, par suite, de la mesure, ou plutôt de la démesure en toutes choses. Le gratuit est absent parce qu’on ne peut lui appliquer la catégorie de la mesure. Pas plus que le zéro, le rien ne le signifie ; comme le faisait d’ailleurs remarquer l’humoriste Raymond Devos, éminent spécialiste de la langue française : « Rien, ce n’est pas rien, multiplié par trois, ça fait trois fois rien, et avec trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose ! ». Voilà au surplus une magnifique démonstration que le langage lui-même est piégé par le nombre... au point qu’il lui devient difficile de dire ou d’exprimer le gratuit.
Dans les deux historiettes que je viens de rapporter à propos de la gratuité, n’est considérée que celle qui concerne ce qu’un ami appelle « l’économie financière ». Mais je n’oublie pas que la gratuité peut s’apprécier à un autre niveau, celui de « l’économie relationnelle », par exemple au travers d’un service rendu.
Si l’on peut s’interroger, dans le premier cas, sur la présence dans notre monde de la gratuité, entendue au sens de « sans retour » et non pas de « non payant », ne semble-t-il pas évident qu’on peut s’en approcher1 dans le second cas : aide à la personne, accueil de migrants, partage de biens… ?
Sans doute, mais il reste que cette place est très difficile, et surtout qu’elle se rétrécit au fur et à mesure que la société se range du côté du chiffre, de la mesure, et se laisse « ronger » par « l’économie financière ».
Nous sommes entrés depuis longtemps dans la société « numérique ». Aujourd’hui les qualités, au même titre que les quantités, s’évaluent, se pèsent, se comparent ; les statistiques et les sondages « mesurent l’opinion » ; les qualités et les vertus ont laissé la place aux « valeurs » ; l’intérêt d’une émission télévisée n’est plus établi e d’après son contenu, mais son « indice d’écoute » ; les personnalités sont jaugées d’après ce que les médias appellent des « baromètres » ; la dignité humaine est fonction du rendement, du salaire, de la valeur ajoutée possible etc. La question « philosophique » la plus courante se formule ainsi : « À quoi ça sert ? » ou bien « qu’est-ce que cela vaut ? »
Ce constat du caractère invasif et nuisible du nombre est fait par beaucoup d’autres que moi, tel Jean-Claude Guillebaud (Sud-Ouest Dimanche, 22/12/2019) :
« À ces falsifications du langage, il faudrait ajouter celle des « nombres », c’est-à-dire des statistiques qui sont aujourd’hui arraisonnées — et instrumentalisées — par l’astuce des communicants. Exemple : dans les parlottes télévisées, il vient toujours un moment où l’on se réfère, avec la solennité qui convient, au Produit Intérieur Brut (PIB). Ce dernier est convoqué à la barre comme une réalité impérieuse et impériale. En général, c’est pour montrer qu’en terme de croissance l’avenir sourit à la France, et tutti quanti. Hélas pour la vérité ! Plus grave encore. On sait maintenant que le PIB n’est pas un indicateur scientifique mais « politique », au sens le plus manipulateur du terme. Voilà qui vient conforter les travaux déjà anciens d’Alain Supiot — titulaire de la chaire de droit social au Collège de France — sur cette forme spécifique de tricherie qu’il appelle la « gouvernance par les nombres ».
Au total, le parler en usage dans la plupart des débats télévisés n’a plus de vraie substance. Les téléspectateurs, confusément, s’en rendent compte. Au lieu de penser, on compte. On se renvoie à la figure des pourcentages, des « moyennes ». Faisant cela les « discuteurs » croient être à la mode. Les malheureux ! C’est le contraire qui se passe. À s’en tenir aux chiffres, on passe à côté de l’essentiel : la vie des gens, leurs humiliations de « gouvernés », leur défiance. »
Voilà des années que cette question de la gratuité, de son origine mais aussi de sa nécessité, ne m’a pas quitté. Et cet intérêt n’a cessé de se renforcer au fil de ma vie dominicaine et de mes études bibliques. Là, très loin « de la gouvernance par les nombres », j’ai rencontré des chiffres très symboliques, 1, 3, 7, 12, 40 ou autres, qui ne mesurent rien, mais contribuent à définir le sens d’un événement. Dieu ne compte pas, ou très mal, et il n’aime pas que l’homme « compte »… sur un autre que lui : cf. le recensement de 2 S 24. En d’autres termes, j’ai rencontré la gratuité de Dieu, dans son être, dans son rapport avec les hommes, et dans le rapport que Dieu souhaite les voir adopter entre eux.
Il me semble donc intéressant d’y regarder de plus près :
Dans un premier temps, je propose de montrer comment la société de consommation dans laquelle nous vivons se fonde de plus en plus largement sur le nombre et la mesure, et sombre parallèlement dans l’illusion et la violence.
Dans un deuxième temps, par contraste et de manière évidemment plus développée, je présenterai quelques aspects du Dieu de la Bible tel qu’il nous est révélé.
Finalement, dans un troisième temps, j’esquisserai une éthique de la gratuité telle que Dieu nous la propose.
1 Faute de pouvoir vraiment y parvenir comme on le verra plus loin.
Le constat sur la société de consommation que je vais proposer dans ce chapitre est très clairement « partiel », « simplificateur » et « à charge » : il vise à amplifier un contraste. Il passe sur les avantages que peut donner le recours aux chiffres dans cette société, et néglige le fait que beaucoup en son sein ont déjà donné sous diverses formes la priorité à la gratuité. Je reviendrai sur cela brièvement en fin de chapitre, en guise de préparation au chapitre suivant consacré au Dieu de la Bible.
Comme son nom même l’indique, la société numérique est fondée sur le chiffre, et elle en tire pour une part sa force : c’est ainsi que le « rêve » platonicien2 d’un monde gouverné par le nombre est devenu réalité. Non sans fruits. De fait, les outils qu’elle offre déjà, et ceux qu’elle promet, nous comblent et nous stimulent, ils facilitent des tâches lourdes ou répétitives, ils mettent en relation… Mais ils ont tellement d’avantages évidents qu’ils contribuent aussi à endormir nos consciences : on oublie par exemple la surexploitation des terres fournissant certains composants de ces outils, comme des petites mains qui les élaborent.
Le développement technique a de très nombreux revers sur lesquels la plupart d’entre nous déposons un voile pudique.
2La République, Livre VII, Les Belles Lettres, Paris, 1933.
Il fut un temps, qui est d’ailleurs curieusement en train de faire son retour, où l’on pratiquait le troc, et donc une forme de mesure « au doigt mouillé ». Certains s’y retrouvaient, d’autres non. L’estimation et la mesure sont venues pour mettre un peu d’ordre là-dedans, sans vraiment y réussir : parce que le profit s’est glissé dans l’affaire. Aux fins d’investissement dira-t-on, ce qui reste à voir…
Le prix devait donc ramener de la mesure, il est de plus en plus souvent l’expression de la démesure : il est sûr qu’il est difficile d’évaluer les qualités d’un joueur de football, ou celles d’un entrepreneur, mais de là à atteindre les salaires que l’on connaît dans d’innombrables cas aujourd’hui, la marge est grande. Peut-on, comme on le fait souvent, assurer qu’il s’agit de la mise en œuvre de l’offre et de la demande ? Pour une part oui, pour une autre part rien d’autre que de la spéculation.
J’ajoute que le prix génère des comparaisons : ce qui n’est pas trop grave lorsqu’il s’agit de barils de lessive, mais ce qui est beaucoup plus gênant lorsqu’il s’agit de personnes. Bien sûr, on dira que la concurrence est stimulante, qu’elle pousse à la recherche ou au dépassement de soi, que son fruit rejaillit sur tous : en oubliant tous ceux qu’elle laisse sur la rive, chez nous comme ailleurs.