Les Malheurs de Sophie - Comtesse de Ségur - E-Book

Les Malheurs de Sophie E-Book

Comtesse de Ségur

0,0

Beschreibung

Extrait : "La bonne, au lieu de tirer et d'arracher, prit ses ciseaux, coupa les cordons, enleva les papiers, et Sophie put prendre la plus jolie poupée qu'elle eût jamais vue. Les joues étaient roses avec de petites fossettes ; les yeux bleus et brillants ; le cou, la poitrine, les bras en cire, charmants et potelés. La toilette était très simple : une robe de percale festonnée, une ceinture bleue, des bas de coton et des brodequins noirs en peau vernie."

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 179

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



EAN : 9782335007237

©Ligaran 2014

ILa poupée de cire

« Ma bonne, ma bonne, dit un jour Sophie en accourant dans sa chambre, venez vite ouvrir une caisse que papa m’a envoyée de Paris ; je crois que c’est une poupée de cire, car il m’en a promis une.

LA BONNE – Où est la caisse ?

SOPHIE – Dans l’antichambre : venez vite, ma bonne, je vous en supplie. »

La bonne posa son ouvrage et suivit Sophie à l’antichambre. Une caisse de bois blanc était posée sur une chaise ; la bonne l’ouvrit. Sophie aperçut la tête blonde et frisée d’une jolie poupée de cire ; elle poussa un cri de joie et voulut saisir la poupée, qui était encore couverte d’un papier d’emballage.

LA BONNE – Prenez garde ! ne tirez pas encore ; vous allez tout casser. La poupée tient par des cordons.

SOPHIE – Cassez-les, arrachez-les ; vite, ma bonne, que j’aie ma poupée. »

La bonne, au lieu de tirer et d’arracher, prit ses ciseaux, coupa les cordons, enleva les papiers, et Sophie put prendre la plus jolie poupée qu’elle eût jamais vue. Les joues étaient roses avec de petites fossettes ; les yeux bleus et brillants ; le cou, la poitrine, les bras en cire, charmants et potelés. La toilette était très simple : une robe de percale festonnée, une ceinture bleue, des bas de coton et des brodequins noirs en peau vernie.

Sophie l’embrassa plus de vingt fois, et, la tenant dans ses bras, elle se mit à sauter et à danser. Son cousin Paul, qui avait cinq ans, et qui était en visite chez Sophie, accourut aux cris de joie qu’elle poussait.

« Paul, regarde quelle jolie poupée m’a envoyée papa ! s’écria Sophie.

PAUL – Donne-la-moi, que je la voie mieux.

SOPHIE – Non, tu la casserais.

PAUL – Je t’assure que j’y prendrai bien garde ; je te la rendrai tout de suite. »

Sophie donna la poupée à son cousin, en lui recommandant encore de prendre bien garde de la faire tomber.

Paul la retourna, la regarda de tous les côtés, puis la remit à Sophie en secouant la tête.

SOPHIE – Pourquoi secoues-tu la tête ?

PAUL – Parce que cette poupée n’est pas solide ; je crains que tu ne la casses.

SOPHIE – Oh ! sois tranquille, je vais la soigner tant, tant que je ne la casserai jamais. Je vais demander à maman d’inviter Camille et Madeleine à déjeuner avec nous, pour leur faire voir ma jolie poupée.

PAUL – Elles te la casseront.

SOPHIE – Non, elles sont trop bonnes pour me faire de la peine en cassant ma pauvre poupée. »

Le lendemain, Sophie peigna et habilla sa poupée, parce que ses amies devaient venir. En l’habillant, elle la trouva pâle. « Peut-être, dit-elle, a-t-elle froid, ses pieds sont glacés. Je vais la mettre un peu au soleil pour que mes amies voient que j’en ai bien soin et que je la tiens bien chaudement. » Sophie alla porter la poupée au soleil sur la fenêtre du salon.

« Que fais-tu à la fenêtre, Sophie ? lui demanda sa maman.

SOPHIE – Je veux réchauffer ma poupée, maman ; elle a très froid.

LA MAMAN – Prends garde, tu vas la faire fondre.

SOPHIE – Oh non ! maman, il n’y a pas de danger : elle est dure comme du bois.

LA MAMAN – Mais la chaleur la rendra molle ; il lui arrivera quelque malheur, je t’en préviens. »

Sophie ne voulut pas croire sa maman, elle mit la poupée étendue de tout son long au soleil, qui était brûlant.

Au même instant elle entendit le bruit d’une voiture : c’étaient ses amies qui arrivaient. Elle courut au-devant d’elles ; Paul les avait attendues sur le perron ; elles entrèrent au salon en courant et parlant toutes à la fois. Malgré leur impatience de voir la poupée, elles commencèrent par dire bonjour à Mme de Réan, maman de Sophie ; elles allèrent ensuite à Sophie, qui tenait sa poupée et la regardait d’un air consterné.

MADELEINE, regardant la poupée. La poupée est aveugle, elle n’a pas d’yeux.

CAMILLE Quel dommage ! comme elle était jolie !

MADELEINE – Mais comment est-elle devenue aveugle ! elle devait avoir des yeux. »

Sophie ne disait rien ; elle regardait la poupée et pleurait.

MADAME DE RÉAN – Je t’avais dit, Sophie, qu’il arriverait un malheur à ta poupée si tu t’obstinais à la mettre au soleil. Heureusement que la figure et les bras n’ont pas eu le temps de fondre. Voyons, ne pleure pas ; je suis très habile médecin, je pourrai peut-être lui rendre ses yeux.

SOPHIE, pleurant. C’est impossible, maman, ils n’y sont plus. »

Mme de Réan prit la poupée en souriant et la secoua un peu ; on entendit comme quelque chose qui roulait dans la tête. « Ce sont les yeux qui font le bruit que tu entends, dit Mme de Réan ; la cire a fondue autour des yeux, et ils sont tombés. Mais je tâcherai de les ravoir. Déshabillez la poupée, mes enfants, pendant que je préparerai mes instruments. »

Aussitôt Paul et les trois petites filles se précipitèrent sur la poupée pour la déshabiller. Sophie ne pleurait plus ; elle attendait avec impatience ce qui allait arriver.

La maman revint, prit ses ciseaux, détacha le corps cousu à la poitrine ; les yeux, qui étaient dans la tête, tombèrent sur ses genoux ; elle les prit avec des pinces, les replaça où ils devaient être, et, pour les empêcher de tomber encore, elle coula dans la tête et sur la place où étaient les yeux, de la cire fondue qu’elle avait apportée dans une petite casserole ; elle attendit quelques instants que la cire fut refroidie, et puis elle recousit le corps à la tête.

Les petites n’avaient pas bougé. Sophie regardait avec crainte toutes ces opérations, elle avait peur que ce ne fût pas bien ; mais, quand elle vit sa poupée raccommodée et aussi jolie qu’auparavant, elle sauta au cou de sa maman et l’embrassa dix fois.

« Merci ma chère maman, disait-elle, merci : une autre fois je vous écouterai, bien sûr. »

On rhabilla bien vite la poupée, on l’assit sur un petit fauteuil et on l’emmena promener en triomphe en chantant :

  Vive maman !
De baisers je la mange.
  Vive maman !
Elle est notre bon ange.

La poupée vécut très longtemps bien soignée, bien aimée ; mais petit à petit elle perdit ses charmes, voici comment.

Un jour, Sophie pensa qu’il était bon de laver les poupées, puisqu’on lavait les enfants ; elle prit de l’eau, une éponge, du savon et se mit à débarbouiller sa poupée ; elle la débarbouilla si bien, qu’elle lui enleva toutes ses couleurs : les joues et les lèvres devinrent pâles comme si elle était malade, et restèrent toujours sans couleur. Sophie pleura, mais la poupée resta pâle.

Un autre jour, Sophie pensa qu’il fallait lui friser les cheveux ; elle lui mit donc des papillotes : elle les passa au fer chaud, pour que les cheveux fussent mieux frisés. Quand elle lui ôta ses papillotes, les cheveux restèrent dedans ; le fer était trop chaud, Sophie avait brûlé les cheveux de sa poupée, qui était chauve. Sophie pleura, mais la poupée resta chauve.

Un autre jour encore, Sophie, qui s’occupait beaucoup de l’éducation de sa poupée, voulut lui apprendre à faire des tours de force. Elle la suspendit par les bras à une ficelle ; la poupée qui ne tenait pas bien, tomba et se cassa un bras. La maman essaya de la raccommoder ; mais comme il manquait des morceaux, il fallut chauffer beaucoup la cire, et le bras resta plus court que l’autre. Sophie pleura, mais le bras resta plus court.

Une autre fois, Sophie songea qu’un bain de pieds serait très utile à sa poupée, puisque les grandes personnes en prenaient. Elle versa de l’eau bouillante dans un petit seau, y plongea les pieds de la poupée, et, quand elle la retira, les pieds s’étaient fondus, et étaient dans le seau. Sophie pleura, mais la poupée resta sans jambes.

Depuis tous ces malheurs, Sophie n’aimait plus sa poupée, qui était devenue affreuse, et dont ses amies se moquaient ; enfin, un dernier jour, Sophie voulut lui apprendre à grimper aux arbres ; elle la fit monter sur une branche, la fit asseoir ; mais la poupée, qui ne tenait pas bien, tomba : sa tête frappa contre des pierres et se cassa en cent morceaux. Sophie ne pleura pas, mais elle invita ses amies à venir enterrer sa poupée.

II L’enterrement

Camille et Madeleine arrivèrent un matin pour l’enterrement de la poupée : elles étaient enchantées ; Sophie et Paul n’étaient pas moins heureux.

SOPHIE – Venez vite, mes amis, nous vous attendons pour faire le cercueil de la poupée.

CAMILLE Mais dans quoi la mettrons-nous ?

SOPHIE – J’ai une vieille boite à joujoux ; ma bonne l’a recouverte de percale rose ; c’est très joli ; venez voir. »

Les petites coururent chez Mme de Réan, où la bonne finissait l’oreiller et le matelas qu’on devait mettre dans la boite ; les enfants admirèrent ce charmant cercueil ; elles y mirent la poupée, et, pour qu’on ne vit pas la tête brisée, les pieds fondus et le bras cassé, elles la recouvrirent avec un petit couvre-pied de taffetas rose.

On plaça la boite sur un brancard que la maman leur avait fait faire. Elles voulaient toutes le porter : c’était pourtant impossible, puisqu’il n’y avait place que pour deux. Après qu’ils se furent un peu poussés, disputés, on décida que Sophie et Paul, les deux plus petits, porteraient le brancard, et que Camille et Madeleine marcheraient l’une derrière, l’autre devant, portant un panier de fleurs et de feuilles qu’on devait jeter sur la tombe.

Quand la procession arriva au petit jardin de Sophie, on posa par terre le brancard avec la boite qui contenait les restes de la malheureuse poupée. Les enfants se mirent à creuser la fosse ; ils y descendirent la boite, jetèrent dessus des fleurs et des feuilles, puis la terre qu’ils avaient retirée ; ils ratissèrent promptement tout autour et y plantèrent deux lilas. Pour terminer la fête, ils coururent au bassin du potager et y remplirent leurs petits arrosoirs pour arroser les lilas ; ce fut l’occasion de nouveaux jeux et de nouveaux rires, parce qu’on s’arrosait les jambes, qu’on se poursuivait et se sauvait en riant et en criant. On n’avait jamais vu un enterrement plus gai. Il est vrai que la morte était une vieille poupée, sans couleur, sans cheveux, sans jambes et sans tête, et que personne ne l’aimait ni ne la regrettait. La journée se termina gaiement ; et, lorsque Camille et Madeleine s’en allèrent, elles demandèrent à Paul et à Sophie de casser une autre poupée pour pouvoir recommencer un enterrement aussi amusant.

III La chaux

La petite Sophie n’était pas obéissante. Sa maman lui avait défendu d’aller seule dans la cour, où les maçons bâtissaient une maison pour les poules, les paons et les pintades. Sophie aimait beaucoup à regarder travailler les maçons ; quand sa maman y allait, elle l’emmenait mais elle lui ordonnait de rester près d’elle. Sophie, qui aurait voulu courir à droite et à gauche, lui demanda un jour :

« Maman, pourquoi ne voulez-vous pas que j’aille voir les maçons sans vous ? Et, quand vous y allez, pourquoi voulez-vous que je reste toujours auprès de vous ?

LA MAMAN – Parce que les maçons lancent des pierres, des briques qui pourraient t’attraper, et puis parce qu’il y a du sable, de la chaux qui pourraient te faire glisser ou te faire mal.

SOPHIE – Oh ! maman, d’abord j’y ferais bien attention, et puis le sable et la chaux ne peuvent pas faire de mal.

LA MAMAN – Tu crois cela, parce que tu es une petite fille ; mais, moi qui suis grande, je sais que la chaux brûle.

SOPHIE – Mais, maman…

LA MAMAN, l’interrompant. Voyons, ne raisonne pas tant et tais-toi. Je sais mieux que toi ce qui peut te faire mal ou non. Je ne veux pas que tu ailles dans la cour sans moi. »

Sophie baissa la tête et ne dit plus rien ; mais elle prit un air maussade et se dit tout bas :

« J’irai tout de même ; cela m’amuse, et j’irai. »

Elle n’attendit pas longtemps l’occasion de désobéir. Une heure après, le jardinier vint chercher Mme de Réan pour choisir des géraniums qu’on apportait à vendre. Sophie resta donc seule : elle regarda de tous côtés si la bonne ou la femme de chambre ne pouvaient la voir, et, se sentant bien seule, elle courut à la porte, l’ouvrit et alla dans la cour ; les maçons travaillaient et ne songeaient pas à Sophie, qui s’amusait à les regarder et à tout voir, tout examiner. Elle se trouva près d’un grand bassin à chaux tout plein, blanc et uni comme de la crème.

« Comme cette chaux est blanche et jolie ! se dit-elle, je ne l’avais jamais si bien vue ; maman ne m’en laisse jamais approcher. Comme c’est uni ! Ce doit être doux et agréable sous les pieds. Je vais traverser tout le bassin en glissant dessus comme sur la glace. »

Et Sophie posa son pied sur la chaux, pensant que c’était solide comme la terre. Mais son pied enfonce ; pour ne pas ; tomber, elle pose l’autre pied, et elle enfonce jusqu’à mi-jambe. Elle crie ; un maçon accourt, l’enlève, la met par terre et lui dit :

« Enlevez vite vos souliers et vos bas, mamzelle ; ils sont déjà tout brûlés ; si vous les gardez, la chaux va vous brûler les jambes. »

Sophie regarde ses jambes : malgré la chaux qui tenait encore, elle voit que, ses souliers et ses bas sont noirs comme s’ils sortaient du feu. Elle crie plus fort et d’autant plus qu’elle commence à sentir les picotements de la chaux, qui lui brûlait les jambes. La bonne n’était pas loin, heureusement ; elle accourt, voit sur-le-champ ce qui est arrivé, arrache les souliers et les bas de Sophie, lui essuie les pieds et les jambes avec son tablier, la prend dans ses bras et l’emporte à la maison. Au moment où Sophie était rapportée dans sa chambre, Mme de Réan rentrait pour payer le marchand de fleurs.

« Qu’y a-t-il donc ? demanda Mme de Réan avec inquiétude. T’es-tu fait mal ? Pourquoi es-tu nu-pieds ? »

Sophie, honteuse, ne répondait pas. La bonne raconta à la maman ce qui était arrivé, et comment Sophie avait manqué d’avoir les jambes brûlées par la chaux.

« Si je ne m’étais pas trouvée tout près de la cour et si je n’étais pas arrivée juste à temps, elle aurait eu les jambes dans le même état que mon tablier. Que madame voie comme il est brûlé par la chaux ; il est plein de trous. »

Mme de Réan vit en effet que le tablier de la bonne était perdu. Se tournant vers Sophie, elle lui dit :

« Mademoiselle, je devrais vous fouetter pour votre désobéissance ; mais le bon Dieu vous a déjà punie par la frayeur que vous avez eue. Vous n’aurez donc d’autre punition que de me donner, pour racheter un tablier neuf à votre bonne, la pièce de cinq francs que vous avez dans votre bourse et que vous gardiez pour vous amuser à la fête du village. »

Sophie eut beau pleurer, demander la grâce pour sa pièce de cinq francs, la maman la lui prit. Sophie se dit, tout en pleurant, qu’une autre fois elle écouterait sa maman, et n’irait plus où elle ne devait pas aller.

IV Les petits poissons

Sophie était étourdie ; elle faisait souvent sans y penser de mauvaises choses.

Voici ce qui lui arriva un jour :

Sa maman avait des petits poissons pas plus longs qu’une épingle et pas plus gros qu’un tuyau de plume de pigeon. Mme de Réan aimait beaucoup ses petits poissons, qui vivaient dans une cuvette pleine d’eau au fond de laquelle il y avait du sable pour qu’ils pussent s’y enfoncer et s’y cacher. Tous les matins Mme de Réan portait du pain à ses petits poissons ; Sophie s’amusait à les regarder pendant qu’ils se jetaient sur les miettes de pain et qu’ils se disputaient pour les avoir.

Un jour son papa lui donna un joli petit couteau en écaille ; Sophie, enchantée de son couteau, s’en servait pour couper son pain, ses pommes, des biscuits, des fleurs, etc.

Un matin, Sophie jouait ; sa bonne lui avait donné du pain, qu’elle avait coupé en petits morceaux, des amandes, qu’elle coupait en tranches, et des feuilles de salade ; elle demanda à sa bonne de l’huile et du vinaigre pour faire la salade.

« Non, répondit la bonne ; je veux bien vous donner du sel, mais pas d’huile ni de vinaigre, qui pourraient tacher votre robe. »

Sophie prit le sel, en mit sur sa salade ; il lui en restait beaucoup.

« Si j’avais quelque chose à saler ? se dit-elle. Je ne veux pas saler du pain ; il me faudrait de la viande ou du poisson… Oh ! la bonne idée ! Je vais saler les petits poissons de maman ; j’en couperai quelques-uns en tranches avec mon couteau, je salerai les autres tout entiers ; que ce sera amusant ! Quel joli plat cela fera ! »

Et voilà Sophie qui ne réfléchit pas que sa maman n’aura plus les jolis petits poissons qu’elle aimait tant, que ces pauvres petits souffriront beaucoup d’être salés vivants ou d’être coupés en tranches. Sophie court dans le salon où étaient les petits poissons ; elle s’approche de la cuvette, les pêche tous, les met dans une assiette de son ménage, retourne à sa petite table, prend quelques-uns de ces pauvres petits poissons, et les étend sur un plat. Mais les poissons, qui ne se sentaient pas à l’aise hors de l’eau, remuaient et sautaient tant qu’ils pouvaient. Pour les faire tenir tranquilles Sophie leur verse du sel sur le dos, sur la tête, sur la queue. En effet, ils restent immobiles : les pauvres petits étaient morts. Quand son assiette fut pleine, elle en prit d’autres et se mit à les couper en tranches. Au premier coup de couteau les malheureux poissons se tordaient en désespérés ; mais ils devenaient bientôt immobiles, parce qu’ils mouraient. Après le second poisson, Sophie s’aperçut qu’elle les tuait en les coupant en morceaux ; elle regarda avec inquiétude les poissons salés ; ne les voyant pas remuer, elle les examina attentivement et vit qu’ils étaient tous morts. Sophie devint rouge comme une cerise.

« Que va dire maman ? se dit-elle. Que vais-je devenir, moi, pauvre malheureuse ! Comment faire pour cacher cela ? »

Elle réfléchit un moment. Son visage s’éclaircit ; elle avait trouvé un moyen excellent pour que sa maman ne s’aperçût de rien.

Elle ramassa bien vite tous les poissons salés et coupés, les remit dans une petite assiette, sortit doucement de sa chambre, et les reporta dans leur cuvette.

« Maman croira, dit-elle, qu’ils se sont battus, qu’ils se sont tous entre-déchirés et tués. Je vais essuyer mes assiettes, mon couteau, et ôter mon sel ; ma bonne n’a pas, heureusement, remarqué que j’avais été chercher les poissons ; elle est occupée de son ouvrage et ne pense pas à moi. » Sophie rentra sans bruit dans sa chambre, se remit à sa petite table et continua de jouer avec son ménage. Au bout de quelque temps elle se leva, prit un livre et se mit à regarder les images. Mais elle était inquiète ; elle ne faisait pas attention aux images, elle croyait toujours entendre arriver sa maman.

Tout d’un coup, Sophie tressaille, rougit ; elle entend la voix de Mme de Réan, qui appelait les domestiques ; elle l’entend parler haut comme si elle grondait ; les domestiques vont et viennent Sophie tremble que sa maman n’appelle sa bonne, ne l’appelle elle-même ; mais tout se calme, elle n’entend plus rien.

La bonne, qui avait aussi entendu du bruit et qui était curieuse, quitte son ouvrage et sort.

« Comme c’est heureux, dit-elle à Sophie, que nous ayons été toutes deux dans notre chambre sans en sortir ! Figurez-vous que votre maman vient d’aller voir ses poissons ; elle les a trouvés tous morts, les uns entiers, les autres coupés en morceaux. Elle a fait venir tous les domestiques pour leur demander quel était le méchant qui avait fait mourir ces pauvres petites bêtes ; personne n’a pu ou n’a voulu rien dire. Je viens de la rencontrer ; elle m’a demandé si vous aviez été dans le salon ; j’ai heureusement pu lui répondre que vous n’aviez pas bougé d’ici, que vous vous étiez amusée à faire la dînette dans votre petit ménage. « C’est singulier, dit-elle, que c’est Sophie qui a fait ce beau coup. – Oh ! madame, lui ai-je répondu, Sophie n’est pas capable d’avoir fait une chose si méchante. – Tant mieux, dit votre maman, car je l’aurais sévèrement punie. C’est heureux pour elle que vous ne l’ayez pas quittée et que vous m’assuriez ne qu’elle ne peut pas avoir fait mourir mes pauvres poissons. – Oh ! quant à cela, madame, j’en suis bien certaine », ai-je répondu.