Mes souvenirs sur Napoléon - Jean-Antoine Chaptal - E-Book

Mes souvenirs sur Napoléon E-Book

Jean-Antoine Chaptal

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Beschreibung

Jean-Antoine Chaptal fut Ministre de l’Intérieur et Conseiller d’État sous Napoléon. Ses mémoires ( Mes souvenirs sur Napoléon) publiées en 1893, demeurent une source indispensable pour l’étude de la politique de l’Empereur. Sa proximité avec Napoléon Bonaparte, aux moments clés de sa vie, fait de lui un témoin privilégié de l’histoire de France. Ses souvenirs ici rassemblés vous permettront de découvrir les facettes les plus intimes de cette icône française. En effet, au milieu de tant de révolutions et de changements politiques, il a pu admirer de près le génie de Napoléon Ier dont les conceptions laisseront toujours à l’esprit une impression de grandeur, et il a noté avec soin les qualités et les défauts de son caractère qui s’est modifié avec l’âge et avec l’exercice du pouvoir. De sa naissance en Corse à ses opinions personnelles sur la France à la fin de sa vie, Chaptal nous propose ici de pénétrer dans l’intimité de l’un des plus grands hommes politiques français. 2021 est l’année du bicentenaire de la mort de l’Empereur, une raison de plus pour découvrir ce personnage fascinant.

SOMMAIRE : 
Avant-propos 
PARTIE I. LA JEUNESSE DE BONAPARTE 
Enfance et éducation de Bonaparte.
Les débuts de Bonaparte. 
PARTIE II. LES IDÉES ET LES JUGEMENTS DE BONAPARTE 
Comment Bonaparte est-il parvenu au gouvernement de la France ?
Quels sont les principes de gouvernement qu’a suivis Bonaparte pendant le consulat.
Opinion de Napoléon Bonaparte sur le commerce, l’industrie et les arts. 
Opinion de Napoléon sur l’armée, et quelques principes sur la guerre.
Opinion de Napoléon sur la Révolution. 
PARTIE III. LE CARACTÈRE INTIME DE BONAPARTE 
Bonaparte dans son intérieur.
Mes voyages avec Bonaparte. 
De la police de Bonaparte.

EXTRAIT : «  L’impartiale postérité ne verra pas sans étonnement un jeune homme sans fortune et sans protection, issu d’une famille plébéienne, sortir de la petite ville d’Ajaccio, s’asseoir sur un des premiers trônes du monde, obtenir la main d’une archiduchesse d’Autriche, se faire couronner par le Pontife de Rome, soumettre à sa domination presque toutes les puissances de l’Europe, donner des lois à Moscou et au Caire en Égypte, et établir successivement ses frères sur les trônes d’Espagne, de Naples, de Hollande et de Westphalie. 
Ces événements, quelque extraordinaires qu’ils paraissent, la frapperont peut-être moins encore que la chute de ce colosse, abattu en quelques jours, en 1814, puis relevé, comme par miracle, en 1815, et précipité pour toujours, trois mois après, par les forces réunies des puissances qu’il avait tenues jusque-là sous sa domination. »

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Mes souvenirs sur Napoléon

Jean-Antoine Chaptal

Alicia Editions

Table des matières

AVANT-PROPOS

I. LA JEUNESSE DE BONAPARTE

ENFANCE ET ÉDUCATION DE BONAPARTE.

LES DÉBUTS DE BONAPARTE.

II. LES IDÉES ET LES JUGEMENTS DE BONAPARTE

COMMENT BONAPARTE EST-IL PARVENU AU GOUVERNEMENT DE LA FRANCE ?

QUELS SONT LES PRINCIPES DE GOUVERNEMENT QU’A SUIVIS BONAPARTE PENDANT LE CONSULAT.

OPINION DE NAPOLÉON BONAPARTE SUR LE COMMERCE, L’INDUSTRIE ET LES ARTS.

OPINION DE NAPOLÉON SUR L’ARMÉE, ET QUELQUES PRINCIPES SUR LA GUERRE.

OPINION DE NAPOLÉON SUR LA RÉVOLUTION.

III. LE CARACTÈRE INTIME DE BONAPARTE

BONAPARTE DANS SON INTÉRIEUR.

MES VOYAGES AVEC BONAPARTE.

DE LA POLICE DE BONAPARTE.

AVANT-PROPOS

L’impartiale postérité ne verra pas sans étonnement un jeune homme sans fortune et sans protection, issu d’une famille plébéienne, sortir de la petite ville d’Ajaccio, s’asseoir sur un des premiers trônes du monde, obtenir la main d’une archiduchesse d’Autriche, se faire couronner par le Pontife de Rome, soumettre à sa domination presque toutes les puissances de l’Europe, donner des lois à Moscou et au Caire en Égypte, et établir successivement ses frères sur les trônes d’Espagne, de Naples, de Hollande et de Westphalie.

Ces événements, quelque extraordinaires qu’ils paraissent, la frapperont peut-être moins encore que la chute de ce colosse, abattu en quelques jours, en 1814, puis relevé, comme par miracle, en 1815, et précipité pour toujours, trois mois après, par les forces réunies des puissances qu’il avait tenues jusque-là sous sa domination.

Sans doute ces effroyables catastrophes paraîtraient moins étonnantes, si elles étaient survenues dans des siècles de barbarie ou au milieu de nations sauvages ; mais c’est dans la partie du monde la plus civilisée, dans des pays où l’art de la guerre est le plus perfectionné, que ces événements se sont passés. Et l’histoire les transmettra aux siècles à venir comme une de ces révolutions, heureusement très rares, qui, à diverses époques, ont bouleversé tout le globe.

On se demandera alors avec empressement quel était donc cet homme qui, pendant vingt ans, a occupé toutes les bouches de la renommée ; on recherchera avec avidité jusqu’aux plus petits détails de sa vie domestique. On voudra savoir par quels moyens il est parvenu à la domination universelle et quelles sont les causes principales de sa chute.

Mais si on consulte le petit nombre des écrits qui passeront à la postérité et qui pourront lui transmettre quelques renseignements, on ne trouvera, d’un côté, que la plus dégoûtante apologie des qualités et des vertus du héros, de l’autre, la peinture la plus hideuse de ses vices et de son ambition. Les uns le représentent comme un dieu tutélaire, revêtu de toutes les qualités, de toutes les vertus et de tous les talents, ne pensant, n’agissant, ne respirant que pour le bien de l’humanité ; les autres ne lui accordent ni talent ni moyens. Ses succès sont, à leur avis, l’effet du hasard ; son élévation, le résultat de l’audace et de la perversité. Tous le jugent avec passion, et la postérité ne pourrait point se former une idée exacte de cet homme extraordinaire, d’après les écrits qui ont été publiés jusqu’à ce jour.

Comme j’ai été attaché à d’importantes fonctions publiques pendant le règne de Napoléon et que j’ai eu avec lui des rapports assez intimes durant ces seize années, j’ai pu l’étudier et l’apprécier. Je l’ai pu avec d’autant plus de succès que j’ai constamment joué, auprès de lui, le rôle d’un observateur impassible. Je crois ne m’être jamais fait illusion ni sur ses défauts ni sur ses qualités. Et, aujourd’hui qu’il est mort pour ses contemporains1, je pourrais montrer des notes rédigées au sortir de sa société, dans lesquelles j’exprime littéralement l’opinion que j’émets dans le cours de cet ouvrage. J’ai suivi progressivement la marche de Napoléon depuis les premiers jours de son consulat jusqu’à sa chute. J’ai vu par quels moyens et à la faveur de quelles circonstances il s’est élevé du rang de citoyen à celui de prince, par quels principes il est parvenu à subjuguer sa nation et à dominer l’Europe, par quelles fautes il s’est précipité lui-même de son trône. J’ai cru que le tableau fidèle de ses qualités et de ses défauts pourrait présenter quelque intérêt aux peuples et aux rois, et je l’ai tracé, non dans l’intention de le rendre public, mais pour ne pas laisser échapper de ma mémoire une foule de faits qui, seuls, peuvent faire connaître un des hommes les plus extraordinaires qui aient encore paru.

1Ces lignes étaient écrites en 1817.

Partie I

LA JEUNESSE DE BONAPARTE

ENFANCE ET ÉDUCATION DE BONAPARTE.

Napoléon Buonaparte naquit à Ajaccio le 15 août 1769. (Je l’appellerai Bonaparte, parce que, dans la campagne d’Italie, où il se couvrit de gloire, il supprima l’u de son nom, pour ne plus paraître d’origine étrangère.)

Il était le second d’une famille qui a compté quatre garçons et trois filles, et qui n’avait ni fortune ni illustration. Dès qu’il fut arrivé à la suprême puissance, il ne manqua pas de généalogistes dont un le faisait descendre des empereurs de Trébizonde. Lorsqu’on lui présenta cette généalogie, Bonaparte répondit  :« C’est celle de tous les Corses, mais la mienne est toute française ; elle date du 18 brumaire. »

Je ne lui ai jamais entendu parler ni de sa noblesse ni de ses aïeux.

Sa mère, Lætitia Fesch, a été une très belle femme, et c’est à ses liaisons avec M. de Marbeuf, gouverneur de l’île, que le jeune Napoléon a dû de pouvoir entrer dans la carrière militaire et d’obtenir une place gratuite à l’école royale de Brienne.

Le jeune Napoléon annonça de bonne heure un goût particulier pour les études abstraites. Sa mère m’a dit souvent que son fils Napoléon n’avait jamais partagé les amusements des enfants de son âge, qu’il les évitait avec soin, et que, très jeune encore, il s’était fait donner une petite chambre au troisième étage de la maison, dans laquelle il restait renfermé seul et ne descendait même pas très souvent pour manger avec sa famille. Là, il lisait constamment, surtout des livres d’histoire.

Lorsqu’il lui arrivait quelquefois de se trouver dans la société, ou bien il ne prenait aucune part à la conversation, ou il frondait l’opinion dominante avec humeur. Un jour que M. de Marbeuf parlait des moyens qu’il allait employer pour pacifier la Corse : « Bah ! » répondit brusquement Napoléon, alors âgé de dix à douze ans, « dix jours de règne d’un pacha feraient plus pour pacifier la Corse que dix ans de votre gouvernement », et il remonta dans sa chambre.

Les études à l’école de Brienne avaient tellement altéré sa santé que sa mère, qui en fut instruite, fit le voyage pour l’en retirer. Elle consulta d’abord les professeurs pour savoir si son fils pouvait continuer son instruction sans compromettre sa santé. Tous l’assurèrent que, quoique prodigieusement maigri, il se portait bien ; mais le professeur de mathématiques observa qu’elle devait le retirer, parce qu’il perdait son temps depuis six mois. Comme sa mère paraissait attristée du propos, le professeur ajouta de suite : « Je dis qu’il perd son temps, parce qu’aucun de nous n’a plus rien à lui enseigner qu’il ne sache. »

Je tiens ces faits de madame sa mère. La famille de M. de Brienne l’avait distingué à l’école, le recevait au château et lui permettait de disposer de ses chevaux pour se promener dans le voisinage. Bonaparte en parlait souvent avec l’expression de la plus vive reconnaissance, ainsi que des bontés qu’avait eues pour lui M. de Marbeuf en Corse. Pendant son règne, il a recherché avec empressement tous les membres de ces deux familles et les a comblés de déférence et de bon accueil.

Lorsque la Révolution éclata, Napoléon avait alors vingt ans. À cet âge, un jeune homme, nourri de l’histoire des peuples et des révolutions des empires, ouvre aisément son âme aux espérances qu’on lui donne et à tout le bien qu’on lui promet. Il compte pour rien les institutions qui ont subi l’épreuve du temps, et les habitudes sociales qui forment le caractère et la loi des peuples. Bonaparte entra donc avec ardeur dans la carrière de la Révolution, et il y porta cet esprit inquiet, frondeur et absolu qu’il avait manifesté jusque-là.

À l’école d’application de Valence, où il continuait ses études comme officier d’artillerie, il se fit bientôt distinguer par ses principes démocratiques et par la profondeur de ses connaissances dans son art, surtout par les vues nouvelles qu’il émettait et les changements qu’il proposait. Tous les officiers supérieurs le signalaient déjà comme un homme qui parviendrait à la première place du corps et surpasserait tout ce que l’arme de l’artillerie avait eu de plus célèbre. M. de Montalivet, qui l’avait beaucoup connu à Valence, m’a rapporté plusieurs fois ces faits.

L’application à ses devoirs et ses études sur son art ne l’empêchaient pas de s’occuper de politique, et, là-dessus comme sur tout le reste, il était absolu dans ses opinions. Un jour, il se trouva à dîner, à la campagne, avec plusieurs de ses camarades ; une question s’engagea entre eux sur les pouvoirs d’une représentation nationale, et une discussion très vive eut lieu à ce sujet entre lui et le capitaine de sa compagnie. Bonaparte partit à pied pour s’en retourner à Valence. Un orage qui survint l’obligea à se mettre à l’abri sous un arbre. Son capitaine passa, un moment après, dans son cabriolet, seul, et fit semblant de ne pas le reconnaître. Napoléon, parvenu au faîte du pouvoir, ne lui a jamais pardonné ce manque de courtoisie, et lorsque MM. de Montalivet, de Pommereul et autres, lui ont demandé de l’avancement pour cet officier, il s’y est constamment refusé en leur disant que c’était un mauvais cœur. Cette conduite a dû paraître d’autant plus étonnante à ceux qui en ignoraient les motifs, qu’il a recherché et placé avantageusement tous ceux qu’il avait connus à cette époque, tels que MM. de Montalivet, de Pommereul, des Mazis, etc.

Je donnerai ici un exemple assez remarquable du degré de reconnaissance qu’il avait conservé pour les instituteurs de sa jeunesse. Je lui présentai un jour une liste de candidats pour remplir les quatre places d’inspecteurs généraux des études qu’il venait de créer. Le premier que je lui proposai était le vénérable dom Despaux, Bénédictin, âgé de quatre-vingts ans, et qui, après avoir été supérieur du collège de Sorèze pendant quarante ans, était réduit, pour vivre, à donner des leçons dans Paris. Le premier Consul le nomma sans hésiter, et après en avoir choisi deux autres sur ma liste, me dit qu’il réservait la quatrième place pour M. Domairon, l’un de ses anciens instituteurs à Brienne.

Ce M. Domairon, connu par quelques ouvrages classiques, avait disparu dans les orages de la Révolution, et je ne savais où le trouver. Je témoignai mon embarras au premier Consul, qui me dit d’écrire au gouverneur des Invalides pour avoir des renseignements. Celui-ci me répondit que Domairon avait quitté l’hôtel depuis cinq ans, et qu’on ne savait pas ce qu’il était devenu. Me voilà à sa recherche pendant huit mois. J’écris aux libraires qui vendaient ses ouvrages, je consulte les moines de son Ordre qui l’avaient connu ; tous ignorent ce qu’il a pu devenir. Je propose au premier Consul de le remplacer ; il s’obstine à lui conserver sa place, en m’assurant que je parviendrais à le découvrir.

Enfin, après huit mois de vaines recherches, le premier Consul étant allé visiter la Normandie, où je l’accompagnai, nous nous arrêtâmes deux jours à Dieppe. Un maître de pension vint me présenter ses élèves, et après les compliments d’usage, je lui demandai son nom : il me répondit qu’il s’appelait Domairon. Je m’assurai par des questions que c’était bien là le vrai Domairon. Je lui appris ce que le premier Consul avait fait pour lui, et je le conduisis de suite chez Bonaparte pour le remercier. Le premier Consul l’accueillit à merveille, lui parla beaucoup de Brienne, lui dit de traiter de son institution et de venir à Paris. Comme M. Domairon m’observa qu’il n’avait aucune fortune et qu’il avait contracté quelques dettes pour s’établir à Dieppe, je lui payai les huit mille francs échus de son traitement depuis sa nomination.

Cet accueil fait par le premier Consul à l’un de ses anciens maîtres à Brienne ne me laissa aucun doute sur celui qui était réservé à M. Lebreton, ancien recteur de l’école de Brienne, et dans le moment directeur de celle des arts et métiers à Compiègne. Nous y arrivâmes le lendemain. En descendant de voiture, nous trouvâmes M. Lebreton à la porte du palais, et ses élèves disposés sur trois rangs dans toute la longueur de la cour. Le premier Consul écouta avec une impatience marquée la harangue du directeur, traversa, sans s’arrêter, la cour et monta dans son appartement, où je le suivis : « Je ne veux pas que Lebreton reste ici, dit-il brusquement. — Je n’ai qu’à me louer de son administration, lui répondis-je ; il me serait difficile de le remplacer par un homme plus zélé, plus probe, plus économe et plus ferme. — Tout cela peut être vrai, répliqua le premier Consul, mais je ne veux pas qu’il reste ; il est trop dur. » Je lui proposai alors de le nommer proviseur du lycée à Reims. « Oui, dit-il, il sera mieux là. »

Lebreton s’était aperçu du froid accueil que lui avait fait le premier Consul. Je lui racontai ce qu’il avait fait pour Domairon. Je l’invitai à sonder sa conscience, pour savoir le vrai motif de cette défaveur. Après quelques moments d’hésitation, il me confia que, dans son Ordre, il passait pour un homme sévère, que sa haute taille et sa figure rébarbative en imposaient à la jeunesse, et que ses supérieurs le choisissaient constamment pour aller rétablir l’ordre dans leurs collèges. « C’est à ce dessein, me dit-il, que je fus envoyé à Brienne. J’y trouvai l’insubordination la plus complète, le désordre le plus scandaleux. Mais trois jours suffirent pour faire tout rentrer dans le devoir. Deux ou trois de ces jeunes gens crurent se venger par des chansons et poussèrent l’audace jusqu’à venir les chanter sous mes fenêtres, à neuf heures du soir. Je pris patience pendant deux jours ; mais, le troisième, je me tapis derrière ma porte, que je laissai entr’ouverte, et, au moment où ils ouvraient la bouche, je m’élançai sur eux, j’en pris un au collet ; c’était le petit Corse. Il fut trois jours aux arrêts. Indè ira », ajouta-t-il gravement.

Quelques jours après, ayant eu occasion de parler au premier Consul de la conduite de Lebreton à Reims, il me donna tous les détails de la scène qui s’était passée à Brienne, mais sans me nommer les auteurs.

Je placerai ici une anecdote qui concerne M. de Montalivet et qui servira à faire connaître le premier Consul. Sous mon ministère, la préfecture de la Manche étant venue à vaquer, Bonaparte profita de cette circonstance pour attacher M. de Montalivet aux fonctions publiques et m’ordonna de lui écrire de sa part pour lui offrir cette préfecture. Montalivet se rendit bientôt à Paris, et je le conduisis à Malmaison, chez le premier Consul, où il passa toute la journée. Bonaparte l’accabla de questions relatives à leur séjour à Valence, à ce qu’ils y avaient fait et aux personnes qu’ils y avaient connues. Les événements les moins importants étaient dans sa mémoire ; il se rappelait tous les noms ; il ne se trompa jamais sur le parti qu’avaient dû prendre, dans la Révolution, les nombreux individus de sa connaissance : il jugeait leur caractère, leurs opinions, leurs talents avec une telle vérité que Montalivet en était étonné. Enfin, il lui demanda avec intérêt des nouvelles d’une limonadière chez laquelle ils allaient souvent prendre du café. Sur la réponse que lui fit Montalivet que cette femme vivait encore, il lui dit : « Je crains bien de n’avoir pas payé exactement toutes les tasses de café que j’ai prises chez elle ; voilà cinquante louis que vous lui ferez passer de ma part. »

LES DÉBUTS DE BONAPARTE.

En sortant de l’école de Valence, Napoléon fut placé dans une compagnie d’artillerie qui était à Nice, où il se rendit ; mais, peu de temps après, il obtint un congé et s’embarqua pour la Corse. En arrivant, il se lia intimement avec Paoli, qui y exerçait une grande influence ; il se fit nommer commandant de la garde nationale et acquit bientôt un tel empire sur les esprits que Paoli, qui déjà méditait de livrer l’île à l’Angleterre, en conçut de l’ombrage.

Sur ces entrefaites, M. de Sémonville fut envoyé en Corse pour y remplir une mission. Bonaparte vint le trouver le lendemain de son arrivée et ne lui cacha pas qu’il avait quitté sa compagnie d’artillerie pour venir prendre le commandement de la garde nationale et déjouer les projets de Paoli, qui lui paraissait très disposé à livrer l’île aux Anglais. Comme la mission de M. de Sémonville avait le même but, ils n’eurent pas de peine à se lier et à s’entendre.