Re-née - Alice Renard - E-Book

Re-née E-Book

Alice Renard

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Beschreibung

Une poétesse se fait passer pour un homme afin de déclarer son amour aux femmes, dans le Paris des années 1900.

Renée Vivien a réussi à se construire une notoriété en France en se faisant passer pour un homme. Par ce subterfuge, elle loue son amour des femmes dans ses poèmes sans choquer. Mais dans le Paris bouillonnant des années 1900, les écrivains ne restent pas longtemps invisibles. Acculée, elle prend les devants et affiche sa réelle identité en ajoutant un « e » à son prénom. Ce n’est pas la première femme à se revendiquer poète, mais c’est la première à assumer son saphisme publiquement.
Léa, jeune assistante-réalisatrice, tourne un film sur sa vie. Avec un siècle d’écart, elle découvre cette auteure sensible, en prise avec son époque conservatrice, qui tente de résister aux critiques et à ses amours tumultueuses où la baronne de Zuylen est en rivalité avec Natalie Clifford Barney.

À travers le regard d'une cinéaste, découvrez, dans ce roman historique et féministe, une auteure qui n'a pas peur se dévoiler malgré les obstacles de son époque.

EXTRAIT

Pauline pâlit. Elle essaya de rester détachée et de trahir le moins possible son émotion :
— Natalie t’a écrit ?
— Oui. Elle nous invite à un goûter littéraire.
— J’imagine très bien qui sera présent : Pierre Louÿs, Liane de Pougy, peut-être Éva. Toute sa cour.
— Oui, c’est possible. Qu’en penses-tu ?
— Je n’y tiens pas du tout. C’est une idée détestable.
Et elle se replongea dans ses écrits.
Hélène, légèrement agacée par sa réaction,
— Je sais que tu ne la portes pas particulièrement dans ton cœur et que vous vous êtes quittées en très mauvais termes, mais tu devrais tirer un trait sur tout cela et faire preuve d’un peu plus de maturité.
Pauline releva la tête et écarquilla les yeux, ne croyant pas ce qu’elle venait d’entendre. Hélène qui la poussait vers son ancienne amante. Elle ne réalisait pas combien cette proposition était sulfureuse. Elle, qui luttait depuis des mois contre ce retour, y était maintenant poussée par sa propre compagne. Plus elle essayait de chasser Natalie de ses pensées et plus elle revenait en force. Elle avait réellement le sentiment de nager à contre-courant et de s’épuiser. Alors qu’elle avait plus que jamais besoin d’Hélène pour la soutenir dans cette lutte, elle était sur le point de lui porter le coup fatal.
La proposition de Natalie était machiavélique. Pauline tenta de la contrer à nouveau :
— Je te le redis, c’est une très mauvaise idée. Je ne veux plus qu’elle fasse partie de ma vie. Je ne veux plus la revoir.
— Ah oui ? Les choses sont aussi simples pour toi ? Tu penses que tu peux te soustraire à tes devoirs ?
— Oui, je peux encore décider des personnes que je souhaite voir ou pas. Je me suis affranchie de ma famille, ce n’est pas pour que l’on m’impose des rencontres et des rendez-vous mondains.
— Tout n’est pas si simple Pauline. Je sais que c’est difficile pour toi, voire douloureux de la voir. Mais tu ne réalises pas combien les salons se ferment à nous. Depuis ton idée d’ajouter un « e » à René, il est extrêmement rare que nous soyons invitées toutes les deux. Pour une fois que c’est le cas, je pense qu’il serait très mal venu de refuser.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alice Renard a toujours écrit pour son plaisir, des courts métrages, des nouvelles. La crise de la quarantaine l’a convertie en écrivaine passionnée. Observatrice du genre humain, férue de cinéma, elle vous livre son premier roman, le fruit de ses recherches et lectures sur une poétesse du début du vingtième siècle.

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Seitenzahl: 288

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Alice Renard

Re-née

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alice Renard

ISBN : 978-2-85113-739-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Pauline n’avait pu résister au plaisir de remonter les Champs-Élysées sous les premiers rayons de soleil printaniers. Enfin le soleil. Enfin un peu de chaleur après cet hiver interminable. Tout comme la sève qui affluait sous l’écorce des marronniers de l’avenue, elle sentait la vie s’animer en elle. Elle admirait, un sourire aux lèvres, les jeunes pousses verdoyantes et leurs thyrses de fleurs blanches telles des flèches pointées vers le ciel.

Elle devait rejoindre son ami et professeur, Charles Brun, dans un salon de thé près de la place des Ternes. Elle respira à pleins poumons. Elle se sentait libre. À vingt-six ans, malgré toutes les déconvenues de sa jeune existence, malgré les obligations qui l’étouffaient souvent, elle se sentait libre. Prête à tenter toutes les nouvelles aventures. Elle regarda des fillettes pousser des cerceaux avec leur bâton en riant. Pour elle, l’enfance n’était pas si loin. Tout était encore possible.

Elle remonta l’avenue et se dit qu’elle devait avoir un air charmant au vu du nombre de messieurs qui se retournait sur son passage. Elle laissait les regards couler sur elle. Elle adorait la France. Elle adorait la légèreté de l’air, l’insouciance qui régnait autour d’elle. L’odeur du pain, les nouvelles bouches du métropolitain installées depuis l’exposition universelle de 1900, les ombrelles en dentelle et le soleil sur l’Arc de Triomphe. L’idée d’être loin de Londres, loin de sa famille, lui donnait des ailes. La pression de sa mère pour lui trouver un mari s’était considérablement allégée depuis qu’elle était Parisienne.

En pénétrant dans le salon de thé, elle releva sa voilette et aperçut rapidement son ami, Charles Brun. Le salon devait regrouper tout au plus une dizaine de convives. En remarquant Charles en compagnie d’un autre homme, elle se raidit. Elle n’avait aucune envie de faire la conversation à un inconnu. Toutefois, elle prit sur elle et s’avança dans la salle aux lumières feutrées. Charles vint à sa rencontre.

— Ma chère Pauline, comment allez-vous ?

— Je pensais vous retrouver seul, chuchota-t-elle avec un léger accent anglais, j’avais des poèmes à vous faire lire.

— Oui, je suis désolé. Figurez-vous que monsieur Maurras est venu me rejoindre à l’improviste. Mais il me semble vous avoir déjà présenté ?

— Non, vous m’avez juste parlé de sa plume assassine.

— Vous allez voir il n’est pas si terrible, la rassura-t-il en l’entraînant dans le salon. Ils s’approchèrent du critique littéraire qui se leva pour accueillir Pauline. Monsieur Maurras était un homme assez banal. De taille moyenne, cheveux bruns, il se laissait pousser un bouc pour se donner un air d’importance. Toutefois, malgré les apparences, il était une sommité dans son domaine et sa parole faisait foi dans les milieux littéraires. Au travers de ses critiques publiées dans les journaux spécialisés, il faisait et défaisait les réputations des écrivains. Son regard perçant détailla chaque aspect de la silhouette de Pauline qu’il trouva adorable. Charles Brun se chargea de faire les présentations.

— Laissez-moi vous présenter mademoiselle Tarn, une amie très chère à qui je donne occasionnellement des cours de lettres.

— Enchanté mademoiselle Tarn, vous succombez vous aussi à cette nouvelle mode ? J’ai l’impression que toutes les femmes de Paris n’ont qu’une idée en tête : écrire ! Lucie Delarue-Mardrus, Anne de Noailles, Colette et j’en passe.

— Et pourquoi y voyez-vous à redire ? L’écriture serait-elle réservée aux hommes ? répondit Pauline légèrement provocatrice.

— Disons que les hommes sont plus armés et, à vrai dire, plus doués pour cela. Et depuis toujours. Ce passe-temps pour les femmes ne leur sied pas. Il faut se confronter à la vie, au monde pour pouvoir écrire. Où voulez-vous que les femmes trouvent leur inspiration ? Dans leur cuisine ? railla-t-il, très fier de son trait d’esprit.

— Je ne pense pas que les écrits de Colette ou Anne de Noailles relatent les dernières recettes culinaires.

— Vous avez raison. Il est vrai que les femmes aiment particulièrement se pâmer dans un romantisme exacerbé. Ce n’est pas étonnant qu’elles se délectent dans l’écriture de poèmes. À propos Charles connaissez-vous la dernière ? interrogea le critique l’œil malicieux, comme s’il tenait dans ses mains un jouet convoité de tous.

— Non éclairez-moi, répondit Charles Brun.

— Je ne sais pas si mes sources sont fiables, mais un bruit court sur René Vivien. Il semblerait qu’il ne soit pas un homme mais une femme ! harangua-t-il.

Charles Brun épia furtivement Pauline cligner des yeux.

— D’où tenez-vous cela, mon cher ? Ne serait-ce pas une rumeur lancée par le poète lui-même pour faire justement parler de lui ?

— Je n’en sais trop rien à vrai dire, mais comptez sur moi pour mener cette enquête jusqu’au bout. Imaginez l’article que je pourrais en tirer si cela s’avérait juste : « le poète le plus prometteur de Paris serait en fait une femme ! » Quel vaudeville !

Pauline coupa court à son enthousiasme en s’adressant à son mentor :

— Charles, je suis désolée, mais je ne vais pas pouvoir rester longtemps. Je vais devoir abréger votre conversation.

— C’est moi qui vais l’abréger, je me suis déjà imposé plus que de raison, répondit le critique en prenant son chapeau.

— Mais vous savez bien que c’est toujours un plaisir de partager un moment en votre compagnie, répondit Charles un peu trop poliment.

— En tout cas, je vous tiendrai informé de mes investigations, conclut-il avec un clin d’œil.

Puis prenant la main de Pauline Tarn et y déposant un baiser :

— À très bientôt, mademoiselle, je suis persuadé que vous allez progresser de manière vertigineuse dans votre écriture. Vous avez le meilleur professeur qui soit.

— Je n’ai aucun doute à ce sujet, monsieur Maurras, lui sourit-elle.

— Juste une dernière question. D’où vient votre charmant petit accent ? Il me semble y reconnaître les sonorités britanniques.

— Absolument. Mais la France est ma patrie de cœur.

— Vous avez bien raison. Rien ne pourra jamais égaler la splendeur de notre pays !

Il les salua une dernière fois avant de prendre ses affaires et sortir.

Lorsqu’ils furent enfin seuls, Pauline laissa sa colère exploser :

— Non mais quel mufle ! Pour qui se prend-il ? Et comment a-t-il pu savoir que je suis une femme ?

— Je n’en ai pas la moindre idée mais votre couverture ne va pas tenir bien longtemps, répondit Charles Brun inquiet.

— Je pense que vous devriez vous faire oublier quelque temps. Partir à l’étranger. Pourquoi ne pas rejoindre votre famille à Londres ?

— Il en est hors de question ! J’ai de nouveaux projets littéraires qui vont bientôt voir le jour, il n’est pas envisageable que je les reporte à cause de monsieur Maurras.

— Vous savez, je le connais. Il va aller jusqu’au bout et découvrir que vous êtes René Vivien.

— Sur ce point, nous sommes d’accord Charles.

Elle resta un instant pensive. Sa marge de manœuvre était réduite. Elle en prenait pleinement conscience ce qui ne faisait qu’accroître son irritation.

— Il n’est pas question que ce soit lui qui ait cette primeur. Je ne lui laisserai pas ce plaisir.

— Je suis bien d’accord avec vous mais que pouvez-vous faire ?

— Je n’ai pas mille solutions. En fait, je n’en ai qu’une : le faire à sa place.

Charles resta muet, sidéré par cette idée à laquelle il n’avait pas pensé. Il parvint finalement à formuler ses doutes :

— Mais ne pensez-vous pas que cela soit un peu risqué ?

— Tout est relatif, mon cher Charles. Je ne risque ni la prison ni la peine de mort.

Chapitre 2

Pauline rentra directement chez elle sans s’attarder davantage. Elle voulait à tout prix se mettre au travail. L’écriture était son sacerdoce, l’activité qui rythmait sa vie. Elle ouvrit un nouveau carnet, sortit des brouillons noircis de son écriture et se mit au travail. Elle reprit ses poèmes, les retravailla, cherchant le mot juste. Elle pouvait rester plusieurs jours sur un vers jusqu’à ce qu’il révèle les profondeurs de son âme. Atteindre le beau et le sublime, elle voulait s’élever vers les cimes. Pour cela, elle savait que le travail était seul capable de l’y conduire. Travailler inlassablement. Tout décortiquer, donner du sens jusqu’à la moindre virgule.

Alors qu’elle était totalement absorbée, elle sentit une main se poser sur son épaule. Elle sursauta légèrement avant de recevoir la douceur d’un baiser sur sa nuque. Un frisson la parcourut :

— Je suis sûre que cela t’amuse de me surprendre.

— Absolument ! J’adore.

Hélène de Zuylen continua de faire glisser ses lèvres dans son cou. Elle lui susurra à l’oreille :

— Lâche ta plume et viens.

— Ne me tente pas, je veux terminer mes derniers poèmes.

— Tu pourras reprendre ton travail plus tard… J’ai une petite heure rien que pour nous.

— Hélène laisse-moi, j’ai besoin de toute ma concentration. Je te rejoins ce soir, comme promis.

Elle tourna le visage de Pauline vers elle et embrassa ses lèvres délicates. Elle soupira avant de se relever :

— Très bien, je t’attendrai… puisqu’il le faut.

Pauline sourit, la regarda partir et se forçat à reprendre le travail. Elle voulait terminer au plus tôt ce nouveau recueil. Elle avait déjà fait éditer plusieurs recueils de poèmes qui avaient été remarqués par les critiques les plus illustres. Son talent avait été salué. Tel un diamant brut, il avait besoin d’être taillé et mis en valeur. Son professeur de lettres, Charles Brun, l’aidait dans cette tâche. Toutefois, sa féminité ne jouait pas en sa faveur. En effet, les ouvrages des « Bas bleus », sobriquet péjoratif des femmes de lettres, étaient regardés avec beaucoup de scepticisme. Considérés davantage comme des passe-temps, ils étaient souvent relayés au second plan. Sa reconnaissance avait été uniquement possible grâce à son pseudonyme, René Vivien, qui la faisait passer pour un homme. Pauline avait déjoué les vigilances et réussi son coup. Elle pouvait louer dans ses poèmes son amour des femmes sans risque de choquer. Ses poèmes étaient lus, commentés et elle était parvenue à se faire un nom dans le monde fermé des poètes. Elle était à présent régulièrement citée dans les milieux littéraires. Les imaginations étaient avivées par ce poète prometteur qui demeurait invisible.

Après plusieurs heures de travail, sa gouvernante, Emma Lacheny, déposa un chandelier sur sa table. La clarté soudaine lui fit relever la tête. Comme tirée d’un rêve, elle demanda à sa gouvernante :

— Quelle heure est-il ?

— Vingt heures mademoiselle.

— Ah déjà. Je vais m’arrêter, il est temps de me rendre chez la baronne. Vous vous êtes bien liguées, toutes les deux, pour me surprendre tout à l’heure ! Que vous a-t-elle promis pour que vous la laissiez entrer ?

— Mais absolument rien, je vous promets.

Pauline se leva et changea de sujet :

— Il n’est pas nécessaire de préparer le repas ce soir. Ne m’attendez pas je ne reviendrai que demain.

— Très bien mademoiselle.

— Je vous laisse un ou deux poèmes à taper à la machine. Pensez-vous avoir le temps ?

— Oui, bien sûr Mademoiselle, cela sera fait.

— Merci, Emma. J’espère que vous vous en sortirez avec mes pattes de mouche ! lui glissa-t-elle dans un sourire.

Lorsqu’elle se décida à rejoindre son amie, il faisait nuit. Pauline se vêtit d’un manteau en velours noir, releva le col et sortit. Elle avait à peine une centaine de mètres à franchir pour rejoindre le domicile d’Hélène de Zuylen. La baronne habitait dans la même rue qu’elle, rue du Bois. Elle occupait une luxueuse demeure, digne de son rang d’aristocrate, une héritière de la famille Rothschild. Elle vivait avec son mari, Étienne de Zuylen, régulièrement absent pour affaire. Ses deux fils, Hélin et Egmont, étaient quant à eux en pension chez les Jésuites.

Pauline se fit annoncer. Elle pénétra dans le hall qu’elle connaissait bien. À peine arrivée, la baronne se précipita à sa rencontre :

— Ah, enfin te voilà !

Corpulente, voluptueuse, Hélène se distinguait par sa prestance et son dynamisme. Elle était la plupart du temps coiffée d’un chignon qui soulignait sa quarantaine. Sa personnalité et son entrain imposaient le respect autour d’elle.

Elle emmena Pauline dans le salon, toute excitée par leur nouveau projet : l’organisation de la lecture des poèmes de René Vivien. Le cinquième recueil de Vivien venait d’être déposé aux éditions Lemerre et la baronne voulait faire connaître ces poèmes inédits.

— Regarde, j’ai rédigé le carton d’invitation pour la lecture. Qu’en penses-tu ?

Elle lui tendit un essai qu’elle avait réalisé sur un petit billet. Pauline le lit attentivement :

— C’est parfait.

Elle gardait toutefois un air préoccupé. Hélène, ne comprenant pas sa réserve, la relança :

— Qu’y a-t-il ? Quelque chose ne te convient pas ?

— Non, non. Je me demandais juste si ce n’était pas le moment d’ajouter un « e » à René.

— Plaît-il ?

— C’est une idée que j’ai en tête depuis un certain temps. Je suis lasse de me faire passer pour un homme et je vois bien que mes poèmes ne sont pas compris pour ce qu’ils sont réellement.

— C’est peut-être très bien ainsi, non ?

— Je ne supporte plus ces malentendus. On ne comprend pas mon discours à travers mes poèmes. On n’y voit qu’une ode à la femme, des poèmes célébrant la beauté des femmes. Mais je veux que l’on me comprenne. Faire entendre l’amour des femmes pour les femmes, qui est le plus beau et le plus pur qui soit.

— C’est très louable en effet. Mais as-tu mesuré toutes les conséquences de ce changement ?

— Je pense oui.

— Tu penses ?!

Hélène, nerveuse, déambula de long en large à travers la pièce. Elle doutait de la capacité de Pauline à apprécier les répercutions d’une telle annonce. Elle s’était déjà mise en marge d’une frange de la société Anglaise en refusant de se marier. Hélène imaginait très bien les conséquences à venir. Les critiques ne parleraient jamais autant de Vivien et risquaient de lui faire payer cette fausse identité. Le rejet inéluctable de la société trop frileuse pour tolérer cet amour considéré comme contre nature. Et puis, cette révélation ne rejaillirait-elle pas sur elle et sa famille, les Rothschild ? Dans quelle mesure leur relation, qui s’apparentait à du mécénat, ne serait-elle pas dévoilée pour ce qu’elle était véritablement, une relation saphique ?

Elle posa son regard sur Pauline. Hélène réalisa surtout combien Pauline allait se mettre en danger. S’exposer ainsi la couperait du monde. Même si la poétesse avait toujours été solitaire, avait-elle conscience de l’épreuve qu’elle allait s’imposer ?

Pauline, coupant court à ses réflexions, la relança :

— Qu’en penses-tu ?

— Je pense que c’est un suicide.

— Mais non, une renaissance. Je vais enfin pouvoir faire connaître une forme d’amour que tous cherchent à taire. Si je ne le fais pas, qui le fera ?

— La société n’est pas prête pour cela.

— Pourtant nous sommes en 1904, un nouveau siècle commence.

— Il est trop tôt ! Tu vas être salie sur la place publique. Tu ne te rends pas compte.

— Mais tu te trompes sur mes intentions. Je n’ai pas l’âme d’une révolutionnaire et ne veux pas être une martyre. Je veux juste être sincère vis-à-vis de mes écrits.

— Je le sais mais cela ne sera pas compris.

Pauline se décida à livrer la véritable raison qui avait précipité son choix.

— Je ne peux plus continuer à écrire sous le nom d’un homme. Des doutes ont filtré sur à ma réelle identité.

Hélène parut soudain abattue :

— En es-tu certaine ?

Pauline hocha la tête et lui fit part de sa rencontre avec Charles Brun. Hélène soupira et comprit mieux sa détermination soudaine. Pourtant, cette idée continuait à lui glacer le sang. Elle allait devoir se positionner rapidement.

— J’ai besoin d’y réfléchir calmement. Ce n’est pas une décision qui se prend à la légère.

— Elle est toute réfléchie pour moi.

Hélène posa son regard dans le sien, inquiète.

— Oui, je le vois bien. Mais, pour ma part, j’ai besoin d’y repenser. Nous en reparlerons demain. Je vais nous faire servir le dîner.

Pauline se dirigea vers la fenêtre. Elle regarda au loin un lampadaire qui éclairait faiblement la rue. Elle vit cette lueur dans la nuit comme un heureux présage. L’espoir de pouvoir atteindre un absolu dans l’écriture en écho à ses aspirations les plus secrètes. Atteindre une beauté trop longtemps contenue.

Chapitre 3

À huit heures ce matin d’août 2018, les Champs Élysées commencent à peine à s’animer. La horde de touristes n’a pas encore envahi l’avenue mythique transformée en galerie commerciale de luxe. Léa sort de la bouche de métro d’un pas rapide. Malgré les voitures qui dévalent l’avenue au son des pneumatiques sur les pavés, le lieu dégage encore et toujours une certaine majesté. Léa profite de quelques secondes pour admirer les rayons de soleil sur l’Arc de Triomphe et les immeubles haussmanniens. Elle adorerait pouvoir rester là à contempler ce spectacle presque irréel, mais elle est attendue.

Elle se rend au pas de course, quelques rues plus loin, pour retrouver son équipe de tournage. En tant qu’assistante-réalisatrice elle doit veiller au bon déroulement des scènes. Lorsqu’elle arrive sur les lieux, l’équipe régie a déjà pris possession des lieux et délimité les zones de tournage. Les camions affrétés pour l’occasion sont stationnés tout autour. Elle se dirige vers Karim le régisseur général, un grand garçon d’un mètre quatre-vingt-dix, en jeans et tee-shirt malgré les dix degrés matinaux. Ce qu’elle apprécie par-dessus tout chez lui est sa capacité à rester calme en toute circonstance. Karim ne panique jamais, il trouve toujours une solution. Il est le trésor auprès duquel elle vient se ressourcer quand tout va mal. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour lui faire la bise :

— Salut, Karim, comment ça va ?

— Salut ma puce, tout va bien. Regarde-moi ce temps ! On a du bol quand même.

— C’est clair, heureusement qu’il ne pleut pas comme la météo l’avait annoncé en début de semaine. On devrait pouvoir tourner toutes les scènes d’extérieur aujourd’hui.

— Tu veux un café ?

— Oh oui. J’en ai bien besoin.

Alors que l’arôme du café l’installe dans la journée, elle s’assoit sur le rebord de la table de régie :

— Est-ce que tu as vu mes deux acolytes ? demande-t-elle en faisant référence à ses deux assistants Yann et Chloé.

— Oui, ils sont avec les figurants.

— Super je vais aller faire le point avec eux. D’autres personnes sont arrivées ?

— J’ai vu Tara, elle avait l’air décalquée, elle a pris deux cafés. Apparemment, sa nuit a été courte ! Là, elle est partie dans sa loge pour le maquillage.

Léa sourit :

— De toute manière, elle ne va pas rester très longtemps sur le plateau et puis c’est une scène sans dialogue. Et Samuel ?

— Non, toujours pas là. Mais le contraire serait étonnant !

— Il va se pointer une demi-heure avant le PAT comme d’hab.

Le PAT signifie « prêt à tourner » en jargon cinématographique et Samuel n’est autre que le réalisateur. Il est l’archétype du jeune réalisateur prometteur. Charismatique, il mène son équipe à la baguette tout en insufflant une énergie qui la pousse à se transcender. Son narcissisme et sa confiance inébranlable dans son talent le placent en leader incontesté. Léa, même si elle est agacée de ses retards et oublis, ne déroge pas au reste de l’équipe. Plus elle le découvre, plus elle subit son charme. Elle passe donc l’éponge sur les oublis du réalisateur et prend sur elle pour combler les manques.

Elle finit son café, se saisit de son attirail d’assistante, un talkie-walkie et une pochette regroupant toutes les indications de tournage. Elle se dirige vers le reste de l’équipe. Les électriciens s’activent à placer les projecteurs pour la première scène en décor naturel. Cela la rassure de voir que le timing est, pour le moment, respecté. L’équipe sonorisation prend également ses marques. Elle se dirige vers ses deux assistants, Yann et Chloé, qui regroupent les figurants. Ils sourient à son approche. Léa est appréciée autant pour son dynamisme que pour sa bienveillance. Ils savent qu’ils peuvent compter sur elle en toute circonstance.

Elle leur prête main forte pour les déplacements des figurants qui ne sont jamais évidents à orchestrer. Alors qu’enfin tout semble se synchroniser dans le décor, elle voit Samuel apparaître avec sa garde rapprochée : Patricia. Grande, blonde, aux allures de mannequin, personne ne parvient à comprendre son rôle si ce n’est qu’elle a la faculté de réécrire ou modifier une scène dix minutes avant de la tourner.

Dans l’équipe, tout le monde déteste donc Patricia.

Samuel file droit vers Léa, qui stoppe toute activité en le regardant s’approcher. Son magnétisme agit sur elle, même à distance. Il est le type d’homme qui garde, malgré l’empreinte de son portable dans la poche de son pantalon, une classe folle. Léa se gifle mentalement pour rester professionnelle et concentrée quand il s’adresse à elle :

— Salut, ça va ? Alors on en est où ? la questionne-t-il en plongeant son regard dans le sien.

— Salut. Toute l’équipe est en préparation. On sera à l’heure pour le PAT, répondit-elle en tentant de garder sa contenance.

— OK, super. Et où en est Tara ? Elle est prête ?

— Elle est au maquillage, je vais aller la voir, mais je crois que sa nuit a été courte. Sois indulgent avec elle.

— Ce n’est pas mon problème, elle a intérêt à assurer. Et j’espère qu’elle n’a pas des cernes qui se voient à des kilomètres ! Tu la fais venir dès qu’elle est prête, je veux lui parler de deux, trois choses, lui ordonne-t-il en s’éloignant.

Samuel peut être sec et dur, c’est sa façon de se faire respecter. Léa en subit chaque fois les conséquences en ressentant une légère torsion de l’estomac. Son café n’était finalement pas une bonne idée. Elle se dirige vers le camion loge et entre après avoir frappé. L’ambiance tamisée et feutrée de la loge la détend. Elle aime cet endroit hors du temps, elle ressent à chaque fois le cocon d’un personnage en devenir. Elle fait la bise à Valérie la maquilleuse et se positionne derrière le fauteuil de l’actrice pour la saluer à travers le miroir :

— Bonjour Tara, comment vas-tu ?

— Salut, ma belle, tout va bien ! Et toi ?

— Ça va, juste un peu fatiguée, mais bon apparemment moins que toi ! lui répond-elle avec un clin d’œil.

— Ne t’en fais pas, je serai au top. Personne n’y verra que du feu !

Léa est nullement inquiète et sait que Tara est une professionnelle hors pair.

— Je n’ai aucun doute à ce sujet. Tu peux rejoindre Samuel dans combien de temps ?

Valérie, la maquilleuse, finit les dernières retouches avec son pinceau à poudre et se recule :

— Voilà Renée Vivien est prête !

L’actrice se lève, s’approche du miroir pour vérifier la qualité du travail réalisé et satisfaite, se retourne :

— Valérie tu es une magicienne, disparues les cinq heures de sommeil ! Eh bien on peut y aller maintenant.

En sortant du camion, Léa annonce au talkie-walkie l’arrivée de Tara à ses assistants :

— Chloé, Yann, prévenez Samuel, Tara arrive.

Elles se dirigent sur le plateau et Léa, restée en retrait quelques mètres derrière Tara, est impressionnée par la transformation qui s’opère chez l’actrice à mesure qu’elle s’avance vers la caméra. La costumière l’habille d’un superbe manteau en velours vert dont elle s’enveloppe, le col montant met son visage en valeur. La comédienne se plante devant Samuel, qui s’arrête immédiatement de parler, saisi par sa présence : elle est Renée Vivien.

— Ah Tara… Bonjour… Tu es magnifique !

Tara, ravie et rassurée par le compliment, répond :

— Oui, ça ne me va pas trop mal. Bon donc c’est dans cette rue que je dois marcher ?

— Oui, voilà, tu dois aller vers le salon de thé en longeant le trottoir. Normalement, tu entres directement dans le salon, mais on a pensé que tu pourrais t’arrêter et t’asseoir sur un banc.

Léa, qui a bien évidemment entendu, lève les yeux au ciel et ne peut s’empêcher de penser que la pause sur le banc est encore un coup de Patricia. Heureusement, cela n’a pas trop de répercussions sur le plan de tournage mais cela l’agace prodigieusement. Elle subit impuissante l’influence de Patricia sur Samuel et ne peut s’empêcher d’être jalouse.

Comme si Samuel lisait dans ses pensées, il se tourne vers elle et la rejoint. Prévenant, il lui demande :

— Ça va ?

— Oui, oui, répond-elle légèrement troublée.

— On prend un peu de retard c’est ça ?

— Oui. Il ne faut pas que l’on traîne trop. Le temps est très changeant et on risque de se faire coincer. Si on n’a pas tourné toutes les scènes avant 17 h, on est fichu.

— OK. On va y arriver, répondit-il confiant. Avant de repartir, il lui glisse :

— Comme on va terminer tôt, ça serait bien que l’on fasse le point ensemble après le tournage. Il faut que l’on anticipe quelques détails pour demain. Tu peux rester ?

— Oui pas de problème Samuel, répond-elle ravie à la perspective de ce temps en tête à tête.

— Super, lui sourit-il.

Il l’observe à nouveau et presque à contrecœur se décide à repartir :

— Bon, j’y retourne.

Il reprend les commandes du film en dirigeant Tara. Conciliante, elle s’exécute pour les répétitions. La caméra suit la comédienne pour s’assurer que le cadrage, la lumière, les figurants et son déplacement s’orchestrent parfaitement.

La première prise se tourne sans difficulté mais peu à peu l’équipe accumule du retard, notamment à cause de l’alternance d’éclaircies et de nuages sombres. Léa avait vu juste.

Elle s’active en tous sens pour rattraper le temps perdu et mettre en ordre de marche le tournage dès qu’un rayon de soleil apparaît. Elle s’époumone à rassembler l’équipe et lance sans discontinuité des instructions à ses assistants « Faites venir les figurants » « Va chercher Valérie pour un raccord maquillage » « Faites sortir le public, ils sont dans le champ ! ».

Pendant une prise, Isabelle, la productrice arrive comme à son habitude, discrète, afin d’humer l’ambiance du tournage. En attendant que Samuel finisse de donner de nouvelles instructions à Tara, elle se pose à côté de Léa et lui susurre à l’oreille :

— Alors comment ça avance ?

— Ah ! Isabelle, je ne t’avais pas entendue arriver. On a pris une heure de retard, j’espère que l’on parviendra à tout tourner avant que la lumière ne baisse trop.

— Une heure mais c’est beaucoup ça, comment ça se fait ?

— La lumière est très changeante, les électro s’arrachent les cheveux. Et puis il y a des modifications de dernières minutes…

Isabelle lève les yeux au ciel :

— Ce n’est pas vrai, Samuel recommence. Je lui ai pourtant dit de se calmer avec ça.

— Tu sais, dit Léa, je pense que ça ne vient pas forcément de lui. C’est Patricia qui lui fait des propositions incessantes. Elle est qui d’ailleurs, je n’ai pas bien compris ?

— C’est notre caution auprès de la chaîne. Du coup, on ne peut pas faire sans elle.

— Ah, je vois.

Elle comprend surtout pourquoi Patricia est intouchable. Sans elle pas d’argent de la chaîne télé. Elle se demande, quand même, comment elle va pouvoir la gérer pour éviter qu’elle ne ruine de plus en plus le plan de tournage. Son manque d’objectivité et sa jalousie ne vont pas l’aider dans sa tâche.

Samuel lance le fameux « Moteur – Action ! » et Renée Vivien avance vers la caméra puis tourne sur la gauche, s’assoit sur un banc avant d’entrer dans le salon de thé. Léa et Isabelle sont subjuguées par le talent de Tara qui parvient, juste en quelques enjambées, à donner vie à ce personnage. Renée Vivien est là, vivante, tous sentent le poids de son existence. Et Léa se demande à mesure que les scènes se tournent qui de l’actrice ou du personnage la fascine le plus.

Chapitre 4

Hélène s’étira dans le lit, quelques rais de lumière filtraient au travers des lourds rideaux de velours. Elle glissa sa main sous les draps à la recherche de Pauline. Ne trouvant que le vide elle ouvrit tout à fait les yeux et la découvrit assise à son boudoir, en train d’écrire. Les feuilles dépassaient de chaque côté de la console et menaçaient de tomber. Elle l’observa quelques instants et la trouva ravissante en chemise de nuit, les cheveux légèrement relevés, totalement absorbée :

— Déjà au travail ?

— Ah, tu es réveillée ? J’espère ne pas avoir fait trop de bruit, répondit-elle avec son délicieux accent anglais.

— Non, pas du tout.

Hélène s’étira et se leva pour regarder ces écrits par-dessus son épaule. Elle se demanda comme elle parvenait à s’y retrouver dans tout ce fatras d’annotations. De fierté, elle posa ses lèvres sur sa nuque, juste en dessous de la naissance des cheveux. Pauline se retourna en souriant :

— Je suis en train de choisir les textes pour la lecture. J’en ai sélectionné cinq en prose, il faudrait que tu me donnes ton avis. Je voulais également en lire un ou deux de mon recueil sur Sapho. Qu’en penses-tu ?

À l’évocation de ce recueil, Hélène se crispa. Elle savait que cette référence à Sapho renvoyait Pauline à son premier amour : Natalie Clifford Barney. C’est avec elle qu’elle avait découvert cette icône grecque et elles avaient rêvé conjointement de faire revivre un cercle de poètes exclusivement féminines, sans parvenir à concrétiser cette utopie. Même si, aujourd’hui, ce projet était lointain et que Pauline affirmait ne plus revoir Natalie, c’était un sujet tabou entre elles. Aussi détachée qu’elle le put, Hélène la questionna :

— Pourquoi vouloir lire des textes anciens ?

— Ils me touchent tellement, je ne peux pas imaginer cette lecture sans eux.

Cette réponse ne fit que raidir davantage Hélène. Elle ne pouvait s’empêcher de visualiser Natalie derrière cette phrase. Elle détourna son visage afin que Pauline ne puisse y percevoir le doute qui commençait à l’envahir et la relança :

— Pourquoi faire revivre cette partie de ta vie qui est achevée ? Je ne sais pas si ces poèmes ont réellement leur place au milieu de ton nouveau recueil.

— Je n’ai que des poèmes en prose et je voudrais en lire en vers. Ceux-là me semblent parfaits. Et puis je veux avoir ce plaisir en dévoilant ma réelle identité. Je veux être proche de Sapho à ce moment précis. C’est la seule qui ait écrit ouvertement ses amours pour des femmes… Tout comme moi.

Hélène marqua un temps, surprise par ses arguments auxquels elle n’avait pas pensé :

— C’est très beau en effet et très symbolique. Mais est-ce uniquement ces arguments qui te motivent ?

Pauline devina cette fois les sous-entendus. Elle voulut mettre les choses au clair :

— Tu redoutes que ce soit en référence à Natalie, n’est-ce pas ? Tu penses que c’est un moyen de prolonger un lien avec elle, c’est cela ?

— Peux-tu m’assurer que ce n’est pas le cas ?

— Tu n’as pas à te sentir en rivalité. Nous n’avons plus de lien. Tout est fini entre elle et moi.

Pauline était pleinement convaincue par cet argument mais il n’était que partiellement vrai. Depuis leur rupture deux ans auparavant, elles avaient continué à s’écrire épisodiquement. Natalie intensifiait depuis quelques mois les lettres enflammées et cherchait désespérément un moyen de renouer avec elle. Si au début Pauline avait répondu à ses missives, elle ne le faisait plus. Elle fuyait tout contact. Leur relation l’avait blessée dans sa chair. Elle avait mis deux ans à se remettre de leur séparation, elle ne voulait plus revivre ces moments douloureux. Sa seule priorité était son travail et Hélène. Celle-ci lui apportait pour la première fois une sérénité et un équilibre qu’elle n’avait jamais trouvé auparavant.

Hélène scruta au plus profond de ses yeux marron-vert pour tenter d’y lire une vérité qui lui échappait. Après quelques secondes, elle y renonça et elle conclut :

— De toute manière, je n’ai pas d’autre choix que de te croire.

Le petit déjeuner frugal s’étalait devant Pauline. Elle pensait à sa lecture, à son rendez-vous aux Éditions Lemerre. Elle devait s’y rendre pour relire la version papier de son recueil avant son édition finale. Sa parution devait se synchroniser avec l’inauguration des textes qui se rapprochait maintenant à grands pas. Elle appréhendait de plus en plus l’arrivée de la date fatidique. Hélène, quant à elle, se sentait galvanisée. Maintenant qu’elle avait accepté l’idée que Pauline dévoile son identité de femme, elle prenait un plaisir infini à s’occuper de tous les côtés pratiques de la soirée, de la commande de petits fours à celle du fleuriste en passant par celle du champagne. Elle était ravie de mettre son talent de femme du monde au service de sa protégée. Ayant terminé son petit déjeuner, Hélène se leva :

— Je vais commander les mignardises au chocolat que tu adores !

Elle passa derrière Pauline et posa ses mains sur ses épaules :

— J’ai tellement hâte ! Tu vas voir, je vais t’organiser une soirée digne de ton talent.

En l’écoutant, Pauline sentit son ventre se nouer. Elle avait toujours voulu écrire, toujours rêvé de gloire mais elle n’avait jamais imaginé qu’une telle émotion la submergerait en rendant publique son œuvre. En fait, toutes ces mondanités la terrorisaient.