Un nuage est passé - Pierrette Champon - Chirac - E-Book

Un nuage est passé E-Book

Pierrette Champon - Chirac

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Beschreibung

Pour un problème de couple, Jess rentre d'Afrique sans son époux pour faire le point dans l'Aveyron où elle retrouve sa fille Charlotte. Grâce aux associations de la localité, elle se fait une place dans son nouvel environnement. Un jour de brocante, l'achat d'un masque africain va bouleverser son quotidien. Mais, est-il le seul en cause ? Sa fille pense que sa mère est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Comment va-t-elle gérer cette pénible situation ? Son père doit-il être mis au courant pour qu'il revienne vivre auprès de Jess ?

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Seitenzahl: 175

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Table des chapitres

Chapitre 1 - Retour au pays

Chapitre 2 - Quelque temps plus tard

Chapitre 3 - Le masque

Chapitre 4 - L’album de Tintin a disparu

Chapitre 5 - L’oiseau mort

Chapitre 6 - Les sabots ont bougé

Chapitre 7 - Le piano

Chapitre 8 - Une lumière dans la nuit

Chapitre 9 - La cabane du jardin

Chapitre 10 - Les pannes diverses

Chapitre 11 - Les courses

Chapitre 12 - Et ça continue

Chapitre 13 - Dans la forêt

Chapitre 14 - L’hypnotiseur

Chapitre 15 - La chorale

Chapitre 16 - L’invitation

Chapitre 17 - Chez le docteur

Chapitre 18 - Aggravation de la situation

Chapitre 19 - Chez le gérontologue

Chapitre 20 - La décision

Chapitre 21 - Quelques jours plus tard

Chapitre 22 - Fred s’explique

Chapitre 1

Retour au pays

Par une belle matinée d'août, le long-courrier en provenance d'Abidjan atterrit en douceur sur la piste de l'aéroport Toulouse-Blagnac. Les passagers, les yeux encore alourdis de sommeil, descendent lentement par la passerelle, en proie à la fatigue d'un vol long et éprouvant. Parmi eux, Jess adresse un pâle sourire aux hôtesses qui, avec une cordialité professionnelle, leur souhaitent un bon séjour. Sachant que personne ne l'attend, elle ne ressent donc aucune hâte et avance à son propre rythme.

Derrière les vastes portes vitrées de l'aéroport, une marée humaine de parents et d'amis s’agite frénétiquement à l’arrivée des passagers. Jess se faufile discrètement à travers ce tumulte de retrouvailles émouvantes, cherchant la sortie avec une certaine précipitation parmi les embrassades chaleureuses et les éclats de joie. Elle est probablement la seule à ne pas être attendue, une silhouette solitaire dans cette marée d'affection. Lorsqu’elle émerge enfin au-dehors, elle aspire une grande bouffée d’air frais en posant les pieds sur le sol d’Occitanie, sans le moindre regret pour le pays qu’elle vient de quitter.

Les taxis sont alignés, prêts à accueillir les clients. Elle se dirige vers le premier de la file et murmure sa destination à l'oreille du chauffeur, qui hoche la tête en signe d'assentiment, visiblement alléché par la perspective d'une longue course lucrative. Le coffre se referme sur ses valises et le taxi démarre doucement. Jess frissonne dans ses vêtements de coton léger. Le soleil, à peine visible derrière un voile de pollution, évoque l'atmosphère moite et étouffante des tropiques, mais sans la chaleur suffocante.

Elle observe distraitement l’agglomération qui se dévoile peu à peu à travers la vitre du taxi, tandis que celui-ci s'engage sur le périphérique où les voitures filent à toute allure, défiant les limitations de vitesse. Le silence de sa passagère inquiète le chauffeur, qui jette des coups d'oeil furtifs dans le rétroviseur pour s'assurer qu'elle ne manque de rien. Sur ses genoux, un petit chien dort paisiblement, indifférent à l'agitation du monde extérieur.

Un bâillement discret trahit la fatigue de Jess, suggérant qu’elle ne va pas tarder à sombrer dans le sommeil. Effectivement, sa tête s'alourdit et finit par tomber doucement sur son épaule, l'entraînant dans un profond endormissement sur le siège moelleux et confortable du taxi, qui lui offre l'illusion réconfortante d'un salon accueillant.

Au bout d’une heure d’autoroute rectiligne, les mouvements irréguliers du véhicule la réveillent. Son subconscient l’avertit doucement qu’elle approche de sa destination. En effet, après avoir dépassé Albi, le taxi emprunte une nationale sinueuse. Les virages serrés et en enfilade la font osciller d’un côté à l’autre. Elle ouvre les yeux.

Loin de l’agitation de la ville bruyante et de l’air pollué, s’étend à l’infini une région où la palette du peintre semble moins riche que les couleurs offertes par ce décor champêtre. Les tons de roux dominent l’automne précoce : l’ocre des platanes, le rouge des vignes sur les coteaux, le jaune des champs après la moisson et le brun de la terre fraîchement retournée, le vert pâle des jeunes pousses de blé, toutes ces couleurs se mêlent harmonieusement en offrant un spectacle apaisant et serein qui éloigne Jess de ses pensées moroses. Elle imagine le paysage changeant avec les saisons : blanc de neige l’hiver, reverdissant au printemps avec les talus pavoisés de boutons d’or, de coucous, de primevères et de marguerites sauvages, tandis que les coquelicots déroulent leur tapis rouge au milieu des bleuets. Le chauffeur, notant son éveil, lui dit avec un sourire :

– Vous voilà réveillée !

– Oui, le voyage de nuit m’avait épuisée, répond-elle en étirant les bras.

Il lui fait remarquer :

– Ah ! Quelle différence avec le Plat Pays où, sur des kilomètres, aucun monticule, aucun arbre ne vient briser l’étendue parfaitement nivelée.

– Vous êtes Ch’ti ? Cela doit vous faire un sacré changement.

– Oui, et j’ai du mal à m’habituer, admet-il. Et vous ? D'où venez-vous exactement ?

Elle prend un moment pour répondre, son regard perdu dans le paysage qui défile.

– J’ai vécu plusieurs années en Afrique, loin de ces contrées. Le retour est à la fois un choc et une redécouverte.

Le chauffeur acquiesce, comprenant le mélange de nostalgie et de renouveau qui transparaît dans sa voix. Tandis que le taxi continue sa route, elle se plonge à nouveau dans la contemplation de cette nature luxuriante, savourant chaque instant de ce retour aux sources.

– Je suis native de cette région que j’ai quittée il y a quelques années pour la Côte d’Ivoire où j’étais professeure de français. J'avais imaginé passer ma retraite sous le soleil africain, mais des événements récents ont bouleversé mes plans.

– Ah ! Y avait-il des troubles dont la télé ne nous aurait pas informés ? demande le chauffeur avec un intérêt sincère.

– Non, rien de plus que d'habitude. Je rentre pour des raisons personnelles que je préfère ne pas évoquer. Je vais regretter énormément mes amis ivoiriens, mais je dois tourner la page à présent, répond-elle avec un soupir.

Le chauffeur, respectueux de son silence, ne pose pas davantage de questions. Tandis que Jess repense à ce pays lointain où elle a laissé l’homme avec qui elle aurait dû partager ses derniers jours. Pour échapper à la douleur de cette séparation, elle se plonge dans l’observation du paysage qui défile. Une myriade de chemins serpente à travers ce tableau champêtre, traçant un réseau complexe semblable à des veinules sous la peau. Les haies, plantées par les ancêtres, demeurent vivaces et quadrillent les champs aux formes géométriques. Les ruisseaux ont creusé de profondes vallées, offrant au paysage une diversité captivante. Cette région, propice aux randonnées, attire les amateurs de dénivelés, qu’ils soient marcheurs ou cyclistes. Elle murmure, presque pour elle-même :

– Comment ai-je pu vivre loin de ce paradis aussi longtemps ? Ce que j'avais imaginé était bien loin de la réalité.

– Oui, la campagne est belle, malheureusement je vis dans la banlieue de Toulouse, répond le chauffeur avec une pointe de regret.

Elle lui lance un regard de compassion dans le rétroviseur. Le contraste entre la sérénité de la campagne et la frénésie de la vie urbaine n'a jamais été aussi visible. Sur la route sinueuse, elle se laisse envelopper par la douceur de ce retour aux sources, déterminée à reconstruire sa vie sur ces terres familières, où chaque tournant du chemin réserve une nouvelle surprise, un nouveau souffle de beauté. Songeuse, elle ne peut s’empêcher de penser : que la France est belle ! Il semblerait qu’elle découvre la région pour la première fois. Quel bonheur de pouvoir y terminer ses jours ! Le chauffeur interrompt ses pensées :

– Vous avez de la famille ? interroge-t-il.

– Je vais retrouver ma fille. Elle aurait voulu partir pour des missions humanitaires dans les pays émergents, mais l’occasion ne s’est pas présentée. Alors, elle s’est établie dans la région où le manque de dentistes se fait cruellement sentir. Autant soigner ses compatriotes que les populations du Tiers Monde. Tant pis pour le dépaysement qu’elle peut trouver lors d’un séjour pendant les congés !

Le chauffeur acquiesce, un sourire compatissant sur les lèvres :

– Oui, bientôt nous nous ferons soigner par les vétérinaires, plus nombreux que les médecins ! Bienheureux animaux !

Elle hoche la tête, réfléchissant à cette vérité amère. Les défis de la ruralité, tout en étant bien différents de ceux qu’elle a connus en Afrique, sont tout aussi réels. Pourtant, elle sent en elle une force nouvelle, une détermination à contribuer à cette communauté, à retrouver un sens de chez soi dans les racines profondes de sa terre natale. Elle se laisse envelopper par la douceur de ce retour aux sources, résolue à reconstruire sa vie dans cet écrin de verdure et de tranquillité.

Les battements de son coeur s’accélèrent au fur et à mesure qu’approche le but de son voyage, la destination tant espérée se profile à l’horizon. Après des kilomètres de campagne verdoyante et désertique, l’agglomération se profile, telle une oasis où le voyageur fatigué trouvera le réconfort tant attendu. Elle se surprend à murmurer : « Comme elle s’est étendue durant mon absence ! »

Le taxi s’engage dans les premières rues, serpentant entre les maisons de pierres aux volets colorés et les jardins soigneusement entretenus où les fleurs rivalisent de couleurs éclatantes. Les souvenirs affluent, se mêlant aux images présentes. À l’église, les matines sonnent, résonnant dans l’air frais du matin, ajoutant une touche de mélancolie à ce retour. Elle réalise combien cette terre, avec ses paysages variés et sa riche histoire, fait partie d’elle.

Devant une maison familière, Jess prend une profonde inspiration, prête à embrasser ce nouveau chapitre de sa vie.

La maison, entourée d’une haie soigneusement taillée, symbole de l’ordre et de la tranquillité de ce quartier résidentiel, la rassure. Jadis, ces lieux étaient occupés par des champs verdoyants où paissaient des chevaux en liberté. Aujourd’hui, une place harmonieusement végétalisée s’étend derrière le bureau de Poste.

Elle descend du taxi avec un soupir de soulagement après ce long voyage. Elle règle la course, les valises à ses pieds, puis se dirige vers la grille de l’entrée. Avec un mélange d'appréhension et d'excitation, elle appuie sur la sonnette. Aussitôt, une silhouette svelte apparaît sur la terrasse. C’est Charlotte, sa fille, qui s’empresse de venir ouvrir la porte. Elles ne se sont pas vues depuis trois ans et ce moment de retrouvailles est empreint d'émotion lisible dans leurs yeux. Elles se dévisagent longuement, cherchant à retrouver dans les traits de l’autre des souvenirs familiers et des changements subtils.

Charlotte remarque que sa mère est toujours la même. Sa chevelure abondante tombe toujours sur ses épaules et ses yeux bleu-vert, légèrement maquillés, conservent cette lueur vive qui les caractérise. Elle a pris un peu de poids, sans alourdir sa silhouette.

De son côté, Jess trouve sa fille amaigrie, mais toujours aussi belle. De taille moyenne, cheveux auburn et yeux verts, Charlotte semble avoir gagné en maturité et en grâce.

– Bonjour, Maman, as-tu fait bon voyage ? demande-t-elle en souriant, avant de déposer trois bises sur les joues de sa mère, une nouvelle habitude qui semble s’être installée récemment.

– Après un voyage de nuit éreintant, je suis heureuse d’être enfin arrivée, répond Jess avec un sourire fatigué.

– Veux-tu faire le tour du jardin ? Tu verras que rien n’a vraiment changé, propose Charlotte, une pointe de fierté dans la voix.

Jess hoche la tête, prête à redécouvrir ce lieu, teinté de nostalgie et de nouveaux souvenirs à construire. Ensemble, elles franchissent le seuil de la propriété, prêtes à renouer les liens et à partager les histoires accumulées pendant ces années de séparation.

Le lierre et la vigne vierge ont envahi les façades de la maison, lui conférant un caractère rustique et enchanteur. Le vert luxuriant du lierre se mêle harmonieusement au rouge vif des feuilles de la vigne vierge, créant une mosaïque naturelle qui évoque une peinture vivante. Jess, émue, se souvient des bougainvilliers flamboyants qui entouraient sa demeure africaine et des lianes rampantes qui couraient sur le toit de tôle pour atténuer l’ardeur du soleil, des lianes qui servaient aussi d’abri aux rats et aux reptiles, dont elle entendait les mouvements furtifs lorsque tombait la nuit, ajoutant une touche d'aventure à ses souvenirs.

Dans le parc, les arbres poussent librement, sans contrainte ni taille régulière. Les érables, d’une taille démesurée, étendent leurs branches robustes jusqu’à toucher le toit, formant une voûte impénétrable aux rayons du soleil. Des arbres fruitiers cohabitent avec un majestueux sapin, un tilleul et un noyer au feuillage dense. Le pommier et le poirier, alourdis par le poids des fruits, courbent leurs branches vers le sol, comme une offrande de la nature.

– Malgré leur aspect peu engageant et leur peau tachée, les poires ont une saveur incomparable, bien plus sucrées que celles du supermarché, explique Charlotte. Tu pourras en faire des compotes, ce serait dommage de ne pas en profiter.

Jess sourit, transportée par les souvenirs.

– Te souviens-tu des mangues suspendues par leur queue, ainsi que des rats morts et des papayes qui tombaient en bouillie sur le sol lorsqu’elles étaient mûres ?

– Oui, il valait mieux ne pas se trouver sous le papayer ! répond Charlotte en riant.

– La table en pierre et le banc sous le sapin seront un coin agréable pour la lecture. L’espace feuillu et sauvage me rappellera l’Afrique.

Au passage, elles dérangent les mésanges, pinsons et merles cachés dans les branches. Les oiseaux, perturbés par l'arrivée des intruses, cessent leurs chants mélodieux, se fondant dans le silence du jardin.

– Rentrons, propose Charlotte.

Elles montent les cinq marches qui mènent à la terrasse. Les rampes de l’escalier sont ornées de pots de géraniums suspendus, éclatants de couleurs blanches, rouges et roses.

– Tu prendras tes repas dehors aux beaux jours, dit sa fille avec enthousiasme.

Elles entrent dans le couloir. À gauche, la cuisine embaume encore légèrement les épices et les herbes. À droite, un salon accueillant. Au fond du couloir, la chambre principale. À l’autre bout, un petit salon avec une bibliothèque bien garnie, la salle de bain et la chambre de Charlotte.

– C’est parfait, je sens que je vais me plaire ici, déclare-t-elle avec un sourire radieux.

Charlotte n’ose pas aborder le sujet pénible de son retour précipité, ni du motif de l’absence de son père. L'ombre de ces souvenirs semble trop lourde à évoquer. Elle est ravie de savoir sa mère près d’elle, mais une pointe d’inquiétude l’amène à faire une remarque qui lui échappe :

– Est-ce que le boy ne te manquera pas pour faire le ménage ?

Jess, étonnée, lui répond :

– Absolument pas, je me débrouillerai toute seule. Là-bas, j’employais un boy dans un but humanitaire, pour lui donner un travail, un salaire, pour qu’il puisse nourrir sa nombreuse famille. Sinon, je me serais aisément passée de sa présence.

Charlotte acquiesce, un peu rassurée, mais change rapidement de sujet pour alléger l’atmosphère.

– Il est midi, je t’emmène au restaurant.

Au restaurant, elle est fière de présenter sa mère aux consommateurs déjà attablés, comme si elle voulait marquer le début d’une nouvelle ère et lui annonce :

– Pour te remettre dans le bain, je commande un menu régional composé d’une salade de gésiers de canard, une cuisse de canard confite accompagnée d’aligot et pour le dessert du gâteau à la broche.

Jess éclate de rire, amusée par l’exubérance culinaire.

– C’est la totale pour ma ligne ! s’exclame-t-elle.

– Tu peux faire une exception pour le jour de ton arrivée.

Le repas est un délice, une explosion de saveurs qui ramène Jess à des plaisirs plus simples et terrestres. Après avoir dégusté chaque bouchée, elles se sentent repues et satisfaites. En raccompagnant sa mère chez elle, Charlotte lui rappelle doucement :

– Tu dois avoir besoin de te reposer. Je te laisse, tu trouveras le frigo plein pour plusieurs jours. S’il te manque quelque chose, appelle-moi. Je dois rejoindre les patients qui m’attendent au cabinet.

– C’est bon, ne t’occupe pas de moi.

– Au fait, tu peux laisser courir ton chien dans le jardin bien clôturé, il ne risque pas de s’échapper, ditelle avant de partir.

Une sieste s’impose après un voyage long et fatigant, ponctué par les turbulences qui ont secoué les passagers comme du linge dans une machine à laver à l’essorage. Le lit confortable de la chambre bleue accueille Jess, qui n’attendait que cette minute pour s’étaler de tout son long, les bras en croix. « Que c’est bon de respirer le linge qui sent la lavande ! » Elle cherche des yeux la moustiquaire et le climatiseur par réflexe, mais elle n’est plus en Afrique.

Elle ferme les yeux et laisse ses pensées dériver. Des souvenirs affluent : les soirées chaudes, le bourdonnement des insectes, les odeurs épicées de la cuisine locale et les premières nuits où elle découvrait le concert impressionnant des crapauds-buffles. Elle inspire profondément et s'endort le sourire aux lèvres.

Les heures passent, elle se réveille, reposée et rafraîchie. Une lumière douce inonde la chambre et elle se sent prête à embrasser cette nouvelle vie. L'Afrique est derrière elle, mais elle reste ancrée dans son coeur, comme une partie de son identité. Maintenant, elle est prête à écrire un nouveau chapitre de sa vie, sa fille à ses côtés, en cherchant l’oubli de son récent passé.

Les aboiements du chien la rappellent à l’ordre. « Déjà 17 heures ! Comme j’ai dormi longtemps ! » s’exclame-t-elle, stupéfaite par le passage du temps. Ralph, son fidèle compagnon à quatre pattes, accourt avec enthousiasme, réclamant une friandise. Dans le frigo, elle trouve du saucisson à l’ail, tant pis s’il doit compromettre momentanément son haleine.

Tandis qu’il se régale, elle se prépare un café qui devrait la tenir en éveil quelque temps. Elle découvre un tas de prospectus éparpillés sur la table du salon faisant la promotion de diverses associations locales et elle comprend rapidement pourquoi sa fille les a mis à sa disposition. L’éventail très large des activités la laisse perplexe, car rien ne manque ni sur les activités physiques ni sur les activités artistiques ou humanitaires.

Elle se réjouit de constater la présence d’une salle de cinéma et d’une médiathèque.

« Tiens ! Un club de séniors ! Voilà une occasion en or de rencontrer des personnes de mon âge ; je pourrai ainsi m’intégrer à la communauté locale. Je me verrais bien reprendre la belote le jeudi après-midi. Peut-être y retrouverais-je d’anciennes copines d’écoles ? » Elle se prend à rêver de nouvelles amitiés, de découvertes et de passions retrouvées dans ce coin de campagne qu'elle apprend peu à peu à redécouvrir, plein de promesses et de renouveau.

« Décidément, je ne devrais pas m’ennuyer ici. J’oublierai les parties de tennis, les parcours de golf et le farniente au bord de la piscine de l’hôtel », pense Jess, une lueur d’anticipation dans les yeux. Elle est convaincue que les associations sont le coeur battant de ce bourg. Leur vitalité repose sur l'engagement des bénévoles, dont la passion et l'énergie sont nourries par la présence et le soutien du public. Cette communauté vivante et soudée semble lui offrir une multitude de possibilités pour s'intégrer et s'épanouir.

Déterminée, elle relève soigneusement les numéros de téléphone des associations qu’elle souhaite rejoindre. La rentrée est proche, elle doit s’inscrire rapidement pour participer activement à la vie locale. La fin de la journée arrive à grands pas, et elle réalise qu'elle n'a pas encore déballé, ni rangé ses affaires. Elle s’y attelle avec énergie, range ses vêtements dans l’armoire et se familiarise avec ce nouvel environnement.

La fatigue accumulée au fil des jours s’empare finalement d'elle et elle se couche de bonne heure avec un sentiment de satisfaction. Pour la première fois depuis longtemps, les mauvais rêves qui hantaient ses dernières nuits s'effacent, chassés par la promesse de nouveaux commencements et d’aventures à venir. Le bourg lui ouvre ses bras, prêt à l'accueillir dans son quotidien vibrant et plein de vie.

Chapitre 2

Quelque temps plus tard

Jess s'est rapidement intégrée dans son nouvel environnement, grâce aux associations locales où elle a été bien accueillie. Pour oublier son passé, qui revient parfois au galop et pour ne pas sombrer dans la solitude causée par l’absence de l’être cher, elle s'est plongée dans de nombreuses activités et elle participe aux animations locales.

Le troisième dimanche de septembre arrive avec la grande brocante-vide-grenier, événement annuel qui prend place sur deux jours. Plus de 500 brocanteurs investissent les rues dès le vendredi soir, marquant leur emplacement et passant la nuit dans leur voiture ou sur un carton à même le sol, prêts à déballer leurs trésors à l'aube. Le samedi matin, sur près d’un kilomètre, les trottoirs débordent de stands de produits hétéroclites. Bien que ce ne soit pas encore la grande braderie de Lille, ce vide grenier gagne en popularité année après année.

Dès l’aube, les alentours de sa demeure sont animés par l’affluence des chalands. Jess s’est levée de bonne heure, pour arpenter les rues, en espérant dénicher un objet coup de coeur, sans but précis. Elle marche d’un pas vif, son regard averti scrutant chaque stand, tout en pensant avec amertume : « Comment les gens peuventils étaler des objets qui ne méritent que la déchetterie ? Pensent-ils réellement trouver des pigeons pour acheter ces rebuts ? »