À propos de ce baiser - Harper Bliss - E-Book

À propos de ce baiser E-Book

Harper Bliss

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Beschreibung

Et si le plus beau rôle de sa vie, c’était d’être elle-même?


Ida Burton était la chérie d’Hollywood, jusqu’à ce que les meilleurs rôles commencent à se tarir à l’approche de la quarantaine.
Quand on lui propose l’un des rôles principaux dans une comédie romantique lesbienne à gros budget, ce n’est pas seulement une chance de donner un nouveau souffle à sa carrière. Ce film est peut-être l’occasion idéale d’enfin émerger du placard dans lequel elle s’est enfermée toute sa vie.


Faye Fleming est au sommet de sa carrière et remporte tous les prix depuis quelques années. Quand elle est choisie pour jouer aux côtés de la légendaire Ida Burton dans un blockbuster, elle est aux anges.


Ida et Faye sympathisent très rapidement et leur alchimie sur le plateau est incontournable…jusqu’au moment où leurs personnages s’embrassent pour la première fois.

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À propos de ce baiser

HARPER BLISS

Table des matières

1. Faye

2. Ida

3. Faye

4. Ida

5. Faye

6. Ida

7. Faye

8. Ida

9. Faye

10. Ida

11. Faye

12. Ida

13. Faye

14. Ida

15. Faye

16. Ida

17. Faye

18. Ida

19. Faye

20. Ida

21. Faye

22. Ida

23. Faye

24. Ida

25. Faye

26. Ida

27. Faye

28. Ida

29. Faye

30. Ida

31. Faye

32. Ida

33. Faye

34. Ida

35. Faye

Épilogue

Un message de Harper

À propos de Harper Bliss

CHAPITRE1

Faye

« Rappelle-moi pourquoi je fais ça, chéri ? »

Brandon envoie valser sa chevelure luxuriante par-dessus son épaule et me regarde droit dans les yeux. « Tu le fais pour moi, Faye. »

Franchement, que cet homme n'ait pas encore percé est incompréhensible. Sa façon de donner la réplique est digne des plus grandes stars.

« C’est vrai. Tout ça, c’est pour toi. » Je force un sourire, qui disparait lorsque la voiture pile.

« Ah, les embouteillages de Los Angeles », ironise Brandon.

Mon portable vibre dans ma poche. Ça doit être Leslie. Elle a promis de me téléphoner quand je serais en route pour la lecture du scénario. Je me demande qui, d’Ida Burton et moi, ses deux clientes vedettes, elle a jointe en premier.

« Salut, Faye ! Tu vas tout déchirer, j’en suis convaincue.

— Merci, Leslie.

— Je viens juste de raccrocher avec Ida. » Ça répond à ma question. « Elle est impatiente de commencer.

— Vraiment ? » Même si ce n’était pas le cas, elle ne l’aurait jamais dit à notre agent commun. Elle est probablement aussi stressée que moi. Les trois Oscars de la meilleure actrice posés sur ma cheminée n’apaisent en rien mon agitation alors qu'approche l'heure de la toute première lecture collective, surtout pour un film comme celui-ci. Que ma co-star, Ida Burton, possède quatre statuettes gravées à son nom n’aide pas non plus.

« Bien sûr ! Ce projet emballe tout le monde. Le Tout-Hollywood est en ébullition.

— Quel enthousiasme, Leslie ! Qu’est-ce tu as pris au petit-déj ?

— Mes trois expressos habituels, répond-elle d'un ton égal.

— D’accord. » J’ai déjà eu du mal à digérer le muesli maison que Brandon me prépare chaque matin. « C’est bon à savoir.

— N'hésite pas à m'appeler, insiste Leslie. Je suis toujours là pour toi. »

Il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter et nous mettons fin à la conversation. Je jette un coup d’œil à Brandon pour me rassurer. Il n'est pas seulement mon assistant mais également l’une des personnes les plus amusantes que je connaisse, ce qui, à Hollywood, n’est pas peu dire. Il a le chic pour me remonter le moral quand j’en ai besoin, mais il sait aussi, instinctivement, quand il est préférable de se taire.

Il se penche vers moi, pose sa main sur mon genou. « Les rôles queers sont très à la mode en ce moment. Et le scénario est à mourir de rire. Pour une fois qu'il ne s’agit pas d’un film sinistre où les lesbiennes endurent une vie glauque sans jamais s’envoyer en l’air ! » Il me sourit. « Hollywood a enfin compris que les lesbiennes aussi peuvent avoir de l’humour, piaffe-t-il.

— Ce n’est pas le fait de jouer une lesbienne qui me met dans tous mes états. C’est de jouer une lesbienne face à Ida Burton. » Dans la première moitié du film, mon personnage, Mindy, est on ne peut plus hétéro.

« Ida Burton n’a pas tourné de film à succès depuis plus de dix ans. C’est plutôt elle qui devrait s’inquiéter de jouer face à toi. » Il hausse les épaules. « C’est limite si on peut encore la qualifier de star. » Il porte une main à sa bouche, comme choqué de son propre sacrilège.

« On sait tous les deux qu’Ida Burton sera toujours une star, même si ses films rapportent peu.

— On ne sait jamais, dit Brandon. Cette ville peut être cruelle. »

La voiture s’arrête. Nous sommes arrivés à l’hôtel où va se tenir la lecture du scénario de A New Day. Le chauffeur nous ouvre la porte. J’inspire profondément avant de descendre. Une jeune femme envoyée par l’équipe de production m’attend. Je la suis à l’intérieur, Brandon sur mes talons.

Charlie est la première personne que je reconnais. La responsable de toute cette affaire, c’est elle. Non seulement a-t-elle coécrit le scénario, mais j’étais témoin de son épouse à leur mariage l’an dernier, et j’aurais eu l’air d’une belle hypocrite si j’avais refusé le rôle sous prétexte que c’est un film lesbien.

Charlie est tellement excitée que lorsqu’elle me serre dans ses bras, je sens tous ses muscles vibrer.

« Tu es resplendissante, Faye », dit-elle.

Avant que je puisse la remercier, l’énergie dans la pièce change. Cela ne peut signifier qu’une chose : la grande Ida Burton est arrivée. Je me retourne et me retrouve face à son célèbre sourire éblouissant. Même moi, qui ne suis pas exactement une actrice de seconde zone, j’en suis passagèrement étourdie. Quel est le secret de cette femme, de son sourire ?

Je dois avouer que, dans un moment de faiblesse, j’ai un jour tenté de l’imiter devant le miroir, mais un sourire aussi radieux, aussi confiant, ne s’apprend pas, même avec tout l’entrainement du monde. Ida Burton est née avec et il lui a ouvert les portes d’une carrière extraordinaire. Comme s’il ne suffisait pas, la merveilleuse Ida Burton peut également se vanter de magnifiques boucles cuivrées, d’yeux bruns dignes de Bambi et d’une voix à faire fondre le plus ancien des glaciers. Elle ferait de l'ombre à n'importe qui.

Elle expédie quelques bonjours avant de fondre droit sur moi.

« Faye. Helloooo ! » À l’entendre, on pourrait croire que me voir est le moment le plus important de son année.

« Ida. » Nous échangeons deux baisers furtifs sur la joue. « J’avais tellement hâte. » Ce n’est pas un mensonge. J’avais vraiment hâte. Peut-être pas de jouer les seconds rôles pour Ida, mais de travailler sur ce film dont tout le monde parle.

« Moi aussi. » Ce sourire, encore. Et comment sa peau peut-elle être si parfaitement lisse ? Nous avons à peu près le même âge, mais à côté d’Ida, j’ai l’impression de faire au moins dix ans de plus.

« Mesdames. » Tamara, la réalisatrice, nous a rejointes. « Je suis ravie de vous revoir. Je trépigne d’impatience, vous n’avez pas idée. » Elle indique deux chaises côte à côte. « Voici vos places. Nous débutons dans un quart d’heure. Les rafraichissements sont là-bas. » De la tête, elle désigne le buffet. « Si vous avez des questions, n’hésitez pas. » Elle recule d’un pas. « Mais pour l’instant, je vous laisse prendre vos marques. »

Derrière moi, Brandon chuchote avec Mark, l’assistant d’Ida, dont je sais tout puisqu’ils étaient ensemble à une époque. Brandon adore me tenir au courant de ses histoires de cœur. Peut-être pense-t-il que ça compense le manque de romance dans ma propre vie.

Depuis vingt ans, lors des nombreuses lectures auxquelles j’ai pris part, j’ai toujours été la star la plus importante, et c’est à moi qu’il incombait de mettre mes collègues à l’aise. Je ne suis pas sûre que cette tâche me revienne aujourd’hui.

« Je suis un peu tendue. » L'aveu d'Ida me surprend. « Ce sera peut-être un film formidable, mais… eh bien, j’ai déjà vu des films virer à la catastrophe, malgré un scénario très prometteur. »

Son haut beige souligne la couleur flamboyante de ses cheveux. Bien qu’elle soit vêtue de manière assez décontractée — un pantalon et le haut susmentionné —, elle semble rayonner. Une star née.

« Ça m’a l’air d’être le genre de projet que le studio va vouloir surveiller de près.

— Nous ne pouvons pas faire plus que ce qui nous est demandé, dit Ida.

— Interpréter des lesbiennes. » La plaisanterie est maladroite.

Ida se tourne légèrement. « Voilà. » Elle me fixe du regard. « J’étais vraiment ravie d’apprendre que tu serais de la partie. Même si ça ne devrait pas, c’est toujours un risque de jouer un rôle de ce type. Surtout pour quelqu’un comme toi. »

« Pas que pour moi. » Je ris un peu nerveusement. « Pour toi aussi, sans aucun doute.

— Pour nous deux alors, confirme-t-elle avec un petit sourire en coin. Nous devrions dîner ensemble. Discuter de nos personnages et de leurs arcs émotionnels.

— Euh, oui. Bien sûr.

— Mon assistant se mettra en contact avec le tien. » Elle regarde les deux hommes en question. « J’imagine que tu sais ce qu'ils ont été l'un pour l'autre ? »

Je hoche la tête. « Jusqu’au moindre détail. » Mon sourire, bien que large et généreux, me semble pâle comparé au sien.

« Oh, mon dieu. Est-ce qu’il te raconte également tout ? Mark aussi. Aux dernières nouvelles, il est prêt à se caser. Si ça se trouve, lui et le nouvel homme de sa vie vont fonder une famille et il n’aura plus le temps d’être mon assistant. »

Où va se nicher l’inquiétude, me dis-je, bien que je comprenne son attachement à son collaborateur. Je travaille avec Brandon depuis près de dix ans, autant dire une éternité. Je serais désespérées’il venait à me quitter, même si je serais la première à l’encourager à aspirer à mieux qu’à réaliser mon moindre désir.

« Sa vie…

— Je suis complètement… commence-t-elle en même temps.

— Toi d’abord. » Malgré tout le glamour qui l’entoure, Ida fait preuve d’un pragmatisme rafraichissant.

« J’ai vraiment apprécié ta performance dans Night Break », dit-elle. « Un nouvel Oscar se profile à l’horizon. »

J’écarte sa remarque d’un geste de la main parce que c’est ce qu’on est censé faire, même si depuis la sortie de ce film, la possibilité d’un Oscar revient constamment. J'échangerais volontiers une statuette de plus contre un Oscar en chair et en os. Il n’y a aucune affection à attendre d’une statuette, et elle ne répond pas quand je lui parle.

« C’était comment, de travailler avec Silke Meisner ?

— Incroyable. » En langage hollywoodien, ça veut dire éreintant même si, au final, ça valait à peu près la peine. Ida a déjà très certainement vécu ça, et si quelqu’un dans cette pièce peut comprendre, c’est bien elle.

Elle hoche la tête d’un air pensif. « Il faudra que tu me racontes quand tu viendras dîner.

— D’accord. »

Elle se penche. « Les choses vont devenir assez intimes entre nous sur le plateau. » Le ton de sa voix est un peu étrange.

« Quelques bisous, c’est tout. » Je prends un air nonchalant. À l’exception d’un rapide baiser sur les lèvres il y a des décennies, je n’ai aucune expérience en la matière, bien que j’imagine qu’embrasser une actrice ne doit pas être si différent d’embrasser un acteur. Il n’empêche, la première femme que je vais réellement embrasser, même si c’est pour faire semblant, n'est autre qu'Ida Burton.

Elle laisse échapper un petit rire. « Donc ça ne te dérange pas, c’est bon à savoir.

— Je ne ferais pas ce film si ça me dérangeait. » Et ce serait terriblement homophobe de ma part, comme me l’a fait comprendre mon amie Ava en termes très clairs.

« Mesdames », la réalisatrice revient vers nous. « Si c’est bon pour vous, on peut commencer. »

CHAPITRE2

Ida

Est-ce que ça se voit, qu’à l’intérieur, je suis à l'agonie ? Que je regrette d’avoir accepté ce rôle ? Que ma motivation secrète me rattrape déjà ?

Faye Fleming est assise à côté de moi dans toute sa splendeur de fille toute simple, bien qu’elle ne soit plus, à proprement parler, une fille. Au fil des années, pourtant, elle a réussi à conserver cette image de la fille/femme typiquement américaine, à la bonne mine caractéristique, drôle mais sérieuse quand il le faut. De toutes les personnes réunies ici, c’est sans doute d’elle que je deviendrai la plus proche. Combien de temps lui faudra-t-il pour découvrir mon secret ?

« Ida, » demande Tamara, « pourrais-tu nous donner ton avis sur ton personnage ? Ou veux-tu te lancer directement dans la lecture ? »

Ah, mon personnage. Lesbienne et fière de l’être. Si seulement je pouvais proclamer sans fard ce que je pense de Veronica.

« Bien sûr. » Je me suis préparée pour cet instant. Je sais exactement que dire pour n’éveiller aucun soupçon. « Veronica, telle que je la vois, est une femme brillante, mais seule, en définitive, en manque d’amour. » Par moments, à la lecture du script, j’avais eu le sentiment que les scénaristes jouissaient d’une vue directe sur mon cœur solitaire. « Le quatrième mariage de son frère provoque en elle une rage débridée, comme si tout l’amour de sa famille, et même du monde, lui était réservé, pour la simple raison qu’il est hétéro. » Je marque une pause. « Sa colère et sa jalousie l'aveuglent tellement qu’elle ne remarque même pas que la personne dont elle pourrait tomber amoureuse se trouve juste sous son nez. Il faut qu’elle passe au-delà de ça, ainsi que toutes sortes d'obstacles, bien sûr. Avec quelques plaisanteries et autres bons mots en cours de route. » Je ricane. Mon résumé est réducteur et ne rend pas justice au scénario qui, en plus d’être une comédie romantique lesbienne, propose une critique très drôle et aiguë de l’institution du mariage.

« Charlie ? Liz ? » dit Tamara. « Est-ce que ça vous semble correct ?

— Parfait », répond une femme blonde aux grands yeux ronds. Sa voisine, dont je me souviens que sa liaison avec Ava Castaneda a fait la une des journaux il y a cinq ans, approuve et m’adresse un sourire crispé. C’est moi qui devrais lui sourire timidement. Malgré toute ma fortune, elle possède quelque chose que je n’ai jamais pu m’offrir.

« Formidable », se réjouit Tamara. « Nous y reviendrons plus tard, s’il le faut. Faye, à ton tour ?

— Mon personnage ne comprend rien. » Un éclat de rire lui répond, et ce ne sera sans doute pas le dernier. Je me demande vraiment pourquoi Faye interprète le personnage le plus coincé de ce film. C’est probablement ça qu’on appelle jouer un rôle.

* * *

La lecture du premier acte est assez facile. Faye et moi nous donnons la réplique avec une aisance que j’ai rarement connue aussi rapidement, comme si nous avions joué ensemble d’innombrables fois auparavant.

Pendant la pause qui précède le deuxième acte, Tamara s’approche de moi.

« L’alchimie entre Faye et toi est déjà phénoménale, » dit-elle, « et nous n’en sommes même pas encore aux scènes les plus intéressantes. »

Le deuxième acte inclut un passage que je redoute. Mon personnage, Veronica, doit regarder celui de Faye dans les yeux et y lire quelque chose de si fondamental que le cours des événements en est bouleversé. Ce n’est pas le genre de sentiment que j’aurais du mal à exprimer en temps normal, et personne n’attend de moi une émotion aussi complexe à l’occasion d’une simple lecture de scénario, mais quand même. C’est trop personnel. Même si je devrais pouvoir me débrouiller aujourd’hui, j’appréhende déjà les répétitions. C’est exactement à ça que servent les répétitions, me dis-je pour me rassurer. À trouver la réponse à cette question.

« Merci. » Je profite de l’instant pour examiner Tamara. Elle est l’une des réalisatrices les plus sexy avec qui il m’ait été donné de travailler, c’est évident, ne serait-ce que parce que la plupart de ses prédécesseurs étaient des hommes. Mais ce n’est pas parce que la barre est placée très bas que Tamara n’est pas, en toute objectivité, très attirante. En outre, à l’instar de mon personnage, elle est totalement out. De nos jours, à Hollywood, cela peut aider à se retrouver derrière une caméra. Les temps ont bien changé.

Quelqu’un l’appelle et alors qu’elle s’éloigne, je me dis que je devrais demander à Mark si Tamara est plus heureuse en amour que mon personnage… ou que moi.

Lorsque je m’assieds à nouveau auprès de Faye, avec ses longs cheveux noirs et son teint pâle, ses yeux aussi bleus que le ciel de midi, j’essaie de me recentrer et de me souvenir des raisons pour lesquelles j’ai accepté ce projet.

Elles sont nombreuses et je les énumère dans ma tête. Ce film est présenté comme le blockbuster de l’été à venir et cela fait longtemps que je n’ai pas joué dans une superproduction de ce genre. Mon nom et celui de Faye Fleming, côte à côte en haut de l’affiche, c’est loin d’être anodin. Peut-être que jouer un personnage qui s’assume me donnera enfin la force de sortir du placard. Peut-être que je n’aurai même pas à le faire. Peut-être le buzz autour du film créera-t-il une sorte d’élan magique qui me propulsera naturellement vers l’extérieur de telle sorte que cela semble avoir toujours été évident.

Autant croire au père Noël.

Je ne laisse pas mes yeux s’attarder dans ceux de Faye — un simple coup d’œil devra faire l’affaire. Aujourd’hui, ce ne sont pas les regards, les gestes ni les émotions qui comptent. Ce qui compte, c'est que les mots sonnent juste lorsque nous les prononçons.

Je savais déjà que Faye avait du talent, mais au-delà de ça, sa présence à mes côtés me réconforte. Elle semble sûre d’elle et décontractée et bien que je n’aie aucun moyen de savoir si elle joue la comédie ou non, cela n’a pas d’importance, en fin de compte. Elle donne l’impression que travailler avec elle sera facile. Qu’elle n’est pas une diva. Ça doit être le côté « jeune fille rangée ». Peut-être que ce n’est pas simplement sa personnalité publique, qu’elle est aussi comme ça dans la vie réelle. Et si Faye Fleming devait sortir du placard ? C’est trop pour mon cerveau, qui ne parvient pas à imaginer la scène.

« Ça fait des étincelles ! », s’exclame Tamara à la fin de la lecture. « J’ai tellement hâte que le tournage débute. »

* * *

« C’était comment ? » veut savoir Derek, mon meilleur ami et ex-mari, quand je l’appelle sur le chemin du retour.

« Bien. » Je m’enfonce dans le siège en cuir de la voiture. « Même si j’avais oublié à quel point les lectures de scénario sont exténuantes.

— Tu passes par les émotions du film tout entier en une seule journée », dit-il. « Il fallait s’en douter. »

J’avais demandé à Derek de lire le script avant d’accepter le rôle.

« Et Faye Fleming, elle était comment ?

— Charmante, comme on s’en doutait aussi. » Pour l’instant, je n’ai rien à dire de négatif sur ma partenaire. Jusqu'au bout, elle s’est montrée sympathique et agréable, malgré la fatigue des dernières heures. « Je l’inviterai bientôt à dîner, afin que nous puissions faire mieux connaissance avant de commencer les répétitions.

— Avant de l’embrasser, tu veux dire », glisse mon ex-mari.

Derek est l’une des rares personnes sur cette planète à être au courant de mon secret. De la même façon que j’étais autrefois la seule personne à être au courant du sien.

« Très drôle.

— Je te taquine, même si tu pourrais avoir de pires perspectives. » Il n’est pas du style à laisser passer quoi que ce soit.

« La réalisatrice est assez sexy, pour tout te dire. » Il n’y a personne d’autre à qui je puisse parler de ces choses-là.

« Je t’écoute. » Bien que Derek et moi n’ayons jamais été amoureux l’un de l’autre, l’affection qui nous unit est sincère, et je sais qu’il me souhaite par-dessus tout de trouver l’amour comme lui l’a trouvé avec son compagnon, Ben.

« Je n’ai pas encore cherché à en savoir plus et… disons… tu sais…

— Je sais que ce film pourrait changer ta vie. Rappelle-moi le nom de la réalisatrice ? Je vais me renseigner pour toi.

— Tamara Williams, mais ce n’est pas la peine. Je suis parfaitement capable de la googler moi-même.

— Mais c’est plus amusant quand c’est moi qui le fais. » Une courte pause, et Derek reprend la parole. « Ah, apparemment, elle est mariée. Désolé, ma chérie.

— Tant pis, c’est peut-être mieux ainsi.

— Je ne suis pas du même avis, mais à chacun son rythme… »

Nous raccrochons et, tandis que ma voiture remonte Mulholland Drive, je me remémore la déclaration que j’ai faite après le coming-out de Derek.

Je souhaite à Derek tout le bonheur et tout l’amour du monde. Il est et restera mon meilleur ami. Je sais que la voie qu’il a choisie le rendra très heureux.

À l’époque, on m’a beaucoup reproché d’avoir utilisé l’expression « la voie qu’il a choisie », comme si je laissais entendre que son homosexualité était un choix. Si seulement c’était le cas… Je n’aurais alors pas eu à me cacher aux tréfonds d’un étouffant placard pendant la majeure partie de ma vie.

Ce que je voulais dire, c’est qu’il avait choisi de mettre fin à notre mariage et de ne plus faire semblant d’être hétéro. De ne plus se soucier des répercussions sur sa carrière. Le nombre de fois où j’ai dû expliquer ça ! Oui, mes mots étaient maladroits, et non, je n’avais rien insinué de tout ce que les médias sociaux, dans une vague d’indignation, ont voulu me faire dire.

J’aurais peut-être dû saisir l’occasion de m’assumer publiquement moi aussi, mais je ne l’ai pas fait. Parce que, contrairement à Derek, je me soucie de l’effet que cela aurait sur ma carrière — du moins, c’était le cas auparavant. Voir Derek s’épanouir, devenir l’homme fier et sûr de lui qu’il est depuis que Ben est à ses côtés m’a fait prendre conscience que j’avais peut-être commis une erreur. Comment pourrait-il en être autrement puisque c’est moi qui me retrouve célibataire dans la cage dorée d’Hollywood Hills qui me sert de demeure ?

Lorsque le chauffeur m’aura laissée devant chez moi, personne ne m’y attendra. Mark est rentré chez lui. En mon absence, ma maison aura été récurée, ma pelouse aura été tondue et ma piscine aura été nettoyée, et pour quoi ?

C'est pour ça que j’ai choisi de faire ce film. C'est pour ça que j’ai choisi d’interpréter une femme fière de qui elle est, dans l’espoir que, pour une fois, la vie s’inspire de l’art.

Hollywood en a vu bien d'autres.

CHAPITRE3

Faye

La tradition veut que, lorsqu’elle est en ville, ma meilleure amie Ava m’invite à dîner après toute lecture collective. Non seulement est-elle dans les parages, mais sa femme est l’une des scénaristes du film, et il est probable qu’Ava se soit surpassée ce soir. Comme nous sommes voisines, une minute de marche le long de la plage et je suis chez elle.

« Tu es seule ? » Je lui fais la bise en arrivant sur la terrasse qui surplombe l’océan.

« Charlie est avec Liz. Elle m’a prévenue de ne pas l’attendre avant minuit. Apparemment, des soucis de scénario ont été mis en lumière lors de la lecture qui ne peuvent être résolus que ce soir. »

Une main sur la poitrine, je prends un air faussement horrifié. « J’espère que ma performance n’était pas trop médiocre. »

Ava me verse une flûte de Cristal et me la tend. « Tu sais que ce n’est pas toi.

— Un seul verre ce soir. Être à l’affiche aux côtés d’Ida Burton… » Je secoue la tête. « Je ne sais pas.

— Raconte-moi. » Nous nous asseyons, et j’admire pendant quelques instants le soleil couchant qui se reflète à la surface de l’océan. Quel que soit le niveau de stress de la journée, rentrer à Malibu et profiter de la proximité de l’eau m’apaise à chaque fois. M’asseoir à côté d’Ava, une flûte de champagne à la main, aide aussi.

« Elle était absolument charmante, mais… » Je soupire parce que je sais que ce que je vais dire est le cliché hollywoodien parfait. « Elle était tellement belle. Comme si elle avait été entièrement coiffée et maquillée. Ce n’était qu’une lecture, bon sang. »

Ava glousse. « Tu as eu l’impression d’être éclipsée ? »

Je hoche la tête. Rares sont les personnes à qui je ferais cet aveu, et je suis secrètement soulagée de l’absence de Charlie, même si Ava lui racontera probablement tout plus tard. L’une des plus grandes qualités d’Ava Castaneda, c’est qu’elle n’est jamais tombée dans le panneau d’Hollywood. Elle a toujours fait exactement ce qui lui plaisait sans se soucier des éventuelles conséquences sur son image et son travail. La vie lui a donné raison puisque, bien que sa maison soit moins imposante que la mienne, elle reste une maison sur la plage de Malibu et la vue est parfaitement identique.

« Je pensais à tort que j’étais au sommet de l’échelle, étant donné qu’Ida n’avait pas eu de gros succès depuis des lustres, mais… quand elle entre dans une pièce, tout s’arrête. L’ambiance change complètement. C’est comme si un champ de force magnétique l’entourait. J’ai regardé certains de ses anciens longs-métrages pour me préparer et même dans les pires, dans les navets les plus minables, elle éblouit. C’est elle qui porte le film. C’est fou.

— Et pourtant, contrairement à toi, elle n’enchaîne pas les superproductions.

— Elle n’a pas travaillé autant que moi.

— Donc, tu devrais être récompensée pour ton dur labeur et être en tête d’affiche pour celui-ci. » Ava se penche vers moi. « Je dirai à Charlie de te traiter avec plus de déférence », plaisante-t-elle.

« Oh non, s’il te plait. C’est très bien comme ça. Un crêpage de chignon à la mode hollywoodienne ne m’intéresse pas du tout. Mais tu sais que je stresse plus pour ce film que d’habitude.

— Je sais, Faye, mais tu ne devrais vraiment pas. Regarde ce qu’Underground a fait pour Elisa Fox. Jouer une lesbienne n’est plus synonyme de fin de carrière pour une actrice, au contraire. Elisa est la comédienne la mieux payée au monde grâce à ce rôle.

— N’empêche. C’est différent.

— On en a parlé un million de fois. » C’est Ava qui m’a convaincue qu’il était temps que quelqu’un « de mon calibre » fasse ce film. Le fait que son épouse l’ait coécrit n'y est sans doute pas étranger non plus.

« Je sais. Je dois m’habituer à l’idée, maintenant que ce projet se concrétise. À présent qu’on a lu le script tout entier à voix haute, c’est très, très concret. Reste à passer ce moment de transition floue et un peu angoissant jusqu’au début du tournage.

— Vois les choses sous un autre angle. Jouer ce rôle est un vrai privilège. Même Ida Burton est prête à sortir de sa semi-retraite pour ce film. Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as. » Elle pianote sur la table du bout des doigts, puis continue : « J’ai demandé à Charlie si je pouvais auditionner pour le rôle de Veronica. » Ava laisse échapper une bouffée d’air entre ses dents.

« Ah bon ? »

Ses doigts tambourinent de façon plus appuyée.

« Que s’est-il passé ? » Je n’étais pas au courant. Depuis que je la connais, Ava n’a cessé d’hésiter à poursuivre une carrière d’actrice.

« Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai failli demander le divorce. »

Je me redresse et lui adresse un regard incrédule. « Pourquoi ?

— Tu connais Charlie. Elle peut être insupportable parfois. »

Charlie est l’une des personnes les plus gentilles que j’ai rencontrées dans cette ville. « Qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Charlie est convaincue d’avoir un sixième sens qui lui permet d’évaluer la capacité de jeu des acteurs, et à l’en croire, en l’occurrence, cette capacité me fait défaut.

— Oh mon dieu. » Charlie est courageuse, je dois le reconnaitre, mais peut-être aussi un tantinet fermée à ce que sa femme veut entendre. « Elle t’a vraiment dit ça ? »

Ava acquiesce. « C’était avant même que le nom d’Ida soit évoqué. » Elle hausse les épaules, mais ça l’a blessée, c’est évident.

« Tu voulais réellement auditionner ? » Maintenant que j’ai entendu Ida dans le rôle, impossible d’imaginer qui que ce soit d’autre en Veronica. Les effets du charisme d’Ida Burton. « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

— Parce que… » Elle soupire à nouveau. « Après l’avoir dit à ma conjointe — la femme que j’ai épousée et qui est censée m’aimer et croire en moi plus que quiconque — et que ma conjointe bien-aimée m’a conseillé d’arrêter de rêver, comment pourrais-je me rendre encore plus ridicule en en parlant à quelqu’un d’autre, qui plus est à Faye Fleming ?

— Ça ne te perturbe pas trop ?

— Je sais bien que je n’aurais pas dû essayer de m’immiscer dans le film de Charlie. » La douleur est encore très présente dans sa voix. « Liz et elle l’ont écrit avec des stars comme toi et Ida à l’esprit. Mais quand même. Un peu plus de soutien conjugal aurait été bienvenu.

— Charlie t’adore, pourtant.

— Encore heureux. » Le ton d’Ava a retrouvé une intonation plus joyeuse.

« Donc vous n’allez pas divorcer de sitôt ? » J’ai toujours besoin de m’en assurer.

« Tu crois vraiment que je vais demander le divorce maintenant ? » se gausse Ava. « Alors que ce film est destiné à un succès plus grand encore que Underground ?

— À condition qu’Ida et moi ne gâchions pas tout. » Mes épaules se dénouent. Ava en a probablement rajouté, mais, n’étant pas une experte en relations amoureuses, je suis soulagée. « Je peux te mettre en contact avec les meilleurs coachs d’acteurs de la ville, si tu veux.

— Ce que je devrais faire, c’est devenir une excellente comédienne dans son dos, ne serait-ce que pour prouver que Charlie a tort. » Ava termine son champagne. « Mais que se passera-t-il s’il s’avère qu’elle avait raison ?

— Tu ne viens pas de renouveler ton contrat avec Knives Out pour trois saisons ? » Je brandis ma flûte presque vide.

« Tout à fait. » Ava nous ressert, sans tenir compte de ma promesse, à mon arrivée, de m’en tenir à un verre. « Parlons d’autre chose que du travail, à présent. » Elle me fixe du regard. « Il y avait des hommes célibataires, à cette lecture ? Qui joue le rôle du frère de Veronica, déjà ?

— Robert Glazer », je dis.

Ava prend un air songeur. « Il est beau gosse. Il est libre ?

— Je n’en ai aucune idée. » Je souris. « Je n’ai pas l’intention de m’embarquer dans une amourette de tournage, de toute façon. Ni dans aucune amourette, en fait… » Je m’interromps. Il y a autre chose que j’ai envie de dire à Ava. Quelque chose que je n’ai encore dit à personne. « Il va peut-être y avoir du changement dans ma vie.

— Quel genre de changement ? »

Je lui jette un coup d’œil en coin. Elle regarde à l'horizon. Je l’imite. Tout est plus facile à divulguer quand on observe l’océan.

« Une adoption. »

Elle se tourne vivement vers moi, les yeux écarquillés. « Pour de vrai ?

— Une adoption humaine. D’un enfant. Pas un chat ou un chien.

— Allons bon. » Elle plisse les yeux. « Je m’attendais pas à ça, Faye, mais oui, pourquoi pas ?

— Parce que devenir mère célibataire est terrifiant. Parce qu’il y a un tas d’inconnues dans cette équation. Parce que je n’ai aucune idée de si je serai une bonne mère.

— Tu as entrepris des démarches ? »

Je fais non de la tête. « Je sais qu’il ne faut pas que j’attende trop, la cinquantaine approche rapidement.

— Tu n’es pas obligée d’adopter un nouveau-né, sauf si c’est ce que tu veux », souligne Ava.

« C’est difficile de trouver toutes les réponses toute seule.

— Tu n’es pas seule. Tu sais que je suis toujours là pour toi. » Ava me fait face à présent. « Je suis contente que tu m'en aies parlé.

— Je vais d’abord faire ce film, je prendrai ma décision après. Ensuite, soit je le fais, soit je ne le fais pas. » Je détourne brièvement le regard. « Après toutes les vaines tentatives de conception avec Brian, y compris après notre séparation, l’idée de devenir mère ne m’a jamais quittée. C'est comme une petite flamme qui brûle en moi. Ça fait plus de dix ans qu’elle frémit. Je me demande pourquoi j’ai eu si peur pendant si longtemps.

— C’est une décision importante et la vie n’est pas un long fleuve tranquille, comme tu le sais. Le temps passe. Et avant qu'on s'en rende compte, on a cinquante ans.

— Je suis sûre d’en avoir envie. Ce n’est pas de mon désir d’être mère que je doute, c’est de ma capacité à être une bonne mère.

— Si tous les futurs parents pensaient comme toi, nous ne serions pas là.

— Oui, mais tu comprends ce que je veux dire. J’ai de l’argent et des privilèges et, Dieu sait, énormément d’amour à donner, mais il n’y a aucune certitude.

— Chérie. » Ava pose une main sur mon bras. « Regarde-moi. »

Mes yeux quittent l’océan pour le visage d’Ava, dont émane une sérénité merveilleuse.

« Il n’y a aucun doute dans mon esprit que tu seras la meilleure mère du monde. Je le pense vraiment. Tu es attentionnée, intelligente et drôle. Tu es Faye Fleming, ça n’est pas rien. L’enfant que tu adopteras sera la petite princesse ou le petit prince le plus chanceux de la planète. »

Un rire surpris m’échappe. « Vu comme ça…

— C’est la vérité, que veux-tu. » Ava dit ça si simplement que je n’ai d’autre choix que de la croire.

CHAPITRE4

Ida

« Qu’est-ce qui t’a décidée à faire le grand saut, si l’on peut dire, et accepter ce film ? » Je pose la question à Faye Fleming, tout en dissimulant habilement ma propre motivation.

« Mon amie Ava m’a presque ordonné de le faire », répond-elle, comme si ça tombait sous le sens. Bien sûr, je sais qui est Ava Castaneda et je sais aussi que son épouse a coécrit A New Day. Internet a failli exploser quand Ava Castaneda a fait son coming-out il y a cinq ans. « Elle m’a dit qu’il était temps, tu sais ? » Faye grignote une olive et se lèche le doigt. Dans la lueur de la lampe qui se trouve derrière elle, ses cheveux forment un halo doux et lumineux.

« Je ne suis pas sûre de savoir, en fait.

— Il est temps que des actrices comme toi et moi jouent dans un film comme celui-ci, précise Faye.

— Ava a probablement raison.

— Tu dois le penser aussi, sinon pourquoi aurais-tu accepté ? » Faye est très directe. Je me demande si cela risque de créer des frictions entre nous par la suite.

Je ne peux pas lui dire que j’ai mes propres raisons, bien que je sois consciente que, si je veux vraiment que ce film change ma vie, il va falloir que je me décide à en dévoiler des aspects que j’ai toujours gardés secrets. Mais ce n'est pas à Faye que je m'ouvrirai en premier. Nous avons beau partager un agent et fréquenter les mêmes cercles depuis longtemps, je la connais à peine. C’est d’ailleurs pour remédier à ça qu’elle est là.

« Oh, oui, bien sûr, j’en suis convaincue aussi. La représentation au cinéma et à la télévision est essentielle. » Je recrache la phrase de Derek. « Underground, par exemple. Il n’y a que des lesbiennes. » Je suis une fan absolue d’Underground. J’espérais secrètement qu’Elisa Fox, qui joue l’espionne en chef Aretha dans la série, serait ma partenaire dans ce film, mais je ne peux sincèrement pas prétendre avoir perdu au change quand Faye Fleming a été choisie.

« J’apprécie Underground, comme tout le monde, mais on ne peut pas vraiment dire que ça ait provoqué une avalanche de coming-out à Hollywood ».

Mon estomac se noue. « Peut-être pas, mais les choses ont bougé, malgré tout. L’atmosphère est plus ouverte d’esprit, au moins.

— Je peux te poser une question… personnelle ? » Elle esquisse un sourire complice.

Mon cœur bat à tout rompre. « Bien sûr. » Elle ne va quand même pas me poser la question, si ?

« Avec ton ex, tu dois en savoir… plus que la plupart des gens. » Elle se penche par-dessus la table comme si nous n’étions pas seules dans ma maison. « Je connais deux acteurs et une actrice de premier plan qui sont dans le placard. »

J’ai l’impression que mon cœur va bondir hors de ma poitrine tellement il bat fort. Est-ce de moi qu’elle parle ?

« La double vie qu'ils mènent est terriblement compliquée. » Elle secoue la tête. « Ce que je veux dire, c'est que l’énergie qu’il doit falloir déployer pour maintenir en permanence cette façade, ne jamais être soi-même dès lors qu’on quitte le cocon protecteur de sa maison… » Elle prend une autre olive. Elle semble détendue. Son ton est songeur plutôt qu’interrogateur. Un ton de confidence, pas de confrontation. « C’est inimaginable. »

J’essaie d’inspirer profondément pour calmer mes nerfs, discrètement. « C’est le cas. C’est, euh, un peu fou. C’est ça. » Bon sang, Ida. Ressaisis-toi.

« Tu en connais ? » Son regard capte le mien pendant un instant. « Derek et toi êtes toujours amis, n’est-ce pas ?

— En effet. Très bons amis. » Si Derek était témoin de cette conversation, il serait mort de rire. C’est exactement pour ça que je suis sorti de ce foutu placard, dirait-il. Ça et le fait que les placards sont des cercueils verticaux. J’imagine aisément la voix de mon ex-mari dans ma tête. « Et oui, je crois savoir de qui tu parles. »

Faye plisse les yeux. « Est-ce qu’on cite des noms ?

— Euh, non. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. » Ma réponse a fusé.

« Pourquoi ? Si on est toutes les deux au courant ? »

Parce que j’aimerais avoir droit aux mêmes égards, me dis-je intérieurement. « Mets-toi à leur place. Ça te plairait qu’on parle de toi comme ça ?

— Comme quoi ? » Faye hausse les épaules. « Ils sont homos. C’est tout.

— Je comprends ce que tu veux dire, mais prends ce film par exemple. Je suis sûre que tu as eu droit au discours de Leslie, comme moi. Parce qu’être homo à Hollywood, ce n’est pas simplement être homo et voilà. Même si ça me fait mal de le dire et même si c’est absurde à notre époque, surtout dans le show-business, qui est essentiellement dirigé par des gays. »

« C’est vrai, mais c’est pour ça qu’on fait ce film. Pour apporter notre contribution d’alliées hétéros et aider à faire évoluer cette situation ridicule. »

Je déglutis avec difficulté. Je sais parfaitement que la contribution la plus percutante que je pourrais apporter serait de faire mon coming-out, au lieu de me poser lâchement en alliée hétéro. Mais comme l’a dit Derek au téléphone l’autre jour : chacun son rythme.

Faye semble avoir oublié qu’elle voulait des noms, ce qui est une bonne chose, car j’aurais beau essayer de lire dans ses pensées, je n’ai aucun moyen de savoir si l’actrice à laquelle elle faisait référence, c’était moi. Il s’agit probablement de Lily Matthews, dont l’orientation sexuelle est l’un des secrets les plus mal gardés d’Hollywood, une des raisons pour lesquelles j’ai toujours conservé mes distances au maximum.

« Mais puisqu’on en parle, » continue Faye. « Je peux te poser des questions sur Derek et toi ? »

Mon cœur reprend sa danse effrénée. « Il n’y a vraiment pas grand-chose à dire », dis-je d'une voix sourde. En général, cette réponse suffit, mais ce n'est pas le cas avec Faye. Ma célébrité ne l’impressionne pas. Elle n’est pas dupe pour deux sous.

« Tu savais, quand tu l’as épousé, qu’il était gay ? »

Si je n’étais pas si terrifiée, son franc-parler ferait mon admiration. « Non, bien sûr que non. » C’est un mensonge.

« Et lui, il savait qu’il était homo ?

— Derek est toujours l’un de mes meilleurs amis. Ça me met mal à l’aise de discuter de sa vie privée.

— De toute façon, ta vie privée à toi m’intéresse beaucoup plus », rit Faye. « Je me demande ce qui est pire. Être mariée à un gay et ne pas le savoir, comme toi, ou enchaîner les peines de cœur, comme moi. »

Mes nerfs sont à vifs, mais toute une vie passée à éviter de parler de moi m’a appris à très bien écouter les autres, une qualité rare dans cette profession. Je devine une ouverture pour orienter la conversation de ma vie amoureuse vers celle de Faye, qui, à en croire la presse à scandale, n’a rien d’extraordinaire.

« Tu es célibataire, je suppose ? » J’essaie de garder un ton léger mais affable.

« Depuis un bon moment maintenant », soupire-t-elle. « Honnêtement, si l’on m’avait dit qu’il serait si difficile de trouver un homme bien quand on est… dans notre position, je ne suis pas sûre que j’aurais signé. Ça parait particulièrement prétentieux, je sais, mais la célébrité a un prix. Un prix énorme. »

J'acquiesce parce que c’est vrai. Ce prix, je le paie tous les jours. « Je suis désolée que les choses ne se soient pas passées comme tu l’aurais souhaité sur ce plan.

— Au moins, toi, tu as été mariée, c’est déjà ça. » Elle me lance un sourire diabolique. « Même s’il s’est révélé être homo. » Elle se penche. « Vous avez… consommé le mariage ? » Elle secoue la tête et lève la main. « Désolée, ça ne me regarde pas. »