Aménager la cour de récréation - Bruno Humbeeck - E-Book

Aménager la cour de récréation E-Book

Bruno Humbeeck

0,0

Beschreibung

Les enjeux d'une gestion didactique et pédagogique de la cour de récréation pour en faire un espace d'apprentissages, de liberté et de bien-être.

Qu'est-ce qu'une cour de récré ? A quoi correspond le temps de récréation ? Comment aménager la première ? Comment remplir le second ? Comment, in fine faire de la récréation un espace où il fait bon vivre ? Voilà des questions essentielles que la pédagogie scolaire a longtemps tardé à se poser.

Pourtant, parce qu'il se situe à la lisière de la scolarité, à mi-chemin entre la liberté contrôlée et l’apprentissage supervisé, le temps de récréation se constitue sans doute comme un moment privilégié d'apprentissage de l'autonomie chez l'élève. En se présentant comme un espace clos à l'intérieur duquel les groupes d'élèves cessent de faire "classe" pour devenir un collectif qui se donne ses propres règles de fonctionnement, le territoire récréatif se pose comme le lieu principal d'expression de toutes les formes de violences visibles ou invisibles (harcèlement) contre lesquelles l'école devra s'opposer si elle veut véritablement se constituer, pour construire l'école d'aujourd'hui en vue du monde de demain, en véritable laboratoire du vivre-ensemble.

À travers un ensemble d’instruments méthodologiques concrets et de réalisations didactiques, cet ouvrage démontre comment l’aménagement de la cour de récréation peut devenir l’argument d’un véritable projet pédagogique susceptible de mobiliser l’ensemble de la communauté éducative dans le respect des identités de chacun.

EXTRAIT

la horde d’enfants qui courent pour se défouler n’existe le plus souvent que dans la représentation que l’adulte se fait de l’activité d’un enfant pendant le temps récréatif qui lui est concédé lors d’une journée scolaire. L’idée qu’il devrait « se défouler » pour évacuer le surplus d’énergie accumulé en classe ne résiste pas à l’observation des faits. En réalité, l’enfant éprouve surtout le besoin de se ressourcer en se livrant à des types d’activités qu’il ne réalise pas en classe en suscitant des formes d’intelligence qui y sont peu ou pas stimulées.
Cette idée d’une récréation qui fonctionnerait comme un défouloir est corroborée par le fait que les enfants, dès que l’enseignant les « lâche » sur la cour de récréation, ont tendance à se précipiter dans la cour en courant et en hurlant… En réalité, cette activité sporadique ne se réalise que sur quelques mètres et pendant une durée très courte. 

À PROPOS DES AUTEURS

Bruno Humbeeck est psychopédagogue et Docteur en Sciences de l'Education. Chargé d'enseignement à l'Université de Mons et responsable du Centre de Ressource Educative pour l'Action Sociale (CREAS), il travaille sur des projets de recherche portant sur les relations école-famille et société au sein du Centre de Recherche en Inclusion Sociale (CeRIS). Expert de la résilience, il est l'auteur de publications sur l'estime de soi, la maltraitance, la toxicomanie et la prise en charge des personnes en rupture psychosociale.

Willy Lahaye est philosophe et Docteur en Sciences Psychologiques et de l'Education. Il est professeur à l'Université de Mons où il dirige le service des Sciences de la Famille et le Centre de Recherche en Inclusion Sociale (CeRIS). Ses travaux de recherche et piblications sont orientés sur la coéducation, les relations école-famille, l'éducation familiale et les mécanismes de l'inclusion sociale et scolaire.

Maxime Berger est l'illustrateur de cet ouvrage. Concepteur graphique au sein du Service des Sciences de la Famille de l'UMons, il a, à ce titre, participé à l'élaboration du programme "Eduquons ensemble avec Polo Le Lapin" et à la recherche-action Prévention du harcèlement et des violences scolaires.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 201

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Sommaire

Titre
Préface
Introduction
Partie 1 : L’école côté cour…Petite histoire de la scolarité à travers l’évolution des cours de récré
Partie 2 : Contrôler un territoire – la cour de récré régulée…Faire de la cour de récréation un territoire sécurisé dans lequel le risque d’accident est suffisamment maitrisé
Partie 3 : Maitriser un groupe – la cour de récré pacifiée…Faire de la cour de récréation un territoire qui favorise le « vivre-ensemble » en prévenant l’apparition des conduites violentes visibles (agressions) et invisibles (harcèlement) entre élèves
Partie 4 : Stimuler un espace ludo-pédagogique – la cour de récré stimulée…Faire de la cour de récréation un espace stimulant en phase avec le projet pédagogique de l’école
Conclusion
Bibliographie
Copyright

Préface

Nos enfants passent tous les jours un temps non négligeable dans la cour de récréation, que ce soit lors des traditionnels moments de détente entre les périodes d’apprentissage, des midis, mais aussi, pour certains, des matins avant le début des activités scolaires et/ou des fins d’après-midi, lorsqu’ils sont encadrés dans des activités extrascolaires. Cela signifie que certains enfants passent régulièrement une à plusieurs heures chaque jour dans la cour de récréation de leur école. Et si, pour nombre d’entre eux, il s’agit de bons moments de détente sans contraintes, de partage, de complicité, pour d’autres, le ressenti et la réalité sont nettement moins agréables et riment avec peur, ennui, exclusion, soumission à la loi du plus fort, harcèlement, violence…

Pendant très longtemps, on a considéré que les moments de récréation représentaient essentiellement une parenthèse, des moments de pause permettant aux enfants de souffler et de se défouler afin de redevenir ensuite plus attentifs et plus efficaces en classe. Dans une telle perspective, l’intérêt des enseignants et des chercheurs concernant ce qui se passe et se joue réellement dans une cour de récréation était peu important. En atteste le peu d’études et de publications à ce sujet. Fort heureusement, ces dernières années, les regards des professionnels, des parents, des enfants et des jeunes, premiers concernés, évoluent. En s’intéressant aux problèmes de violence et de harcèlement à l’école, il était devenu inévitable de lever le voile sur ce qui se passait dans les cours de récréation. C’est dans ce contexte qu’en mars 2016 le Fonds Houtman a lancé un appel à projets pour des actions et/ou des recherches-actions visant à mieux comprendre ces espaces comme lieux de vie où se jouent aussi des formes de violence et d’exclusion, et à les transformer en lieux de citoyenneté, d’épanouissement, de partage et d’empathie pour les enfants qui les fréquentent, dans toute leur diversité. Preuve que le sujet intéressait de plus en plus les acteurs de terrain, le Fonds a reçu 172 dossiers de candidature. Forte de son expertise de plus de dix ans dans les domaines concernant le « mieux vivre ensemble à l’école », l’équipe du Service de Sciences de la Famille de l’Université de Mons a ainsi été sélectionnée parmi les neuf projets retenus et soutenus par le Fonds Houtman, chacun pour une période de deux ans, de fin 2016 à fin 2018.

Ce livre, construit par Bruno Humbeeck, Willy Lahaye et Maxime Berger, est l’aboutissement de ces neuf projets. Il vient aussi combler un vide. Aménager la cour de récréation en un espace où il fait bon vivre arrive à point nommé pour accompagner toutes les personnes, professionnels et parents, désireux d’entamer une réflexion et des actions concrètes en vue de faire évoluer les espaces de récréation.

Après un chapitre très éclairant qui retrace l’évolution historique du concept d’« espace de récréation » depuis le Moyen-âge jusqu’à aujourd’hui, les auteurs entrent dans le vif du sujet dans trois parties qui peuvent être vues comme une progression dans la démarche d’évolution d’une cour de récréation, mais qui peuvent aussi être consultées séparément : la cour « régulée », la cour « pacifiée », la cour « stimulée ».

Mais, soyons clairs, ceux qui viennent y chercher des recettes toutes faites seront déçus. En effet, les auteurs insistent sur l’importance de mener au préalable tout un processus de réflexion, avec si possible la participation des professionnels, enseignants, éducateurs, responsables de l’accueil extrascolaire, parents et enfants (de l’ensemble des acteurs concernés par ces espaces). Ils soulignent aussi la nécessité de laisser la place au rêve, à l’imagination, tout en passant à chaque fois par une analyse du pourquoi, du comment, du contexte, du projet d’établissement et des effets secondaires que toute modification pourrait engendrer sur la dynamique du groupe. Pour cheminer dans cette première phase, les lecteurs pourront se référer à l’importante analyse psychopédagogique, sociale et anthropologique figurant dans les trois chapitres. Cette démarche réflexive préalable constituera le socle d’adhésion indispensable à la réussite et à la pérennité des projets menés.

Ce n’est qu’après cette première phase que les lecteurs désireux d’aller plus loin pourront passer à la phase de réalisation et, si besoin, choisir parmi la multitude d’exemples et d’outils concrets présentés dans cet ouvrage ceux qu’ils désirent utiliser, tels quels, ou ceux dont ils souhaitent s’inspirer, un peu, beaucoup, passionnément…

Le Fonds Houtman peut se féliciter de l’évolution de ce travail, qui a réussi à fédérer et à mettre en commun les expertises de l’ensemble des neuf équipes subventionnées. Ce livre, réalisé grâce à l’équipe du Service de Sciences de la Famille de l’Université de Mons, a largement été enrichi aussi par les nombreux échanges que les porteurs de ces neuf projets ont pu avoir lors des réunions du Comité d’Accompagnement mis en place par le Fonds, dans une ambiance de respect mutuel et de franche collaboration. Ce Comité d’Accompagnement était présidé par le Professeur Assaad Azzi, représentant l’ULB au sein du Comité de Gestion du Fonds. Que tous ces acteurs soient ici remerciés.

Dr Marie-Christine MauroyAdministratrice Générale du Fonds Houtman

Les neuf projets subventionnés : « Mieux vivre ensemble à l’école », Centre d’Action Laïque de la Province de Liège ; « Be cool @school », AMO Le Cercle (Ciney) ; « Place aux mots », ASBL Latitude Jeunes du Centre, Charleroi et Soignies ; « Dessine-moi des espaces de récré-action… pour mieux vivre ensemble notre école ! », Service de Sciences de la Famille de l’Université de Mons ; « Cultivons la non-violence », AMO Le Déclic (Mouscron) ; « Récré’action – Récré’motion », École Libre Saint-Walfroy (Pin-Chiny) ; « Aménageons et structurons notre cour de Récré-Action pour mieux vivre ensemble ! », IMP René Thône (Marcinelle) ; « Pas juste des récréations, mais des récré-actions ! Pour une cour de récré rêvée pour tous et pour chacun ! », École communale bilingue de Bois-de-Lessines et son Association des Parents ; « Création d’une formation en “Gestion des espaces de récréation” reposant sur une méthodologie universitaire de prévention des violences – Expérimentation-évaluation-intégration », ASBL Autour de l’École/Ville de Liège.

Introduction

© Maxime Berger

« Lorsque j’étais petit, bien avant la Seconde Guerre mondiale, la récréation a toujours été vécue, par mon frère et moi, comme… le retour à la loi de la jungle ! Et je peux même dire quelque chose qui a probablement dominé toute ma vie : j’ai expérimenté là, dans la cour de récréation, quand j’avais de cinq à dix ans, une telle guerre, une telle violence que, premièrement, j’étais content de revenir en classe lorsque la cloche sonnait, mais que, deuxièmement, j’ai trouvé que dans la classe régnait la même violence, à la différence près que dans la cour, je recevais des coups de poing, et que dans la classe, comme j’étais le premier, c’est moi qui dominais. »

Michel Serres

De tout temps, l’écolier a vu son temps se découper en deux : le temps scolaire et le temps familial. Partagé entre cette double temporalité, il est amené à distinguer plus ou moins nettement le temps de l’enseignement et celui de l’éducation. C’est la première césure, celle qui définit clairement un élève et un enfant comme deux êtres distincts tout en les confondant confusément en une seule et même personne. Cette première césure ne se réalise pas sans ambigüités. La levée de ces ambigüités constitue par ailleurs l’essence même de ce que l’on appelle la coéducation.

Une seconde coupure s’est opérée, pour l’écolier, au sein même de l’école. C’est celle qui, à travers l’organisation de la vie scolaire, définit pour l’élève un temps d’enseignement consacré aux apprentissages explicites et un temps de délassement éventuellement dédié aux apprentissages implicites, mais, par-dessus tout, consacré à la récupération de l’enfant. Cette distinction n’est pas née avec l’école. Elle s’est construite progressivement dans l’histoire de l’institution scolaire et à travers l’évolution de la signification que celle-ci prenait aux yeux des enfants et de leur famille.

À l’idée d’un « temps de récréation » a aussi succédé celle d’un lieu qui lui était spécifiquement dédié : c’est l’apparition des cours de récréation. Un temps de récréation, c’est un temps de repos, plus précisément un temps de délassement que l’on s’accorde généralement après un travail en vue de se détendre en se libérant des tensions qu’il a générées, et de s’en distraire en se focalisant sur autre chose que sur ce à quoi il a imposé de réfléchir. Une cour de récréation, c’est un espace spécifiquement dévolu à cette nécessaire détente et à cette souhaitable distraction des élèves. Plus précisément qu’un espace, puisqu’il est question d’un lieu généralement clos, une cour de récréation se définit comme un territoire au sein duquel le temps récréatif peut se dérouler…

Ce territoire récréatif tel qu’il a été conçu constitue, tout au long de son histoire, un reflet des évolutions pédagogiques et du souci que les éducateurs ou les enseignants ont de privilégier des composantes particulières du développement de l’enfant. On est ainsi parti d’une cour envisagée comme un espace vide peuplé d’élèves en vacance d’activités imposées par les adultes à un lieu récréatif centré sur les besoins collectifs de garçons ou de filles amenés à se socialiser au sein de leur groupe d’appartenance pour aboutir, de nos jours, à des cours aménagées, mises à la disposition d’enfants dont l’épanouissement individuel au sein du collectif constitue, tant pour le personnel scolaire que pour les parents, un souci majeur.

Les cours de récréation contemporaines doivent dès lors de nos jours être à la fois attractives, stimulantes, sures et confortables pour chacun. Elles constituent en quelque sorte le reflet des pédagogies activées au sein de l’école et donnent une image de la manière dont celle-ci envisage l’épanouissement de chaque élève en faisant, par exemple, de la prévention du harcèlement et de la sécurité une véritable préoccupation. Elles ont également été influencées par la forme qu’a pu prendre l’éducation familiale au cours de son histoire. Le contexte parental d’hyperparentalité n’a par exemple pas manqué de marquer de son empreinte la morphologie contemporaine des lieux récréatifs.

De nos jours, les parents attendent en effet de l’institution scolaire qu’elle démontre sa capacité à répondre à leurs attentes parfois disproportionnées en termes de contrôle du territoire (pas question de tolérer le moindre accident), de maitrise des phénomènes de groupe (la souffrance liée aux rapports de force qui se manifestent inévitablement au sein du collectif doit pouvoir être gérée) et d’optimisation des conditions de développement de leur enfant (tout doit avoir un sens éducatif et/ou une signification pédagogique).

La cour de récréation se pose dans cette optique comme un révélateur de cette triple attention attendue aujourd’hui par les familles de la part de l’institution scolaire. La pression sur les personnes chargées de contrôler ce qui se produit sur l’espace récréatif et de prévenir toutes les formes d’incident susceptibles de s’y manifester, celle qui pèse sur le personnel éducatif amené à y empêcher toutes les formes de violence visibles ou invisibles susceptibles de provoquer de la souffrance ou de l’inconfort psychologique et celle qui est vécue par les directions amenées à faire de l’espace de vacance un lieu récréatif qui reflète le souci pédagogique de leurs équipes se combinent ainsi avec d’autant plus de virulence qu’elles emmêlent dans un même tissu de préoccupations des exigences de sécurité de plus en plus impératives, des contraintes pédagogiques de plus en plus fortes et des obligations éducatives de plus en plus précises.

Cette triple pression est d’autant plus difficile à assumer que peu d’outils existent pour permettre aux professionnels de l’éducation et de l’enseignement actifs au sein de l’institution scolaire de remplir ce rôle compliqué de contrôler un territoire peuplé d’enfants, d’agir préventivement ou de réagir activement pour éviter que le groupe produise de la souffrance individuelle ou collective et d’assumer un statut qui impose de diffuser sur le lieu récréatif dont l’école a la responsabilité des contenus pédagogiques compatibles avec les valeurs de développement, d’épanouissement et d’émancipation qu’elle entend transmettre.

C’est précisément pour contribuer à la transmission de ces outils méthodologiques, spécifiques et innovants que cet ouvrage a été conçu. Dans un contexte scolaire qui entend faire en sorte que les moments récréatifs puissent également devenir des objets de réflexion pédagogique, la cour de récréation, envisagée comme territoire et considérée comme espace éducatif, est devenue un lieu de préoccupation majeure des enseignants, des parents, des architectes scolaires, des politiques et de tous ceux qui, de près ou de loin, se sentent concernés par l’éducation scolaire et par l’influence qu’exerce sur elle l’éducation familiale.

L’adoubement de la cour de récréation comme « espace pédagogique à la fois noble et significatif » a provoqué une évolution importante de sa forme et des enjeux qu’elle soulève en termes notamment de prévention de la violence. Dans une logique de développement éducatif durable, ces modifications s’inscrivent de plus en plus dans la structure même de l’institution et reflètent les changements en profondeur du projet pédagogique qu’elle entend concrétiser. C’est donc à un mouvement pédagogique d’ampleur que nous assistons actuellement.

Pourtant, force est de constater que peu de livres ont été écrits pour décrire, comprendre et analyser cette évolution. Encore moins pour donner au personnel des écoles des moyens de participer activement à cette métamorphose en disposant des instruments qui permettent de mettre en place des cours de récréation suffisamment régulées pour pouvoir être stimulées en tenant compte des exigences de sécurité qui lui sont légalement imposées et de celles qui sont liées aux obligations que l’institution scolaire contemporaine se fixe à elle-même. Le présent ouvrage cherche précisément à combler ce vide.

L’heureuse initiative prise par le Fonds Houtman de soutenir en 2016-2018 un ensemble de projets novateurs réalisés sur les cours de récréation indique par ailleurs de façon remarquable comment, lorsqu’il est question de promouvoir le bienêtre de l’enfant, les espaces récréatifs ont pris de nos jours une dimension fondamentale. Encourager les innovations positives, promouvoir les changements significatifs et renforcer les améliorations structurelles constituent les clés de voute habituelles des appels à projets de ce Fonds dont la dimension au sein de l’action en faveur d’enfants en Belgique n’est plus à démontrer. C’est également pour rendre compte des résultats de ce travail d’envergure impulsé par le Fonds Houtman que cet ouvrage a été écrit.

Comment faire de ce territoire un lieu à la fois stimulant et sécurisant ?

Comment un adulte doit-il s’y prendre pour contrôler ce qui s’y passe ?

Comment s’assurer que tous les enfants parviennent à se détendre pendant le temps de récréation ?

Peut-on être certain que cet espace de vacance de pouvoir ne devienne pas le lieu d’expression privilégié des rapports de domination entre élèves ?

Comment les adultes – accueillants extrascolaires, enseignants, éducateurs ou surveillants – peuvent-ils être mis en position de remplir leur rôle, d’exercer leur fonction et d’assumer leur statut dans une cour sur laquelle tant de choses semblent échapper à leur maitrise ?

Ces questions sont fondamentales pour tous ceux qui se préoccupent de faire de la cour de récréation un endroit perméable aux interrogations cruciales que pose actuellement l’éducation scolaire des enfants et des adolescents. L’enjeu, à cet endroit, apparait triple :

Faire de la cour de récréation un territoire sur lequel chaque élève, fille ou garçon, se sent bien à sa place sans avoir à négocier celle-ci avec des groupes ou des individus qui établissent avec lui des rapports de domination et faire en sorte qu’il s’y perçoive non seulement en parfaite sécurité, mais aussi à l’abri de tout ce qu’il pourrait ressentir comme violence physique ou psychique.

Transformer la cour de récréation en un espace de promotion du vivre-ensemble qui laisse toute sa place à la gestion de l’intelligence émotionnelle et collective, ces formes cognitives trop souvent considérées comme les parents pauvres de l’école.

Participer à l’élaboration d’un lieu ludoéducatif sur lequel la stimulation a été réfléchie en fonction du projet pédagogique de l’école.

Nous nous efforcerons dans les pages qui suivent de répondre concrètement à ces préoccupations en proposant une didactique de la mise en place de cours de récréation à la fois régulées et stimulées. Ce sera là l’objectif majeur poursuivi par le présent ouvrage.

Pour cela, il sera question dans une première partie de contextualiser la problématique en resituant l’histoire des cours de récréation dans la perspective historique plus large qui est celle de l’institution scolaire.

Nous montrerons ensuite dans une deuxième partie comment il est possible, à travers le concept de cour de récréation régulée, de mettre en place les conditions pédagogiques et didactiques qui permettent de mieux contrôler le territoire récréatif afin de faire de la cour de récréation un territoire sécurisé dans lequel le risque d’accident est suffisamment maitrisé.

Nous développerons ensuite dans une troisième partie les outils méthodologiques et les instruments didactiques sur lesquels il est possible de s’appuyer pour maitriser les effets de groupe que la récréation contribue à mettre en scène. Il sera alors question de faire de la cour de récréation un territoire qui favorise le « vivre-ensemble » en prévenant l’apparition des conduites violentes visibles (agressions) et invisibles (harcèlement) entre élèves. C’est précisément ce que nous entendons promouvoir à travers la notion de cour de récréation pacifiée.

Enfin, nous indiquerons par quels moyens il est possible de faire de la cour de récréation un espace stimulant, en phase avec le projet pédagogique de l’école, en encourageant sur l’espace ludopédagogique un panel d’activités qui correspondent aux zones sur lesquelles elles peuvent se réaliser avec un maximum de confort et de sécurité. Cette idée est évoquée à travers le concept de cour de récréation stimulée.

Régulée, pacifiée et stimulée, la cour de récréation est alors en mesure de se constituer véritablement comme un lieu à la fois accueillant pour tous et dans lequel il fait bon vivre pour chacun.

Chacune de ces parties sera illustrée à l’aide de photos ou de plans qui rendent compte de réalisations concrètes, mises en place en Wallonie et à Bruxelles dans le contexte du projet plus large de prévention des violences visibles et invisibles tel qu’il est soutenu par le Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou, plus précisément, activé dans le cadre de l’appel à projets spécifique du Fonds Houtman que nous avons évoqué précédemment.

Ces deux initiatives concernent un grand nombre d’institutions scolaires. Un tel ouvrage ne pouvait évidemment rendre compte que très partiellement du mouvement d’ensemble que cette double initiative, politique et éducative, a suscité. L’objet du livre n’était pas de rendre compte de ce mouvement ni d’illustrer le foisonnement d’initiatives qu’il a rendu possible, mais bien de poser les conditions pédagogiques et méthodologiques qui consolideront cette métamorphose en permettant aux changements de se maintenir dans le temps pour s’inscrire à la fois dans la manière de concevoir les bâtiments scolaires et de réfléchir l’éducation qui s’y réalise dans une logique de développement éducatif durable.

Partie 1

L’école côté cour…

Petite histoire de la scolarité à travers l’évolution des cours de récré

« L’école est une culture par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il travaille. »

E. Kant

Les cours de récréation semblent intemporelles. On a l’impression qu’elles ont toujours existé, qu’elles sont « nées » avec l’école. Haut lieu de la mémoire individuelle, la cour de récré, à tout le moins son souvenir, imprègne à ce point l’imagination de chacun qu’il finit par contaminer l’imaginaire collectif en associant à l’idée d’école une cour qui lui est, en quelque sorte, devenue consubstantielle.

© Maxime Berger

Pas possible d’imaginer une école sans sa cour. Grande, petite, rectangulaire, triangulaire ou en U, bétonnée, arborée ou végétalisée, close, partiellement ouverte sur l’extérieur ou complètement fermée à l’intérieur, sa forme varie avec le temps et répond à la même logique architecturale que celle à laquelle a répondu le bâtiment scolaire en manifestant, par sa masse imposante qui domine la rue ou par son volume plus fluide intégré dans le quartier, l’idée que doit véhiculer l’institution scolaire.

L’histoire des cours de récréation est naturellement liée à celle de l’architecture des bâtiments scolaires, elle-même se révélant être le reflet de la manière dont le monde politique envisage le pédagogique en confiant au bâti scolaire le soin de donner l’image d’une instruction qui s’impose à tous, d’une éducation qui se propose à chacun ou d’un enseignement plus ou moins ouvert sur la communauté éducative au sein de laquelle il prend sens.

Reflet de la collusion du discours pédagogique et politique, l’histoire de l’architecture scolaire commence ainsi avec l’idée d’une scolarité qui, cessant d’être l’apanage d’une minorité de nantis investis d’un pouvoir dont ils cherchent à se réserver la prérogative, se laisse au contraire guider, dans une société démocratique, par la nécessaire préoccupation de se mettre à la portée dans le souci du développement optimal de chacun.

Pour ceux qui prennent le temps de les observer, les cours de récréation, tant par leur forme que par la manière dont elles sont – ou pas – contrôlées, sont dans cette optique une illustration de la mise en mouvement de nos démocraties ; elles se posent comme un véritable livre d’histoire à ciel ouvert qui présente les modalités de vivre-ensemble telles qu’elles sont privilégiées dans le monde social et concrétisées dans son extension naturelle que constitue l’univers scolaire.

La mixité, la ségrégation, le mélange des âges, la séparation des classes, l’écologie, les pratiques de compétition, les jeux de coopération, la liberté, le laisser croitre, la surveillance lâche, le regard panoptique, le contrôle des comportements, la répression des conduites, le harcèlement, les violences larvées, les attitudes intergroupales, les tensions identitaires… Tous ces ingrédients qui font coulisser les idéaux démocratiques sont effectivement mis en mouvement de manière visible et, pour celui qui se donne les moyens de les observer, lisible dans les cours de récréation.

C’est pour cela que, davantage sans doute que tout autre lieu de la vie scolaire, la cour de récréation constitue un endroit privilégié pour observer la manière dont la pédagogie et les politiques éducatives institutionnalisent les mouvements de société en investissant plus ou moins explicitement le territoire au sein duquel les élèves sont mis temporairement en vacance d’enseignement.

1. Petit historique des cours de récré…

« Le zèle de l’enfant s’épuise si quelques heures joyeuses ne varient ses austères journées. »

Ausone – Idylle vers l’an 380

Les cours de récréation ne datent pas de la nuit des temps. Si l’on en trouve une trace à l’état embryonnaire dans les plans de l’abbaye de Saint-Gall au IXe siècle, on ne peut pas encore parler de véritable cour de récré pour désigner ce minuscule espace cloitré qui ne mettait même pas l’enfant à l’abri des châtiments corporels. Toutefois, c’est là, dans cet espace au relent de vie monastique que la notion de récréation sous le nom de « vacatio » fait une toute première timide apparition en désignant le lieu qui lui est spécifiquement dédié.

Évidemment, à cette époque et pour plusieurs siècles encore, les sombres journées des écoliers ne sont que faiblement éclairées par des moments récréatifs tant l’Église se méfie comme du lait sur le feu des moindres périodes de relâchement accordées à l’enfant.