Parents, Enseignants… Eduquer ensemble - Bruno Humbeeck - E-Book

Parents, Enseignants… Eduquer ensemble E-Book

Bruno Humbeeck

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Beschreibung

Zoom sur le concept de coéducation

À travers divers témoignages, une mise en contexte du concept de coéducation et de nombreux exemples d'applications pratiques, cet ouvrage donne à chacun des clefs pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent les relations entre école et famille, et l'importance d'en tirer parti.

Un ouvrage essentiel pour aborder la question des relations entre les enseignants et les parents à travers des exemples concrets.

À PROPOS DE LA COLLECTION OUTILS POUR ENSEIGNER

La collection Outils pour enseigner explore les tendances actuelles de la pédagogie et de la didactique et propose des ouvrages concrets et d'accès aisé pour la construction de savoir-faire et de savoir-être.

Des outils de formation qui joignent la théorie à la pratique, pour les enseignants du fondamental, les étudiants en pédagogie, les inspecteurs, les formateurs ainsi qu'aux éducateurs, animateurs et parents.

Depuis 2012, la collection Outils pour enseigner a entamé une grande phase de relooking. Ne tardez pas à découvrir les nouvelles couvertures !

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SOMMAIRE

Titre
Avant-propos
Partie 1 - Mise en scène des acteurs de la coéducation - Paroles de parents… Propos d’enseignants… Mots d’enfants…
Partie 2 - Un peu de théorie… pour ceux qui en ont envie… - Spécificité du paradigme de la coéducation
Partie 3 - Un peu de théorie pratique… pour comprendre la suite… - La coéducation à l’épreuve des relations école-famille
Partie 4 - De la pratique pour donner du sens à la théorie : didactique de la coéducation - Boite à outils, médias scolaires et coéducation
Partie 5 - La coéducation en mouvement - Petit exercice de théorie appliquée pour stimuler l’apprentissage du langage à l’école maternelle et à l’école primaire
Conclusion - La coéducation, tout un programme… pour mener à une école plus inclusive
Bibliographie
Copyright

Avant-propos

Les relations école-famille prennent parfois des airs de paix armée ; elles débouchent à l’occasion sur des guerres ouvertes mais, le plus souvent, elles assurent une forme de coexistence pacifique des parents et des enseignants sur un fond permanent de défiance réciproque. Maintenus à distance l’un de l’autre, les deux camps se neutralisent à coups de regards méfiants et d’observations suspicieuses… Dans un tel climat de guerre froide, l’idée de coéducation ne va sans doute pas nécessairement de soi.

Une littérature abondante est consacrée à la coéducation école-famille. La plupart du temps, il s’agit essentiellement d’en souligner les difficultés, d’en rapporter les écueils ou d’en déclarer l’importance. Peu de travaux cherchent en revanche à en déterminer les règles de fonctionnement ou à en réguler les mécanismes. La plupart, entre déclaration d’intention et constat d’échec, se contentent en réalité d’en affirmer la nécessité tout en soulignant en même temps le caractère fondamentalement antagoniste des aspirations de chacun.

Baillon (1982) affirme ainsi la logique instrumentale dans laquelle la plupart des parents se situent par rapport à l’école. Donzelot (1977), dans un ouvrage plus ancien, situait déjà l’école dans un rôle de « police des familles ». Auberty et Bergougnoux (1985) confirment, quant à eux, dans « la forteresse enseignante », la tendance de l’école à renforcer ses murs lorsqu’il est question d’y laisser entrer les parents d’élève. Gombert (2006), pour sa part, montre, dans une perspective historique, les difficultés qu’ont connues les associations de parents pour se faire reconnaitre au sein de l’école. Soulignant leurs logiques institutionnelles contrastées, Gayet (1999) parlera même d’école construite contre les parents pendant que, dans le même temps, Auduc (2004) exhortera les parents à ne pas, malgré tout, « rester sur le trottoir de l’école ».

Dans le même ordre d’idées, Leroy (2010) parle dans son livre d’un « merveilleux dialogue de sourds » pour souligner les logiques contrastées qui sous-tendent les rapports parents-enseignants. Montandon et Perrenoud (1994) évoquent même quant à eux un dialogue impossible. Monceau (2009) souligne les formes de résistance qui, d’un côté comme de l’autre, contaminent la relation parents-enseignants. Kherroubi (2008) montre, selon cette même logique, comment l’école, point de passage obligé, peut s’avérer un lieu particulièrement sensible dès lors qu’il est question pour les parents d’interagir avec les professionnels de l’éducation.

Jusque dans les années 80, comme le souligne Donzelot (2009), les « institutions constituent autant de sanctuaires dont les membres ne rendent compte qu’à eux-mêmes ». La littérature relative à cette période apparait inévitablement imprégnée de cette tendance. Ce n’est pourtant qu’au cours des années 90 qu’émergent les premiers discours sur la coéducation. Durning (1998) a établi un relevé des travaux en langue française faisant état de la tendance à se rencontrer des logiques éducatives, familiales et scolaires, qui se développaient séparément, d’une façon convergente ou non.

A priori, l’idée d’un travail éducatif conjointement assuré par l’école et par la famille pourrait pourtant s’imposer comme une évidence : l’enfant est immergé dans deux systèmes éducatifs distincts, séparés dans le temps et dans l’espace. Éduquer ensemble supposerait alors simplement l’aménagement harmonieux de cette alternance spatio-temporelle des deux contextes éducatifs. Il y aurait le temps de l’école et le temps de la famille, comme il y a le temps du travail et celui des loisirs ; il y aurait l’institution scolaire et le domicile comme il y a l’ailleurs et le chez-soi. Coéduquer reviendrait, dans un tel schéma bipolaire, à rester chacun à sa place et à respecter scrupuleusement la succession des périodes réservées à l’un et à l’autre. Tout cela ne semble a priori pas trop difficile à réaliser tant que l’on s’en tient à cette vision simplifiée de la réalité…

Cependant, de telles simplifications ont généralement la vie courte. Elles durent en définitive le temps d’une illusion… celle qui laisserait penser que les deux milieux sont étanches, imperméables à leurs influences réciproques. Ce n’est évidemment pas le cas. Très vite en effet, les parents le concèdent : par de multiples aspects, le scolaire s’invite subrepticement à la maison. Les devoirs domestiques, le journal de classe à superviser, le bulletin à signer constituent alors autant de rappels à l’ordre par lesquels l’école prend le parti de structurer le temps des familles. Dans l’autre sens, les enseignants vont très rapidement le constater – souvent même le déplorer – : sous de nombreuses formes, le familial pénètre insidieusement l’école. Pourvoyeuses d’habitus, porteuses d’ethos de classe, les familles vont alors parfois être stigmatisées parce qu’elles donnent l’impression de mettre leurs enfants à l’école comme on les envoie au casse-pipe, sans espoir de réussite, sans esprit de conquête. La famille « résignée » face à l’école « sélective ». Le pot de terre contre le pot de fer. D’autres familles, plus conquérantes, vont parfois au contraire induire le sentiment de trop « envahir » le champ scolaire en donnant l’impression de « faire la leçon » aux enseignants ou d’essayer plus ou moins subtilement d’exercer leur influence sur le territoire scolaire en étant alors suspectes de vouloir le coloniser au profit exclusif de leurs propres enfants.

Bref, l’étanchéité des deux milieux est une source incontestable de tensions. Il n’est dès lors pas étonnant que l’école ait d’abord tenté de s’en défaire en érigeant des murs pour se protéger de tout ce qui de l’extérieur pouvait menacer l’école-bastion et l’idéal républicain qu’elle s’était donné pour mission de transmettre à l’époque de Jules Ferry. Les murs n’ont pourtant pas tenu bien longtemps, laissant apparaitre de part et d’autre des brèches à travers lesquelles le scolaire et le familial, en s’engouffrant, ont fini par se rencontrer pour définir implicitement un champ nouveau, celui de la coéducation.

« Que voulez-vous que l’on fasse avec des enfants comme cela ? Ce qu’on leur enseigne à l’école, ils le désapprennent aussi vite en famille. » « Allez donc leur apprendre le français pour qu’ils retournent chez eux entendre parler comme des charretiers… » Voilà des propos qui traduisent bien le désarroi de certains enseignants. Parmi eux, plus d’un a effectivement perdu son latin en s’acharnant à enseigner le français normé sans tenir compte de l’origine culturelle et des pratiques langagières usuelles des milieux défavorisés. Ce faisant, chaque fois que l’enseignant corrigeait un devoir de français, il sanctionnait en réalité tout un groupe familial. Chaque fois qu’il corrigeait une faute d’orthographe, il imposait à l’enfant de concevoir la même insuffisance linguistique dans le langage de son parent.

« Je ne suis pas d’accord avec la façon dont il a été coté » ; « Je ne lis même plus le journal de classe. Ce ne sont jamais que des commentaires négatifs à propos de mon fils. Cela m’agace de les lire et encore plus de les signer. Cela voudrait dire, si je les signe, que je suis d’accord avec eux » ; « Tel enseignant donne trop de devoirs. Tel autre pas assez… » Les commentaires de parents à propos de l’école et de ceux qui y assurent les activités d’enseignement révèlent eux aussi souvent une forme de jugement hâtif qui prend pour cible les principaux médias école-famille quand ce n’est pas la personne même de l’enseignant.

Les tensions naissent en réalité dans le flou que génère cette double immersion : l’école qui s’impose, en intruse, dans la famille et la famille qui, par les pratiques socioculturelles imprégnées par l’enfant ou par l’influence directe qu’elle tente d’exercer, pénètre dans l’école. Elles s’intensifient en outre chaque fois que la « confusion territoriale » justifie le fait de porter un jugement sur les contenus enseignés au sein de la famille et de l’école ou sur les modalités de transmission qui sont privilégiées dans chacun des deux milieux.

C’est ce qui se produit notamment quand le parent se risque à critiquer les méthodes d’enseignement explicite mises en œuvre au sein de l’école. Les phrases assassines du style « Vous ne pensez pas que la méthode globale… », « Vous devriez plutôt leur apprendre les calculs comme cela… », « Pourquoi n’essayez-vous pas cette technique pédagogique-là… », lorsqu’elles sont prononcées par les parents, irritent au plus haut point les enseignants. Ce sont ces jugements qui, entre autres choses, incitent l’école à dresser des murs pour ne pas se laisser envahir par certains parents qui, à force de se mettre à la place des enseignants, finissent par se prendre pour eux. Coéduquer, ce n’est pas coenseigner. De la même façon, lorsque le parent se met à édicter des règles pour organiser le fonctionnement de l’école, il court le risque d’une même cote d’exclusion. Les phrases telles que « Vous ne devriez pas autoriser ceci dans l’école… », « Et vous laissez faire cela ? », « Vous surveillez mal la cour de récréation », « Vous devriez maintenir cette porte fermée », « Vous auriez tout intérêt à construire un préau plus grand » n’ont généralement pas bonne presse. Coéduquer, ce n’est pas cogérer.

Dans l’autre sens, c’est aussi ce qu’il se passe lorsque l’enseignant prend pour cible les manières de parler, d’être ou d’agir qui concrétisent l’enseignement implicite effectué dans les familles. Les propos tels que « Votre enfant est mal élevé », « La tenue de Bryan est négligée. Ses devoirs ne sont jamais faits », « Jordan a des poux », « Kevin est grossier » et tous ces jugements par lesquels l’enseignant se pose en police des familles finissent par bouter hors des murs les parents qui sont reconnus coupables « d’éduquer de travers ». Or, ces parents, ce sont le plus souvent ceux pour qui l’école, entachée de souffrance, marquée par l’échec, reste un lieu à conquérir, un espace de questionnement à l’intérieur duquel il est difficile de s’aventurer. Ce sont justement ces parents-là pour qui le travail de coéducation pourrait avoir le plus de sens. Ce sont précisément leurs enfants qui ont par ailleurs le plus à gagner d’une collaboration efficace école-famille. Pour cela, il convient sans doute que les enseignants intègrent cette troisième balise que nous fixons au concept de coéducation : coéduquer avec la famille, ce n’est pas éduquer la famille.

Le partenariat éducatif parent-enseignant tel que nous l’envisageons dans le cadre de cet ouvrage circonscrit ainsi le rôle de chacun autour de la fonction d’éducation que l’école et la famille sont amenés à réaliser ensemble. Coéduquer suppose ainsi également de définir des lieux distincts dans lesquels l’acte d’éduquer prend sa nécessaire dimension institutionnelle et au sein desquels les relations de pouvoir ne peuvent avoir cours. La classe est clairement le lieu de l’enfant et de l’enseignant. Les règles qui y sont mises en œuvre relèvent de l’enseignant et de l’institution scolaire qui détermine sa fonction. Elles ne sont toutefois valables que dans cet espace particulier. De la même façon, les enseignants n’ont pas à s’inviter au domicile des parents et à y édicter des règles ou à y définir des normes.

À cette double condition, et pour autant qu’elle évite les trois écueils que nous venons d’évoquer plus haut, la coéducation permet de mettre en place les conditions d’une relation école-famille dans laquelle la communication porte exclusivement sur l’évolution psychosociale de l’enfant/élève. Pour cela, il convient sans doute de modifier la forme et la fonction des principaux médias scolaires par lesquels s’établit la communication avec la famille, à savoir les réunions de parents, les devoirs, le journal de classe et le bulletin. C’est précisément ce que nous nous sommes attachés à réaliser à travers un ensemble d’outils visant à fluidifier la relation école-famille que nous proposons dans cet ouvrage.

En effet, l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage et de socialisation ; elle est aussi parfois synonyme d’échec et de remise en cause des savoirs et de leurs modalités d’acquisition. L’école interroge. L’école interpelle. Faute d’un espace d’intercommunication adapté, les questions qu’elle amène à poser conduisent trop souvent à ne plus chercher les réponses que dans l’accusation de l’autre : l’élève qui apprend mal, le maitre qui n’enseigne pas ou le parent qui éduque à l’envers… Les réunions de parents, les devoirs domestiques, comme les journaux de classe ou les bulletins scolaires permettent alors, lorsqu’ils s’élaborent comme de véritables instruments de partenariat éducatif, de dépasser ces points de vue réducteurs en amenant la communication à se centrer sur le vécu de l’enfant et à s’élaborer au-delà de la transmission d’informations formelles. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils constituent, tant pour l’enseignant que pour le parent, non plus des lieux de confrontation mais de solides vecteurs de coéducation…

Pour que l’enfant évolue, tant à l’école qu’à la maison, dans un contexte favorable à ses apprentissages, il est essentiel que les deux environnements principaux dans lesquels il est immergé présentent, à ses yeux, suffisamment de cohérence et d’harmonie pour lui permettre de passer sereinement de l’un à l’autre. La problématique des relations école-famille révèle, dans un tel contexte, des enjeux fondamentaux dont les enseignants comme les parents paraissent par ailleurs pleinement conscients.

Toutefois, dans ce domaine particulièrement complexe, l’intention de collaborer efficacement ne suffit pas toujours. En effet, les pièges qui jalonnent l’histoire des relations que l’école entretient avec les familles sont nombreux. Les risques de confrontation se multiplient par ailleurs, nous le verrons, chaque fois que ces relations engagent l’un et l’autre dans des logiques de coenseignement et de cogestion ou qu’à travers elles, les professionnels de l’éducation et/ou de l’instruction qui constituent le monde scolaire émettent implicitement ou explicitement un jugement négatif sur les pratiques familiales.

Cet ouvrage a pour ambition de montrer comment il est possible de réaliser concrètement, au sein de la classe des activités susceptibles de favoriser la mise en place d’un dispositif de coéducation suffisamment respectueux des identités de chacun pour que tous, parents et enseignants, s’y sentent à leur place. Pour cela, nous proposons, après avoir dans un premier temps prêté attention aux observations des deux principaux acteurs, de décrire les fondements du paradigme de coéducation sur lequel nous nous appuyons. Nous mettrons ensuite le dispositif à l’épreuve des médias de communication qui relient les deux institutions dès lors qu’il est question d’échanger à propos de l’enfant et de son développement.

À travers cette réflexion fondamentale interrogeant de manière pragmatique les principaux outils reliant le monde scolaire à celui de la maison – le devoir, le journal de classe, le bulletin scolaire et la réunion de parents – nous montrerons comment ceux-ci peuvent cesser d’être considérés comme des lieux de communication univoque à travers lesquels l’école pénètre, parfois sans ménagement, l’univers familial, pour devenir de véritables instruments de dialogue à partir desquels les enseignants et les parents échangent leurs points de vue par rapport à l’évolution de l’enfant/élève dans les deux principaux espaces de vie au sein desquels il est amené à se développer. Nous rassemblerons, sous forme d’une première boite à outils, les innovations proposées dans ces domaines spécifiques, pour harmoniser la communication entre les parents et les enseignants en prenant pour objet de préoccupation l’enfant/élève et son développement au sein de l’école et dans sa famille. Ainsi, pour chaque média, nous reprendrons les réflexions des enseignants, des parents et, le cas échéant, des enfants qui ont favorisé l’émergence de l’outil ou qui ont contribué à la mise en place d’une stratégie pédagogique innovante. Nous développerons ensuite les pratiques didactiques qui en ont découlé de façon à analyser l’impact de ces manières de proposer les médias école-famille sur la nature et la forme des apprentissages réalisés par l’enfant. Chacun des médias envisagés fera ainsi l’objet d’une présentation en quatre points :

1. la manière dont il est envisagé à l’école maternelle et les exemples de pratiques stimulant les relations école-famille qu’il permet à ce niveau particulier de l’enseignement ;

2. les propos d’enseignants, de parents et d’enfants qui en définissent le sens dès qu’ils sont envisagés dans le contexte de l’école primaire ;

3. la définition précise des objectifs poursuivis par le média et du sens qu’il prend dans un contexte pédagogique visant à stimuler la coéducation ;

4. une boite à outils reprenant les pratiques pédagogiques innovantes et les instruments didactiques qui s’y rapportent.

Nous étendrons ensuite, sur la même base et en suivant les mêmes principes, notre réflexion à l’ensemble des apprentissages et plus particulièrement à ceux qui concernent l’enseignement de la langue ou plus précisément des langues puisqu’il s’agira généralement, dans un contexte de coéducation, de favoriser pour chaque enfant, comme nous le verrons, l’émergence d’une forme de « trilinguisme culturel ». Après avoir défini cette notion nouvelle et ce qui nous a amené à la concevoir, nous proposerons, à titre d’exemples, une seconde boite à outils qui sera davantage articulée sur les apprentissages scolaires de la langue orale et la façon de les transformer en outils de coéducation.

Ainsi, après avoir donné la parole à ceux qui sont amenés à mettre en scène la coéducation et envisagé de cette manière, la façon dont ils la vivent, nous proposons dans la deuxième partie de l’ouvrage, plus conceptuelle, d’aborder la coéducation par son versant théorique en la resituant notamment dans le paradigme qui en a favorisé l’émergence. Nous y poserons en quelque sorte le substrat philosophique et idéologique du processus de coéducation afin d’en souligner la spécificité. Le lecteur soucieux d’un abord immédiat plus concret peut par ailleurs, sans dommage, entreprendre directement la lecture à la troisième partie qui se consacre aux incidences pragmatiques du modèle théorique voire, s’il souhaite entrer directement dans l’exposé des praxis favorables à la coéducation, entamer la lecture à la quatrième partie Celle-ci est en effet directement accessible pour ceux qui souhaiteraient aborder la problématique de manière exclusivement didactique en prenant connaissance des boites à outils visant à stimuler une coéducation efficace.

Cet ouvrage a donc été conçu comme un « livre à tiroirs ». Tous les itinéraires sont possibles : celui qui mène de la théorie à la pratique comme celui qui s’attaque à l’application pragmatique avant de prendre connaissance, éventuellement, de son making of. Peu importe la voie empruntée. Chacune ne peut être que bonne dès lors qu’elle ouvre le chemin à des manières plus sereines d’envisager ensemble, dans le profond respect des identités de chacun, l’éducation des enfants et des élèves qu’ils deviennent par l’action de l’école.

Willy Lahaye et Bruno Humbeeck,Université de Mons

PARTIE 1

MISE EN SCÈNE DES ACTEURS DE LA COÉDUCATION

Paroles de parents…Propos d’enseignants… Mots d’enfants…

Le cadre d’analyse

1.Paroles de parents

a.Des salles de profs pour que les enseignants communiquent, des classes pour que les enfants s’expriment et des groupes de parole… pour que les parents parlent

b.Vécu parental des relations avec l’école

c.L’école affective

d.L’école cognitive

e.L’école comme espace de socialisation

f. Médias scolaires et communication école-famille

2.Propos d’enseignants

a.Ce que pensent les enseignants… des parents

b.Ce que pensent les enseignants… des enseignants

c.Ce que pensent les enseignants des périodes et des lieux dévolus aux relations parents-enseignants

d.Ce que pensent les enseignants des médias scolaires école-famille : devoirs, journal de classe, bulletins

e.Ce que pensent les enseignants… de l’école

3.Une parole prise au mot

4.Quelques mots d’enfants à propos des médias scolaires

Pour planter le décor avant de procéder à l’analyse plus détaillée de la pièce qui se joue dans la coéducation, nous proposons de mettre en scène la problématique en donnant la parole à ceux qui en sont les principaux acteurs : les parents et les enseignants. Ces commentaires sont extraits de groupes de parole que nous avons mis en place sur une trentaine de sites scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les parents des élèves fréquentant ces écoles ont eu l’occasion de s’exprimer librement à propos de la qualité du lien qui les relie à l’école lors des séances de prise de parole collective organisées à cet effet. Les enseignants ont parallèlement été invités à répondre à un questionnaire ayant pour objet les relations école-famille. Il leur était possible, à travers ce questionnement, d’exprimer des commentaires plus personnels dans les espaces ouverts à cet effet. Nous proposons de reprendre ci-après les « paroles de parents » et les « propos d’enseignants » qui ont émergé de ces deux espaces. Le double travail de mise à jour des représentations divergentes et de mise en lumière des points de vue convergents qui en est ressorti a constitué un préalable essentiel à la mise en place du référentiel commun entre les parents et les enseignants susceptible d’harmoniser leur relation que nous proposons de développer dans cet ouvrage. C’est sur ce référentiel, par ailleurs, que nous nous sommes appuyé pour construire les deux boites à outils permettant, depuis l’école et en associant la famille, de produire des activités coéducatives qui sécurisent chacun et répondent aux attentes de tous.

1. Paroles de parents

Chaque école a son histoire singulière. Les familles aussi ont leurs histoires particulières. C’est pour cela que la comparaison des relations qu’elles nouent entre elles ne fait généralement que refléter les caractéristiques des lieux dans lesquels les unes et les autres font l’expérience d’un même territoire. Pour certaines familles, l’école est un lieu de rencontre parmi d’autres. Pour d’autres, elle est davantage l’occasion d’un contact furtif et impersonnel. Certaines l’envisagent comme un espace à envahir. D’autres, au contraire, multiplient les stratégies d’évitement.

Lorsque l’école s’enracine dans la vie d’un quartier, elle trouve ainsi parfois un terreau de convivialité suffisant pour organiser en son sein des lieux informels d’échange. Lorsqu’elle se développe dans un lieu de vie moins structuré et rassemble des parents qui se connaissent moins, elle devra au contraire veiller à la mise en place d’espaces formels qui rendent l’échange possible. Parfois, il s’agira d’y organiser une réflexion commune. Dans d’autres cas, l’objectif visera à réfléchir en tenant compte de la diversité des expériences vécues par chaque enfant. Certains lieux invitent à parler de soi. D’autres incitent à aborder des thèmes plus généraux. C’est la loi des milieux complexes : la diversité s’y pose généralement en règle. L’invariance y fait habituellement figure d’exception.

Les rencontres parentales que nous avons organisées au sein des différents établissements scolaires reflètent tout naturellement ces différences. Pour nous, elles furent surtout l’occasion d’entendre le souci des parents de continuer à participer à l’éducation de leurs enfants dans cet espace particulier qui transforme leur progéniture en élèves : l’école.

Bien sûr, chaque rencontre avait une tonalité particulière, une teinte nourrie de l’ensemble des histoires particulières et du cheminement dans lequel elles s’inscrivent. Notre propos n’est pas de reproduire ici chacune de ces atmosphères mais bien de rapporter les propos saillants qu’elles ont permis de faire émerger. Moins attentifs aux changements des couleurs qu’au coloris général, nous nous sommes ainsi davantage attachés à les fondre dans un ensemble qui constitue l’arrière-plan de notre réflexion sur la relation entre l’école et les familles.

Nous avons ainsi, en guidant ces différents groupes d’échange, veillé à rappeler pour chacun d’eux les limites qui définissent le concept de coéducation. Nous nous sommes ensuite attachés à reprendre les règles qui sous-tendent le fonctionnement des groupes de parole. Enfin, toujours dans le but d’homogénéiser les réflexions, nous avons articulé la prise de parole autour de trois axes majeurs :

Quels sont mes relations avec l’école ?

C’est quoi éduquer ?

Comment fonctionnent les médias scolaires au sein de l’école : devoirs, journaux de classe, bulletins et réunions de parents ?

Nous reprendrons ci-après différentes réactions des parents par rapport à chacun de ces thèmes. Nous verrons ainsi comment leurs remarques permettent en réalité de définir intuitivement un espace de coéducation dans lequel la perception de leur rôle devient compatible avec les représentations les plus positives que les enseignants se font de l’exercice de la fonction parentale au sein de l’école. Lorsqu’il s’agit d’éducation scolaire, enseignants et parents tombent en définitive généralement d’accord. Les choses ne se compliquent habituellement que lorsque le parent s’égare dans l’évaluation de la fonction d’enseigner ou quand l’enseignant se fourvoie dans l’appréciation des pratiques éducatives familiales.

C’est pour cela, nous le verrons tout au long de cet ouvrage, que les règles de fonctionnement doivent être clairement établies quand il s’agit de fixer les contours des relations école-famille en laissant à chacun une profondeur de champ suffisante. Lorsque les parents et les enseignants s’accordent alors sur le ton à adopter, l’enfant, au sein de son école, est enfin en mesure de mieux orchestrer les couleurs. L’enjeu est effectivement de taille. Ce n’est qu’en s’accordant sur un ensemble de principes de coéducation, en mettant en place un dispositif harmonieux fondé sur un référentiel commun que l’école et la famille, devenus partenaires de l’acte éducatif, peuvent espérer donner à l’enfant/élève toutes les chances de s’épanouir au sein de son parcours scolaire.

A. DESSALLESDEPROFSPOURQUELESENSEIGNANTSCOMMUNIQUENT, DESCLASSESPOURQUELESENFANTSS’EXPRIMENTETDESGROUPESDEPAROLE… POURQUELESPARENTSPARLENT

Nous sommes réunis ici pour parler ensemble de votre rôle de parents d’élève…

L’idée même de regrouper des parents au sein de l’école en l’absence de tout enseignant rompt avec le concept de réunion parentale tel qu’il est généralement envisagé dans l’univers scolaire. La « réunion de parents » suppose en effet habituellement d’organiser une rencontre – collective ou individuelle – avec les enseignants pour faire le point sur l’évolution de l’enfant. En ce qui concerne notre propos, l’objectif était bien entendu tout autre : il ne s’agissait pas en effet d’organiser la rencontre parent-enseignant. L’objet n’était pas davantage de faire le point sur la situation de l’enfant ou sur la progression de l’élève. C’est pour cette raison que nous avons préféré les termes de « groupes de parole » pour désigner ces rencontres dans lesquelles, en réalité, il était principalement question pour chacun de parler de soi et de son propre vécu de parent d’élève.

Un groupe de parole est un lieu ponctuel de convivialité au sein duquel les participants ont l’opportunité d’échanger à propos des difficultés rencontrées face à une problématique commune. C’est un lieu de partage, d’échange et d’écoute qui donne la parole et permet à chacun d’être écouté et de se faire entendre dans un espace légitimé par le cadre institutionnel. À travers ce contexte de communication, le groupe de parole permet de stimuler de nouvelles manières de s’exprimer et de promouvoir une prise de parole plus libérée et mieux protégée.

À cet endroit, nous avons pu constater que l’effet de groupe permettait effectivement de lever rapidement les inhibitions. C’est notamment le cas chaque fois que la discussion amenait à aborder le vécu de chacun. Le fonctionnement du groupe de parole permet alors d’envisager le particulier sans perdre de vue les objectifs plus généraux fixés au sein du groupe. Le rôle de l’animateur est évidemment essentiel à cet égard. Il s’agit en effet, par ses interventions, d’agir à la fois pour libérer la parole et pour la contenir en la structurant autour de l’objectif prédéterminé.

En rappelant régulièrement les objectifs du groupe de parole, l’animateur en fixe les limites. Cette précision conceptuelle permet notamment de préserver l’efficacité du groupe en évitant qu’il ne devienne un lieu de propagande, qu’il ne s’assimile à un forum de débat, qu’il ne tourne en groupe thérapeutique ou qu’il ne se constitue en espace de jugement, voire en école de morale.

C’est à ce prix que les groupes de parole, en articulant liberté d’expression et rappel constant du cadre thématique, nous ont semblé davantage susceptibles de proposer un contenu mieux élaboré que les discussions informelles que nous aurions pu par exemple avoir avec les parents dans les « réunions-parkings » qu’ils tiennent généralement devant l’école le matin ou à la sortie des classes. Les groupes d’expression mieux formalisés permettent davantage de faire émerger une parole suffisamment significative pour rendre compte d’un phénomène et de la manière dont il est vécu. C’est celle-ci qui nous est dès lors apparue la mieux indiquée pour expliquer la manière dont se forment, du côté parent, les représentations des relations école-famille.

« Le regard des gens fait mal. On a peur de parler car on a peur du jugement et souvent on a l’impression d’être un cas isolé. Dans le groupe de parole, c’est tout le contraire…

« C’était bien, on se sentait libre d’intervenir et d’interrompre quand on voulait. On a tous et toutes dialogué. Si nous n’étions pas d’accord, on le disait. On était à l’aise. Je dirais qu’on était là pour parler des relations école-famille et qu’on a parlé du bon sujet. Donc pour moi l’objectif a été atteint parce qu’on est resté sur le sujet. »

« Un groupe de parole, c’est un lieu où je parle. C’est aussi un lieu où je suis entendue… écoutée… »

Parler de soi en tant que parent d’élève suppose de s’envisager soi-même dans un rapport passé et présent à l’école. En effet, ce qui caractérise tout parent, c’est le fait d’avoir été lui-même élève et de porter à ce titre une histoire scolaire idiosyncrasique. Agent d’historicité, porteur de sa propre histoire, chaque parent produit ainsi un discours original qui met en jeu à la fois le rapport passé qu’il entretient avec la scolarité et sa revisite par l’actualité des rapports qu’il noue avec l’école de ses propres enfants.

B. VÉCUPARENTALDESRELATIONSAVECL’ÉCOLE

• Le poids des souvenirs

Parlez-moi de votre pire souvenir d’école…

Revenir aux origines de la honte scolaire permet, en remontant à sa source, de repérer l’impact qu’elle peut avoir sur les représentations que les parents se font de l’école. Protéiforme, l’humiliation vécue au sein de l’école imprègne en effet l’image que chacun se fait de la scolarité, même si son influence n’est pas toujours constamment identifiée. Le comportement de l’enseignant, les procédures de questionnement, les techniques d’évaluation, les images parentales importées à l’école et les différentes formes de violence entre élèves constituent ainsi, dans l’environnement scolaire, autant d’occasions de blessures que le mutisme de l’enfant, le déficit de lieux d’expression ou l’absence de reconnaissance par l’adulte contribueront à métaboliser en honte.

« L’école est quelque chose d’humiliant, rien qu’entre enfants déjà… »

« Le pire, c’est quand j’étais interrogée au tableau et que je ne savais pas répondre. J’avais l’impression de rester bouche bée pendant des heures. »

« La remise des bulletins, c’était un moment atroce. On était appelé à tour de rôle en fonction des résultats. Les meilleurs restaient au tableau et nous, nous retournions à notre place et nous devions les applaudir. »

On ne se méfie jamais assez des souvenirs, surtout quand ils font le mort et donnent l’impression d’avoir été oubliés. Spontanément, les parents ne parlent pas de leur propre scolarité. Ce n’est que lorsque, par une question ou une invitation à se remémorer, on réveille leur mémoire scolaire que les souvenirs les plus pénibles sortent du caveau où, couverts de honte, ils avaient été enfermés. On voit alors comment, tapis dans l’ombre, ces résidus négatifs du passé s’y étaient pris pour assombrir chez le parent la manière dont il appréhende la scolarité de ses propres enfants. La volonté parentale de préserver l’enfant des agressions que génère inévitablement la vie scolaire se manifestera alors avec d’autant plus d’intensité que la honte implicite se sera épanouie chez le sujet dans le silence et le non-dit.

Les relations école-famille constituent un lieu particulièrement propice à l’émergence et à l’émancipation des mécanismes de honte. La manière dont l’image familiale est véhiculée au sein de l’école, les messages que les enseignants, de manière plus ou moins implicite, adressent à la famille chaque fois qu’ils corrigent l’enfant – dans ses pratiques langagières notamment – ou qu’ils l’invitent à évoquer au sein de l’école son environnement familial constituent ainsi autant de lieux dans lesquels la gêne de soi ou de ses origines trouve une voie d’expression possible. C’est ainsi que de nombreuses recherches montrent comment les questions relatives aux professions des parents et plus globalement à la sphère familiale sont souvent vécues par les élèves comme autant de véritables atteintes à la vie privée (Merle, 1994).

« C’est vrai que c’est important d’être fière de sa mère. Moi, je me souviens que j’étais gênée de ma mère quand elle venait me chercher à la sortie de l’école. Elle avait un horrible fichu autour de la tête et se laissait complètement aller. Elle ne souriait jamais et avait un visage complètement fermé. Alors, je disais aux autres de ma classe que ce n’était pas ma mère mais une tante éloignée, une voisine ou je ne sais quoi. »

« Mon mari a un gros complexe d’infériorité. Jamais il n’a été encouragé ni par ses enseignants, ni par ses parents. C’est pour cela qu’il ne va jamais à l’école des enfants. Il ne se sent pas à la hauteur. »

« Chez nous, pour dire des chaussures, on parle de “gogottes”. Madame, elle a repris ma fille. Elle lui a dit : “des ‘gogottes’, ça n’existe pas.” »

« Un jour, mon enfant m’a dit : “Je ne peux pas parler à l’école comme à la maison.” »

« Moi, c’est l’inverse. Ma fille me dit les mots qu’elle apprend à l’école et je n’aime pas. »

Les relations école-famille doivent nécessairement tenir compte de ces difficultés spécifiques liées à la fois au parcours scolaire individuel du parent et à l’ancrage socioculturel dans lequel il s’est réalisé. Le souci de rencontrer l’enseignant est en effet largement tributaire des représentations que le parent se fait de l’école. Or, celles-ci mettent en jeu, comme nous venons de le voir, le rapport passé et présent que le parent entretient avec sa propre histoire scolaire et la manière dont il laisse celle-ci affecter la lecture qu’il fait du parcours de son enfant au sein de l’école.

Les représentations parentales négativement connotées trahissent en effet souvent un vécu scolaire personnel difficile. Pourtant, dans un premier temps, pas question pour eux de critiquer l’école ! Au contraire, les déclarations vont toutes dans le même sens : « Tout va bien ». Les relations avec les enseignants se déroulent au mieux et l’école fait ce qu’elle peut. Pour apercevoir les failles qui lézardent le mur, il faudra sans doute gratter un peu…

• Relations actuelles et perspectives d’avenir

Parlons un peu de vos relations avec l’école de vos enfants.

Quand ils qualifient leurs relations présentes avec l’environnement scolaire de leurs enfants, la majorité des parents le font le plus souvent, au début en tout cas, d’une façon positive en mettant globalement en avant le climat de confiance favorable à une communication authentique.

« On a confiance en l’école. »

« Même si je déménage, je ne change pas mes enfants d’école. »

Cette attitude a priori positive vis-à-vis de l’école se traduit par une description idéalisée de son fonctionnement par rapport aux parents. Sans doute cette propension à enjoliver le vécu des relations école-famille traduit-elle la tendance constatée au cours des premiers échanges à exprimer un désir de « non-changement » et à avaliser ainsi l’idée que les relations doivent rester en état parce que « tout compte fait, les choses ne vont pas si mal ». La parole apparait ainsi dans un premier temps contenue par le souci de ne pas heurter le discours institutionnel. On peut également émettre l’hypothèse selon laquelle le parent immergé dans ces groupes de parole constitués au sein de l’école craindrait dans un premier temps que l’expression débridée des difficultés vécues n’affecte la situation de son enfant ou la perception que les enseignants se font de lui.

« Je sens si mon enfant est bien à l’école et si ça ne va pas, j’en discute avec d’autres. »

« Moi, j’ai vécu une situation extrême avec mes deux enfants et je sais que j’ai pu m’en sortir grâce au soutien des enseignants et de la directrice. »

« Il faut respecter les horaires de travail des enseignants. Chacun a une vie. »

En décrivant les relations engagées avec l’école sous un angle positif, les parents se positionnent à première vue en « partenaires disponibles » dès lors qu’il s’agit d’envisager un travail de coéducation. D’emblée, par ailleurs, la plupart d’entre eux montrent à l’égard des enseignants une attitude compréhensive et respectueuse des limites dans lesquelles ces derniers sont amenés à exercer leur fonction. Ainsi, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Pourtant, les difficultés ne tardent pas à être évoquées. Du bout des lèvres d’abord. Plus explicitement ensuite. La tentation de personnaliser le débat se fait alors sentir avec davantage d’acuité. « Avec un tel, c’est génial » ; « Avec tel autre, ce n’est même pas imaginable » ; « C’est grâce à Monsieur que tout va bien » ; « C’est à cause de Madame que rien ne va »… ou inversement… L’explication causale, ramenée aux caractéristiques individuelles de l’enseignant, semble ainsi faire l’économie de la remise en cause institutionnelle de l’école.

« Si le problème est à l’école. Il faut aller à l’école pour le régler. »

« On peut dire certaines choses et on se tait pour d’autres. »

« Madame fait part de son expérience mais si les parents ne sont pas motivés… Je peux comprendre qu’il y ait peu de réunions. »

« En fait, cela dépend d’un enseignant à l’autre. Avec certains, ce n’est même pas la peine de leur parler. »

« Madame X., elle parle à peine aux parents. Avec madame Y. par contre, pas de problème. Elle est sympa avec tout le monde. »

Évidemment dans un tel contexte de personnalisation des critiques, les réflexions générales risquent de se diluer rapidement dans la tentative d’explication particulière. « Haro sur l’enseignant puisqu’il n’est pas question de critiquer l’institution »… « C’est sa faute à lui puisque ce n’est pas à cause d’elle »… Si nous avions laissé faire, certains groupes de parole se seraient vite transformés en séances de « lynchage individuel » à effet cathartique aléatoire. C’est pour éviter cette dérive que la présence de l’animateur au sein des groupes de parole se justifie selon nous pleinement. Contrairement aux « réunions-parkings » débridées qui tournent très souvent en règlements de compte d’un groupe contre un individu absent, l’enseignant, exposé sans frein à la critique collective, les groupes de parole n’encouragent pas, par leur forme, ce mécanisme de personnification. L’animateur est en effet chargé d’intervenir systématiquement pour ramener le mécanisme réducteur d’explication interindividuelle au niveau d’une pensée collective prenant en compte toute la complexité du phénomène. Dans cette optique, le professionnel chargé de l’animation du groupe était notamment amené à repréciser régulièrement les objectifs du groupe de parole en rappelant entre autres les principes essentiels qui guident le processus de coéducation.

• Le concept de coéducation

Enseignants et parents ne doivent pas se positionner dans l’accusation réciproque mais faire équipe dans l’éducation de l’enfant. Parlons ensemble de coéducation.

Au début des prises de parole, tout semble limpide. Le discours spontané des parents évoque en effet clairement la nécessité de dissocier l’acte d’éduquer de celui d’enseigner. L’éducation est du ressort des familles ; l’enseignement de celui de l’école. Chacun à sa place. Tout parait, dans un premier temps, parfaitement clair… avant que le discours ne se brouille un peu montrant, dès que les échanges entre les parents prennent un peu le large, que la distinction ne va pas de soi. Avec la discussion en groupe et le travail de réflexion et de prise de recul qu’elle suppose, la nuance vient inévitablement mâtiner les prises de position tranchées et le parent découvre qu’il doit parfois lui aussi revêtir un manteau d’enseignant tandis que l’enseignant, lui aussi, doit régulièrement s’habiller d’un costume d’éducateur.

« Des fois, on se transforme en enseignants mais eux, ils ont des stratégies. »

« Le rôle des parents est d’éduquer. En même temps, on transmet des choses. On est aussi un peu enseignant. »

« L’enseignant est un éducateur d’une manière ou d’une autre. Lorsqu’il dit à un enfant : “Maintenant, tu t’assieds et tu te tais.” Ça aussi, c’est de l’éducation. »

« Le rôle des parents, c’est d’éduquer. Chacun à sa place. »

Le partenariat éducatif parent-enseignant emmêle le rôle des uns et des autres dans une fonction d’éducation que l’école et la famille sont partiellement amenées à réaliser ensemble. Coéduquer impose pourtant – cela saute aux yeux des parents – de définir des lieux distincts dans lesquels l’acte d’éduquer prend sa nécessaire dimension institutionnelle et au sein desquels les relations de pouvoir ne peuvent avoir cours. La classe est clairement le lieu de l’enfant et de l’enseignant. Les règles qui y sont mises en œuvre relèvent de l’enseignant et de l’institution scolaire qui détermine sa fonction. De la même façon, les enseignants n’ont pas à s’inviter au domicile des parents et à y édicter des règles ou à y définir des normes.

La définition simplifiée d’espaces différenciés entre l’école et la famille permet, dans l’esprit des parents, d’éviter qu’ils ne se constituent en lieux de confrontation dans lesquels chacun tente d’étendre son pouvoir d’influence sur l’autre. Ainsi, de la même façon que les enseignants n’ont pas pour fonction de décider ce qui doit se faire – ou pas – dans les familles, les parents doivent résister à la tentation de définir eux-mêmes les règles de gestion qui ont cours au sein de la classe et par extension au sein de l’école. En théorie, c’est comme cela que cela devrait fonctionner… Dans la pratique, toutefois, c’est autre chose… Et la tentation est grande, pour le parent comme pour l’enseignant, de s’immiscer dans le domaine de l’autre pour émettre des jugements, cautionner ce qui lui convient et disqualifier ce qui, à ses yeux, ne doit pas être fait.

« Moi, je ne suis pas d’accord que les enfants n’entrent pas en rang dans la classe. »

« Si on laisse dire des gros mots en classe, alors, cela ne va plus. »

« Madame, l’année passée, je trouvais qu’elle laissait trop faire. Mais Monsieur, cette année, je trouve qu’il crie beaucoup trop. »

Les lieux « séparés » ne sont pas étanches. En outre, la perméabilité des territoires scolaires et familiaux est encore accentuée par la mise en place de lieux de rencontre école-famille dans lesquels les frontières spatiales (classe/monde extérieur) et temporelles (temps scolaire/temps domestique) sont nécessairement rendues floues : organisation de soupers, fancy-fair, voyages scolaires, etc. Vécus comme des lieux de rencontre « hors contexte » avec les enseignants, ces moments de détente partagée constituent pour le parent autant d’occasions de rencontres susceptibles de resserrer des liens parent/enseignant, d’arrondir les angles ou plus simplement de favoriser une connaissance réciproque.

« Le dernier remonte à il y a quatre ou cinq ans : on faisait des soupers. Je trouvais cela bien parce qu’on voyait les profs, les enfants et les parents. »

« C’est chouette. On voit les profs. On discute dans un autre contexte. »

« Ca ne fonctionne pas car il y a peu de participation de la part des parents et du coup, ça demande un trop gros investissement pour les professeurs. »

La réalisation commune d’évènements ponctuels ne laisse-t-elle pas présager un souhait des parents de s’investir davantage dans l’organisation structurelle des activités de l’école ? Sans doute pas pour l’échantillon des parents que nous avons rencontrés en tout cas. Aucun parent n’a, par exemple, au cours de ces rencontres, manifesté l’intention d’être associé au processus de décision relatif à l’organisation institutionnelle de l’école et aux directives pédagogiques qui y sont privilégiées. Dans cette optique, l’attitude participative doit probablement être envisagée davantage comme un moyen de faciliter le processus de coéducation que comme une véritable fin en soi.

La coéducation ne semble pas constituer pour les parents que nous avons rencontrés un premier pas dans la direction d’une forme de cogestion de l’institution scolaire. Éduquer ensemble suppose pour eux prioritairement l’idée d’accorder une attention commune au parcours d’apprentissage particulier de leur enfant. La cogestion, parce qu’elle impose de définir ensemble les règles générales qui facilitent l’apprentissage du plus grand nombre, ne semble pas les préoccuper plus que cela. Cette attitude est sans doute normale. Peut-on légitimement attendre des parents qu’ils accordent une importance égale au parcours scolaire de tous alors même que leur attention est, logiquement, essentiellement focalisée sur la réussite ou l’échec qui sanctionne la progression dans les apprentissages de leur propre enfant ?

« Il m’a fallu quatre ans pour entrer en communication avec les autres parents. »

« Moi, ce qui m’importe, c’est surtout l’évolution de Kévin. Et je crois que pour la plupart des parents, c’est comme cela aussi. C’est normal. C’est aussi un peu chacun les siens. »

Tout se passe comme si les parents, intuitivement, concevaient que le coenseignement et la cogestion constituaient les principaux écueils sur lesquels leurs relations avec l’école risquaient de venir s’échouer si, allant au-delà de l’attention individuelle portée à leur propre enfant, ils s’égaraient dans des préoccupations collectives concernant la manière de s’organiser dans l’école ou les façons d’enseigner qui doivent y être favorisées.

Au contraire, l’aventure de la coéducation leur parait moins risquée lorsqu’elle recouvre essentiellement l’idée de communiquer au sujet de l’enfant/élève et de son parcours d’épanouissement et d’individuation au sein de l’école. Parents et enseignants, pour autant qu’ils disposent d’un référentiel commun, s’engagent alors plus probablement dans un espace de collaboration au sein duquel il devient possible d’harmoniser les forces.

« Ce qui compte, c’est le respect de l’individualité de l’enfant. »

Focaliser l’attention sur l’individuation et l’épanouissement de chaque enfant suppose pour chacun des partenaires du processus de coéducation de pouvoir se répartir les rôles en distinguant les différentes composantes de l’acte éducatif. Ce n’est évidemment pas si simple. On ne divise pas l’éducation en tranches avant de se les partager comme on le ferait d’un bout de saucisson découpé en rondelles. L’éducation est un processus abstrait, une construction mentale. C’est pour cela qu’avant d’envisager de s’en partager la mission, il faut pouvoir la définir précisément, en distinguer les différents constituants, évaluer la pertinence de cette distinction et en vérifier les effets sur le développement de l’enfant… Pour cela, le mieux est, pour les parents comme pour les enseignants, de se donner les moyens de répondre à une simple question : « Qu’est-ce que nous faisons quand nous éduquons ? » et plus précisément sans doute de se soumettre ensemble à une même interrogation : « Est-ce que nous éduquons bien ? »

• La notion d’éducation

C’est quoi éduquer ? Sur quels critères évaluons-nous notre travail de parents ?

« Éduquer, ce n’est pas facile. »

« Est-ce que je suis une bonne mère ? »

Les questions que soulèvent la nature et la pertinence de l’action éducative réalisée auprès de l’enfant supposent une réflexion qui tient compte de sa profonde complexité. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que, dans un premier temps, les réponses qu’elles suscitent tendent à se diluer dans des généralités, à prendre la forme de métaphores ou à se perdre dans des formules simplificatrices qui en réduisent la portée.

« Éduquer, c’est aider à grandir… »

« Éduquer c’est tenter de rendre heureux, conduire vers l’épanouissement… »